« Tu sais si on est en classe ou dans la serre, aujourd'hui ? » demanda nonchalamment un autre étudiant en Botanique de première année.

Warlock lui adressa un sourire. « Ouais, on est dans la serre.

— Comment tu sais ça ?

— Je lui ai demandé ? »

Durant le petit-déjeuner, pour être précis, mais iel ne comptait pas révéler ce détail. Crowley avait levé les yeux au ciel pendant son deuxième café et répondu d'une voix contrariée, « c'est un cours pratique, alors d'après toi ? La serre, évidemment. »

L'autre étudiant regarda Warlock, bouche bée. « Tu as fait quoi ? »

Warlock cligna des yeux et son visage devint inexpressif tandis qu'il assimilait la réaction obtenue. Iel n'avait jamais eu peur de Crowley. Peur qu'il lae dénonce à un professeur, peut-être, mais pas peur de lui en tant que personne. Comment pourrait-iel craindre quelqu'un qui s'occupe de plantes (et des jeunes intrus) avec tant de précaution et de patience ? Aziraphale est bien plus effrayant, à son avis, car une personne qui semble aussi douce lui rappelle son père quand il fait jouer son charme politique, et iel attend toujours que la façade tombe pour révéler l'enfoiré qui se cache derrière. Au moins, le mordant de Crowley est honnête et franc.

L'autre étudiant continuait de dévisager Warlock comme s'iel était la personne la plus courageuse ou la plus stupide du campus. « Tu as demandé au Dr Crowley, et tu es toujours en vie ? »

Warlock baissa les yeux sur son propre corps comme pour vérifier qu'il était toujours en un seul morceau. « On dirait bien, dit-iel joyeusement. J'ai eu de la chance, j'imagine ?

— Je ne sais pas comment tu as fait. Il est tellement… » l'étudiant frissonna exagérément de peur. « Enfin bref. La serre. Merci.

— Pas de quoi », répondit Warlock avec politesse. Mais iel était conscient que c'est une information qui ne pouvait rester secrète longtemps.

Warlock essaya de ne pas frissonner, à son tour, en découvrant sa soudaine réputation d'être la personne la plus intrépide et audacieuse de sa promotion – assez brave pour affronter le Dr Crowley en personne et repartir vivant. Iel recevait des regards émerveillés, et on lae reconnaissait désormais alors qu'iel aurait préféré disparaître dans la masse des étudiants ordinaires. Et tout cela, pensa Warlock avec lassitude, parce qu'iel avait voulu aider. Iel savait pourtant que ce n'était jamais une bonne idée.

De son coté, Crowley s'adapte encore à avoir une autre personne dans sa vie. Quelqu'un qui ne le connait pas aussi bien qu'Aziraphale, qui plus est, et appuie sur les endroits sensibles sans le vouloir. Par exemple, un jour, alors qu'il est sur son téléphone, Aziraphale et Warlock débattent sur l'adaptation de Jane Austen la plus fidèle au livre selon eux. Tout se passe très bien jusqu'à ce que Warlock se tourne vers lui et demande « Et toi tu en penses quoi ?

— Ne me demande pas à moi », répond Crowley, la voix douloureusement désinvolte. « Je ne lis pas de livres. »

Aziraphale pose avec douceur la main sur son épaule. « Bien sûr que si, Crowley.

— D'accord, c'est vrai, laisse-moi corriger alors. Je ne lis que des livres audios, et ce sont des adaptations comme les autres, donc je ne sais pas, d'accord ? » Il lève la tête et la légère inflexion blessée de sa bouche est claire comme le jour. Il ajoute avec son ton de professeur, « parlez-en entre vous. » Il regarde sa montre d'un mouvement exagéré, et conclut, « vous avez… autant de temps que vous le voulez. »

Aziraphale a ses propres ajustements à faire, et bien qu'il soit amusant de pouvoir échanger avec une personne partageant son amour pour les livres, il ne compte pas ignorer la manière dont chacun d'eux se heurte aux autres. Il doute que ce soit volontaire mais, d'après son expérience, cela n'a jamais rendu quoi que ce soit moins douloureux. Il a bien l'intention d'être diplomate plutôt que de laisser cette friction s'accumuler jusqu'à l'explosion, comme ce fut le cas entre lui et Crowley quand ils apprenaient encore à se connaître. C'est une leçon qu'il n'oubliera jamais. On a tendance à penser que puisqu'il est indulgent et gentil, il doit être naïf. En réalité, c'est l'inverse. Les personnes naïves font beaucoup plus de mal aux autres car elles ne savent ni voir les dommages causés par leurs actions, ni éviter de rouvrir de vieilles blessures. C'est reconnaître cela qui lui permet de faire preuve de tant de bonté, et il chérit d'autant plus ce savoir pour cette raison précise.