Depuis son plus jeune âge, Hinata avait toujours aimé le ballet. Avec les danses de salon, c'était probablement le seul genre de danse que son père approuvait pour ses filles. Mais en vieillissant, ce passe-temps devint une passion qui prit de plus en plus de place dans sa vie, au point qu'elle passa un accord avec son père. Elle pourrait continuer le ballet de façon professionnelle dans une grande compagnie de ballet, tout en poursuivant des études en marketing en vue de reprendre la direction des entreprise Byakugan dès qu'elle prendrait sa retraite de danseuse. Après tout, à partir de trente ans, on la remplacerait de plus en plus par de plus jeunes.

Elle eut beaucoup de chance, son talent inné et sa maîtrise quasi parfaite de toutes les techniques les plus complexes, lui value de nombreuses propositions et elle rejoignit la plus prestigieuse des compagnies, les Grands Ballets de Konoha en tant qu'étoile. De ses dix-huit à vingt-cinq ans, elle eut une carrière grandiose. Elle prévoyait arrêter à trente ans, comme convenu avec son père, mais… Mais jamais elle n'avait prévu que tout son monde s'effondre du jour au lendemain à cause de la convoitise de celle qu'elle considérait comme sa protégée.

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Après les répétitions avec toute la compagnie de ballet, Hinata restait toujours un peu plus longtemps pour répéter. Et au passage, éviter de tourner en rond chez elle. En dehors de la danse, elle avait peu d'amis, que des connaissances liées au ballet ou à l'entreprise de son père. Elle n'avait pas non plus d'autre passion. Il lui arrivait de lire ou de regarder quelques vidéos sur le net, mais elle préférait utiliser son temps libre pour travailler. En ayant une fin de carrière déjà programmée, elle voulait vivre son rêve à cent dix pourcents et n'avoir aucun regret. Pour beaucoup, elle était obsédée par la danse et elle n'ignorait pas que pour eux, elle semblait froide, voire arrogante, mais elle était juste introvertie. Être l'héritière des entreprises Byakugan venait avec une grande pression et des attentes. Les gens n'osaient pas l'approcher, alors qu'elle, elle était trop intimidée pour faire le premier pas.

Il y avait presque cinq mois, elle avait pris sous son aile une nouvelle danseuse prometteuse, qui pourrait facilement lui succéder en tant qu'étoile de la compagnie et elle voulut la préparer pour ce rôle, cette lourde charge de travail. Parfois, Hinata aurait aimé avoir ce soutien lors de son arrivée, elle se serait peut-être épanouie plus rapidement dans la compagnie. C'était la première fois qu'elle se montrait aussi investie dans une relation. Même avec son fiancé, elle ne se montrait pas aussi enthousiaste.

D'un autre côté, ce n'était pas vraiment par amour qu'ils étaient ensemble, Toneri et elle. Leurs pères travaillaient souvent ensemble sur des projets et ils avaient cru que leurs enfants iraient bien ensemble. Son père lui ayant déjà accordé son souhait de pouvoir danser jusqu'à ses trente ans, elle n'avait pu lui refuser cette alliance avec la famille Otsutsuki. Elle fit de son mieux pour développer une complicité avec Toneri, d'être une bonne copine, mais elle préféra attendre la fin de sa carrière de danseuse, avant qu'ils ne se marient. Elle savait que tant qu'ils n'étaient pas mariés, elle pourrait toujours repousser le moment d'avoir des rapports intimes avec lui, bien qu'il devînt de plus en plus insistant. Elle sortait à chaque fois l'excuse qu'elle ne voulait pas prendre le risque de devoir mettre sa carrière en pause, parce qu'elle serait tombée enceinte. Elle n'était pas stupide, la pilule ou les préservatifs, même combinés, ne garantissaient pas la contraception.

Il se faisait donc distant depuis trois ans et elle ne serait pas étonnée qu'il voit d'autres femmes dans son dos pour se « soulager », comme le disent les hommes. Une partie d'elle était dégoûtée à l'idée de devoir un jour ou l'autre l'épouser, mais une autre partie en était soulagée, puisqu'il avait arrêté d'essayer de la forcer. Chaque fois que ses mains devenaient baladeuses, elle se sentait mal à l'aise et la simple idée d'être au lit avec lui, lui provoquait des frissons de dégoût. Pour le coup, leur relation était essentiellement publique et ils se voyaient que lors de grands évènements.

Hinata dut mettre fin à sa pratique, lorsque son téléphone résonna dans son sac de sport. Elle fut étonnée en voyant un message de la part de Toneri. Il lui demandait de passer chez lui, qu'il avait quelque chose à lui dire. Elle ne comprenait pas trop pourquoi il avait besoin de lui parler en personne aussi soudainement, mais elle enfila tout de même son pantalon de jogging et ses souliers, puis ramassa son sac pour se diriger vers la sortie. Sur le trajet, elle traversa un parc. Elle aimait passer par là, car deux ou trois fois par semaine, un groupe de danseurs y performait. Ce n'était pas le genre de danse et de musique qu'elle pratiquait, ni même l'attirait, mais ça restait de la danse, alors en temps normal, elle s'arrêtait quelques minutes pour les regarder. Mais là, elle passa sans s'arrêter se contentant d'observer un peu en tournant la tête. Il y avait toujours beaucoup de gens qui s'attroupaient autour d'eux, ce qui lui faisait croire qu'ils étaient probablement connus sur les réseaux sociaux comme Tik Tok et YouTube.

Elle se dépêcha de rejoindre l'arrêt de bus, juste à temps pour monter dans le prochain. Malgré la fortune de sa famille, Hinata avait décidé de vivre modestement durant sa carrière de danseuse. Elle n'avait pas besoin de changer sa garde-robe tous les mois et le bus était, au final, nettement moins polluant qu'une voiture. Sans compter, que marcher restait un bon exercice. Mais Toneri vivait un peu trop loin à pied de la compagnie, donc le seul moyen d'y aller restait les transports en commun. Elle arriva chez lui une trentaine de minutes plus tard. Elle monta rapidement au sixième étage, puis alla frapper à la porte de son fiancé. Personne ne vint le premier coup, ce qui l'étonna. Après tout, il devait bien l'attendre. Elle recommença une seconde fois, un peu plus fort. Déjà qu'elle avait raccourci sa pratique pour lui, il n'allait quand même pas la faire poireauter. Quelle ne fut pas son étonnement, lorsqu'il lui ouvrit seulement vêtu d'une serviette, mais le corps complètement sec, signe qu'elle ne l'avait pas dérangé pendant sa douche.

- Hinata ? Mais qu'est-ce que tu fais ici ? demanda-t-il en refermant un peu la porte.

- Ce que je fais ici ? C'est toi qui m'as envoyé un message, me demandant de passer parce que tu avais quelque chose à me dire, lui répondit-elle en lui montrant son téléphone.

- Mais je ne t'ai rien envoyé, insista Toneri en cachant le plus possible l'espace entre le cadrage et la porte avec son corps.

À ce moment-là, Hinata avait aucun mal à imaginer qu'il était avec une de ses maîtresses et qu'il ne voulait pas qu'elle la voit. Comme si elle ignorait qu'il voyait d'autres femmes pour satisfaire son appétit sexuel. Par contre, comment ladite maîtresse avait-elle mis la main sur son téléphone pour lui envoyer un message ? Cette femme voulait sûrement qu'Hinata les surprenne sur le fait et qu'elle rompe pour l'avoir toute à elle. Ce qui en vrai, ne la dérangerait pas tant que ça. Ce serait une bonne excuse à donner à son père pour expliquer la rupture des fiançailles. Ce à quoi elle ne s'attendait pas, ce fut que la maîtresse en question soit sa protégée.

- Babe, c'est qui ?

- Hikari ? s'exclama Hinata en poussant la porte d'un coup, prenant Toneri par surprise.

Elle trouva la jeune femme à l'entrée de la chambre de son fiancé, enroulée dans un drap, une expression qu'elle considéra, faussement surprise et gênée. Mais que se passait-il ?

- Hinata, je peux tout t'expliquer, tenta Toneri.

- Tu as des maîtresses, je le sais déjà ! Mais de là à coucher avec une des danseuses de la compagnie ? Ma protégée en plus ! s'emporta Hinata. Tu ne pouvais pas juste te taper des filles qui ne sont pas dans mon entourage ?

- Hinata, ce n'est pas sa faute, c'est juste que…, commença Hikari avec un jeu d'actrice timide époustouflant.

- Oh non ! s'emporta la danseuse. N'essaie même pas de m'amadouer. C'est toi qui m'as envoyé ce message sur son téléphone pour que je le découvre, non ? J'ai tout fait pour que ton arrivée dans la compagnie se passe bien et que tu puisses devenir la prochaine étoile de la compagnie et toi… Ça ne signifie rien pour toi ?

L'expression de sa protégée changea rapidement, voyant qu'Hinata ne pouvait pas être bernée et qu'elle s'en fichait d'être cocue.

- Je ne t'ai rien demandé, c'est toi qui t'es autoproclamée mon mentor. Mais merci tout de même, grâce à toi, j'ai pu rencontrer Toneri. Et puisque tu ne sais pas apprécier les bonnes choses, je me suis dit que ça ne te dérangerait pas que j'en profite à ta place. Et puis… Tu penses vraiment que je vais attendre cinq ans avant de prendre ta place de première danseuse de la compagnie ? Moi aussi, je veux une longue carrière en tant que numéro un et je ne commencerai certainement pas à vingt-trois ans. Et puisque tu ne t'es jamais rapprochée des autres danseurs de la compagnie et qu'ils croient tous que tu te penses meilleurs qu'eux, ce fut facile de t'éjecter.

- Quoi ? Impossible, il y a aucune raison pour qu'on me renvoie.

- Vraiment ? Alors ce sera hilarant demain.

Le sourire machiavélique sur les lèvres d'Hikari effraya Hinata. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait, ni ce que sa « protégée » avait planifié d'autre pour la détruire, mais le masque était tombé et la femme devant elle, n'était plus la douce et gentille nouvelle danseuse. Elle était devenue une sorcière manipulatrice, prête à tout pour obtenir ce qu'elle voulait. Si elle désirait prendre Toneri, qu'elle le fasse, elle s'en fichait. Mais sa carrière ?

La peur au ventre, elle tourna les talons et passa devant son fiancé, ex fiancé, sans même lui jeter un regard et sortit en courant de l'appartement. Elle retourna au studio de la compagnie, avec l'intention de rencontrer le directeur pour lui expliquer la situation. Il l'avait toujours bien traité, montré de l'admiration devant son talent. Il ne pouvait que la croire, pas vrai ? Lorsqu'il lui ouvrit la porte de son bureau, elle vit son regard s'assombrir en la voyant. Qu'avait fait Hikari ?

- Monsieur Tomoya, il faut que je vous parle d'Hikari, elle…

- Pas la peine, elle m'a déjà tout dit.

- Dit quoi ?

- Comment tu l'as pris sous ton aile pour l'empêcher de prendre ta place, en la menaçant de lui gâcher sa carrière.

- Quoi ? Je n'ai jamais fait ça, au contraire, je lui ai prodigué de nombreux conseils pour qu'elle puisse me succéder sans misère et…

- Sauf que j'ai un enregistrement.

- Comment ? C'est impossible, je ne l'ai jamais menacé, au contraire, c'est elle qui…

Avant qu'elle ne puisse en dire plus, le directeur de la compagnie fit jouer un enregistrement où on l'entendait menacer Hikari, sauf que…. Ce n'était pas Hinata. Elle ignorait comment la jeune femme si était prise pour reproduire sa voix, mais jamais elle n'avait prononcé ses mots. Bien sûr qu'elle voulait rester l'étoile de la compagnie jusqu'à ce qu'elle prenne sa retraite, mais si une autre fille s'avérait meilleure, jamais elle n'aurait ruiné ses chances pour rester au sommet. Au contraire, elle l'aurait félicitée. Lorsqu'Hinata avait été engagée, la première danseuse de la compagnie allait prendre sa retraite et elle avait donc commencé directement au centre des spectacles, mais pour Hikari, ce n'était pas le cas, puisqu'elle ne comptait pas prendre sa retraite avant ses trente ans.

- J'ignore comment elle a fait, mais je ne l'ai jamais menacé. Si vous lui aviez donné le premier rôle de la pièce, je l'aurais félicité comme les autres, se défendit Hinata.

- J'aimerais vraiment te croire, Hinata, mais le problème, c'est que plusieurs personnes ont corroboré sa version. Tous les danseurs de la compagnie disent que tu les as toujours pris de haut et que Hikari subissait tes remontrances.

- Remontrances ? Est-ce qu'Hikari avait, depuis le début, tout planifié pour la faire paraître monstrueuse aux yeux de leurs collègues ? Avait-elle joué les victimes intimidées dès qu'Hinata avait le dos tourné ?

- Avec ça, je crains que je sois obligé de te demander de quitter la compagnie.

- Quoi ? Mais… C'est injuste ! Elle m'a clairement piégé pour prendre ma place.

- Désolé Hinata, mais les preuves sont contre toi.

Avec un dernier regard déçu, il ferma la porte, sans lui laisser la chance de se défendre. Hinata n'en revenait pas. Elle venait de se faire mettre à la porte injustement. Elle était sans emploi et si son père l'apprenait, il lui demanderait de revenir à la maison et prendre son poste de coordinatrice marketing qui l'attendait. Sauf qu'il lui restait encore cinq ans pour vivre de sa passion. Elle ne pouvait pas s'enfermer dans un bureau avant la date prévue ! Alors, si elle ne pouvait plus danser dans cette compagnie, elle irait voir les autres qui avaient tentées de l'engager sept ans plus tôt. Peut-être qu'elle ne serait pas la vedette, mais au moins, elle pourrait encore danser jusqu'à ses trente ans. Du moins, c'est ce qu'elle pensait en rentrant chez elle le soir. La réalité fut toute autre durant les jours qui suivirent.

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Comment Hikari s'y était pris pour que toutes les compagnies de ballet de la région la boycottent ? Hinata n'y comprenait rien. Avait-elle partagé ce fichu enregistrement audio pour la faire passer pour une diva jalouse des danseuses plus jeunes ? C'était le sixième refus qu'elle essuyait en presque deux semaines. Comment allait-elle faire ? Sa réputation avait été salie par une arriviste manipulatrice. Si elle avait su que ça allait arriver… Pourquoi avait-elle voulu être gentille et aider la nouvelle ? En se rapprochant et en se confiant à Hikari, elle lui avait donné des munitions pour la détruire.

Et en ce qui concernait Toneri, elle ignorait ce qu'il allait dire à leurs pères, mais il tenta de l'appeler plusieurs fois et lui envoya des dizaines et des dizaines de messages pour s'excuser au début, puis pour lui dire que c'était sa faute d'être aussi froide avec lui. Mais elle s'en fichait éperdument qu'il l'ait trompé. Ce qui la dérangeait, c'est qu'il l'ait fait avec une collègue de travail, qui s'avérait être son ennemie et qui l'avait pigé pour détruire sa carrière. Juste pour ça, elle se contenta de lui répondre que leur fiançailles était finie et qu'elle était bien heureuse de ne plus avoir à l'épouser, lui et son obsession pour le sexe.

Par contre, ça ne réglait pas son problème de carrière détruite. Elle allait devoir trouver autre chose, n'importe quoi, pour ne pas avoir à prendre son poste de coordinatrice marketing avant l'heure. Il devait bien y avoir une compagnie de danse, autre que le ballet, qui voudrait bien l'engager. Elle n'avait jamais fait de moderne ou de contemporain, mais ça pourrait être intéressant. Un nouveau défi. Après tout, elle maîtrisait toujours rapidement les enchaînements que les chorégraphes lui montraient et elle travaillait toujours d'arrache-pied pour les exécuter à la perfection. Mais même ça… Ça ne porta pas les fruits.

Elle passa des auditions, mais dès qu'ils découvraient son identité, les expressions des directeurs de compagnie s'assombrissaient. Mais à combien de compagnies différentes, Hikari avait-elle envoyé cet audio trafiqué ? Déprimée, elle finit par aller s'asseoir dans ce parc qu'elle affectionnait tant, espérant que cette troupe de danseurs allait y faire une performance. Ce serait la première fois qu'elle y assisterait du début jusqu'à la fin, n'étant attendue nulle part, et ça égaierait un peu sa journée. Elle était assise sur un banc depuis une trentaine de minutes, son sac de sport à ses pieds et le regard dans le vide, lorsque de la musique commença un peu plus loin dans son dos.

Hinata se retourna et vit la troupe qui s'installait tranquillement. Il y avait déjà des gens qui s'approchaient et elle les imita. Elle ne connaissait pas la musique qui jouait, mais ce n'était pas étonnant, elle n'écoutait pas trop les musiques plus actuelles.

Ils étaient huit danseurs, cinq filles et trois garçons, entre dix-huit et trente ans, estima-t-elle. Ils portaient tous des vêtements de style streetwear, mais tous un peu différent. Il y avait deux rousses qui se ressemblaient énormément, probablement de la même famille, la plus âgée portait des vêtements courts et assez révélateur, alors que la plus jeune avait plutôt un ensemble « mignon ». Une grande brune portait des vêtements typiquement masculins. Les deux autres filles étaient blondes, celle aux cheveux plus courts faisait très rock et celle aux cheveux plus longs était plutôt féminine sans être sexy ni mignon. Du côté des garçons, il y avait ce qu'on pouvait qualifier « d'armoire à glace », un brun dont les vêtements semblaient presque sur le point de se déchirer au moindre mouvement, si ça n'avait pas été du tissu élastique fait pour le sport. Il y en avait un autre, assez bien bâti aussi, donc les cheveux décolorés en blanc et ses vêtements déchirés à plusieurs endroits, lui donnait un air sauvage et négligé volontaire. Et il y avait aussi un blond, avec des traits angéliques qui détonnait de son look de voyou skateur et son tatouage de renard sur son avant-bras gauche.

La musique, plus pop-dance, laissa place à une mélodie plus électronique et urbain et le groupe de danseurs commença à bouger face au public. Leurs expressions étaient sérieuses, voire féroces, leurs mouvements passant de lents à vifs et saccadés. Malgré le fait qu'elle ne s'y connaisse pas grand-chose dans les autres genres que le ballet, Hinata arrivait à voir que certains enchaînements n'étaient pas aussi simples qu'il n'y paraissait et les huit danseurs étaient complètement synchronisés, même lorsqu'ils ne faisaient pas tous le même mouvement. En dehors du classique, elle n'avait jamais vraiment regardé attentivement des représentations dans d'autres genres, sauf les quelques fois qu'elle s'arrêtait au parc pour observer cette troupe, le temps d'une chanson. Mais là, c'est presque une dizaine qu'ils firent sous les acclamations des gens qui les entouraient. Il y avait même un gars qui les filmait, portant un t-shirt avec le logo d'un studio de danse, qu'elle devina être celui de la troupe.

Alors qu'elle s'attendait un peu à ce que la performance se termine, l'un des danseurs, celui aux cheveux décolorés, demanda au public s'il y en avait qui était chaud pour des battles. Hinata ignorait de quoi il parlait, mais deux personnes dans la foule s'approchèrent de la piste de danse créée par la troupe un peu plus tôt et défia chacun l'un des danseurs. Ces deux personnes annoncèrent la chanson sur laquelle ils les défiaient et à tour de rôle, les deux duos s'affrontèrent. C'est à ce moment qu'elle comprit ce que voulait dire « battle ». La personne du public commençait à danser, puis le danseur de la troupe enchaînait à un moment donné et ainsi de suite jusqu'à la fin de la musique. Mais surtout, et Hinata en fut impressionnée, elle comprit que c'était de la pure improvisation et ça donnait une performance unique et captivante à observer.

Par contre, aussi fascinant c'était, les mouvements des danseurs étaient très différents de ce qu'elle avait l'habitude de faire ou de voir. Et elle n'avait jamais tenté d'improviser quoique ce soit, même en classique, ni même tenté de créer quoique ce soit tout court en fait. Elle était une excellente interprète, mais pas une chorégraphe. Alors, elle ne s'attendait pas à rejoindre cette piste de danse improvisée. La plus jeune des danseuses s'approcha d'elle sans qu'elle ne la remarque et sursauta lorsqu'elle lui tapota l'épaule pour attirer son attention.

- Est-ce que tu aimerais essayer ? lui demanda la rousse.

- Pardon ?

- Une battle. Je vois à ta tenue et à ton sac que tu fais aussi de la danse.

- Pas ce genre de danse, répliqua rapidement Hinata en levant les mains devant elle.

- Pas grave. C'est toi qui choisies la musique et le style. Ça ne se voit pas comme ça, mais j'ai fait un peu de ballet enfant. Bon, je ne me suis jamais rendue au moment où on commence les pointes, mais ce serait intéressant une battle dans un style plus classique.

Hinata ignorait quoi répondre. Elle avait tenté sa chance pour rejoindre des compagnies plus modernes et contemporaines, mais de là à improviser dessus… Elle aurait trop peur d'avoir l'air ridicule, surtout devant autant de gens. Sa carrière avait déjà été démolie par Hikari, elle n'allait pas s'humilier volontairement.

- Je ne sais pas improviser. J'aurais l'air ridicule.

- Tu t'inquiètes pour rien. On fait que s'amuser, ça pas besoin d'être bon.

Hinata tourna les yeux vers la piste de danse où le blond affrontait la seconde personne du public sur une musique plus urbain que les autres avec parfois des figures complexes de breakdance et le challenger était aussi doué. Alors faire quelque chose de moyen, devant des gens aussi doués, alors qu'elle était elle-même perfectionniste ? Ce serait difficile, voire complètement impossible.

- Ne te fais pas prier, insista la danseuse. Jamais personne ne me défit, parce que j'ai l'air trop gentille et la majorité des gens qui viennent nous voir sont très axé sur la street. Karin ne peut pas s'empêcher d'être sexy, Tenten et Temari font comme les gars et Shion est plutôt danse latine. Je suis la seule qui aime bien les enchaînements lyriques.

Pendant qu'elle tentait de convaincre Hinata, la musique s'arrêta et le public acclama les deux danseurs. Une autre personne défia l'une des filles, l'autre rousse, sur une musique plus langoureuse. C'était complètement différent que les deux battles précédentes, mais jamais Hinata n'oserait danser de cette façon, même en privé. Étonnamment, ce n'était pas vulgaire, mais ça n'en restait pas moins suggestif.

- J'aimerais tellement arriver à danser comme ça, sans avoir l'air d'une gamine qui tente de faire comme les adultes, soupira la rousse avec envie.

Il est vrai, que les deux femmes sur la piste avaient une prestance mature qui captivait le regard et pas que celui des hommes. Mais encore une fois, oser danser comme ça, il ne fallait pas être aussi pudique qu'elle. Même si elle avait le corps d'une femme, avec beaucoup plus de poitrine que la majorité des ballerines, Hinata était trop pudique pour agir comme elles.

- Une petite tentative, la supplia la rousse en lui attrapant les mains. Si vraiment tu n'es pas bien, on arrêtera. Et puis, si tu te mets à faire des figures complexes, je ne pourrai pas suivre de toute façon, puisque j'ai seulement les bases.

Hinata finit par céder, dieu seul sait pourquoi. Peut-être parce qu'elle n'avait jamais été abordé de cette façon, aussi amicalement et pas du tout intimidé par son nom. Normal, puisqu'elle ne savait probablement pas qui elle était. Elle laissa la jeune fille choisir la musique, espérant que ce ne serait pas trop éloigné de ce sur quoi elle avait l'habitude de danser et s'approcha de la piste, y abandonnant son sac près de la radio. La battle précédente touchait à sa fin, alors que la rousse parlait à l'oreille de la brune qui se tenait de l'autre côté de la radio, un mp3 dans les mains. Lorsqu'elle acquiesça d'un hochement de la tête, la danseuse revint vers Hinata, juste à temps pour lui dire quelque chose avant la fin de la chanson qui jouait.

- Je vais commencer, ça va te laisser le temps d'écouter la musique si tu ne la connais pas. Ce n'est pas classique, mais je crois que c'est possible de faire des enchaînements de ballets dessus.

- Et je danse quand ? demanda Hinata, nerveuse.

- Quand tu te sens prête. Les battles, c'est se répondre par la danse. Donc quand tu le sens, tu te lances et je ferai pareil, quand tu auras un peu dansé. Mais pas de stresse, c'est pour s'amuser et ça fera changement du hip hop agressif et de la danse lascive qu'on a chaque fois.

La musique s'arrêta peu de temps après et la danseuse qui avait le lecteur de musique dans les mains, annonça la prochaine battle en insistant que c'était « Maya » qui avait défié une spectatrice sur un genre plus lyrique et classique.

- Mais ce sera tout de même sur la version de « Bad Guy » que Billie Eilish a fait avec Justin Bieber, ajouta-t-elle avant de démarrer la musique.

Hinata prit de grandes respirations pour se calmer, alors que Maya commençait à bouger dans un savant mélange de figures classiques et urbains. La ballerine analysa ce qu'elle faisait pour tenter de les reproduire elle aussi au-travers des mouvements plus complexes qu'elle connaissait. Et elle se lança lorsque la chanteuse commença à chanter « So you're a tough guy ». Elle enchaîna des grands battements, des sauts et même des arabesques au rythme de la musique sans lâcher des yeux Maya, jusqu'au ralentissement de la mélodie sur le « I'm the bad guy », qui la prit de court. La danseuse en face d'elle reprit le relais avec des petits mouvements très simples durant l'instrumental, puis repris plus sérieusement lorsque le chanteur commença.

Encore une fois, la ballerine l'observa attentivement, attendant une occasion de recommencer. Au final, elle reprit au passage similaire que plus tôt, mais tenta d'apporter des mouvements moins contrôlés. Avec quelques fouettés et pirouettes, elle ajouta des cambrés et des jetés en attitude. Elle qui avait l'habitude de toujours avoir de belles lignes droites, elle les cassa un peu pour que ça fasse plus moderne. Et au « I'm the bad guy », elle se laissa glisser jusqu'au sol en grand écart latéral, avant de ramener sa jambe de derrière devant et rouler vers l'arrière en gardant ses jambes allongées. Avec des souliers, ça glissait moins bien, mais elle réussit tout de même. Maya reprit ses petits mouvements en les exagérant de plus en plus durant l'instrumental, jusqu'à la fin de la chanson. Le changement mélodique prit de court une nouvelle fois Hinata et elle laissa la rousse terminer la musique avec des mouvements qui rappelaient ceux des deux premiers battles.

Le public les applaudit avec force et Hinata recommença à respirer normalement. Elle avait un peu de mal à réaliser ce qu'elle venait de faire. Elle avait dansé sur une musique qu'elle ne connaissait pas, sans savoir quel mouvement elle allait enchaîner après celui qu'elle faisait et tentant d'être le moins classique possible. Et elle avait adoré ça ! Elle n'en revenait pas. Elle avait toujours pris du plaisir à danser, mais jamais elle ne s'était autant amusée en le faisant. Chaque fois qu'elle dansait en public, c'était toujours avec sérieux et après un grand travail pour maîtriser la chorégraphie. Il y avait eu un effet thérapeutique, après tous ces rejets, que de danser sans se soucier de ce qu'elle faisait vraiment. Elle allait peut-être tenter sa chance dans des classes de danses urbaines et voir si elle pouvait maîtriser ces mouvements.

- C'était génial, s'exclama Maya en la rejoignant. Merci d'avoir accepté.

- Il n'y a pas de quoi. J'y ai aussi pris beaucoup de plaisir, avoua Hinata.

- Pas vrai ? acquiesça la rousse. T'aimerais ça en faire d'autres avec moi ?

- D'autres ?

- Oui. On a une chaîne YouTube où on publie nos chorés. On pourrait travailler ensemble sur des danses plus lyriques. Tu me montrerais des mouvements plus complexes et moi je t'en montrerai des plus urbains. Je suis sûre qu'on pourrait faire quelque chose de bien ensemble.

Hinata était sans voix. Elle lui proposait comme ça de travailler ensemble ? Alors qu'elles ne se connaissaient pas ? Malheureusement, ça ne lui rapporterait rien. Un peu d'expérience et de nouveaux mouvements, mais même si elle n'avait pas trop touché à ses paies de première danseuse, elle ne pouvait pas non plus se permettre de faire des vidéos YouTube sans être rémunéré.

- À moins que tu sois trop prise avec les Grands Ballets de Konoha, soupira Maya.

- Tu sais qui je suis ? s'exclama Hinata, en comprenant que la danseuse savait pour sa carrière au sein des Grands Ballets de Konoha.

- Euh… Ouai, acquiesça la rousse en grimaçant. Je t'ai approché et proposé ce battle, parce que je t'ai déjà vu dans le Lac des cygnes, il y a deux ans. Tu étais tellement magnifique.

Une nouvelle fois, elle la laissait sans voix. Elle qui croyait qu'elle l'avait approché, justement parce qu'elle ignorait qui elle était, elle ne savait plus quoi dire en découvrant que c'était l'exact opposé.

- Je suis sûre que tu dois être très occupée et que tu dois avoir un contrat qui ne doit pas trop te laisser le droit de faire des vidéos YouTube avec moi, mais il fallait tout de même que je tente ma chance.

Occupée ? se répéta amèrement Hinata. Elle était tout sauf occupée et Maya ne devait pas avoir entendu la nouvelle, comme quoi elle avait été mise à la porte des Grands Ballets de Konoha. C'était presque encore plus gênant. Elle ne pouvait pas avouer comme ça qu'elle n'en faisait plus partie, ni expliquer réellement pourquoi elle ne pouvait pas accepter la proposition, car ça reviendrait à avouer qu'elle avait été virée et la question du « pourquoi » suivrait à coup sûr. Hinata aurait nettement préféré qu'elle ne sache pas qui elle était.

- J'ai quelques jours de congé devant moi, peut-être… que… on pourrait tenter quelque chose avant que je reprenne les pratiques, proposa Hinata pour cacher la vérité.

- Vraiment ? s'exclama Maya, les yeux brillants d'enthousiasme.

- Oui, pourquoi pas, acquiesça-t-elle avec un sourire crispé. Ça va faire changement.

Heureusement, la rousse ne sembla pas remarquer son malaise. Maya alla récupérer un sac un peu plus loin et elle en sortit un calepin et un crayon. Dès qu'elle eut inscrit quelque chose sur un morceau de papier, elle le lui tendit avec un grand sourire.

- Voici mon numéro et l'adresse où on répète. Tu me diras lorsque tu es disponible et on tentera quelque chose.

- D'accord, acquiesça Hinata en rangeant le papier dans son sac de sport.

Elle décida qu'il était temps qu'elle rentre chez elle et elle salua Maya après lui avoir promis de lui envoyer un message dès qu'elle aurait regardé son planning. Près de la sortie du parc, Hinata se retourna une dernière fois pour regarder dans la direction de la troupe de danse. Avec tous les spectateurs rassemblés, elle ne pouvait pas voire grand-chose, mais en s'éloignant, elle avait cru entendre qu'ils faisaient une dernière danse avant de partir. Durant les dix minutes de marche pour se rendre à son appartement, la ballerine repensa à ce battle et la proposition de Maya. Avait-elle bien fait d'accepter, l'un comme l'autre ? Et si son père tombait sur la vidéo ? En fait, et s'il apprenait son renvoie de la compagnie ? En vrai, elle voyait mal Toneri lui annoncer et il n'était pas du genre à surfer sur le net. Alors à moins de le lire dans les journaux… Elle était sauf. Mais une fois à la maison, elle allait devoir éplucher les demandes d'emploi et croiser les doigts pour qu'il y ait d'autres compagnies de danse à la recherchent de danseuses. Même si ça devait être dans un genre complètement différent du ballet. Elle aurait probablement moins de chance d'être sélectionnée, mais qui ne tente rien n'a rien.

Une fois assise dans son petit salon, elle ressortit le papier que Maya lui avait donné et décida de chercher l'adresse dans Google. Quel ne fut pas sa surprise, lorsqu'elle découvrit qu'ils répétaient dans un bar. Bon, dans la journée, c'était fermé, donc ça allait, mais c'était tout de même étonnant. Le bar devait appartenir à une connaissance, pour pouvoir y répéter durant les heures de fermeture.