CHAPITRE 1
Septembre 2002
Il avait beau s'être passé trois mois depuis que Hermione avait recouvré la mémoire, elle ne se faisait toujours pas à sa nouvelle/ancienne vie. Le fait que l'été à Londres s'apparentait à l'hiver de Perth n'arrangeait rien à son moral, le soleil d'Angleterre ne lui brûlait pas la peau et l'humidité constante dans l'air faisait boucler ses longs cheveux de la plus détestable des manières. Depuis son retour, elle logeait dans la chambre de Regulus Black, au 12 square Grimmaurd, où vivaient déjà Harry, Ginny, Ron et Georges. Ce dernier avait renoncé à son appartement londonien depuis la mort de son jumeau et s'était laissé convaincre par son plus jeune frère de le rejoindre dans la noble et ancienne maison des Black. Ginny n'avait pas ménagé ses efforts pour rendre la demeure le plus accueillant possible et chaque pièce, chaque recoin, avait fait l'objet d'une rénovation. Ce projet lui avait occupé l'esprit durant les années que Harry avait passé à Sainte Mangouste, dans un coma magique, induit le jour de la bataille de Poudlard quand il s'était rendu dans la forêt interdite à la rencontre de Lord Voldemort, et dont il s'était réveillé à la mort de ce dernier, l'année précédente. Hermione s'estimait chanceuse de ne pas avoir connu ce que la communauté de sorciers appelait désormais « les années sombres », elle ne se rappelait plus, ou presque, de la période prolongée qu'elle avait apparemment passé entre les murs d'Askaban, en compagnie d'autres nés-moldu et de traites à leur sang.
Les sortilèges d'amnésie étaient puissants et si complexes dans leur nature qu'aucun médicomage n'avait été en mesure de lui apporter de réponse concrète concernant l'état de sa mémoire. On lui avait simplement répéter qu'elle aurait besoin de temps pour recouvrer ses souvenirs et qu'il était même possible que certains d'entre eux ne lui reviennent jamais tout à fait. En rompant le sortilège porté par la bague de Bellatrix, elle avait dans le même temps et sans le vouloir anéanti ses chances de l'étudier pour comprendre ce que Malefoy lui avait précisément fait. Il était le seul qui aurait pu lui fournir des explications quant au procédé de création qu'il avait employé, mais l'idée même de le revoir lui était odieuse et lui retournait l'estomac. Elle le savait de retour en Angleterre mais elle n'avait pas eu l'infortune de le croiser à Londres, il s'était reclus avec sa mère au manoir de sa famille dans le Wiltshire, dans l'attente de son procès, s'étant tenu des semaines plus tôt. Lucius avait succombé bien avant la démise de son maître, et son fils, et unique héritier, était désormais un homme libre. Elle n'avait raconté à personne ce qui s'était réellement passé à Perth et plus particulièrement entre eux, les gens ne connaissaient que la version officielle, à savoir que Malefoy l'avait sortie d'Askaban avant de la soumettre au sortilège d'amnésie qu'elle avait elle-même employé sur ses parents. La gazette du sorcier était allée jusqu'à titrer qu'il l'avait « sauvée » d'un destin tragique et quand elle avait refusé de témoigner à son procès, ne niant de fait pas ces allégations, il avait joué la carte de l'ancien mangemort repenti et sa désertion avait joué en sa faveur, le Magenmagot l'avait acquitté.
L'aube était passée de peu quand elle entendit les pas légers de Georges descendre l'escalier pour la rejoindre dans la cuisine, quelles que soient les circonstances, ils étaient toujours les premiers debout. Elle ignorait si, comme elle, le sommeil le désertait mais chaque matin, sans exception, il se levait aux aurores et se rendait au magasin de farces et attrapes sur le chemin de traverse, et Hermione lui enviait le simple fait d'avoir un but dans la vie. Il remercia Kreattur quand ce dernier lui donna la tasse de thé qu'il avait préparée à son intention, avant de reporter son attention sur Hermione.
-T'es encore tombée du lit Granger.
-Ce n'était pas une question, juste un constat.
-Toi aussi Weasley.
-Oui mais il se trouve que moi j'ai un travail et donc une bonne raison à cela, tu serais peut-être bien inspirée d'en faire autant, ça pourrait te faire du bien d'être occupée.
-C'est drôle que tu dises ça car j'ai justement rendez-vous au ministère pour cette raison cet après-midi.
-C'est une idée plutôt saugrenue de travailler pour ces bureaucrates, grimaça-t-il.
-Ce n'est pas la mienne mais celle de Percy.
-Ah tout s'explique ! plaisanta-t-il, lui arrachant un sourire malgré elle, avec un peu de chance, il te proposera quelque chose à la hauteur de tes capacités.
Le seul des frères Weasley qui officiaient au ministère était désormais à la tête du département de la justice magique et il lui avait répété, des semaines durant, qu'il était disposé à lui offrir un poste au sein même de son équipe. À la suite du règne de terreur de Voldemort et de ses partisans, le travail n'y manquait pas et des nouveaux procès se tenaient chaque jour ou presque.
Le cabinet de la médicomage, spécialiste de l'esprit, avec laquelle elle avait rendez-vous ce matin-là comme chaque jeudi, se trouvait à Sainte Mangouste. Elle n'avait que quelques années de plus qu'elle et avait étudié à Poudlard, dans la maison Serdaigle. Cette thérapie lui avait été fortement recommandée lors de son retour en Angleterre mais Hermione y voyait peu d'intérêt et avait passé les premières séances dans le silence le plus total. Elle s'évertuait donc à « parler » ou plutôt à répondre à des questions qu'elle jugeait souvent « idiotes », sans cacher son scepticisme et l'agacement qu'elle ressentait à l'idée de perdre son temps chaque semaine.
-Comment vous sentez-vous depuis notre dernière séance Miss Granger ? l'accueillit la médicomage.
-Désœuvrée, répondit-elle sincère.
-Avez-vous songé à ce travail qu'on vous a proposé au ministère ?
-Je dois m'y rendre cet après-midi pour en savoir plus.
-Bien.
Elle se pencha alors sur le long parchemin posé devant elle, et prit des notes. Le grattement régulier de sa plume ressemblait à un grincement aux oreilles de Hermione et semblait toujours s'éterniser, que pouvait-elle bien avoir à raconter d'aussi verbeux à son sujet ?
-Est-ce que vous dormez mieux ? reprit la thérapeute.
-Je fais toujours des cauchemars si c'est là que vous voulez en venir.
-Parlez-moi de ces cauchemars Miss Granger.
Elle redoutait cette question car, que pouvait-elle bien répondre de pertinent ? Malefoy apparaissait dans chacun de ses rêves et il ne s'y passait jamais rien de monstrueux ou de violent, il ne s'agissait que de bribes de souvenirs de sa vie commune avec Dorian, dont elle n'avait soufflé mot à personne.
-Miss Granger, vous êtes toujours avec moi ?
-Je rêve de Malefoy, finit-elle par dire.
-Drago Malefoy ?
-Qui d'autre ? s'impatienta Hermione.
À nouveau, la médicomage se mit à noircir des lignes et des lignes de son parchemin et l'affreux « scratch scratch scratch » de sa plume élégante reprit de plus belle.
-Parlez-moi de votre relation avec Drago Malefoy.
-Je n'ai aucune relation avec lui, je ne le côtoyais pas à Poudlard et je ne garde aucun souvenir du jour où nous nous sommes enfouis d'Askaban, ni même de ce qu'il s'est passé dans les mois qui ont suivis, alors que pourrais-je bien avoir à en dire selon vous ?
-De quoi exactement refusez-vous de me parler ? lui opposa la médicomage, pas farouche.
Pour toute réponse, Hermione lui jeta un regard noir.
-Je ne pourrai pas vous aider si vous n'êtes pas totalement honnête avec moi, Miss Granger.
-Personne ne peut m'aider, répliqua Hermione amère, pas même mon propre esprit.
« Scratch scratch scratch ».
-Avez-vous contacté vos parents dernièrement ?
Même si elle savait que la discussion concernant Malefoy était loin d'être terminée, elle accueillit ce changement de sujet avec soulagement.
-Non, ils ont besoin d'un peu de temps pour accepter la situation.
-Sont-ils déjà revenus en Angleterre ?
-Cela ne fait pas partie de leurs projets immédiats.
-C'est bien votre anniversaire aujourd'hui, n'est-ce pas ?
-En effet mais je doute qu'ils saisissent cette occasion pour m'appeler, comme je vous l'ai déjà dit lors de nos précédentes séances, ils sont très contrariés.
C'était sans aucun doute l'euphémisme du siècle, ses parents avaient très mal réagi quand elle leur avait rendu la mémoire deux mois plus tôt. L'enthousiasme à l'idée que leur fille unique soit une sorcière avait disparu, en même temps que leur confiance à son égard. Elle ne pouvait pas leur en vouloir de se sentir si affreusement trahis, elle avait subi la même chose et avait une idée précise de ce qu'ils éprouvaient.
-Bien.
« Scratch scratch scratch ».
-Pour les quatre semaines à venir, j'aimerais que vous preniez quelques gouttes de potion de sommeil sans rêve un soir sur deux, nous verrons si cela peut temporairement améliorer la qualité de votre sommeil.
Elle donna une prescription à Hermione et, même si cette dernière n'avait pas l'intention de suivre ce conseil, elle plia le morceau de papier et le fourra dans une de ses poches de pantalon.
-Merci.
-À la semaine prochaine Miss Granger.
Dans le hall de l'hôpital, elle s'étonna de rencontrer Harry. Son cas, tout comme le sien, ne manquait pas de fasciner les médicomages mais d'ordinaire, il n'avait pas rendez-vous en milieu de semaine, seulement les samedis, afin de lui permettre de suivre la formation des aurors.
-Qu'est-ce tu fais là ?
-Je t'attendais, sourit-il, j'ai pensé que tu n'aurais rien contre le fait qu'on déjeune ensemble avant que tu ailles au ministère, après tout c'est ton anniversaire aujourd'hui.
Elle le remercia pour cette intention et le suivit ensuite jusqu'à un petit restaurant se trouvant dans la partie moldue de Londres où ils seraient certains de ne pas être reconnus, ni photographiés. Outre ses parents, Harry était sans doute le seul à même de comprendre la frustration qu'on pouvait ressentir quand on avait perdu des mois, voire des années de sa vie. Après tout, l'élu n'avait pas accompli la destinée annoncée par la prophétie, il avait sombré dans le coma en pleine guerre et s'était réveillé alors que tout était terminé, que pouvait-il y avoir de plus étrange que ça ? Toute sa vie durant, on l'avait préparé à son affrontement avec Lord Voldemort et c'était finalement de la main de Neville Londubat qu'il avait succombé. Membre actif de la résistance, Neville était désormais un héros de guerre et faisait la fierté de tous.
-Ta consultation s'est bien passée ? lui demanda-t-il, tu lui as parlé de tes cauchemars ?
-Comment pouvait-il le savoir alors qu'elle ne s'en était pas ouverte auprès de qui que ce soit ?
-Ma chambre est juste à côté de la tienne et je t'entends toutes les nuits ou presque, expliqua-t-il ensuite comme s'il lisait dans ses pensées, je sais que nos situations sont très différentes mais il m'arrive de mal dormir moi aussi, donc je comprends.
-Je suis désolée, souffla-t-elle, penaude.
-Ne le sois pas, nous sommes tous ébranlés et très franchement, toute notre génération aurait bien besoin de suivre une thérapie.
-Tu as sûrement raison, concéda-t-elle avant qu'ils ne s'esclaffent de dépit tous les deux.
Dumbledore leur avait confié une quête impossible qu'ils étaient bien trop jeunes pour assumer, un fardeau trop lourd à porter. Leurs années à Poudlard n'avaient été qu'une succession d'épreuves destinées à tester l'« élu ». D'une certaine façon, le vieux sage leur avait volé leur adolescence et même si sa mort remontait à plusieurs années, Hermione ne pourrait jamais lui pardonner.
Une heure plus tard au ministère de la magie, Harry l'abandonna à la jonction de deux couloirs pour rejoindre le bureau des aurors qui, à l'instar du département de la justice magique, se trouvait au deuxième niveau. Percy attendait Hermione de pied ferme et un grand sourire illumina son visage quand il l'aperçut sur le seuil de son bureau.
-Je suis vraiment ravi que tu aies reconsidéré mon offre, se réjouit-il en lui serrant la main avec tout le professionnalisme qui le caractérisait, suis-moi, nous avons plein de choses à voir.
Il l'entraîna aussitôt dans une visite des lieux et lui présenta les différents collègues avec lesquels elle serait amenée à interagir, parmi eux se trouvaient quelques figures connues, notamment Hannah Abbott ou encore Ernie MacMillan. Ce dernier occupait le bureau à côté de celui qui serait le sien si elle acceptait le poste. Percy officiait au Magenmagot la moitié du temps et une bonne partie de l'après-midi, il lui expliqua en détail qu'il avait besoin de quelqu'un de sérieux et rigoureux pour l'assister aux nombreux procès qui avaient lieu et l'aider à les préparer, rien ne pouvait être laissé au hasard. L'emploi qu'il lui proposait consistait donc, dans un premier temps, à prendre des notes lors des audiences pour se familiariser avec l'environnement et à se documenter concernant les différentes affaires en cours.
-Les opportunités sont nombreuses au sein du département, ajouta-t-il quand il la raccompagna aux ascenseurs, je suis convaincu que tu te feras très vite la main si tu nous rejoins et que tu évolueras en un rien de temps.
-Merci Percy, je serais ravie de travailler pour toi.
-Formidable Hermione, je vais tout mettre en œuvre pour que tu démarres lundi matin, ça te convient ?
-C'est parfait.
-À lundi dans ce cas.
Ils scellèrent leur accord d'une poignée de main tandis que Percy cachait mal son enthousiasme à l'idée qu'elle ait accepté et l'ascenseur aux grilles dorées arriva. Hermione le remercia une énième fois avant d'entrer dans la cabine vide pour retourner à la surface. Quand elle arriva dans l'atrium où se pressaient des dizaines de personnes, elle remit son badge visiteur au sorcier-gardien posté à l'entrée et alors qu'elle se dirigeait vers l'une des nombreuses cheminées de briques noires, elle reconnut Blaise Zabini dans la foule quelques mètres plus loin, accompagné de nul autre que Malefoy. Si ce n'était son costume sombre de première qualité, il ressemblait en tout point au Dorian de son souvenir et comme attiré par un aimant invisible, son regard gris comme l'océan un jour de mauvais temps accrocha aussitôt le sien. Un sourire en coin tordait sa bouche dans un rictus et paniquée par sa simple présence, elle sentit ses mains devenir moites et son cœur accélérer sa course dans sa poitrine. Incapable de soutenir son regard plus longtemps, elle s'engouffra alors dans le premier âtre qu'elle rencontra, bousculant au passage un sorcier qui grommela un chapelet de jurons dans sa barbe.
Elle tomba à genoux dans la cuisine du 12 square Grimmaurd mais, à sa plus grande déconvenue, elle n'était pas déserte. Georges s'y trouvait, le nez plongé dans une liasse de parchemins.
-Je ne suis pas surpris que tu t'écroules d'ennui après avoir passé autant d'heures avec mon frère, plaisanta-t-il.
Il avait quitté la table pour aider Hermione à se relever lorsqu'il remarqua sa détresse et les larmes qui dévalaient ses joues.
-Par le caleçon le plus avachi de Merlin Granger, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
Ses sanglots redoublèrent et Georges se laissa tomber en face d'elle, ses membres tremblaient et elle manquait d'air. Il attrapa ses deux mains et lui intima de respirer longuement avec lui. Il appela ensuite Kreattur pour lui réclamer deux tasses de thé et ce dernier s'inclina sans un mot avant de disparaître dans un nouveau « crac ».
-Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Georges quand le souffle de Hermione redevint régulier.
Prostrée contre lui depuis plusieurs minutes, elle avait enfoui son visage dans son pull et seuls ses sanglots troublaient la quiétude de la maison vide.
-Je n'arrive pas à oublier, avoua-t-elle d'une voix saccadée.
-Mais qu'est-ce que tu me chantes Granger ? Je croyais que tu souffrais de pertes de mémoire alors oublié quoi ?
-Je ne sais pas ce qu'il m'a fait au juste mais il me hante, nuit et jour, et je ne sais plus quoi faire.
-Qui ça « il » ? insista Georges perdu alors que Kreattur revenait avec un plateau garni.
Après le départ de l'elfe, ils s'installèrent tous les deux à table et Hermione compta mentalement jusqu'à cinq pour se calmer avant de prendre la parole. Elle n'avait pas eu l'intention de dire quoi que ce soit mais elle se sentait démunie et en cet instant, sa solitude lui semblait insupportable. Elle lui confia alors le détail de tout ce qui était arrivé avec Malefoy, pendant qu'il était Dorian, depuis leur première rencontre jusqu'à cette fameuse journée où elle était parvenue à briser le sortilège qu'il lui avait jeté. L'expression neutre, Georges l'écouta sans l'interrompre tout en se gavant de petits scones à la confiture de fraise, et quand elle termina son récit, plusieurs fois entrecoupés de larmes silencieuses, elle lui montra la bague de Bellatrix qui pendait toujours au bout de la chaîne qu'elle avait autour du cou. Le bijou lui faisait horreur mais pour une raison qui lui échappait, elle avait été incapable de s'en débarrasser et la portait encore.
-J'ai cru que je pourrais oublier, poursuivit-elle honteuse, mais quand je l'ai vu aujourd'hui, j'ai su que je n'arriverais pas à laisser tout ça derrière moi, pas sans ton aide en tout cas.
-Mon aide ? répéta George aussi sceptique que prudent.
-Je ne peux pas porter le deuil d'une relation qui n'était pas réelle mais je peux forcer mon esprit à l'oublier si tu acceptes de me jeter un sortilège d'amnésie et de tout mon entourage, tu es la seule personne que je crois capable d'y parvenir.
-Jamais je ne ferai une chose pareille, s'insurgea-t-il en se levant d'un bond, et je suis sidéré que tu aies le toupet d'oser me le demander, c'est sans aucun doute le truc le plus idiot que tu n'aies jamais dit. Guérir ce n'est pas oublier Hermione mais, au contraire, se souvenir pour aller de l'avant ! Quand Fred est mort, tu ne crois pas que j'aurais tout donné moi aussi pour me réfugier dans l'oubli ? Ce n'est pas une solution, la facilité n'est jamais une solution !
-Je suis désolée.
-Pas autant que moi ! Je ne t'effacerai pas la mémoire, c'est lâche et c'est indigne de toi !
Furieux, il quitta la pièce et un silence pesant tomba dans la cuisine après son départ. Incapable de rester plantée là dans le chaos de ses émotions, elle décida d'aller courir, par le passé cette activité lui permettait de se vider la tête et il n'y avait aucune raison pour que cela ne soit plus le cas. Elle poussa ses limites au maximum et une heure durant, son souffle seul accapara son esprit torturé. Elle avait été sotte de demander une chose pareille à Georges, elle en avait conscience mais, en même temps, elle ne savait plus quoi faire pour endiguer ses émotions. Quand elle revint de son jogging salutaire, elle trouva Harry et Ron dans la cuisine et ce dernier lui souhaita aussitôt un bon anniversaire. Son frère était présent également mais il n'ouvrit pas la bouche et resta plongé dans la lecture des parchemins abandonnés dans la cuisine une heure plus tôt.
-J'aurais aimé organiser quelque chose pour ton anniversaire mais c'est compliqué, lui dit Harry l'air navré, Neville ne peut pas s'absenter de Poudlard alors que la rentrée vient seulement de passer, la saison de Quiddtch a commencé donc Ginny et Angelina sont dans le Nord avec leur équipe respective et, aux dernières nouvelles, Luna bourlingue quelque part en Amérique du Sud. Il va donc falloir te contenter de nous pour cette fois.
-Ça me convient très bien.
-D'ailleurs Hermione, ajouta Ron les joues roses de gêne, est-ce que ça t'ennuie si je propose à Padma de se joindre à nous ? Je suis sûr qu'elle serait vraiment contente de pouvoir passer du temps avec toi mais je comprendrais que tu n'en aies pas trop envie.
Ron et Padma s'étaient rapprochés pendant la guerre et sortaient ensemble depuis l'année précédente mais, depuis le retour de Hermione parmi eux, la situation semblait vraiment embarrasser Ron.
-Je serais ravie que Padma vienne, le rassura Hermione sincère.
Elle n'avait jamais eu la moindre affinité avec sa jumelle Parvati mais elle s'était toujours bien entendue avec Padma, dont la nature calme et studieuse était plus proche de la sienne.
-Tu ne vas pas m'envoyer toute une horde de pigeons à la tête si je lui dis de venir hein ? plaisanta-t-il.
-C'était des canaries Ron, l'informa Harry pince-sans-rire alors que Hermione s'esclaffait de bon cœur.
Après l'arrivée de Padma une demi-heure plus tard, ils étaient à nouveau tous les cinq réunis dans la cuisine et Kreattur leur avait préparé sa meilleure recette de tarte à l'oignon.
-J'ai entendu dire que tu allais rejoindre le ministère dès la semaine prochaine, lança Padma, assise en face de Hermione.
-Oui c'est vrai, j'ai accepté la proposition de Percy cet après-midi.
À l'exception de ce crétin de Cormac MacLaggen, tu es tombée dans une bonne équipe et nous serons sûrement amenées à travailler ensemble de temps en temps car je suis aussi au département de la justice magique.
-C'est une excellente nouvelle.
Ron, trop occupé à engloutir le contenu de son assiette, ne disait rien mais son sourire ne le quittait pas, la tournure des évènements semblait pleinement le satisfaire et Hermione s'en réjouissait. Elle n'avait pas passé un si bon moment depuis une éternité. Un instant plus tard, Kreattur réapparut dans la pièce alors qu'un hibou moyen duc impatient aux plumes ébouriffées volait dans son sillage.
-Un hibou est arrivé pour vous Miss, dit-il à Hermione.
L'oiseau inconnu se posa sur la table et l'air solennel tendit la patte vers elle pour qu'elle le décharge de son fardeau, un paquet soigneusement emballé dans du papier noir. Elle y découvrit des petits biscuits au fenouil dont elle raffolait et qui provenaient d'une enseigne de Perth. À chacun de ses précédents anniversaires, les trois dernières années, Dorian, ou plutôt Malefoy, lui en avait offert et avant même de lire la carte qui avait été glissée sous le ruban argenté, elle sut que l'expéditeur ne pouvait être nul autre que lui.
-Ces biscuits sont vraiment excellents en tout cas, lança Ron qui en avait attrapé un dans la boîte, vous devriez goûter.
-Ne mange pas ça ! s'écria Hermione plus fort qu'elle ne l'aurait voulu.
-Mais pourquoi ? s'étonna-t-il, la bouche encore pleine.
-Ils viennent de Malefoy.
L'air dégouté, il cracha aussitôt le contenu de sa bouche dans sa serviette de table.
-Mais pourquoi Malefoy t'enverrait des petits gâteaux à ton anniversaire ? dit-il, et d'ailleurs, comment tu sais que ça vient de lui ?
Les mains tremblantes et sous le regard circonspect des autres autour de la table, notamment Georges, elle lut le contenu de la carte qui était jointe : « Bon anniversaire, n'oublie pas, D. ». Bouleversée, même si elle s'efforçait de donner le change devant ses amis, elle replia le mot qu'Harry avait lu par-dessus son épaule et le glissa dans sa poche.
-N'oublie pas quoi ? s'enquit-il, à côté d'elle.
-Qu'il m'a sauvé la vie j'imagine, mentit-elle.
-Ce petit crétin est vraiment culotté, lança Ron à qui les petits biscuits ne faisaient plus du tout envie, ça ne choque que moi ou quoi ?
-Ça m'étonne vraiment de sa part, intervint Padma perplexe.
-Que Malefoy puisse être un abruti arrogant te surprend ? ironisa son petit ami.
-J'ai travaillé quelques jours avec lui le mois dernier et son comportement était tout à fait correct.
-Parce qu'il travaille au ministère ? s'inquiéta Hermione.
-Il nous arrive parfois d'avoir recours à son expertise pour certaines affaires.
Percy ne lui en avait rien dit mais pourquoi l'aurait-il fait ? Aux yeux du monde entier, Malefoy l'avait « sauvée » après tout.
Hermione était encore tourmentée quand elle monta dans sa chambre deux heures plus tard et elle regrettait déjà de ne pas s'être rendue chez l'apothicaire pour récupérer les potions de sommeil sans rêve prescrites par sa médicomage. Cette nuit, plus encore que les précédentes, elle était certaine de ne pas réussir à fermer l'œil, trop de choses l'accablaient. Quand elle se décida malgré tout à se pelotonner dans son lit pour attendre l'aube, quelqu'un frappa doucement à la porte de sa chambre et à sa grande surprise, car il ne lui avait pas adressé la parole de la soirée, elle trouva Georges sur le seuil.
-Confie-moi la bague et j'y jetterai un œil, lui dit-il sans préambule.
-Pourquoi ? s'étonna-t-elle.
-Il faut bien commencer quelque part si nous voulons découvrir ce que ce sale type t'a fait, non ?
-Merci, souffla-t-elle, touchée par sa démarche.
-Je ne t'aiderai qu'à la condition que tu oublies cette histoire de sortilège d'amnésie, c'est clair ?
Avec une infinie reconnaissance, elle accepta sa proposition et ses conditions, et sans la moindre hésitation, elle retira ensuite le bijou de son cou pour le lui donner.
-Je suis vraiment curieux de savoir comment il a pu enfermer dans un objet un sortilège de cette nature couplé à un filtre d'amour, dit-il tout en l'examinant au creux de sa paume, je n'avais encore jamais entendu parler de quelque chose de semblable.
Il lui souhaita ensuite une bonne nuit avant de prendre congé et tandis que Hermione observait son improbable allié s'éloigner d'un pas léger dans le couloir, elle réalisa que son malaise avait décru et qu'elle se sentait déjà un peu mieux.
