Chapitre XI

Il n'avait pas pu tirer. Sur le terrain de la rivière, le brun bien campé dans ses cages, le défenseur n'avait pas pu tirer. Il avait posé le ballon, calculé sa trajectoire, choisi sa technique et pris son élan. A l'instant où son pied aurait dû rencontrer la balle, son estomac s'était soulevé. Les images avaient défilé dans sa tête, flashs d'adversaires humiliés, affligés, terrifiés. Fulgurances de ricanements, de menaces, d'insultes. Les blessés s'appuyant sur leurs coéquipiers ou repartant carrément sur une civière. Les poches de glace sur les visages tuméfiés sillonnés de larmes. Puis Raimon était apparu, et Mark. Sa folle détermination. Sa passion communicative. Naïf, ce garçon finirait mal simplement parce qu'il était incapable de faire montre de la prudence la plus élémentaire. Non, Nathan n'avait pas pu tirer. Ç'aurait été comme empoisonner la dernière source d'eau claire, la dernière poche d'air pur. A genoux devant le ballon, si bien recroquevillé que ses cheveux traînaient dans la poussière et que son front touchait presque le sol, il pleurait à gros bouillons.

-Je suis… désolé ! Hoquetait-il entre deux sanglots. Je suis… désolé ! Tellement… désolé !

-Mais… eh… mais ! Bredouillait le gardien en retour. Désolé pour quoi ? Eh ! Faut pas… Faut pas se mettre dans des états pareils ! Qu'est-ce que… Qu'est-ce que je peux faire ?

Dans sa position, le défenseur ne voyait pas le brun. Il y aurait pourtant eu de quoi rire des regards affolés qu'il jetait alentour ou des mains qu'il agitait bêtement devant lui. Ne sachant ce qui arrivait à Nathan et ignorant comment l'aider, Mark paniquait. Le défenseur eut besoin de plusieurs minutes afin de recouvrer un semblant de calme. Légèrement redressé mais le nez toujours bas, il essuyait rageusement ses larmes en reniflant, le souffle court, lorsque le gardien le saisit par un poignet.

-Viens ! Je vais te montrer où je m'entraîne quand l'équipe n'est pas avec moi !

Sans attendre ni oui, ni merde, le brun attrapa son ballon et tira Nathan à sa suite. Encore sous le coup de l'émotion, celui-ci se laissa faire, continuant à sécher ses joues avec la manche de son bras libre. Crevant de honte, le défenseur priait pour que nul ne les reconnaisse. Comment avait-il pu ainsi céder au désespoir ? Et devant un adversaire, par-dessus le marché ! Toute la culpabilité du monde ne changerait rien aux méfaits de la Royale, et mettre bas les masques ne ferait que rendre sa position de pion de Ray Dark plus inconfortable. Trop occupé à ruminer sa faiblesse, Nathan ne vit pas les furtifs regards inquiets que le gardien posait sur lui.