Cet OS a été écrit dans le cadre de l'Aspiversaire du serveur Potterfictions (rejoignez nous : /862aSNBDk6), un défi d'écriture créé pour fêter les deux ans du serveur.
Aucune contrainte pour ce texte, un simple prompt à interpréter :
"C'est l'anniversaire de votre personnage et iel attendait celui-là avec impatience ! Cependant, le matin du jour J, iel se réveille et découvre qu'iel a été transporté dans le temps (à une distance de votre choix dans le passé ou dans le futur) la veille de son anniversaire. Tandis qu'iel navigue au cœur de cette situation étrange, iel doit découvrir les raisons de son voyage temporel et trouver un moyen de rentrer chez lui/elle. Aura-t-iel la possibilité de changer son passé/son futur ? Devra-t-iel, à l'inverse, s'assurer de ne rien changer ? Vous avez jusqu'à 10 000 mots pour nous raconter son histoire !"
Un grand merci à Akhmaleone et à Boulop pour ces excellentes beta, et à tout le serveur Potterfictions pour son accueil bienveillant ! J'ai passé un excellent moment à participer à cet ASPIC avec vous, et j'ai tellement hâte de lire vos textes !
Nombre de mots : 9 697
TW : Mort (répétée) d'un personnage principal, langage explicite, crise de panique
Cette liste fait sans doute un peu peur, mais je vous assure que c'est aussi - un peu - drôle.
Samedi 4 juin 2005
C'était foutrement bizarre, mais aussi terriblement excitant, de se trouver à quelques mètres du portrait de Walburga Black et de rouler un patin au Sang-Mêlé, pourfendeur de son maître, et propriétaire du mur où elle était accrochée. Pas seulement pour le goût d'interdit que ça avait pour Draco, même si ça jouait beaucoup, mais surtout parce que Potter avait une langue divine qu'il avait hâte de voir en action ailleurs que dans sa bouche.
Et peut-être un peu aussi parce que ça faisait des années qu'il s'imaginait là. Pas là, sur ce canapé plus vieux que feu ses grands-parents, mais là, le visage coincé entre les mains de Potter et les cuisses autour de ses hanches. Il n'avait pas espéré un jour se retrouver dans cette position avec lui, bien qu'il tente de projeter une absolue confiance en lui-même et un certain détachement. Imaginé, rêvé, fantasmé, certainement. Mais espéré ? Non. Il était trop noir et Potter était trop blanc.
C'était d'ailleurs un bon résumé de leurs respectives professions. L'un était Auror et l'autre expert en magie noire. Et personne n'avait besoin qu'on précise qui était l'un et qui était l'autre.
Potter s'était pourtant révélé de plus en plus gris à mesure qu'il déposait ses dossiers sordides sur son minuscule bureau du Département de la Justice Magique. Il l'avait peut-être toujours été, et ce n'était que la jalousie puérile de Draco qui l'avait empêché de le voir. Saint-Potter n'avait peut-être existé que dans sa tête. Et si le Survivant n'avait pas eu tort de le croire malfaisant par le passé, son opinion de Draco avait changé aussi.
Ça avait pris des années, mais le ressentiment s'était lentement poli, comme un rocher creusé par l'insistance des flots. Car ils graviteraient toujours dans les mêmes sphères. Draco refusait d'être enterré par les choix de son père et de vivre la tête basse pour des choses qu'il avait dû faire afin d'assurer sa propre survie. Potter refusait de prendre des vacances et de profiter de la vie loin de la folie meurtrière de certains sorciers. Qu'ils se croisent encore et encore avait été inévitable.
L'obligation et l'irritation avaient laissé place à la résignation. Puis étaient venues l'acceptation et l'habitude, et une étrange camaraderie à base d'insultes s'était installée. L'humour de plus en plus osé de Draco avait trouvé un public réceptif, et son bureau lui avait semblé encore plus petit.
Ils avaient délocalisé leurs joutes verbales à Grimmauld lorsque Potter avait prétendu vouloir challenger ses propos salaces. Draco détestait perdre, mais l'Auror avait déjà gagné à l'instant où son invitation avait été acceptée.
Draco n'avait pas voulu lui permettre de crier victoire trop vite, néanmoins. Non pas qu'il ait peur de Potter ou de la possibilité qu'il soit en train de se foutre allègrement de sa gueule pour ensuite ruiner sa réputation. Il avait gardé son flegme, joué sur des lignes invisibles, posé des appâts de plus en plus proches pour voir le lion le contourner et tâtonner à l'affût d'un piège.
Il avait juste oublié que Potter n'était guère patient et plutôt du genre à foncer dans le tas.
Il ne s'en plaignait pas. Il avait obtenu exactement ce qu'il voulait, là, sur ce canapé noir aux vieilles broderies d'or qu'il pouvait sentir irriter sa nuque. Ou, en tout cas, les prémices de ce qu'il voulait.
Potter s'écarta légèrement, le rose aux joues et aux oreilles comme si c'était Draco qui lui avait attrapé le visage pour lui dévorer la bouche et qu'il ne savait pas comment réagir à ses avances.
« Désolé. J'en avais marre de jouer. »
« C'est ce que j'ai cru comprendre, » prononça Draco avec un sourire narquois avant d'écarquiller les yeux de stupeur en voyant ceux de Potter rouler dans leurs orbites.
Le Survivant s'effondra. Son front percuta le menton de Draco et il s'affala de tout son poids sur lui.
Mort.
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Les mains de Draco tremblaient encore lorsque Weasley, blanc comme un linge, lui prit sa baguette et l'escorta hors de Ste Mangouste pour l'enfermer dans les geôles du Département de la Justice Magique. Elles tremblaient toujours lorsqu'il enroula ses doigts autour des barreaux pour le regarder s'éloigner d'un pas raide.
Trop choqué pour parler ou pour pleurer, il se laissa faire en silence lorsqu'on vint prélever des échantillons de son sang et de sa salive, puis analyser ses mains à la recherche de magie résiduelle. Enfin, en position fœtale sur la paillasse en fond de cellule, il fixa longuement le mur gris en grelottant de peur, d'horreur ou de froid, puis s'endormit.
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Samedi 4 juin 2005 – 1ère Boucle
Assis dans son lit aux draps de lin égyptien, Draco regarda les murs de ce qui était clairement sa chambre. Il passa un long moment à observer la pièce qui l'avait vu grandir, où la lumière d'une journée déjà bien entamée lui brûlait les yeux. Son regard erra sur sa collection personnelle de grimoires de magie noire et se posa finalement sur une robe grenat. Son uniforme du Département de la Justice Magique, drapé sur le dossier de sa chaise de bureau. Plus sombre que celle des Aurors. Plus claire que celle des Langues-de-Plomb. Un entre-deux dont personne ne savait bien quoi faire.
Il déglutit plusieurs fois, le cœur dans la gorge, trop sonné pour réfléchir à ce qu'il faisait là. Dans un état second, il se leva, attrapa machinalement sa baguette sur sa table de chevet, puis quitta sa chambre pour longer les couloirs déserts du Manoir.
Il atteignit sans le réaliser la petite salle à manger où ses parents étaient en train de déjeuner sous un énorme lustre de cristal. Il se figea dans l'encadrement de la porte, ce qui attira le regard de sa mère. Cette dernière pencha légèrement la tête, un sourcil arqué, et reposa sa fourchette dans son assiette. De l'autre côté de la table, son père leva les yeux de son journal qu'il abaissa avec une moue irritée.
« Tu n'as plus six ans. Que fais-tu dans cette tenue ? » gronda-t-il. Draco inclina le menton vers son pyjama de soie noire et ses pieds nus avant de le relever, hébété. « Il est presque treize heures ! »
« Tout va bien, mon chéri ? » interrogea sa mère avec inquiétude. « Tu as l'air un peu pâle. »
Devant son absence de réaction, elle poursuivit.
« Les Greengrass ont décliné ton invitation pour demain soir ? »
« Demain soir ? » répéta-t-il d'une voix éraillée.
« Ton anniversaire, Draco, » explicita-t-elle avec une pointe d'exaspération. « As-tu encore passé la soirée à boire avec Blaise ? Tu sais que je n'approuve pas. »
Blaise. Blaise, son alibi pour aller à Grimmauld. Leurs mères se détestaient, aucune chance pour qu'elles se parlent et réalisent la supercherie. Mais pourquoi lui parlait-elle de Zabini ? Pourquoi ne mentionnaient-ils pas son séjour dans les geôles du Ministère ? Le cadavre de Potter qu'il avait amené dans une panique totale à Ste Mangouste après avoir tenté de le réanimer ?
Comment s'était-il retrouvé dans sa chambre ?
Puis il tiqua, les larmes aux yeux. Demain soir ? Son anniversaire ? N'était-ce pas aujourd'hui ?
Il ignora le mélange d'agacement et d'inquiétude sur le visage de ses parents, rejoignit la table d'un pas raide, puis arracha le journal des mains de son père malgré ses protestations indignées. Sur la couverture, la Gazette annonçait le renvoi de Lloyd Tremer, l'attrapeur vedette des Tornades, pour entente avec l'équipe adverse et manipulation de jeu. Au-dessus de sa photographie, la date du 4 juin 2005 était inscrite.
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Draco martela le heurtoir en forme de serpent de la maison ancestrale des Black, le cœur tambourinant avec panique dans sa poitrine. La porte s'ouvrit sur Potter, qui portait exceptionnellement ses lunettes, mais qui était bien vivant et semblait partagé entre surprise et ravissement.
« Draco ? Tu es quelques heures en avan- Hmmfp ! » réussit-il à prononcer avant que Draco ne se jette encore plus férocement sur lui que l'Auror ne l'avait fait la veille. Aujourd'hui. Pendant ce qui ne pouvait avoir été qu'un très réaliste cauchemar.
Sans se décoller de sa bouche et après l'avoir coincé contre l'affreux lambris noir du vestibule, il lui arracha ses lunettes qui s'enfonçaient dans ses arcades sourcilières, les jeta derrière lui, puis s'accrocha à ses insupportables cheveux. La porte claqua à côté de lui, Walburga se mit à hurler derrière son rideau, et Potter referma l'étau de ses bras autour de son dos.
« POURCEAUX ! MISÉRABLES ORDURES ! COMMENT OSEZ-VOUS SOUILLER LA MAISON DE MES PÈRES ?! »
Draco raffermit sa poigne sur Potter pour échapper à ses propres tremblements. Il accueillit à bras le corps les sensations qui l'envahissaient, ses lèvres fermes sur les siennes, son menton mal rasé qui irritait sa peau, sa langue qui s'insinuait dans sa bouche, l'odeur chaude et musquée de sa peau, tout ce qui pourrait consumer le souvenir de son cadavre s'écroulant sur lui.
Les mains brûlantes de Potter attrapèrent ses hanches pour les coller aux siennes, jusqu'à rendre inconfortable l'angle de leurs frénétiques baisers.
« MUTANTS ! SANG IMPURS ! »
« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda le Survivant contre sa bouche. Son souffle rapide répandit sa chaleur sur son visage.
Draco était partagé entre l'envie de lui dire de se taire pour pouvoir se concentrer sur la pression de leurs corps l'un contre l'autre, et celle de lui demander de continuer de parler, de ne jamais s'arrêter. Il voulait lui dire qu'il en avait assez de jouer, mais les derniers mots que Potter avait prononcés dans son cauchemar se coincèrent dans sa gorge.
« Aucune idée, » fut tout ce qu'il réussit à articuler.
« CHIENS ! TRAÎTRES À NOTRE SANG ! SORTEZ DE LA DEMEURE DES PLUS PURS ! »
Potter écarta son buste sans détacher son bassin du sien, et appuya l'arrière de sa tête entre deux tableaux déprimants sur le mur tapissé de noir. Il l'observa un instant de son regard nu et fiévreux, comme pour prendre le temps d'analyser ses traits. Draco sentit sa nuque raide trembler. Il desserra ses doigts toujours accrochés à ses cheveux.
Après un étroit sourire qui plissa néanmoins ses yeux en amande, Potter se redressa et lui attrapa une main pour l'entraîner dans le salon. Il en ferma la porte pour étouffer la voix de Walburga, puis guida Draco vers le canapé. Il s'y assit avec révulsion.
« Tu donnes l'impression que quelque chose va t'exploser à la figure, » émit Potter entre humour et inquiétude en s'installant à côté de lui. Ses doigts s'égarèrent avec hésitation sur sa cuisse.
Draco serra les dents et tenta de ravaler son malaise pour renfiler son masque de nonchalance.
« C'est une conséquence très probable de la situation actuelle, » dit-il, le menton relevé.
Potter eut une expiration amusée et son sourire s'élargit jusqu'à devenir taquin.
« Je ne m'attendais pas à ce que tu sois le premier à céder, » confia-t-il, sa main à présent plus fermement posée sur sa jambe. Draco étrécit les yeux dans sa direction, mais ne put s'empêcher de ricaner malgré une vague humiliation et la sensation d'être assis sur une tombe.
« Sous-entends-tu que je suis plus facile que ce que tu croyais, Potter ? » lâcha-t-il d'un ton faussement hautain. Le Survivant rit à nouveau.
« Absolument rien chez toi n'est facile, » réfuta-t-il avec ce qui ressemblait à de l'affection. « Je m'attendais à finir la journée dans un état de frustration totale. »
« Qui te dit que ça ne va pas arriver ? » nargua Draco.
« Tu me tues, » gloussa Potter en lui attrapant la nuque alors qu'une chape de plomb tombait sur lui. « Mais ça fait partie de ton charme, je suppose, » rigola-t-il avant de poser ses lèvres sur les siennes.
/
Draco était soulagé d'être sorti du salon. Même l'intensité de la bouche de Potter et de ses mains baladeuses n'avait pas suffi à lui faire oublier son visage figé et l'effroyable silence de son cœur sous son oreille. Mais il était un peu dubitatif de se retrouver dans une cuisine.
Il se tint avec raideur au milieu de la pièce. C'était la première fois qu'il y mettait les pieds, et il était surpris par le changement de décor. Si le reste de la maison souffrait de l'adoration des Black pour la couleur de leur propre nom, la cuisine était beaucoup plus chaleureuse malgré son emplacement en sous-sol. Une large cheminée et des lampes antiques lui apportaient une luminosité que les quelques soupiraux en haut de mur peinaient à laisser passer, et les meubles, d'un bois chaud et usé, amenaient la couleur qui manquait au reste de la demeure.
« Tu vas… me faire cuisiner ? » demanda-t-il, à la fois sceptique et amusé.
« Hé, puisque tu es là en avance… » s'amusa Potter en tirant des ingrédients d'un large placard froid. « Je sais que tu es capable de plus que de rester planté là à être beau, » dit-il avec un sourire en coin alors qu'il posait un paquet emballé d'un fin papier blanc sur la table centrale.
Draco haussa un sourcil au compliment et croisa les bras sur sa chemise.
« Ta technique de drague laisse à désirer, » déclara-t-il d'un ton narquois.
« Oh, je ne crois pas. L'un d'entre nous s'est jeté sur l'autre à la porte comme dans un mauvais roman, et ce n'était pas moi, » ricana Potter avant de déballer ce qui s'avéra être de la viande hachée.
Draco roula des yeux, mais s'approcha néanmoins de la table en décroisant les bras, persuadé que l'Auror allait agiter son moment de faiblesse sous son nez aussi longtemps que durerait… Quoi que cette situation entre eux soit. Mais il comprenait. Il aurait fait exactement la même chose à sa place.
« Je n'ai jamais cuisiné de ma vie, » prévint-il. Il observa avec curiosité tout ce que Potter avait sorti. Farine, beurre, d'étranges boîtes cylindriques en métal à l'étiquette rouge, oignons, herbes… Il fronça les sourcils avec malaise. « Qu'est-ce tu prépares ? »
« Des lasagnes, » répondit rapidement le Survivant. Draco releva les yeux vers lui avec horreur. « Je me suis dit que ça te changerait du caviar et des langoustines, » plaisanta-t-il. Il décrocha une lourde poêle du mur, et son humour passa complètement à côté de Draco qui déglutit avec panique.
Des lasagnes. C'était ce que Potter lui avait fait manger dans son cauchemar.
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C'était sans doute un hasard. Potter avait dû mentionner son intention de lui préparer des lasagnes quelques jours plus tôt et son subconscient s'était nourri de cette information pour alimenter son rêve. C'était tout à fait le genre de choses qu'il aurait pu dire dans l'intimité du bureau de Draco au Département de la Justice Magique. Tu préfères une pipe ou des lasagnes pour samedi ? avait-il sans doute demandé. Quoique cela ressemble plus à son propre humour. Des lasagnes. Extra béchamel, aurait-il pu répondre.
Merlin. Il était complètement à côté de ses pompes.
Il réussit à mettre son malaise sur le compte de son inexpérience en cuisine. Potter se moqua allègrement de lui, ce qui était à la fois familier et confortable, assez pour étouffer les étincelles de panique qui crépitaient parfois derrière ses côtes. Ils mangèrent, burent, et Draco réussit à le persuader de rester dans la cuisine pour échapper au caveau qu'était le reste de la maison. Lorsque le Survivant se plaignit qu'il n'y ait aucun siège confortable dans la pièce, il l'invita sournoisement sur ses cuisses avant de regretter sa proposition en imaginant son poids sur lui. Ça n'avait soudain plus rien d'excitant et il se sentit pâlir.
Planté à côté de lui, la jambe appuyée contre le bord de la table, Potter baissa un regard circonspect dans sa direction puis lui tendit la main pour l'encourager à se lever de sa chaise. Il le fit s'asseoir entre leurs assiettes vides et leurs verres de vin puis posa les mains sur ses genoux en le dévisageant.
« Est-ce que le chaud-froid est volontaire ? » interrogea-t-il sérieusement, mais sans dureté. « J'ai du mal à comprendre le message. »
« Non, » déglutit Draco. « Désolé, c'est juste… Je suis un peu en manque de caviar et de champagne, » avoua-t-il d'un ton faussement embarrassé.
L'étroitesse du sourire de Potter lui indiqua qu'il n'était pas dupe et Draco crispa les doigts sur le rebord de la table.
« Est-ce que tu veux faire comme s'il ne s'était rien passé aujourd'hui ? » proposa doucement l'Auror.
Draco se sentit secouer la tête avant même d'avoir réfléchi à la question et il avala sa salive pour contrer son réflexe de faire une énième blague. Il était irrité par son incapacité du jour à correctement donner le change. Il l'était aussi par celle de Potter à ignorer ses états d'âme produits par un stupide cauchemar et d'étranges coïncidences culinaires.
Le vin était le même, et alors ? Il avait déjà bu ce vin ici. Potter avait trouvé un bon vin et en avait rempli sa cave, c'était tout.
« Tu peux me montrer ta chambre ? » demanda-t-il avec plus de bravade qu'il n'en avait réellement.
Potter s'esclaffa avec surprise.
« Je crois que c'est la première fois qu'on me demande ça, et je ne m'attendais pas à ce que ce soit dans un tel contexte, » rit-il en ouvrant subtilement ses genoux d'une pression de ses mains.
Puis ses yeux roulèrent dans leurs orbites et il s'écroula sur les tomettes de sa cuisine.
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Draco ne protesta pas lorsque Weasley lui prit sa baguette à Ste Mangouste. Il ne protesta pas non plus lorsqu'il referma la grille de la cellule, la même cellule, et donna un tour de clé dont le claquement métallique résonna dans le couloir obscur. Mais en le voyant s'éloigner d'un pas raide, Draco s'accrocha aux barreaux malgré les frémissements de panique qui secouaient ses bras et ses épaules.
« Weasley, » appela-t-il dans un murmure rauque. « De quoi est-ce qu'il est mort ? » osa-t-il demander avant de serrer les dents pour les empêcher de s'entrechoquer.
L'Auror s'arrêta et se tourna à moitié vers lui pour le dévisager d'un regard dévasté. Puis il secoua la tête et s'éloigna.
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Samedi 4 juin 2005 – 2ème Boucle
Draco se réveilla dans sa chambre et un mélange de soulagement et d'horreur l'envahit alors qu'il fixait ses murs vert pâle et ses lourds rideaux. Il plia les genoux sous ses draps et cacha son visage derrière ses mains, ses doigts douloureusement enfoncés dans son cuir chevelu et ses pouces sous ses oreilles. Ce n'était pas un cauchemar. Ou était-ce un cauchemar particulièrement long ?
Avant de se lancer dans des théories fumeuses, il se précipita au rez-de-chaussée pour arracher la Gazette du Sorcier des mains de son père et ignora les exclamations et questions de ses parents. 4 juin 2005. Tremer s'était fait renvoyer des Tornades. Draco était dans une boucle temporelle.
« Est-ce que tu as eu une réponse des Greengrass ? » l'interrogea sa mère, mais Draco lâchait déjà le journal sur le plat de service du rôti pour s'échapper de la salle à manger.
Il gravit les marches des gigantesques escaliers trois à trois, accroché à la rampe dorée et le cœur battant dans sa gorge. Une boucle temporelle. Où Potter mourait. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi mourait-il ? Quel rapport avec lui ?
Il cavala dans les couloirs interminables du premier étage, où ses pas firent trembler les porcelaines antiques sur les guéridons malgré les épais tapis qui couvraient les parquets. Il ouvrit la porte de la bibliothèque à la volée, où son entrée fit sursauter un elfe en train d'épousseter une rangée de livres.
Les oreilles bourdonnantes, Draco entendit à peine le pouf de son transplanage précipité. Il darda des regards anxieux dans l'énorme pièce et sur la quantité d'étagères qui croulaient sous les livres anciens. Boucle temporelle. Magie du temps. Merlin, il n'y connaissait rien ! C'était de la magie ancestrale, de la pure magie blanche, à l'opposé de ses connaissances !
Il perdit dix bonnes minutes à fouiller les rayons de rituels et enchantements primordiaux.
Les tranches peu explicites des grimoires lui arrachaient des grognements de frustration. Son pyjama lui collait aux omoplates, aux aisselles, au bas du dos, et sa nuque était couverte d'une sueur froide. Il finit par jeter un livre par terre avec un gémissement avant de se forcer à abandonner et à respirer, les mains sur les genoux et le buste penché en avant.
S'il était dans une boucle, il avait du temps. Il n'avait que du temps. Et avant de déterminer comment en sortir, il fallait qu'il trouve comment empêcher Potter de mourir.
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« Draco ! Tu es quelques heures en avan- Oh. Est-ce que ça va ? » interrogea Potter en le découvrant devant sa porte. Draco avait pris le temps de se changer, mais maintenant qu'il voyait le regard de l'Auror se fixer sur sa tête, il réalisa qu'il avait oublié de se coiffer.
« Très bien, » répondit-il un peu sèchement, les doigts glissés dans ses cheveux pour les peigner. « Je ne sais pas quelle tête j'ai, mais je suis certain d'être mieux coiffé que toi. Je peux entrer ? »
Potter haussa un sourcil amusé, mais s'effaça pour le laisser passer. Il portait le même T-shirt des Harpies que la veille. Qu'aujourd'hui. Et peut-être le même jean, mais Draco n'était certainement pas un connaisseur de ce type d'accoutrement.
« Qu'est-ce qui t'amène aussi tôt ? » lui demanda l'Auror en refermant la porte. « Pas que ça me dérange, au contraire, mais il faut que je cuisine et- »
« Je suis coincé dans une boucle temporelle et tu n'arrêtes pas de mourir, » l'interrompit Draco, et il le regarda se tourner vers lui avec la bouche entrouverte, interdit. « Ce n'est pas une blague, » précisa-t-il, compte tenu de leur propension à ne communiquer que par traits d'humour.
« Erm… » émit le Survivant avant de darder un regard vers les rideaux de Walburga. « Salon, » décida-t-il.
« Cuisine, » contra Draco. La mort de Potter dans le salon avait certainement été la pire des deux, avec le temps qu'il avait passé à s'extirper de sous son poids mort et à tenter de le ranimer, au bord de l'hystérie. Celle dans la cuisine avait été horrible, mais il l'avait immédiatement amené à Ste Mangouste, la pièce lui semblait donc un peu moins traumatisante.
« Cuisine, » approuva l'Auror avant de le précéder dans le couloir puis dans les escaliers qui descendaient au sous-sol.
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Draco avait passé un long moment avec les mains sagement posées sur la table, les yeux fixés sur le grain du bois puis sur les étranges appareils installés sur les comptoirs. Potter lui avait préparé de quoi manger avant de partir pour Ste Mangouste, mais il avait à peine mordu dans son sandwich, incapable d'avaler quoique ce soit. Il avait fini par étendre les bras et poser son front entre eux, puis avait enfoui ses doigts dans ses cheveux et pressé son crâne dans une position tristement familière.
Il avait passé un temps considérable ainsi huit ans plus tôt, devant l'Armoire à Disparaître.
Un bruit lointain le fit se redresser et il se tourna sur sa chaise pour voir Potter apparaître en bas des escaliers qui menaient à la cuisine. Son sourire étroit lui souffla qu'ils n'étaient pas plus avancés.
« Je suis au regret de t'annoncer que je suis en parfaite santé. »
Draco posa un coude sur la table et soupira avec anxiété derrière une main.
« Est-ce que tu es sûr de toi ? » interrogea le Survivant en tirant la chaise en face de lui pour s'asseoir. « Je veux dire… Je te crois, mais… »
Draco se frotta les sourcils et les yeux puis releva la tête pour voir son expression soucieuse.
« Pourquoi est-ce que tu me crois ? » demanda-t-il. Il était soulagé et incroyablement reconnaissant que l'Auror l'ait pris si rapidement au sérieux, mais… Jamais il ne l'aurait cru s'il avait été à sa place.
« Hmm… Je ne sais pas. Ta tête ? » hésita Potter avec une légère grimace avant de hausser les épaules. « Tu n'as pas idée de la quantité de choses bizarres qui m'arrivent depuis toujours. Et puis… Tu n'as fait que me demander d'aller faire un bilan de santé. À moins que… Ce ne soit qu'un moyen très tordu de me demander de me faire tester ? » fit-il avec cette stupide expression narquoise qui seyait tellement à son séduisant visage.
Draco l'observa quelques secondes, médusé, avant d'émettre un rire pathétique qui lui râpa la gorge comme un sanglot. C'était… exactement son humour, Merlin. Il se reprit la tête dans les mains, plus par fatigue que par honte.
« Tu n'as pas l'air très inquiet d'être sur le point de tomber raide mort, » renifla-t-il avec un rire étranglé. « J'aurais dû me douter que tu serais blasé par l'idée de mourir. »
« Je l'ai déjà fait en pire compagnie, » prononça le Survivant avec un demi-sourire qui tirailla quelque chose de profondément triste chez Draco. Il se mordit les lèvres, un poids dans son estomac vide, et laissa retomber ses mains sur la table.
« Je peux te lancer quelques diagnostics de magie noire ? »
Potter se redressa sur sa chaise et ouvrit les bras comme une invitation.
« Fais comme chez toi, » sourit-il légèrement.
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Ses sortilèges ne décelèrent rien.
Potter mourut assis en tailleur sur le tapis de son salon, un verre de whisky à la main et la tête tombant en avant sur la table basse. Draco passa quelques interminables secondes à fixer la lueur ambrée du liquide se refléter sur ses doigts relâchés, ses propres phalanges tremblantes serrées les unes dans les autres. Il leva difficilement son poignet pour regarder l'heure.
21H46
Puis, pour ne pas prendre le risque de briser la boucle, il posa une main sur son avant-bras encore chaud et les fit transplaner à Ste Mangouste.
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Samedi 4 juin 2005 – 3ème Boucle
Draco ne prit pas la peine de vérifier la date sur la Gazette du Sorcier, et après s'être habillé, il descendit dans le grand hall du Manoir pour rapidement quitter les lieux.
« Draco ? » l'interpella sa mère à l'entrée de la salle à manger.
« Non, je n'ai pas de nouvelles des Greengrass, » lâcha-t-il avec irritation en tirant sur la lourde porte d'entrée.
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« Ce n'est pas un sort, et… une malédiction, surtout à retardement, laisserait des résidus de magie noire, » exposa-t-il à Potter dans la cuisine après avoir vidé son sac des grimoires les plus meurtriers qu'il avait en sa possession.
Le Survivant passa une main dans ses cheveux et fixa sa collection avec scepticisme.
« Qu'est-ce que ça peut être alors ? »
« Je ne sais pas ! » s'énerva Draco, irrationnellement irrité par sa passivité. « Aide-moi au lieu de te frotter la tête comme un abruti ! »
Potter s'installa à table et ignora la désobligeance de sa remarque pour attraper un fin livret de rituels vaudous.
« Est-ce que ça ne pourrait pas être naturel ? »
« Je t'ai dit que Ste Mangouste n'avait rien détecté ! »
« Peut-être au moment où j'y suis allé mais… Plus tard ? Peut-être que… Je ne sais pas, les morts subites existent, non ? Une soudaine défaillance de quelque chose. »
« Sans aucun signe précurseur ? Potter, tu tombes raide mort ! Sans prévenir, sans… montrer aucun signe de douleur ou… » bégaya Draco, les mains agrippées à un antique volume de malédictions celtes, dont la couverture de cuir sombre se craquelait sur la tranche.
L'Auror l'observa avec une expression peinée, presque inquiète. Draco réalisa alors à quel point il devait avoir l'air fou, ainsi frémissant et au bord de la crise de nerfs devant une quantité non négligeable de livres interdits par le Ministère.
« Mais… tu as raison, » concéda-t-il après une profonde inspiration. « Si on ne trouve rien, ça peut valoir le coup que tu demandes à être mis sous observation ce soir. »
Potter esquissa un bref et étroit sourire puis hocha la tête.
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« Qu'est-ce qu'on a fait dans les autres boucles ? » interrogea Potter après une heure de silence entrecoupé de soupirs de frustration et de grognements de la part de Draco. « À part mourir et aller à Ste Mangouste pour moi. »
« On a cuisiné des lasagnes, » répondit-il sèchement en tournant d'un geste trop vif une page de son grimoire de malédictions générationnelles saxonnes. Elle s'arracha en bas, mais considérant que la boucle temporelle avait d'énormes chances de se poursuivre en l'absence de résultat, il avait presque envie de déchirer tous ses bouquins inutiles et d'y mettre le feu.
« Je t'ai fait cuisiner ? » pouffa Potter. « Merde, je suis triste d'avoir loupé ça. »
« Si tu savais tout le reste, alors… » maugréa Draco en lisant en diagonale le rituel de raccourcissement des attributs masculins des futures générations d'une famille ennemie. Merlin que les saxons avaient eu de l'imagination pour des vengeances puériles.
« Est-ce que je t'ai vu à poil ? »
« Non, » souffla Draco avant de tourner une nouvelle page.
« Est-ce que tu m'as vu à poil ? »
« J'ai hésité à te déshabiller après ta troisième mort, parce que ça commençait à devenir lassant. Mais je me suis dit que Weasley serait moins doux en m'amenant en détention si je faisais transplaner ton cadavre avec la bite à l'air dans le hall des admissions de Ste Mangouste, » railla Draco avec hargne, la tête relevée pour voir l'expression espiègle de l'Auror s'effondrer. « Potter, ça fait trois jours de suite que je te vois mourir, et ça peut paraître surprenant, mais ça m'a vidé de tout humour, » ajouta-t-il durement avant de déglutir comme si ça pouvait déloger la panique qui lui serrait la gorge depuis des jours.
« Je suis désolé… » murmura Potter.
« Au moins… Au moins je peux essayer d'y faire quelque chose… » s'étrangla Draco en baissant les yeux vers son grimoire.
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Ils ne trouvèrent rien d'approchant ce qui affectait Potter dans ses livres. Caché sous la cape d'invisibilité qu'il lui avait empruntée, Draco le regarda plaisanter avec le personnel de Ste Mangouste qui entourait le lit dans lequel il était à moitié allongé.
Puis à 21h46, son sourire se figea en même temps que les plumes de suivi de ses fonctions vitales et son corps se relâcha comme celui d'un pantin sur les draps vert pâle. Les dents serrées et le cœur dans la gorge, Draco regarda les Guérisseurs s'agiter et la salle d'examen se remplir puis se vider sans que personne ne comprenne ce qui lui était arrivé ni n'arrive à le ranimer.
Il resta longtemps seul dans la pièce, avec pour seule compagnie un corps qui refroidissait sous un drap. Et malgré le tissu soyeux qui le couvrait, Draco frémissait, les entrailles gelées, comme s'il était lui-même sous un suaire.
Il révéla sa présence lorsque Weasley, pâle et tremblant, entra dans la chambre. Il lui tendit cape et baguette sans ouvrir la bouche.
Il le laissa l'arrêter et se roula en boule dans sa familière cellule, le cœur et l'esprit en morceaux.
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Samedi 4 juin 2005 – 4ème Boucle
Des coups légers furent frappés à la porte de sa chambre, mais Draco les ignora, recroquevillé sous ses draps et le regard fixé sur la pâle lumière qui entrait dans son linceul. Il lissa un pli du doigt pour regarder son ombre disparaître, puis ferma les yeux pour apprécier la légère rugosité du lin. La porte s'ouvrit dans son dos et les talons de sa mère se firent entendre sur son parquet.
« Draco ? » l'appela-t-elle d'une voix douce avant qu'il ne la sente s'asseoir derrière lui. « Il est presque seize heures, je commence à m'inquiéter… As-tu besoin d'une potion ? »
Draco expira avec fatigue, puis, la gorge sèche, il avala sa salive avant de répondre d'une voix enrouée.
« Non merci. »
« Tu sais que je n'aime pas que tu passes tes soirées à te saouler avec Blaise, » murmura sa mère après un instant de silence. « Tu as réussi à obtenir un poste au Ministère, ce n'est pas pour ruiner ta réputation avec des… nouveaux riches. »
Draco aurait ri s'il en avait eu la force. Ruiner sa réputation ? En buvant un coup avec son seul ancien camarade de dortoir à avoir réussi à ne pas être entaché par la guerre ? Quelle ironie. Quelle putain d'hypocrisie.
« J'étais avec Pansy, » corrigea-t-il, sachant que rien ne viendrait changer l'opinion de sa mère sur Zabini. Et c'était la vérité. La veille, ou plutôt une éternité plus tôt, il avait accompagné Pansy dans le Londres moldu. Elle adorait danser et il détestait la savoir seule dans cette masse de corps en mouvement. Pas seulement par crainte pour sa sécurité, mais aussi parce qu'elle était dangereuse lorsqu'elle avait bu. Il n'était pas friand du bruit et de la foule, mais elle avait besoin de sortir dans des endroits où elle n'était pas pointée du doigt et c'était une chose à laquelle il pouvait entièrement compatir.
« Pansy ? » soupira sa mère. Il se tendit un peu plus sous ses draps. « Draco, quelle perte de temps, tu sais que- »
« C'est mon amie, Mère. »
Un concept qui lui était certainement étranger, à présent, et il s'en voulu d'avoir argumenté. C'était une perte d'énergie que de faire entendre à ses parents qu'on pouvait s'attacher à des personnes pour autre chose qu'un intérêt personnel.
Elle soupira à nouveau et il la sentit se lever du lit.
« As-tu eu des nouvelles des Greengrass ? »
« Non, » se força-t-il à répondre.
« Je vais leur renvoyer un hibou, » déclara-t-elle avant que ses pas ne s'éloignent. « Lève-toi et habille-toi, s'il-te-plaît. Tu as bientôt vingt-cinq ans, pas quinze. »
Il écouta la porte de sa chambre se refermer, trop vidé pour ressentir l'humiliation familière que provoquait l'insistance de ses parents à quémander l'attention des Greengrass. Il enfouit son nez dans son oreiller et resserra ses bras autour de lui-même, dans une vaine tentative de contenir le trou noir d'impuissance qui grandissait sous ses côtes.
Le jour était tombé lorsqu'il émergea à nouveau, groggy, affamé et collant de transpiration. Il se redressa dans son lit et ignora son corps douloureux pour se jeter sur sa montre et sa baguette. Il alluma l'une pour observer l'autre.
21H05
Il sortit précipitamment de son lit malgré sa terreur de voir une nouvelle fois Potter mourir.
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Potter ne portait pas ses lunettes et était habillé comme le premier samedi 4 juin 2005 que Draco avait vécu. Son T-shirt vert bouteille, au col orné de quelques boutons, mettait ses yeux en valeur, et il portait un jean plus ajusté que celui qui couvrait ses jambes lorsqu'il l'avait forcé à hacher des oignons. Potter qui faisait un effort de présentation tout en restant Potter.
Draco affronta son regard hésitant sans savoir quelle expression afficher, puis entra dans la maison lorsqu'il s'effaça pour le laisser passer. La porte se referma doucement derrière eux.
« Erm… » commença le Survivant alors que Draco luttait pour ouvrir la bouche et trouver comment justifier son retard. « J'ai déjà dîné, désolé… Mais… tu veux manger quelque chose ? »
Draco secoua légèrement la tête.
« Boire quelque chose ? Tu as l'air d'avoir besoin de boire un coup. »
Un rire étranglé s'échappa de sa gorge et Potter esquissa un sourire inquiet avant de lui tenir l'épaule pour le guider vers le salon.
« Vin ? Whisky ? Thé ? Café ? Bièraubeurre ? » proposa-t-il.
Il tenta de le diriger vers le canapé, mais Draco s'esquiva pour s'asseoir à même le tapis devant la cheminée. L'Auror baissa un regard surpris vers lui, mais enflamma les bûches dans l'âtre d'un coup de baguette malgré la douceur de la soirée.
« Tu as de la vodka ? » demanda Draco. Ses soirées précédentes avaient ruiné son attrait pour le vin et le whisky du Survivant.
« Oui… Mais elle est probablement dégueulasse. »
« Va pour la vodka dégueulasse », décida-t-il en attrapant ses chevilles.
Potter haussa un sourcil puis les épaules et quitta momentanément la pièce avant de revenir avec deux petits verres et une grande bouteille au goulot étroit. Il s'agenouilla entre le canapé et la table basse, les servit, puis poussa un des minuscules récipients en cristal dans sa direction. Draco le souleva et le vida d'une traite.
L'alcool brûla sa gorge irritée par l'angoisse et son estomac vide, mais il attrapa la bouteille pour se resservir.
« Tu veux en parler ? » interrogea son hôte lorsqu'il eut avalé son deuxième verre.
Draco toussa dans son coude, les larmes aux yeux, et serra les dents en s'en servant un troisième. Potter n'avait pas encore touché au premier.
« Non. »
A quoi bon ? Il allait mourir dans vingt-cinq minutes. Que pouvaient-ils faire en ce laps de temps ? Que pouvaient-ils faire, avec l'éternité d'un samedi 4 juin 2005 devant eux ? Pourrait-il convaincre Potter de se rendre au Département des Mystères lors de la prochaine boucle malgré la haine viscérale que portait l'Auror envers cette branche obscure du Ministère ? C'était la seule idée qu'il lui restait et ce n'était pas une conversation qu'il avait le courage d'avoir maintenant.
« Tu veux un câlin ? »
Draco s'étouffa avec son troisième verre. Il cacha sa bouche derrière son bras et releva le nez vers Potter qui l'observait avec inquiétude. La gorge en feu et les yeux larmoyants, il le dévisagea en silence avant d'hocher faiblement la tête.
Il n'avait plus la force d'avoir honte, il n'avait plus la force de jouer à ce jeu stupide auquel ils se prêtaient depuis presque un an, à tâtonner à coup de blagues salaces et de sous-entendus graveleux en attendant que l'autre craque. Il était à bout et avait presque envie de mourir à sa place pour échapper à cette responsabilité et à l'enfer de transporter son cadavre jusqu'à Ste Mangouste.
Plus que les exclamations et la suspicion du personnel de l'hôpital, plus que la terreur de voir la boucle s'arrêter, c'était cette sensation affreuse, celle de la culpabilité, qui le dévorait.
Était-ce de sa faute ?
Il lâcha son verre et la bouteille lorsque les bras de Potter encerclèrent ses épaules, et il posa son front sur sa clavicule avec une expiration tremblante. Sa gorge travailla pour lutter contre ses larmes.
Potter ne se souviendrait de rien demain. Aujourd'hui.
Draco s'accrocha à son T-shirt et s'autorisa à libérer le torrent, mais il resta coincé quelque part vers son sternum et l'empoisonna de l'intérieur. Il pouvait se sentir frémir sous les bras qui s'étaient croisés en haut de son dos, mais son visage restait désespérément sec. Il avait été un tel pleurnicheur à Poudlard, pourquoi n'arrivait-il pas à lâcher prise aujourd'hui ?
« Tu veux envoyer balader ton anniversaire et le passer ici ? » lui proposa Potter.
Ses propos lui serrèrent un peu plus la gorge. Il avait eu hâte de fêter ses vingt-cinq ans avant que ses parents n'essayent d'en faire un moyen de rapprochement avec les Greengrass. Ça aurait dû être une simple célébration entre anciens Serpentard, une occasion de retrouver la camaraderie qu'ils avaient eue avant que Voldemort ne reprenne une place aussi importante dans la vie de leurs parents. Mais les Malfoy abîmaient tout ce qu'ils touchaient. En plus du physique de son père, c'était une chose dont Draco avait tristement hérité.
« Oui… » expira-t-il contre la clavicule de Potter. Car même si ses mots étaient sans conséquence, même s'il allait mourir et que la boucle allait redémarrer, même si son anniversaire lui semblait inatteignable, il en avait désespérément envie. Il en avait désespérément besoin.
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Ils finirent allongés l'un à côté de l'autre sur le tapis devant la cheminée, leur seul point de contact le profil de Draco sur l'épaule de Potter. Et à 21h46, son cœur cessa de battre sous son oreille.
Le barrage céda, les flots se déversèrent hors de lui, et sa main s'accrocha à son T-shirt vert alors que quatre jours de larmes et de panique s'échappaient enfin. Ses pathétiques sanglots le griffaient de l'intérieur sur la route vers sa bouche, et le laissèrent sanglant et en lambeaux contre le corps de l'Auror.
Le feu dans l'âtre s'éteignit. Draco cligna de ses yeux brûlants en regardant les braises mourir puis se redressa avec une inspiration fébrile. Le visage détendu de Potter commençait à pâlir. Les dents de Draco s'entrechoquèrent plusieurs fois avant qu'il n'arrive à crisper sa mâchoire. Il s'assit en tailleur avec un genou frôlant ses côtes, frotta son visage humide puis renifla en essuyant son nez avec sa manche.
Il n'était pas vraiment mort, tentait-il de se répéter. Il n'était pas vraiment mort et il avait une autre boucle pour le sauver. Et une autre après celle-là s'il échouait. Et encore une autre. Il allait y arriver. C'était horrible à vivre et la peur l'avait tétanisé aujourd'hui, mais il avait d'autres chances. Il espérait, Merlin, avoir d'autres chances.
Il se tint les coudes en frissonnant et fixa la tâche humide de ses larmes sur le T-shirt de Potter, épuisé mais résolu.
Soudain, une décoloration de sa peau attira son attention et le força à se redresser sur ses genoux pour tirer sur son col froissé. Et sur la peau d'olive qui prenait lentement une teinte grisâtre, il distingua, d'un ton à peine plus clair que le reste de son épiderme, un cercle runique sous la clavicule de Potter.
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Samedi 4 juin 2005 – 5ème Boucle
Il ne le trouvait pas. Il ne trouvait pas ce fichu bouquin. Il savait pourtant qu'il était dans la bibliothèque du Manoir, il l'avait lu quelques années plus tôt, plus par curiosité que par réel intérêt. Les cercles runiques étaient du ressort du Département des Mystères, bien trop dangereux pour être étudiés et manipulés par le commun des employés du Ministère.
Ils faisaient peur à Draco, ils faisaient peur à tout le monde et leur usage était tombé dans l'oubli. Ils pouvaient pourtant avoir des applications merveilleuses, pour protéger le porteur, créer un espace dans le vide, animer des objets, sécuriser des passages. Mais ils pouvaient aussi avoir des usages terribles et la moindre erreur d'inscription entraînait des conséquences désastreuses. Personne ne se risquait plus à apposer des cercles runiques. Mais quelqu'un en avait mis un sur Potter.
Et Draco ne trouvait pas ce foutu grimoire d'inscription de runes sur les vivants.
Sa mère entra d'un pas rapide dans la bibliothèque, mais s'arrêta avec stupeur en avisant le carnage de livres jetés par terre.
Elle plissa les yeux et retroussa le nez, puis dirigea son regard vers Draco qui, du haut de son échelle, lâcha un grimoire de création d'espaces magiques sur le sol avant de prendre le livre suivant dans la rangée.
« Je… » émit sa mère avant de s'interrompre d'elle-même avec une expression désabusée. « Peu importe, » décida-t-elle. « As-tu reçu des nouvelles des Greengrass ? »
Draco serra tellement fort les dents qu'elles grincèrent, et d'un coup de bras, il envoya valser les six volumes suivants de la collection d'enchantements de Merlin.
« NON ! » hurla-t-il en s'agrippant à l'échelle pour pleinement se tourner vers elle et la voir sursauter. « NON JE N'AI PAS DE PUTAIN DE NOUVELLES DES GREENGRASS ! ET MÊME SI J'EN AVAIS, MÊME S'ILS ÉTAIENT ASSEZ CONS POUR ACCEPTER, JAMAIS JE N'ÉPOUSERAIS NI DAPHNÉE, NI ASTORIA ! ET TU SAIS POURQUOI, ESPÈCE DE CRÉTINE COMPLÈTEMENT EN DEHORS DES RÉALITÉS ?! »
« Ne me parle pas sur ce t- »
« PARCE QUE J'AI AUTANT D'ATTRAIT PO- » tenta de la couper Draco avant de ravaler ses cris en voyant son père entrer dans la bibliothèque, une expression furibonde sur le visage. Il raffermit sa prise sur l'échelle, les oreilles sifflantes et un goût de sang dans la bouche tant sa propre voix avait été puissante. Même dans une boucle temporelle, un coming-out devant son père semblait extrêmement dangereux.
« Puis-je savoir ce qui se passe ici ? » interrogea Lucius d'une voix déceptivement calme, mais où Draco, à force d'habitude, pouvait entendre les relents d'une furie contenue.
« Je cherche le recueil d'inscriptions runiques sur les vivants, » cracha-t-il avec irritation. Il n'avait pas de temps à perdre avec les conneries de sa mère ni avec la tendance de son père à maintenir l'ordre par la violence.
Lucius tiqua.
Puis pâlit légèrement avant de froncer les sourcils dans une expression faussement sceptique.
« C'est vous qui l'avez, » réalisa Draco, mais son bref soulagement laissa immédiatement place à une immense suspicion qui lui retourna l'estomac.
« Pourquoi est-ce que tu le cherches ? Les runes ne sont pas de ton ressort, » rappela son père alors qu'il descendait précipitamment de l'échelle, ses pieds nus glissant sur les barreaux lissés par des siècles d'usage.
« Est-ce que… » Il s'étrangla une fois en bas, les yeux écarquillés et le dos couvert d'une sueur froide. « C'est vous ? C'est vous qui avez mis ces runes sur Potter ? »
Le masque de Lucius tomba et révéla le monstre qu'il cachait de façon malhabile, toujours trop proche de la surface pour berner Draco.
Il déglutit et sa respiration s'accéléra en fixant son père dont l'expression s'était assombrie. Puis il détala et courut entre les livres ouverts par terre pour sortir de la bibliothèque.
Il n'atteignit pas le bureau de son père à temps.
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Draco appuya son front sur les barreaux d'un des cachots du Manoir autour desquels ses doigts glacés étaient enroulés.
Merlin, faites que son père n'ait pas le temps de perturber la boucle si elle était liée au cercle runique. Faites que son absence aux côtés de Potter puis dans les geôles du DJM ne l'empêche pas de redémarrer. Faites que son erreur d'aujourd'hui ne signe pas l'arrêt de mort de Harry. Pitié, pitié, pitié… Pas si proche du but, pas avec enfin une solution à portée de main, pas alors qu'il avait enfin trouvé comment sortir de ce cauchemar…
Draco se pencha en avant dans le silence, les muscles saisis de crampes des suites de l'Endoloris et la gorge ravagée par ses cris suppliant sa mère et les elfes de le laisser sortir. Il s'affaissa jusqu'à ce que son ventre touche ses cuisses et que le sol poussiéreux absorbe ses larmes.
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Samedi 4 juin 2005 – 6ème Boucle
Draco n'avait pas pris le temps de savourer son soulagement en se réveillant dans sa chambre et s'était immédiatement glissé hors de son lit, la baguette à la main. Puisque son père était en train de déjeuner, il s'introduisit dans son bureau. Puis, après de longues et terribles minutes où le moindre bruit le crispait de terreur, il trouva le recueil dans un tiroir secret du bureau, celui-là même où il avait un jour découvert un étrange journal qui répondait à ce qu'il écrivait.
Il n'osa pas le toucher directement, ni même utiliser la magie pour le sortir de sa cachette. Il s'aida d'un mouchoir brodé de Lucius pour le soulever, et l'oreille aux aguets, tourna les pages pour chercher un cercle runique similaire à celui qu'il avait vu sur Potter.
Il n'était resté visible qu'un instant, effacé par la gravité qui entraînait le sang du Survivant vers le bas, mais un titre attira son attention.
Extinction subite du noyau magique.
Accroupi derrière le bureau, Draco avala mot après mot l'exposé qui visait à priver un sorcier de sa magie. Le théoricien mettait lourdement en garde le praticien contre l'utilisation d'un tel procédé. Non pas parce qu'il avait constaté la mort de certains de ses sujets, mais parce qu'une mauvaise inscription pouvait provoquer l'effet inverse et drainer la magie du poseur de runes. Il avait en sus constaté d'étranges phénomènes magiques au moment de l'activation du cercle runique, et conseillait un éloignement complet avec l'individu ciblé en intégrant une condition de déclenchement retardé ou aléatoire parmi les runes.
Et soudain, la boucle temporelle prit tout son sens. Le cercle runique tuait Potter, et sa magie libérée avait emprisonné Draco dans une boucle temporelle pour tenter de le sauver.
Les larmes aux yeux, Draco replaça le recueil interdit dans le tiroir et s'éclipsa du bureau pour aller troquer son pyjama contre son uniforme grenat. Il l'avait déjà acceptée, mais la magie de Potter lui avait donné une mission, et il avait encore beaucoup à faire pour l'accomplir.
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Weasley avait les mains jointes devant son nez et les yeux fermés sous ses sourcils haussés. Draco tourna la tête vers Potter dont le petit sourire encourageant lui donnait à la fois envie de le frapper et de l'attraper par le col de son uniforme pour l'embrasser. Il prit une lente et profonde inspiration et se réintéressa à l'autre Auror, qui soulevait ses paupières avec une expression morne.
« Permets-moi de résumer… Tu soupçonnes ton père d'avoir apposé un cercle runique – interdit – sur Harry, à un moment indéterminé, qui l'a tué six fois au cours de sept répétitions de la même journée. »
« C'est peu ou prou ce que je viens de dire, oui… » acquiesça Draco, dont l'irritation rendait la voix traînante.
« Et tu le crois, » adressa-t-il comme une accusation à Potter qui haussa les épaules avec désinvolture.
« Ça ne coûte rien de vérifier. »
« Tu as, je ne sais pas, des preuves de ce que tu avances ? » souffla Weasley à l'intention de Draco.
« On peut, si tu le désires, attendre 21H46 que Potter rende l'âme, ou bien aller au Département des Mystères pour leur demander s'ils peuvent gentiment trouver et éliminer les runes, » lâcha-t-il, acerbe. « Weasley, je te livre mon père sur un plateau, ne me dis pas que tu n'es pas ravi. »
« On ne peut pas arrêter quelqu'un sur la base d'accusations de choses qui ne se sont pas encore passées ! »
« Il a le livre dans son bureau ! » protesta-t-il.
« Ce n'est pas une preuve ! »
Draco se leva de sa chaise, excédé, et rejoignit la porte du bureau des deux Aurors d'un pas raide.
« Ron, si les runes sont vraiment sur moi, et si Draco témoigne du fait qu'il sait qu'un tel livre existe chez lui, ça peut justifier une intervention au Manoir. Et s'il est bien caché dans le bureau de Lucius, ça nous permettra au moins de l'interroger, » prononça doucement Potter dans son dos alors qu'il mettait la main sur la poignée.
Weasley eut un profond soupir.
« Il faut que j'en parle à Robards… Allez au Département des Mystères… » murmura-t-il en même temps qu'une chaise grinçait sur le vieux parquet. « Circé, je sentais que cette journée allait être pourrie… »
Après l'avoir vu plusieurs fois au bord de l'effondrement ces derniers jours, Draco hésita à lui faire remarquer qu'ils avaient enfin de quoi la rendre moins douloureuse pour tout le monde.
Mais il avait plus urgent à faire, et il s'engouffra dans le couloir, Potter derrière lui.
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Une fois dans l'ascenseur, Draco croisa les bras pour masquer les tremblements nerveux de ses doigts, mais Potter ne sembla pas dupe et s'adossa au miroir voisin en l'observant avec inquiétude.
« Ça va ? »
« Non, » grinça-t-il entre ses dents serrées.
Son exposé à Weasley lui avait fait réaliser que Potter risquait de vivre sa septième mort de suite et… Le chiffre sept était tellement important en arithmancie, il craignait d'y lire une potentielle rupture de la boucle, d'autant qu'il n'avait pas été présent à la mort de Potter lors de sa dernière occurrence. Et si les Langues-de-plomb ne trouvaient rien ? Il comprenait que ses propres diagnostics n'aient pas relevé la présence des runes, elles étaient passives de nature, mais même les Médicomages n'avaient rien vu.
Il regarda fébrilement sa montre. 16H21. Ils avaient encore un peu de temps. Serait-ce suffisant ?
Draco se tendit en sentant des bras s'enrouler autour de ses épaules et une main tenir sa tête contre la tempe de Potter. Il eut un rire humide qui le fit toussoter.
« Le moment n'est pas bien choisi pour mettre en branle tes fantasmes dans l'ascenseur, » eut-il le malheureux réflexe de dire.
Le Survivant expira un rire sous son oreille.
« Une prochaine fois, » sembla-t-il promettre alors que Draco posait des mains hésitantes sur ses côtes.
« Comment est-ce qu'il a pu apposer des runes sur toi ? Quand est-ce qu'il aurait pu en avoir l'occasion ? » interrogea-t-il dans ses cheveux.
« Je suis resté trois jours à Ste Mangouste l'année dernière… C'est la seule idée qui me vienne… Mais ça voudrait dire qu'il a un ou plusieurs complices dans l'hôpital. »
Draco serra les dents et son estomac vide se contracta douloureusement. La patience et le machiavélisme de Lucius ne le surprenaient pas, mais jamais il n'avait eu aussi peur et honte d'être son fils. Était-ce une vengeance à retardement pour les années à Azkaban dont il avait écopé ? Était-ce le premier acte d'un plan qui nécessitait que le Survivant soit mort ou privé de sa magie ?
« Je suis désolé. Pour mon père. Je veux dire, je savais déjà que c'était un connard. Tout le monde le sait. Mais je ne m'attendais pas à ça… » murmura-t-il d'une voix étranglée.
« C'est moi qui suis désolé. Tu as l'air d'avoir passé une semaine horrible, » répondit doucement Potter en serrant un peu plus ses bras autour de lui.
« Ce n'est pas moi qui meurs tous les jours, » lui fit-il remarquer avec un pathétique petit rire.
« Je l'ai fait en pire compagnie, » répéta l'Auror sans le savoir. Draco émit un son entre un gémissement anxieux et un sanglot.
Il s'écarta légèrement pour céder à l'envie de l'embrasser, et ses doigts se serrèrent dans le lourd tissu pourpre de sa robe. La descente de la cabine ralentit alors que Draco reculait pour voir un demi-sourire taquin sur les lèvres de Harry et une lueur d'amusement dans son regard.
« Je vais me souvenir de celui-là. »
« Qu'est-ce qui te dit qu'il y en a eu d'autres ? »
« L'angle parfait, » confia-t-il en posant un doigt sur l'embranchement de ses lunettes en haut de son nez.
« Merlin », s'esclaffa Draco malgré son angoisse alors que ses bras relâchaient leur étreinte. « Bravo, Auror Potter. »
« D'ailleurs, Expert Malfoy, n'y aurait-il pas quelques livres à planquer chez vous avant une visite surprise du Bureau des Aurors ? »
« Merde ! » siffla Draco en s'accrochant à la rampe qui bordait les miroirs. L'ascenseur sursauta avant son arrêt complet. « Putain ! »
/
21h42
Le genou de Draco tressautait malgré la main qui y était agrippée telle une serre pour l'en empêcher. Près de la cheminée du salon de Grimmauld, Potter feuilletait les inutiles volumes qu'il était allé chercher en catastrophe dans sa chambre, dès que les Langues-de-plomb avaient confirmé avoir localisé et identifié les runes sous la clavicule du Survivant. Après les avoir lâchés sur la table basse, Draco était reparti au Ministère pour les regarder éliminer le cercle d'Extinction subite, puis avait fourni une déposition complète au Directeur Robards. Presque complète. Il avait omis de préciser dans quelle position Potter se trouvait la première fois qu'il s'était écroulé.
21H45
Draco baissa son poignet et tenta de se concentrer sur la lumière des flammes qui léchait la peau mate de la nuque de Harry. Puis sur le mouvement de ses doigts, qui tournaient délicatement les pages d'un grimoire de nécromancie Assyrienne malgré les atrocités qu'il lisait dedans.
« Je voudrais t'informer que je me retiens très très fort de ne pas faire semblant de dramatiquement m'écrouler, et que si je survis, j'espère une récompense, » dit-il soudainement sans quitter des yeux la gravure de monstrueux Inferi.
« Potter, si tu fais ça, je te tue de mes propres mains, » prévint Draco, le corps tendu d'horreur en l'imaginant se foutre de lui de la sorte.
« C'est en partie ce qui me retient, » l'informa le Survivant avant de lever un petit sourire dans sa direction. « L'autre partie étant que ça serait inutilement cruel. Dis… Quand je vois tes bouquins, je me demande pourquoi ce n'est pas plus le bordel dans le monde sorcier… » nota-t-il, et son radical changement de sujet laissa Draco momentanément interdit.
« La plupart des gens ne font pas du mal juste parce qu'ils en sont capables. »
« Certes… » murmura Potter en reportant son attention sur le grimoire pour tourner la page. Draco le regarda, avec étonnement, sourire devant la gravure d'un golem constitué de membres humains. « Quelle heure est-il ? »
21h47
Le souffle coupé, Draco regarda l'aiguille des secondes de sa montre faire son bonhomme de chemin. Un mélange de soulagement et d'épuisement l'envahit alors, et rendit son corps lourd et immatériel à la fois. Entre deux eaux, il releva les yeux vers Potter qui lui souriait calmement, un fond d'affection et de fierté dans le regard.
« Bien joué, » prononça-t-il doucement.
Draco sentit les larmes lui monter aux yeux et un rire lumineux s'échapper de sa gorge. Il ne savait pas si c'était ses mots, son expression sereine, le simple fait qu'il l'ai cru à trois reprises sans jamais montrer une once de doute, ou juste le soulagement, mais il n'eut aucune hésitation. Il contourna la table basse à genoux pour presque se jeter sur Potter, qui le réceptionna en s'esclaffant et laissa son poids l'envoyer sur le tapis.
« J'ai gagné, » murmura-t-il d'un ton narquois contre ses lèvres quelques minutes plus tard.
« J'avais gagné le premier, » rétorqua Draco, à califourchon sur lui.
Car il n'avait nul doute qu'il parlait de qui avait réussi à attendre que l'autre craque, et pas du fait d'avoir une nouvelle fois échappé à la mort.
/
Dimanche 5 juin 2005
Draco ouvrit les yeux et fixa les moulures anciennes d'un plafond inconnu, où un morceau de toile d'araignée se balançait doucement, comme poussé par une légère brise. Il tourna sa tête sur l'oreiller et observa le profil relâché de Potter qui dormait comme un bienheureux, étalé sur le ventre au milieu du lit. Sa bouche était entrouverte et son dos était lentement soulevé par sa profonde respiration.
Les deux violents suçons qu'il avait sur la gorge secouèrent le torse de Draco dans un rire silencieux, et un intense soulagement envahit sa cage thoracique d'une chaleur qui lui donna la chair de poule. L'épuisement physique et psychologique l'avait fait s'écrouler la veille malgré son angoisse de s'endormir, comme si son éveil pouvait jouer sur la boucle temporelle, mais il avait là la preuve qu'elle s'était rompue. Il craignait de cligner des yeux et de la voir disparaître.
Draco se tourna sous les draps et lutta contre la tentation de poser son index sur le bout du nez droit de Potter. Il souhaitait s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un mirage produit par son cerveau épuisé, mais il avait aussi l'envie irrésistible de l'emmerder.
Son mouvement dans le lit dût néanmoins le réveiller, puisque ses paupières papillonnèrent et ses pupilles se rétractèrent en se posant sur lui. Draco le regarda refermer les yeux, tirer une main de sous l'oreiller et se frotter le visage avant de passer ses doigts dans ses cheveux déjà ébouriffés. Ses yeux verts se rouvrirent et un sourire presque narquois étira ses lèvres.
« Bon anniversaire, » lui souhaita-t-il d'une voix rauque.
Le sourire hésitant de Draco s'élargit légèrement. Il se tourna sur le dos pour s'étirer et échapper à son regard, des papillons dans l'estomac et un milliard de répliques stupides sur le bout de la langue.
« Merci, » choisit-il de répondre. Il tourna la tête vers lui et fit pour une fois le choix de la sincérité. Presque. « Il ne commence pas trop mal. »
Harry rit légèrement et se rapprocha pour draper son bras en travers de son torse et nicher son nez contre son épaule. Draco regarda à nouveau le plafond et entoura d'une main le coude qui pesait sur son cœur, l'index et le majeur pressés contre sa peau mate.
Puis il ferma les yeux pour savourer la chaleur du corps blotti contre le sien, la caresse d'un souffle sur sa clavicule, et le battement lent et régulier sous ses doigts.
Bien vivant.
