Résumé du chapitre précédent :

Au cours du mois de Février, Harry appelle Draco à l'aide pour redonner sa forme humaine à Cepheus Quinn, un Langue-de-plomb et Animagus non déclaré tombé dans un piège au Département des Mystères alors qu'il tentait d'illégalement espionner son chef. Draco ne s'en souviendra pas à cause d'un sortilège d'Oubliette lancé sur lui par Harry pour le protéger et protéger l'enquête, mais il apprend que la situation force le bureau des Aurors à employer des méthodes de plus en plus illicites pour coincer Lucius.

Au mois de Mars, Lazare s'invite à un déjeuner dominical chez les Weasley où il est présenté comme étant le petit-ami de Ginny. En reconnectant ce qu'il sait de son collègue, Draco réalise qu'il est fiancé et que ses parents s'attendent à ce qu'il rentre en France une fois ses études terminées.

Une nouvelle fois, merci à StefffPM pour la bêta-lecture !


La maison de Fleamont et Euphemia Potter n'était définitivement pas abandonnée. Son toit sombre, ses murs de vieilles briques, ses colonnes blanches qui supportaient un porche au-dessus de la porte d'entrée, son jardin, tout y était parfaitement entretenu. Debout devant un portail peint de blanc, ils pouvaient entendre des rires d'enfants, et les oiseaux étaient particulièrement bruyants dans ces prémices de printemps.

Deux voitures moldues étaient garées sur un espace de gravier à droite de la maison.

« Je ne comprends pas, » murmura Harry à côté de lui. Il baissa à nouveau les yeux vers l'acte de propriété que son avocat avait trouvé dans ses coffres, et qui les avait poussés à remettre les pieds à Eridge Green malgré leur conversation du mois de Novembre.

« Peut-être… que des enchantements censés la protéger sont tombés avec le temps ? » proposa doucement Draco. « Ou bien elle n'était pas protégée du tout. »

« Mais pourquoi est-ce que… » reprit douloureusement Harry avant de déglutir. « Dumbledore en connaissait forcément l'existence. Mes grands-parents faisaient partie de l'Ordre. Pourquoi est-ce qu'il ne l'a pas scellée ou… Pourquoi est-ce qu'il ne m'en a pas parlé ? Pourquoi est-ce que personne ne m'en a parlé ? » interrogea-t-il en tournant une expression mêlant perte et colère dans sa direction.

Draco n'avait pas de réponse à lui apporter, si ce n'était que Dumbledore n'était pas une aussi bonne personne que ce que le monde croyait. Harry aurait-il été un aussi bon soldat s'il avait eu une maison qui ne soit pas un champ de ruines ?

La porte d'entrée s'ouvrit sur un homme d'une quarantaine d'années qui marqua un temps d'arrêt sur son perron avant d'en descendre les marches. Draco raffermit sa prise sur la main de Harry.

« Peut-être qu'on devrait y aller, » dit-il à voix basse.

Ça avait été difficile de revenir sur ce chemin champêtre où ils avaient brusquement et sans raison apparente perdu Rowan, mais Draco n'avait pas voulu laisser Harry le faire seul. L'effort lui semblait terriblement vain à présent, et il n'avait qu'une envie, qu'ils transplanent chez Andromeda pour échapper à ce qui devait être une terrible déception pour Harry.

« Est-ce que je peux vous aider ? » demanda le moldu avec une amabilité tendue et un bref coup d'œil derrière eux alors qu'il s'approchait du portail.

« Erm, désolé de vous déranger, » émit Harry d'une voix rauque avant d'éclaircir sa gorge. « Nous sommes juste… Je suis né dans cette maison. Je voulais juste la voir. »

« Oh… » lâcha le moldu avec surprise. Il baissa un instant les yeux vers leurs mains jointes avant de les relever vers le visage de Harry, les sourcils légèrement haussés. « Vous êtes… Comment est-ce que vous vous appelez ? »

« Harry Potter, » répondit l'intéressé sans hésitation. « Harry James Potter. »

Contre toute attente, le moldu émit un petit rire avant d'à moitié se tourner vers la maison, une main accrochée au portail. Il les regarda à nouveau, une expression étrangement ravie sur le visage.

« Est-ce que… Désolé, ça va sembler bizarre, mais est-ce que vous pouvez me prouver votre identité ? » demanda-t-il avec embarras.

« Oh, heu, oui, bien sûr, » réagit Harry avant de lâcher la main de Draco pour fouiller la poche de son jean à la recherche du mince portefeuille moldu, qu'il embarquait toujours avec lui lorsqu'il quittait le monde magique. Il en tira une carte d'identité et la tendit à l'homme qui sourit à nouveau. Il l'observa un instant avant de la lui rendre.

« Enchanté, Monsieur Potter, » dit-il chaleureusement en ouvrant le portail. « Vous êtes un homme bien difficile à trouver. »

« Pardon ? »

« Entrez, entrez ! » leur intima l'homme avec énergie. « Fermez derrière vous, Monsieur… »

« Tonks, » répondit Draco avant d'obéir avec hésitation.

« Monsieur Tonks, parfait. Alan Gibson, » se présenta brièvement l'homme qui les précéda sur le chemin de gravier menant au porche. Une femme apparut alors dans l'encadrement de la porte d'entrée et les regarda avancer avec surprise. « Et Claudia, mon épouse. Devine qui voilà ? » fit-il joyeusement en désignant Harry derrière lui d'un grand geste de la main.

La moldue pencha légèrement la tête, les fixa tour à tour, puis s'arrêta sur Harry avec les yeux soudainement écarquillés.

« Harry Potter ? » Demanda-t-elle alors que son mari la rejoignait en haut des marches.

« Du premier coup, bravo ! »

« Oh, vous ressemblez tellement à votre père ! » S'exclama-t-elle avec la main devant la bouche.

Harry s'arrêta subitement de marcher, et Draco ne pouvait pas le blâmer s'il était perplexe ou méfiant, voire un mélange des deux. Il ne comprenait absolument rien de ce qui était en train de se passer.

« Comment est-ce que vous connaissez mon père ? » demanda-t-il d'une voix dangereusement neutre.

« Les photos, » sourit Claudia. « Des photos, partout dans la maison ! James par-ci, James par-là. » rit-elle en les invitant à entrer.

« Et n'oublie pas le portrait ! » intervint Alan dans un gloussement.

Le cœur de Draco s'arrêta et il échangea un regard stupéfait avec Harry. Les yeux de ce dernier se remplirent immédiatement de larmes et son menton se mit à trembler.

« Vous avez un portrait de mon père ? » questionna-t-il faiblement.

Son ton lui serra la gorge d'un mélange de souffrance et d'espoir. Il lui reprit la main et ses doigts furent immédiatement broyés dans une poigne moite.

« Oui, » répondit plus doucement Claudia avec un sourire bienveillant. « Entrez, venez voir. »

/

Alan leur fit traverser la maison et leur expliqua brièvement comment ils en étaient venus à l'habiter. Il travaillait pour le gouvernement local, et on lui avait un jour confié un dossier au sujet d'un bâtiment abandonné, dont les propriétaires étaient introuvables. La maison avait été vandalisée, n'était mentionnée dans aucun registre et n'était visible sur aucun cadastre. Elle semblait avoir été illégalement construite sur un terrain qui n'était détenu par personne et elle était vouée à être détruite.

Mais Alan était tombé amoureux de la maison. Il l'avait fouillée de fond en comble et avait trouvé les noms de Fleamont et Euphemia, celui de James, et celui de Harry. Si certains anciens d'Eridge Green s'étaient souvenus d'un charmant couple âgé et de leur jeune fils faisant leurs courses dans le village, la maison était tellement excentrée que personne n'avait réellement su où ils habitaient ni où ils travaillaient. Alan n'avait pas souhaité voir la maison détruite ou plus tomber en ruine, il avait donc fait des pieds et des mains pour obtenir les permis nécessaires à son existence. Il avait même acheté le terrain qui, puisqu'il n'appartenait à personne, sinon à la localité de Tunbridge Wells par défaut, ne lui avait heureusement pas coûté grand-chose malgré une mise aux enchères.

Chacun de ses passages dans la maison, et cela jusqu'à ce que Claudia et lui en deviennent officiellement propriétaires, avait apporté une nouvelle bribe d'information sur ceux qui y avaient vécu, comme si de nouveaux objets, de nouvelles lettres apparaissaient lorsqu'ils tournaient le dos. La magie des lieux s'était certainement amoindrie avec les années passées sans la présence de sorciers entre ses murs, ce qui avait permis à des éléments précédemment cachés à leurs yeux d'être révélés au fur et à mesure. Alan avait donc découvert des lettres de condoléances adressées à James pour la mort de ses parents ; puis des courriers qui félicitaient James et Lily pour la naissance de Harry ; d'étranges messages qui demandaient au jeune couple s'ils étaient en sécurité. Et enfin, des lettres confuses dans lesquelles Claudia et Alan avaient compris qu'ils étaient morts de façon effroyable.

« Est-ce que… Est-ce que vos parents ont vraiment été assassinés ? » demanda doucement Madame Gibson alors qu'ils s'arrêtaient dans un large salon aérien, à moitié couvert par une verrière qui laissait entrer le frais soleil du mois de mars.

« Oui, » fut la simple réponse grave de Harry qui fixait les murs avec avidité. Beaucoup de tableaux y étaient accrochés, mais aucun portrait.

Les deux moldus échangèrent un regard alarmé. Derrière eux, dans le jardin de l'arrière de la maison, une petite fille jetait les pieds en avant, assise sur une balançoire, et une autre gravissait l'échelle d'un toboggan. Des anneaux montés sur piliers, sans conteste des buts de Quidditch, étaient plantés en bordure de propriété.

« Vous avez été mis sous protection, n'est-ce pas ? » interrogea Alan. « On a trouvé plusieurs Harry Potter, mais aucun ne correspondait, et la police n'a rien pu nous dire sur la mort de vos parents. »

Harry eut un affreux rire étranglé.

« Sous protection, oui, » dit-il, mais seul Draco put en percevoir l'ironie. « Quelque chose comme ça. Est-ce que vous auriez appelé à Little Whinging, dans le Surrey, par hasard ? »

« Euh… Oui, » répondit Claudia, un peu perdue.

Harry hocha la tête, une horrible expression de dérision sur le visage. Il renifla puis poursuivit son observation du salon sans renchérir sur le sujet. Sa famille avait certainement prétendu ne pas connaître de Harry Potter.

Alan se mordit l'intérieur de la joue avant de se secouer. Il se dirigea vers un beau meuble secrétaire dont il souleva le couvercle pour tirer une boîte en carton, qu'il vint ensuite tendre à Harry. Ce dernier lâcha la main de Draco pour l'ouvrir, et ils y trouvèrent une impressionnante collection de photos immobiles.

Harry souleva la première du tas, où sa grand-mère sirotait un thé glacé, assise sur une chaise longue avec un petit garçon qui aurait pu être Harry si ce n'était sa peau et ses yeux plus sombres.

La photo s'agita soudainement. James se mit à se balancer sur les genoux de sa mère en riant, et celle-ci manqua de renverser son verre sur sa tête.

Harry remit précipitamment la photo dans la boîte en s'éclaircissant la gorge. Sa magie avait certainement réactivé la photographie sorcière.

« Est-ce que… je peux les garder ? »

« Bien sûr, » souffla Claudia, surprise par sa question. « Vous pouvez tout prendre et tout garder, évidemment. »

/

La précieuse boîte sous le bras, Draco avait gravi les escaliers derrière les Gibson et Harry jusqu'à rejoindre le troisième étage. Il pouvait certainement comprendre pourquoi Alan n'avait pas voulu voir la maison être détruite. Elle était immense et lumineuse, avec de longs couloirs aux magnifiques parquets anciens et une multitude de portes aux gravures végétales typiquement sorcières. Les couleurs et le bois clair en faisaient une demeure ancestrale bien plus chaleureuse que toutes celles que Draco avait pu visiter dans son enfance, mais il était évident pour lui qu'elle avait été construite par et pour des sorciers.

C'était d'autant plus visible dans la pièce dans laquelle il entra à la suite de Harry. Le croisement entre un observatoire et une bibliothèque donnait sur l'arrière de la propriété, et une partie de la toiture était constituée de vitres glissées dans un cadre circulaire en fer forgé. Un mur arqué était vitré et offrait une magnifique vue sur la campagne et sur les buts de Quidditch. Plusieurs panneaux de verre étaient néanmoins fissurés, et l'un d'entre eux avait même été comblé.

« Impossible de retrouver des vitres courbées comme celles-ci. » l'informa Alan. « Je n'ai aucune idée d'où ils ont pu trouver ça, surtout à l'époque. Ça a dû coûter une fortune. »

La réponse était simple mais impossible à énoncer en sa présence. L'observatoire avait été construit par magie, sur place et sur mesure par des architectes sorciers. Mais oui, cela avait certainement coûté une fortune. De même que la quantité extravagante d'étagères à échelles qui couvraient les autres murs. Elles étaient néanmoins quasiment vides. Seuls les plus bas rayons étaient remplis d'un mélange de bandes dessinées et de romans moldus.

« Le portrait est par là, » intervint Claudia en montrant le mur opposé à l'observatoire.

Harry se déplaça rapidement vers l'endroit désigné, Draco sur ses talons. Ils s'arrêtèrent côte à côte et fixèrent les visages souriants de James Potter et de Sirius Black.

Harry s'accrocha à son poignet et sembla tanguer sur place. Les portraits ne bougeaient pas. Ils étaient en présence de moldus et la toile avait peut-être perdu de sa magie après des années d'abandon de la maison mais… Quelque chose souffla à Draco que le tableau n'était pas magique. Les portraits ensorcelés n'étaient jamais aussi immobiles.

Il serra les dents et cessa presque de respirer, son cœur anticipant l'inévitable déception de Harry. Face à eux, son clone leur souriait avec bonheur, sa joie et celle de son meilleur ami presque anachronique dans le style classique de la peinture.

« Vous ressemblez un peu à Sirius, Monsieur Tonks, » nota pensivement Alan en les rejoignant. Il pencha la tête pour le regarder avant de fixer à nouveau les portraits. « Vous avez les mêmes yeux. »

« C'est mon cousin, » dit-il d'une voix éraillée alors qu'il soutenait le regard perçant de Sirius qui, l'avant-bras posé sur l'épaule de James, avait le visage figé dans une éclatante expression d'allégresse.

Merlin, c'était affreux à regarder.

« Oh, vraiment ? » souffla Claudia derrière eux, stupéfaite. « Ils étaient très amis, tous les deux. On les a trouvés ensemble sur plein de photos, et parfois avec d'autres personnes mais dont nous n'avons pas réussi à trouver les noms. Est-ce qu'il est… »

« Il est mort lui-aussi, » répondit Harry à la question silencieuse.

« Oh, je suis désolée… » murmura Madame Gibson. Après un instant de silence, elle ajouta : « Ils doivent être heureux de savoir que vous êtes aussi… proches. »

La poigne de Harry sur son avant-bras s'intensifia. Draco voulait lui rendre son contact et lui offrir le réconfort dont il avait certainement besoin à cet instant, mais l'étau de ses doigts l'en empêchait. Il avait envie de l'attraper et de fuir. Ça avait été une terrible idée de revenir ici.

« C'est Sirius Black, n'est-ce pas ? » demanda alors Alan, et Draco lâcha le portrait des yeux pour s'attarder sur la gravure dorée en bas du cadre.

James et Sirius
Eté 1976

« Dans les lettres, il est fait mention d'une trahison d'un certain Sirius Black, et ce n'est pas un prénom très commun… Et… » Alan toussota avec gêne. « Il a été recherché par la police à une époque, non ? Je n'ai jamais pu trouver s'il avait été arrêté, mais j'avoue ne pas avoir osé faire trop de recherches sur le sujet… »

« Ce n'était pas lui. C'était Peter, » déclara Harry sans lâcher la toile des yeux.

« Peter ? » répéta Claudia avec surprise.

Harry sembla soudain sortir d'une transe. Il lâcha Draco et traversa l'espace qui les séparait du tableau pour le décrocher du mur. Malgré sa taille imposante, il le tint contre lui quelques instants avant de se tourner vers eux avec une expression déterminée.

« Je voudrais vous acheter la maison. » déclara-t-il.

Les Gibson le fixèrent avec d'identiques regards stupéfaits avant de se regarder l'un l'autre.

« Je… » commença Alan. « C'est que… Nous sommes vraiment très bien ici. »

« Ce n'est pas du tout dans notre intention de la vendre, Monsieur Potter, » ajouta Claudia.

« Je comprends. Mais je veux vous l'acheter, » insista Harry. « Donnez-moi un prix, n'importe lequel. »

D'abord décontenancé par l'attitude de Harry et par une décision qui lui semblait extrêmement impulsive, Draco n'eut néanmoins pas à fournir beaucoup d'efforts pour se mettre à sa place. Harry avait de l'argent. Beaucoup d'argent dont il ne savait que faire. Il était dans une maison qui lui appartenait déjà de droit, avec un acte de propriété magique plié dans la poche de son jean. Il pouvait, en parlant aux bonnes personnes au Ministère, récupérer son bien et laisser cette famille de moldus sur le carreau après tous les investissements qu'ils avaient dû faire pour le remettre en état. L'acheter allait être une solution très onéreuse pour l'obtenir, mais c'était certainement celle qui lui semblait la plus juste.

« Vous n'êtes pas en sécurité, ici, » dit alors Draco, ce qui attira le regard alarmé des Gibson. Et il se sentit coupable de prononcer les mots suivants, mais ils étaient vrais. « Certaines personnes ayant participé à l'assassinat des parents de Harry sont toujours en liberté. Ce sont certainement eux qui ont vandalisé la maison en les cherchant. Les chances qu'ils reviennent ici après autant de temps sont faibles, mais elles ne sont pas nulles. »

Harry le fixa d'un regard qu'il ne sut pas interpréter, puis se tourna à nouveau vers les deux moldus en ajustant le portrait qui semblait peser malgré sa musculature.

« Faites estimer la maison, » demanda-t-il. « Je vous en donne le double. »

/

« Merlin, Draco, j'essayais de ne pas leur faire peur, » chuchota Harry d'une voix serrée alors qu'ils redescendaient les escaliers.

« Désolé… » murmura-t-il en réponse, les bras crispés autour d'un gros carton de lettres et de photos supplémentaires, dans lequel il avait calé la plus petite boîte.

Une fois dans le long et large vestibule qui desservait le rez-de-chaussée, Harry posa le portrait de son père et de son parrain sur le carrelage en damier et l'appuya face cachée contre le mur.

« Heu, il y avait aussi… Dans le jardin… » hésita Claudia. Elle semblait complètement déboussolée depuis que Harry lui avait demandé de lui vendre sa maison à n'importe quel prix.

« Oui. Oui, oui... » répéta Alan qui ne paraissait pas être dans un meilleur état. « Les balais. Votre père… Faisait collection de balais. Etrange, n'est-ce pas ? » émit-il avec un rire forcé. « Il y en a au moins une dizaine dans l'abri de jardin et… Je veux dire… Je peux comprendre ? Il y en a qui sont très beaux. »

« Il se faisait prendre en photo avec, » ajouta Claudia, partagée entre amusement et perplexité. « Et l'équipement. Avec les monogrammes ? Est-ce que… Vous savez s'il faisait une sorte de sport ? On plaisantait en se disant qu'il faisait des compétitions de ménage mais… Ça ne doit pas… être ça… » termina-t-elle. Elle sembla réaliser qu'elle était en train de se moquer d'un mort devant son fils et perdit son sourire.

« De l'escrime. À l'ancienne, » répondit rapidement Draco. « Ce sont des armures légères. » dit-il en pensant à l'équipement qu'il avait vu sur les photos de James dans l'un des albums de Harry chez Andromeda. « Les balais sont des trophées. »

« Oh… » lâcha Madame Gibson avec les sourcils haussés.

« Vous pouvez les garder. Pour l'instant, » déclara Harry avant de se reprendre. « Si ça ne vous dérange pas ? »

« Non, non, pas du tout. Vous devriez probablement revenir avec une camionnette. Il y a aussi beaucoup de vêtements, si vous souhaitiez les récupérer. »

« Et les bijoux ! » s'exclama soudainement Claudia. « Mon Dieu, Alan, on a failli oublier les bijoux ! »

Merlin, ces moldus étaient trop honnêtes pour leur propre bien.

« Où est-ce qu'ils sont déjà ? »

« Est-ce que vous pouvez les garder aussi, pour le moment, s'il-vous-plaît ? » demanda Harry qui paraissait exténué. « Auriez-vous de quoi écrire ? »

Claudia leva légèrement les mains, bizarrement paniquée par sa question, avant de se tourner vers une belle console de bois sculpté pour en ouvrir le tiroir. Et heureusement que Draco avait les doigts pris par son énorme carton, sinon il aurait bêtement sorti une plume et un parchemin de la poche de son manteau.

« Tenez, » dit la moldue en lui tendant un stylo et un étrange cube jaune.

Harry les accepta et s'appuya sur la console pour commencer à écrire.

« Monsieur Potter, hmm… » commença Alan, les mains serrées l'une dans l'autre avec anxiété. « Je ne veux pas paraître malhonnête mais… L'estimation de la maison… Elle est sans doute extrêmement chère. Je doute que… Je veux dire, vous êtes jeune, comment est-ce que vous pourriez avoir autant d'argent ? »

Harry ne répondit pas immédiatement. Il écrivit rapidement sur le bloc et en arracha un carré de papier jaune qu'il tendit à Claudia.

« Ce sont les coordonnées de mon avocat. C'est aussi lui qui gère mes finances. Et je suis riche parce que toute ma famille est morte, Monsieur Gibson. » dit-il sans véhémence, mais ses propos provoquèrent néanmoins un tic nerveux sur le visage de son interlocuteur. « Merci d'avoir protégé la maison, » ajouta-t-il doucement. « Merci de m'avoir cherché. Et merci d'avoir gardé tout ça pour moi. »

« C'est normal… » murmura l'homme.

« Non. La plupart des gens aurait bazardé tout ça en espérant qu'aucun Potter ne remette les pieds ici, » insista-t-il en désignant le tableau et le carton que Draco portait. « Tout ce que vous avez gardé…Vous n'avez aucune idée de ça représente pour moi, » ajouta-t-il avec les larmes aux yeux. Il posa une main tremblante sur le cadre doré. « Et je suis désolé d'essayer de vous déloger après tout ce que vous avez fait, mais je… » Il carra les épaules mais des larmes s'échappèrent de ses yeux alors qu'il baissait les paupières. Draco prit une inspiration difficile, le cœur dans la gorge. Oh Harry… « Tout ce qui me reste de ma famille est de l'argent et quelques photos et j'ai… J'ai besoin de la maison. S'il-vous-plaît, » demanda-t-il d'une voix tremblante avant de déglutir.

Alan et Claudia échangèrent un regard larmoyant, mais Draco se concentra sur Harry qui retirait ses lunettes pour essuyer ses yeux. Malgré sa carrure et son stoïcisme habituel, il avait soudainement l'apparence de l'enfant traumatisé et perdu qu'il était. Draco posa la grosse boîte de photographies et le serra contre lui. Il sentit ses propres larmes rouler sur ses joues.

« Ça va, » renifla Harry avec un rire étranglé contre sa clavicule.

Il remit ses lunettes lorsqu'ils s'écartèrent l'un de l'autre, puis il expira avec force comme pour tenter d'évacuer son émotivité par son souffle.

« On va… en discuter posément tous les deux, » dit Alan alors que son épouse hochait la tête et reniflait en essuyant ses yeux. « Est-ce que vous auriez un numéro auquel vous joindre ? »

« Appelez Lysander si vous voulez me contacter, » répondit Harry après s'être éclaircit la gorge. Il désigna le carré jaune que Claudia tenait toujours. « Je… La police me déconseille de donner mes informations personnelles, désolé, » mentit-il avec un coup d'œil en direction de Draco, comme s'il s'attendait à ce qu'il se moque de lui.

Mais Draco était intérieurement fier.

/

Le portrait à nouveau serré contre son torse, Harry descendit les marches du perron devant lui. Puis, après quelques dernières salutations polies, Alan et Claudia refermèrent le portail derrière eux et s'attardèrent contre la barrière pour les regarder partir.

Draco raffermit sa prise sur le carton qui pesait autant que Teddy et expira un soupir épuisé en marchant sur la route de campagne qui traversait les pâtures clôturées. A côté de lui, Harry rivait son regard humide vers l'avant. Son pas était raide et rapide, ses épaules étaient tendues sous son blouson et ses bras étaient crispés autour du cadre doré.

Draco le quitta des yeux pour fixer le chemin, incapable de le regarder plus longtemps. La boule dans sa gorge le força à déglutir, mais son geste n'empêcha pas sa vue de se brouiller. Les émotions de Harry semblaient s'échapper de lui en lourdes vagues de souffrance qui lui brûlaient le nez et les yeux et pesaient sur les épaules déjà malmenées de Draco.

L'endroit où il s'était écroulé au mois d'août approchait dangereusement. Il s'arrêta, le souffle court, et regarda derrière lui avec anxiété.

« Ils ne sont plus à la barrière, » informa-t-il Harry d'une voix éraillée. Il se tourna à nouveau pour voir qu'il avait lui-aussi cessé de marcher, le visage tendu comme pour contenir la tristesse néanmoins bien visible derrière ses lunettes. « Je t'emmène, » décida-t-il. Il était hors de question de le faire transplaner de lui-même dans cet état.

L'absence de protestation de la part de Harry était un indice supplémentaire de son mal-être. Il resta silencieux le temps qu'il fallut à Draco pour poser le carton contre sa jambe et tirer sa baguette de sa manche, et il évita son regard lorsqu'il tendit la main vers ses poignets croisés au dos de la toile.

Draco ferma les yeux, les doigts posés sur sa peau crépitante d'une magie mal contenue, et focalisa son attention sur la maison d'Andromeda. Une fois devant leur portail, il fallut de longues secondes à Harry pour le regarder, et ce fut avec surprise qu'il lut de la culpabilité dans son expression.

« Est-ce que tu sens de la magie dans le tableau ? » demanda-t-il d'une voix faible qui lui serra un peu plus le cœur.

Draco lâcha ses poignets et rangea sa baguette pour frôler le dos de la toile de ses doigts sensibles. Il pinça les lèvres, déglutit à nouveau, puis secoua la tête.

Harry posa son front sur le haut du cadre et ses épaules tremblèrent alors que l'espoir de pouvoir parler à son père et à son parrain le désertait.

Dévasté pour lui, Draco lui toucha les bras mais ne chercha pas à le défaire du tableau qu'il étreignait. Merlin qu'il regrettait de ne pas l'avoir empêché de retourner à Eridge Green. Quelques photos et des balais ne valaient pas le coup d'avoir à nouveau le cœur piétiné ainsi. La demeure tout entière ne valait pas le coup.

« Je suis désolé, » sanglota inexplicablement Harry sans relever la tête. « Je suis désolé, je… je t'ai dit que je n'avais pas besoin d'y retourner, mais je- »

« Merlin, Harry, pourquoi est-ce que tu t'excuses pour ça ? » s'étrangla Draco en raffermissant sa prise sur ses bras. « La maison t'appartient, bien sûr qu'il fallait aller voir… C'est moi qui suis désolé pour le tableau. C'est affreux, d'avoir espéré et de… »

Draco se mordit les lèvres comme si cela pouvait empêcher son menton de trembler. Harry eut un terrible rire humide, un son qui dut lui râper la gorge autant qu'il fit souffrir ses oreilles et son cœur. Il inclina la tête pour la poser au sommet de son crâne et enveloppa sa nuque brûlante de ses mains. Le portrait le gênait pour l'enlacer comme il le voulait et il était affreusement tenté de l'attraper pour l'envoyer brûler au loin, mais il n'interrompit pas sa morbide étreinte à une peinture sans vie, même si elle ne lui apportait rien d'autre que de la douleur.

« Je suis désolé... » murmura-t-il contre ses cheveux. « J'aurais dû y aller tout seul, ou… »

Il n'arrivait pas à imaginer ce qu'il aurait pu faire pour empêcher cette terrible épreuve. Persuader Harry de ne visiter la maison qu'en l'absence des moldus ? S'arranger avec Maxwell pour qu'il se charge d'explorer, sans offrir de faux espoirs à Harry ?

« Qu'est-ce que ça aurait changé ? » demanda ce dernier.

« Rien… » admit-il. Ils n'avaient pas encore mis le pied dans la maison que le portrait avait été mentionné. Mais avant de parler aux Gibson, avant même qu'ils ne les aperçoivent devant chez eux, peut-être aurait-il pu dire ou faire quelque chose. N'importe quoi.

Harry eut un long soupir puis renifla et s'écarta légèrement de lui. Draco le regarda poser le tableau sur le carton puis s'essuyer le visage avec un sourire vaillant qui lui fit plus de mal qu'il ne le rassura.

« Ça aurait été terrible pour Teddy, si leurs portraits avaient été magiques. » nota-t-il après s'être éclaircit la gorge. Les traits de Draco se tordirent sous la souffrance que son empathie provoqua chez lui, et il les cacha derrière une main pour prétendre se frotter les yeux. « Imagine, mon père, Sirius, mais pas Remus ? Ça aurait été horrible. »

Draco baissa le bras et le fixa à travers ses larmes avant de forcer un sourire sur ses lèvres.

« C'est vrai... » acquiesça-t-il.

Harry renifla à nouveau puis baissa les yeux vers l'image de James et Sirius qui souriaient en direction du ciel. Il lui attrapa la main avec un soupir qui affaissa ses épaules, et serra fermement ses doigts.

« Merci d'être venu avec moi. »

Draco accentua la pression autour de ses phalanges, incapable de répondre.

« Et pour la maison, je… J'imagine que ça doit te paraître bizarre mais- »

« Tu n'as pas à te justifier auprès de moi, » l'interrompit-il d'une voix rauque. « C'est déjà ta maison. Tu n'as même pas besoin de l'acheter, techniquement. »

« Je ne veux pas vivre dedans, c'est juste… »

« Harry… » souffla Draco en lâchant le portrait du regard pour tourner les yeux vers lui. « C'est la maison ancestrale des Potter. Elle est à toi et tu en fais ce que tu veux. Personne ne va t'en vouloir de l'acheter, et personne n'en a le droit. »

« Je doute qu'Andromeda accepte d'y déménager… » murmura Harry, son regard rougi tourné vers les murs qui les abritaient tous les deux depuis cinq ans.

« J'en doute aussi… »

Sa tante avait tous ses souvenirs les plus précieux ici. Une vie construite, détruite, puis reconstruite au même endroit. Chaque pièce devait lui rappeler quelque chose, chaque coup sur un meuble, chaque trace sur la tapisserie, chaque grincement de marche… Tant d'infimes détails que lui ne voyait pas mais qui devaient appeler dans sa mémoire des instants vécus avec Ted et Nymphadora. Draco ne l'imaginait pas accepter de partir. Et il ne s'imaginait pas partir où que ce soit sans elle.

« Mais tu n'es pas obligé de faire quelque chose de la maison, » raisonna-t-il.

« Ce n'est pas un peu étrange ? » interrogea Harry avec hésitation.

« Non. Tu as le droit d'avoir des choses qui ne servent à rien. Même si c'est une maison et surtout si c'est celle de ta famille. Mais si tu veux en faire quelque chose, on pourrait… Y aller de temps en temps pour jouer au Quidditch, y passer des jours de repos, des vacances avec Teddy… Mais on n'est pas obligés d'y habiter. »

Harry l'étudia un instant avant de lentement hocher la tête avec un sourire étroit.

« Je n'arrive pas à croire qu'ils aient conservé autant de choses. »

« Moi non plus... » avoua Draco. Il était sidéré par la volonté des Gibson de connaître l'histoire de la demeure et par la quantité de choses qu'ils avaient gardé de côté dans l'espoir d'un jour pouvoir les rendre à Harry. « Est-ce que tous les moldus sont comme ça ? » s'étonna-t-il.

Aliyah était la première à qui il ait réellement parlé. Cela faisait longtemps qu'il avait intégré que tout ce qu'on lui avait appris sur ses congénères sans magie étaient des mensonges, mais son manque d'expérience en dehors de la communauté sorcière jouait encore grandement sur ses a priori. Était-il possible qu'ils soient tous aussi… bons ?

« Non, » répondit Harry sans aucune hésitation. Le visage de Draco se tendit à nouveau. Quelle était cette réflexion stupide qu'il venait de faire ? Bien sûr que certains moldus étaient horribles. « Un jour il faudra que je te parle de mon oncle et de ma tante, » poursuivit-il avec un mince sourire.

Les dents serrées, Draco hocha doucement la tête avec un regard qu'il espérait encourageant.

/

Ce fut comme souvent Teddy qui effaça, sans le savoir, les vestiges de la douleur dans le regard de Harry. Son sourire alors qu'il triait les photographies sorcières avec eux était un baume sur leurs cœurs meurtris.

« Là ! » s'exclama-t-il en brandissant une image de son père avant d'en tirer une autre du paquet devant lui. « Encore une ! » s'extasia-t-il.

Son corps vibrait d'énergie et ne semblait pas savoir quoi faire de sa métamorphomagie. Ses cheveux frémissaient en changeant de texture, leur couleur ondoyait comme un ruisseau arc-en-ciel, et Draco ne pouvait pas voir ses yeux, mais il imaginait qu'ils clignotaient.

Il attrapa la photo que son cousin lui tendait à l'aveuglette, et sourit en voyant Remus assis au pied d'un gigantesque sapin dans le salon des Potter. Il ouvrait un cadeau avec un air suspicieux dirigé vers Sirius, qui riait sous cape. Draco la posa sur le tas qui augmentait rapidement à côté de lui sur le canapé, et échangea un regard amusé avec Harry qui lui en donna une autre. Remus y tentait de se cacher derrière Lily, ce qui était absolument ridicule considérant leur différence de taille.

Depuis son fauteuil en face d'eux, Andromeda observait son petit-fils avec des yeux voilés de larmes. Draco sourit étroitement de son expression émue et eut un reniflement discret en récupérant une énième photo. Il ne put s'empêcher de pouffer de rire en la regardant.

Sirius dormait avec la bouche ouverte sur un canapé, James tressait maladroitement ses longs cheveux sombres, et Remus y coinçait des filaments dorés qu'il avait dû tirer des décorations de Noël de la maison. Leur amitié semblait avoir été exceptionnelle. Et elle rendait leur histoire d'autant plus tragique.

Il posa l'image à côté de lui, les côtes comprimées par une joie douce-amère, puis s'attarda sur le sourire triste de Harry qui était occupé à son propre tri. Il y avait peu de photographies de Pettigrew dans le carton confié par les Gibson, mais son visage se figeait et son regard durcissait à chaque fois qu'il tombait sur l'une d'elle. Ce n'était sans doute que la présence de Teddy qui l'empêchait de les détruire sitôt qu'il mettait la main dessus.

« Tu veux que je le fasse ? » lui demanda-t-il à voix basse avec la main sur son épaule.

Harry lui jeta un coup d'œil puis pinça les lèvres en fixant à nouveau le tas qu'il avait devant lui.

« Oui. Merci… » murmura-t-il. Il s'aida de la table pour se redresser, et ils changèrent de place, Draco à côté de Teddy et Harry dans le canapé pour réceptionner ses trouvailles.

Regarder ces instants heureux était étrange, pour lui qui n'avait aucun lien avec leurs protagonistes. Il y avait surtout des photographies des Potter, de leurs amis proches, de James en train de grandir. Il avait donné à Harry la quasi-totalité de son physique et de ses expressions. Draco reconnut même son air bougon et sa moue sardonique. C'était douloureux mais réconfortant de voir à quel point il avait été aimé. Ses derniers instants étaient terribles, mais au moins sa courte vie avait été heureuse.

Outre les Potter, c'était Sirius qui apparaissait le plus souvent à ses côtés, avec ses yeux clairs qui pétillaient de malice et son sourire enfantin. Puis Remus, avec son visage déjà abîmé par ses propres griffes et ses airs tantôt timides, tantôt moqueurs. Puis Peter.

Il paraissait tellement… normal. Un jeune homme qui s'amusait avec ses amis. Rien dans les photos où il se trouvait ne laissait apercevoir sa future trahison. Quelque chose s'était passé, et ils ne sauraient jamais quoi.

« Je ne vais plus avoir de place sur mes murs ! » rit Teddy à côté de lui.

« Il va sans doute falloir faire une sélection, » acquiesça Andy en essuyant discrètement ses yeux. « Est-ce qu'il y en a une où ils sont tous les quatre ? On pourrait la faire agrandir pour l'accrocher ici. » proposa-t-elle en balayant les murs du salon du regard. « Où est-ce que tu voudrais mettre le portrait ? » dirigea-t-elle ensuite vers Harry.

« Vous pourriez le mettre dans votre chambre ? » proposa son cousin.

Draco se figea en posant une photographie de James et Lily, assis timidement l'un à côté de l'autre sur la terrasse de la maison d'Eridge Green. Tout l'amour qu'il avait pour Harry ne suffirait pas pour supporter le regard de son beau-père et de son cousin sur lui dans leur lit.

« Erm, non, pas dans la chambre, » répondit Harry avec un rire dans la voix.

« Pourquoi pas ? »

« Les adultes n'aiment pas trop avoir des portraits là où ils dorment, » tenta d'expliquer Andromeda, clairement amusée.

« Pourquoi ? »

« Ça m'empêcherait de dormir, d'avoir quelqu'un qui me regarde, » essaya Draco.

Teddy tourna ses yeux d'ambre vers lui avec une expression circonspecte, mais sembla accepter son argument.

« Moi ça ne me dérange pas, » déclara-t-il avec un haussement d'épaules.

« Tant mieux, parce que tu as environ un milliard de regards à accrocher autour de ton lit. »

« Dis comme ça, c'est vraiment effrayant, » s'amusa Harry.

« Avec un milliard de regards de loup autour de moi, il ne peut rien m'arriver ! » clama Teddy avec fierté.

Draco rit légèrement et poursuivit son tri. Le choc passé et la déception digérée, peut-être que retourner à Eridge Green n'avait pas été une si mauvaise idée, finalement. La joie de son cousin en valait certainement la chandelle.

/

Son planning et quelques œuvres de Teddy disparurent du champ de vision de Draco lorsqu'il ferma les yeux. Il s'appuya contre le dossier de sa chaise et, le visage tourné vers le plafond, murmura l'enchantement d'accompagnement de repousse du nerf infra-orbitaire. Il s'y reprit à trois fois pour cesser de buter sur le dernier chant, puis appuya son coude sur son bureau. Les doigts enfouis dans ses cheveux pour soutenir sa tête, il reprit sa plume et agrémenta ses notes de cours des éléments pertinents qu'il trouvait dans son manuel de reconstruction anatomique.

Il était complètement avachi sur ses parchemins, le nez à quelques centimètres de la pointe de sa plume, lorsque la porte de la chambre s'ouvrit dans son dos. Il sursauta et se redressa pour regarder derrière lui, mais ses muscles raides le firent grimacer.

Il se tourna sur sa chaise pour voir Harry doucement refermer la porte de la chambre. Ses sourcils froncés l'interpellèrent.

« Hey, tout va bien ? » lui demanda-t-il en levant la main pour masser sa nuque douloureuse.

« Pas de bobo, » répondit Harry avec un léger sourire qui détendit son expression. « Tu peux me dire ce que tu fiches ? Il est trois heures du matin. »

« Erm, j'essaye de mémoriser les enchantements permettant de faire passer les repousses nerveuses par les bons foramens, » toussota Draco en jetant un coup d'œil à sa montre. Il n'avait pas réalisé l'heure tardive. « Et toi ? » Contra-t-il avec une expression sournoise.

« J'espérais me glisser discrètement dans un lit chaud, » railla Harry en dégrafant sa robe pourpre.

« Je peux lancer un sort aux draps pour les réchauffer si tu veux. »

Draco fit mine de retourner à ses révisions pour ponctuer sa plaisanterie, mais en voyant son écriture des dernières minutes sur son parchemin, il lui sembla évident qu'il était grand-temps de faire une pause.

« Viens te coucher, gros malin... » soupira Harry avec amusement.

« J'arrive, j'arrive… »

Harry jeta son uniforme sur leur unique fauteuil et quitta la chambre pour prendre une douche. Draco en profita pour remettre ses dernières notes au propre et pour préparer ses affaires du lendemain, puis il le rejoignit dans la salle de bain pour se brosser les dents.

La fatigue et les heures passées immobile à son bureau se faisaient ressentir. Mais plutôt que d'être accablé, il débordait d'une énergie nerveuse qui ne demandait qu'à sortir. La bouche pleine de dentifrice, il offrit à Harry les plus belles mimiques qu'il réservait habituellement à Teddy dans le miroir, et s'enorgueillit de le voir s'étrangler autour d'un rire.

Harry se vengea en lui enfonçant un doigt entre les côtes, et Draco se tordit par réflexe en ravalant un cri d'outrage au goût de verveine.

« Enfoiré ! » murmura-t-il difficilement autour de la mousse qu'il avait dans la bouche.

Harry ricana et haussa plusieurs fois les sourcils sans cesser de frotter ses dents. Il était hors de question pour Draco de rester sur une défaite. Il prit donc tout son temps devant le lavabo pour lui en bloquer l'accès, mais son conjoint n'était guère patient et lui chatouilla la taille pour le forcer à bouger.

Incapable de contrôler ses gestes, Draco se contorsionna pour lui échapper tout en essayant de maintenir son rire au niveau le plus bas possible. Harry en profita pour s'installer devant le miroir pour rincer sa bouche et sa brosse à dents. Il soutint alors son regard dans leur reflet, les yeux étrécis en tentant de résister à l'assaut des doigts légers de Draco sur ses reins et le long de sa colonne vertébrale.

Son expression dangereuse et les frémissements de ses membres le firent glousser, et son rire s'intensifia lorsque Harry lui attrapa les poignets pour le coller contre le carrelage froid.

« Mais tu as quel âge ? » interrogea-t-il alors que son air sérieux se craquelait pour révéler son amusement.

« Oh rassure-toi, j'ai tout à fait l'âge requis, » le provoqua Draco en haussant les sourcils avec suggestion.

Harry s'esclaffa et ouvrit la bouche pour répondre, mais un éclaircissement de gorge provenant de la chambre voisine, celle d'Andromeda, leur fit écarquiller les yeux. Ils se mordirent les lèvres avec des rires contenus.

Après une migration rapide et discrète de l'autre côté du couloir, Harry appliqua un sort de silence autour d'eux en coinçant Draco contre leur porte. Celui-ci s'attaqua à sa bouche, agrippé à sa nuque et à son visage alors que des mains venaient empoigner ses fesses.

« Est-ce bien raisonna- » tenta Harry malgré ses explicites intentions.

« Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de mon mari ? » demanda dramatiquement Draco, qui lui attrapa les épaules pour le faire reculer jusqu'au lit.

Partagé entre humour, désir et surprise, Harry s'assit en riant puis l'entraîna avec lui dans sa chute sur le matelas. Ses doigts crépitants de magie s'insinuèrent sous la chemise de son pyjama et vinrent couvrir la peau de son dos de chair de poule. Installé sur son bassin, Draco frémit puis prit appui sur ses coudes pour mettre leurs visages au même niveau.

« Tu commences tôt demain, » lui fit remarquer Harry.

« Toi aussi, » réalisa-t-il, son planning affiché dans la cuisine à l'esprit. Et il devait de toute façon se lever aux aurores pour prononcer la formule de transformation en Animagus, s'il n'était pas déjà arrivé au bout du processus. La boîte dans laquelle il lui avait dit avoir caché la potion était toujours au fond de l'armoire et la curiosité le rongeait, mais il savait qu'il n'obtiendrait pas de réponse à ses questions. « Tu veux dormir ? »

Harry fit mine de réfléchir, mais ses légers mouvements de hanches sous ses fesses le trahirent. Draco se remit à rire malgré sa culpabilité de prolonger son éveil. Ses horaires actuels étaient atroces et le Médicomage en lui criait de le laisser se reposer, mais il craignait aussi de devoir attendre un moment avant de l'avoir à nouveau juste pour lui.

« Le premier qui fait jouir l'autre a gagné, » le challengea-t-il alors.

Le regard espiègle de Harry le fit rire de plus belle, et il ne fut pas surpris de se retrouver subitement sur le dos et couvert de baisers alors que des mains fébriles baissaient son pantalon.

Draco était bien décidé à être un adversaire à sa hauteur, mais aux éclairs de plaisir qui le traversèrent en sentant sa magie fourmiller en lui, il sut très vite qu'il allait perdre.

/

Après trois intenses heures de cours depuis le déjeuner, Draco étendit les bras sur son bureau et baissa la tête jusqu'à pouvoir poser son front sur ses parchemins. Un râle fatigué dépassa ses lèvres.

« Qu'est-ce que tu as ? » lui demanda Hannah d'un ton amusé depuis sa place au bureau voisin.

« J'en ai marre. Je veux rentrer chez moi, » marmonna-t-il contre ses cours.

« Il n'est que quinze heures, Tonks, c'est loin d'être terminé pour toi, » s'amusa Corner, installé un rang devant lui.

« Urrrgh… » émit-il. Hannah pouffa discrètement.

« On ira prendre l'air à la prochaine pause, ça te réveillera, » proposa-t-elle.

« Et pendant ce temps-là, moi je vais me diriger en sifflotant vers les vestiaires, » se moqua Michael, qui terminait plus tôt qu'eux. « Puis rentrer chez moi pour bosser ces foutues listes interminables d'interactions entre potions et m'arracher les cheveux. »

« Tu vas finir chauve, » l'alerta Lazare d'un ton transpirant l'ennui depuis sa place à côté de l'ancien Serdaigle.

« Il faudrait vraiment être con pour finir chauve avec la quantité de potions capillaires qui existe, » fit remarquer Michael.

« Je vais aux toilettes, » déclara Hannah en se levant. Sa chaise grinça sur le vieux parquet du sous-sol de Ste-Mangouste.

« Encore ? » s'amusa Corner.

« Hey, tu peux parler. Tu as probablement la plus petite vessie de l'hôpital, » rit Hannah dont la voix s'éloignait.

« C'est que je suis bien hydraté. Il paraît que c'est important mais je ne sais plus où j'ai lu ça. »

« Chimie d'un corps sorcier sain, volume un, chapitre quatre, » répondit Draco entre ses bras.

« Hmm, on te croira sur parole, exceptionnellement, » lâcha Corner avec un bref rire surpris.

« Tu captes quelque chose, ici ? » interrogea Lazare.

« Que dalle. Mais j'ai une barre au coin ouest du quatrième étage. »

« Tu veux parler des toilettes ? Je comprends mieux pourquoi tu vas sans arrêt pisser, » ricana Lazare à la réponse de Michael. « A quoi tu joues ? »

« Au Snake. »

La curiosité de Draco l'emporta sur sa fatigue, et il posa un coude sur son bureau pour se redresser et appuyer son menton sur sa paume. Devant lui, Corner était avachi sur sa chaise alors que Lazare était penché en avant, le dos courbé. Tous les deux tenaient leur téléphone portable. Draco roula des yeux et souleva son autre main pour se frotter les paupières.

« Bordel de merde à cul, » jura Michael en baissant les bras avec un soupir. « Jeu de merde. »

« Oui, c'est le jeu qui est nul, certainement pas toi, » railla Lazare.

« Tiens Tonks, rien qu'au nom, c'est un jeu pour toi, » s'amusa l'ancien Serdaigle, qui se tourna sur sa chaise pour lui tendre son téléphone.

« Profites-en pour lire les messages cochons qu'il envoie à Aliyah depuis les toilettes du quatrième étage. »

« Non merci, bonjour le trauma… » souffla Draco avec amusement en attrapant l'objet. « Comment on joue ? » demanda-t-il, un regard méfiant baissé sur les boutons numérotés.

« Utilise les flèches pour diriger le serpent. Mange les points qui apparaissent. Le tout sans toucher ta propre queue, si ce n'est pas trop difficile pour toi. »

Lazare eut un rire fort peu digne qui secoua tout son dos et Draco ne put s'empêcher de ricaner lui aussi.

« Je comprends mieux pourquoi tu es nul à ce jeu, du coup, » plaisanta-t-il.

Michael esquissa un sourire récalcitrant et leva son majeur dans sa direction.

Draco s'arma de courage et du peu de concentration qu'il avait encore et commença à nourrir le serpent. Ce n'était pas trop difficile malgré sa maladresse avec les touches.

« Est-ce qu'on peut voir tes propres messages cochons ? » interrogea Michael qui s'était désintéressé de lui pour s'adresser à Lazare. Il avait très bien pris la nouvelle de sa relation avec Ginny, et y trouvait là une source inépuisable de moqueries envers leur camarade de promotion.

« Désolé, Ginny n'a pas de téléphone et ses lettres sont verrouillées dans ma table de chevet avec mon lubrifiant. »

Draco se trompa de touche en aboyant un rire choqué, qui passa inaperçu sous le bruyant éclat de rire de Corner. Son serpent toucha sa propre queue, qui semblait bizarrement plus longue qu'au début, et il s'attela à essayer de recommencer une partie sans que l'ancien Serdaigle ne le voie faire.

« A qui tu parles avec ton téléphone, si ce n'est pas avec Ginny ? »

« Tu sais qu'à part elle et vous, je connais d'autres personnes ? » ironisa Lazare.

« Je pense que tu bluffes, mais admettons. »

« J'ai même le numéro d'Aliyah. »

Michael poussa le coude de Lazare qui manqua de s'étaler en avant et de se cogner avec son propre téléphone. Il se redressa en pouffant comme un adolescent alors que Draco reprenait son jeu.

« Je parle à mes frères, surtout. Et à ma mère, quand mon appel hebdomadaire et les rapports de ses elfes ne lui suffisent pas, » reprit leur collègue qui termina sa phrase d'un ton morne.

« En France ? Mais ça ne coûte pas une surblinde ? » interrogea Michael avec surprise. Draco vit Lazare hausser les épaules du coin de l'œil. « Putain de riches. »

La porte de leur classe s'ouvrit, et Draco jeta un coup d'œil au-dessus de son épaule pour voir Hannah revenir avant de se reconcentrer sur l'écran du téléphone.

« C'est l'anniversaire d'une troisième année, elle m'a filé des rouleaux à la cannelle ! » dit-elle joyeusement en revenant vers eux.

Elle posa une assiette sur son bureau et Michael tendit la main pour attraper une pâtisserie avec une exclamation enjouée. Au même instant, une odeur insoutenable frappa les narines de Draco qui sentit son estomac se révolter. Il eut à peine le temps de poser le téléphone sur sa table et de tourner son buste qu'il vomissait à côté de sa chaise.

Il prit une inspiration tremblante dans le soudain silence et une sueur froide couvrit son dos alors qu'il analysait ce qui venait de se passer, les yeux rivés sur le sol. Hannah contourna sa chaise et nettoya la zone d'un vif coup de baguette avant de s'accroupir devant lui, ses grands yeux bleus écarquillés. L'odeur insupportable était toujours là, et il plaqua une main sur son nez et sa bouche. Il saliva et son estomac se tordit à nouveau.

« Draco ? » l'interpella Hannah alors qu'il se redressait sur des jambes flageolantes.

Il craignait de ne pas réussir à atteindre les toilettes à temps, mais il se précipita en dehors de la classe, la vision floue et le tambour de son cœur dans la gorge. Il longea en courant le couloir où trainaient quelques élèves, les oreilles bourdonnantes d'angoisse. Il ouvrit la porte des toilettes des hommes d'un coup d'épaule et se jeta dans la première cabine venue, juste avant qu'un nouveau haut-le-cœur achève de lui faire vider le contenu de son estomac.

Fébrile, il dut s'accrocher au bord de la cuvette dans laquelle il cracha entre deux inspirations paniquées, avant de s'en écarter avec dégoût pour tirer la chasse d'eau et s'adosser au mur. Il s'assit par terre en frémissant, les yeux et la gorge brûlants. Il tira sa baguette de sa manche de ses doigts engourdis et se nettoya la bouche puis les mains, avant d'appuyer l'arrière de sa tête contre le carrelage et d'attraper ses genoux pliés.

La porte s'ouvrit et Lazare apparut devant l'entrée des toilettes où il était réfugié, les mains dans les poches de sa blouse verte et son air perpétuellement ironique sur le visage. Il lui jeta un coup d'œil puis longea les lavabos, poussa chaque porte pour vérifier que les autres cabines étaient vides, puis revint vers lui.

« Tu veux que je fasse le test ? » demanda-t-il d'un ton désinvolte.

« Je l'ai fait ce matin, » répondit Draco d'une voix rauque en posant son front sur ses genoux. Et hier. Et avant-hier. Et tous les jours de la semaine précédente. « Négatif. »

« Hmm… » émit Lazare, songeur. « Un diagnostic poussé alors. Ça ira plus vite que de descendre chercher une potion de test. »

Draco soupira douloureusement et tourna la tête dans sa direction sans perdre son appui sur ses jambes. Lazare tirait un parchemin plié et une plume d'une poche de sa blouse, et utilisa sa baguette pour les mettre en lévitation près de lui. Il le regarda alors à nouveau et sembla attendre une réaction de sa part.

« Vas-y… » souffla Draco. Il ferma ses yeux humides et resserra ses bras autour de ses tibias.

Lazare prononça alors le long enchantement de diagnostic de grossesse, puis lança un Collaporta sur l'entrée des toilettes.

« J'espère que Michael ne va pas soudainement décider qu'il doit faire pipi, » commenta-t-il, des bruits de pas indiquant qu'il se déplaçait.

Draco eut un rire bref qui lui râpa la gorge et rouvrit les yeux pour voir que son camarade s'était adossé aux lavabos, les bras croisés sur sa blouse.

« Ça t'a fait ça la dernière fois ? » interrogea-t-il.

Draco déglutit puis secoua légèrement la tête. Il avait eu beau inlassablement se poser la question, il n'avait perçu aucun symptôme pour Rowan. Et la dernière fois qu'il avait vomi avait été au cours de sa sixième année où il s'était rendu malade de stress.

« Tu aimes la cannelle d'habitude ? »

« Oui. »

« Hmmm, » émit son collègue avant de faire claquer sa langue. « Voilà qui est suspicieux, Guérisseur Tonks. »

« Désolé mais je ne suis pas trop d'humeur à rire, Lazare. »

« Excuse-moi, » lâcha-t-il, contrit. « Mauvais réflexe. » Il marqua une pause avant de reprendre. « Hannah est en train de dégager pâtisseries et odeur de la classe, donc… Tu pourras y retourner si tu veux. Tu peux aussi tenter de simuler une soudaine intoxication alimentaire et rentrer chez toi, mais… Pour être honnête, je pense qu'ils ont déjà compris aussi. »

Draco réfugia à nouveau son visage sur ses jambes et serra ses doigts dans la laine peignée de son pantalon.

« Je ne peux pas rater de cours, » dit-il d'une voix enrouée. « Nos derniers examens sont dans trois mois. »

« Draco, tu peux louper un demi-après-midi. Je doute que tu absorbes grand-chose d'ici ce soir, de toute façon, » nota Lazare, non sans sagesse. « Je dirai à Michael de corriger les fautes dans les notes de Hannah, si c'est ce qui t'inquiète. »

Draco eut un rire crispé et releva la tête pour se frotter le visage. Harry avait normalement déjà terminé de travailler, mais ça ne signifiait pas forcément qu'il était à la maison. Alors qu'il appuyait son coude sur son genou pour soutenir sa tête, la soudaine sensation d'une magie étrangère en lui le traversa et ses bras se couvrirent de chair de poule. Il se tendit avec révulsion, mais elle s'amoindrit puis disparut alors que l'enchantement passait à une zone moins sensible de son corps.

« Connexions au noyau magique, » crut utile de lui préciser Lazare, et Draco lui envoya un regard fatigué lui signifiant qu'il était au courant.

Le silence s'installa et le froid du carrelage dans son dos et sous ses fesses le fit frissonner. La plume de Lazare s'agitait toujours sur le parchemin mais le diagnostic avait déjà certainement renvoyé un résultat positif. Draco décida néanmoins de s'accorder ces quelques minutes d'ignorance. Il aurait demandé à Andromeda de lui lancer ce même enchantement dès ce soir, de toute façon. Autant aller jusqu'au bout et avoir le plus d'informations possibles dès maintenant.

Au-delà de la surprise, il était partagé entre l'angoisse de savoir que tout allait bien et celle de pouvoir passer ses examens. Il était si près du but. Plus que quelques mois et il aurait enfin son diplôme, un salaire, un titre, la concrétisation de tout le travail qu'il avait accompli jusqu'ici. Repousser ses examens était sans doute possible, quitte à les passer l'année suivante, mais il avait tellement attendu et espéré le moment où il deviendrait réellement le Guérisseur Tonks. Comme une couche de plus pour cacher Draco Malfoy l'ancien Mangemort, même si personne n'était vraiment dupe.

« J'ai parlé à mes frères, » lui confia soudainement Lazare. Draco tourna la tête dans sa direction. « Désolé, le moment est mal choisi, » se rétracta-t-il néanmoins avec une grimace sardonique.

« Non, vas-y, dis-moi, » dit doucement Draco, heureux d'accueillir la distraction, ne serait-ce que pour faire s'écouler plus vite le temps restant au diagnostic pour s'achever.

« Ils me disent d'en parler à mes parents. Ils pensent qu'ils me laisseront faire ce que je veux, » fit-il après une brève hésitation alors que ses doigts blancs s'agitaient sur son coude. « Je ne suis pas convaincu. »

« Pourquoi pas ? »

Lazare haussa les épaules et détourna le regard.

« Je ne me suis jamais opposé à eux, jusqu'ici… Je n'ai aucune idée de la réaction qu'ils pourraient avoir. »

« Est-ce qu'ils peuvent te forcer, quoiqu'il en soit ? Je ne sais pas comment ça marche en France, mais… Tu es majeur. »

« Non, ils ne peuvent pas me forcer. »

« Donc quel est le pire que tu risques ? D'être déshérité ? »

Lazare hocha la tête avec raideur.

« J'aimerais autant éviter d'en arriver jusque-là. J'ai beau ne pas être d'accord avec eux sur ce point-là, je les aime quand même… »

« Est-ce que tu leur as déjà dit, ou au moins sous-entendu, que tu n'avais pas envie de te marier avec cette sorcière ? » interrogea Draco avec suspicion.

« Non… » admit son collègue.

Draco marqua un temps d'arrêt. Il se détacha soudainement de sa propre expérience avec ses parents et écarta le masque de nonchalance et de désinvolture de Lazare pour voir l'absence totale de rébellion chez lui. C'était difficile à croire, mais il semblait être, au moins envers ses parents, le parfait fils aîné obéissant qu'on attendait de lui. Et c'était diamétralement opposé à l'image qu'il s'était faite de lui pendant tout ce temps.

« Tu ne pourras rien faire sans leur en parler, » remarqua-t-il.

« Je sais… »

« Alors fais-le. Au plus vite. Ça fait cinq ans que tu fais trainer. »

« Et qu'est-ce que je fais s'ils me déshéritent ? » railla son camarade.

« Ils ne vont pas te déshériter juste parce que tu donnes ton opinion. Ils n'ont rien à y gagner. Au pire, ils te menaceront d'abord, » argumenta Draco avec un haussement de sourcils. « Et s'ils te menacent, alors là seulement, tu auras une décision à prendre. Partir ou rester. »

Lazare le fixa en silence jusqu'à ce que son regard grave se dirige sur le côté, où sa plume s'était couchée sur le parchemin pour annoncer la fin du diagnostic. Le cœur de Draco se serra brutalement, et il accepta le document que son collègue lui tendait sans même y avoir jeté un coup d'œil.

« Et toi ? Tu pars ou tu restes ? » demanda-t-il avec un léger sourire en coin.

Le regard de Draco se riva sur les mots, grossesse confirmée – 22 jours, perdus au milieu de runes, de chiffres et de termes techniques, et il réalisa qu'il lui serait absolument impossible de se concentrer tout le reste de l'après-midi sur ses cours.

« Je pars… » murmura-t-il alors que ses doigts engourdis faisaient trembler le parchemin.

« Sage décision. »

/

Draco apparut aux abords de la maison et entra lentement dans la limite du Fidelius. Il toucha délicatement les bourgeons qui se formaient sur l'arbre de Rowan en levant le nez, et il fouilla le ciel des yeux au cas où Harry aurait décidé de passer son rare temps libre à dos de balai. Mais il apparut derrière lui, en uniforme et la baguette à la main, et il n'eut pas besoin de voir son expression soulagée pour comprendre qu'il avait équipé la maison de sortilèges de surveillance de transplanage.

Et apparemment, son rare temps libre ne lui servait pas vraiment à se reposer. Mais il était sans doute inutile de lui demander ce qu'il avait été en train de faire.

« Tu ne devais pas finir à dix-neuf heures ? » s'étonna Harry en marchant vers lui. Il ferma le bas portail derrière lui sans le quitter des yeux. « Ça ne va pas ? »

Sans répondre, Draco lui tendit le parchemin qu'il tenait toujours à la main. Harry rangea sa baguette et l'attrapa rapidement avec une expression inquiète. Son regard émeraude s'agita derrière ses lunettes avant qu'il ne le relève vers lui avec surprise.

« C'est toi ? » demanda-t-il.

« Oui. »

Harry le dévisagea avec stupeur, mais, très vite, il franchit le pas qui les séparait et l'enlaça. Ses bras emprisonnèrent les siens et ses mains s'accrochèrent à l'arrière de son manteau alors qu'il posait son profil contre le côté de sa gorge. Ses cheveux chatouillèrent sa mâchoire et son menton.

« Et… ça va ? » demanda-t-il avant de s'écarter légèrement. « Je… Désolé, je ne comprends quasiment rien de ce qui est écrit là-dessus, » dit-il avec anxiété en baissant les yeux vers le parchemin avant de les relever vers les siens.

« Tout à l'air normal. Il… faudrait que je fasse une prise de sang pour compléter mais… »

« Ok. Tu veux y aller maintenant ? Je me change et je viens avec toi, » décida Harry qui se tournait déjà vers la maison, mais Draco secoua légèrement la tête.

« Non, pas… pas tout de suite. Il faut que je boive quelque chose. Et que je mange, » réalisa-t-il, soudainement assoiffé et affamé.

« D'accord, allons-y, » déclara Harry, et il l'attrapa par la main pour l'entraîner vers la maison.

Draco se débarrassa lentement de son manteau et de ses chaussures pendant que Harry s'affairait dans la cuisine, puis, dans un état second, il s'arrêta dans l'encadrement de la porte pour le regarder réchauffer des restes de tourte à la viande. Il s'assit lorsqu'il posa une assiette fumante à sa place habituelle et souleva le verre d'eau qu'il y trouva. Il en fixa l'intérieur et observa les remous de surface provoqués par les légers soubresauts de son bras, puis le but en quelques gorgées.

« Qu'est-ce que tu veux faire ? » lui demanda Harry à peine assis en face de lui.

« Juste… manger et me poser cinq minutes, si tu veux bien. Je suis encore sous le choc, » répondit Draco avec un rire faible, ses doigts tremblants toujours serrés autour de son verre.

« Bien sûr, mais je voulais dire… Pour le bébé. Tu avais dit… Scorpius, et il y a aussi tes examens, et… » bégaya-t-il.

Son intonation le força à lever les yeux. Son teint était anormalement pâle et il tentait vaillamment de cacher son regard inquiet derrière une expression neutre.

Draco le fixa un instant en silence, la gorge serrée par une émotion qui le tira de son hébétude. Il aimait Harry, cela faisait des années qu'il l'aimait, mais son cœur gonfla encore dans sa poitrine et se remplit un peu plus d'amour pour cet homme, à peine un adulte, qui pensait toujours à lui avant de penser à lui-même. Et cela même pour sous-entendre des choses qui devaient lui déchirer le cœur.

« Désolé, je n'y ai pas pensé tout de suite, mais bien sûr qu'on fera ce que tu veux. Ce n'est pas vraiment le moment idéal et- »

« Harry, » l'interrompit Draco en posant son verre devant son assiette. « Je veux le garder. L'idée d'avorter ne m'a même pas traversée l'esprit jusqu'à ce que tu en parles, » avoua-t-il doucement.

Harry cligna des yeux et referma la bouche. L'inquiétude fondit dans son regard, et se liquéfia dans une joie brillante et un soulagement qu'il expira dans ce qui ressemblait à un mélange entre un rire et un soupir.

« Ok... »

« Et toi ? » interrogea Draco bien que ce ne soit vraiment que pour la forme. Il n'avait absolument aucun doute sur ce que désirait Harry.

« Moi aussi, » lui confirma-t-il. Il tendit la main devant lui et Draco l'attrapa presque par réflexe. « Est-ce que tu vas pouvoir passer tes examens ? Ce n'est pas dangereux ? »

« Non, ce n'est pas dangereux. Je suppose que ça dépendra de comment je me sens à ce moment-là… Mais Harry, c'est… Un peu tôt pour se projeter jusque-là, » tempéra-t-il malgré le fait que ses propres réflexions l'aient amené à ce même point à peine assis par terre dans les toilettes de l'hôpital. « Ce n'est pas parce que le diagnostic dit que tout à l'air normal que tout va bien se passer. Ça veut juste dire qu'à ce stade, il n'y a pas d'anomalie, ou du moins aucune qui soit encore détectable. »

Le visage de Harry s'était fermé au cours de son discours et ses lèvres se pincèrent alors qu'il baissait les yeux vers le parchemin posé à côté de lui. Il déglutit et lâcha sa main pour l'attraper.

« J'avais essayé de lire certains passages de tes bouquins après… Rowan, » prononça-t-il gravement. « Je n'ai pas compris la moitié, mais… ils avaient l'air de dire que les grossesses magiques étaient plus sûres. »

« Statistiquement, » acquiesça doucement Draco, la gorge nouée. « Mais l'échantillon de grossesses masculines est bien trop faible pour que ces statistiques soient fiables. Et même si elles l'étaient, nous savons tous les deux qu'on peut se retrouver du mauvais côté des chiffres. »

Harry lui sourit tristement.

« Et qu'est-ce qu'on peut faire ? Pour se donner une meilleure chance d'être du bon côté ? »

« Je vois difficilement ce que je pourrais faire de plus… Je ne bois pas, je mange bien, je ne vis pas dangereusement… Si j'avais été Auror, il aurait probablement été plus sage d'arrêter tout de suite de travailler, mais là… » énonça Draco en réfléchissant avant d'afficher une légère grimace. « Je suppose que je pourrais dormir un peu plus. »

« Excellente idée, » grogna Harry.

« Mais il faut quand même que je trouve du temps pour réviser. Ça veut dire moins de temps pour Teddy, » fit-il remarquer avec malaise. L'idée de prioriser son travail plutôt que celui qu'il considérait comme son fils lui serra les entrailles. Il se sentait déjà coupable qu'il passe la majorité de son temps chez les Weasley.

« C'est seulement jusqu'à tes examens, Draco, » nota sagement Harry. « Andy et moi pouvons prendre le relais, et il sait de toute façon que tu as moins de temps pour lui dans ces périodes-là. »

« Hmm… » émit uniquement Draco avant de baisser les yeux vers son assiette et d'attraper ses couverts. Il n'avait absolument plus la nausée mais sa faim était tellement forte qu'elle en était douloureuse.

« Il y a des choses que tu ne peux pas manger ? »

« Oui, » admit-il avec une nouvelle grimace alors qu'il coupait un morceau de tourte.

« Tu pourras me faire une liste ? » demanda-t-il.

« D'accord. En attendant, évite la cannelle, s'il-te-plaît, » marmonna Draco après une première bouchée. A son regard interrogateur, il lui raconta ce qui avait mené Lazare à lancer le diagnostic sur lui.

« Oh… Mais tu en as mangé il y a genre… deux jours, » réagit Harry avec surprise.

Draco haussa les épaules en mâchant.

« Il va falloir prévenir Andy. Elle en met partout. Elle en aurait mis dans cette tourte si je n'avais pas oublié d'en racheter, » murmura Harry avec amusement.

« Il va falloir la prévenir de toute façon. Mais pour Teddy, je préférerais qu'on attende… » fit Draco d'un ton soucieux, mais Harry hocha immédiatement la tête avec approbation malgré ses yeux tristes.

« Qu'est-ce que ça dit d'autre… ? » interrogea-t-il en désignant à nouveau le parchemin. Draco ne put s'empêcher de remarquer que, malgré son habituel appétit vorace, il avait à peine touché à son assiette.

« Ce sont surtout des mesures et des tests d'encrages aux connexions magiques, » expliqua-t-il. « Rien de très explicite pour le commun des sorciers… Mais tout est dans les normes. »

Malgré son affirmation, il était bien décidé à aller vérifier point par point les résultats du diagnostic devant ses livres dès qu'il aurait une minute seul. Mais ses propos semblèrent détendre quelque chose chez Harry dont les épaules perdirent en tension. Il s'attaqua à sa part de tourte en hochant plusieurs fois la tête avec une expression songeuse.

Ils mangèrent en silence pendant quelques minutes, jusqu'à ce qu'il s'éclaircisse la gorge.

« Ça fait deux fois en moins d'un an… » remarqua-t-il avec hésitation, le poing serré autour de sa fourchette. « Qu'est-ce que… Je veux dire… Comment ça se fait ? »

Draco soutint brièvement son regard avant de baisser les yeux vers son repas en tentant de garder une expression neutre. Il avait une bonne idée de la source de l'échec du sortilège de contraception. Une très bonne idée. Mais il pouvait déjà ressentir le monstre de culpabilité qui envahirait Harry s'il l'énonçait. Et puis… même s'il soupçonnait que les mains chargées de magie qu'il lui arrivait de promener sur lui étaient responsables de l'effondrement de l'enchantement, il ne pouvait pas en être certain. Il ne voulait pas l'accuser, d'autant qu'il ne le tenait pas pour responsable. Draco était celui qui aurait dû réaliser le risque potentiel d'une telle pratique, étant Médicomage. Mais, fait étrange, il ne se sentait pas coupable pour autant.

Il releva le visage avec un léger sourire aux lèvres, mais celui-ci s'affaissa immédiatement lorsqu'il vit la réalisation s'imprimer sur ses traits.

« Oh… Tu crois que… c'est de ma faute ? Parce que j'utilise la magie sur toi ? »

Draco contint une grimace et sourit avec hésitation.

« Possible ? Il peut arriver que le sortilège échoue tout simplement, aussi… »

« Mais on fait vraiment très attention, » argumenta Harry.

« Personne n'est infaillible. »

« Non… » Il inspira profondément et son expression s'adoucit. « Je ne vais pas prétendre être déçu, mais… Je suis désolé. Ce n'est vraiment pas le bon moment. »

Draco le fixa avec exaspération et affection, et s'affaissa contre son dossier avec un bref soupir.

« Tu sais qu'on est deux ? Je ne sais pas si tu as remarqué que j'étais dans le lit, aussi ? Pourquoi est-ce que tu serais l'unique responsable ? » interrogea-t-il avec sarcasme.

« C'est vrai, mais… Ce n'est pas moi qui vais devoir obtenir mon diplôme dans ces conditions. »

« Certes… » admit doucement Draco, et il dut se faire violence pour ne pas lui rappeler que tout pouvait arriver d'ici là.

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