Stiles pénétra à l'intérieur de la bibliothèque et quelques personnes se retournèrent sur son passage, lui jetèrent un coup d'œil curieux. Peut-être était-ce à cause de ces cernes dus à la nuit blanche qu'il venait de se faire ou bien son air absent les intriguait-il. Ses mains, dans un sale état, ne passaient pas inaperçu. Son fond de teint, pas très bien mis, laissait bien voir que quelque chose n'allait pas. Et puis… Il était toujours aussi silencieux. Un bonheur pour la gérante de la bibliothèque qui, autrefois, ne manquait jamais de le reprendre pour ses bavardages incessants et sa voix trop forte. Stiles ne comptait même plus les fois où il avait été viré de cet endroit.

Stiles alla se terrer dans un coin reculé de la bibliothèque, à une table assez isolée et s'y installa sans attendre. Son but n'était clairement pas d'attirer l'attention, bien au contraire. Il prenait ses précautions, essayait de se rendre le plus invisible possible, juste au cas-où. S'il séchait les cours ? Absolument. Il n'avait absolument pas le cœur d'y aller et éviter de voir Scott était sa principale préoccupation du jour. La colère était partie, seule la lassitude et la tristesse restaient. La veille, il s'était bien fait mal et sans doute recommencerait-il s'il voyait les traits doucereux du latino.

Stiles sortit ses affaires de son sac et alluma son portable. L'écran était bien fissuré, presque dans une diagonale parfaite. La veille, en voyant que Stiles ne répondait plus, Scott avait renvoyé des messages, lui avait dit que s'il avait vraiment trouvé quelque chose d'important, il devait le lui dire. Puis, il avait commencé à « s'inquiéter ». Stiles lui avait lâché de simples vus sans chercher à lui écrire quoi que ce soit et le loup avait très vite abandonné. Scott ne méritait pas une seule réponse de sa part. Si cet imbécile n'était pas si lent à la détente, il aurait compris que Stiles allait mal. Ses messages parlaient d'eux-mêmes. Mais non. Scott était obnubilé par la meute et les problèmes surnaturels de la vie et jamais, ô grand jamais, il ne demandait à Stiles si ça allait, surtout depuis qu'il avait perdu sa voix. L'épisode d'hier avait fait comprendre à Stiles que ce n'était plus la peine de tenter, il serait seul avec ses problèmes.

Lydia, elle, lui envoyait toujours des messages. Sans doute espérait-elle encore que Stiles lui parle. Et au fond, il le voulait vraiment. Mais après l'épisode Scott, il en avait assez d'espérer. Ou plutôt, il avait peur. Et si, après lui avoir tout raconté, elle le laissait tomber ? Stiles ne le supporterait pas. Il en était au stade ou c'était l'espoir que tout s'arrange qui le faisait tenir. La moindre déception brisait le peu de confiance qu'il avait encore en lui. En ses capacités. En son intelligence.

En sa propre existence.

Stiles sortit quelques feuilles ainsi que son manuel de mathématiques. Rien de tel que des démonstrations aussi concrètes que complexes pour lui changer les idées tout en l'aidant à réviser. Oui, il pensait un peu trop à son fond de teint un peu mal mis et pas entièrement uniforme. En réalité, il l'avait mis au dernier moment en partant, parce qu'il avait oublié. Alors, il avait fait ça à la va-vite et puis tant pis, de toute manière, ce n'était pas comme s'il avait prévu de voir grand-monde. L'idée de Stiles ? Passer la journée à la bibliothèque pour rattraper son retard et, si possible, prendre de l'avance. Lydia lui envoyait régulièrement les cours, il fallait bien qu'il pense à les regarder et à les travailler. Et Stiles ne répondait à aucun de ses messages. Il se mordit la lèvre inférieure. Il avait peur qu'elle fasse comme Scott, mais Stiles ne savait pas s'il supporterait un nouvel aveuglement alors qu'il sous-entendait qu'il allait mal.

Si Stiles était dans un meilleur état mental, il se serait rappelé que Lydia était venue chez lui pour le voir et qu'elle avait passé du temps à le soigner. Ses pensées étaient si assombries par l'incident de la veille qu'il n'y pensait pas le moins du monde, encore moins au fait que Derek était là.

Alors, Stiles travailla et ce, toute la journée. Il n'était pas serein pour autant. Après tout, il était au lycée et ce n'était pas à la bibliothèque qu'il serait protégé. Néanmoins, il s'était dit que les risques de se faire agresser ce jour-là étaient moins élevés qu'en passant dans les couloirs entre les cours.

Néanmoins, Stiles fut peu productif. Il ramait, avançait si lentement que ça l'énervait. Son mutisme ne l'aidait pas et il se retrouvait obligé de doubler la dose d'Adderall pour rester un minimum calme. Ça l'endormait un peu mais au moins, son hyperactivité bridée se retrouvait un peu plus canalisée que d'ordinaire. Déjà qu'il avait du mal à se concentrer, ce fut pire et Stiles passa beaucoup trop de temps sur un exercice qu'il aurait très vite résolu en temps normal. Il en avait marre d'écrire, il avait mal, sa main droite le lançait atrocement. Bon, frapper la majorité des objets les plus durs de sa chambre avec ce poing-là n'était pas la chose la plus intelligente qu'il ait faite de sa vie, il fallait le reconnaître. Mais il continua, ratant par la même occasion la pause de midi. De toute manière, ce n'était pas comme s'il comptait aller manger un bout à la cantine, où il avait des chances non seulement de se retrouver au sol, mais également de croiser Scott. Et Lydia. Et tout le monde. Encore heureux que Derek ne soit pas au lycée, Stiles n'en serait que plus mort de honte.

Vint un moment où il s'arrêta d'un coup, laissant bruyamment tomber son stylo sur le bureau et le bruit s'entendit très bien dans le silence quasi religieux de la bibliothèque. Heureusement qu'il s'était installé dans un coin, c'était plus discret.

L'hyperactif se prit la tête dans les mains, cachant ainsi son visage grimaçant. Il avait mal, il avait peur, si peur qu'il n'arrivait pas à travailler correctement. Déjà quinze heures et il n'avait quasiment pas avancé. Il n'était pas dans un état mental assez stable, apte à étudier. Il avait beau le cacher comme il le pouvait, il était terrorisé. Le lycée n'était pas un lieu où il pouvait se sentir en sécurité, loin de là. Même ici, à la bibliothèque, Stiles avait l'impression qu'il pouvait lui arriver malheur à tout moment. Travailler dans ces conditions était impossible. Putain, c'était à peine s'il arrivait à réfréner les tremblements de ses mains ! Il avait peur, si peur ! Ce n'était pas humain de vivre de cette façon, d'angoisser rien qu'en pensant au fait qu'il se trouvait dans le lycée, lieu où se trouvaient également ses agresseurs. C'était terrifiant de savoir qu'il pouvait les croiser au détour d'un couloir et que la suite dépendrait de leurs envies.

Stiles ne tiendrait pas longtemps comme ça, c'était sûr. Au début, il pensait naïvement que c'était possible, qu'il y arriverait mais il fallait bien se rendre à l'évidence. C'était beaucoup plus dur qu'il ne le pensait.

Stiles se leva soudainement, faisant bruyamment racler la chaise sur le sol. D'un geste imprécis, il fourra ses affaires dans son sac, faisant peu cas de leur état, avant de sortir en trombe dans la bibliothèque. Il suffoquait, dans ce campus. Il suffoquait parce que l'angoisse prenait le dessus. Il avait beau marcher vite, il eut rapidement le souffle court et dut ralentir au point de s'arrêter au niveau d'un grand couloir vite rempli de casiers. Il s'appuya contre l'un d'eux et essaya de faire le vide. Dans son état, il n'était pas capable de conduire et il le savait. Il avait besoin que quelqu'un le ramène chez lui parce que c'était sans doute le seul endroit où on ne lui ferait pas de mal. Tant pis pour son peu d'honneur et son reste de dignité, Stiles agit dans l'urgence : il sortit précipitamment son téléphone de la poche de sa veste et tapa tant bien que mal un message à l'intention de Derek. Parce qu'il était l'une des seules personnes qu'il connaissait qui n'était pas au lycée. A sa connaissance, il ne travaillait pas, il avait donc beaucoup de temps libre.

Le temps de venir le chercher pour le sortir d'ici.

Parce que Stiles savait que sa propre voiture n'était pas gage de sécurité. Comme dit précédemment, il ne pouvait pas conduire dans son état : ils pouvaient arriver, le trouver, l'en sortir de force et s'amuser.

Et Stiles n'en pouvait plus d'avoir peur que l'on s'amuse avec lui.

Derek était actuellement sa seule solution et tant pis s'il l'avait vu sous son vrai jour l'autre soir. Stiles était terrifié et la peur pouvait faire des miracles, comme le pousser à prendre contact avec quelqu'un qui n'en avait pas grand-chose à faire, de lui.

Mais lorsque Stiles entendit tout d'abord une voix, puis une autre, il sut qu'il avait trop tardé, qu'il aurait dû partir avant. Un frisson parcourut l'entièreté de son corps alors qu'il ne voulait pas se retourner. Ils étaient là, derrière lui, ils arrivaient, l'avaient repéré.

- Ne serait-ce pas notre ami Stilinski ? Fit l'un d'eux.

Lorsqu'il se fit tirer en arrière, il sut que c'était vain. Il n'aurait pas le temps de rentrer chez lui.

- Tiens, mais qu'est-ce que je vois ? Alors, déchet, on s'essaye au maquillage ?

- T'es vachement pâle… Ta peau manque de couleur, tu ne crois pas ?

Stiles n'eut aucun mal à imaginer comment tout ça allait finir. Comme toujours, il voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche grande ouverte et deux des garçons l'attrapèrent et l'entraînèrent dans un endroit qu'il ne connaissait que trop bien et qui était vide à cette heure-ci.

Les vestiaires de l'équipe de crosse. Encore plus discret que les toilettes au fond du lycée. Ces gars-là avaient l'habitude et Stiles commençait à croire qu'il allait la prendre aussi. Pendant qu'on le tirait, son sac glissa de son épaule et il voulut le rattraper mais on l'en empêcha.

Lorsque Stiles fut violemment poussé au sol, il comprit qu'ils étaient arrivés. La porte claqua et la peur l'aida juste à protéger un peu son visage.

Ils s'amusèrent. Ils riaient comme des petits fous, comme s'ils jouaient à un jeu à sensations. Sauf que les sensations, c'était Stiles qui les ressentait. Trop bien. Il protégeait son visage comme il pouvait mais certains avaient compris son manège : on s'attaqua alors à ses bras.

Honnêtement, Stiles tenait le coup, mais combien de temps tout cela allait-il durer ? Plus que de la peur, il était terrorisé, il avait mal, n'en pouvait plus. Ses côtes le tiraillaient fortement, il ne savait même pas comment ses bras pouvaient encore tenir devant son visage, sa cheville déjà abîmée ne le faisait qu'encore plus souffrir… Stiles était mal en point. Mais ils n'avaient pas fini, ils voulaient qu'il craque.

Mais ça n'arriva pas. Stiles maintint sa position et ne pleura pas. Il ne pouvait pas, pas devant eux, il ne voulait pas leur donner ce plaisir. Et puis ça n'allait pas l'aider. Ça ne les ferait pas arrêter, bien au contraire. Ils aimaient voir son sang couler, le bleu colorer sa peau, la douleur marquer ses traits.

Stiles voulut arriver à tenir, à rester conscient jusqu'à ce qu'ils arrêtent, pour pouvoir rentrer chez lui.

Derek.

Bordel, c'est vrai. Il avait demandé à Derek de venir le chercher. Combien de temps s'était-il écoulé depuis son message, déjà ? Il ne savait pas si Derek était venu mais si jamais c'était le cas, ça devait faire bien longtemps qu'il avait dû repartir. Stiles s'en voulut. Il s'en voulut de ne pas pouvoir lui envoyer de message pour s'excuser. Derek aussi allait lui en vouloir, pour avoir été dérangé pour rien. Il devait sans doute penser – s'il était venu – que Stiles lui avait posé un lapin sans prévenir.

Les bras de Stiles cédèrent, se retrouvèrent d'un coup au sol, laissant son visage à découvert. Stiles était là, à deux doigts de perdre connaissance, sans que personne ne soit au courant de ce qui lui arrivait. Il ne sentait plus grand-chose parce qu'il commençait déjà à partir, la bouche perpétuellement ouverte dans un cri silencieux. Sa vue était si floue que les visages de ses agresseurs ne ressemblaient plus à rien. Des ombres, c'étaient des ombres. Rien de probant, de concret, rien qui semblait humain.

Les yeux de Stiles finirent par se fermer alors même qu'on continuait de le frapper.

xxx

Stiles avait mal. Sincèrement, son corps était une torture vivante. Pour peu, il pourrait imaginer qu'un camion lui avait roulé dessus et si son esprit n'était pas aussi alerte, il aurait pu penser que c'était ce qu'il s'était passé. Sans savoir si c'était ou non une chance, Stiles se souvenait de tout. Chaque coup était inscrit dans sa mémoire, son corps était un bon rappel.

Même s'il était parfaitement réveillé, il se sentait pâteux, embourbé dans il se savait quoi. Peu à peu, il commença à distinguer différents bruits autour de lui, rien de très probant. Il allait falloir qu'il attende un peu mais de toute manière, il n'y avait pas vraiment de suspens. Il ne devait pas avoir dû bouger de là où on l'avait laissé. Qui se serait donné cette peine ? Pas l'équipe de crosse, il n'y avait pas entraînement ce jour-là. Stiles en savait quelque, puisqu'il faisait encore partie de l'équipe quelques semaines plus tôt. Mais les vestiaires n'avaient pas un sol si confortable dans ses souvenirs. C'était dur et froid, ça puait la sueur et la saleté. Stiles avait l'impression que ce qui se trouvait en-dessous de lui était un peu mou, pas trop, tout juste assez pour qu'il soit bien installé. Et puis ça sentait bon. C'était ténu, mais ça sentait un peu la forêt, l'air frais, le bois. Une fragrance agréable. Peut-être l'avait-on dégagé, mis dehors pendant sa petite sieste ?

- … points résorbables…

Stiles était tellement concentré sur ce qu'il sentait qu'il n'avait même pas fait attention au fait qu'on parlait doucement autour de lui. Des chuchotements, presque des murmures. Avait-on peur de le réveiller ? Pas besoin de se donner la peine d'épargner ses oreilles, il était déjà éveillé.

- … bien ?

Il y avait plusieurs voix. Deux, peut-être trois. Stiles n'en était pas sûr. En fait, tout lui paraissait à la fois clair et étouffé. Ça variait, oscillait entre ces deux valeurs et n'était pas des plus agréable. Il n'arrivait même pas à savoir s'il reconnaissait ces voix ou non. Son ouïe était trop étrange. C'était comme si on lui bouchait puis débouchait les oreilles, sans discontinuer, tout en gardant un filtre étrange qui donnait une impression de flou.

Ça ressemblait à un réveil d'anesthésie. C'était la seule comparaison que pouvait faire Stiles, qui avait déjà subi une intervention chirurgicale dans sa vie, quand il était enfant. Pour autant, il ne fit pas le lien. Il était vraiment fatigué, après tout. Peut-être était-ce pour cette raison qu'il n'arrivait pas à ouvrir les yeux ni bouger le reste de son corps comme il le voudrait ? Probablement.

Oui, Stiles était réellement épuisé.

xxx

- Demande à Scott d'annuler la réunion de ce soir, lâcha Derek. On la reporte.

Le loup tendit un gros mug rempli de café à Lydia, qui l'accepta avec un faible sourire.

- Tu penses vraiment qu'il va accepter ? S'enquit-elle, pas vraiment convaincue.

- Il a pas le choix, c'est chez moi, répondit Derek sur le ton de l'évidence.

En buvant son propre café, Derek avait le regard sombre et nul doute qu'il ne tolèrerait pas un refus du jeune alpha. La banshee le regarda un instant, déposa le mug sur la table de la cuisine et s'arma de son smartphone pour envoyer un texto à son ami. Sa réponse ne se fit pas attendre.

- Il n'est pas d'accord, soupira la rouquine. Il est prêt à la faire chez lui.

Derek se pinça l'arête du nez après avoir déposé sa tasse dans l'évier et la rouquine ne put que deviner sa colère, bien cachée derrière son air simplement exaspéré. Elle se garda bien de lui révéler l'entièreté du message de Scott qui la mettait elle-même en rogne. Mais c'était Lydia Martin : elle savait parfaitement bien gérer ses émotions et était capable de ne rien laisser paraître. Seule son odeur pouvait la trahir. Néanmoins, Derek était assez préoccupé de son côté pour ne pas y faire attention.

« On ne reporte pas. On la fera chez moi. On a pris assez de retard comme ça sur cette affaire, avec Stiles qui évite les réunions et qui n'avance pas assez vite sur ses recherches… Si tu le vois, dis-lui de se reprendre et de faire un effort. Il ne me répond plus depuis hier soir. »

C'était définitivement mieux de garder la deuxième partie du message sous silence. Bien sûr, la rouquine n'avait aucunement l'intention de transmettre les remarques de Scott à Stiles. De toute évidence, l'alpha n'était au courant de rien et n'avait pas l'air de se soucier du cas de son meilleur ami. Pourtant, ça faisait un moment que Lydia remarquait plein de petites choses, des détails qui la dérangeaient chez Stiles. Depuis sa perte de voix, il n'était plus le même. Leur visite improvisée de la dernière fois n'avait fait que confirmer ses doutes. Et là… Là, tout était clair.

- Bien, mais ce sera sans moi, l'informa le loup en se détournant pour laver sa tasse.

Lydia hocha la tête, même s'il ne la voyait pas. Elle comprenait, très bien même. Elle était d'ailleurs carrément d'accord avec lui. Lorsqu'elle eut fini son propre café, elle lui tendit le mug, qu'il lava à son tour rapidement avant de le mettre à sécher.

- Tu penses que je peux rester ? Demanda-t-elle.

- Je pense surtout que tu devrais y aller. La meute va avoir besoin de toi, répondit tout naturellement Derek.

- Stiles aussi, il…

- Je suis là, la coupa le loup. Je veillerai sur lui.

Et son regard montrait sa sincérité. Même sans ça, Lydia le croyait, parce qu'elle le connaissait bien et que Derek Hale était un homme de parole – pas comme son oncle. Alors elle hocha la tête, alla au salon quelques minutes avant de revenir, saluer le loup et le remercier pour la centième fois de cette fin d'après-midi. C'est ainsi que le lycanthrope arrêta de faire semblant de ranger sa cuisine. Il avait déjà mis trop de temps à laver sa tasse et le mug de Lydia.

Il alla dans le salon et son regard tomba automatiquement sur le jeune homme inconscient dans l'un des deux canapés, déplié pour l'occasion, de sorte à assurer un confort optimal à son occupant.

Derek ne voulait pas que la réunion de meute ait lieu chez lui, parce que Stiles dormait. Même en le montant à l'étage, le loup ne voulait pas que la meute ne vienne, car elle ferait du bruit. L'agitation empêcherait Stiles de se reposer, il le savait. Il était également conscient du faire que l'adolescent ne voudrait sans doute pas que tout le monde sache ce qui lui arrivait. Derek se rappelait très bien de sa réaction lorsque lui et Lydia s'étaient incrustés chez lui au moment où il s'y attendait le moins.

Derek n'avait d'ailleurs pas amené Stiles à l'hôpital, parce que son père aurait été prévenu. Il se doutait également que l'hyperactif n'aurait pas apprécié, d'une certaine manière, alors il avait très rapidement opté pour Deaton. En s'asseyant au bord du canapé, Derek ferma les yeux un instant et serra les poings.

De source sûre, c'était la première fois depuis l'incendie qu'il avait été aussi inquiet pour quelqu'un. Tout avait commencé avec un simple message :

« Je suis au lycée. Viens me chercher s'il te plaît, vite. »

C'était tout. Stiles avait écrit de manière correcte et n'avait pas manqué de mettre de la ponctuation dans son message mais celui-ci laissait largement transparaître son empressement. Au début, il avait songé au fait que l'adolescent lui avait fait une blague, avant de rapidement se rappeler que ce n'était plus vraiment son genre. Stiles était beaucoup plus fade et discret depuis la perte de sa voix. Par conséquent, Derek était allé au lycée. Et avait attendu. Il avait renvoyé un message à Stiles, lui demandant ce qu'il foutait, pourquoi il ne venait pas. Les minutes s'étaient écoulées sans qu'aucune réponse ne lui parvienne.

Là, Derek avait commencé à réellement penser que quelque chose n'allait vraiment pas. Son impression s'était confirmée lorsqu'il était entré dans le lycée et qu'il avait trouvé le sac facilement reconnaissable de l'hyperactif par terre et surtout, sans son propriétaire. Derek avait alors déployé au maximum ses sens lupins et n'avait pas mis longtemps à trouver celui qu'il cherchait.

A terre.

Inconscient.

Le visage tuméfié.

Du sang s'écoulant de son nez.

Les deux mains dans un état déplorable.

Entouré par six connards qui s'amusaient autant de son silence que de son immobilité.

Le sang de Derek n'avait fait qu'un tour. Ni une ni deux, les six adolescents avaient fini au sol ou bien encastrés dans des murs. Et Stiles, dans ses bras.

Pour être franc, Derek n'oublierait jamais ce qu'il avait ressenti lorsqu'il avait porté Stiles. Sentir ce corps désarticulé, comme cassé et balloté par sa course jusqu'à sa voiture l'avait horrifié. L'effroi s'était emparé de lui et c'était blanc comme un linge qu'il avait conduit un peu trop rapidement jusqu'à la clinique vétérinaire, heureusement vide à cette heure-ci.

Et voilà que l'adolescent était là, en train de dormir sur son canapé. Il était épuisé et c'était compréhensible : Deaton ne l'avait pas opéré, mais avait dû l'anesthésier très légèrement pour éviter qu'il se réveille à cause des soins pouvant être douloureux par moments. Comme l'avait dit le vétérinaire, il y avait eu « plus de peur que de mal ». Toutefois, l'émissaire avait dû lui faire quelques points de sutures notamment au niveau de son arcade sourcilière et de sa joue, mais également à quelques endroits sur ses bras. Ils ne l'avaient pas loupé et pourtant, Deaton lui avait dit que ça irait. Que Stiles n'aurait aucune séquelle à part quelques éventuelles cicatrices.

Derek savait qu'il y aurait bien plus que cela. Le préjudice n'était pas seulement physique. Il était aussi moral.

xxx

- Comment tu te sens ?

Stiles leva ses yeux éteints vers Derek qui le regardait, assis sur la table basse face au canapé. Déjà cinq minutes qu'il était réveillé et le loup ne savait pas vraiment comment agir avec lui. La situation était inédite et la condition de Stiles… Disons que Derek n'arrivait pas à s'y habituer. Grossièrement assis sur le canapé – c'était le lycan qui l'avait aidé à se redresser, Stiles leva un pouce pointé vers le bas.

Bien sûr que ça n'allait pas. Il ne fallait pas être une lumière pour le savoir. Le jeune homme s'était fait tabasser – et Derek savait que ce n'était pas la première fois – et voilà qu'il se réveillait chez le lycan grincheux. Mais le loup tenait à être cordial et voulait essayer de le mettre en confiance.

Il était temps que son calvaire personnel s'arrête. Qu'il se confie à quelqu'un. Que sa vie retrouve un semblant de normalité.

Contrairement aux apparences, Derek avait sa sensibilité à lui et la détresse de Stiles le saisissait. Ses yeux noisette étaient perdus, la peur et la honte dominaient son odeur. Son visage défait ne laissait aucun doute quant à ses souvenirs et son ressenti.

- Tu as soif ? Demanda Derek.

Il vit l'hésitation passer sur les traits du jeune homme complètement perdu. Sans doute se demandait-il s'il devait réellement accepter ou si c'était un piège… Derek n'en savait rien, mais ne pouvait qu'imaginer face au manque d'assurance de l'adolescent. Ce n'était pas un problème de compréhension et ça, il en était sûr.

- Sois honnête, lui intima le loup d'un ton presque doux.

Alors, après quelques secondes supplémentaires d'hésitation, Stiles fit basculer son pouce vers le haut. Derek comprit le message, se leva et revint une minute plus tard, un verre d'eau à la main. Il le tendit à Stiles, qui le prit d'un air peu serein dans ses mains abîmées avant de boire lentement quelques gorgées et de rendre le verre à Derek pour qu'il le pose à nouveau sur la table basse. Tout du long, le loup le regarda faire et il finit par se rendre compte que le Stiles d'avant l'aurait déjà bassiné avec ses blagues pourries, ses incessantes litanies et remarques en tout genre. Là, le silence dominait et Derek était le seul capable de le briser.

- Tu as mal, dit-il soudain.

Ce n'était pas une question, ni même une affirmation à proprement parler : c'était juste un constat pur et simple. Son odeur puait la douleur et c'était compréhensible après son passage à tabac. Derek se trouva même idiot de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il s'attendait, comme toujours, à ce que Stiles lui parle, lui fasse part de son ressenti. Parce que c'était comme ça que ça devait se passer.

Mais Stiles n'avait plus de voix au sens littéral du terme.

Il ne pouvait pas exprimer ce qu'il ressentait, ni faire part de ses besoins de manière directe, incapable de dire quoi que ce soit.

Stiles avait perdu la capacité de crier.

Et c'est comme si tout faisait enfin sens aux yeux de Derek. Il se détourna un instant, cachant une certaine montée d'émotion derrière son éternel masque de froideur. Prendre réellement conscience de tout ce qu'engendrait ce fait lui faisait quelque chose. Il venait de comprendre le problème, sans doute dans sa quasi entièreté. Stiles avait sans doute dû vouloir alerter, auparavant mais puisqu'il ne parlait plus, on n'y avait pas fait attention. Derek se souvint brusquement de la première réunion de meute durant laquelle Stiles ne parlait plus. Il se rappela ce poing serré, ce regard courroucé. Déjà à ce moment-là, le jeune homme était frustré et en colère parce qu'il ne pouvait rien dire. Son absence par la suite avait été presque automatique. Tout faisait sens.

A cause de son mutisme, Stiles s'était retrouvé peu à peu isolé de la meute, de ses amis. Ce même mutisme l'avait probablement propulsé au rang de victime idéale de ces quelques enfoirés de son lycée. Et il n'avait rien pu dire. La réaction plutôt agressive qu'il avait eue lorsque Lydia lui avait posé des questions était très parlante : elle montrait un Stiles désabusé, qui avait perdu espoir en la parole. Le mutisme l'avait muselé. Nul doute que Stiles avait essayé d'alerter sur sa situation, mais on avait dû ne pas l'écouter.

Derek serra les poings, respira un bon coup et se retourna brusquement vers le lycéen qui le regardait, perdu. Son visage extrêmement fermé lui fit peur. Le lycan s'assit à côté de lui et, sans crier gare, prit l'un de ses poignets entre ses mains. Aussitôt, les veines noires apparurent et l'hyperactif releva des yeux ahuris vers le Hale. Pourquoi lui prenait-il sa douleur ? Il aurait voulu lui dire que ce n'était rien, que ça disparaîtrait au bout d'un moment, qu'il n'avait pas à prendre cette peine… Non, vraiment, Stiles ne méritait pas qu'on lui accorde un cadeau de ce type. Pour autant, il n'eut pas la force de se débattre, de refuser. Il était épuisé, aussi bien moralement que physiquement.

Stiles n'en pouvait plus, il en avait marre de cette situation. Elle le bouffait, le tuait à petit feu chaque jour. Lorsqu'il ne se faisait pas frapper, c'était la peur qui l'étreignait et le paralysait : impossible alors de faire quoi que ce soit de constructif. Et Stiles était fatigué de ne pas être serein. Chaque pas en dehors de chez lui était une torture. A chaque coin de rue, l'hyperactif avait la boule au ventre à l'idée qu'on le tire soudainement en arrière, qu'on l'attrape, qu'on fasse de lui ce qu'on voulait. Dans ces moments-là, Stiles n'était rien de plus qu'un objet, un sac de frappe, un défouloir. Personne ne pouvait entendre ses supplications silencieuses, impossible pour lui d'attirer l'attention de qui que ce soit. C'était une spirale infernale qui se répétait sans cesse.

Alors, Stiles n'eut même plus ne serait-ce que l'envie de refuser. Il laissa Derek tout lui prendre, sans concession. Cet abandon était tel qu'il se laissa carrément aller contre lui au fur et à mesure que la douleur s'en allait, laissant place à une plénitude soporifique. La fatigue physique prenait le dessus. La tête contre l'épaule de Derek, il ferma les yeux sans pour autant s'endormir. Il se reposait superficiellement, mais c'était bien assez pour qu'il ne s'effondre pas. Ce qui lui importait le plus en cet instant, c'était de ne pas pleurer. Il était faible, c'était un fait : ses larmes, c'était les derniers pans de sa dignité. Il devait les garder pour lui.

Ce qu'il ne put retenir, en revanche, ce fut les tremblements de ses mains, puis du reste de son corps. Sa faiblesse était exposée au grand jour et son corps, auparavant trop crispé à cause de la douleur se détendait et lâchait tout.

- Tout va bien, Stiles. Tu es en sécurité.

La voix de Derek était grave, presque douce mais surtout, rassurante. Même s'il n'avait pas interprété ses tremblements de la bonne manière, les mots étaient justes et le touchèrent en plein cœur. C'était tout ce qu'il désirait entendre depuis des jours. Et Stiles oublia toutes les raisons pour lesquelles il les avait repoussés, lui et Lydia. Une boule se forma dans sa gorge.

- Plus personne ne te fera du mal, d'accord ?

Nouveau coup au cœur. Péniblement, Stiles hocha la tête, qu'il gardait irrémédiablement baissée. Il voulait le croire et à vrai dire, c'est ce qu'il fit. Il n'avait plus la force de résister, d'être méfiant, de repousser pour mieux se protéger. Et puis… C'était Derek. D'aussi loin qu'il se souvienne, Derek avait toujours été là pour sauver ses fesses et celles de Scott, quand tout cette histoire de loups-garous avait commencé. Alors oui, il avait eu quelques moments de colère et Stiles avait eu droit à des placages contre de pauvres murs qui n'avaient rien demandé mais aussi à son nez contre le volant, mais rien de bien méchant. Derek ne l'avait jamais tabassé, jamais frappé à proprement parler. Avec le temps, il était même devenu l'ombre rassurante, ce qui le détendait imperceptiblement lorsqu'il devait faire quelque chose de risqué pour la meute.

Là, Stiles était si mal en point que de toute manière, il aurait laissé faire n'importe quel membre de la meute. Le fait que ce soit Derek et non Scott qui prenne sa douleur lui faisait mal. C'était adorable de la part du Hale, bien sûr, seulement… Stiles n'oubliait pas les messages de Scott, auxquels il avait arrêté de répondre, ni son attitude indifférente alors qu'il tentait parfois désespérément de lui parler de ses problèmes. Scott l'avait encore une fois laissé tomber et ça le tuait. Si Derek n'était pas à ses côtés à l'heure actuelle, qui sait ce qu'il aurait pu faire. Peut-être continuer d'endurer en silence, jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Ou alors, peut-être aurait-il mis fin à ce calvaire d'une manière plus radicale. Car ce n'était pas fini, il s'en doutait. Ils reviendraient. Ils n'avaient pas fini de s'amuser avec leur jouet préféré. C'était si facile de se distraire avec lui.

Stiles mentirait s'il disait ne pas avoir envie de pleurer. C'était tout l'inverse. Sa gorge était nouée, ses yeux le piquaient jusqu'à carrément le brûler. Son corps était un torrent dévasté par la douleur qui refluait, grâce à Derek. L'hyperactif se sentit alors vide. Il n'avait plus de forces, plus d'envie, plus rien. A cet instant, on aurait dit une loque, une poupée cassée par un jeu un peu violent. Mais un pantin, ça ne pleurait pas. Stiles ne se lâcherait pas maintenant, pas devant Derek. En fait, il se déconnecta peu à peu de la réalité sans vraiment faire grand-chose pour l'empêcher. Son cerveau voulait l'isoler ? Très bien, Stiles ne résisterait pas. Il avait fait bien assez d'efforts ces derniers temps pour tenter de rester debout, pour tenir. Là, c'était trop. Il n'en pouvait plus.

Alors il céda à l'appel du sommeil bienheureux offert par son absence de douleur.

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Derek avait beau faire comme si tout allait bien, il n'en menait pas large et ce que venait de lui envoyer Lydia ne lui plaisait pas.

Scott avait été très mécontent de ne voir ni Stiles, ni Derek à la réunion et il l'avait fait savoir à la jeune femme, qui avait discrètement tenu le loup au courant de tout. Pour être honnête, Derek ne regrettait pas le moins du monde d'avoir décidé de rester au loft, auprès de Stiles. Ainsi, il pouvait le soulager de sa douleur dès que ça n'allait pas. De plus, il pouvait le surveiller à sa guise et être là dès que le plus jeune avait besoin de quoi que ce soit.

Stiles alternait entre grosses siestes et réveils courts. Derek n'était pas le moins du monde étonné. Les blessures de l'hyperactif étaient nombreuses et épuisantes. Il avait pris cher, il était donc normal qu'il ait besoin de repos. Et encore, ce n'était que le premier jour. Le fait qu'il n'hésite pas à rester allongé et à se rendormir était une bonne chose. Ce qui l'était moins, c'était ce silence artificiel. Derek ne digérait toujours pas le mutisme du plus jeune. Son babillage était naturel, pas ça. Le pire dans tout ça, c'était le désir flagrant de Stiles de se faire tout petit, comme s'il avait peur de se faire remarquer. Lorsqu'il se réveillait, c'était toujours la même chose : il gardait les yeux fermés un moment alors même que Derek savait pertinemment à quel moment il sortait de sa torpeur. Ensuite, il demandait vraiment le minimum au loup, comme de l'eau ou juste de l'aider à se déplacer pour aller aux toilettes. Pour lui, il valait mieux attirer le moins possible son attention.

Ce que Stiles ne savait pas, c'était que Derek le gardait sans arrêt dans sa ligne de mire, prêt à subvenir à n'importe lequel de ses besoins. En fait, sa retenue lui déplaisait fortement, mais il ne lui disait rien. Ce qu'il désirait, c'était le mettre à l'aise, lui montrer qu'il était libre de faire ce qu'il voulait. A croire qu'il avait mal compris le message.

- T'as faim ? S'enquit Derek en revenant dans le salon.

Il avait passé un temps monstre à la cuisine, s'essayant à faire quelque chose d'un peu différent de ce qu'il faisait d'ordinaire – autre chose que des pâtes. Alors il espérait que Stiles répondrait oui, pour ne pas avoir fait tout ça pour rien.

L'hyperactif haussa lentement les épaules en grimaçant. Ce n'était pas l'idée qui le rebutait et Derek le savait : il sentait la douleur dans son odeur. Sans doute aussi cherchait-il à éviter de le déranger.

- J'ai préparé quelque chose, tu veux bien goûter ? Demanda-t-il d'un ton qu'il voulut égal.

Il avait formulé autrement sa question, de manière à avoir une chance de changer la réponse de l'hyperactif. La tentative eut l'effet escompté puisque l'adolescent hocha doucement la tête. Derek comprit et s'en alla dans la cuisine. Il revint une bonne minute plus tard, un plateau bien rempli à la main. Bien évidemment, son but, c'était de le nourrir et pas de simplement le pousser à goûter son plat. Stiles n'avait rien mangé depuis qu'il était là et ça faisait un moment. Il était vingt-trois heures et Derek ne voulait pas qu'il passe la nuit sans manger. Quant au shérif, ce n'était pas un problème : Lydia s'était arrangée pour lui faire croire que l'hyperactif avait été convié à participer à une petite soirée de meute et qu'il lui avait demandé de passer chercher quelques affaires. Elle devrait passer d'ici peu de temps. La réunion de meute s'éternisait pour une raison inconnue. Sans doute la banshee lui expliquerait-elle pourquoi.

Dans tous les cas, sa priorité actuelle restait Stiles, qui fit les yeux ronds en voyant le plateau. L'assiette qui se trouvait à l'intérieur était remplie de riz accompagné d'aiguillettes de poulet, le tout agrémenté d'une sauce que Derek ne saurait certainement pas refaire sans suivre à la lettre une des recettes de sa sœur. Il y avait également les couverts, du pain et un verre rempli d'eau. Tranquillement, le loup déposa le plateau sur la table basse, qu'il rapprocha du canapé.

- Tu veux que je t'aide pour te redresser ?

Stiles sembla hésiter, puis il finit par hocher négativement la tête et Derek retint un grognement. Encore une fois, l'hyperactif refusait son aide alors qu'il en avait besoin. Mais pour quelle raison ? Etait-ce de la fierté ? Non, ce n'était pas le genre de Stiles. C'est seulement lorsqu'il vit son regard fuyant et ses traits crispés qu'il comprit. Stiles se faisait tout petit, il évitait d'attirer son attention. Là, il tentait de se redresser à la seule force de ses bras qui le faisaient immanquablement souffrir. Cela se voyait autant dans son regard que cela se sentait dans son odeur dont la fragrance commençait à piquer. Bien vite cependant, Stiles grimaça sans le vouloir et ne bougea pas beaucoup. Il n'y arrivait pas, c'était trop dur de forcer sur la partie de son corps qui avait pris le plus cher. C'étaient ses bras qu'il avait utilisés pour protéger son visage. Ils avaient tout pris. N'en pouvant plus de le voir souffrir pour rien, Derek s'installa vite près de lui et l'obligea doucement à se recoucher, avant de lui prendre la main. Les veines noires apparurent et le regard noisette éteint de Stiles s'ancra dans le sien. L'hyperactif était perdu, apeuré aussi. En fait, il ressentait tellement de choses que son odeur s'en retrouvait saturée. C'est dans ce genre de moments que Derek aimerait l'entendre parler. Il avait eu beau se plaindre de son débit de parole par le passé, c'était beaucoup plus simple ainsi de savoir ce qu'il avait, d'avoir son ressenti. Là, Derek ne pouvait se fier qu'à son odorat et ce n'était pas suffisant. Il lui fallait mettre des mots sur ce que ressentit précisément Stiles. De simples idées d'émotions, ce n'était rien. Elles se mélangeaient tellement qu'il était difficile d'en faire ressortir ne serait-ce qu'une. Après le repas, il faudrait que Derek se débrouille pour le faire communiquer avec lui et pour ça, il avait déjà une petite idée.

Même si Derek avait pris la douleur de son petit protégé, il choisit de l'aider quand même à se redresser correctement. Il réarrangea les deux plaids de manière à ce qu'il soit bien et à l'aise, qu'il n'ait pas froid. Puis, il l'enjoignit à manger et après un regard incertain, Stiles s'exécuta, le plateau désormais sur ses genoux.

Ce fut long, très long. Stiles avait du mal à manger. Pas parce qu'il avait mal : pour l'instant, la douleur n'était pas encore réellement revenue. C'était simplement… Difficile. Peut-être n'avait-il pas vraiment faim, sans doute s'enfiler un plat aussi consistant juste après son agression n'était pas une excellente idée, mais Derek s'en foutait. Ce qui comptait, c'était qu'il se nourrise, qu'il reprenne des forces.

En plus d'être longues, ces minutes furent on ne peut plus silencieuse et c'était d'autant plus perturbant lorsque l'on s'avait qui se trouvait là. Concernant Derek, bien sûr, ce n'était pas vraiment surprenant. Les seuls réels bruits qu'il y avait étaient causés par Stiles qui mâchait, ou par la collision entre les couverts et l'assiette. C'est alors que Derek s'attarda sur ses mains.

Deaton ne les avaient pas bandées et ce, parce que les blessures qui s'y trouvaient ne dataient pas de l'agression et ne nécessitaient pas d'être recouvertes. Pour autant, elles étaient récentes, c'était certain. Et ces mains abîmées lui firent mal au cœur. C'étaient des mains qui avaient frappé. En faisant attention, Derek remarquait chacune des plaies, dissociant les plus petites des plus grandes. Certaines avaient dû saigner, recouvertes désormais par une croûte rouge foncé ou bien brunâtre, selon les endroits. De temps à autre, de légers tremblements secouaient ces mains qui devaient être belles, lorsqu'elles étaient en bon état. Ce n'est qu'à cet instant que le lycanthrope remarqua la longueur des doigts de Stiles. Ils étaient fins et longs, des doigts qui semblaient presque grâcieux. Pour peu, Derek pouvait les comparer à des doigts de musiciens. C'était souvent un avantage d'avoir de longs doigts. Au piano, il était plus simple d'attraper les touches, au violon, à la harpe, de toucher des cordes lointaines.

Le regard de Stiles le stoppa brutalement dans sa contemplation. Il semblait confus et gêné, ce qui était compréhensible. Qui ne le serait pas en voyant quelqu'un fixer ses mains depuis une éternité. Derek s'excusa vaguement et lui demanda, l'air de rien, si c'était bon, si ça lui allait. Stiles hocha la tête avant de la détourner assez rapidement, comme s'il avait peur de quelque chose. Peut-être avait-il besoin d'un peu d'intimité. Derek lui dit alors qu'il revenait un peu plus tard et qu'il le laissait tranquille un moment avant de se lever. Il allait se mettre à marcher lorsqu'il se rendit compte d'une pression sur sa manche. Il se retourna alors et vit la main de Stiles s'accrocher au tissu et elle lui parut tellement petite à ce moment-là que le cœur de Derek rata un battement sans même qu'il s'en rende compte.

Le visage de Stiles était défait, la tristesse semblait dominer, cette fois. Il le fixait, ses yeux noisette ancrés dans les siens, ses iris perdus comme jamais. Derek vit l'adolescent ouvrir la bouche avant de la refermer, comme s'il avait essayé de parler. L'hyperactif tenta alors de faire parler son regard et enfin, il eut l'air de le supplier de quelque chose. Derek le fit raffermir sa prise sur sa manche et c'est alors qu'il comprit.

- Tu veux que je reste ? Demanda-t-il en guise de confirmation.

Stiles hocha doucement la tête. Derek sentait que s'il était moins faible, il l'aurait fait plus vivement. L'envie qui ressemblait plus à un besoin qu'autre chose était très présente dans ce regard fébrile. Passablement surpris, Derek accéda à sa requête, s'asseyant sur le fauteuil à côté du canapé. Si Stiles voulait qu'il reste avec lui, c'était bon signe. Cela voulait dire qu'il n'était pas fermé à la discussion ou du moins qu'il acceptait son aide. Honnêtement, Derek en était soulagé. Cela avait beau paraître peu, pour lui, c'était un bon pas en avant. Stiles ne le rejetait pas comme il avait rejeté Lydia l'autre soir.

Ainsi, ce fut en la présence de Derek que Stiles arriva à manger plus de la moitié du contenu de son assiette.

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Stiles avait l'air apaisé quand il dormait. Son visage n'était plus déformé par cet air perdu et apeuré. Malgré tous les hématomes qui coloraient sa peau pâle, il gardait ses traits fins, quoiqu'un peu boursouflés à cause de ses blessures. Le bleu indigo rendait ses grains de beauté moins visibles mais si l'on faisait attention, on pouvait les remarquer, disséminés sur son visage, sur son cou, ses bras… Derek en vint même innocemment à se demander s'il en avait sur tout le corps, avant de se rabrouer, ne trouvant pas sa pensée très correcte. En tout cas, le voir ainsi lui faisait plaisir, car c'était la première fois depuis très longtemps qu'il semblait détendu en sa présence et c'était tant mieux. Stiles avait besoin de repos et Derek était satisfait de voir qu'il n'avait pas lutté contre le sommeil qui l'assaillait malgré sa présence. En fait, elle avait semblé le rassurer. Si tel était réellement le cas, Derek ne pouvait qu'être ravi, en toute mesure bien sûr.

Il se crispa et se leva rapidement lorsque la porte du loft s'ouvrit. Ses muscles se détendirent quand il vit la rouquine refermer derrière elle. Le gros sac de sport qu'elle tenait d'une main montrait qu'elle avait tenu parole, sans doute avait-elle trouvé une excuse potable pour tromper la vigilance du shérif Stilinski. Lydia savait se montrer très persuasive. D'un geste, Derek lui indiqua le bel endormi et la jeune femme hocha la tête. Elle déposa le sac dans un coin et accompagna Derek dans la cuisine. Lorsqu'il eut légèrement fermé la porte, elle se décida à prendre la parole.

- Comment va-t-il ? Demanda-t-elle précipitamment.

- Ca va, répondit simplement Derek. Il s'est réveillé et a mangé un bout.

La jeune femme sembla soulagée par cette réponse. Pour être honnête, elle avait peur que Stiles réagisse si violemment à son réveil qu'il refuse toute aide, notamment de manger quelque chose. Elle avait encore en mémoire sa réaction de la fois dernière. Stiles avait besoin d'être aidé et il fallait qu'il l'accepte. Alors ce que lui apprenait Derek ne pouvait que la rassurer.

- Alors, cette réunion ? S'enquit le loup.

Ce changement de sujet sembla déplaire à Lydia puisque son expression s'assombrit d'un coup. Pas parce que le sujet était particulièrement grave, seulement… Elle paraissait d'un coup lasse, fatiguée. Parce qu'elle savait que ce qu'elle allait lui rapporter n'allait pas lui plaire et sur le chemin pour venir au loft, la banshee s'était longuement demandé si elle devait tout lui raconter ou non. Cependant, elle en était venue à la conclusion que la meilleure chose à faire était d'être honnête. Elle avait dissimulé la deuxième partie du message de Scott avant la réunion mais elle s'en voulait.

- Scott n'était pas très content de votre absence, commença-t-elle.

Derek manqua de lever les yeux au ciel. De ça, il s'en fichait. Que Scott soit content ou pas, il n'en avait cure. C'était un jeune alpha encore un peu obtus et ne faisait pas assez attention à ce qui l'entourait.

- Il… Commence sérieusement à s'impatienter du retour de Stiles. Pour lui, ses absences récurrentes relèvent de l'irresponsabilité.

Là par contre, la curiosité de Derek fut piquée au vif, tout comme sa colère. Il vit dans le regard et l'odeur de Lydia qu'elle ressentait la même chose que lui. Et encore, ce n'était que le début.

- Il trouve aussi très bas de sa part de ne pas répondre à ses messages depuis hier. J'ai eu envie de lui dire qu'il était complètement aveugle et que Stiles… N'était pas en état de venir, mais je me suis retenue. Je pense que Stiles ne voudrait pas que ça se sache toute suite et surtout de cette manière.

Derek hocha la tête, comprenant parfaitement son point de vue, tout en gardant son calme. Ce qu'il entendait ne lui plaisait effectivement pas du tout.

- Te concernant… Il te pardonne pour ton absence, il comprend que tu as ta vie et qu'utiliser tout le temps ton loft peut te fatiguer à force, mais il tient à ce que tu sois présent la prochaine fois. En fait, il en veut surtout à Stiles de faire traîner les recherches.

Derek manqua de grogner mais se retint de justesse. Ce n'était pas fini, Lydia avait encore quelque chose à dire.

- Scott trouve que Stiles abuse par rapport à son problème, qu'il… Qu'il en fait tout un plat.

Aussitôt, les yeux de Derek se mirent à briller de leur couleur bleu électrique si singulière. Lydia recula légèrement, les mains devant elle.

- Calme-toi, l'intima-t-elle. Ecoute, ses propos m'ont énervée de la même manière mais il faut que tu gardes ton calme. Toi et moi savons la vérité, lui non. Ne lui accorde pas trop d'importance, celui qui compte actuellement, c'est Stiles. On doit l'aider.

- Et c'est ce qu'on va faire, finit par répondre Derek, les dents serrées.

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C'est un rythme cardiaque trop rapide qui réveilla Derek au bout de la nuit. Le cœur qu'il entendait battait à tout rompre, à une vitesse inquiétante. Les bruits de respiration saccadée qui accompagnaient l'irrégulière pulsation ne rassurèrent pas le moins du monde le loup, qui repoussa sa couette sans une hésitation et descendit à l'étage du dessous en trombe, sans prendre en compte le fait qu'il était simplement en boxer.

Le salon était plongé dans une obscurité quasi-totale, mais pas assez pour que les sens lupins de Derek ne soit pas utiles. Il vit sans peine Stiles, gigotant dans le canapé, le visage déformé par la peur, la douleur et les larmes. Son odeur était si difficilement supportable qu'elle fit froncer le nez du lycanthrope. Néanmoins, il ne recula pas, se précipita plutôt vers le jeune homme en sueur. Le choc prit possession du loup lorsqu'il vit la bouche grande ouverte de l'adolescent… Comme s'il criait, sans le son. Son corps se tendit dans son entièreté et Derek n'hésita pas une seule seconde : ses doigts s'enroulèrent autour du fin poignet de l'hyperactif et les veines noires apparurent.

Il en fallut du temps, pour aspirer sa douleur. Parce que Stiles se débattait, apeuré. Parce que même si Derek ne faisait que lui répéter qu'il s'agissait de lui et de personne d'autre, Stiles ne semblait pas l'entendre. Et la raison à cela était simple.

Stiles était en plein cauchemar. Un cauchemar dans lequel il criait silencieusement, il avait mal. Un sombre songe dans lequel il tentait vainement de se défendre. C'était peut-être pour ça que ses joues étaient mouillées et qu'il ne s'en souciait pas le moins du monde.

Derek ne sut comment, mais il trouva la patience pour l'immobiliser et lui prendre comme il le pouvait sa douleur, qui avait dû se réveiller un peu avant qu'il ne se mette à cauchemarder. La prise de souffrance par un loup-garou avait d'impressionnants effets : l'on ne ressentait absolument plus rien pendant un laps de temps variable pouvant aller d'une à plusieurs heures. L'inconvénient était donc le côté éphémère de la chose. Par manque de chance, l'effet s'était dissipé en pleine nuit, ce qui n'était pas ce qu'aurait souhaité Derek pour le repos de Stiles. Bien sûr, il aurait aimé que celui-ci dorme d'une traite, sans souci. Son cauchemar et sa souffrance en avaient décidé autrement puisque le jeune homme se réveilla soudainement.

Et si Stiles était gêné d'être dans les bras de Derek qui le maintenait contre lui pour terminer de lui prendre sa douleur, cela ne se vit pas le moins du monde. Complètement sous le choc de son rêve, il tremblait de tous ses membres et esquissait le moins de mouvements possibles. Il ne le savait pas, mais Derek le voyait. Ses yeux lupins virent ceux de l'adolescent s'ouvrir brusquement. Même si les couleurs se voyaient moins dans l'obscurité, le loup discerna tout de même le rouge foncé dans le blanc des yeux de Stiles. L'adolescent peina à reprendre une respiration normale et ce qui l'aida, ce fut la présence de Derek qui le serrait doucement contre son torse. Il y eut peut-être aussi un moment où il le berça comme il le put – parce qu'autant être honnête, ce n'était pas dans sa nature d'être doux – en lui chuchotant des paroles apaisantes à l'oreille.

En lui répétant que tout allait bien, que plus personne ne le toucherait. Qu'il n'était plus seul. Il lui dit tout ce qu'il avait besoin d'entendre et qui était véridique. Tout ce qui pouvait le rassurer.

Il omit toutefois une chose. Volontairement.

Derek ne dit pas à Stiles qu'il retrouverait sa voix parce qu'au fond, il n'en avait aucune idée et qu'on l'avait assez répété à Stiles. On lui avait dit qu'il serait sans doute capable de reparler dans peu de temps, que ce n'était qu'une passade. Il n'avait pas à dramatiser de la sorte et puis un peu de silence, ça ne fait pas de mal de temps en temps.

Alors, Derek ne lui dit rien sur ce sujet-là. Parce que Stiles devait être assez désabusé pour ne plus croire à cet espoir facétieux.

C'est peut-être pour cette raison qu'il pleura de longues minutes en pensant que Derek ne le voyait pas. Sauf qu'en plus de le voir presque comme en plein jour, le loup sentait l'odeur amère de ses larmes. La seule chose qu'il ne pouvait entendre parce qu'il n'existait plus, c'était le bruit de ses sanglots.

Derek ne sut alors pas ce qui était le pire. Entendre quelqu'un pleurer et geindre pendant des heures ou savoir qu'on pouvait également sangloter silencieusement sans que personne ne le sache.

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- Sers-toi ce que tu veux, indiqua Derek en déposant un plateau sur les genoux de l'adolescent.

Il était onze heures du matin et Stiles n'avait pas l'habitude de se réveiller aussi tard mais son horrible nuit ne lui avait pas laissé le choix. Les yeux entrouverts car il peinait à s'habituer à la lumière du jour, il hocha la tête en esquissant ce qui devait sans doute ressembler à un petit sourire mais qui se transforma bien vite en grimace. Bien vite, l'adolescent se reprit pour que Derek ne remarque rien. La douleur revenait encore et toujours, ne semblant vouloir jamais s'en aller. Sauf que le lycanthrope n'était pas dupe.

- Stiles, je suis un loup tu sais, lui rappela-t-il.

C'était comme un proverbe, quelque chose d'immuable qu'on pouvait sortir en toute situation. Une phrase simple, que comprit tout de suite Stiles : il ne pouvait rien dissimuler, que ce soit sa douleur ou ses émotions, au loup qui le logeait. A ce constat, il manqua de souffler mais se retint au dernier moment, conscient que cela ne serait pas très poli de sa part alors que Derek se montrait… Tout simplement adorable. Stiles n'était pas amnésique, il se souvenait parfaitement de ce qu'il s'était passé cette nuit et n'était pas près d'oublier l'étonnante patience dont le Hale avait fait preuve. Son étreinte, ses chuchotements si doux. Mais par-dessus tout, ses paroles si prometteuses auxquelles il aimerait beaucoup croire et qui l'avaient d'ailleurs bien calmé sur le moment. Maintenant, il doutait. Parce que tout ne pouvait pas être si facile. Derek allait le garder jusqu'à, quoi… Aujourd'hui, peut-être demain s'il avait de la chance ? Après, tout recommencerait. Le silence serait à nouveau son compagnon de vie, il ne verrait son père qu'en coup de vent, il retournerait dans cet enfer qu'était le lycée et les coups pleuvraient à nouveau… Parce que Stiles n'était pas bête. Quand il s'absentait, la punition était toujours cuisante. Ses agresseurs seraient frustrés par l'absence de leur jouet et s'en donneraient à cœur joie lors de leur retour.

Alors elles étaient belles les promesses de Derek, mais Stiles doutait un peu. Pas que le loup lui mente nécessairement, juste… Son moment de répit était plus court qu'il ne le laissait entendre.

C'est sans âme que Stiles piocha dans le plateau pour se nourrir un peu. Il y avait un peu de tout : de la pâte à tartiner, de la confiture, quelques tranches de pain-demi et quelques viennoiseries que Derek était sans doute parti acheter avant son réveil. Un très léger sourire étira vaguement ses lèvres en voyant les efforts du lycanthrope pour être gentil. Mais ça ne suffirait pas. Stiles n'arriverait pas à manger à sa faim, tout simplement parce qu'il restait préoccupé. En fait, ce qui pourrait l'aider, ce serait de savoir précisément quel jour il devrait s'en aller, pour profiter un maximum de cette bienheureuse tranquillité qui s'offrait à lui. Personne ne l'attaquerait, ici. Parfois, Stiles se rongeait les sangs dans sa chambre. Ses camarades connaissaient son adresse et le jeune homme se demandait à quel moment il les verrait débarquer chez lui, à un moment où il serait seul, sans son père pour l'aider. Alors oui, au loft, il pouvait se détendre durant le laps de temps qui lui serait accordé.

Et c'était déjà pas mal.

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Treize heures. Derek avait dû s'absenter pour une raison qu'il ne lui avait pas précisé.

« J'ai quelque chose à faire, lui avait-il dit, je reviens vite. »

Stiles n'était pas angoissé à l'idée de rester seul au loft. Personne ne connaissait l'adresse de Derek, mis à part la meute et surtout, ses camarades ne pouvaient pas se douter que Stiles se trouverait là, sans oublier que le loup avait fermé à double-tour en partant.

Alors non, Stiles n'était pas stressé, pas vraiment. Non, ce qui le préoccupait, c'était ce tas de feuilles et ce stylo qui l'attendaient sur la table basse avec un support rigide. Avant de partir, Derek avait mis bon nombre de choses à sa disposition : il avait rapproché du canapé une multiprise à laquelle était branché un chargeur compatible avec le téléphone de Stiles, ledit cellulaire, quelques livres choisis au hasard dans la bibliothèque, des petites poches contenant des biscuits et un grand verre d'eau. Sauf qu'à l'heure actuelle, Stiles n'avait ni envie de manger, ni de boire, ni de surfer sur son portable.

Il voulait écrire.

Alors qu'est-ce qui l'en empêchait ? La peur. Derek ne lui avait pas précisé la raison pour laquelle il lui avait amené ça. En fait, il lui avait juste dit qu'il avait à disposition de quoi ne pas s'ennuyer. Forcément, Stiles ne savait pas ce qu'il avait le droit de faire ou ne pas faire. Parce, bien sûr, il ne voulait pas déranger le loup-garou, faire quelque chose qui ne lui plairait pas.

En fait, Stiles voyait ce papier comme outil libérateur. S'il ne pouvait pas parler, il était toujours capable d'écrire. Jusqu'à maintenant, l'hyperactif n'avait jamais pensé à coucher ses pensées sur papier, cette fois-ci pourrait être une première. Mais avait-il seulement le droit ? Si ça se trouve, Derek lui avait mis tout ça à disposition seulement pour qu'il dessine ou alors… Pour qu'il lui fasse part de demandes particulières, il n'en savait rien. Les feuilles et le stylo étaient là, sur la table basse. Ils l'attendaient, l'appelaient.

Et Stiles tremblait d'envie d'écrire.

Mais que pourrait-il noter ? Sur le coup, l'hyperactif n'avait pas de réponse précise. Ses pensées, c'était trop vague. Néanmoins, il se pencha en grimaçant légèrement, attrapa comme il put le support, les feuilles et le stylo. Ses mains tremblaient encore un peu et étaient toujours en mauvais état, mais il s'en foutait. L'appel de l'écriture était trop fort. Il fallait qu'il le fasse. C'était vital.

Le bouchon noir finit à côté de lui, sur le plaid qu'il ne quittait pas. Et le stylo gratta le papier qui noircit à vue d'œil. Au début, son écriture était passablement tremblante à cause de ses mains malmenées. Tenir le stylo correctement était une chose passablement compliquée lorsque l'on avait la peau dans un tel état. Ses barres n'étaient pas droites et ses boucles, peu sûres. Il hésitait aussi beaucoup sur les mots, doutait de sa légitimité à en employer certains. Il fit beaucoup de ratures, trouvant certains de ses choix mauvais.

Plus le temps passait, moins il hésitait. Son écriture se fit progressivement plus sûre et régulière, Stiles prenait confiance non pas en lui, mais en ce qu'il faisait et c'était déjà beaucoup. Les mots s'enchaînèrent avec l'aisance que suivait le fil de ses pensées.

Ce qu'il écrivait, c'était un peu de tout. Il racontait sa vie, parlait de ses angoisses, ses ressentis et relatait certains des évènements qui l'avaient marqué et le tuaient à petit feu. Il notait sa haine concernant sa faiblesse, son envie de s'échapper de cet enfer et des choses, bien trop de choses qui mettraient en colère Derek s'il lisait ça. Mais il ne le ferait pas, n'est-ce pas ? Après tout, il lui avait mis ce matériel à disposition juste pour qu'il s'occupe, jamais il ne ferait attention à quelques pauvres notes inscrites par un adolescent qu'il avait sauvé d'une agression. C'était inintéressant au possible et ça ne regardait que lui. Assurément, il ne viendrait même pas à l'idée du loup-garou de ne serait-ce que poser les yeux dessus.

Alors, Stiles se lâcha, ne pensant même pas à se censurer. Comme en transe, il écrivit sans s'arrêter ce qu'il ne pouvait dire, tous ces mots qu'il était incapable de prononcer.