« Il y a des jours où je me demande pourquoi je continue de me battre. Pas au sens physique du terme, puisqu'on ne peut pas dire que je sois vraiment capable de… Taper des gens. C'est plus à moi que je fais mal qu'aux autres et c'est… Plutôt problématique. »

[…]

« Hier, j'ai tout fait pour être discret. Je ne suis pas allé en cours à proprement parler, j'ai squatté la bibliothèque. A ce moment-là, c'était impensable pour moi de me retrouver dans cette salle de classe, entouré par tous ces gens. Je pensais naïvement que je pourrais y être tranquille. En soi, je l'étais. J'ai juste… Paniqué parce que je n'arrivais à rien. Tout tournait en boucle dans ma tête, me concentrer, je n'y arrivais plus. J'étais toujours ailleurs, je pensais à tout sauf à mes exercices. Mes mains me faisaient mal, aussi mais ça, c'était ma faute. Alors j'ai angoissé. Je n'arrivais plus à tenir mon stylo correctement, réfléchir devenait impossible. J'avais peur, peur qu'ils arrivent, peur de me faire agresser à la sortie. Je crois que je me suis fait la réflexion que c'est pas vivable, de vivre sans arrêt dans la peur. Ça te paralyse, ça t'empêche de penser comme tu le voudrais. La peur, c'est un frein à tout. »

[…]

« L'autre jour, Lydia et Derek ont débarqué chez moi à l'improviste. Je sais pas d'où leur est venue l'idée, mais ils étaient là. Mes absences ne semblaient pas inquiéter grand-monde alors je me disais que ça allait, personne n'irait jusqu'à venir me voir. En fait, c'était particulier : je voulais qu'on sache tout autant que je désirais rester dans le secret. Je voulais pas qu'on découvre ce qui m'arrivait, j'avais peur de… Peur de quoi au juste ? Peut-être de plein de choses. La peur fait tellement partie de ma vie maintenant que je ne sais même plus ce qu'elle concerne réellement, par moments.

Le pire, ça a été quand Derek et Lydia ont vu mon visage. Ils ne sont pas bêtes, ils ont sans doute tout de suite compris ce qui m'arrivait et je crois que je n'ai jamais eu aussi honte de ma vie. Ma faiblesse était étalée au grand jour : Stiles Stilinski, l'humain de bas-étage, se faisait tabasser. Cliché, n'est-ce pas ? Cliché et surtout, pathétique. Je n'ai jamais rien eu de marquant, d'impressionnant. J'ai toujours été moyen, aussi bien physiquement que mentalement. Avant, j'étais un loser avec Scott. On était tous les deux nuls, mais on était ensemble, on affrontait tout comme on pouvait. On était des frères. Maintenant, je suis le seul. Scott a su s'élever, gagner en prestance avec tous ces trucs de loup-garou. Moi, je suis resté celui que j'étais. Affreusement moyen.

Alors quand ils ont vu mon visage, j'ai senti quelque chose se briser en moi. Encore. Je faisais déjà pâle figure sans ma voix... Qu'on voie mes blessures m'a fait me sentir si mal que j'avais envie de disparaître. Je ne voulais plus qu'on me soigne, qu'on me regarde, qu'on s'occupe de moi. J'avais si honte que je voulais briser tous les miroirs de la maison pour ne plus jamais réussir à deviner mon reflet. J'avais envie d'oublier mon visage, mon corps, tout. Je voulais que tous ces bleus disparaissent, toutes ces plaies aussi.

Ils étaient là, toujours là. Ils voulaient m'aider, mais au lieu d'accepter leur sollicitude, j'ai fait l'autruche. J'ai agi comme le plus gros des idiots. Je me sentais déjà brisé au point de penser qu'aucune aide ne pourrait m'être apportée et que chaque regard de Lydia était trompeur. Je m'attendais à ce qu'elle me rie au nez et que Derek se moque de ma faiblesse. Me retrouver à me faire soigner par Lydia, c'était comme me mettre à nu. C'était une humiliation sans précédent. D'un seul coup, je me retrouvais face à mes problèmes, que j'essayais tant d'éviter et je n'étais pas le seul témoin.

Alors j'ai refusé de révéler quoi que ce soit et je me suis à nouveau retrouvé seul. »

[…]

« Ne pas pouvoir parler, c'est très frustrant et pour être honnête, ça a détruit ma vie. C'est à cause de ce mutisme que je suis en train de perdre tout le monde, mais je me demande si je ne les perdrais pas quand même, même en parlant. Peut-être que le fait que je sois muet accélère les choses. Stiles ne parle plus, pourquoi s'embêter à discuter avec lui ? Pourquoi s'embêter à lui dire les choses directement ? Il suffit de l'ignorer. Après tout, quand il ne parle pas, il n'est rien. Puisqu'en soi, ma présence dérange. Elle n'est utile que pour les recherches. Mes monologues ennuient, agacent, énervent. Mon silence ravit les oreilles. Combien de fois je les ai entendus dire, au début, que ça leur ferait des vacances ? C'est tellement plus facile de me laisser tomber de cette manière. Je ne peux pas riposter, pas m'indigner : on n'écoute pas ceux qui ne parlent pas. Je ne peux que contempler ce fossé qui grandit, qui m'éloigne des autres, ce fossé dans lequel je peux basculer à tout moment.

Et pourtant, je ne leur en veux même pas. Parce que je les aime tous à en crever. Ce sont mes amis, ils sont gravés dans mon cœur et je pourrais donner ma vie pour eux, sans hésiter. Peu importe ce qu'ils me font vivre, peu importe qu'ils m'ignorent quand je vais mal. C'est ma famille, c'est ma meute.

Et je ne suis même pas sûr qu'ils feraient la même chose pour moi. »

[…]

« Scott est comme les autres. L'amitié, peu importe sa durée, n'est pas toujours aussi sincère qu'on le croit. C'était lui qui m'avait dit un jour qu'on était des frères. Je n'ai jamais douté de ce fait. On était fusionnels, on faisait les quatre cents coups ensemble. Dès que la bêtise de l'un était découverte, c'était l'autre qui se dénonçait pour le protéger : on se soutenait mutuellement.

Les choses ont lentement changé.

D'abord, Scott a quitté mon monde, celui des losers, pour quelque chose de plus gratifiant. Il est devenu un loup-garou et sa popularité a grimpé. J'en ai profité un peu, sans le vouloir. Comme j'étais son meilleur ami et qu'on me voyait tout le temps avec lui, je prenais de l'importance… En apparence.

Le début, ça a été Allison. C'était sa première petite-amie, son premier amour. Il faisait tout avec elle. Dès qu'il avait du temps libre, il allait la voir. Entre eux, c'était comme chien et chat. Ça allait, puis ça n'allait plus. Ils se cherchaient sans arrêt, s'éloignaient pour mieux se rapprocher. Jusque-là, je comprenais.

Non, là où ça a commencé à être problématique, c'était lorsque j'avais besoin d'aide. L'épisode le plus parlant à cette époque-là, c'était celui de la piscine. Derek était paralysé, le kanima nous menaçait… Je devais le maintenir hors de l'eau alors que je nage très mal et que mon endurance est très limitée. Trop limitée. J'ai tenté de l'appeler à l'aide et pour ça, j'ai pris le risque de laisser Derek couler. Scott a raccroché, parce qu'il devait absolument voir Allison. Il ne m'a même pas laissé le temps de m'expliquer. Heureusement qu'on a réussi à se débrouiller sans lui… Ca ne nous a pas empêchés d'être passés au bord de la mort, Derek tout autant que moi.

Le pire, ça a sans doute été quand Théo a berné tout le monde. Moi, j'avais remarqué depuis le début qu'il était louche. Personne ne me croyait mais ça, c'était autre chose, j'avais l'habitude. On ne m'avait déjà pas cru quand je disais que Matt avait un lien avec le kanima alors j'acceptais, je faisais simplement attention de mon côté. J'incarnais la méfiance que tout le monde refusait d'avoir.

Ce qui a commencé à me tuer, c'est lorsque je me suis retrouvé avec cet énorme fardeau sur les épaules. Théo a arrangé à sa sauce la manière dont la mort de Donovan avait eu lieu et Scott l'a cru. C'était un accident, un putain d'accident. Il a tenté de me tuer, m'a poursuivi dans la bibliothèque et c'est là que c'est arrivé. Je me suis défendu, il est tombé, s'est empalé sur une barre de fer. Je me souviens de tout comme si c'était hier. Le bruit. Les gargouillis. La lumière. Son visage blême. Son dernier soupir. Le sang de sa mort a longuement hanté mes nuits et je crois que je n'oublierai jamais le vide dans ses yeux grands ouverts.

Théo s'est arrangé pour que Scott pense que je l'ai assassiné… Volontairement. De sang-froid. Il avait récupéré ma clé à molette, celle qui avait servi, qui était recouverte de sang.

Un soir, alors qu'il pleuvait, Scott m'a accosté. Rabaissé. N'a pas voulu m'écouter. Il a pensé que j'avais agi comme un monstre, que j'étais un monstre. Il ne l'a pas dit de cette manière, mais il le pensait. Et ça a suffi à me faire me sentir comme une merde, alourdissant mon fardeau moral. On ne s'est jamais fait la gueule aussi longtemps et on a eu du mal à se rabibocher. Encore aujourd'hui, je me demande ce qui l'a poussé à croire Théo et à me laisser de côté.

Je crois que ça m'a marqué et que ça me rend moins patient qu'avant à son sujet.

Je ne suis même pas sûr qu'on soit encore réellement amis, aujourd'hui. Les amis, c'est toujours là pour se soutenir, c'est présent dans le bons comme dans les mauvais moments. Ça marche dans les deux sens.

Mais Scott n'est plus là pour moi depuis que je ne parle plus. »

[…]

« Je veux pas retourner chez moi parce qu'en ce moment, ça va pas fort (sans déconner). Comme je ne peux plus parler, les rouages de mon cerveau sont plus actifs que jamais. Je pense trop. Le plus souvent, mon père travaille et quand il est là, je fais tout pour l'éviter, parce que je veux pas qu'il sache. Je veux pas qu'il se dise que tout ce qui lui reste de sa femme adorée, c'est un fils raté. J'ai besoin que l'illusion tienne le choc, qu'il pense que je vais bien, malgré mon silence. Je peux pas le décevoir, pas encore. Avec moi, il va de déceptions en désillusions et il faut que ça s'arrête. Il doit se dire que ça va. Il doit garder cette image de moi : celle d'un mec un peu trop bavard, un hyperactif un peu trop fouineur, peut-être un tantinet inconscient. C'est pas l'image parfaite, mais ça suffit.

Il ne doit pas savoir que parfois, la solitude me donne des idées noires. »

[…]

« Des fois quand je me retrouve dans la salle de bain, je me regarde dans le miroir et c'est généralement pas une bonne idée. Chacune de mes ecchymoses me rappelle les coups que j'ai pris. A chaque fois je les revois au-dessus de moi.

Et je me souviens qu'ils s'amusent. Pour eux, c'est un jeu. Je suis un jouet, leur jouet. Mon silence les fait rire, ils trouvent ça drôle de frapper un objet animé, incapable du moindre son. Ça les arrange. C'est si pratique de tabasser quelqu'un qui ne peut pas crier, pour qui la protestation est impossible.

Parfois, il m'arrive de me demander ce qui se passerait si je disparaissais. Qui est-ce que ça toucherait ? Qui est-ce que ça soulagerait ? Inutile de se mentir à soi-même : je sais que je ne suis pas un cadeau. Ce qu'on aime chez moi, c'est mon silence, mon absence.

Alors des fois, je regarde cette lame de rasoir qui parfois me tente et je me demande si ça ferait mal. Je ne parle pas de mutilation. Rajouter des marques de souffrance sur mon corps, c'est pas mon truc. Des plaies, j'en ai déjà bien assez. L'idée, c'est plutôt d'être radical. D'en finir pour de bon.

Je ne suis pas du genre suicidaire mais j'avoue y songer de temps à autres. Parce que tout ça devient vraiment difficile à supporter et à bien y réfléchir, la mort me semble bien plus douce que ma vie actuellement. Elle, elle pourrait m'accueillir sans haine, sans violence. Les bras ouverts.

Je ne peux pas continuer de tenir dans l'indifférence générale. »

[…]

« Chaque jour, c'est pire. Quand je me lève, ma première pensée est tournée vers ma douleur. C'est elle qui me réveille, plus que mes alarmes pour aller en cours. Toujours, je me demande : qu'est-ce qui va m'arriver aujourd'hui ? Et même si parfois, je n'ai pas cours avec ces gens, je ne peux pas empêcher cette boule d'angoisse de s'ancrer dans mon ventre et de grossir. Elle gangrène, jusqu'à ce que je me laisse gagner par le stress. Elle gangrène jusqu'à ce que je tombe sur le sol froid du lycée. Elle gangrène jusqu'à ce que je comprenne que c'est terminé, c'est arrivé.

Et pourtant quand ça finit, je ne ressens jamais ce soulagement qui devrait me gagner. Parce que je sais que ça recommencera, tôt ou tard, que ça ne sera pas la dernière fois, bien au contraire.

On ne jette pas un jouet encore utilisable.

Alors je continue d'avoir peur, jour et nuit. Dans mon lit, je tremble, je pleure, je lâche tout. Je ne compte même plus le nombre de fois où je me suis réveillé dans des draps mouillés par endroits. Quand je m'endors en pleurant, je bouge dans tous les sens et il n'est pas rare que ma taie d'oreiller finisse bien humide. C'est trop de pression, trop de douleur contenue, tant de choses qui ne demandent qu'à sortir.

Trop de non-dits.

Parce que c'est bien ça le problème. Je ne peux pas parler, pas crier, pas faire entendre ma douleur. Tout ce que je peux faire, c'est endurer en silence. J'ai beau forcer, rien ne sort. C'est fini, le silence gagne.

Je déteste ce mot, il est le reflet de mon enfer.

Je hais le silence. »

[…]

« Ne pas pouvoir parler me donne mal à la tête. Tout ce que je ne peux pas dire, ça tourne en boucle. Je ressasse sans arrêt, je ne cesse de réfléchir et ça continue indéfiniment, jusqu'à ce que je prenne de quoi dormir ou de quoi avoir moins mal. Là seulement, mes pensées ralentissent, sans jamais s'arrêter néanmoins. C'est un manège sans fin, qui ne permet pas le répit.

Je rêve d'un jour où je pourrai me poser et ne penser à rien. Être vide de tout problème, tout souci, toute pensée. Être serein. Mais en même temps je sais que c'est impossible parce que je suis hyperactif et qu'un hyperactif, ça n'arrête jamais de penser. C'est une machine au rythme inarrêtable, à la batterie infinie. Un hyperactif, c'est comme ça : peu importe les efforts et les moyens mis en œuvre, rien ne peut l'arrêter à proprement parler.

Sauf le mutisme.

Et la mort. »

[…]

« En fait, je ne sais pas ce qui est le mieux. Derek m'a sauvé, c'est… Gentil, cool, adorable, mais… Je ne sais pas si c'était une si bonne idée que ça. Maintenant que je suis chez lui et que je prends le temps de bien y réfléchir, je me rends compte de l'effet pervers que ça peut avoir. Là je suis bien, il veille à ce que je mange, il fait en sorte que je sois à l'aise, que je ne souffre pas trop, il me met des trucs à disposition pour que je ne m'ennuie pas. La question c'est : quand cela va-t-il cesser ? Y a forcément une fin, une date de péremption à ce repos inespéré ou plutôt ce répit.

C'est effectivement juste ça : du répit. Quelque chose d'éphémère, qui ne dure pas dans le temps. Une pause bienvenue dans ma vie. Un truc qui me permet de tenir encore un peu, de ne pas m'effondrer tout de suite. Un moment de calme. Pour au final quoi ? Qu'est-ce qui se passera après ?

Je rentrerai chez moi. Je retournerai en cours. Et tout recommencera. Ça risque d'être pire : nul doute que ces gars me feront payer mes absences.

Peut-être que ce sera la dernière fois, qu'un coup un peu trop fort à la tête me tuera. Peut-être que ce sera la dernière fois, que j'en aurai tellement assez que je cèderai à la facilité du lâche qui n'a plus rien à perdre. Peut-être que ce sera la dernière fois, que la lame glissera si facilement sur ma peau qu'elle ôtera tout doute de moi en même temps qu'elle m'ôtera la vie.

Je ne sais pas si je supporterai de retourner en enfer et je crois que ça me fait peur.

J'ai peur de vivre, comme j'ai peur de mourir.

Et j'en ai assez d'être terrifié. »

Derek reposa les feuilles sur la table et mit une main devant sa bouche, entrouverte à cause de l'horreur des émotions qui l'animaient. C'était pire que ce qu'il pensait.

Déjà une bonne heure qu'il était rentré et il avait trouvé Stiles en train d'écrire. L'air détaché, il lui avait demandé s'il pouvait lire ces feuilles déjà noircies. L'adolescent l'avait regardé un instant, l'air hésitant et perdu, avant d'hocher timidement la tête. Par la suite, il était retourné gratter le papier sans plus se préoccuper du loup, en apparence. Il stressait, avait peur et était empli de honte, le lycanthrope le sentait à son odeur qui piquait légèrement ses narines.

Et après avoir lu, Derek comprenait mieux pourquoi. En fait, il savait la raison pour laquelle Stiles avait accepté de lui montrer ces feuilles malgré les récits qu'elles contenaient. Ce n'était pas difficile. C'était privé, mais l'hyperactif ne se voyait sans doute pas refuser la demande de Derek, sous peine de… De quoi, d'ailleurs ? En reposant son regard particulier sur l'adolescent qui continuait de s'affairer – peut-être pour éviter de croiser ces orbes si spéciales –, Derek se demanda avec peine s'il le craignait encore. S'il avait peur d'une éventuelle réaction de sa part, quelle que soit la situation.

C'était grandement possible.

Parce que la peur dominait son odeur. Cependant, impossible pour le loup de savoir ce qui la suscitait exactement. Stiles était terrorisé par tant de choses en ce moment qu'il était difficile de le deviner du premier coup, mais sa peur de la réaction du Hale restait probable.

- Hé, dit-il alors doucement.

Stiles se figea une seconde, avant de lentement relever la tête vers le loup. Impossible de manquer son expression craintive : elle crispait chaque trait de son visage, cassait l'harmonie qu'il avait entrevue lorsqu'il dormait.

- Quand tu ne veux pas quelque chose, sens-toi libre de me le dire, je ne le prendrai pas mal.

Le regard miel le jaugea de longues secondes, l'air de vouloir chercher une once de mensonge ou de plaisanterie dans ces paroles si tentantes.

- Avec moi, tu peux dire non, précisa le loup, la voix profonde.

Mais Stiles ne semblait pas convaincu. En fait, il avait carrément l'air sceptique, méfiant, mais surtout… Epuisé. Epuisé de croire, d'espérer, d'attendre de l'aide qui ne venait pas. Cependant, Derek était là. Il avait du retard, certes mais il était là. Et il était hors de question qu'il laisse tomber Stiles. La lassitude présente dans un coin de son regard lui faisait mal, tout grincheux qu'il était.

- Je te le jure, fit Derek en le regardant sérieusement.

Stiles détourna le regard et finit par hocher la tête. L'air de rien, il se cala comme il put contre le canapé et se remit à écrire, sur une nouvelle feuille, qu'il tendit rapidement à Derek.

« Pourquoi tu es gentil ? Je veux dire, pourquoi tu continues ? Tu m'as sauvé, ça devrait te suffire, tu n'as pas besoin de faire plus pour moi. »

Si Derek ne connaissait pas autant Stiles et s'il n'avait pas lu ses précédentes confessions, sans doute l'aurait-il trouvé bête à poser la question.

- Parce que tu fais partie de la meute, répondit-il tout naturellement.

A ces mots, l'hyperactif esquissa difficilement un rictus amer, comme s'il n'y croyait pas. Dans ses yeux, la lassitude envahit tout et son odeur devint aigre. Lui, faire partie de la meute ? La bonne blague.

« Tu me ferais presque rire, tu sais ? Ne prends pas de pincettes avec moi, Derek, je sais très bien que ce n'est plus le cas. J'ai arrêté d'en faire partie le jour où j'ai perdu ma voix. »

Une douleur perfide de par sa nature s'insinua dans le cœur de Derek, l'imprégnant avec une progression si lente qu'elle en était particulièrement sadique. Ce n'était pas une confession. C'était un fait, et le voir écrit en direct par l'hyperactif rendait la chose plus tangible. Ce n'était pas quelque chose de facile à lire, tant les mots étaient durs à lire, comme s'ils étaient imprégnés par l'odeur de Stiles. De la tristesse. De la rancœur. De l'amertume. De la douleur. Et Derek s'en voulait parce qu'en fait, Stiles avait raison. Son mutisme l'avait effectivement doucement écarté de la meute et même s'il avait commencé à enquêter en compagnie de Lydia qui était sur la même longueur d'onde que lui, il était clair que l'hyperactif avait été mis de côté avec une aisance folle. Et lui, Derek Hale, n'avait rien fait pour l'en empêcher, parce qu'il ne s'en était pas tout de suite rendu compte. N'étant pas particulièrement proche de Stiles à la base, il n'avait pas fait le rapprochement aussi vite qu'il ne l'aurait dû. En fait, c'était surtout à Scott, Lydia et les autres de faire ça. En repensant à l'alpha, Derek se tendit. Les dernières paroles de la banshee le concernant tournaient en boucle dans sa tête.

- Ecoute, commença le loup, je sais que j'ai mis du temps à me rendre compte de ce fait, mais je veux que tu saches que tu n'es plus seul.

Stiles reprit sa feuille et griffonna quelques mots.

« Pour combien de temps ? »

La mâchoire de Derek se crispa. Ça commençait mal. Stiles n'était pas très coopératif, mais c'était largement compréhensible. A sa place, Derek aurait sans doute réagi de la même façon, si ce n'est de manière un peu plus… Directe ?

« Je t'en veux pas, tu sais. J'en veux à personne. A vrai dire, je comprends. En fait, quand je prends un peu de recul sur la situation, je me dis que j'ai vachement merdé, mais je pensais que vous m'appréciiez quand même. Mais j'ai fini par me rendre compte que je me trompais. Je suis de trop. Mon hyperactivité dérange, mon habitude de parler beaucoup aussi. Mais j'y peux rien, je suis, enfin… J'étais comme ça. Le silence, j'ai toujours détesté ça et parler a toujours été la meilleure échappatoire à mes yeux. »

Derek se gratta distraitement la barbe en lisant douloureusement ces mots. Ce n'était définitivement pas Stiles qui avait merdé, dans l'histoire. Non, c'était bel et bien la meute et ça, il comptait bien le faire comprendre à l'hyperactif.

xxx

Trois jours étaient lentement passés. Stiles logeait toujours chez Derek et restait immanquablement muet. C'était bête mais chaque matin, le loup se levait en pensant à ses babillages infinis, comme si ceux-ci deviendraient réels une fois que l'hyperactif entrerait dans son champ de vision. Il l'imaginait souriant, heureux comme jamais de parler, parler et encore parler. A la place, il retrouvait un jeune homme prostré, le visage tuméfié et l'air absent. Silencieux. Immanquablement silencieux. Et ça, c'était à cause de la meute, Derek en était certain. Il ne savait pas que les étoiles filantes réalisaient les vœux qu'on leur faisait et pour une fois, il aurait aimé que cela ne soit pas le cas. Un membre de la meute avait forcément souhaité que Stiles se taise à ce moment-là, il n'y avait pas d'autre explication possible et quand il y repensait, Derek trouvait ça égoïste. Car l'hyperactif qu'il gardait chez lui ne méritait pas ça. La parole, c'était son moyen d'expression favori, sa bouée de sauvetage. Maintenant et depuis la disparition de sa voix, il coulait.

L'état de Stiles n'était pas génial. Ses blessures guérissaient très lentement, il mangeait peu, restait seul dans son coin, la plupart du temps sur le canapé. Certains jours, il passait son temps à écrire et d'autres fois il s'allongeait et regardait le plafond d'un air vide. Ses émotions ne changeaient pas, c'étaient toujours les mêmes qui agrémentaient son odeur caramel.

Les conversations avec lui étaient rares et le pire, c'était que Stiles avait apporté une justification à ce fait. Puisqu'il était obligé d'écrire pour se faire comprendre et qu'il avait jugé ne pas vouloir embêter Derek plus que de raison, il ne lui parlait pas. Le loup lui avait bien dit que devoir le lire ne le dérangeait pas, mais Stiles campait étrangement sur ses positions. Lorsque Derek essayait de comprendre pourquoi, Stiles se renfermait comme une huître et puait l'angoisse. Ainsi, la communication de l'hyperactif avec le bêta se limitait aux demandes essentielles comme l'aide à la douche ou bien pour se servir de quelque chose en particulier. Il demandait la permission pour tout et cela rendait le peu d'échanges qu'ils avaient… Stériles.

Ainsi, Derek finit par comprendre.

A force, il commençait à connaître les habitudes de son invité. Stiles pliait en se levant ce plaid qui lui servait beaucoup la nuit, remettait le coussin en forme, rangeait tout dans la panière à côté du canapé. Il mettait la table depuis qu'il était capable de se lever seul, la débarrassait. La serviette qu'il utilisait pour la douche séchait toujours sur l'étendoir, finissait impeccablement pliée sur le porte-serviette. Il ne laissait aucun vêtement traîner et mettait ceux qui étaient sales dans une poche en plastique, soigneusement dissimulée dans la grande poche latérale de son sac d'affaires. Tout ce qu'il sortait finissait toujours rangé lorsqu'il ne l'utilisait plus. Quand son téléphone avait terminé de charger, le chargeur terminait dans son sac, le câble bien enroulé autour de l'embout. Il faisait attention à ne rien salir et si c'était le cas, il nettoyait aussitôt avec empressement, comme s'il craignait que Derek ne trouve une tâche de lait sur la table, du gras sur un verre, un peu trop de poussière près du canapé. Les feuilles qu'il s'entêtaient à noircir avaient deux destins possibles : elles terminaient soit dans une poche de son sac, soit en boule dans la poubelle de la cuisine. De même, ses échanges potentiels avec Derek étaient effectivement réduits au maximum.

A force, sans doute espérait-il se rendre invisible. Sauf que ça ne marchait pas. Au lieu de l'oublier, Derek ne voyait plus que lui et ses tentatives pour s'effacer. Les mots de Stiles faisaient mal, mais sans doute pas autant que ses actes. Parce qu'ils étaient la démonstration claire et nette de son mal-être. Parce qu'ils mettaient sa peur en évidence. Oui, sa peur. La terreur de devoir s'en aller d'ici et de retourner en enfer. Parce que s'il rentrait chez lui, son père le forcerait à ne pas manquer le lycée : parce qu'il ne savait rien… Rien de ce qu'il vivait. Si l'inverse était vrai, nul doute que le shérif aurait déjà agi.

Stiles était terrifié à l'idée de perdre ce répit dont il avait tant besoin. Ses jours étaient comptés et il ne savait même pas combien de temps lui était accordé. Alors il faisait tout, tout pour que Derek, en bon seigneur, lui donne du temps. Et ça le touchait, bien plus qu'il ne le montrait. Stiles ne pensait même pas qu'il puisse l'aider par amitié potentielle, il était persuadé qu'il voulait quelque chose par-derrière. Pourtant, Derek n'avait aucune intention cachée. Non, il désirait juste… L'aider. L'empêcher de sombrer. Maintenant qu'il avait la preuve que Stiles allait mal physiquement et surtout mentalement, il ne comptait pas le lâcher. L'hyperactif avait été laissé de côté une fois et Derek ne voulait pas qu'il y ait une deuxième fois. Ce serait celle de trop.

Les premières confidences de Stiles posées sur papier le hantaient. Il avait songé au suicide, l'avait avoué par écrit sans aucun remord et ça lui ressemblait si peu que Derek avait tout, sauf envie de le laisser partir. Stiles, ce n'était pas cette loque presque invisible. Stiles, c'était ce jeune homme solaire, bienveillant, loyal, plein de vie ! C'était ce sourire contagieux, cette frimousse constellée de grains de beauté, ce regard rieur et espiègle, ce babillage constant, cette énergie folle, ce côté tête brûlée, cette fougue unique, cette loyauté indéfectible, ce dévouement sans faille. Le vrai Stiles lui manquait. Il avait ses défauts qui faisaient de lui ce qu'il était et c'était très bien comme ça. Si auparavant, il rêvait de faire taire Stiles, l'inverse était d'autant plus vrai aujourd'hui. Il voulait l'entendre, quitte à être submergé par un flot de paroles constant.

xxx

Quatrième jour.

Derek gara sa Camaro et en sortit, un gros sac de courses dans les mains. En plus d'avoir acheté de la nourriture pour l'équivalent d'une famille de douze personnes, il avait fait quelques petites emplettes supplémentaires. Il s'agissait de petites surprises pour Stiles qui, il l'espérait, lui feraient plaisir. Cinq jours qu'il était chez lui et son attitude ne changeait pas d'un poil. Seules ses blessures semblaient commencer à guérir, à une lenteur folle toutefois. Derek trouvait ça inquiétant. En fait, certains dictons humains disaient vrai : il était plus rapide de se soigner si l'on en avait la volonté. Vraisemblablement, ce n'était pas le cas de l'hyperactif. Se complaisait-il dans la douleur ? Non, il n'avait juste aucune envie, aucune motivation et sa méfiance envers Derek était toujours au beau fixe, bien qu'il ait légèrement baissé sa garde. Parce que rester aux aguets tout le temps, c'était fatiguant. Par sécurité, Derek avait conseillé à Lydia de ne pas passer tout de suite. Il voulait laisser du temps à Stiles et faire en sorte qu'il s'habitue à lui. Le lycanthrope se souvenait parfaitement de cette fois où il était venu chez Stiles avec la jeune femme : l'attitude de l'hyperactif avait été très parlante. Ainsi, il valait mieux éviter à Stiles de voir du monde pour l'instant, même si le monde en question était uniquement composé de Lydia.

Derek entra à l'intérieur de l'immeuble et pris l'ascenseur direction le septième étage, celui de son loft. A peine en fut-il sorti que son ouïe lupine capta des sons inédits. Il fronça les sourcils et se figea devant la porte d'entrée du loft. De la musique. Il entendait de la musique qui provenait de chez lui. Curieux, il déverrouilla la porte et rentra, sans oublier de refermer derrière lui. La musique s'arrêta brusquement et il vit Stiles qui, l'air paniqué, manqua de faire tomber son téléphone par terre. Histoire de ne pas le mettre mal à l'aise, Derek fit comme s'il n'avait rien vu, rien entendu.

Ce genre d'épisode se répéta plusieurs reprises durant la semaine et Derek eut bien du mal, en dehors de tout cela, à mettre Stiles à l'aise. S'il y avait bien une chose qu'on ne pouvait pas lui enlever en plus de son silence, c'était bien son opiniâtreté. S'il avait décidé de s'effacer, ce n'était pas tout de suite que Derek allait réussir à le convaincre du fait qu'il devait s'affirmer.

Le huitième jour, Derek tomba des nues. En rentrant, il entendit de la musique, encore et cette fois, elle ne s'arrêtait pas. Il vit alors Stiles grossièrement allongé sur le canapé, les yeux clos, la respiration lente et régulière. Il dormait. Sur la table basse, le téléphone portable du jeune homme diffusait une musique douce qui ne semblait pas le déranger, bien au contraire. En fait, Stiles dormait profondément, à tel point qu'il n'avait à aucun moment entendu le vieux grincement de la lourde porte d'entrée du loft. Derek déposa ses sacs de course et prit bien vite le jeune homme dans ses bras. Cela commençait à faire un moment qu'il y pensait, alors, profitant de son sommeil de plomb, le loup transporta le jeune homme à l'étage et alla l'allonger dans ce qui était autrefois la chambre de Peter, transformée en chambre d'ami depuis qu'il s'était entiché d'Isaac et passait son temps chez lui. Il l'installa confortablement dans le lit et monta la couverture jusqu'à ses épaules avant de le laisser en paix. Lorsqu'il revint au salon, il se rendit compte que la musique tournait toujours et qu'un nouveau morceau résonnait dans l'enceinte du loft. Derek reconnut du jazz et fut assez surpris puisque, lorsqu'il jeta un coup d'œil au téléphone de Stiles, il vit une playlist intitulée « blues and jazz ». Agréablement étonné par les goûts de son protégé, Derek éteignit la musique mais se fit toutefois une note dans sa tête. En rangeant les courses, il réfléchit.

Depuis quelques temps, Stiles se permettait d'écouter de la musique lorsqu'il n'était pas là et l'arrêtait dès qu'il l'entendait revenir. Avait-il, comme toujours, peur de le déranger ? C'était fort probable. Sans doute avait-il honte également. La peur de devoir rentrer chez lui assez tôt devait également conduire ses actes. Et tout ça chagrinait Derek. Parce que Stiles n'imaginait sans doute pas qu'il le garderait ici jusqu'à ce que cette affaire soit réglée. Et pourtant, c'était bien le cas. Il était hors de question qu'il l'abandonne, l'envoie à l'abattoir tant qu'il n'était pas certain que tout irait bien.

Pris d'une pulsion soudaine, Derek sut ce qu'il devait faire.

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- Je sors, annonça Derek comme à son habitude, le lendemain en fin de matinée. Je reviens dans quelques heures. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais où se trouvent les choses et si tu as un problème, envoie-moi un message.

Stiles hocha la tête et attendit que Derek ait fermé la porte derrière lui avant de pousser un soupire de soulagement. Enfin, il pouvait se détendre. Il savait qu'il le pouvait, que la présence du loup ne devrait pas le stresser de cette façon. Et pourtant, Stiles n'arrivait pas à se contrôler, à se dire qu'il avait le droit d'être lui-même. Il voulait tout faire pour gratter quelques jours encore, ces jours dont il avait tant besoin. Il guérissait, il n'y avait pas de doute là-dessus et dormir sans avoir peur de se faire frapper le lendemain, c'était une bénédiction, un espoir en lequel il ne croyait plus quelques jours plus tôt. Sa peur était maintenant toute autre et restait la même. Derek n'était pas clair et Stiles, lui, avait besoin d'une date. Il n'était plus capable de vivre au jour le jour comme avant, de ne pas se soucier le lendemain. S'il n'était plus terrifié à l'idée de se faire tabasser à n'importe quel moment de la journée, la peur de retourner en enfer continuait de lui serrer le ventre et de l'empêcher d'être lui-même.

Il prenait toujours son Adderall, même un peu trop bien. A vrai dire, il avait commencé à doubler les doses. C'était mauvais et il ne fallait pas qu'il fasse cela sur le long terme, mais il le faisait. La peur de se voir renvoyer trop tôt chez lui l'avait poussé à prendre cette décision démesurée. Il préférait s'affaiblir et diminuer sa vitesse de réflexion. Alors oui, forcément, il s'endormait un peu plus facilement et risquait de vite se retrouver à court d'Adderall. Mais il devait préserver Derek de ses travers habituels. Outre sa terreur de rentrer chez lui, se restreindre de cette façon était également une manière de remercier Derek. En seulement quelques jours, il en avait fait plus que ses amis qui, en un mois, l'avaient tout simplement laissé tomber. Le pire, c'était Scott : celui qui se disait son meilleur ami avait tout bonnement ignoré ses appels à l'aide, aussi discrets que des phares. Derek, lui, l'avait sauvé, était la lumière au bout du tunnel. Une lumière vacillante car éphémère, mais qui éclairait assez son chemin pour lui permettre de se relever. Alors oui, Stiles voulait réellement lui faciliter la vie. Derek était assez gentil de l'accueillir plusieurs jours chez lui alors l'hyperactif ne voulait pas l'emmerder comme il en avait l'habitude autrefois, lorsqu'il parlait.

Seul, Stiles se permettait quelques petites fantaisies. La musique en faisait partie. Puisqu'il n'avait pas ses écouteurs, il ne s'autorisait un fond sonore que lorsque Derek sortait. Ainsi, il n'entendrait rien et ne serait pas dérangé. Ecouter de la musique en son absence lui faisait du bien, lui permettait de se retrouver dans les mélodies, les paroles. Il avait un répertoire varié qui pouvait convenir à chaque situation qu'il vivait au quotidien. Parfois, il changeait de registre, juste pour rêver, imaginer des histoires qu'il ne vivrait jamais, mais qui lui changeaient les idées. C'était toujours trop court, provisoire, éphémère, mais bien assez pour lui faire passer des moments hors du temps. Il ne pouvait plus parler, alors il laissa la musique se charger de retranscrire ses émotions à sa place. Il était seul, mais ce n'était pas grave. Il lui restait encore ça, ce moyen d'expression. Bien sûr, il ne lui était pas le moins du monde venu à l'esprit l'idée de demander à Derek si un peu de musique le dérangeait ou non. Stiles préférait ne pas l'embêter et monter le son de son téléphone uniquement lorsqu'il sortait.

Le spectre de l'abandon possible de Derek flottait toujours autour de lui, chaque jour plus fortement. Il était un peu trop conscient du poids qu'il était. Déjà plusieurs jours qu'il était là, alors… Le loup n'allait plus trop tarder à le faire rentrer chez lui. Pour autant, Stiles retardait toujours plus ce moment, qu'il jugerait sans doute comme l'un des pires de sa vie lorsqu'il arriverait.

Stiles se leva sans chercher à cacher la grimace qui se mit à déformer avec force ses traits. Sa cheville le faisait toujours beaucoup souffrir. Il n'en avait pas informé Derek, trouvant cela inutile et contreproductif. Se forcer à garder un air qui se voulait impassible en sa présence n'était pas chose aisée. Par contre, ce qui était simple à cacher, c'était sa cheville. Stiles n'ayant que des pantalons larges, en porter un suffisait à la dissimuler. Il portait également des chaussettes peu serrées. Parce que sa cheville avait un peu gonflé et n'était pas très belle à voir.

Mais ça, ce n'était qu'un détail.

Boitant et pas qu'un peu, Stiles partit à la cuisine se chercher un petit verre d'eau avant de revenir et de se rassoir délicatement sur le canapé. Son corps était encore fragile et ses blessures mettaient leur temps à guérir. Son état mental n'accélérait pas le processus, mais il n'en avait que faire. Il savait ce qui l'attendait. Comme toujours en l'absence de Derek, il prépara son traitement, qu'il prit à double dose. Les cachets eurent un peu de mal à passer, mais Stiles ne leur laissa pas le choix et but quelques gorgées d'eau supplémentaires. A cela, il ajouta un antidouleur puissant. En quelques minutes seulement, il se retrouva somnolent. Assommé par ses médicaments, bercé par la musique qui s'était faite plus douce. Ainsi, il s'allongea mollement sur le canapé, s'autorisa un petit somme, juste… Dix minutes d'une sieste réparatrice. Rien de bien méchant ni de trop grand, seulement quelques minutes pour reposer ses yeux sans cesse fatigués, un peu de temps pour s'oublier, ne plus se souvenir de la palette de couleur qu'était sa peau.

Juste une petite dizaine de minutes, pas plus.

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Lorsque Stiles ouvrit les yeux, ce fut avec lenteur et après moults efforts. La fatigue le tiraillait encore et toujours, le torturait, lancinante. Il prenait trop de médicaments mais ça, il ne s'en rendait pas vraiment compte. Pour lui, c'était normal. Ce qui l'était moins, c'était la luminosité du loft. Il faisait plutôt sombre et la seule lumière provenait de la cuisine semi-ouverte. Un peu curieux malgré son esprit encore partiellement embrumé, Stiles se redressa doucement et ne remarqua même pas qu'aucune musique n'embaumait la pièce. Tout comme il ne vit pas ce qu'il se trouvait sur la table. Sa seule préoccupation, c'était cette lumière, qui transcendait l'obscurité. Lorsqu'il s'était posé ce matin-là, il faisait bien jour, pourtant… A peine réveillé, Stiles ne comprit pas tout de suite ce que cela pouvait vouloir dire. A vrai dire, il n'était pas sûr d'en avoir envie dans tous les cas. La seule question qu'il se posa fut la suivante : Derek était-il rentré ? Il espérait que non. Déjà qu'il s'était réveillé, une fois, dans un lit à l'étage… La honte. De plus, descendre les escaliers par la suite avait été une véritable torture pour sa cheville. Stiles s'était dit que Derek avait dû avoir besoin du canapé et s'était senti obligé de le déplacer pour en profiter pleinement… L'explication de l'hyperactif ne tenait pas la route mais il n'en voyait pas d'autres.

Un tantinet stressé quant au retour potentiel de Derek, Stiles se redressa un peu vite et finit par se lever. Un vertige le prit toutefois et il dut prendre appui sur le dossier du canapé puis fermer les yeux, alors qu'une douleur vive et familière naissait dans sa cheville. Marcher voire se tenir debout commençait à être réellement difficile mais le jeune homme n'y fit pas vraiment attention. Il grimaça en se tenant au meuble et sa main libre vint pincer l'arrête de son nez.

Puis, sans qu'il ait entendu quelques bruits que ce soit, l'hyperactif sentit très clairement une main se poser sur ses épaules et l'autre sur sa taille. A nouveau, il retrouva le moelleux du canapé. Il voulut grogner, exprimer son contentement mais la seule chose qu'il réussit à faire fut de grimacer encore plus. Ce qu'il ne savait pas, c'était que la douleur qu'il ressentait déformait carrément son visage en une moue qui mettait en valeur ses bleus et blessures.

- Reste assis, tu as dû aller un peu vite.

Cette fois, la voix de Derek lui parvint distinctement, plus douce et agréable que dans ses souvenirs. Il avait toujours eu une belle voix grave, parfois suave, séductrice… Mais la tendresse dont il ne faisait jamais preuve auparavant dissimulait partiellement cette beauté pour les oreilles. D'un coup, Stiles tilta. Derek. Il rouvrit un peu péniblement les yeux alors que son esprit commençait à s'éveiller, écarter le brouillard de la fatigue couplé à celui des médicaments. Et il le vit, ce regard bleu-vert si particulier, ces deux orbes posés sur lui. Son cœur rata un battement. Mais que faisait-il là, près de lui ? Qu'est-ce que…

- Je suis rentré il y a un peu plus de deux heures mais tu dormais. Je n'ai pas voulu te réveiller juste pour te dire ça, j'ai préféré te laisser te reposer, l'informa Derek, comme s'il lisait dans ses pensées.

Stiles eut du mal à déglutir. Bordel, il avait déconné. Gravement déconné. Son regard soudainement affolé passa sur ses mains, sur Derek, sur la lumière de la cuisine, sur le ciel à travers la vitre… Il faisait presque nuit. Et Stiles comprit enfin qu'il avait dormi bien plus que deux heures. Il avait pioncé toute la journée. Son souffle se coupa un instant. Merde, merde, merde… Ce n'était pas possible, il n'avait pas abusé à ce point… Il ouvrit la bouche pour s'excuser, pour sortir tous les synonymes de « pardon » mais, bien évidemment, rien ne sortit. Rien, sauf le néant. Son cœur rata un nouveau battement alors qu'il se rappelait de ce handicap qu'il oubliait parfois. Il savait qu'il ne pouvait plus parler, ni communiquer comme avant. Il le savait, et pourtant… Pourtant, il arrivait parfois à passer outre, à faire comme si tout était normal. Se retrouver seul l'y aidait, en quelque sorte. Mais lorsque Derek était là, la réalité lui revenait en pleine figure. Violente, soudaine, douloureuse. Il était toujours muet. Même pas capable de simplement s'excuser.

- Hé, calme-toi, lui dit doucement le loup, un peu désarçonné.

Mais ça, Stiles ne le vit pas, non. Puisqu'il évitait de regarder le loup, il ne vit pas ses yeux turquoise se remplir d'inquiétude, ni ses sourcils se froncer différemment, ni un profond trouble s'ancrer dans son visage de mannequin. Par contre, l'hyperactif sentit cette main, toujours posée sur son épaule. D'un coup, il releva la tête vers le loup et mima comme il le put un crayon griffonnant sur une feuille. Ses gestes étant simples, Derek comprit aussitôt et se tourna, prenant le support cartonné, quelques feuilles ainsi que le stylo que Stiles gardait toujours près de lui, sur la table basse. Là-dessus, il y avait autre chose, mais au vu de sa réaction, Stiles ne l'avait pas remarqué. Derek comprit alors qu'il aurait à lui montrer quand l'adolescent aurait écrit ce qu'il voulait. Malgré son inquiétude, une part de lui se détendit : Stiles voulait rarement communiquer et généralement, c'était Derek qui devait faire le premier pas.

L'hyperactif s'empara des outils d'écriture avec des gestes secs et saccadés. Il en fut de même lorsqu'il écrivit. Tout de suite, il semblait effrayé et pourtant, ce n'était pas cette émotion qui prédominait dans son odeur. Sans le regarder, Stiles lui tendit la feuille lorsqu'il eut fini, quelques secondes plus tard. Sa main tremblait. C'était presque imperceptible, mais Derek était un loup : son champ d'observation était plus large que celui d'un humain. Prenant le papier, il se mit à lire.

« Derek, je suis vraiment, vraiment, vraiment désolé. Je voulais me reposer juste… Dix minutes. Pas plus, je te le promets. Je pensais pas que j'allais… Passer ma journée à dormir. Je comptais… Je comptais nettoyer un peu, préparer à manger pour t'éviter de le faire, je savais pas que… Pardonne-moi, s'il te plaît.

Ne me renvoie pas chez moi, pas maintenant, je t'en supplie. Je me peux me rattraper, je te le promets. Laisse-moi encore un peu de temps, s'il te plaît. Juste un peu. »

Derek releva un regard perdu vers l'hyperactif qui suintait l'angoisse, la nervosité et… Les médicaments. Ce n'était pas la première fois qu'il le constatait, et pas la première fois qu'il voulait lui en parler. Puisque Stiles s'était partiellement ouvert à lui en lui faisant cette espèce de confession idiote, il allait devoir lui parler. Cette confession était même carrément stupide. Parce que, comme il l'imaginait, Stiles ne pensait pas de la bonne manière. Cette fois, il en avait la preuve concrète. La preuve écrite. Stiles se trompait totalement et il était temps de le lui faire comprendre. Très honnêtement, Derek ne pensait pas devoir arriver à devoir lui expliquer la situation : l'hyperactif face à lui était intelligent, il aurait pu deviner seul, comme il avait deviné tant de choses par le passé. Mais cette fois-ci, une chose différait. Stiles était effrayé, terrifié, traumatisé. Là était toute la différence. L'adolescent n'aidait pas les autres, c'était lui qui avait besoin d'aide et il semblerait qu'il n'en ait pas l'habitude. Derek comprit une chose supplémentaire : Stiles s'était toujours débrouillé seul, sans doute parce qu'il n'avait pas eu le choix jusqu'à maintenant. Et il s'y était accoutumé.

Pour Derek, il était important de casser cette habitude ou bien elle finirait par le détruire. Elle avait bien failli l'avoir lui. S'il n'avait pas rencontré cet idiot d'hyperactif ainsi que son imbécile de meilleur ami à la tête de chiot quelques années plus tôt, Derek aurait peut-être pu mal finir. A ce moment-là, il tournait mal et sans qu'ils ne soient au courant, ces deux jeunes gens avaient changé sa vie à tout jamais. Ils l'avaient rendu meilleur sans s'en rendre compte, lui avait permis de reprendre le chemin de l'humanité.

Cette fois, l'un d'eux avait besoin d'aide, et puisque le second était trop aveugle pour la lui offrir, c'était Derek qui s'en chargerait, avec Lydia si elle était d'accord – et elle le serait. Plus tard, il faudrait élargir le cercle jusqu'à englober toute la meute. Parce que même s'il était humain, Stiles faisait partie intégrante de cette étrange famille surnaturelle et ils devaient s'entraider, tous. Il fallait donc réparer l'erreur qui avait été faite de l'oublier.

- Stiles, il est temps qu'on mette les choses au clair, dit-il de but en blanc.

A vrai dire, Derek aurait dû mettre les points sur les I bien plus tôt, mais… Il apprenait, voyez-vous ? Être humain et réconforter, ce n'était pas dans ses habitudes. Bien sûr, il savait qu'il ne pouvait pas se comporter en grognant toutes les cinq minutes, qu'importe la situation. Certaines nécessitaient un peu plus d'efforts de son côté et celle-ci en faisait partie. En fait, elle était même carrément inédite. Ce n'était pas tous les jours qu'il accueillait un hyperactif muet depuis quelques temps après un sévère passage à tabac – qui, il en était certain, était loin d'être le premier. Alors oui, même après plusieurs jours, se comporter ainsi était nouveau, encore un peu compliqué. Cependant, il faisait de son mieux et continuerait tant que cela serait nécessaire.

Stiles, de son côté, se crispa. Ça y est, c'est maintenant, se dit-il. C'était là qu'il allait connaître sa sentence pour avoir déconné. Bien sûr, les mots étaient forts, mais c'était de cette manière-là qu'il pensait.

- Stiles, regarde-moi.

La voix de Derek gardait cette rudesse qui lui était propre mais c'était juste lui et Stiles le connaissait : il savait différencier ses différents tons. Quoique, à cause de ce qu'il avait subi, sans doute comprenait-il mal les choses… Sa vision concernant le temps qu'il passait ici et sur Derek était erronée, après tout.

Après moults refus silencieux, Stiles finit par lever ses yeux ambrés vers lui. S'il avait été capable de parler, sans doute aurait-il déjà commencé l'un de ses monologues interminables dont il avait le secret. Content d'avoir enfin le visage de l'hyperactif face à lui au lieu de ses cheveux, Derek ne perdit pas de temps. L'attention de l'adolescent était, en ce moment, difficile à avoir, alors il fallait en profiter. Derek garda sa main sur son épaule, sachant pertinemment que garder un contact physique avec lui pouvait l'aider à garder son attention, à l'ancrer dans la discussion qu'ils allaient avoir, malgré le silence forcé de son vis-à-vis.

- Tu sais Stiles, je ne vais pas te renvoyer chez toi si tu prends du temps pour te reposer. Je ne vais pas non plus te faire sortir d'ici juste parce que tu as fait quelque chose que tu considères comme mauvais. Parce que tu te trompes, tu ne fais rien de mal. Il faut que tu arrêtes de te torturer l'esprit avec ça. Quand tu t'es réveillé pour la première fois ici depuis ta dernière agression, je t'ai dit que plus personne ne te ferait de mal. Je ne t'ai pas dit ça pour te renvoyer à la première occasion. Si je te garde ici, c'est pour que tu te reposes, que tu prennes le temps d'aller mieux.

Pour être honnête, Derek n'aimait pas parler. Une phrase courte, une onomatopée, c'était juste assez pour communiquer avec les gens, leur répondre. Mais Stiles n'était pas n'importe qui et ne pouvait plus aider à mener une conversation. Par conséquent, c'était à Derek de faire des efforts pour lui faire comprendre sa pensée et surtout, lui faire entendre raison. Il fallait faire en sorte de mener l'hyperactif sur le cheminement de la vérité. Cette situation ne pouvait pas continuer comme ça et le lycanthrope s'en rendait bien compte. Il avait tardé et Stiles en payait les frais. Ce dernier le regardait d'ailleurs avec incrédulité.

- Ce que tu as vécu n'est pas rien, tu ne dois pas prendre ça à la légère. Je sais que tu as mal, encore, ça se sent dans ton odeur.

L'hyperactif sursauta lorsqu'il sentit la douleur le quitter à la seconde où le loup se mit à l'aspirer. Il tourna la tête et vit les veines de la main de son hôte se teinter de noir. Pourtant, il ne la retira pas, ne l'empêcha pas d'absorber sa souffrance physique. Après tout, il était loin d'être remis : disons simplement que c'était devenu supportable et que seule sa cheville lui donnait vraiment du fil à retordre. Mais les paroles de Derek, bien que timides dans leur utilisation et maladroites, commençaient déjà à faire leur effet. Le loup avait semé ses graines en lui avec quelques mots.

- Stiles, je me doute de ce que tu fais, tu sais ? Tu pues les médicaments. Tu as toujours eu cette odeur sur toi, mais jamais aussi forte que depuis quelques jours. Je n'étais pas sûr, mais maintenant oui. Tu pensais vraiment que je ne le remarquerais pas ? Pourquoi tu fais ça, Stiles ?

Stiles se mordit la lèvre inférieure. Il était mal à l'aise, vraiment. La honte qui naissait en lui ne l'aidait pas à affronter cette discussion à sens unique. De toute manière, il n'aurait peut-être rien dit, même s'il était capable de parler. Entendre Derek parler aussi longtemps était perturbant, surtout que ce qu'il disait… Avait du sens. Il y avait un véritable fond derrière ces mots simples. Et puis… Savoir que le loup avait compris ses petites manigances en plus de voir sa douleur l'emplissait de honte. S'il ne pouvait même pas lui cacher ça, comment dissimuler toutes ses tares qui faisaient de lui un être insupportable ? Derek allait le faire partir, il… Il allait… Non. Stiles essaya de combattre cette voix qui venait de la part la plus sombre et cassée de son esprit. Derek n'était pas du genre à mentir. Pourquoi aurait-il essayé de le rassurer si c'était pour le chasser juste après ? Pour se moquer de toi, du pauvre humain que tu es. Et puis, de l'autre côté : Non, Stiles, tu sais très bien qu'il veut juste t'aider. Oui, en soi, il le savait. En fait, il ne pouvait que le constater chaque jour, mais l'abandon de la meute le poussait à croire qu'il ne valait rien, que le laisser dans son enfer était la meilleure chose à faire pour avoir la paix.

- Tu me crois vraiment capable de te jeter dehors juste parce que tu… Te permets des choses ? Stiles, tu as le droit de vivre, de dormir, de manger, d'avoir mal, tu… Tu as le droit de me dire quand ça ne va pas. Je veux que tu me le dises. Que tu me l'écrives. Je sais que ne plus pouvoir parler te mine. Mais ça, tu peux me le dire aussi, tu sais ? Ne garde pas tout pour toi.

Et même s'il avait lu ses confessions lorsqu'il lui avait permis d'écrire pour la première fois, il savait que cela ne pouvait pas suffire à le soulager. En soi, ces quelques feuilles lui avaient servi de journal intime : il ne s'était pas confié à proprement parler, même s'il avait effectivement accordé au loup le droit de regarder ce qu'il avait écrit. Il l'avait fait, parce qu'il ne voulait pas le froisser.

La main de Derek redescendit doucement jusqu'à atteindre celle, un peu tremblante, de Stiles. Il n'était pas très doué avec les gestes, encore moins avec les mots, mais il se devait d'assurer.

- Si tu es ici, c'est pour te reposer. Pour aller mieux. Je ne vais pas te laisser partir si ça signifie te laisser tout recommencer. Maintenant que je sais ce qui t'est arrivé, tu te doutes bien que je ne vais pas te laisser partir comme ça alors que rien n'est encore réglé. Alors détends-toi et agis comme tu le souhaites. Ici, tu es en sécurité et tu peux rester tout le temps que tu souhaites. Je vais pas te bouffer.

Dans une autre situation, Stiles aurait déjà ri de retrouver son Sourwolf qui s'était d'ailleurs étonnamment bien assagi et dont les efforts étaient là, bien réels. Parler autant était un véritable effort pour lui, qui aimait tant le calme ! Pour cela, l'hyperactif avait un peu de mal à croire à son envie de l'aider. Pourquoi aider quelqu'un qui lui cassait les pieds à jacasser ? Même si ce n'était plus vraiment le cas maintenant, Stiles était et resterait hyperactif. Son mutisme ne lui enlevait pas son trouble, c'était même le contraire. Ses pensées n'étaient pas moins nombreuses, les rouages de son cerveau ne tournaient pas moins vite, bien au contraire. Ne plus être capable de parler accélérait tout. C'était sans doute pour cette raison que Stiles ne pensait pas dans le bon sens : son silence le minait tellement qu'il réfléchissait trop.

Alors oui, il savait que Derek n'irait pas le bouffer et qu'il s'agissait de quelqu'un d'honnête qui n'aimait pas les mensonges. On lui avait menti tant de fois et ça faisait si mal qu'il ne voulait faire ressentir cela à personne. Depuis longtemps, la franchise était sa ligne de conduite et tant pis si l'on n'aimait pas son honnêteté, ses mots souvent trop crus. Et pourtant, cette fois, ils étaient doux, comme si sa bouche savait quoi dire, quel registre utiliser pour toucher Stiles. Il savait que la compréhension était ce dont l'hyperactif avait besoin, lui qui avait été longuement mis de côté parce que son mutisme le faisait oublier. C'était le contraire qu'il fallait faire. Le silence de Stiles était dangereux, c'était justement cela qu'il fallait surveiller. Il pouvait se passer beaucoup de choses dans l'oubli, et le loup n'oubliait à aucun moment les mots qu'il avait couchés sur papier quelques jours plus tôt. Cette envie de mourir qui lui avait traversé l'esprit était loin d'être anodine. Faire cesser sa souffrance… C'était ça l'idée. Elle était devenue trop insoutenable.

Derek se devait de l'aider à la diminuer.

Stiles se remit à trembler comme il faut. Les mots de Derek pénétraient doucement en lui, avec une lenteur folle mais nécessaire. Accepter tout d'un coup était impossible, l'esprit de Stiles en était incapable à l'heure actuelle. Alors, il laissait les informations entrer en lui petit à petit, pour que son cerveau les digère progressivement. Et ce n'était pas facile, loin de là. Ecouter Derek signifiait accepter sa faiblesse et toutes ses imperfections qui faisaient de lui celui qu'il était. Celui que l'on avait abandonné aussi facilement qu'on jetait un vieux jouet à la poubelle. Stiles ne parlait plus ? Quelle aubaine !

Sa main libre vint cacher ses yeux soudainement larmoyants. Non, pas maintenant… Pas devant lui… Mais son corps ne semblait pas de cet avis : l'envie de craquer le prenait. Seul, il ne pleurait pas, s'efforçait d'écouter de la musique, de penser à autre chose, d'oublier tout ce qu'il se passait en ce moment. Alors, il ne se lâchait pas. Grave erreur. Voilà maintenant que ses yeux demandaient justice, voulant laisser échapper ces larmes traîtresses au plus vite. Ces gouttes salées qui l'alourdissaient chaque jour qui passait.

- N'aie pas peur d'être toi-même devant moi, Stiles. Je ne vais pas te rabaisser, te critiquer ou te chasser.

Tu vas m'abandonner. Ces mots, Stiles aimerait pouvoir les lui dire tant qu'il s'en sentait capable. Il en avait le courage : il lui manquait simplement la parole. Et pourtant, encore une fois, les mots de Derek étaient bien choisis, parce que celui-ci semblait lire dans ses pensées au fur et à mesure qu'elles défilaient dans son esprit torturé.

- Je sais que tu vas mal et il faut que tu arrêtes de te cacher. Ne te bourre pas de médicaments pour être plus calme, ne te fais pas discret pour ne pas me déranger.

Tout en faisant cela, il avait posé son autre main sur la joue de Stiles, celle qu'il ne cachait pas. Elle était douce malgré le bleu et le rouge mélangés. En fait, son visage restait harmonieux malgré son aspect encore un peu tuméfié. A l'intérieur, le loup de Derek enragea. Stiles portait sur lui et en lui les stigmates d'une violence inouïe. Il avait été frappé, traîné au sol, moqué. Seul. Et ce n'était que maintenant que les conséquences de ces mauvais traitements étaient réellement visibles. La douleur, si elle était trop forte, menait à la dissimulation. Même si Derek avait pu déceler certaines choses depuis un moment, il n'avait pu que constater la compétence de Stiles dans le domaine cité précédemment. Stiles était un peu trop doué pour son bien mais c'était définitivement fini, Derek ne se laisserait plus avoir.

Son regard vert d'eau étrangement doux fixait toujours le jeune homme avec inquiétude. Elle fut d'autant plus forte lorsqu'il fit autant qu'il sentit un soubresaut secouer le corps de l'hyperactif, vite suivi d'un deuxième, puis d'un troisième. Cette fois, Stiles se cacha entièrement le visage.

Il craquait, complètement découvert.