Le regard de Stiles sur Derek changea au fil des jours. Devint graduellement plus doux, tendre. Lorsque le loup-garou entrait dans son champ de vision… La pièce lui semblait devenir plus lumineuse et l'ambiance… Plus agréable. En fait, tout était mieux quand Derek était là. Puis… A ses côtés, Stiles apprenait à accepter ses blessures. Ce qu'il vivait, aussi. Au moins, son visage était moins marqué. Les points de suture qui lui avaient été faits s'étaient résorbés et Stiles savait que la cicatrice qu'il en garderait à l'arcade serait des plus légères. Les bleus ? Ils se faisaient de plus en plus discrets et la plupart avaient viré au jaune, quand ils n'avaient pas complètement disparu. Sa cheville ? Presque guérie. Derek y veillait. A chaque fois que Stiles faisait un effort de trop, il était là pour l'attraper et le porter. Le chouchouter. Le réprimander un peu, aussi. Disons que Stiles agissait parfois avant de réfléchir et qu'il oubliait régulièrement le fait qu'il devait faire attention, se préserver.

Le temps qu'ils passaient ensemble et seuls depuis que Derek avait quitté la meute était pharamineux.

Derek ne parlait plus. Ou quasiment plus. En fait, il n'en avait plus vraiment besoin tant ils se comprenaient l'un et l'autre. La plupart du temps, ils communiquaient à l'aide de baisers et d'étreintes dont les sentiments et l'intensité variaient selon leur humeur respective. Evidemment, lorsqu'il n'avait pas le choix, Derek ouvrait la bouche et faisait entendre sa voix rauque qui lui paraissait… Un peu trop bruyante et forte, à force. Déjà qu'il était un amateur du calme et du silence… Cette ambiance avait pris une tout autre signification depuis que Stiles se trouvait sous son toit.

Pour Derek, elle était le terrain de la communication. Beaucoup de choses pouvaient se passer et se décider dans le silence. Pour Stiles, c'était devenu moins angoissant. Moins morbide. Plus vivant. Le terrain de la tendresse, un espace où les gestes avaient plus de portée que les mots. Et ça lui allait fort bien, parce qu'il apprenait ainsi à s'exprimer sans filtre. A parler avec son regard qui, il le savait déjà, était fort expressif. Mais il savait qu'il devait l'être davantage. Ça rendait les choses plus faciles.

Etonnamment, il comprenait fort bien Derek et commençait à connaître le langage de ses sourcils par cœur. Mais ce qui l'aidait le plus à communiquer avec lui dans le silence, outre ses gestes, c'était son regard.

Il était limpide.

Stiles avait l'impression qu'il avait toujours été ainsi, tout en se disant qu'autrefois, il n'arrivait jamais à le déchiffrer. Peut-être était-ce juste parce que la parole l'avait rendu aveugle ou alors… Parce que Derek avait choisi de s'ouvrir à lui, de lui laisser voir ses mots au travers de son regard. Pour être honnête, Stiles préférait cette deuxième hypothèse. Il la trouvait poétique et jolie.

Le seul regret de l'hyperactif à l'heure actuelle, c'était de ne pouvoir entretenir de réelles discussions avec lui. Se comprendre était une chose : discuter en était une autre. Et Stiles aimerait pouvoir… Converser, comme avant – même si autrefois, Derek et lui ne parlaient pas vraiment. Il s'était plus ou moins remis à la lecture depuis son passage dans la petite bibliothèque du loft l'autre jour, et… Oui, il aimerait échanger avec Derek à ce sujet. De ça, et d'autres choses aussi. Il y avait tellement de sujets qu'il aimerait aborder avec lui, tellement d'aspects de cette étrange vie plus ou moins à deux qu'ils menaient pour l'instant…

Et Stiles savait qu'il pouvait y remédier. Après tout, n'avait-il pas informé Derek qu'il était d'accord pour apprendre la langue des signes ? N'avait-il pas fait naître ainsi le plus beau des sourires sur son visage ? Stiles s'en souvenait encore.

Chaque fois que cette image fugace lui revenait, il se sentait comme… Réchauffé. Tranquillisé. Cette réminiscence, il n'avait pas peur de s'en souvenir régulièrement. En fait, il en avait même besoin.

Concernant sa décision d'apprendre la langue des signes, elle était toujours d'actualité. Stiles n'avait et ne changerait pas d'avis. Il avait donné sa parole. Ceux qui le connaissaient savait qu'il ne revenait jamais dessus.

Alors oui, il comptait toujours se mettre à la langue des signes. Il n'avait juste, depuis qu'il avait dit cela, pas encore eu le courage de faire quelque recherche que ce soit. Oui non parce que c'était bien sympa de dire qu'il s'y mettrait : il fallait désormais s'y préparer mentalement. Stiles n'était pas prêt à se pointer à un cours de langue des signes comme cela. Il avait besoin de temps.

Disons que même si l'hyperactif s'accommodait doucement de sa vie actuelle, tout n'était pas encore acté. Son mutisme ? Stiles commençait à perdre l'habitude d'essayer de parler, parce qu'il intégrait progressivement le côté définitif de son handicap. Il savait qu'il aurait beau tenter de prononcer un mot ou d'hurler, plus rien ne sortirait. Et Stiles était fatigué de courir après des chimères, des espoirs aussi futiles que stupides. Alors voilà, il apprenait à accepter les choses en profondeur. A se faire véritablement à l'idée qu'il n'avait que ça à faire, parce qu'il n'avait aucune autre possibilité que celle-ci.

Evidemment, elle le terrifiait, mais Stiles arrivait à ne pas céder à cette panique qui lui aurait fait enchaîner les crises si Derek n'était pas là. Parce que c'était lui qui le faisait tenir et supporter cette situation qui avait manqué de le tuer. Stiles ne savait pas si les agressions qu'il avait subies auraient fini par avoir raison de lui, mais… Peut-être que lui, il aurait fait quelque chose, juste pour mettre un terme à ce calvaire. De quelle façon ? Ça, ça restait à voir. Il lui était arrivé, à plusieurs reprises, d'avoir des idées noires – il les avait d'ailleurs confiées à Derek, au début de leur collocation –, mais jamais il n'était allé jusqu'à vouloir les réaliser. Pourtant, il n'en avait pas été loin.

Aujourd'hui, ça allait. Stiles essayait juste de garder l'équilibre, de ne se concentrer que sur le positif.

Autant dire qu'il pensait le moins possible à son paternel.

Noah n'était pas une source d'angoisse à proprement parler. Le ressenti de Stiles à son sujet était particulier. Multiple et pourtant, spécifique. Le jeune homme aimait son père, là n'était pas le problème. Mais ledit père l'aimait-il, lui ? Stiles ne savait pas s'il devait prendre son silence pour une indifférence claire quant à sa personne ou bien par un manque de temps dû à son travail toujours aussi chronophage. Son job de shérif lui bouffait tout son temps, ne lui en laissant que peu de libre. Cependant, l'hyperactif se demandait parfois si ce travail n'était pas une excuse en lui-même. Y passer tout son temps empêchait Noah de se consacrer à sa vie personnelle, ses problèmes et, par extension, son fils. Si on lui demandait des comptes, il pouvait donc se justifier avec l'importance et la responsabilité inhérentes à sa fonction.

Donc, si l'on suivait ce raisonnement, Noah invoquerait la sainte carte du travail si d'aventure Stiles se plaignait de ne pas avoir de message de sa part, ou même… Du simple fait que son paternel ne lui demande pas la moindre nouvelle. Etait-ce désiré ou s'agissait-il d'un oubli pur et simple de sa part ? En toute honnêteté, l'hyperactif n'était pas certain de savoir quelle version il préfèrerait, ni laquelle il supporterait le mieux. C'était également pour cette raison qu'il n'envoyait aucun message à son père, à part le strict minimum. Histoire de lui signifier qu'il était en vie, qu'il existait un peu.

Mais il ne s'attendait jamais à recevoir quoi que ce soit de sa part, alors… Il essayait de ne pas imaginer son retour à la maison. Retour qui, il le savait, finirait par arriver un jour. Viendrait un moment où Noah finirait par réclamer sa présence à la maison pour il ne savait quelle raison, mais surtout… Il y avait que le lycée avait déjà dû le contacter à plusieurs reprises quant aux absences de plus en plus nombreuses de l'hyperactif. Pourquoi ne réagissait-il pas ? Pourquoi ne cherchait-il pas à contacter Stiles, ne serait-ce que pour avoir des explications ? La voilà, la raison précise pour laquelle le châtain évitait au maximum de penser à son paternel. Parce que celui-ci l'oubliait. Ne faisait pas cas d'une hypothétique présence.

Stiles ne lui manquait pas.

Alors, il faisait avec et pour ça… Mieux valait pour lui se concentrer sur autre chose pour éviter de laisser son cœur s'attarder sur ce fait qui lui faisait suffisamment mal comme cela. Dans ce comportement devenu habitude, celui d'être invisible, Stiles n'allait pas chercher à insister pour avoir le fin mot de l'histoire. Parce que l'explication que pourrait hypothétiquement lui fournir son père le terrifiait et Stiles… N'était pas certain de connaître ses propres limites, de savoir ce qu'il était capable de supporter le concernant.

Une main se posa doucement sur son épaule et la chaleur qu'elle dégageait suffit à effacer de l'esprit de Stiles toutes les pensées parasites qui l'avaient plongé dans un état de larve durant quelques minutes. Il releva son regard ambré vers celui de l'ancien alpha et ne put empêcher un léger sourire d'étirer ses lèvres. Parce que la présence de Derek, aussi simple soit-elle, lui faisait un bien fou. Le loup se rendait-il compte de l'effet qu'il lui faisait ? Outre le côté parfois sexuel de leur relation, Derek changeait tout de ses journées et ce, depuis que l'hyperactif s'était plus ou moins ouvert à lui. Il ne lui avait pas tout dit, tout confié… Des pages, il en avait noirci, mais ce n'était pas grand-chose en comparaison avec la manière dont il avait ressenti les choses à chaud. Et pourtant, ça avait suffi. Ça suffisait encore.

L'ancien alpha le prit par la main et l'emmena dans la cuisine où l'attendait un repas de roi. La faim de Stiles n'était jamais gargantuesque, mais il remangeait plus ou moins normalement. Il avait commencé à reprendre un peu de poids, du poil de la bête et cela se voyait.

Du côté de ses blessures, elles guérissaient tranquillement. Certains bleus avaient disparu et Stiles arrivait enfin à faire la différence entre hématomes et suçons. Derek n'arrêtait pas de lui en faire alors… Il se familiarisait à leur vue et réussissait doucement à s'en délecter. C'était plus facile lorsque les traces de violence s'effaçaient pour ne laisser que celles nées de cette espèce de tendresse qui animait Derek.

Leur relation était d'ailleurs particulière. Sans oser mettre certains mots dessus, il était clair que les deux jeunes hommes adoraient passer du temps ensemble. Partout. Nus, souvent. Ils aimaient rester dans la même pièce et faire tout un tas de choses ensemble. Et même si Stiles adorait ça, il ne pouvait pas toujours s'empêcher de penser. S'il appréciait cette existence lascive et quelque peu amoureuse, il restait… Un lycéen. L'âge ne lui posait aucun problème dans la mesure où il savait que Derek le respectait et qu'ils n'avaient que peu d'écart. Il était vrai que l'ancien alpha paraissait plus vieux qu'il ne l'était en réalité à cause des malheurs qui avaient figé ses traits dans une dureté immuable. Mais bordel, Stiles le trouvait terriblement sexy et il se fichait de lui apercevoir quelques petites rides alors qu'il avait à peine plus de vingt ans.

Ce qui dérangeait plutôt Stiles dans le fait qu'il soit encore un lycéen, c'était… Tout simplement ce qu'il devait faire. Terminer le lycée. Faire des études et se construire un avenir. Rester chez Derek était la chose la plus agréable qui soit, mais il allait falloir qu'il se bouge. Ce qui le retenait ? La peur viscérale de retourner au lycée. Alors, il ne pensait pas à ça non plus, préférant se protéger de ce qui l'avait détruit. Outre le mutisme, qui était l'origine même de la violence qu'il avait subie, c'étaient les coups qui lui avaient fait perdre foi dans son ancienne meute et qui avait détruit ce qu'il considérait comme son lien d'amitié le plus fort. Du reste, il s'était invisibilisé et… N'avait cherché à prévenir personne. Pourquoi faire ? En ce temps-là, on l'oubliait. Ainsi, il s'était effacé, plongeant dans un cercle vicieux profond.

Et maintenant, Derek était là.

Sitôt leur repas terminé, Stiles l'aida à ranger et nettoyer sans trop forcer sur sa cheville et se laissa ensuite happer dans une étreinte au goût familier.

xxx

Stiles adorait laisser ses doigts courir sur la peau de Derek après l'amour. Sur cette peau parfaite sur lesquelles les griffures humaines qu'il lui laissaient ne restaient jamais plus de quelques minutes. Les suçons du loup, eux, marquaient sa peau des jours durant et l'hyperactif aimait beaucoup ça. Il y avait des moments, comme celui-ci, où il réussissait l'exploit de ne pas penser à grand-chose. Avoir la tête vide était quelque chose d'impossible pour lui, mais réussir à contrôler et limiter ses réflexions relevaient du miracle. Un miracle qui se répétait chaque fois que Derek et lui cédaient à l'appel que leurs corps se lançaient mutuellement.

Et Stiles vivait ces moments intimes chaque fois comme s'il n'y en aurait pas d'autre. Parce que c'était spécial. Précieux. Il laissa ses doigts tracer des motifs abstraits sur la peau hâlée du loup qui nicha sa tête dans son cou. Les baisers doux et tendres qu'il y déposa firent frissonner l'hyperactif de plaisir. Il stoppa son mouvement, ferma les yeux. Profita complètement des sensations agréables qui déferlaient en lui. Laissa son autre main se glisser dans les cheveux courts mais doux du lycanthrope et… Resta là. Bien. Accepta volontiers ce gentil traitement qu'il raffolait. Le cou était connu pour être une zone érogène pour beaucoup de personnes et si elle avait tendance à en exciter certains, elle faisait juste fondre Stiles, pour qui c'était un point faible.

Et il avait l'impression que Derek les connaissait tous. Que le détendre était d'une facilité déconcertante tant il avait appris à connaître son corps. L'embrasser dans le cou, le loup-garou le faisait toujours après l'amour… Comme pour faire durer le plaisir, d'une autre façon… Peut-être encore plus intime que le sexe. Stiles s'imaginait autrefois Derek en amant rapide, s'en allant dès son affaire conclue. C'était avec joie qu'il découvrait chaque jour à quel point sa vision était fausse. Derek ne le laissait jamais seul après l'amour. Il s'installait contre lui, l'attirait dans une étreinte bienheureuse et restait là, à caresser sa peau, à l'embrasser parfois. Un sourire léger étira les lèvres de Stiles alors qu'il se blottissait contre son amant. Il aimait ces échanges, cette tendresse qui empêchait ses pensées de dériver et d'interpréter les choses d'une mauvaise manière. Avec Derek, Stiles n'avait ainsi pas l'impression d'être un objet. Il ne se faisait pas non plus l'idée de simplement servir de dévidoir à Derek. Parce que le loup lui témoignait toujours un respect indéniable et jamais il ne laissait son ressenti de côté. C'était là sa véritable personnalité qui ressortait et mettait de côté son côté torturé qui l'avait autrefois poussé à s'éloigner des gens. Stiles entrapercevait, dans ce genre de moments comme dans d'autres, le Derek qu'il était vraiment. Un homme formidable et aimant dont on avait trop souvent abusé de la confiance, mais… Il semblait toutefois lui accorder la sienne. Et Stiles prenait soin de ce cadeau qu'il lui faisait.

Derek se recula légèrement et passa juste une main derrière la nuque de Stiles pour l'attirer à lui et l'embrasser. Poser ses lèvres sur les siennes avec un naturel qui dépassait l'entendement. Descendre sa main lentement, la laisser caresser la peau claire, passer sur certaines ecchymoses en fin de vie jusqu'à se loger sur sa hanche. Stiles ferma les yeux. Se laissa emporter, happer par ces lèvres qu'il aimait sentir contre les siennes. Bien vite, la langue du loup s'invita dans l'équation et s'en alla jouer gentiment avec celle de l'hyperactif, encore extatique du moment charnel qu'ils avaient partagé quelques minutes plus tôt. La tension ne remonta pas, les frissons qui les parcoururent ne furent emplis d'aucune excitation. Juste de langueur… Et d'amour. Ou d'une forme d'amour, en tout cas.

Pour être honnête, Stiles était assez lucide à ce sujet. Derek devait forcément l'aimer d'une certaine manière, pour le traiter avec autant d'égards. Il n'était pas amoureux au sens propre du terme, mais il devait s'être bien… Très bien attaché à lui. Pour ce qui était des sentiments, ils lui paraissaient plus hypothétiques qu'autre chose. Aux yeux de l'hyperactif, Derek ne l'aimait pas en tant que tel. Il devait forcément apprécier des choses chez lui, pour prendre autant soin de lui et lui accorder sa confiance, mais… C'était tout. Du reste, Stiles n'avait rien d'extraordinaire. Pas de talent. Pas de charme particulier. Pas de style. Il portait souvent des vêtements informes, qui mangeaient son corps qu'il considérait perpétuellement trop fin. Il était un peu plus jeune que lui et si la différence d'années entre eux était loin d'être grande, Stiles voyait plus Derek se caser avec quelqu'un de son âge. Juste comme ça, par principe. Ou d'un petit peu plus vieux – pas comme Kate. Derek aimait le calme et la maturité. Si Stiles était devenu muet par la force des choses et s'en retrouvait bien plus discret qu'autrefois, il lui manquait parfois cette qualité qu'un grand nombre possédait. Lydia était d'ailleurs l'exemple-même de la maturité. Elle avait ce truc qui donnait l'impression qu'il était facile de se reposer sur elle. Qu'elle était la bonne personne pour se sentir bien, à l'aise… En confiance. Au fond, Stiles savait que c'était en partie pour cela qu'il avait conservé des sentiments pour elle durant longtemps. Il savait que c'était terminé depuis un moment et qu'il la considérait davantage comme une sœur, mais… Il continuait de l'envier en secret. Et c'était stupide parce que sa pensée était un frein en elle-même.

Parce que Stiles était persuadé qu'il avait raison et que Derek… Irait forcément avec quelqu'un comme Lydia. Pas elle forcément, mais une personne dans son genre.

Quelqu'un qui n'était pas lui.

Il fallait avouer que cette idée lui faisait un peu mal. Elle était d'autant plus bête que Stiles se sentait démesurément bien avec Derek et que… Ses baisers et étreintes commençaient doucement à lui être indispensables. En fait, il n'avait même pas envie de se battre contre les sentiments qui le menaient à la baguette. Il n'en avait, en fait, pas la force non plus. Puis il avait tendance à se dire qu'il valait mieux pour lui vivre à fond l'instant présent avant que ces moments exceptionnels, cette tendresse, cette forme d'amour… Avant que tout ça s'arrête.

Le côté éphémère de la chose ne diminua pas ses sentiments grandissants à son égard, bien au contraire. Stiles se sentit l'aimer de plus en plus fort. Se blottit contre lui. Refusa de s'endormir alors que son corps réclamait un peu de repos après leurs ébats passionnés. Il voulait profiter, profiter, profiter… La manière dont les bras de Derek l'étreignirent n'eut pour effet que de réchauffer davantage son cœur qui semblait ne battre que pour lui en cet instant.

Et Stiles se rendit compte que dans cette situation, il n'y avait pas besoin de mots. En fait, il était presque content d'être muet, de ne pas pouvoir sortir quelque connerie que ce soit par accident. Si tout était normal, s'il avait encore sa voix, il aurait gâché cet instant des plus agréables. Cet instant unique.

Parce que le Stiles qu'il était autrefois n'avait aucun intérêt.

Il parlait, tout le temps. S'amusait à provoquer, attirait l'attention parce que… Dans un sens, il aimait bien ça. Rappeler qu'il existait, montrer qu'il pouvait être drôle, amuser. Détendre, aussi. Dans les situations les plus stressantes, c'était lui qui détendait l'atmosphère – ou qui stressait les autres, parfois. Il n'y avait pas deux moulins à parole comme lui et jusqu'à maintenant, jamais personne n'avait cherché à le détrôner dans la bande, pas même pour l'embêter. Par contre, on lui disait tout le temps de se taire, de faire un effort pour, comme on le disait souvent, « être supportable ». Parce que le Stiles qu'il était avant ne l'était pas. Il ne suscitait qu'agacement et répugnance. On voulait le fuir, s'éloigner de lui. On préférait le silence de son absence à sa présence sans sens.

Alors voilà, maintenant qu'il ne parlait plus, on l'aimait davantage.

Derek l'appréciait.

Au final, on ne l'avait jamais vraiment accepté comme il était. Son mutisme le rendait… Agréable et sa présence devenait bien plus légère. Il n'avait plus que son odeur pour exprimer ce qu'il ressentait et du reste, on pouvait l'ignorer. Autrefois, on aurait essayé en vain de le faire taire.

Et cette réflexion, peut-être un peu plus forte que les autres, lui fit doucement perdre le fil de ce qu'il vivait. Tout à coup, la douceur de Derek lui fit mal parce que l'hyperactif se mit à penser d'une manière si toxique que cela changea totalement sa vision des choses.

Pour quelle raison Derek l'aimait-il, au final ? La partie rationnelle de Stiles se demanda si c'était réellement important et si le moment était bien choisi pour avoir cette réflexion-là, mais… L'autre part de lui, celle qui s'amusait à le torturer lorsqu'il allait bien, décida d'ajouter son grain de sel. De s'élever, juste pour l'empêcher de profiter davantage de ce moment.

Tout ça, n'était-ce pas trop beau pour être vrai ?

- Stiles ? Entendit-il.

Dans une vaine tentative de passer outre, Stiles s'évertua à s'accrocher à l'ancien alpha. A ne pas fuir son étreinte. Il ne t'apprécie pas pour ce que tu es. Il profite juste de ce que tu es devenu. Soudainement, il eut envie de le lâcher, de s'éloigner. Il se voyait déjà quitter le loft à moitié habillé, utilisant sans vergogne sa cheville blessée. Elle était encore un peu gonflée, mais il pouvait marcher sans problème avec. Sa raison lui fit se dire que cette remise en question était stupide et que Derek n'était pas le genre de personnes à s'accrocher à un seul bon côté. Il était plutôt de ceux qui acceptaient les autres dans leur entièreté, peu importe leurs défauts ou leurs qualités. Oui, mais… Qu'est-ce que tu vaux, Stiles ? Le jeune homme cligna des yeux, le regard dans le vide. Il ne le savait pas… Il n'en avait aucune idée. Qu'est-ce que tu vaux vraiment ? Une voix quelque peu nasillarde lui souffla à l'oreille que son unique plus-value résidait actuellement dans son silence. Toxique, perverse, elle s'attela à essayer le peu de confiance en lui qu'il avait réussi à regagner. Graduellement, son souffle se fit court et son cœur se mit à battre avec une telle intensité dans sa poitrine qu'il en eut mal. Fuir. Rester. S'en aller. Se blottir contre Derek. La contradiction de ses pensées était telle qu'il ne savait que faire. Il eut alors envie que le loup-garou prenne la décision à sa place. Choisisse pour lui.

Parce que ses pensées et réflexions malsaines le paralysaient.

- Stiles ? L'appela-t-on encore une fois.

Il ne releva pas la tête. Ses propres ténèbres le happaient. Mais il tenait bon, il s'accrochait.

Ses ongles courts griffaient la peau de Derek. Désolé, s'excusa-t-il mentalement. Il n'était pas capable de lui lancer le moindre regard pour lui faire comprendre que… Rien de tout cela n'était fait exprès. Il essayait de se contrôler… Et s'accrocher à lui de cette façon était tout ce qu'il trouvait pour le moment.

De sa vie, Stiles regretta réellement son mutisme à cet instant. L'envie, le besoin de parler se faisaient tous deux ressentir à une puissance telle que Stiles en avait le vertige. Il devait s'exprimer, extérioriser ce qui le torturait, ou il allait imploser. Ces réflexions-là, il aurait dû se les faire avant. S'accorder le droit d'y penser doucement plutôt que de les relayer au second plan le temps qu'elles se tassent. De cette façon, il les avait accumulées, accumulées… Et le voilà qui se prenait le retour de bâton en pleine face. Une étincelle malveillante avait allumé la mèche et maintenant… Stiles se demandait bien comment l'éteindre. La seule chose qu'il savait c'était que, seul, il n'y arriverait pas. Il n'était plus vraiment maître de lui-même, ni de ses pensées, d'ailleurs. Il avait besoin d'aide. Parce que tout se mélangeait. Il n'arrivait plus à réfléchir, ni à discerner le vrai du faux. La réalité des mensonges. Il se sentait submergé. Et il étouffait. Il étouffait parce qu'il avait l'impression qu'on allait l'abandonner, encore. L'oublier. L'invisibiliser. Il ne parlait plus. Il ne parlerait plus jamais. Et pourtant, il en avait atrocement besoin. Il voulait mettre des mots sur ses maux. Juste tout sortir. Se soulager.

Si seulement il pouvait dire tout cela à Derek… Faire résonner ses mots pour leur donner du poids. Donner corps à ses pensées. Il avait l'impression que les avoir en lui et ne pouvoir les exprimer rendait celles-ci… Caduques, peu importantes, injustifiées. Elles avaient moins de crédit que s'il pouvait les articuler. Et il ne voulait pas que ça soit le cas. Il avait besoin de se dire que son ressenti, aussi nul soit-il, était réel. Là, c'était comme si son mutisme l'invalidait.

Alors, dans l'angoisse et la frustration, Stiles éclata en sanglots contre Derek.

xxx

Derek ne savait pas quoi penser. S'il y avait bien une chose qu'il regrettait plus que les autres quant à la perte de la voix de Stiles, c'était bien le fait de ne pas pouvoir savoir à quoi il pensait. En cela, il lui tardait que son humain et lui apprennent la langue des signes : car si en attendant, il restait l'écriture, il fallait le matériel adéquat et dans le lit, ils ne l'avaient pas.

Stiles s'était calmé. Le loup continuait de ressentir sa détresse avec force, mais à force de mots et de caresses, il avait réussi à stopper la progression de ses larmes. Il y avait la fatigue aussi, qui avait joué. Car si Stiles ne pleurait plus à l'heure actuelle, c'est parce que son corps et son esprit avaient lâché.

Il s'était endormi, dans ses bras, accroché à son corps avec une telle fermeté… Comme s'il avait peur de le perdre. Là encore, il ne le lâchait pas et pour être honnête, Derek ne comptait pas le lâcher non plus. En fait, l'avoir contre lui, même s'il le serrait un peu trop, lui allait parfaitement. Au moins il était là, et c'était tout ce qui comptait en cet instant. Sa main partit caresser les cheveux châtains de son amant dont le visage reflétait une tension certaine. Même inconscient, il restait soucieux. D'ailleurs, Derek lui repéra un cheveu blanc. Si certains arrivaient jeunes, c'était parfois du hasard. D'autres fois, la dépigmentation se produisait à cause d'une trop grosse source de stress. Au vu de la longueur dudit cheveu, cela devait dater de quelques semaines et Derek n'eut aucun mal à situer ce pic de stress dans le temps. Quoiqu'avec la détresse dont il avait été victime sur le long terme, Stiles pouvait très bien avoir d'autres cheveux blancs, Derek n'en serait pas étonné.

Alors, le loup-garou s'attela à être d'une douceur exemplaire, à essayer de détendre ses traits même dans le sommeil. Il caressa son dos, ses cheveux, ses bras. Toujours dans la décense et sans s'arrêter. Juste pour lui faire sentir qu'il n'était pas seul. Qu'il était aimé. Qu'il le serait, peu importe ce qu'il pensait.

Lorsque Stiles s'éveilla quelques minutes plus tard, il avait les yeux rouges et le regard brumeux, voilé par une ombre particulière. Si son odeur était encore plus ou moins légère, elle s'alourdit d'un coup, comme si le poids de sa détresse se rappelait lentement à lui. Mais Derek la sentit venir, cette fois. Alors il prit les devants. Le serra fort contre lui sans cesser de caresser ses cheveux. Lui dit qu'ils allaient descendre manger quelque chose et qu'en passant, il prendrait son matériel d'écriture. Dans un sens, il savait. Il savait que Stiles devait lui parler… Tout comme il savait que parfois, gestes et regards ne suffisaient pas. En cela, il regretta que Stiles et lui ne se soient pas encore mis à la langue des signes. Enfin, ce n'était qu'une question de temps. Lorsque son humain se déciderait, ils prendraient des cours – il espérait donc qu'il le veuille rapidement. Il était hors de question que Derek continue de se contenter d'un stylo et d'une feuille pour percevoir les maux de Stiles à travers ses mots. Il lui fallait plus que cette intermittence qui n'avait pour effet que de briser un peu plus son humain chaque jour. Il devait se décharger dès qu'il en avait besoin, pas attendre de le pouvoir.

Derek lui fit enfiler un petit quelque chose, histoire que la fraîcheur du loft ne le dérange pas. De son côté, il fit de même, mais pour une toute autre raison. Vu l'état dans lequel était Stiles, le loup-garou préférait faire en sorte que rien de ce qu'il faisait ne puisse être interprété d'une mauvaise manière. Il adorait passer tout son temps nu avec lui, mais il y avait des moments où il était préférable de rester habillés. Stiles dut avoir compris puisqu'il se laissa complètement faire et en profita silencieusement pour gratter une étreinte à chaque mouvement que faisait le loup-garou pour l'aider. L'hyperactif était capable de s'habiller seul, mais… Il acceptait la proximité et l'aide de Derek sans aucune retenue. Sa crise l'avait comme… Vidé. Vidé de toute énergie, de toute motivation à faire quelque chose.

Derek lui demanda de ne pas bouger lorsqu'il sortit de la chambre. Stiles obéit. De toute manière, il n'avait pas la moindre envie de se déplacer s'il n'y était pas obligé. Quelques secondes plus tard, le loup réapparut, le matériel d'écriture de Stiles dans les mains.

Stiles s'en saisit presque aussitôt tandis que Derek se réinstallait à côté de lui.

Le loup-garou avait songé à le faire descendre. Après tout, son salon était agréable : mais s'il y avait bien une chose qu'il avait remarquée concernant Stiles, c'est que celui-ci préférait les endroits… Plus petits. La chambre de Derek avait beau être spacieuse, elle restait plus cosy que le salon. Plus intime, aussi. Pour beaucoup, ce fait ne représenterait rien de plus qu'un détail : pour Stiles, chaque détail avait son importance et ça, Derek le savait instinctivement.

Si ses yeux étaient fixés sur les mains aux phalanges en pleine cicatrisation de son amant, les oreilles du loup-garou percevaient le bruit de la mine du style sur la feuille avec une netteté incroyable. Elle grattait le papier avec une frénésie dingue, quelque peu étrange. Bien vite, l'immaculé se bleuit. La graphie de Stiles prit une place considérable alors même qu'il écrivait petit… Extrêmement petit. Plus que d'habitude. Il avait peur. Peur de quoi ? De ne pas avoir le temps de réellement s'exprimer. De ne pas avoir assez de place, assez de feuilles. Peur que Derek ne prenne pas la peine de tout lire. Peur qu'il se moque de son ressenti. De sa crise de panique. De ces hypothétiques sentiments dont il ne lui faisait pas part, mais qu'à son avis, Derek avait déjà devinés.

Alors oui, il avait peur.

Peur également que Derek lui montre qu'il se méprenait totalement sur leur relation.

Dans un geste aussi instinctif que naturel, le loup-garou posa sa main sur la cuisse de l'humain, qui lui jeta un très léger coup d'œil avant de se remettre à écrire. Parce que cette main s'était imposée à un niveau qui laissait peu de place au doute : l'endroit témoignait d'une intimité sans pareil, une intimité décente et qui ne serait pas là si leur complicité n'était pas à un tel niveau.

Stiles était juste un peu trop stressé pour le voir ou s'en rendre complètement compte. Il avait besoin de se vider, de s'exprimer. De laisser s'échapper toutes ces choses qui l'oppressaient. Alors, Derek attendait, ne le pressait d'aucune manière. Se contentait de garder sa main sur sa cuisse, d'y exercer une légère pression, juste pour lui montrer qu'il était là, qu'il ne le laissait pas. Et il fixa à nouveau sa main abîmée s'affairer à écrire, pensif. L'imagina indemne, dénuée de toute blessure, dépourvue de croûtes ingrates. D'ici quelques temps, elle redeviendrait comme elle était. Cette main, comme l'autre, avait frappé, laissé éclater une colère trop forte pour être contenue. Stiles lui avait expliqué comment il s'était bousillé. Il avait juste explosé à cause de Scott qui refusait de lui accorder du temps, de la patience, de l'empathie et qui, de l'autre côté, le pressait de lui faire part des avancées de ses recherches.

Désormais, Derek comprenait mieux ce comportement des plus distants.

Scott savait ce qu'il avait occasionné et ne ressentait absolument plus aucune amitié envers Stiles. Pourquoi « l'aider » alors qu'il n'avait rien à en tirer ? Il avait préféré le laisser s'enfoncer dans son mutisme et sa tristesse, c'était plus facile. D'autant plus que faire l'autruche n'avait rien de compliqué, surtout lorsque l'on n'appréciait plus la personne. Pourquoi s'embêter à faire semblant ? Derek était d'autant plus heureux d'être parti. Rester dans la meute de cet énergumène, c'était tolérer ses agissements. Tolérer sa tendance à l'éviction. Tolérer sa méchanceté et sa fourberie. Tolérer… La discrimination qu'il imposait. En soi, il avait complètement discriminé Stiles, juste parce qu'il était humain. Son pouvoir lupin lui était monté à la tête… Son statut d'alpha également. Et ça, c'était affolant.

Derek savait que tout loup avait besoin d'une meute mais si c'était pour avoir une enflure comme alpha, il préférait encore fonder sa propre meute, même en tant que bêta. Le seul problème ? Une meute ne pouvait perdurer sans un alpha et ce pouvoir était extrêmement difficile à acquérir : il fallait le mériter. Derek se demandait encore comment Scott pouvait le conserver avec ce qu'il avait fait jusqu'à présent.

Enfin, qu'importe. Derek avait Stiles, et ça lui suffisait amplement. A lui tout seul, il arrivait à être sa meute. De son côté, il espérait être assez. Qu'avec encore un peu de temps, Stiles reprendrait du poil de la bête et cesserait de se torturer l'esprit. Scott l'avait détruit, certes. Il lui avait volé sa voix, avait tout fait pour l'invisibiliser et faire en sorte qu'on l'oublie.

Mais c'était fini et ça, Derek s'attelait déjà à le montrer à son humain. S'il n'était pas encore prêt à faire correctement face à Jackson et Lydia, il arrivait à agir normalement avec lui, Derek Hale. C'était déjà un grand pas de fait, car il n'était pas forcément le plus facile à vivre des membres de la meute. Mais avec Stiles, il faisait de son mieux pour être plus agréable. Il en avait envie et… Il aimait le voir sourire, tout autant qu'il aimait l'embrasser et alléger son odeur de toutes ces choses qui la polluaient.

Stiles finit par arrêter d'écrire et tendre la feuille à Derek, qui s'en saisit. Il y avait des mots, des phrases en bazar. Certaines cohérentes, d'autres, non. Elles témoignaient, dans une moindre mesure, du chaos qui régnait dans sa tête. De toutes ses pensées qui se bousculaient sans arrêt, qui s'entrechoquaient, qui s'évitaient parfois. Et s'il était un peu difficile de comprendre certaines choses, Derek captait l'essentiel.

Stiles doutait de lui-même à un point tel qu'il avait fait une crise de panique. Tout ça pourquoi ? Parce qu'il avait peur de l'abandon. Peur de se retrouver seul, encore. Il doutait de sa valeur, jusqu'à ne plus savoir pour quelle raison on pouvait l'apprécier.

« Et puis toi, tu m'aimes toi ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Je ne sais pas si tu aimes mon corps parce qu'il est à ta disposition ou parce que tu arrives à le trouver réellement attirant. Je ne sais plus si j'ai réellement quelque chose à donner ou si je suis juste… De bonne compagnie parce qu'on m'a rendu muet. Je sais que tu aimes le silence. Tu en as toujours été friand. Est-ce que ça te fait plaisir que je ne parle plus ? Est-ce que tu me laisserais tomber si je retrouvais ma voix ? On sait tous les deux que c'est impossible, mais je n'arrive pas à me sortir cette idée de la tête. J'aime… J'aime ces putains de moments qu'on passe ensemble, mais… J'ai l'impression qu'ils ont une valeur sélective. Qu'ils l'ont, parce que je ne parle plus. Et c'est vrai, jamais on aurait été aussi proches avant, quand j'étais encore capable de sortir un putain de son. Jamais tu ne te serais approché de moi. Jamais tu ne m'aurais pris dans tes bras. Jamais tu ne m'aurais embrassé. J'aurais sans doute essayé, me connaissant. J'aurais sans doute tout fait pour t'agacer, te provoquer… J'aurais parlé, sans arrêt, juste pour attirer ton attention. Ça t'aurait pété les burnes. J'aurais fini par t'embrasser, un jour où j'aurais eu un soupçon de courage. J'étais pas amoureux de toi, mais… T'as toujours été… Enfin, tu sais très bien comment tu es. Et moi, je sais comment je suis. »

« Bordel, je me suis rendu compte que mon silence… C'est tout ce qui peut te plaire. Tout ce que j'ai à t'offrir. Et je me déteste de penser ça, parce que ça voudrait dire que t'es connard profiteur. Je sais que tu l'es pas. Du coup, je me vois comme un connard qui profite de la pitié que je t'inspire. Et on en est là. Je ne sais plus ce que je fais là. Je ne suis plus sûr de pourquoi on est aussi proches. »

« Est-ce que tu m'aimes ? »

« Est-ce que j'ai ma place près de toi ? »

« Et puis merde, qu'est-ce que je fous encore ici ? Mes blessures, tout ça… C'est qu'une excuse. Je suis en état de rentrer chez moi. De retrouver le lycée. Je le suis, mais je veux pas me l'avouer. Parce que j'ai peur et… Je n'arrive pas à me dire que ça, là, notre « truc » peut avoir une fin. Et en même temps, tu me diras, ça serait logique. En vrai, comment ça pourrait ne pas avoir de fin ? De manière générale, tout ce que j'entreprends est voué à l'échec. Parce que dans ma vie, tout a toujours foiré. Toujours. Et tu sais pourquoi ? Parce que je suis un raté. Un raté qui sait pas ce qu'il fout là, qui sait pas pourquoi on essaie de maintenir sa tête hors de l'eau… Je veux dire, est-ce que ça a une réelle utilité ? Je sers à rien. Scott l'a dit. Je ne suis même plus capable de mener des putains de recherches correctement. Je n'arrive plus à rien. Je ne parle plus. Je suis juste… Un corps. Blessé, moche. »

« Puis je manque pas à mon père non plus. J'ai si peu de valeur pour que mon propre père n'ait pas l'air de se soucier de mon existence ? Je ne suis plus à la maison depuis… Depuis un moment, et… Non, rien, il est absent, comme toujours. Tu penses que si j'étais quelqu'un d'autre, il ferait attention à moi ? Tu penses qu'il m'enverrait un message ? Si je ne lui parle pas, il m'oublie. Et je ne parle plus. Un parent, c'est pas censé soutenir son enfant ? Pas que j'en sois encore un, mais t'as capté… Est-ce qu'il tient à moi ? Est-ce qu'il voit que j'essaie de prendre soin de lui quand je suis là ? Pourquoi lui, il ne le fait pas ? Pourquoi j'ai pas droit à ça, moi aussi ? Il m'aime, tu penses ? Est-ce que je devrais être quelqu'un d'autre ? Mais je sais pas quoi faire, moi, je n'ai jamais… Enfin, j'imagine qu'on vit tous des abandons dans la vie. Comment on est censé réagir ? Qu'est-ce qu'on est censé faire dans ces cas-là ? Est-ce que je dois m'effacer davantage pour… Redébarquer à la maison comme une fleur ? Tu penses qu'il me poserait des questions ? Mais au final, s'il ne s'inquiète pas… C'est que je ne suis pas… Si important que ça à ses yeux. En fait, je sers à rien, là aussi. Je suis inutile. »

« Et puis il y a tout ça, avec toi. C'est trop bien, c'est génial, mais… Je t'imagine tellement faire ça avec quelqu'un d'autre et ça serait tellement… Tellement plus naturel. Ça fait mal, ça c'est sûr. Mais t'imagines ? Là, tu fais ça avec moi parce que je suis là. Tu te fais plaisir, je me fais plaisir. Et ensuite ? Y a pas de « ensuite ». Parce que tout ça, ça va forcément s'arrêter. Et c'est con parce que tu vois, j'ai pas envie. J'ai pas envie que tout ça… Quelqu'un d'autre y ait droit. Pourtant, j'ai aucun droit là-dessus. Toi, c'est toi. Tu as tes envies, tes choix et si un jour tu veux arrêter ce qu'on fait, j'aurai pas mon mot à dire et… Dans un sens, c'est complètement normal. Je pourrai pas te forcer à continuer quelque chose que tu ne veux pas. »

« J'ai envie de disparaître. »

« Moi, je les aime ces moments. J'aime être avec toi. Comment tu veux que je fasse une croix sur ça ? Enfin bien sûr que je peux, c'est juste… Faut y aller mollo, tu vois ? Je peux pas t'embrasser un jour et faire comme si tu n'étais rien de plus qu'un ami le lendemain. Parce qu'on est pas amis, Derek. Enfin pas actuellement. Ou alors on est potes, mais avec des petits plus que j'adore. Et si toi, tu commençais déjà à te lasser ? Et en même temps, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. J'arrive pas à me dire que rester avec moi est une chose qui pourrait te plaire. Sérieusement, qui voudrait être avec moi ? Je sais pas, je… Est-ce que j'ai quelque chose d'intéressant à proposer ? Mis à part mon capital silence, j'ai quoi ? »

« Tu veux savoir la vérité ? J'ai peur de partir. J'ai peur de rentrer. J'ai peur de retourner au lycée. »

« Comment on peut haïr quelqu'un à ce point ? C'est forcément de la haine. Mais moi je hais Scott, et pourtant je ne veux pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Finalement, peut-être que je ne le déteste pas. Peut-être que j'espère encore qu'il n'est pas véritablement à l'origine de tout ça. »

« Tu sais ce que j'ai pensé, le jour où tu es venu me sauver au lycée ? Je ne pensais pas que tu viendrais. Enfin, j'étais pas sûr. Je me disais qu'avec la manière dont je vous avais traités, toi et Lydia, vous… Aucun de vous deux ne voudrait m'aider. Et pourtant, tu es venu. Moi, à ce moment-là, j'ai vraiment cru mourir. Je me suis senti partir. Ça fait peur. J'ai toujours peur. »

« Tu penses que c'est quoi qui a motivé Scott ? Tu penses qu'il me détestait déjà avant ou que c'est venu petit à petit ? »

« Elle te manque vraiment des fois, ma voix ? »

« Avant, je me demandais ce qui pouvait être le plus chiant : mon hyperactivité, ou mon débit de paroles. J'énervais et parfois, on m'en voulait. J'essayais d'être plus supportable, t'imagines pas les efforts qu'il m'arrivait de faire. Maintenant, plus besoin de me forcer. Je ne suis plus capable de parler. »

« Ça me ronge. »

« Je me demande si j'ai encore un peu de valeur. Tu penses qu'il me reste quelque chose ? »

« Tu penses que plus tard, quelqu'un pourra vouloir de moi ? J'ai l'impression que je n'ai plus rien. Que je ne suis plus rien. Juste un élément du décor. Je n'arrive pas à me dire que je pourrai redevenir ami avec Jackson et Lydia. J'ai l'impression que ça serait pas sincère. Qu'avec moi, pas grand-monde peut l'être. Je ne sais même pas si je peux dire que mes amis sont réellement mes amis. Il n'y a qu'avec toi que je suis à l'aise, et je doute parfois. Je me dis… Combien de temps il va accepter que je reste ? Il m'arrive de repenser à tes mots. A chaque fois, tu me rassures… Mais qu'est-ce que tu penses vraiment ? »

Derek n'eut pas envie de continuer de lire. L'échantillon qu'il venait de s'enfiler était déjà conséquent, et suffisamment parlant pour qu'il comprenne ce qui arrivait à son humain. Tout ça, c'était un mix de pensées parfois liées entre elles, parfois non. Stiles passait sans arrêt du coq à l'âne, encore plus que lorsqu'il parlait encore. Cette fois-ci c'était pire. Le fil rouge de toutes ces pensées mises bout à bout ? Son mal-être. Ses doutes, aussi. Tout ce qui était apparu depuis qu'il avait perdu sa voix et qui ne le quittait pas. Derek se mordit la lèvre inférieure. Autrefois, jamais il ne se serait douté de l'ampleur des doutes qui pouvaient naître sous cette adorable tignasse en bataille. C'était stupide et Derek s'en rendait compte, mais il ne se posait jamais de question, avant. A vrai dire, il n'avait pas pour habitude de prêter attention à l'odeur des autres, lorsqu'il était encore du genre grognon – il l'était toujours, mais d'une manière largement amoindrie depuis quelques mois. Alors forcément, il n'avait jamais imaginé que Stiles puisse être un jeune homme torturé. Il le voyait sans arrêt souriant, sûr de lui et… A force de l'avoir au loft et de le côtoyer intimement – la multiplicité des sens de ce mot était incroyable –, Derek avait pu découvrir à quel point il s'était trompé. Stiles était juste… Du genre à se cacher et à dissimuler son mal-être jusqu'à ce que son contrôle dessus soit nul.

C'était un très mauvais réflexe et Derek comptait bien en venir à bout.

Et Stiles se crispa, parce que l'une de ses peurs s'était réalisée. Le loup-garou à ses côtés n'avait pas tout lu de ce qu'il avait écrit et doucement, la panique commença à grossir en lui. S'il n'avait pas pris la peine de lire l'intégralité de ses confessions… C'était qu'il y avait un problème. Non, plusieurs. Derek avait dû trouver tout cela barbant. Trop long. Inutile. Stupide. Insignifiant. Désespérant. Est-ce que Stiles eut envie de craquer sans prendre la peine de se cacher ? Oui. Mais Derek comptait énormément pour lui et il avait tout, sauf envie de ruiner le peu de chances qu'il avait encore. Il voulait rester à ses côtés, rester au loft quelques jours de plus. Alors il prit sur lui autant que possible et laissa ses angoisses le bouffer sans s'autoriser un mouvement, une expression. Sans s'autoriser une larme, un regard dans sa direction. Il avala péniblement sa salive et attendit. Est-ce qu'il pouvait encore se rattraper ? Finalement, peut-être qu'écrire avait été une erreur. Et si Derek ne voulait pas savoir tout ça ? Et si Stiles en avait trop dit ? Aurait-il pu résumer tout cela en quelques mots ? Oui, sans doute… Sauf que l'hyperactif était du genre à s'étaler. Ça, ça n'avait pas changé. De toute manière, Stiles était comme ça : il pouvait s'adapter, cacher certaines choses à son entourage, mais… Pas faire disparaître des pans entiers de sa personnalité. Même pour faire plaisir, il n'en était pas capable.

Et même si Stiles avait l'impression qu'un poids invisible mais conséquent écrasait son cœur, il savait qu'il n'allait pas faire de crise de panique. Par contre, il n'était pas certain de la manière dont il réagirait s'il s'avérait que Derek décide de le lâcher maintenant. De faire table rase concernant ce qu'ils avaient vécu ensemble. Dans un sens, il savait que faire cela n'était pas le genre du loup-garou, cependant… Il l'imaginait bien préparer le terrain petit à petit, en lui faisant comprendre qu'il n'avait pas sa place à ses côtés. Parce que Derek n'était pas quelqu'un de mauvais. S'il lui avait paru de nature un peu brutale lors de leur première rencontre, il s'était avéré que le véritable Derek était d'une gentille et d'une douceur inimaginables. Alors non, il ne le rembarrerait pas violemment. Ce serait plus subtil. Que faudrait-il faire ? Stiles se savait imprévisible. Mais il savait également qu'il ne pourrait rien dire – au sens propre, comme au sens figuré. Sa situation personnelle avait cela d'injuste qu'il n'avait aucun poids. On ne pouvait l'écouter, parce qu'il ne parlait plus. Et c'était simple, si simple ! L'acceptation serait là, à côté de son silence. Car au final, c'était ça. Peut-être que tout ce qu'on attendait de lui, c'était qu'il accepte tout sans rechigner, parce que son mécontentement n'avait aucune valeur. Stiles savait qu'il devrait chercher à s'imposer et à montrer qu'il n'était pas qu'un corps, un personnage sans voix.

Mais à cet instant, il n'avait pas l'énergie de se battre.

Chaud. Stiles sursauta en sentant cette chaleur si familière, à savoir ici celle émanant de la main de Derek qui, doucement essuyait ses larmes. Des larmes qu'il n'avait pas remarquées, ni senties couler. A nouveau, la honte le prit. Pourquoi n'arrivait-il plus à se contrôler comme avant ? Au fond de lui, il connaissait la réponse. Il avait été trop abîmé pour conserver cette force d'esprit qui lui avait fait fabriquer ce masque qu'il n'était plus capable de porter. Puis avec Derek, il n'arrivait plus à faire semblant. Se retenir, contenir ses émotions… C'était tout ce qu'il pouvait essayer. Mais là, il n'y arrivait pas. Toutefois, il se rendait compte d'à quel point les mots étaient mus d'un pouvoir qu'il ne fallait pas sous-estimer. Stiles avait commencé à bien remonter la pente : il était réellement sur une bonne lancée.

Mais voilà, les paroles de Scott avaient finalement répandu leur poison et il ne savait comment s'en protéger. S'il avait encore sa voix, s'il n'avait pas subi tout ça… Peut-être qu'à défaut d'y être complètement hermétique, il aurait pu faire en sorte de ne pas les laisser l'atteindre à ce point-là.

La main de Derek était caleuse – elle l'avait toujours été. Pourtant, il la sentait douce. Oui, d'une douceur incomparable. Parce que son geste l'était. Stiles baissa davantage la tête, incapable de regarder son amant. Comment tout cela allait-il se terminer ? Comment l'hyperactif pouvait-il se rattraper ? Se « vendre » pour espérer que Derek veuille encore de lui ? Des qualités, il devait bien en avoir quelques-unes… Il ne demandait pas grand-chose, juste un petit plus qui pourrait lui donner l'espoir de repousser un peu l'échéance. Retrouver la chaleur de ses bras, le réconfort de sa douceur. Et après, commencer à se sevrer. Plus tard.

Derek le regarda longuement sans décrocher un mot. Sans éloigner sa main de sa joue non plus. Il restait là et Stiles n'arrivait pas à relever la tête. Parce qu'il sentait ses yeux sur lui et ne savait pas quoi en penser. Déjà qu'il réfléchissait à outrance… Se rajouter des pensées supplémentaires n'allait pas l'aider à y voir plus clair, bien au contraire. Ce qui participa à ancrer son angoisse au lieu de la faire disparaître ? Le silence de Derek. Car il n'était pas habituel. Le loup-garou était du genre taciturne et il lui arrivait souvent d'être silencieux – c'était d'autant plus vrai depuis que Stiles vivait au loft. Mais ce silence-là était particulier. Stiles avait l'impression que derrière lui se cachaient des mots. Des mots que Derek ne sortait pas.

Est-ce que ça le rassurait ? Pas vraiment. Mais en soi, n'avait-il pas confiance en lui ? Si, et c'était justement la raison pour laquelle il devait attendre. Ne pas le presser. Lui laisser le temps d'aviser ses mots graphiés – même s'il n'avait pas lu l'intégralité de sa confession. Pour le reste… Derek faisait ce qu'il voulait. Stiles était au moins sûr d'une chose : le loup-garou ne le jetterait pas de chez lui comme un malpropre. Il n'était pas comme ça. Fut une époque où il avait carrément recueilli Isaac, qu'il avait gardé chez lui jusqu'à ce que le bouclé puisse se trouver un appartement, tout en lui assurant une sécurité financière au cas-où. Stiles savait donc que Derek ne le ferait pas complètement disparaître de sa vie, tout comme il ne le laisserait pas tomber au sens propre du terme.

Parce que Derek était gentil, adorable. Le genre de perles rares qu'on laissait souvent sur le côté. L'ancien alpha ne méritait pas d'être mis à l'écart.

Alors même si tout se terminait là, Stiles ne lui en voudrait pas et continuerait même de garder contact avec lui, d'une certaine manière. De toute façon, il se savait incapable de ne pas lui envoyer le moindre message. Il aimait trop Derek pour l'effacer ainsi. Et puis ce qu'ils avaient vécu… A ses yeux, ce n'était pas rien. Cela lui importait même beaucoup plus qu'on ne pouvait l'imaginer.

Sans cesser de garder le silence, Derek se leva et sortit de la pièce, laissant Stiles pantois et dans le flou le plus total. Un froid glacial l'envahit graduellement sans qu'il n'en décèle l'exacte provenance, comme le ferait une tempête hivernale naissant depuis le néant. Et maintenant ? Qu'était-il censé faire ? Ressentir ? Alors oui, Stiles avait confiance en Derek. Mais parfois, il n'arrivait pas à le comprendre, à deviner ce qui lui passait par la tête. Peut-être l'ancien alpha avait-il besoin de s'isoler. Pour quelle raison exactement ? L'hyperactif ne saurait le dire et au fond, il n'était pas sûr de vouloir le savoir. Parfois, l'information n'était là que pour faire mal. Si Stiles voulait rester dans un état à peu près stable, mieux valait qu'il ne sache rien – même s'il détestait être dans le flou. Il avait besoin d'être au courant des choses, pour pouvoir avoir le contrôle. Or, il avait l'impression qu'il n'était plus capable de contrôler quoi que ce soit. Chaque aspect de sa vie semblait lui filer entre les doigts. Il se mordit la lèvre inférieure, serra les poings. Dans l'idée, il voulait bien assumer et être fort, cependant… Les choses seraient plus simples si Derek lui parlait. S'il lui disait ce qui le rendait si silencieux. Si quelque chose en particulier l'avait dérangé dans ses confessions – Stiles imagina rapidement que l'intégralité de ses maux sous forme de mots lui pesaient.

Il finit alors par se dire qu'il valait mieux qu'il se taise… A l'écrit également. Avec cette réaction, il savait désormais à quoi s'attendre s'il osait se confier à nouveau. Stiles entreprit alors d'essayer de relativiser, de passer outre, au moins pour le temps qui lui était accordé ici. Il voulut même s'entraîner à sourire, pour montrer à Derek, lorsqu'il reviendrait, qu'il ne lui en voulait pas et que… A sa manière, il faisait des efforts. Enfin il essayait.

Sauf que sa gorge était trop serrée. Il ferma les yeux, se concentra. Se rappela la douceur des baisers, la tendresse des étreintes. Il n'avait que ça, pour ne pas craquer. Pour temporiser et se donner le temps d'accepter pleinement cette absence de réaction claire. Et il se dit que dans un sens, il devait s'estimer heureux. Parce que Derek ne s'énervait pas, ne lui disait pas directement que ses confessions étaient stupides. Au fond, le silence était pire que des mots, mais Stiles préféra déformer et remodeler son interprétation de la chose. Il en avait besoin.

Son regard balaya la pièce et finit par tomber sur ces feuilles, que son stylo avait bleuies. Quelques secondes plus tard, elles finirent froissées entre ses mains. Son propre geste lui fit mal. C'est pas grave, s'encouragea-t-il. Ce n'était pas comme si son ressenti avait déjà eu quelque importance que ce soit, de toute façon. C'est dommage, il avait réellement cru que Derek y faisait attention. Enfin, c'était sans doute le cas, mais… Il en avait sans doute assez – et Stiles le comprenait. C'est pas grave. Il prenait tout trop à cœur, de toute façon. En cela, il se trouvait complètement stupide.

Au final, il n'était guère étonnant que l'on ne veuille pas de lui. Que Derek ne veuille pas de lui.

Stiles se leva et marcha d'un pas lourd jusqu'à la cuisine. Il boitait encore. C'était léger, mais c'était là. Sans une hésitation, il balança ses écrits dans la poubelle et détourna aussitôt les yeux. S'en éloigna. Juste pour ne pas se laisser le temps de regarder, de regretter. Ensuite, il retourna au salon, avisa son matériel d'écriture. Quelques secondes plus tard, le stylo avait retrouvé sa place parmi tous les stylos dans le pot posé sur le bureau de Derek, à côté de la bibliothèque, et toutes les feuilles encore vierges regagnèrent le bac de l'imprimante. Et c'est ainsi qu'il revint s'assoir sur le canapé, histoire de reposer sa cheville légèrement douloureuse. C'est mieux comme ça, songea-t-il, mâchoire serrée, en se saisissant de son téléphone pour s'occuper. Il allait l'allumer lorsque Derek reparut dans son champ de vision sans prévenir. Instantanément, Stiles se crispa, pour la simple et bonne raison qu'il ne savait pas ce qu'il était censé faire, maintenant. Forcer un sourire ? Ce n'était pas idiot, restait seulement à trouver la force de le faire et ça, ce n'était pas gagné. Parler, qui lui aurait permis de noyer le poisson, n'était plus possible depuis un moment. Alors, Stiles choisit d'attendre de voir ce que ferait ou dirait Derek.

Le loup-garou fixa son regard sur la table basse désormais vide de tout objet posé dessus et releva des yeux confus en direction de Stiles, qui se demanda ce qui lui passait par la tête. Il imagina alors Derek l'éclairer en lui disant de vive voix ce qui le perturbait, mais… Le bel homme qui lui faisait face décida de ne pas faire dans la coopération. Parce qu'il garda la bouche close. Et un air quelque peur sombre prit place sur son visage. Si Stiles sentit son angoisse se décupler ? Bien sûr. Il eut la force de la contrôler et de ne pas la laisser prendre toute la place. En somme, il n'eut à subir aucune crise comme cela avait été le cas quelques temps plus tôt, sous les draps et dans les bras de Derek.

Mais si ce dernier tardait trop à lui faire part de ce qui lui passait par la tête, Stiles risquait de finir par lâcher la bride malgré lui. Alors, puisqu'il ne pouvait prononcer le moindre mot, il espéra fortement que Derek s'exprime et ce, au plus vite. Pour que Stiles sache à quoi il devait s'attendre. Pour qu'il cesse d'être dans le flou. Pour qu'il comprenne cette mauvaise humeur discrète et puisse l'aider à la dissiper.

Derek lâcha un soupir et lui tendit la main, sans un mot. Toujours sans un putain de mot. Un instant, Stiles regretta d'avoir décidé de ne plus avoir de matériel d'écriture. Il aurait dû garder un stylo, une feuille et marquer « parle-moi » à plusieurs reprises et en lettres capitales. Quelque chose de clair, concis. Tout ce qu'était censé aimer Derek. Stiles le dévisagea, perdu, mais finit par laisser sa main rejoindre celle du loup-garou. Sentir sa paume chaude et ses doigts qui exercèrent une certaine pression sur sa main à lui. Le tirer. L'obliger à se lever. Derek avisa la pièce à la recherche de… Stiles ne savait pas quoi mais en tout cas, il le chercha bien du regard. Et finalement, il sembla laisser tomber puisqu'il marcha jusqu'à l'entrée avec, par conséquent, Stiles sur ses talons. D'un geste, il lui indiqua de mettre ses chaussures qui attendaient là. L'hyperactif s'exécuta en essayant d'ignorer la douleur, quoique légère, de sa cheville. Il ne savait pas ce que Derek attendait de lui, mais s'il pouvait ne pas attirer son attention sur quelque chose d'aussi futile que cette fichue cheville, il n'allait pas s'en priver. Une fois qu'il eut mis et lacé ses baskets, il s'autorisa à lever un regard un peu craintif en direction de son amant. Nouveau signe. Un signe de tête, cette fois. Vers l'extérieur. Stiles baissa les yeux une seconde. Derek avait enfilé ses chaussures également. Il le poussa doucement à l'extérieur du loft et verrouilla la porte à clé. A nouveau, il lui prit la main, entrelaça leurs doigts. Appuya sur le bouton de l'ascenseur. Et lorsque les portes de celui-ci s'ouvrirent, il appuya sur la pastille sur laquelle était gravée l'indication du rez-de-chaussée avec le bout des clés de sa Camaro.

Quelques instants plus tard, les deux jeunes hommes s'installèrent dans l'agréable habitacle, et Derek démarra.

Il n'avait toujours pas prononcé un mot.