Stiles poussa un soupir désespéré en s'allongeant mollement sur le canapé. Sur la table basse, une nuée de feuilles, de cahiers, de manuels semblant ouverts à des pages aléatoires – et dans un coin de la table, sa trousse. Il avait essayé, vraiment, désirant plus que tout se mettre à bosser ses cours. Enfin, il s'agissait plus d'une nécessité qu'autre chose. Si son absence était de plus en plus conséquente en termes de quantité sans sembler poser problème au lycée, il avait des examens qui l'attendaient à la fin de l'année – ceux-là, il ne pourrait pas les éviter.
Couler des jours heureux avec Derek était quelque chose de bien sympa, mais ce n'était pas ça qui lui ferait obtenir quelque diplôme que ce soit. Stiles, parfaitement conscient de ce fait, n'avait pas besoin qu'on le lui rappelle : il y pensait tout seul et tentait au mieux de se motiver seul. Mais il avait toujours du mal, toujours autant de blocages… Et la moindre distraction lui faisait lever les yeux de ses cours. La moindre pensée également. Ce qui l'avait détourné de ses devoirs, cette fois-ci ? La douche de la veille. L'épisode on ne peut plus érotique et sensuel qui s'y était déroulé, celui durant lequel Stiles avait vu les étoiles avec encore plus de puissance que d'ordinaire. Pas que les autres fois avec Derek étaient fades, simplement… Celle-ci, pour une raison qu'il ignorait, avait été d'une intensité dingue. Stiles s'était complètement lâché et ce, sur tous les plans. C'était comme si les vannes qui retenaient certains de ses gestes ou certaines pulsions avaient été ouvertes.
Comme si, cette fois plus encore que les autres, il avait profité pleinement du moment.
Mais bien évidemment, penser à cette fabuleuse partie de jambes en l'air lui donnait juste envie de réitérer la chose et non de se concentrer sur ses cours. Si certaines matières étaient pour lui d'une simplicité enfantines comparées à d'autres, elles n'avaient rien de tripant, rien qui lui donnait réellement envie de s'y intéresser. Alors, son esprit faisait en sorte de lui faire penser à des choses qui lui faisaient réellement plaisir… Et par extension, du bien.
Enfin, le fait est que Stiles ne pensait désormais à rien de catholique et qu'il serait prêt à sauter sur Derek si celui-ci décidait de se montrer et de… Lui montrer un quelconque signe à ce sujet. S'il savait pertinemment qu'il ne s'agissait pas du mode de pensée le plus sain qui soit, c'était pour lui le seul moyen efficace d'éviter de songer trop en profondeur à ce qui le perturbait réellement : ce qui se révélait, pour le coup, être un véritable problème. Le pire dans tout ça, c'était que Stiles n'était pas vraiment dans le déni, on pouvait même dire qu'il faisait preuve d'une certaine lucidité mais usait de la cécité volontaire comme solution de confort.
Le sexe était donc pour lui le meilleur moyen d'évasion, que ce soit sur le plan physique ou mental. Y songer lui faisait à peu près le même effet que lorsqu'il ne faisait qu'y penser, puisque ça l'éloignait momentanément de ce qui le rongeait. Stiles savait fort bien que cette méthode quelque peu malsaine ne règlerait en rien ses problèmes actuels, mais… Pour être honnête, il n'avait aucune idée de la manière dont il pourrait s'y prendre et… Pas forcément envie de faire des efforts tant son esprit était fatigué et sa psyché la plus profonde, dans un état déplorable.
Alors, il usait de sa méthode phare pour avancer dans la vie, ce crédo qu'il appliquait à presque tout type de sujet : ignorer ses problèmes jusqu'à ce que ceux-ci disparaissent. Une partie de lui croyait dur comme fer que ce petit dicton marchait réellement, selon les soucis en question. S'il ne pouvait réduire les inconvénients de la perte de sa voix, il pensait réussir à en atténuer les effets sans avoir d'autre effort à faire que de penser à autre chose. D'oublier, pout mieux guérir. Or, tout ce qu'il faisait, c'était de « cacher la merde sous le tapis ». Et en même temps, c'était tellement plus simple, tellement moins énergivore ! Ainsi, laisser son esprit profiter de la moindre distraction pour s'ignorer lui-même était lentement en train de devenir un moyen de survivre.
Le souci là-dedans, c'est que ça devenait problématique car de cette façon, il était difficile pour lui de se concentrer sur autre chose que ladite distraction, ici… Le souvenir doucereux d'un moment intime avec son amant. Un moment où la peur de se perdre les avait libérés de toute chaîne, où la pudeur était un concept dont la définition avait quelque peu changé. De son côté, Stiles se sentait depuis lors fort détendu, dans le sens physique du terme.
Son esprit, lui, n'était calme qu'en apparence. Derrière son absence d'hyperactivité visible, les pensées s'enchaînaient et s'amoncelaient selon les sujets. Et Stiles, perdu comme il l'était, les noyait sous la luxure et le bonheur d'une étreinte chaude. Parce qu'il avait peur, aussi. Peur de briser ses restes d'ailes s'il se posait pour affronter toutes ces choses qui le plombaient.
Les conséquences de la perte de sa voix. Scott. Son bannissement de la meute, le départ de Derek. Scott. L'origine de toute cette mascarade aux motifs obscurs. Scott. Cette agression dont il avait manqué de peu d'être victime.
Scott.
- Stiles ?
Le concerné se redressa instantanément et leva un regard surpris, presque apeuré en direction de Derek. Ça aussi, c'était quelque chose qui le dérangeait : se faire surprendre alors qu'il se retrouvait victime de certaines pensées indésirables. Ici, il s'agissait de réminiscences d'un moment plus qu'agréable contre des préoccupations qu'il ignorait au mieux, mais qu'il n'arrivait pas à occulter complètement, à oublier. Et pour être honnête, il ne comprenait pas vraiment pourquoi. Parce que d'habitude, ça fonctionnait… Alors pour quelle raison cette fois-ci ferait exception ?
Sans un mot de plus, Derek se rapprocha du canapé et lui tendit la main. Stiles, de par toute la confiance qu'il avait en lui, la prit sans hésitation et le laissa l'emmener à l'étage. En général, il faisait cela dans un but précis – souvent le même. Et ça, c'était une perspective qui plaisait beaucoup à l'hyperactif, qui y voyait là le moyen le plus efficace de mettre un terme à son cheminement de pensées actuel. Le sexe avec Derek était toujours bon : il se révélait même encore meilleur lorsque Stiles avait quelque chose à oublier, à effacer momentanément de sa mémoire. Alors voilà, il n'était pas excité à proprement parler mais savait qu'il suffirait d'un regard, d'un geste à l'allure chaude pour le faire tomber et faire naître en lui ce qui l'aiderait à combler ce besoin de diversion. Car c'était ça, au final. Stiles savait qu'il ne devait pas oublier qu'avant d'être un moyen de se changer les idées, c'était une façon de ressentir du plaisir et surtout… De s'unir avec son partenaire sur l'un des plans les plus intimes qui soit. Et il ne devait pas mettre ce fait de côté au risque d'avoir envie de Derek pour les mauvaises raisons.
Pourtant, c'était ce qu'il était graduellement en train de faire.
Parce que c'était plus simple, moins prise de tête. Parce que Stiles n'avait jamais connu de moyen plus efficace que celui-ci pour penser à autre chose. Parce que le toucher de Derek était sans commune mesure le plus agréable qu'il ait eu à expérimenter – et des expériences, il n'en avait pas beaucoup –, le plus addictif également. Il ne pouvait se lasser de sa présence, ni même s'en passer.
Alors pénétrer dans la chambre lui fit par avance un bien fou. C'était comme s'il avait faim et qu'il se retrouvait avec un buffet face à lui, prêt à être dévoré. La vision du lit parfaitement fait et bientôt à refaire lui faisait d'ores et déjà cet effet-là. Il imaginait ses doigts se crisper dans les draps, son corps s'enfoncer dans le matelas et Derek le pilonner sans vergogne. Sans douceur, alors que c'était pourtant quelque chose qui le caractérisait depuis le départ et qui avait très vite charmé Stiles. En fait, ce côté de Derek faisait partie de ce qui avait permis à l'hyperactif de lui accorder sa confiance de façon… Intime, profonde. Du genre à ne pouvoir se briser facilement. La langue de l'humain passa sur sa lèvre inférieure sans même qu'il s'en rende compte.
- Non, Stiles.
Le susnommé tourna la tête vers son amant et lui lança un regard mêlant surprise et interrogation. Au départ, il se dit que Derek avait dû sentir son odeur mais il ne se sentait pas particulièrement excité. Pas encore, du moins. Il avait faim à l'avance de ce qui allait se passer, mais… Voilà, il ne se sentait pas chaud pour l'instant. C'était quelque chose qui viendrait, que Derek déclencherait. Alors… Pourquoi ?
- J'aimerais juste qu'on discute, l'éclaira Derek.
Que « tu » discutes, aurait eu envie de lui répondre Stiles, pour qui rien n'avait d'intérêt à cet instant, le sexe mis à part. Il avait réellement besoin de se distraire l'esprit, de se changer les idées. Il relativisa : s'il lui fallait attendre un peu, soit. Il n'était pas non plus… Complètement accro. Il savait se tenir, se contrôler, c'était juste… Emmerdant. Il y avait plus agréable qu'une conversation à laquelle il ne pouvait pas réellement participer. Ecouter, ça il savait faire… Par la force des choses. Disons qu'il n'avait pas réellement le choix. Techniquement, Stiles pouvait faire valoir son avis en usant d'une feuille et d'un stylo ou bien d'un téléphone, cependant… Ce n'était pas pareil. S'exprimer ne serait plus jamais pareil. Ça, c'était son point de vue et il acceptait cette vision malgré lui parce que dans un sens… Il n'avait plus voix au chapitre ou du moins, pas comme on pourrait le penser.
Alors Stiles hocha simplement la tête, persuadé que ce moment ne durerait pas : Derek n'aurait qu'à cracher ce qu'il avait à lui dire et puis… Si Stiles avait de la chance, il s'ensuivrait ce dont il avait besoin. Pour lui, les chances se réduisaient doucement tant il ne voyait rien dans les yeux de son amant, pas la moindre étincelle trahissant une hypothétique envie de s'adonner au péché de luxure. Sa main elle-même était chaude, mais pas tant que cela. Dans le pire des cas, Stiles n'aurait qu'à rêver ses souvenirs, ce qui lui ferait tout de même de l'effet. En tous les cas, jamais il n'irait forcer Derek si celui-ci n'avait pas envie de coucher avec lui.
- J'aimerais que tu me dises ce qui ne va pas.
Stiles le regarda en haussant un sourcil. Qu'est-ce qu'il lui prenait ? Pas qu'il n'apprécie pas le fait que le loup prenne en quelque sorte de ses nouvelles ou qu'il lise en lui de cette façon, seulement… Il ne voyait pas l'intérêt de sa demande. En soi, l'hyperactif n'allait pas « mal » à proprement parler, il se laissait juste parfois… Surprendre par certaines pensées, dont il effaçait momentanément la présence grâce à d'autres, plus agréables, plus addictives. A ce niveau-là, on pouvait doucement commencer à parler d'addiction, de dépendance. Si Stiles s'en rendait d'ores et déjà plus ou moins compte, il se refusait à le faire. Il allait bien. N'avait plus vraiment peur d'être chassé du loft, se sentait suffisamment confiance pour agir naturellement avec son amant et… Sa cheville allait mieux. Que demander de plus ? Il s'efforçait de ne pas penser à ce qui le dérangeait pour ne pas perdre ce semblant de bonne humeur qu'il avait durement travaillé à avoir – et qu'on ne lui dise pas que c'était facile. L'air de rien, il revenait de loin et si les idées noires qu'il avait pu avoir au départ s'étaient éloignées de son esprit, elles n'avaient pas complètement disparu pour autant. Il continuait de garder en tête une certaine culpabilité lorsqu'il pensait à la solitude lupine de Derek. Pour autant, l'humain continuait de travailler sur lui pour essayer de… Se dire que ce fait n'était pas complètement de sa faute. Que Derek avait eu ses raisons à lui de quitter la meute, que cette décision n'était pas due qu'à son éviction à lui.
Alors il lui lança le regard le plus confus qui soit, histoire qu'il comprenne que lui, de son côté, ne comprenait pas l'intérêt de sa question, ni même son sens. Et même si Derek trouvait quelque chose dans son odeur… Était-il forcé de s'arrêter dessus ? Stiles continuait de se marteler mentalement le fait… Qu'il allait bien. Il se disait également que ce que Derek devait sentir… Avait juste un lien avec ses difficultés quant à ses cours. Rien d'intéressant, en somme. Rien d'inquiétant.
Et c'était justement ce déni qui préoccupait Derek. Cette manière qu'avait Stiles d'ignorer au mieux ce qu'il pouvait ressentir. Or, adopter quelque stratégie d'évitement que ce soit n'avait aucun effet positif sur le long terme. Quant au court, il laissait étendre sur son esprit une toile positive parfaitement illusoire qui n'avait de bien que l'impression qu'il donnait.
Au départ, Derek ne voyait aucun inconvénient à ce que Stiles tente ce qu'il pouvait pour apprendre à s'adapter à cette nouvelle vie et… Il pouvait comprendre que cette idée puisse marcher sur lui… Tant que ce n'était que pour un temps donné. Ce qui l'avait alarmé et fait changer d'avis ? Cette façon qu'il avait eue « d'oublier » l'agression qu'il avait manqué de vivre. Derek se souvenait fort bien de sa tétanie, de son état de choc lorsqu'il était rentré, prévenu en urgence par Jackson.
Alors il trouvait complètement anormal qu'une pauvre journée plus tard, Stiles soit aussi… Détaché de cela. Comme s'il avait oublié que son meilleur ami avait envisagé d'attenter à sa vie. Pourtant, c'était si récent… Et il avait été si mal, sur le moment. Ainsi, Derek ne pouvait passer outre et s'il avait attendu de voir comment les choses évolueraient, il n'avait pas pu faire durer plus longtemps : l'odeur de Stiles, discrète malgré tout, continuait de l'alarmer en silence.
- Ne fais pas comme si tout allait bien, parce que c'est faux.
Face à ces mots dont il ne comprenait pas l'origine – pourquoi Derek s'entêtait-il à partir dans cette direction ? –, Stiles haussa à nouveau un sourcil. Qu'est-ce qu'il racontait ? Et ce moment faisait partie de ceux durant lesquels il ressentait le manque de sa voix, laquelle lui serait fort utile pour exprimer le fond de sa pensée et lui montrer qu'il se trompait lourdement. Quoiqu'au final, quels arguments aurait-il à lui opposer alors qu'il savait pertinemment que son cœur risquait fort de faire des siennes ? L'avantage de son mutisme, c'est que mentir s'avérait un peu plus facile. Ainsi, se faire discret quant à ce qu'il pouvait ressentir demandait bien moins d'efforts qu'avec la possibilité de mettre des mots qui pouvaient pousser son cœur à le trahir davantage encore.
Et c'est alors qu'il songeait à l'idée du mensonge que Stiles sut que d'une manière ou d'une autre, Derek l'avait piégé. Parce qu'il avait beau essayer de se murer dans le déni – c'était plus facile – il se rendait compte de ce qu'il faisait… Dans un sens. En somme, il était muet, mais pas complètement aveugle à sa propre situation. Et ça, ça l'emmerdait. Parce qu'il savait que ça allait parce qu'il mettait ses préoccupations de côté, sciemment. Dans un langage plus fleuri, on pouvait dire qu'il cachait la merde sous le tapis. Celle-ci, loin de disparaître, continuait juste de pourrir le parquet dans le silence le plus complet. Mais d'un autre côté, ça lui permettait de gagner du temps et d'essayer d'avancer malgré tout. Stiles était de ceux qui ne voulaient pas se laisser ralentir par quelque poids que ce soit : ceux qui voulaient continuer leur chemin coûte que coûte. Qu'importe les chaînes, les boulets qu'ils traînaient derrière eux.
- Stiles, l'appela à nouveau Derek. Il faut qu'on en parle.
A la lueur interrogatrice dans son regard, le loup explicita sans attendre :
- Scott.
Un nom fort simple qui voulait dire beaucoup de choses et contenait à lui tout seul bon nombre d'informations et d'émotions à la fois. Un nom qui avait suivi celui de Stiles durant des années, un nom qui était autrefois son monde. L'on ne pouvait nier le fait que cette relation avait eu son importance dans la vie de l'hyperactif, plus encore que concernant celle de la meute en elle-même. Parce que sans Scott et Stiles, leur bande n'aurait probablement jamais existé, du moins… Pas de cette façon-là.
Quoiqu'au final, elle n'avait plus l'air d'être qu'un lointain souvenir. Stiles ne parlait plus vraiment aux autres même s'il savait que Jackson et Lydia restaient en quelque sorte… Proches de lui. Le kanima restait disponible et n'hésitait pas à lui répondre tandis que la banshee continuait d'essayer de prendre de ses nouvelles régulièrement, sans faire cas de ses « vus » volontaires. Quelque chose s'était brisé en Stiles, et… Il n'arrivait pas à considérer que sa relation avec certains de ses amis, dont la rouquine, puisse être la même. Pour lui, c'était impensable pour la simple et bonne raison qu'il ne se considérait pas à sa juste valeur… Et qu'il pensait que, muet, il n'avait plus aucune plus-value. La réflexion en elle-même était malsaine, mais c'était la sienne.
Dans tous les cas, Stiles n'avait pas la moindre envie d'aborder le sujet de son ex-meilleur ami. S'il se refusait depuis le début à affronter le problème directement, ce n'était pas sans raison : la simple énonciation de son nom ramenait à son bon souvenir des réminiscences d'une vie qui semblait lui avoir été arrachée. La vie d'un lycéen lambda avec sa bande d'amis et un frère spirituel dont l'amitié avait commencé dès l'enfance… Presque le bac à sable. Il s'agissait d'une relation longue qui avait cessé d'exister si brusquement il n'avait pas pu en faire le deuil. Et malgré ça, il s'était acharné à avancer. Sans faire les choses correctement. Sans s'accorder le temps dont il avait réellement besoin.
Ça, c'était encore une fois quelque chose qu'il savait, mais qu'il ne réalisait pas vraiment. Qu'il mettait de côté, usant à nouveau de cette ignorance salvatrice pour ne pas s'arrêter. Continuer son chemin.
Survivre.
L'hyperactif secoua vivement la tête.
- Il faut qu'on en parle, Stiles.
Nouvelle démonstration de l'avis de l'humain, un hochement négatif de sa caboche légèrement rougissante. Il pensait trop, réfléchissait à outrance. Dans tous les cas, il ne désirait pas aborder ce sujet-là, lui qui l'évitait presque instinctivement. Parce que s'il était au courant de l'origine de sa situation et de sa légère dégradation, il faisait en sorte de ne pas les laisser le toucher plus que nécessaire. Il s'autorisait à savoir, pas à ressentir autant qu'il en avait besoin. Scott était l'épicentre de tous ses problèmes, de cette déchéance qu'il ralentissait et tentait de stopper à sa manière. Si elle n'était pas forcément la bonne, c'était la sienne. N'avait-il pas toujours fait comme cela ? Il trouvait du réconfort dans la facilité de ce qu'il connaissait. Pourquoi s'épuiser à changer sa façon de faire sachant que d'une manière ou d'une autre, il avançait ? Stiles cessa de réfléchir et se saisit de son téléphone, ouvrit l'application des notes et rédigea un petit quelque chose, histoire de faire comprendre à Derek le fond de sa pensée.
« C'est aussi stupide qu'inutile. Une discussion, ça ne se fait pas seul. Or, je pense que tu l'as remarqué, je ne peux plus parler. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse dans ce cas-là ? Je pars du principe que ce concept est voué à l'échec dans ma situation. Puis tu veux qu'on parle de Scott. Moi, je n'en ai pas envie. Ça va, tu m'entends ? J'apprends à l'oublier, d'accord ? Je l'oublie et ça me fait du bien. C'est comme ça que j'avance, que j'évolue – enfin je ne sais pas si on peut réellement parler d'évolution, mais… Tu as compris.
Je peux concevoir le fait que je ne sois pas au top moralement actuellement, c'est humain. Toi non plus, tu ne l'es pas toujours. Ok, je le concède, j'ai du mal à bosser. Je n'ai pas le mood des cours et savoir que je n'arrête pas d'en louper ne m'aide pas. D'accord, je veux bien te céder ça aussi, l'épisode d'hier m'a perturbé, mais je ne le laisserai pas m'abattre. Je n'ai pas envie de retrouver ce que j'ai connu lorsque j'ai perdu ma voix. »
Et Derek comprenait ses mots. Il les comprenait fort bien, oui. Un peu trop, peut-être… Parce qu'il lisait tous ceux que Stiles n'écrivait pas, tous ceux qui hurlaient leur présence derrière les lettres noires, les mots normalement formés, les espaces entre eux. Il entrevoyait tout autant de positif que de négatif. L'envie de Stiles de se sortir de cette spirale infernale, de se protéger… Mais pas de la bonne manière. L'ignorance ne le sauverait pas : elle participerait seulement à nécroser ses souvenirs, sa confiance, son existence, si lentement qu'il ne s'en rendrait pas tout de suite compte.
Or, Derek ne voulait rien de plus que le bonheur de Stiles. Un affranchissement réel de sa condition, une évolution vers celui qu'il pourrait être sans être retenu par les chaînes inhérentes aux origines de son mutisme.
Parce qu'au final, il ne connaissait rien de plus que son auteur. Pas ce qui l'avait poussé à commettre cette infâmie, ni la manière dont il s'y était pris. Derek s'était graduellement rendu compte que Stiles… Avait beau s'agacer de son mutisme et le dire de temps à autres, il n'avait jamais montré de réelle émotion quant à ce que ça provoquait en lui. En d'autres termes, il avait un ressenti, mais ne l'exprimait pas vraiment.
- Tu as le droit d'avoir eu peur.
Et ces mots qu'il prononçait n'étaient pas sans lui rappeler ceux qu'il lui avait déjà dits quelques temps plus tôt, alors que Stiles faisait tout pour se rendre invisible. Il avait longuement tenté de ne pas prendre de place, de ne pas montrer sa douleur, de réduire au maximum les bruits qu'il pouvait faire rien qu'en se déplaçant… Et de garder son mal-être pour lui. Les choses s'étaient graduellement améliorées après leur précédente « discussion » à ce sujet, mais… Pas complètement, on dirait. Stiles avait encore des progrès à faire, semblait-il. Parce que Derek savait que l'idée que Scott ait eu l'intention de venir au loft pour lui faire du mal l'avait terrifié – il l'avait aussi bien vu que senti. Pourquoi continuer d'essayer de faire comme si ce n'était pas le cas ? Derek n'irait pas dire que c'était stupide, simplement qu'il s'agissait d'une perte de temps et occasionnait une consommation d'énergie folle. Cela rendait aussi plus ou moins malsains certains aspects de la vie de Stiles, dont… Son goût de plus en plus fort pour le sexe.
Ce n'était pas quelque chose que Derek découvrait, pas non plus quelque chose qu'il avait tout de suite compris. D'ailleurs, il avait ses torts là-dedans : lui-même devait avouer qu'il s'était laissé porter, embarquer, lorsque ce n'était pas lui qui débutait les hostilités. C'était toujours après coup qu'il se disait… Que quelque chose clochait. Que son odeur lui paraissait un peu plus étrange, un peu plus complexe. Il se voyait comme un explorateur perdu en forêt, écartant ça et là branches et feuillages épais dans l'espoir de trouver au plus tôt l'ébauche d'un chemin qu'il s'efforcerait de suivre pour trouver ici-bas l'ébauche d'un chemin à emprunter. En somme, Derek savait qu'il n'aurait pas dû laisser la beauté de la végétation luxuriante alentours ralentir sa progression. Ainsi, il reconnaissait ses torts dans leur entièreté tout en sachant qu'il ne pouvait pas non plus tout prédire. Il pensait honnêtement que Stiles avait progressé : en soi, c'était le cas.
Simplement, en l'état actuel des choses, ce n'était pas assez.
Derek ne voyait pas ça comme une rechute réelle de sa part, plutôt comme un piétinement qui, à terme, pouvait tendre à une certaine déchéance. Il s'imaginait une voiture à l'arrêt, sans frein, sur une légère pente montante : son conducteur devait doser l'embrayage de sorte à garder une certaine dynamique et donc ne pas reculer, tomber.
- Tu as le droit d'être en colère.
Or, avec son silence émotionnel, non seulement Stiles ne se sécurisait pas avec le frein et il reculait doucement, l'embrayage complètement enfoncé. Il glissait. Parce qu'il restait là, à son poste, crispé, gardant pour lui ce qui le paralysait dans sa montée.
Derek partait du postulat qu'il fallait toujours exprimer son ressenti, d'une manière ou d'une autre. La colère était ce qui, pour lui, revêtait la puissance d'un moteur et permettait parfois de se relever après avoir essuyé le revers d'une situation un peu trop difficile à gérer. Un coup de pouce. L'impulsion suffisante pour réapprendre à bouger, à doser. Muselée, la colère détruisait sa prison et, par extension, son hôte. Exprimée, elle pouvait servir de carburant et donner un peu d'énergie… Assez pour amorcer ce premier mouvement salvateur.
Derek devait toutefois avouer que cette colère était particulièrement bien étouffée et par conséquent, dissimulée derrière une fausse normalité qui la rendait difficilement décelable. Et pourtant, il avait les sens d'un ancien alpha – relativement plus forts que ceux d'un bêta lambda. Stiles était malgré lui fort doué et faisait en sorte de convoquer d'autres émotions pour minimiser l'importance de celle-ci, une technique malheureusement efficace puisqu'elle avait retardé la prise de conscience de Derek à ce sujet. Encore maintenant, il n'irait pas mentir en disant qu'il sentait tout de sa négativité : il y avait des pans d'émotions que l'humain arrivait encore à garder secrets. C'était là que Derek se rendait véritablement compte de son talent à la comédie… Mais surtout à la minimisation. Stiles avait peur de souffrir et d'être trop faible pour supporter son propre ressenti. Il fallait toutefois faire preuve d'une force mentale incroyable pour réussir un tel prodige et le maintenir à flot. L'hyperactif y arrivait, sans toutefois prendre conscience du fait que ce genre de manipulation n'avait toutefois pas pour vocation d'être éternel, ni bénéfique – que ce soit pour son moral ou sa santé mentale. En un sens, le déni de sa méthode le protégeait… Mais il allait falloir qu'il apprenne à s'en sortir sans : Derek savait qu'il pouvait y arriver. Il était suffisamment fort pour cela et ce, même s'il pensait le contraire. L'on n'était jamais objectif lorsque les choses nous concernaient. En revanche, l'ancien alpha avait conscience de sa propre lucidité et de son pragmatisme, cette façon qu'il avait de réfléchir d'abord froidement, puis en prenant en compte les différentes émotions mises en jeu. Il était clair qu'il ne connaissait pas Stiles par cœur. Néanmoins, ce qu'il savait de lui et ce qu'il constatait petit à petit le concernant était on ne peut plus clair.
- Ça ne fait pas de toi quelqu'un de faible. La colère, la peur… Sont des émotions saines. Tu as le droit de les ressentir, de les exprimer.
Parler, même si ce n'était plus de la même manière… S'avérait être une chose qu'il le poussait toujours à faire. Parce que la parole, qu'elle soit orale ou écrite… C'était pour lui la première étape d'une guérison véritable. Avancer sans soigner ses névroses équivalait à se forcer à marcher avec une fracture à la jambe, sans béquilles. Ça faisait horriblement mal et rendait le chemin beaucoup plus long et difficile d'autant plus que la jambe en question… Continuait de s'abîmer petit à petit. Après un temps infini, on s'accommodait de cette blessure, mais apparaissaient alors au grand jour des séquelles qui empêchaient de faire certaines choses, fermaient des portes. Et Derek ne voulait pas que Stiles s'auto-sabote et se prive d'une véritable avancée. Sa situation n'était pas simple, au contraire : il devait cependant enregistrer le fait que son mutisme ne lui avait pas enlevé le moindre droit et surtout… Qu'il n'était pas seul. Si ses amis se faisaient discrets, ils étaient tout de même là – c'était surtout Stiles, qui les repoussait… Pour se protéger, sans doute, éviter de revivre cet abandon involontaire qui l'avait détruit. Derek le comprenait pour avoir fait la même chose durant des années. Est-ce que ça l'avait aidé ? Il en avait eu l'impression, mais la suite lui avait montré ses torts.
Ainsi, il essayait de les réparer… Et se devait de montrer à Stiles le chemin à ne pas prendre.
A ses côtés, Stiles détourna le regard mais Derek eut le temps d'apercevoir une lueur dans ses yeux : celle qu'il cherchait. Cette colère qu'il avait en lui. Il ne s'agissait peut-être pas de l'originelle, mais c'était toujours ça de gagné.
- Pour moi, la colère a été un moteur, mais… Je l'ai utilisée de la mauvaise manière pendant des années, avoua le loup-garou.
Se confier n'était pas son truc, au contraire : il détestait le fait d'avoir à s'ouvrir… Mais la vie lui avait appris que c'était parfois ce qu'il fallait faire, surtout lorsque l'on avait le cœur lourd. L'on avait tendance à penser que le temps l'allégeait naturellement, et c'était vrai. Partiellement. Mais ça n'effacerait jamais rien, laisserait toujours de subtiles traces, un arrière-goût d'une amertume inouïe. Quelque chose qui gâchait tout un tas de moment, empêchait l'épanouissement en tant que tel. Apprendre à vivre avec ses blessures était une chose : les laisser névroser en silence tout en croyant les guérir en était une autre.
- J'en ai voulu à la terre entière après m'en être voulu à moi.
Il pensait à ce moment-là que c'était la seule chose à faire. Il ne disait rien, ne cherchait pas à créer la moindre nouvelle relation, profitant de sa solitude pour ruminer jour et nuit ce qu'il pensait être la vérité. Avec du recul, Derek avait perdu un temps considérable – mais ç'avait été sa manière à lui de faire son deuil, seul, sans modèle réel pour lui montrer qu'il pouvait s'en sortir autrement.
Rencontrer Scott et Stiles dans cette forêt l'avait déridé malgré lui. Des années après le drame, il avait ressenti l'agacement, le besoin de se cacher à la curiosité maladive de ces deux jeunes hommes. Puis, il avait dû s'allier à eux pour protéger la ville et, de fil en aiguille, avait laissé tomber ses premières résolutions : rester seul, ne pas créer de contact avec autrui, ne pas s'ouvrir.
Parce qu'il pensait à cette époque-là ne pas avoir droit au bonheur, que son existence se résumerait au fait de survivre, seul. Un loup perdu au milieu de la forêt, incapable de s'éloigner du manoir brûlé de sa famille. Un lieu chargé d'histoire, de souvenirs, des vestiges d'une vie plurielle aujourd'hui étouffée. Avec le temps et après avoir fait la rencontre de Scott et Stiles, Derek s'était rendu compte qu'il pouvait continuer d'avancer malgré tout. Sa vie à lui n'était pas figée dans le marbre. Son chemin continuait.
Celui de Stiles aussi, même s'il n'en avait que partiellement conscience.
- J'ai tout refoulé. Tout. Jusqu'au jour où j'ai compris que je me faisais plus de mal qu'autre chose, que je m'empêchais d'avancer.
Cela s'était fait de manière plus ou moins consciente. Mais il ne pouvait nier que son côté loup l'avait beaucoup aidé : dans sa tête, ils étaient deux entités aussi unies que distinctes. L'animal s'embêtait moins que son homologue humain. Pour lui, tout était plus simple, plus épuré. Il y avait la souffrance, la douleur et le reste. Pour le loup, il fallait survivre, avancer. Abandonner toutes ces choses qui le ralentissaient dans sa progression et accepter le fait que ça s'était passé et que Derek, quoi qu'il essaie de faire, ne pourrait jamais changer le passé. L'important était toutefois de ne pas oublier, de ne pas chercher à ruminer sans arrêt ou d'effacer ses propres souvenirs et d'honorer la mémoire de sa famille par cette idée.
Ça, c'était quelque chose qu'il avait mis des années à comprendre, à faire, parce que sa compagne la plus proche avait été la solitude. Maintenant qu'il avait l'expérience et ce, même si elle n'était pas la même, Derek voulait faciliter le chemin de Stiles vers l'acceptation. L'hyperactif avait le pouvoir d'avancer à un rythme certain : il fallait juste qu'il le comprenne. Parce qu'il le voulait – ça, Derek le savait. Il lui manquait simplement cette impulsion qui lui permettrait de s'en donner les moyens.
- Je sais qu'on n'a pas vécu les mêmes choses mais comme toi, je sais ce que la perte peut faire, je sais à quel point elle est destructrice.
Stiles leva à nouveau les yeux au ciel et ce, même si les paroles de Derek étaient justement celles qu'il avait besoin d'entendre. Celles dont il avait besoin tout court et qui avaient effectivement un écho en lui. Mais sa part fière, elle, n'en voulait pas. Il pouvait s'en sortir seul – puis sa méthode avait longtemps marché, suffisamment fait ses preuves pour qu'il décide d'en changer.
Mais les mots de Derek étaient fourbes parce que même si Stiles ne voulait pas de leurs effets, c'était raté. Il réfléchissait plus ou moins consciemment et s'il considérait sa technique comme « bonne », il lui voyait déjà certains défauts. Comme le fait qu'elle puisse, par exemple, continuer de le faire se sentir lourd, jamais complètement tranquille. D'un autre côté, Stiles se disait que c'était normal, parce que… Il s'agissait d'une chose dont il avait l'habitude. Pour lui, l'écrasement n'avait rien de nouveau. Chacun avait, dans sa vie, quelque chose qui l'alourdissait ou ralentissait sa progression. De l'avis de Stiles, que l'on souffre de quelque chose ou non, l'on ne vivait jamais complètement heureux. L'ombre était naturelle, pas la légèreté. Cette dernière ne se laissait montrer que rarement et jamais très longtemps. Ça, il l'acceptait. C'était normal.
Mais il ne trouvait pas normal la haine que Scott semblait lui porter. C'était quelque chose qui revenait régulièrement dans ses réflexions et qu'il peinait repousser… Pour la simple et bonne raison qu'il ne comprenait pas.
Stiles se saisit alors de son téléphone. Puisque Derek tenait à ce qu'il s'exprime… Il allait le faire et ce, même s'il était persuadé que cela ne changerait rien. Ainsi, il s'imagina lui écrire quelque chose avec désinvolture, ne serait-ce que pour lui montrer qu'il lui parlait par obligation et rien d'autre : que cette façon de faire ne l'allègerait en rien. Il avait essayé, avec ses feuilles et son stylo. Cela ne l'avait soulagé qu'un temps.
« Pourquoi Scott m'a fait ça ? »
Et pourtant, ses mots sortaient de manière brute, désespérée. Parce que Stiles avait mal. Et c'était ça qui ressortait, pas ce qu'il désirait montrer. La vérité prenait le pas sur l'apparence.
Derek lui lança alors un regard qu'il ne sut comment interpréter. Il s'était voilé, assombri et en même temps… Stiles n'avait pas envie d'en détourner le sien, comme si quelque chose de particulier l'y maintenait accroché. Une forme d'amour brute, de tendresse sauvage.
Il y avait de cela, bien sûr, mais pas seulement. N'importe quel être surnaturel y aurait décelé, en plus de cette lueur unique, la représentation instinctive des tourments lupins qu'il vivait. Cette force mentale qu'il employait à se museler dans le but de prendre du temps pour Stiles au lieu d'aller faire la peau à Scott. Parce que la colère, il la ressentait fort bien : s'il se savait calme, cela n'enlevait rien au fait qu'il rêvait d'étriper le latino, aussi simplement que cela. Scott n'avait pas simplement exprimé sa haine.
Il avait tout simplement détruit Stiles. Brisé des pans entiers de sa vie. Et Derek ne le lui pardonnerait jamais. Alors oui, son regard restait partiellement empreint d'une certaine douceur parce qu'il voulait se montrer patient. L'être, pour cet humain qu'il apprenait à chérir depuis un moment. Mais à l'intérieur de son crâne, son loup continuait de grogner : profondément indigné depuis qu'il savait toutes les crasses que Scott avait faites à Stiles, il quémandait sa vengeance.
Derek se recentra. Stiles lui avait posé une question à laquelle il n'existait pas de réponse unique : et ne connaissant pas les raisons précises de Scott, sans doute ne pourrait-il pas répondre correctement. Quelques mots lui vinrent néanmoins naturellement.
- Parce que c'est un con.
Stiles le regarda, un air légèrement satisfait peint sur le visage. Pour ça, il ne pouvait qu'agréer puisque c'était quelque chose qu'il pensait depuis un moment déjà. A savoir que pour lui, cette insulte revêtait nombre de sens, tous aussi peu élogieux les uns que les autres. Car s'il ne comprenait toujours pas ce qui avait poussé à l'alpha à le haïr de la sorte, il était d'avis que rien ne justifiait son comportement. Stiles se savait… Trop bavard, autre fois. Chiant, fouineur. Était-ce cependant un appel à la haine ? Non parce qu'à côté de cela, il avait longtemps donné sa vie pour lui. Scott ne savait rien de la culpabilité qui l'avait longtemps miné, lorsque son idée stupide d'aller en forêt un soir de pleine lune avait transformé son existence. L'alpha était passé d'un humain triste et maladroit à un loup-garou d'une puissance phénoménale. Fini l'asthme, finies l'indifférence et l'ignorance d'autrui, bonjour la guérison magique, bonjour la force inouïe et les sens surdéveloppés. Alors oui, même si tout avait été difficile à accepter et que la vie d'un loup-garou n'était pas de tout repos, elle avait nombre d'avantages que Stiles continuait de lui envier.
Mais oui, il s'en était voulu durant un temps qui lui avait semblé infini et parfois, ça revenait. Enfin avec ce que Scott lui avait fait, il n'était plus très certain de continuer de ressentir la moindre culpabilité à son égard. Se ronger les sangs pour un ami qui avait voulu son moral et peut-être bien sa mort en valait-il la peine ? Son instinct lui souffla « non ». Son cœur hésita.
- Mais je pense aussi qu'il avait peur de toi.
Suite à ces mots sauvages, Stiles reporta soudainement son attention sur Derek et esquissa un rictus… Difficile à interpréter. Était-il moqueur ? Désabusé ? Sombre ? Rieur ? En fait, l'idée de Derek le faisait rire silencieusement parce que… Parce qu'elle était profondément surréaliste. Presque stupide. Scott, peur de lui ? Mais bien sûr !
Derek ne partagea pas son rire jaune.
- Je suis sérieux, Stiles.
Et le concerné n'en doutait pas : c'était d'ailleurs ce qui l'amusait véritablement. Que Derek pense ce qu'il lui disait. Si Stiles était d'accord avec lui concernant sa première affirmation, la seconde n'avait rien de logique, d'envisageable. Disons qu'il se savait humain et connaissait parfaitement sa condition. Elle n'avait rien de terrifiant – face à un garou, du moins. Si l'homme est un loup pour l'homme, il ne l'est pas pour le véritable lycanthrope. Tout ce que Stiles avait pour lui, c'était sa vivacité d'esprit et sa tendance à la stratégie. Son intelligence avait beau l'avoir sauvé à de nombreuses reprises, il lui semblait qu'elle ne brillait plus. Comme si, dans un sens, elle avait partiellement disparu. A l'heure actuelle, Stiles se caractérisait par son silence et sa discrétion. Ce qu'il était capable d'offrir à qui voulait bien de lui ? Pas grand-chose. Sa tendresse, peut-être. Encore, pourrait-on réellement en vouloir ? Aveuglé par son incertitude perpétuelle, il ne lui vint pas à l'esprit que la réponse était oui. Que Derek était là, qu'il aimait cet amour encore innommé, qu'il accueillait chacun de ses gestes empreints d'affection sans jamais les repousser. Stiles lui-même adorait sa relation avec le loup-garou. Ce qu'ils partageaient, c'était… Plus que ce qu'il n'aurait jamais espéré dans sa vie. Parce que c'était vrai. Doux et brut à la fois. Irréel et pourtant si tangible.
Oui mais voilà, il doutait sans arrêt et ses questionnements – trop nombreux quoique pour la plupart inconscients – l'aveuglaient quant à ce qu'il pensait et ce qu'il en était vraiment.
Tout serait tellement plus simple s'il pensait moins. S'il accordait davantage de crédit à son instinct. S'il arrêtait de tout mélanger. S'il traitait un problème à la fois.
S'il acceptait de se laisser le temps… De ressentir librement les choses.
Mais Stiles n'était pas un être simple.
D'ores et déjà éreinté par cette conversation dont il espérait voir bientôt la fin, il ferma les yeux quelques secondes et se pinça l'arête du nez. Il sentit alors la main de son amant se caler dans le creux de son dos et c'est à ce moment-là qu'il se rendit compte d'à quel point Derek pouvait être dangereux. Dangereux parce que Stiles était beaucoup trop sensible à ses mots, ses gestes : à tout ce qui faisait de lui celui qu'il était. Et l'hyperactif aimait beaucoup trop ça, cette sensation de proximité naturelle… Cette impression de compter réellement. D'être désiré, aimé pour ce qu'il était. Et c'était étrange parce qu'il avait beau vivre depuis un moment avec Derek, mais il peinait encore à s'habituer à toutes ces choses pour lesquelles il avait cru devoir faire une croix.
Mais rien ne pourrait lui faire oublier cette colère qui luttait envers et contre tout pour sortir. Elle se mêlait à l'incompréhension, à cette espèce de trahison qu'il avait l'impression de ressentir. Aucun amour ne pourrait effacer la douleur de l'abandon et de la haine de celui qui avait été un frère.
Stiles rouvrit les yeux. Des choses à dire à Derek, il en avait malgré tout. C'étaient des choses qu'il voulait tout autant garder pour lui que sortir – et il ne savait pas ce qui était le mieux… Mais il était fatigué et tenait toutefois à éclaircir un point qu'il continuait de juger comme étant faux, un point sur lequel Derek, aussi adorable soit-il, se trompait.
« Scott n'a jamais eu peur de moi. Un alpha ne peut pas craindre un humain quel qu'il soit. Il m'a assez haï pour me faire du mal, je le concède : mais tout ça, c'est juste de la haine. Il ne me supportait plus et au lieu de me le dire, il a préféré régler le problème en douce. C'est ça qu'il s'est passé. »
Derek lut ses mots et fronça les sourcils mais n'attendit pas pour lui répondre :
- Je ne te pensais pas si naïf.
Au tour de l'hyperactif de froncer les sourcils… Et de se concentrer sur la chaleur de cette main, toujours calée dans son dos, pour se détendre.
- La haine ne justifie pas tout, tu sais ? Et même dans le cas où c'était cela, elle part bien de quelque part. Scott t'a véritablement apprécié, Stiles. Mais ce que tu ne veux pas comprendre, c'est qu'il y a eu un moment où il a commencé à avoir peur de toi.
Derek ne laissa pas le temps à Stiles de se remettre à écrire. Il ancra ses yeux dans les siens et continua :
- Regarde les choses telles qu'elles sont maintenant, Stiles. La meute n'est plus ce qu'elle était depuis que Scott t'en a viré. J'en suis parti directement quand il a prononcé ces mots, tu t'en souviens ?
Si Stiles ne chercha à répondre d'aucune manière, la lueur dans ses yeux ne trompait personne : ses souvenirs quant à ce jour étaient intacts.
- J'étais là pour lui… Depuis longtemps, presque depuis le départ, j'étais un peu devenu… Comme un mentor pour lui. Il m'a souvent demandé des conseils et je l'ai aidé au mieux. Il ne voulait pas que je m'en aille.
Jusque-là, Stiles suivait, sans trop réussir à voir où il voulait en venir. Pour lui, il s'agissait d'une histoire d'affinités : Scott adorait Derek, alors que ce dernier parte l'avait forcément emmerdé.
- Presque tout de suite, Lydia et Jackson ont suivi, Stiles. Et même si je n'ai pas trop de nouvelles du reste de la meute, j'imagine bien que ni Isaac, ni Liam ni Peter ne vont rester très longtemps… S'ils ne sont pas déjà partis.
Stiles cligna des yeux, se saisit de son téléphone.
« Ils ont eu peur de sauter, eux aussi. »
- Il y a eu un peu de ça, lui concéda Derek. Si Scott a été capable de t'écarter toi, c'est qu'il peut vouloir récidiver de façon arbitraire. Une meute a besoin de se sentir en sécurité auprès de son alpha, ce qui n'est plus possible avec Scott. Mais ce n'est pas le seul paramètre à prendre en compte, Stiles.
« Je ne vois toujours pas où tu veux en venir, il va falloir être plus clair si tu veux que je puisse éventuellement commencer à te céder du terrain. »
Ce n'était pas quelque chose qu'il voulait réellement, mais Stiles ressentait comme… Le besoin d'être honnête, parfaitement transparent avec lui. La conversation, malgré ses deux dimensions, devenait fluide – autant qu'elle pouvait l'être. Alors forcément, les mots s'écrivaient tous seuls, d'autant plus que l'hyperactif se sentait relativement « bien », grâce à la compagnie de Derek. En confiance, pouvait-on dire. Dans un sens, discuter avec lui était si rare – ils se parlaient peu, échangeaient peu – que Stiles ne se rendait même pas compte du fait qu'il avait laissé s'effondrer nombre de barrières. Il était fatigué, et puis… La voix de Derek lui avait manqué. Ses mots rassurants aussi. Ils allaient de pair avec ces gestes dont Stiles raffolait – il en avait d'ailleurs oublié toute envie de sexe. Mais il sentait toujours la main de Derek, qui bougeait : elle trouva sa place sur sa hanche et Stiles n'eut pas la moindre envie de l'en déloger. Il l'y trouvait trop bien et… S'il désirait plus, il n'en dit rien. Stiles avait l'impression que Derek l'avait rendu accro à ses étreintes, à ses baisers, à tous ces gestes qu'il trouvait toujours d'une tendresse inouïe – et d'elle, il en raffolait. Simplement, il n'arrivait pas à demander les choses clairement. S'il se savait l'amant de Derek, s'il était au courant qu'ils entretenaient une… Relation ressemblant à celle d'un couple, ils n'en étaient pas réellement un. Ainsi, l'humain avait tendance à attendre que le loup fasse le premier pas pour s'autoriser lui-même un rapprochement. Lorsqu'il s'agissait de sexe, les choses étaient différentes… Plus simples, dans un sens. Disons que ce genre de moments ne lui donnait pas l'impression d'être sur une pente glissante. Or, c'était exactement ce qu'il ressentait à cet instant, ce qui n'enlevait toutefois aucun pan de cette confiance presque aveugle qu'il lui accordait depuis peu.
De son côté, Derek eut l'air de réfléchir quelques secondes, cherchant sans doute un argument au plafond. Il avait ce tic que Stiles trouvait tout aussi mignon que drôle, mais… Pour une fois, l'humain ne releva pas.
- Tu vois, quand Jackson est venu à ta rescousse ? Finit-il par demander en ancrant à nouveau son regard dans le sien.
Puisqu'il s'agissait de quelque chose de véritablement récent et qui avait marqué Stiles, ce dernier hocha la tête.
- Tu l'as contacté et il n'a pas hésité à venir. Scott était en bas de l'immeuble, Jackson t'en a protégé. Tu n'y vois pas là une forme de loyauté ?
Stiles considérait surtout qu'il s'agissait d'une forme d'amitié qui, il fallait l'avouer, tapait fort contre ce déni qu'il s'évertuait à essayer de garder intact. Sans être dans sa tête, Derek devinait parfaitement son chemin de pensée. A force, il commençait à le connaître.
- Stiles, il s'est battu contre Scott, insista-t-il.
« Il ne faisait déjà plus partie de la meute. » Et ce fait paraissait toujours aussi invraisemblable à Stiles, mais soit. Il fallait bien qu'il se serve d'une part de réel pour entretenir son déni. Ne pas reconnaître la vérité qui tendait d'ores et déjà à lui faire peur non pas par sa signification spécifiquement, mais par sa grandeur saisissante.
Derek retint un soupir et remercia la nature de l'avoir doté d'un tempérament patient – envers les gens qu'il aimait. Les autres pouvaient bien aller se faire voir… Ou tâter la peau de son poing. Stiles s'était fait dans son cœur une place énorme : c'était donc d'autant plus difficile pour lui de le voir réduire sa valeur à ce qu'il avait perdu, et refuser de reconnaître cette petite étincelle qui faisait de lui quelqu'un de véritablement spécial. Pourquoi était-il si ardu pour lui d'accepter le fait que l'on puisse vouloir se battre pour lui ? Que sa vie était bien plus importante que l'avis d'un alpha ?
- Le statut d'alpha prévaut sur tout, reprit calmement Derek. Parfois même sur l'amitié, parce qu'il met en cause une hiérarchie. Techniquement, un alpha restera toujours supérieur à un bêta, sauf si celui-ci devient un alpha à son tour. L'alpha émet automatiquement une aura qu'en tant que loup, tu ne peux que ressentir et, membre d'une meute ou non, le plus souvent, tu te soumets. C'est instinctif… Parce que c'est dans l'ordre des choses.
Ce n'était pas quelque chose dont Derek parlait souvent, pour la simple et bonne raison que son entourage était quasi-intégralement constitué d'être faisant partie de ce monde-là, au fait des particularités de la communauté métamorphe et, ici, lupine. Mais puisque Stiles continuait de faire sa tête de mule, Derek n'avait pas d'autre choix que d'expliquer la chose en long, en large et en travers, dans l'espoir qu'il finisse par comprendre et… Cesser de lui opposer des arguments caducs ou non valides. Et c'était fatiguant tant l'hyperactif peinait à y mettre du sien. Comment la discussion avait-elle commencé, déjà ? Quel avait été le sujet de départ ? Derek lui-même ne s'en souvenait plus vraiment, et pour cause : pour la première fois depuis un moment, Stiles et lui discutaient de nombre de choses. Dans la mesure du possible et avec les moyens du bord, un certain décalage frustrant, mais… Au moins, conversation il y avait et c'était suffisamment rare pour qu'il s'en réjouisse.
- Remettre en cause l'autorité d'un alpha, c'est la révoquer, continua-t-il. On ne fait pas ça pour n'importe qui.
Lui-même l'avait fait, lors de la fameuse réunion durant laquelle tout avait basculé. Les raisons étaient multiples, certes, mais il n'avait pas hésité à répondre à Scott et à s'affranchir de son influence. Parce que Stiles en valait la peine et méritait qu'on lui accorde, par extension, un respect supérieur à celui de son ancien meilleur ami. C'était de cette façon là que les actes de Derek, Jackson et, plus discrètement, Lydia, se traduisaient. Car même si la banshee se montrait peu ces derniers temps, Derek avait de ses nouvelles : il savait tout ce qu'elle faisait.
- Jackson s'est battu contre Scott pour toi, lui rappela-t-il. Pour l'empêcher de te faire du mal.
Comme lui l'aurait fait sans hésiter s'il avait été là. Il devait toutefois reconnaître que Jackson avait eu de la chance : Scott aurait pu vouloir user de sa force d'alpha pour le soumettre. Mais il ne l'avait pas fait. Car un alpha, même affaibli, restait physiquement supérieur à un bêta. Et Derek n'osait imaginer ce qu'il se serait passé si Scott avait décidé d'y aller à fond sans hésiter. Sans doute avait-il été surpris… Ou plutôt stupéfait de constater que c'était réel, que Jackson Whittemore… Avait réellement quitté la meute pour se mettre contre lui et avec Stiles. Et ça, Derek l'expliqua patiemment à l'hyperactif. Dans le monde qui était le leur, on ne devait rien au hasard, encore moins les attitudes et décisions de cet acabit. Se mettre du côté de Stiles, c'était s'opposer à Scott, qui l'avait répudié si salement qu'il était impossible de l'ignorer.
En outre, et Derek insista bien là-dessus, Jackson lui avait témoigné une loyauté claire : une loyauté que l'on exprimait en général à un alpha.
« Au cas-où tu ne l'aurais pas remarqué, je suis toujours humain. »
Derek ne l'avait pas oublié, au contraire. A cette idée, son cœur s'emplissait de fierté.
- C'est le respect qu'on te porte qui a fait peur à Scott.
Car c'était entre toutes les valeurs l'une des plus importantes. Si Stiles avait acquis malgré lui la fidélité et la loyauté de nombre de membres de la meute, ce n'était pas pour rien. Bien sûr, Derek se rappellerait toujours de l'indifférence manifeste né d'un oubli certain, celui qui avait conduit Stiles dans sa descente aux enfers. Mais dans le fond, il avait toujours subsisté une essence les reliant à lui. D'une manière ou d'une autre, ce lien s'était renforcé au point de faire converger les esprits vers une personne : qu'importe le fait qu'il soit un humain, qu'importe qu'il n'y croie pas… Mais Stiles avait un don pour rassembler. En retour, on lui montrait qu'on tenait à lui… Bien sûr, ce qui l'avait précipité vers sa chute ne serait oublié de personne. Ceux qui lui vouaient un respect véritable utiliseraient cette erreur comme une leçon.
« Jackson m'a protégé, ça, je veux bien te le concéder. Mais pour le reste… Je ne vois pas en quoi il est inquiet, Der. »
Si Derek releva le surnom à sa juste valeur, il n'en montra rien. Cela faisait partie des petites choses de la vie qu'il savourait en secret. D'un autre côté, il craignait que Stiles, qui ne se rendait pas toujours compte de ce qu'il disait, se restreigne de ce côté-là. Car même si le loup-garou savait que son amant avait confiance en lui, subsistait en lui ce doute, cette idée que les choses ne dureraient pas. Pour lui, elles étaient vouées à se terminer. Quand ? Bientôt, probablement.
Mais au vu de ce que Derek ressentait et savait au fond de lui, Stiles avait tort. Et ce simple état de fait suffit à maintenir chez le lycanthrope cette espèce de calme frôlant la sérénité qui décuplait sa patience face à l'âne qu'était l'humain.
Ainsi, il hocha la tête, accepta son déni tout en sachant qu'il s'était d'ores et déjà effiloché. C'était tout ce qu'il voulait, au fond. Taper un peu fort dans cette barrière pour que des stries apparaissent à sa surface. Des stries qui, avec un peu de patience, grandiraient jusqu'à rendre cette vitre invisible plus fragile que jamais.
Qu'elle finisse par se briser.
- Tu finiras par t'en rendre compte, fit-il en laissant un sourire plus que léger étirer doucement ses lèvres.
Parce qu'il savait que Stiles y arriverait. Il fallait juste qu'il finisse par comprendre qu'il n'avait plus besoin de la protection que lui conféraient certains mensonges, pour la plupart dévastateurs sur le long terme. Désormais, il l'avait lui. Son amant. Son loup. L'homme qui rêvait de faire disparaître de ses yeux cette ombre qui leur allait si peu.
