L'ultimatum

Buck se gara devant la maison d'Eddie, une légère appréhension s'installant dans le creux de son estomac. Il avait l'habitude de venir ici pour leurs soirées cinéma du vendredi, mais c'était avant leur grosse dispute, et depuis il n'était pas vraiment revenu.

Ça lui faisait bizarre mais Eddie était toujours son ami et il faisait d'énormes efforts pour se faire pardonner les mots blessants qu'il avait eu pour lui. Buck essayait toujours de les oublier et il espérait qu'ils pourraient passer une soirée agréable, comme avant.

Il sonna à la porte et attendit, se demandant si Chris voudrait jouer à la console avant de regarder le film. Le temps où ils construisaient des forts de couvertures dans le salon, pour s'y blottir les uns contre les autres était révolu. Chris était un adolescent à présent.

La porte s'ouvrit enfin, laissant apparaître Eddie avec un sourire chaleureux.

– Hey, Buck ! Viens, entre, dit Eddie en l'invitant à entrer. Tu as perdu ta clé ?

– Quoi ? Oh non, je… Marisol habite ici maintenant, je pense qu'il serait malvenu de ma part de me laisser entrer sans m'annoncer.

– Oh oui, bafouilla Eddie, ne s'attendant clairement pas à cette réponse. Tu es très prévenant, comme toujours. Mais Marisol n'est pas là ce soir. Je lui ai dit que c'était notre soirée et elle est contente qu'on passe de nouveau du temps ensemble.

– D'accord, lui sourit-il en posant les bières sur le comptoir.

Buck entra et jeta un coup d'œil autour de lui, mais Chris n'était nulle part en vue.

Ce qui était assez inhabituel venant de l'adolescent qui ne perdait jamais une occasion de venir lui parler de tout.

– J'ai commandé la pizza, lâcha Eddie en attrapant les bières pour les mettre au frais. Elle ne devrait plus tarder.

– La pizza ?

– Végétarienne, confirma-t-il avec un sourire. Comme tu l'aimes.

– Où est Chris ?

Eddie se figea avant de se tourner vers lui.

– Il avait une soirée jeux vidéo avec un ami, répondit-il. J'avais oublié que c'était ce soir. J'aurais dû te prévenir mais je me suis dit que ça ne nous ferait pas de mal d'être juste… nous deux. J'ai mal fait ?

– Non, c'est bon Eddie. Ok, une soirée entre mec « adultes » devrait nous faire du bien, rit-il nerveusement.

– Super, lâcha Eddie soulagé, en préparant les en-cas, avant d'aller choisir un film à regarder. Et puis, j'espérais qu'on aurait un moment pour parler de quelque chose d'important, quelque chose qu'un enfant n'a pas besoin d'entendre.

Buck fronça les sourcils, attendant la suite avec appréhension. Il se demandait si Eddie allait lui annoncer son futur mariage ou encore une grossesse imprévue.

Eddie souffla avant de venir le rejoindre et de se mettre face à lui.

– Voilà, je… Je t'aime, Buck, avoua Eddie, ses mots sortant avec une certaine hésitation mais une conviction palpable.

Buck resta bouche bée, ne sachant pas quoi dire.

Il ne s'attendait pas du tout à ça. C'était si inattendu que Eddie parle aussi ouvertement de ses sentiments.

Ce n'était pas quelque chose avec quoi il était familier.

– Ok, je..., commença-t-il, cherchant ses mots. Je t'aime aussi, mec. Tu es mon meilleur ami.

– Non, Buck, tu ne comprends pas, soupira Eddie en secouant la tête. Je veux dire que je t'aime, je suis amoureux de toi.

Buck cligna des yeux, essayant de comprendre ce que cela signifiait.

Pourquoi Eddie lui disait-il ça maintenant, après toutes ces années au cours desquelles, il avait inutilement soupiré après lui ?

Ça n'avait aucun sens.

– De quoi tu parles, Eddie ? Tu as… Marisol, lui rappela-t-il, se sentant un peu désorienté. Tu ne peux pas juste...

– Je sais, je sais, l'interrompit-il, sa voix pleine d'émotion. Mais je ne peux plus le cacher. Je suis amoureux de toi, Buck. Et je veux juste une chance.

Buck secoua la tête, incapable de croire ce qu'il entendait.

Buck sentit une boule se former dans sa gorge, une avalanche d'émotions déferlant sur lui.

Il se sentait en colère, confus, trahi.

– Alors tu deviens soudainement gay parce que je suis avec Tommy ? lâcha-t-il de rage en retenant ses larmes.

– Non, pas soudainement. Je l'avais en moi toutes ces années, sans comprendre ce que c'était. J'ai fait de toi le tuteur de mon fils, si ce n'est pas une preuve d'amour.

– Tu mélanges absolument tout là, s'écria-t-il.

– Buck…

– Tu ne peux pas venir me voir maintenant et me balancer cette bombe en plein visage. Merde Eddie, est-ce que tu sais depuis combien de temps j'attends de t'entendre dire ses mots ?

– Si j'avais seulement…

– J'ai tourné la page Eddie. J'ai tiré un trait sur toi et…

– Je t'interdis de dire ça, le prévint-il. Tu ne peux pas, j'ai besoin de toi. Je deviens fou sans toi. Rien que d'imaginer ses mains sur toi et j'ai envie de cogner dans tous les murs autour de moi.

– Et quoi ? Tu veux quoi ? Que je le quitte pour toi ?

– Oui.

– Tu dis que tu m'aimes alors que tu vis toujours avec ta petite amie, que tu couches toujours avec elle. Je suis quoi pour toi ? Ton petit frisson gay ? Ta petite crise de la quarantaine ? demanda-t-il, sa frustration montant en lui.

– Bien sûr que non, Buck tu es plus que ça, j'ai juste besoin d'un peu de temps…

– Alors quoi ? hurla-t-il soudain, la frustration et la douleur éclatant en lui. Tu veux que je devienne ton sale petit secret ? Tu veux de moi dans ton lit la nuit et rester avec elle le jour ? Je mérite mieux que ça, Eddie. Je mérite d'être aimé mieux que ça.

Eddie baissa les yeux, semblant complètement dévasté par ses paroles.

Buck secoua la tête, ses yeux embués de larmes alors qu'il réalisait à quel point tout était compliqué.

– Je t'ai aimé, Eddie. Peut-être qu'une partie de moi t'aime encore. Mais je suis avec Tommy maintenant. Je l'aime et il m'aime pour qui je suis. Et c'est de lui dont j'ai besoin aujourd'hui.

Sans un mot de plus, Buck se dirigea vers la porte avec détermination. Il ne pouvait plus rester ici, dans cette maison remplie de sentiments contradictoires et de cœurs brisés.

– Garde les bières, ajouta-t-il, sa voix serrée par l'émotion. J'en ai fini.

Il ouvrit la porte et sortit, laissant Eddie seul dans le silence de la maison.

Et alors qu'il marchait vers sa voiture, les larmes commencèrent à couler sur ses joues, mélange de tristesse, de colère et de confusion.

Il roula jusqu'au loft et claqua rageusement la porte derrière lui, faisant sursauter Tommy qui rangeait ses cartons.

– Evan ? s'enquit-il surpris. Tu rentres tôt…

Sa voix s'interrompit quand il vit l'état dans lequel il était.

Buck alla rejoindre ses bras, enfouissant sa tête dans son cou, respirant son odeur rassurante.

Tommy avait dit qu'il le protègerait toujours et Buck avait besoin d'être rassuré.

– Serre-moi ! s'étouffa-t-il dans ses sanglots.

– Evan, mon ange, parles moi ! lâcha-t-il en s'exécutant.

– Serre moi juste, s'il te plait. Ne me lâche pas !

– Jamais, promit-il.

Buck pleura tout ce qu'il pouvait.

Tommy ne disait rien, se contentant de le serrer contre lui, en dessinant des cercles apaisant sur sa peau, l'assurant de sa présence.

Il finit par se calmer et ils restèrent dans un silence tendu, d'inquiétude et d'angoisse que Buck se décida à rompre.

– J'étais amoureux de lui, souffla-t-il soudain le faisant se figer. Eddie, je l'aimais. Ça a duré des années mais il ne m'a jamais vu, jamais accordé une attention qui ne soit pas amicale. Et puis, je t'ai rencontré et j'ai compris ce qu'était l'amour, le vrai, lâcha-t-il en se redressant pour le regarder dans les yeux. Grâce à toi, j'ai pu avancer dans la vie après avoir été bloqué pendant des années au même point.

– Est-ce que tu l'aimes toujours ?

– Oui, admit-il honnêtement. Mais plus aussi fort. Aujourd'hui, celui que j'aime, celui avec lequel je veux passer ma vie, c'est toi.

– D'accord, lui sourit-il. Alors, si je peux demander, qu'est-ce qui s'est passé ce soir ? Qu'est-ce qui t'a mis dans cet état ? Et pourquoi tu me dis ça ? Je n'étais pas obligé de le savoir.

– Je veux être honnête avec toi, parce que je t'aime et que je veux que tu n'aies aucun doute là-dessus.

– Je me fiche que tu l'aies aimé, Evan. Je veux dire, c'était assez évident quand on s'est rencontré. Tu le regardais comme s'il avait accroché la lune et les étoiles. Mais ton regard envers lui a changé et c'est à moi que tu accordes toute ton attention aujourd'hui et ça me suffit.

– Mais pas à lui, lâcha Buck les larmes roulant de nouveau sur ses joues.

– Qu'est-ce que tu veux dire ? Qu'est-ce qu'il t'a dit au juste ?

– Qu'il m'aimait, hoqueta-t-il. Et qu'il voulait que je te quitte pour lui.

Tommy l'attira contre lui le serrant encore plus fort tandis qu'il sanglotait sur son épaule, choqué de ce qu'il venait de lui dire. Et Buck était désespéré parce qu'il savait ce qu'avait fait Eddie tout autant que Tommy.

Il lui avait posé un ultimatum.

Il avait contraint Buck à choisir et en choisissant Tommy, Buck venait de signer la fin de son amitié avec Eddie.

Il venait de perdre un pan entier de sa vie.