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Le protégé des ténèbres.
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Harry poussa un soupir sarcastique. Il n'avait plus l'âge pour toutes ces conneries. Tout ce qu'il désirait, c'était une vie tranquille. Une modeste maison, un petit jardin, peut-être un grand chien noir pour veiller sur les lieux. Alors que l'adrénaline se dissipait lentement, la douleur dans son bras se ravivait méchamment. Son cerveau se mit en branle : bon, la situation était complexe, mais pas désespérée. Un sort de confusion avec une esquive bien calculée pourrait peut-être fonctionner, à condition de ne pas se planter, et… il leva les yeux au ciel : est-ce qu'il avait toujours fait aussi noir ?
Le russe suivit son regard et il l'entendit jurer. D'un geste ferme, il enserra le cou d'Harry de son bras, la baguette toujours menaçante contre sa peau, et le traîna quelques pas plus loin.
Quelque chose rampa au sol. Quelque chose d'indicible qu'Harry reconnut immédiatement. Comme si un millier d'insectes de fumée noire grouillaient dans leur direction.
Puis l'odeur les pris au nez. Celle du charnier. De la décomposition. De la mort.
L'odeur du désespoir.
Ils virent les corps inertes des deux mercenaires, engloutis par la masse ténébreuse qui s'avançait inexorablement vers eux. Tel un fluide visqueux et vorace, elle les enveloppa, les absorbant lentement. Leur chair sembla se dissoudre, se fondre dans cet abîme de ténèbres, et leur existence fut aussi simplement effacée de Gashi.
Le pire dans tout cela, était le silence absolu qui régnait. Un silence si profond qu'il semblait tout engloutir, ne laissant qu'un vide oppressant. Seul le souffle erratique du geôlier russe, troublait ce calme étrange et Harry, imperturbable, pouvait ressentir tout l'effroi qui émanait de lui.
L'homme leva sa baguette d'une main tremblante et lança quelques sorts dans la direction des ombres grouillantes qui recouvraient les corps disparus. Mais chaque sortilège semblait glisser sur elles comme l'eau sur une surface huilée. Les ombres se dissipaient sous l'impact, se scindaient en deux, ou se multipliaient, se jouant des tentatives désespérées du Russe pour les repousser.
Son visage se déforma dans une expression de terreur pure alors qu'il réalisait l'inefficacité de ses sorts.
Harry soupira : « C'est inutile. Il a l'air vraiment furieux. »
Alors que la vague grouillante léchait leurs pieds, ils le virent enfin apparaitre. Il avançait vers eux d'un pas tranquille, les mains dans les poches, enveloppé par un voile sombre de magie noire, les yeux plus rougeoyant que les braises d'une cheminée.
Un Dieu de la destruction sur le chemin de la guerre, pensa Harry qui ne put plus en détourner les yeux. Le mercenaire raffermit sa prise sur son otage et hurla en direction du nouveau venu : « Tu avances, je le tue. »
Harry eut un sourire désolé. Ce n'était vraiment pas la meilleure solution.
Tom s'arrêta à quelques petits mètres d'eux, ses yeux parcoururent le bras sanguinolent d'Harry et il prit un air peiné : « J'ai une sainte horreur que l'on touche à ce qui m'appartient. Quel dommage que vous ne l'ayez pas su avant. »
Le mercenaire pointa Tom de sa baguette : « Où sont les autres ? »
Tom haussa un sourcil curieux : « Les autres ? Quels autres ? Il n'y a personne ici. »
Harry sentit quelque chose s'accrocher à ses jambes. Quand il baissa son regard il découvrit que la magie de Tom avait commencée à l'escalader. Pouvait-il encore sauver le type à ses côtés ? Il n'en était plus si certain. Il tenta d'une voix apaisante : « Ce n'est pas lui qui m'a blessé. »
Tom haussa les épaules, indifférent : « Lui, un autre, c'est du pareil au même. »
Harry essaya une approche plus directe : « Tu n'as pas besoin de le tuer. »
Le mercenaire sembla s'agacer : « Qu'est-ce que vous racontez ? » et Tom reporta de nouveau son attention sur lui pour lui adresser un sourire affable : « Cet idiot – expliqua-t-il en détachant chaque syllabe comme si il s'adressait à un enfant en bas âge – tente désespérément de vous sauver la vie. Ce qui, entre nous, me parait tout de même fortement compromit. »
À peine venait-il de dire cela que le russe se plia en deux sous la douleur, peinant à retrouver son souffle. Harry aurait pu en profiter pour s'enfuir, mais à bien y réfléchir, la plus grande menace qu'il détectait désormais ne venait plus du tout du mercenaire. Il se repositionna donc entre Tom et sa victime d'un mouvement doux et serra sa baguette dans sa main.
« Le plus amusant dans tout ça, – continua Tom en ignorant totalement le geste d'Harry – c'est qu'il est persuadé qu'il doit absolument vous laisser repartir vivant. À ce niveau, ce n'est plus de la gentillesse ni de la naïveté, cela frôle la stupidité, car nous savons pertinemment, tous les trois, que vous n'êtes pas payé pour nous laisser repartir en vie. »
Le Russe grimaça un sourire agressif : « Les contrats sont les contrats. »
« Oui, bien sûr. Et croyez bien que j'admire cette droiture. Jusqu'à la mort, n'est-ce pas ? » Sourit Tom alors que sa magie vibrait dangereusement autour de lui.
Harry traça rapidement quelques lignes dans les airs avec le bout de sa baguette, et un voile argenté irisa entre Tom et eux. Cela aurait pu être suffisant pour gagner un peu de temps, mais le mercenaire, visiblement peu enclin à suivre les plans d'Harry, le prit de court en le propulsant d'une brusque poussée dans le dos, directement sur Riddle, avant de prendre la fuite sans demander son reste.
Une gerbe de sang explosa au niveau de la cheville du fuyard qui s'écroula à terre et Tom, qui avait délicatement réceptionné Harry dans ses bras, se permit une remarque sarcastique : « Ca alors, il est encore plus stupide que vous. »
Le mercenaire se retourna vivement, lançant un sort mortel qui fila en direction de Tom. Harry s'interposa, déployant un bouclier et le sortilège rebondit à quelques centimètres d'eux.
Les ombres recouvrirent la jambe blessée du russe qui se débâtit dans un glapissement de douleur.
Tom était inarrêtable, babillant joyeusement avec Harry comme si sa magie n'était pas en train de dévorer un homme vivant quelques mètres plus loin : « Vous êtes tout de même un peu indécis. Une fois vous voulez le sauver (et j'étais quasiment convaincu, je l'aurais presque laissé repartir), cinq minutes plus tard, c'est moi que vous aidez… Vous n'êtes pas vraiment un modèle de constance, n'est-ce pas ? »
Harry ancra ses yeux dans ceux de son compagnon. Il était temps de changer de discours : il avait essayé la douceur, sans succès, il allait passer au chantage : « Je pensais – dit-il en élevant la voix pour couvrir les hurlements de terreur du mercenaire – que vous vouliez que je reste avec vous le plus longtemps possible. »
Le visage de Tom devint mortellement sérieux et il scruta longuement Harry : « C'est-à-dire ? »
« C'est-à-dire – repris Harry qui sentait son bras le piquer furieusement – que si vous le tuez, je vous plante là et qu'on ne se reverra probablement plus jamais. »
C'était facile et bas. Une menace comme pourraient en proférer des enfants : « Si tu fais ça, je ne t'aime plus. » et la plupart des sorciers n'y auraient accordé aucun crédit. Cependant, Tom était loin d'être comme la plupart des sorciers et il n'avait jamais vraiment connu les menaces aux sentiments.
L'homme cessa soudainement de crier et Harry détourna les yeux pour voir s'il était toujours vivant. Oui. Il l'était et la magie de Tom, elle, semblait s'être suspendue dans le temps.
Ce dernier se pencha dangereusement sur Harry et lui saisit les épaules : « Vous m'avez promis. »
Harry tenta de se dégager mais Tom le maintenait fermement et il cessa finalement de se débattre, réalisant que tout mouvement supplémentaire ne ferait qu'aggraver sa blessure déjà douloureuse : « Et vous, vous m'aviez dit que vous ne tueriez plus sans discernement ! »
Une étincelle de colère jaillit soudainement dans les yeux de Tom : « Il vous a blessé ! » et c'était la première fois qu'Harry le voyait perdre son sang-froid de cette manière. Cela ne dura qu'un quart de seconde, le temps qu'il se reconstruise un masque froid et implacable, mais Harry sentit son cœur manquer un battement.
« Et il n'est ni le premier, ni le dernier. – Répondit-il en adoucissant sa voix – Vous n'êtes pas mon chevalier servant et je peux régler mes problèmes par moi-même. Et là, j'ai besoin… je… vous demande… de laisser cet homme partir. »
Tom grogna, agacé : « Il reviendra. Ou il nous enverra toute sa bande de chiens aux trousses. »
« Et on avisera à ce moment-là. Ça nous fera faire un peu de sport ? »
Tom soupira, vaincu. C'était le plus grand effort qu'il n'avait jamais fait pour Harry et ce dernier apprécia le geste. Pourtant, lorsque leurs regards se posèrent sur l'endroit où se tenait le mercenaire, celui-ci avait disparu. Seule sa jambe mutilée gisait encore là, toujours gangrénée par la magie de Tom, mais du reste du corps, il ne demeurait plus rien. Harry écarquilla les yeux de stupeur alors que son compagnon s'approchait nonchalamment du membre solitaire, contemplant la scène avec un mélange d'incrédulité et de dédain : « Incroyable. - murmura-t-il d'un ton léger, se tournant ensuite vers Harry. - Moi qui pensais qu'il ne pouvait pas faire plus stupide… Visiblement, je me trompais. Je pourrais le traquer, bien sûr, mais franchement, il a peu de chances de survivre à ses blessures jusqu'à la nuit. À bien y réfléchir, il nous rend service à tous les deux. »
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« Faites votre truc, là. »
Harry lança à Tom un long regard perplexe et soupira légèrement. Ils étaient finalement retournés à la cabane où Harry avait entrepris de soigner sa blessure en retirant sa chemise déchirée et ensanglantée. Cependant, Tom semblait incapable de rester en place, trainant sans cesse dans ses pattes, tel un enfant de 5 ans en manque d'attention. Tantôt il scrutait la plaie d'un air furieux, tantôt il arpentait la pièce avec agitation, longeant les murs avec colère.
De quoi donner le tournis.
Harry dû y mettre le holà : « Stop ! Par pitié. Si vous refaites encore un aller-retour je vous jure que je vous assassine dans l'instant. De folie hein ! »
Tom s'affala en grognant sur le fauteuil à ses côtés : « Lancez donc ce sort que vous aviez jeté sur mes pieds ! »
Harry regarda dubitativement l'estafilade qui descendait le long de son bras et tâta légèrement sa chair rougie du bout des doigts : « Ca ne suffira pas. Il me faudra quelque chose de plus costaud. La plaie est trop profonde. »
« Ne touchez pas vos blessures avec vos doigts sales ! »
Harry se tourna vers Tom d'un air blasé : « Si ma mémoire est bonne, c'est vous qui m'avez mordu jusqu'au sang la dernière fois. Je crois même encore me souvenir de tous ces éclats de verre que vous m'aviez jeté dessus… »
« Cela n'avait rien à voir ! L'environnement était sain ! »
Harry laissa son regard errer dans le vide : la mauvaise fois était infinie, avec cet homme. Il soupira en saisissant sa baguette et marmonna une incantation qui ressemblait presque à une chanson. Il avait appris ce sort longtemps auparavant et ne l'utilisait qu'en dernier recourt, car c'était pour lui un sortilège de honte. Il l'avait entendu de Severus et il revoyait encore le corps pâle, presque sans vie, de Drago qui baignait dans son propre sang, lacéré par un élan d'humeur d'Harry.
Étonnement, cela ne le dérangeait pas d'utiliser le Sectum Sempra mais il n'en était pas de même du Vulnera Sanentur. Il sentait presque, à chaque fois qu'il l'utilisait, ses boyaux se tordrent méchamment de culpabilité.
Cela lui avait pris de longues années pour totalement maîtriser le sortilège. Il avait même demandé conseil à plusieurs médecins reconnus. Mais, quand il avait enfin réussi à en tirer quelque chose de correct, il n'en avait ressenti aucune satisfaction personnelle, juste un vilain pincement au cœur.
La sensation n'était pas la même qu'avec l''Episkey'. Il n'y avait pas cette sensation de chaleur puis de froid soudain. C'était plutôt comme si des milliers de fourmis parcouraient frénétiquement sa peau, grattant, piquant, et irritant chaque centimètre de la balafre alors qu'elle se refermait. Il ignorait si c'était la sensation qu'il devait ressentir ou si le sort s'adaptait juste à son propre état d'esprit, le punissant, dans le soin, pour les péchés qu'il avait commis par le passé.
Quand Tom vit qu'il ne restait, de la blessure, qu'une fine cicatrice, il passa une main satisfaite sur le bras d'Harry et ordonna : « Nous resterons ensemble, désormais. Je ne pourrais pas vous protéger si vous êtes trop éloigné. »
« C'est idiot. – maugréa Harry – Nous allons mettre deux fois plus de temps pour trouver votre truc si nous ne nous répartissons pas la forêt. Je peux me défendre tout seul. »
Tom lui lança un regard sceptique avant de pointer du doigt son bras désormais soigné : « Ce n'est pas ce que j'ai vu. Si mes ténèbres n'étaient pas venues vous aider, vous seriez probablement en train de nourrir les champignons, à l'heure qu'il est. De toute façon, ce n'était pas une proposition. Ce n'était pas non plus négociable. »
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