Les joues en feu, Rorkalym tâcha d'avoir l'air détaché alors que, devant l'ensemble du personnel de pont, Delleb et les commandants, Rosanna le félicitait pour son travail, poussant le vice jusqu'à l'applaudir. Applaudissement bientôt repris par les officiers humains, pour son plus grand malheur.

« Madame, c'est Ilinka qui a mis ce système au point. » marmonna-t-il, en une vaine tentative de faire cesser l'ovation.

Rosanna sourit.

« Mais ce n'est pas à elle que revient le mérite de son adoption par les hauts conseils d'Estain, de Perlamor et Hulebe, ainsi que par les citadelles de Grinna et toutes les communautés y étant liées. Ce n'est pas non plus Ilinka qui a eu l'idée brillante de convertir les adorateurs d'Uu'mui au calendrier impérial afin qu'ils en diffusent le concept à travers la flotte. Tout cela, c'est à vous qu'on le doit, sous-officier au commandement Rorkalym Lanthian. »

Sous-officier ? Elle lui offrait un grade ? Vraiment ?! Pourquoi ? Ses schiitars n'étaient même pas ouverts ! Il n'était même pas vraiment adulte !
Le laissant à sa surprise, elle s'était retournée, s'assurant d'un regard être le centre de l'attention de tous, faisant taire les quelques murmures outrés qui s'étaient élevés.

« Depuis le jour où j'ai prêté serment de guider et protéger cette ruche et ses habitants jusqu'à ce que je sois en mesure de vous présenter un successeur digne de cette responsabilité, j'ai toujours veillé à ce que ni la flatterie, ni les origines, ni la richesse ne soient des facteurs de succès. Et que seuls l'implication et le travail appliqué soient récompensés. Si vous êtes ici, sur ce pont, aujourd'hui, c'est que tous vous l'avez mérité, par votre dévouement et votre bravoure. Si quelqu'un ici considère que cette promotion est injustifiée et que ce jeune mâle n'est pas digne d'être récompensé pour son esprit d'initiative et son dévouement aux projets de la princesse, qu'il me rejoigne et présente ses arguments. Je les entendrai et, s'ils sont justifiés, Rorkalym se verra retirer ses galons. »
Un silence de mort s'abattit comme une chape de plomb sur la salle du trône.
« Bien. Nous sommes tous d'accord. Garde à vous, saluez votre nouveau sous-officier au commandement ! » ordonna-t-elle d'un ton joyeux.

En un terrifiant geste commun, les quelque cinquante personnes présentes le saluèrent tous, alors qu'il leur rendait maladroitement les honneurs d'une main tremblante.
Un grade. Il avait gagné un grade en récompense de son travail. C'était tellement abstrait. Tellement abscons. Qu'était-il censé faire exactement ?
Alors que d'autres jeunes apprentis officiers, Kimay en tête, venaient le féliciter pour sa promotion et lui proposer de fêter ça plus tard après le service, il reconnut le crâne chauve et pâle de son père, s'esquivant discrètement par une des portes secondaires.

Plantant ses admirateurs là, il lui courut après.

« Père. Attendez ! »
Selk'ym s'arrêta, se retournant lentement.

« Fils. »
Un instant, Rorkalym ne sut que dire. Il avait envie de lui demander s'il était fier de lui. S'il était content. Mais ç'aurait été prétentieux. Il resta donc silencieux.

Lui serrant le bras, son père sourit à demi.

« Tu fais du bon travail. Ils ont de la chance de t'avoir, fils. Continue comme ça. »
« Oui, père. » opina-t-il, inclinant la tête, alors que l'ancien moine reprenait sa route.

Rorkalym continua à le fixer jusqu'à ce qu'il ait tourné au coin puis, esquivant la salle du trône, prétexta des documents signés par le commandant à récupérer pour s'isoler dans le bureau de Jû'reyn. C'était flatteur de savoir que des collègues se réjouissaient de sa promotion et voulaient la fêter avec lui, mais ce n'était pas avec eux qu'il brûlait de célébrer. Malheureusement, il n'avait vu aucun de ses deux amis depuis des mois, et ignorait même quand il reverrait l'un comme l'autre. Encore moins les deux en même temps.

Se secouant, il récupéra ses documents. Quel ingrat se lamente sur son sort même pas dix minutes après avoir été honoré d'une promotion ?!

.

Ce fut un bruissement inhabituel qui tira Ilinka du sommeil après une nuit bien trop courte.

Écartant les brumes du sommeil qui s'accrochaient encore à elle en même temps que ses cheveux qui lui tombaient dans les yeux, elle se redressa, constatant que la tenture de peau qui séparait l'alcôve dans laquelle elle dormait en compagnie des autres adolescents de la famille avait disparu, tout comme un certain nombre d'objets garnissant de coutume la tente.

« Ah, bonjour. Si tu es réveillée, mange et viens aider. » lui lança Brel'om en guise de salut, passant devant elle les bras chargés de peaux et de fourrures soigneusement pliées.

D'un coup d'œil, Ilinka remarqua que, des jeunes adultes, elle était la première réveillée, Jitik notablement pelotonnée contre un jeune mâle qu'elle ne reconnut pas, seul le sommet de son crâne dépassant des fourrures.

S'étirant, elle obéit, prenant soin de ne pas les réveiller alors qu'elle se glissait hors du lit. Tikan lui avait dit qu'ils partiraient pour le territoire d'hiver après la cérémonie. Il n'avait jamais précisé que ce serait dès le lendemain !

Frissonnant un peu dans l'air mordant du matin, elle se dépêcha d'avaler sa part de viande séchée, avant d'aller proposer son aide à Zalinn – laquelle l'envoya empaqueter des fourrures en ballots bien serrés, que Brel'om empilait ensuite soigneusement sur un travois. Progressivement, les autres membres de la famille se joignirent aux préparatifs, chacun se voyant confier des tâches à la hauteur de ses capacités. Avant que le soleil n'ait atteint son zénith, ils avaient fini le démontage de la tente, et Zalinn les envoya aider les autres familles du clan moins avancées qu'eux.

Ilinka décida d'aller aider Dassan qui, ayant perdu son seul compagnon, se retrouvait seule à élever ses huit enfants, dont les plus âgés n'avaient même pas dix ans. Même si les enfants étaient très matures et responsables pour leur âge, nombreuses étaient les tâches qu'ils étaient incapables de réaliser, et c'est volontiers que la reine accepta son assistance.
« Merci. » lui offrit cette dernière avec un sourire reconnaissant.

« Avec plaisir. Que veux-tu que je fasse ? »
« Aide-moi à retirer les peaux de la tente. Comme ça les enfants pourront les séparer et les plier pendant qu'on s'occupera de la structure. »
Elle opina, faisant le tour de la hutte pour aller en saisir un des pans les plus éloignés de l'entrée. L'épais cuir était lourd, et il fallait le lancer au-dessus du faîte de la structure d'os et de bois afin de pouvoir ensuite le tirer par l'autre côté. Ils avaient dû s'y mettre à cinq pour y arriver sur leur tente, alors même si celle de Dassan était plus petite, à deux, la tâche n'allait pas être facile.

Il leur fallut plusieurs essais pour y parvenir, et lorsque enfin elle eurent ramené la toile au sol, Ilinka était essoufflée et en sueur.

Dassan lui tendit une outre d'eau.

« Sans l'aide du clan, je ne m'en sortirais pas. » nota cette dernière, s'essuyant le front d'un revers de main. « A la mort de mon Jub'an bien-aimé, mes fils aînés ont tous proposé de revenir vivre avec moi et de m'aider. Mais ils ont tous des compagnes et des familles. Ce serait cruel de les séparer... (Elle sourit, avisant l'air perdu de l'adolescente.) Ils ont rejoint les nids de leurs femelles, dans d'autres clans. La nouvelle famille de Zir'mat, du clan Hutt'al, m'a même proposé de les rejoindre. Mais je suis une Im'amî. Ma place est ici, comme l'était celle de ma mère et de sa mère avant elle. Le clan veille sur moi, et sur mes enfants. Ils m'aident. Tu m'aides ! »
Ilinka sourit, hochant la tête. Cette cohésion au sein du clan ne cessait de l'émerveiller, tant elle était contraire à tout ce qu'elle savait de sa race.

« Les mâles quittent toujours leur clan pour aller dans celui de leur compagne ? » demanda-t-elle.

« Non ! » rit Dassan, entre deux invectives à ses enfants plus occupés à s'amuser avec le cordon de cuir qui maintenait les peaux ensemble qu'à travailler. « Si leur compagne est du même clan, ils changent juste de nid. Sinon, ils partent. Parfois, ce sont aussi les femelles qui partent, mais c'est toujours plus compliqué. Une femelle qui part, c'est un nid de moins pour le clan. Mais aucun clan ne peut s'étendre à l'infini, alors, quand il y a trop de femelles, certaines doivent partir, et si elles sont malines, elle vont dans un clan qui n'en a pas assez, où elles seront sûres d'être choyées et appréciées... »
Ilinka opina, songeuse, enroulant mécaniquement une longue lanière de cuir récupéré par un des enfants.

« Mes fils ont tous trouvé compagne dans d'autres clans, mais mon mâle était aussi un Im'amî, alors je ne pourrais pas trop te dire ce que ça fait de changer de clan. Demande à Brel'om, il est né Jib'bôk. »
« Brel'om n'est pas un Im'amî ? »
« Maintenant, si, mais il est né dans un autre clan. Mais ce n'est pas à moi de te raconter ça... On s'attaque à l'armature ? » demanda-t-elle, envoyant d'un geste un de ses plus jeunes fils remplir l'outre vide.

« Oui, au boulot ! » opina Ilinka, posant son rouleau de corde proprement rangé dans le panier prévu à cet effet.

Les renforts d'os qui stabilisaient la structure contre le vent étaient faciles à retirer. Par contre, démonter les longues perches de bois était plus compliqué. Il fallait les retirer dans un ordre précis, sous peine de voir le tout s'effondrer comme un château de cartes.

Elles en avaient retiré la moitié, lorsque le reste de la structure se mit à pencher dangereusement.

« Les enfants, attention ! » hurla Dassan, appuyant de tout son poids contre un montant pour l'empêcher de tomber.
Ilinka l'imita, ses bottes dérapant sur la terre sous la masse irrémédiablement attirée par la gravité.

« C'est bon, je tiens ! »
Soudain, le poids qui l'écrasait disparut, et elle découvrit Galor qui, les bras tendus au-dessus d'elle, retenait la structure, alors que d'autres accouraient pour prêter main-forte.

« C'est bon, je le tiens. Va enlever les perches sur la droite. » lui souffla-t-il avec un sourire, les muscles saillant sous l'effort.

Se baissant pour passer sous son bras, elle obéit avec empressement, bientôt rejointe par des voisins qui, ayant assisté à la catastrophe, étaient venus aider.

En moins de deux minutes, le reste de la hutte fut démonté, et les différents éléments soigneusement alignés au sol, prêts à être fixés sur des travois.

Le jeune chasseur sourit, s'essuyant les mains sur son pantalon de cuir.
« Faut faire attention. C'est lourd, une armature de hutte. Ce serait dommage que tu finisses plate comme une galette. » nota-t-il en riant.

Ilinka verdit.

« Merci pour ton aide. »
« Avec plaisir. Tu es bien plus mignonne comme ça qu'en galette. »

Son visage s'embrasa encore plus.

« Hum... mer... merci... ? »
Il rit franchement.

« Il faut que je te fasse des compliments plus souvent ! » nota-t-il, en s'éloignant. « Si vous avez encore besoin d'aide, je suis juste à côté. » ajouta-t-il avec un salut de la main.

Dassan, ayant remercié ceux venus à son aide, s'approcha d'elle.

« Tu ne t'es pas fait mal ? »
« Non, c'est bon. » répondit-elle, les joues toujours en feu, fixant le jeune mâle qui s'éloignait toujours de sa démarche féline.

La reine sourit.

« Ah, la jeunesse. Profites-en. Tu as l'âge où tout est permis et où il est bon de faire de nouvelles expériences. »
« Hein ? Quoi ? Non, non, c'est bon. » bafouilla-t-elle.

Dassan pouffa.

« Si tu le dis. Tu es d'accord de m'aider encore un peu à préparer les travois ? »
« Oui, bien sûr. »

.

« Qu'est-ce que tu as encore fait ? » soupira Sol'kan, se plantant devant lui, les mains sur les hanches.

Zen'kan se contenta d'un grondement grincheux. Il n'avait pas envie d'en parler !
Il continua à furieusement brosser la saleté incrustée sur le ventre du
Dart qu'il devait nettoyer.

Son aîné ne bougea pas, restant obstinément debout à côté du petit chasseur, l'empêchant bientôt de poursuivre sa tâche.

« Vous pouvez vous écarter ? » gronda le jeune mâle.
« Quand tu m'auras dit pourquoi tu es là, à récurer le
Dart de Jizzal'kymn au lieu d'escorter le commandant. »
« Je suis là parce que Kizu'kan pense que je suis trop petit pour faire un garde présentable ! » cracha-t-il, furieux de la honte qui le consumait.

A sa grande horreur, Sol'kan eut un ricanement guttural.

« Trop petit ?! Ahahah, elle est bien bonne, celle-là ! Tu as dû mal comprendre. Jamais le commandant ne tolérerait qu'un de ses officiers discrimine quiconque à bord pour quelque chose comme ça ! »
« J'ai très bien compris ! » cracha Zen'kan
Le guerrier redevint sérieux.

« Kizu'kan t'a dit mot pour mot: « Tu restes ici parce que tu es trop petit » ? »

Zen grommela, les mâchoires serrées.

« Non. »

« Qu'est-ce qu'il a dit, exactement? »

« Il a dit que personne avec une apparence indigne ne fera d'escorte de représentation auprès du commandant tant qu'il sera responsable de sa garde rapprochée. »

« Ah ! Je me disais bien. Ce n'est pas son genre de punir un de ses guerriers pour quelque chose sur laquelle il n'a aucune prise. Tu n'as pas plus le contrôle de ta taille que le commandant n'en a de ses cicatrices... »
« Alors pourquoi je suis ici ? » cracha le jeune mâle, furieux.

Sol'kan pouffa.

« Parce que tu ressembles effectivement à un drone mal lavé, et que même moi, je ne voudrais pas t'avoir à côté de moi en public. »
Le guerrier le détailla quelques instants alors qu'il grognait tout bas.

« Tu devrais vraiment laisser pousser tes cheveux. Au moins assez pour pouvoir les attacher proprement. Ou alors, il faut que tu les peignes plus régulièrement. Et tant que tu n'auras pas assez de poil au menton pour en faire quelque chose, rase-toi. » statua-t-il.

Perplexe, Zen'kan se passa une main sur la mâchoire. Effectivement, quelques poils soyeux et disparates l'ornaient.

« Oh. »

« Toi, tu te regarde pas souvent dans un miroir. » nota son aîné.

« Non, j'ai pas besoin de me reluquer dedans comme certains... » nota-t-il.
« Pourtant, ça t'aurait permis de remarquer ces détails... et je suppose que si tu n'y a pas pensé, c'est parce que ce sauvage de Venn... Markus, n'a pas pensé à t'apprendre ce genre de chose... » persifla son aîné.

Zen'kan s'abstint de répondre. Le guerrier sembla prendre ça comme un assentiment.

« Allez, dépêche-toi de finir de nettoyer ce Dart, que je te montre comment un alpha est censé prendre soin de lui-même ! »
Avec un grognement défait, Zen'kan opina.

Sa corvée terminée, il suivit le guerrier, qui l'emmena récupérer son nécessaire de toilette, oublié au fond de son casier. En dehors du coupe-ongles, il n'avait jamais fait usage du moindre accessoire de la petite trousse de cuir. La moitié des objets lui était même inconnue.

« Bon, je ne vais pas t'expliquer à quoi sert le peigne... » nota ce dernier, mettant ledit accessoire de côté sur son matelas.
« Je m'en sers pas de toute manière. »
L'air scandalisé du guerrier le fit grincer.

« J'ai une brosse. C'est mieux. » siffla-t-il, sortant le bout de plastique noir de son casier.
Sol'kan l'examina, puis soupira.

« Si tu le dis. Au moins, tu démêles tes cheveux... Poursuivons. Ça, c'est un polissoir à griffes. (Il jeta un regard au mains du jeune guerrier.) Tu devrais vraiment l'utiliser... Une fois que tu les auras un peu taillées, avec cette pince. » expliqua-t-il, sortant chaque objet, et mimant la manière de l'utiliser. « Ce bout-là sert à nettoyer le dessous... Ici, tu as une curette. Pour les oreilles ou si tu as quelque chose entre les dents, des fois que tu manges des aliments d'humains. La poche, là, sert à ranger tes accessoires pour cheveux, ou tes bijoux si tu en as. Ah, tu n'as pas d'huile de kadir. Tu devrais t'en procurer. C'est idéal pour rendre les cheveux brillants, et aussi pour faire glisser le rasoir. Ça évite de se couper... D'ailleurs, voilà le rasoir. » poursuivit-il, dégainant une minuscule lame repliable.

« C'est un rasoir, ça ? »
Sol'kan opina, alors que Zen le prenait pour l'examiner, manquant de se couper sur le tranchant.

« Pourquoi il est aussi petit ? » demanda-t-il.

« Parce qu'il n'y a pas besoin de plus. » répliqua son aîné. « Si par malheur tu as la pilosité de primate d'un humain, tu pourras toujours t'en procurer un plus grand, mais pas besoin de plus pour entretenir un bouc ou une moustache. Et encore moins pour tes trois poils ! »

Zen'kan poussa un grondement. « Comment je m'en sers ? »
« Je vais te montrer. Mais pour ça, il nous faut de l'eau et un miroir. Viens. »