LA NUIT DU TREMBLEMENT DE TERRE
Par Andamogirl
EPILOGUE
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Le lendemain matin,
Stupéfait, Jim réalisa qu'il était toujours en vie.
Il pouvait voir la lumière les rayons du soleil filtrer à travers les branches et les gros fruits verts d'un arbre à pain, pouvait entendre le bruissement du vent dans les larges feuilles et la cacophonie de la faune autour de lui. Le ciel était rose avec des nuances de mauve et de violet.
C'était l'aube, nota-t-il.
Il soupira de soulagement, le cœur bondissant de joie dans sa poitrine, puis en voulant se redresser alors qu'il était groggy, une douleur soudaine et aigue explosa dans son bras droit et le fit hurler.
Il s'immobilisa, le souffle court, et se rendit compte que tout son côté droit lui faisait horriblement mal, épaule, bras et flanc.
Il entendit des branches craquer et vit un samoan trapu, vêtu d'un lavalava jaune, tenant une massue se diriger vers lui, son visage tatoué farouche.
Il s'évanouit avant d'avoir peur de mourir le crâne fracassé.
Plus loin, deux guerriers de Taua découvrirent Artemus étendu sur un lit débris divers, la tête posée entre deux rochers, inconscient.
Le plus grand s'agenouilla près de l'étranger, prit le pouls à son cou, puis regardant son compagnon il hocha la tête.
L'Américain était toujours en vie.
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La falema'i, Atua,
Plus tard,
Il faisait nuit noire quand Jim s'éveilla et découvrit avec surprise qu'il n'était plus étendu sur le sol, sous l'arbre à pain, au milieu de la forêt tropicale, mais allongé sur le dos sur un mince matelas de palmes tressées, dans la maison des malades.
Il faisait assez sombre et la grande et unique pièce était éclairée par les petits feux brûlant à l'extérieur dans des braseros de pierre volcanique taillée.
Il releva la tête et s'aperçut qu'il était nu et que son corps avait été lavé et que sa peau était marbrée de bleus de toutes tailles et couvertes d'égratignures et de coupures. Elle était couverte d'une bonne couche d'onguent au chanvre.
Il remarqua que son bras droit était immobilisé contre sa poitrine par plusieurs bandes de tissu coloré très serrées, sans doute un lavalava découpé, se dit-il, et il sut qu'il avait le bras cassé. La douleur était sourde, supportable. Par contre il avait une douleur lancinante à l'épaule droite sous forme d'élancements aigus et se douta qu'il avait eu l'épaule disloquée.
Manua devait lui avoir remise en place, se dit-il.
En entendant un gémissement de douleur, il tourna la tête vers la gauche, lentement en grimaçant tant il avait mal partout, et aperçut le guérisseur penché vers Artemus, étendu lui aussi un matelas réalisé à l'aide de palmes tressées, près de lui.
En voyant son meilleur avait des ecchymoses, d'égratignures et de coupures de la tête aux pieds, et tout le sang qui maculait son visage enflé, il blêmit.
Il eut très peur.
Il demanda aussitôt au vieil homme : « Est-ce qu'il va s'en sortir ? »
Manua se tourna vers Jim et hocha la tête. « Oui, c'est impressionnant à voir mais ses blessures ne sont pas graves. Je me suis occupé de vous en premier, car vous aviez l'épaule disloquée, je l'ai remise à sa place. J'ai ensuite immobilisé votre bras cassé. Votre flanc droit est meurtri, vous aurez mal là aussi, mais vous n'avez aucune côte de cassée. » Dit-il avant d'appuyer sur les côtes d'Artemus, une à une, jusqu'à l'autre homme gémisse de douleur dans son sommeil. « Il a une côte de cassée. » Constata-t-il et il ajouta : « Et une entorse à la cheville gauche. »
Jim remarqua que la cheville gauche d'Artemus était bleue et avait doublé de volume.
Fermant les yeux, trop épuisé pour les garder ouverts, sentant qu'il allait se rendormir, il bredouilla : « Que… que s'est-il, que s'est-il passé ? »
Utilisant une éponge et de l'eau tiède à laquelle il avait ajouté des herbes aux propriétés antiseptiques et antalgiques, Manua nettoya la plaie qu'Artemus avait sur le front. « Après le tremblement de terre, les guerriers de Taua vous ont trouvé blessés et inconscients au pied de la montagne Lata et vous ont ramenés ici pour être soignés. » Expliqua-t-il. Il poursuivit : « Le prince Taua m'a demandé de m'occuper de vous jusqu'à ce que vous alliez bien. »
Les sourcils froncés, se rappelant Tanu basculant dans le vide, Jim murmura : « Et le prince Tanu ? s'en est-il sorti lui aussi ? »
Manua secoua la tête. « Non. Il est mort, le crâne fracassé. Son corps sans vie a été ramené ici et Taua lui a coupé la tête. Elle est exposée sur la place du village. »
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Le lendemain matin,
Il pleuvait à verse et à grosses gouttes depuis plusieurs heures maintenant. Le ciel était lourd et gris et l'air pesant, moite, étouffant.
Le prince Taua, le corps recouvert de tatouages de la tête aux pieds, portant un lavalava jaune ainsi qu'un manteau de plumes jaunes elles aussi, fixait d'un regard courroucé les deux envoyés du Gouvernement américain encadrés chacun par deux guerriers.
Le prince était assis à l'abri du Fale fono, sur le trône de son père, et Jim et Artemus étaient agenouillés à l'extérieur, sur le malae, les poignets et les chevilles ligotés avec une corde tressée appelée 'afa, faite à la main à partir de fibre de noix de coco séchée.
Ils se tenaient sous la pluie drue, immobiles, trempés jusqu'aux os.
Près d'eux se trouvait une lance dont l'extrémité de la hampe était enfoncée dans le sol meuble. Sur le fer était empalée la tête de Tanu, le crâne fracassé, le visage abimé ensanglanté grouillant d'insectes nécrophages. Les orbites étaient vides, les yeux ayant été dévorés par quelque animal.
Les deux hommes ne la regardaient pas, se sentant à la fois désolés pour Tanu et horrifiés par cette cruelle mise en scène.
La gorge nouée, plus que très inquiets, anxieux, angoissés, Jim et Artemus, vêtus d'un lavalava identique, bleu avec des bandes blanches horizontales, se demandaient ce qu'il allait advenir d'eux – espérant pouvoir rester en vie et ne pas finir comme le pauvre Tanu.
Manua leur avait expliqué pourquoi ils avaient été faits prisonniers et pourquoi ils s'étaient retrouvés dans cette situation.
Leur 'grande faute' avait été d'avoir aidé Tanu à s'échapper et de priver Taua du plaisir de tuer son frère en personne. Décapiter puis ficher la tête de Tanu sur un fer de lance lui avait plu, mais sans plus. Le plaisir n'avait pas été au rendez-vous. Il avait ajouté ne pas savoir ce que Taua – qui était remonté contre eux – allait décider de leur faire.
Dans un anglais parfait, avec un accent prononcé, Taua commença un long monologue, sur un ton sec : « Tanu est mort, vous n'assisterez donc pas à son couronnement, ni au mien, car je ne veux plus rien avoir à faire avec le Gouvernement des Etats-Unis. Les relations et traités entre les Etats-Unis et les îles Manuʻa tele sont désormais rompus. Il n'y aura ni base navale sur cette île, ni de garnison sur Tutuila d'où je chasserai tous les blancs, de ce cette île et des autres îles aussi. Une fois que je serai roi, les îles Manuʻa tele redeviendront ce qu'elles étaient avant l'arrivée des étrangers, les terres sacrées de nos ancêtres. En parlant d'étrangers, tous colons américains, anglais et français devront partir dans un délai d'une semaine après mon couronnement, sinon ils seront capturés et décapités ensuite. » Levant la main, il donna un ordre dans sa langue et aussitôt deux guerriers utilisèrent leurs couteaux (nifo oti) pour couper les liens de Jim et d'Artemus. Il ajouta ensuite : « Une fois que je serai devenu le nouveau Tui Manuʻa, vous serez tous les deux conduits sous bonne escorte sur la plage où vous avez débarqué, il y a deux jours, pour y attendre votre navire, plage que vous ne pourrez pas quitter sous peine d'être tués par mes guerriers. »
Les deux agents du Secret Service échangèrent un large sourire puis soupirèrent de soulagement – ils resteraient en vie et repartiraient chez eux.
Ils regardèrent à nouveau le futur roi puis Jim dit : « Nous vous remercions, votre altesse, et prenons note de tout ce que vous nous avez dit. » Ils inclinèrent la tête ensuite, en signe de respect.
Le visage fermé, le prince ajouta : « Vous pouvez partir. Adieu. » Il claqua des doigts et Manua, qui se tenait en retrait, s'avança. « Ils sont sous votre responsabilité, Manua. Gardez les dans votre fale jusqu'à mon couronnement. Qu'ils n'en sortent pas. »
Manua hocha la tête. « Très bien, mon prince, j'y veillerai. »
Le vieil homme rejoignit Jim et Artie et les aida à se relever.
Le prince Taua leva la main et les guerriers escortèrent Jim et Artemus en direction du fale du guérisseur, la pluie redoublant d'intensité.
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Deux semaines plus tard,
Le dos appuyé contre le tronc rugueux d'un cocotier, à l'ombre, assis les jambes tendues sur son tapis de palmes entrelacées (tissé par Artie), protégé de la chaleur implacable du soleil, Jim se tourna vers son meilleur ami qui se trouvait à ses côtés.
Les yeux clos, Artemus était allongé sur le dos, sur une deuxième natte 'faite maison', de l'autre côté d'un petit feu entouré de galets blancs. Il était vêtu de son pantalon de marin s'arrêtant en dessous du genou, était torse nu et pieds nus.
Ses ecchymoses étaient devenues jaune-verdâtre et d'autres s'étaient effacées, ses écorchures et coupures avaient disparu sauf l'entaille superficielle sur son front qui cicatrisait encore. Sa côte cassée le faisait encore souffrir mais plus aucune bande ne comprimait sa cage thoracique.
Poursuivant son observation, Jim regarda la cheville gauche d'Artie qui était d'une vilaine couleur bleue-noire mais l'entorse avait dégonflé.
Sourire aux lèvres, Artie qui ne dormait pas, s'imaginait à nouveau tenir le gouvernail de l'USS Farragut, respirant l'air marin à pleins poumons. Heureux.
Il interrompit ses pensées lorsqu'il se rendit compte que Jim l'observait, inquiet pour lui. « Ne t'inquiète pas pour moi, Jim, je vais bien. » Dit-il.
Croisant le regard de son meilleur ami, Jim précisa : « Tu vas mieux. Tu iras bien quand tu pourras respirer sans avoir mal, et marcher sans avoir mal aussi. » Impatient de quitter l'île – même s'il redoutait d'être à nouveau malade à bord du navire, il demanda : « Quand l'USS Farragut est-il censé arriver ? »
Levant les yeux vers Jim, Artie répondit, un peu agacé : « Pour la énième fois, il devrait être au large demain matin, si bien sûr les vents ont été favorables. Dans le cas contraire, il pourrait avoir deux ou trois jours de retard, c'est possible. Je te l'ai déjà dit. » Il soupira et ajouta : « Moi aussi, j'ai hâte que cet exil sur cette plage se termine pour retrouver ma liberté. » Il offrit un sourire à Jim pour se faire pardonner. « Je suis désolé de m'être emporté, Jim. J'ai les nerfs en pelote. Je déteste ne rien faire. Quand je ne suis pas en mission à tes côtés, j'ai toujours mille choses à faire dans mon labo, inventer des gadgets, me confectionner des costumes et des postiches, faire des expériences scientifiques, créer des explosifs, faire des modèles réduits… et là, rien. A part faire du feu et pêcher, c'est tout ce que je peux faire. »
Il soupira, l'air frustré.
Souriant en retour, Jim, hocha la tête. « Je te comprends parfaitement, moi aussi l'inaction me pèse, et tu es pardonné. » Son regard se porta sur l'océan, limpide, couleur turquoise qui s'étendait à l'infini devant lui. « Cela fait deux semaines que Taua nous a confinés sur cette plage, que nous sommes prisonniers ici. Heureusement, il nous a donné une pirogue, une pagaie, un harpon et une machette - avec lesquels nous avons pu construire une hutte. »
Se dressant sur les coudes, Artie jeta un coup d'œil sur le côté, à la leur abri en forme de cône, qu'ils avaient bâti ensemble, situé entre la plage et la forêt luxuriante. Il était composé de longues perches de bois appuyées les unes sur les autres et recouvertes de nattes de palmes de cocotiers. Il sourit et ajouta : « En fait, c'est plus un tepee qu'une hutte, Jim. » Il ajouta : « Je me suis servi de ton couteau aussi, notamment pour écailler et vider les poissons. Heureusement, nous avons pu récupérer nos affaires. Sans ma boite d'allumettes nous n'aurions pas pu faire de feu et nous mangerions du poisson cru depuis deux semaines. »
Brossant le sable blanc de pantalon bleu, Jim jeta un coup d'œil à chaque extrémité de la plage, apercevant les silhouettes d'une douzaine de guerriers armées de lances qui se tenaient parmi les rochers noirs. « J'ai hâte de ne plus les voir. »
Etouffant un bâillement avec sa main, Artie dit à son compagnon : « dans le meilleur de cas nous serons partis demain, Jim. » Il dit ensuite. « Tu sais, J'ai connu des prisons bien pires que cet isolement forcé sur une île paradisiaque. »
Jim se rendit alors compte qu'Artemus avait le regard lointain, qu'il était plongé dans ses souvenirs. « Je parie que tu t'es évadé à chaque fois. » Il put déceler souffrance et haine reflétées successivement dans les yeux marron d'Artie.
C'était lié à son passé d'espion, pendant la guerre, songea-t-il et il se demanda un jour si Artie lui raconterait tout ce qu'il avait fait pour le Général Grant. Et tout ce qu'il avait subi.
S'apercevant que le visage de son partenaire s'était assombri sous le poids d'images douloureuses gardées en mémoire, Jim décida de lui faire penser à autre chose.
Il dit : « Toi qui es un brillant inventeur, Artemus, pourrais-tu inventer et réaliser une machine qui permettrait à quelqu'un de disparaître d'un endroit A et d'apparaître à un endroit B quelques secondes plus tard ? Ce serait très pratique. Quelque chose de portatif, qu'on puisse transporter partout. Par exemple, au lieu de passer encore trois mois en mer à bord de l'USS Farragut et d'être encore malade comme un chien, je pourrais être de retour à San Francisco en un clin d'œil, et toi tu pourrais rester à bord. »
Artie s'assit, appuyé sur ses mains. « Ce serait une grande invention, rendant tous les systèmes de transport individuel, calèche, charriot, cheval… et en commun, diligences, train et bateaux, obsolètes... Dès qu'une mission sera finie, hop, quelques secondes plus tard, nous serions de retour à la maison. » Il soupira. « Malheureusement, si je suis un brillant inventeur, je ne suis pas un faiseur de miracles. Peut-être qu'un jour, dans le futur, une telle machine existera, qui sait ? » Il se leva, faisant attention à sa cheville blessée, et s'étira faisant craquer ses articulations, puis regardant les reflets du soleil sur cette petite partie de l'océan Pacifique Sud, il ajouta : « Il est temps de pêcher pour notre repas du midi. » Il saisit le harpon qui était appuyé contre le tronc du cocotier et fit un clin d'œil malicieux à son compagnon. « Que veux-tu manger, Jim ? Du poisson, du crabe, des coquillages ? ou bien un mélange de tout ça ? »
La mine renfrognée, Jim croisa les bras sur son torse nu et répondit : « Je jure que si tu me cuisines du poisson, du crabe et des coquillages quand nous serons de retour dans notre train, tu le regretteras amèrement. J'en ai m'a dose ! »
Se dirigeant vers la pirogue posée sur le sable mêlé de galets blancs, boitant légèrement, Artie eut un petit rire puis il dit : « Le poisson et les crustacés, c'est pourtant bon pour la santé. »
Les sourcils froncés, inquiet, Jim lança à Artie : « Fais attention aux requins ! j'ai vu des ailerons non loin du bord ce matin. » Puis il regarda son meilleur ami mettre la pirogue à l'eau.
Une fois dans l'embarcation longue et étroite, munie d'un balancier, Artemus prit la pagaie et s'éloigna du bord de la plage.
D'un geste lent, voulant minimiser la douleur sourde qui irradiait de son épaule droite à son bras droit, qu'il avait en écharpe, Jim saisit la machette qui se trouvait près de lui, posée sur le sable et se leva à son tour. Il la glissa dans sa ceinture puis, pieds nus il regarda un des cocotiers.
Il fit une grimace de dégoût. « Plus jamais d'eau de coco non plus ! C'est la dernière fois que j'en bois. » Dit-il, avant de se diriger vers l'arbre.
Fin.
