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1/ Spooky Photos
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"Herod thy king, in his raging,
Charged he hath this day,
His men of might in his own sight,
Would children young to slay..."
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F.B.I Headquarters "The J. Edgar Hoover Building" - Washington, D.C.
19 Mai 1993 :
Je n'aime pas spécialement la ligne temporelle de 1993. Non, je n'ai pas d'événements traumatiques rattachés à cette année-là. En réalité, je n'avais que trois ans à l'époque, ma sœur venait de naître, mes parents étaient toujours ensemble, mon père était vivant, et ma plus jeune sœur actuellement décédée n'était pas encore née.
Donc non, rien d'horrible en 1993, mais rien de bien joyeux non plus.
C'était plutôt calme. Presque ennuyeux, je dois dire.
En France, en tout cas.
Parce que, cette nuit, en plus de sauter dans le Temps, j'ai aussi fait un bond dans l'Espace en me retrouvant aux États-Unis. À Washington, D.C, plus exactement.
Dans un bureau assez sombre, rempli d'une vieille fumée de cigarettes, puisqu'il n'était pas interdit de fumer à l'intérieur des bâtiments, à l'époque.
J'étais assise sur une chaise inconfortable devant un PC difficile à appréhender. Après tout, j'avais fait mes classes sur le Windows 95 de mon père, quand j'avais cinq ans, mais là, en 1993, cet ordinateur n'existait pas encore.
Je portais une longue robe noire, aux épaisses bretelles, ma peau pâle ressortait telle une aura fantomatique, avec mes grains de beauté étalés comme des millions d'étoiles partout sur mon corps. J'avais des souliers bruns aux pieds et surtout, une canne du côté droit. Comme en 2007, ma jambe, plus spécialement mon genou, était mort et je devais clopiner sur un bâton pour ne pas tomber, ni n'avoir encore plus mal.
J'étais petite, 1m58, et très fine, presque trop mince. Mes longs doigts de violoniste pianotaient sur les touches du vieil ordinateur pour compléter un rapport urgent à rendre au Boss. L'écran devant moi grésillait et l'interface était si ancienne que j'avais du mal à tout écrire aussi rapidement que d'ordinaire. J'avais encore le reflex de chercher mon IPhone sur mon bureau, alors qu'il n'existait pas encore. En revanche, j'avais un téléphone couleur ocre, gros, avec d'énormes touches et le fil enroulé en tir bouchon, juste à côté de moi. Soudain, la sonnerie retentit en me faisant sursauter sur ma chaise branlante. Le cœur au bord de l'infarctus, j'ai décroché :
- Hello ?
- Alisone, nous avons besoin de toi. Tu peux descendre dans mon bureau ?
- Yes. J'arrive.
Puis, j'ai raccroché.
Je me suis levée, avec douleur, j'ai pris ma canne dans ma main droite et j'ai clopiné jusqu'à l'ascenseur. D'habitude, je prends les escaliers, mais là, pour des raisons évidentes, j'ai appuyé sur le bouton d'appel de la cabine. J'ai attendu quelques secondes, puis les portes métalliques se sont ouvertes. J'ai cliqué sur l'étage du sous-sol et l'ascenseur s'est mis en route.
Une petite musique retentit.
J'ignorais si ça venait de l'ascenseur ou de "Radio Alisone" à l'intérieur de mon Palais Mental...
"Lullay, thou little tiny child,
Bye bye, lully, lullay.
Lullay, thou little tiny child,
Bye bye, lully, lullay."
Je me suis pincée l'arête du nez en fermant les yeux de toutes mes forces.
Putain, les gars, c'est une chanson pour l'année 2000, vous n'êtes pas dans la bonne ligne temporelle !
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Les portes enfin ouvertes, je me suis engagée dans les couloirs bordéliques des sous-sols oppressants. Tel un zombie, j'ai clopiné jusqu'au bureau que je cherchai. Sur une porte en bois, un panneau métallique indiquait : "Agent Fox Mulder". J'ai toqué jusqu'à entendre un "entre" puis, j'ai poussé le battant.
L'intérieur n'avait pas changé depuis ma dernière visite. Il faisait sombre, sans fenêtre, avec seulement de vieilles lampes électriques qui éclairaient un bureau croulant sous le poids de centaines de dossiers, documents, fiches, et objets étranges en tout genre. Impossible de voir la couleur des murs, puisque ces derniers étaient tapissés de plusieurs posters et affiches. Celle qui me sautait toujours aux yeux représentait une fausse soucoupe volante avec un texte en capitales, qui disait :
"I want to believe"
J'ai levé les yeux au plafond, en me dirigeant vers le seul humain qui réussissait à travailler dans ce capharnaüm ésotérique.
J'ai clopiné jusqu'à lui, en soufflant :
- Tu m'as appelé ?
L'Agent leva la tête dans ma direction. Il avait de magnifiques et profonds yeux bleus. Pas aussi translucides que ceux de Mick, mais tout aussi perçant. D'ailleurs, il avait aussi d'épais cheveux brun, plus clair que ceux de Mick, mais tout aussi ravissant que ceux de mon chéri Anglais.
Je ne vais pas vous mentir, l'Agent Mulder était vraiment très mignon.
- Alisone, parfait, tu tombes bien !
Je plissais les yeux, perdue :
- Tu m'as téléphoné il n'y a même pas cinq minutes de ça pour me demander de venir.
Il fouilla dans un tas de papiers froissés, avant de me donner un dossier couleur parchemin, tout en m'expliquant :
- Nous avons une témoin dans la salle d'interrogatoire. Ce qu'elle a à nous dire est plutôt intéressant. Scully est déjà sur place, nous devons la rejoindre.
Je lus les documents en diagonales. L'Agent Mulder se leva, reprit le dossier et me fit signe de le suivre jusqu'à la salle en question.
Fox Mulder était vêtu d'un parfait costume sombre, avec une chemise blanche et un cravate écarlate à motifs. Il marchait à côté de moi, à mon allure, dossier en main, tout en me jetant des coups d'œil étranges.
Cela dit, tout était étrange chez lui.
Toujours.
La raison pour laquelle les gens le surnommaient "Spooky Mulder".
Pour moi, le plus fou, c'est qu'il devait avoir mon âge : la trentaine. Enfin, mon âge en 2024, évidemment. Genre, en 1993, il avait le même âge que moi en 2024.
Bordel, les sauts dans le Temps... Et voilà, une migraine envahit mon Palais Mental.
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"Then woe is me, poor child, for thee,
And ever mourn and say,
For thy parting nor say nor sing,
Bye bye, lully, lullay."
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Nom de Dieu, cette chanson, ça suffit !
Je me frottais les yeux et je devais sûrement paraître malade, puisque mon collègue s'arrêta au milieu de couloir, pour me demander, inquiet :
- Hey, Alisone, tout va bien ?
J'ai ouvert mes paupières pour lui mentir à moitié :
- Yeah. Juste un Jet Lag.
Il esquissa un sourire :
- Un Jet Lag entre ton étage et le mien ?
Je souris à mon tour.
Son sens de l'humour le différenciait de Mick.
Cela dit, comment lui dire que j'avais plutôt un Jet Lag de 31 ans ?!
Non pas qu'il ne me croirait pas, je savais pertinemment qu'il me croirait.
Pour m'ancrer, j'ai trituré de ma main gauche le collier qui pendait autour de mon cou. La longue chaîne retenait un médaillon argenté en forme de blason en écu Français à trois côtés. Au centre du collier, se trouvait une simple lettre.
Un "M" écrit en alphabet gothique.
Nous avons repris la marche, je clopinais sur ma canne de ma main droite, tandis que la gauche tenait toujours mon blason. Je sentais les coups d'œil furtifs de mon ami, mais il ne dit rien.
Pour l'instant..
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Une fois dans la salle d'interrogatoire, nous nous sommes assis à côté de Dana Scully, et en face de la témoin. Cette dernière paraissait à la fois inquiète et sur la défensive, les bras croisés et le regard fuyant.
Dana nous demanda, à Mulder et à moi :
- Vous avez vu les photos compromettantes ?
Je tiquai.
Je n'avais pas vu de photos dans le dossier.
Mais Dana reprit :
- La témoin affirme les avoir prises elle-même et elle a développé la pellicule par ses propres moyens dans sa chambre noire.
Je souris. Mon Dieu, c'est tellement plus simple dans ma ligne temporelle : tu sors ton portable, déjà accroché à tes doigts, et tu cliques sur le bouton rond en bas.
Pendant que la témoin marmonnait des paroles inintelligibles, mon collègue m'a redonné le dossier. Mais, comme je ne me décidais pas à ouvrir ledit dossier, Mulder questionna, intrigué :
- Alisone, tu ne veux pas voir les photos ?
Je fis la moue :
- Étrangement, non. Je ne suis pas une grande fan de photos, ni de vidéos, à caractères pornographiques...
Scully me sourit, en expliquant :
- Tant mieux, parce que ce n'est pas ce genre de photos "compromettantes".
Derechef, je tiquai.
Curieuse, j'ai tiré le dossier vers moi. Je l'ai enfin ouvert en fouillant parmi les feuilles griffonnées pour tomber sur de vieux clichés, flous pour certains.
- Oh... lâchais-je, malgré moi.
La plupart des photos étaient en noir et blanc, mais l'étrangeté était perceptible.
Sur l'une des photos, je pouvais voir un homme, avec un béret, se tenir debout devant un bébé qui semblait comme flotter dans les airs, devant lui.
Une autre représentait un jeune garçon dans une forêt, sauf que sa tête était invisible.
Une autre montrait un adolescent, vêtu de blanc avec d'épaisses lunettes noires, et le corps entièrement recouvert d'abeilles.
Une jeune fille se tenait devant un miroir, sauf qu'elle n'avait absolument aucun reflet, comme si elle n'existait pas.
Encore un cliché d'une femme debout, dont la tête ne se trouvait plus sur ses épaules, mais entre ses mains, qu'elle tenait devant elle.
Puis une table d'autopsie, avec un corps recouvert d'un linge blanc, mais entouré de six squelettes sombres. Comme si les cadavres autopsiaient les vivants.
Plusieurs portraits montraient des personnes en compagnie d'une forme diffuse, tel un fantôme ou une fumée blanche.
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Je soufflais, en marmonnant :
- Effectivement, je comprends pourquoi vous avez sollicité les Agents des X-Files. Ces photos sont "compromettantes" pour les civils et le gouvernement.
Mulder sourit, puis Scully se leva pour se diriger vers la témoin, et lui dire calmement :
- Nous allons enquêter. Pour l'instant, n'en parlez à personne. Venez, je vous ramène chez vous.
Elle quitta la salle avec la dame, toujours aussi choquée et perturbée.
Fox Mulder me dévisagea en disant, tout sourire :
- Alors ? Intéressant, n'est-ce pas ?
Je haussais simplement les épaules :
- Effrayant, oui. Authentique ? Je ne suis pas sûr. Je peux facilement faire ça en trois clics sur Photoshop.
Il tiqua :
- Sur quoi ?
Je soufflais en levant les yeux au plafond.
Foutue ligne temporelle.
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"Lullay, thou little tiny child,
Bye bye, lully, lullay.
Lullay, thou little tiny child,
Bye bye, lully, lullay."
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Oh, cette fichue chanson ! Par les sept Démons des Internets, laissez-moi tranquille !
J'ai fermé les yeux de toutes mes forces, j'ai plaqué ma main droite sur mon crâne, tandis que la gauche s'amusait déjà à triturer mon collier pour m'ancrer.
- Alisone ?
La voix semblait si lointaine.
- Alisone...
Pourtant, avec le Maître, je devrais être habitué aux voyages dans le Temps. Mais, y être habitué ne signifie pas forcément apprécier le processus.
Pendant que mon Palais Mental s'activait, mes doigts serraient le blason, lorsque je sentis quelque chose qui me fit sursauter.
En rouvrant les yeux, je vis l'Agent Mulder qui venait de poser ses doigts autour des miens, ceux qui tenaient mon collier.
Plonger dans ses yeux bleus me permit de me calmer. Cela dit, s'il n'était pas aussi mignon, je pourrais au moins réussir à me réveiller !
Nom de Dieu...
Doucement, Fox Mulder attrapa mon médaillon entre ses doigts et demanda avec un grand intérêt :
- Qu'est-ce que ça signifie ? Je te vois toujours jouer avec lorsque tu n'es pas bien.
J'esquissai un sourire, j'aimais tellement sa curiosité, je me sentais moins seule avec mes mille questions sans réponse.
- C'est juste un "M". Pour... Mick.
Il tiqua.
- "Mick" ?
- Longue histoire. Aussi longue que "Downton Abbey".
Je souris, mais Mulder sembla perdu.
- Je ne suis pas sûr de comprendre ta référence. Ni même les autres. Tu dis des choses très étranges et pourtant, je suis censé être le seul Agent "spooky" du F.B.I.
J'étouffai un rire.
Il sourit à son tour et me dit, avec un air malicieux en tenant toujours mon blason argenté :
- C'est drôle quand on y réfléchit... Je ne sais pas qui est ce "Mick" dont tu parles, mais le "M" de ton médaillon fonctionne aussi pour mon nom de famille... "Mulder"... Coïncidence ?
Mon cœur rata un battement.
Comment lui dire que j'ignorais tout de son existence, la sienne, celle de Scully, ou même celle des X-Files ? Que tout ça m'était inconnu depuis toujours ?
Comment lui dire que j'avais découvert son univers le 14 Mai... 2024 !
Soit dans mon passé, mais 31 ans dans son futur ?!
Sans parler du fait que sa mignonnerie ne m'aidait pas du tout à retrouver ma ligne temporelle...
Oh, M... We are fucking fucked...
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Puis, je me suis réveillée.
Il était 5h50 et j'étais encore bien fatiguée, épuisée et courbaturée.
Donc, j'ai essayé de me reposer jusqu'à 6h10, mais ensuite, une crise d'angoisse m'a donné la force de me lever pour descendre un bon café...
Et j'avais cette horrible ballade en tête :
"Lullay, thou little tiny child,
Bye bye, lully, lullay.
Lullay, thou little tiny child,
Bye bye, lully, lullay."
Mais ce n'est pas la bonne ligne temporelle, merde !
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19.05.2024
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