Chapitre XLV
Célia n'était pas de taille à s'interposer, mais elle ne pouvait pas non plus s'égosiller afin de rameuter tout élève, professeur ou surveillant susceptible de l'entendre, sans quoi ils auraient ensuite à justifier la bagarre et leur présence dans les locaux du club en dehors des heures réglementaires. Autant dire que la direction ne se montrerait pas très compréhensive. La jeune fille aurait néanmoins pu téléphoner aux autres gars de l'équipe à l'internat : ceux-là seraient venus à la rescousse et auraient su tenir leur langue. Qu'elle s'en abstienne, même après avoir repris son souffle et bien qu'elle ait eu le réflexe de sortir son portable, aurait dû alerter John. Il était cependant trop concentré sur son adversaire pour rien remarquer de ce que faisait ou ne faisait pas Célia. L'autre taré se défendait méchamment bien et, si le milieu rendait chaque coup, lui-même dégustait alors que c'était à croire que Shawn ne sentait pas la douleur. Le visage en sang, quelques coutures et boutons de leur uniforme ayant déjà sauté, ils roulaient dans l'herbe quand on frappa John dans le dos. La seconde d'après, son adversaire était atteint en plein torse et tous deux s'écroulaient. « Clic, clic, clic », ricana un mécanisme non loin. Hébété, Shawn fixait ses mains éclaboussées de sang tandis que le milieu commençait à se redresser. A quelques mètres des belligérants, Célia modifiait l'intensité du jet d'un tuyau d'arrosage et les remettait en joue.
-Maintenant écartez-vous l'un de l'autre ou je vous rafraîchis intégralement !
Malgré ses sourcils froncés, la fermeté de sa voix et de sa posture, elle transpirait la peur de voir les hostilités reprendre. Shawn posa sur elle un regard de bête traquée et John s'apprêtait à l'agonir -parce qu'il s'agissait de savoir dans quel camp elle était- lorsque ses yeux tombèrent sur son masque. L'une des attaches était rompue et il gisait sur la pelouse, arraché durant le combat sans que la pluie de coups ait donné à son propriétaire l'occasion de s'en apercevoir. Épouvanté, le milieu plaqua une main sur sa bouche et tâtonna de l'autre vers la poche intérieure de sa veste. Il en tirait un masque de rechange quand la jeune fille leva une main en signe d'apaisement et posa lentement son tuyau d'arrosage. La voyant faire un pas vers lui -ou était-ce vers Shawn ?-, il s'éloigna en titubant, ivre de honte et de colère.
-John ! Cria-t-elle comme il l'abandonnait avec l'autre animal.
Tout en sachant qu'il l'aurait sauvagement repoussée, une part de lui aurait voulu qu'elle le rattrape. C'était minable. C'était-…
-Eh, connard ! Insista-t-elle.
Trop habitué à se battre, à répliquer, à ne pas laisser passer le plus petit manque de respect, il se retourna brusquement. Accablée par le poids d'un Shawn tétanisé qu'elle s'efforçait de relever, c'était pourtant bien au milieu qu'elle s'adressait, crachant son défi.
-Je t'aime quand même !
