Coucou, petite note rapide pour vous dire que ce chapitre et les prochains seront à point de vues multiples. Bonne lecture !

Soundtrack : The dawn will come – Dragon age Inquisitor (Trevor Morris)


Le conseil était réuni au grand complet, présidé par son père dont les lèvres n'avaient plus été aussi souriantes depuis la mort de Balder. Il se tenait en hauteur depuis l'estrade, assis à la droite de son épouse dont le bleu oculaire ne reflétait pas exactement la même émotion. Heureuse de le revoir, oui. Fière de sa personne, probablement. Impatiente d'écouter les prochaines paroles de l'assemblée, peut-être moins sûr.

« Sois sage » lui avait-elle murmuré le matin en venant elle-même le tirer du lit à la place des servantes, comme si elle craignait le caprice de l'enfant qu'elle voyait encore en lui.

« Sois sage », c'étaient ces mêmes mots qu'Hela lui avait chuchoté en marchant à ses côtés dans les couloirs jusqu'à Hlidskjalf, avant de l'abandonner à l'entrée de la grande salle. Il le serait, pour une fois prêt à suivre la moindre directive. Le plan était fragile, incertain ; sa seule chance. Une bataille pour laquelle l'espoir et la ruse étaient ses deux seules armes. La patience aussi.

Mais patient, il avait appris à le devenir. Auprès du meilleur professeur.

« Mon cher fils » s'exclama Odin, les bras ouverts devant lui, « enfin de retour à la maison. » Il parlait fort, sa voix portait jusqu'au fond de la grande salle d'où provinrent des applaudissements et des exclamations de joie. Le prince héritier était de retour, en vie et – il se doutait qu'ils espéraient – l'esprit plus sain, plus éclairé, plus stable. Il avait tenté plus d'une fois d'échapper à la surveillance royale pour désobéir et suivre les traces de son frère. Plus d'une fois détérioré sa réputation, usé les attentes de son géniteur.

Qu'il finirait au final par briser. « Le traité de paix avec Vanaheim a déjà été retardé. »

Du coin de l'œil, Thor chercha du soutien dans les iris verdoyants de sa sœur, debout parmi l'assemblée. Une teinte particulière et familière, empruntée par la forme d'Ase de leur cadet. Hela était nerveuse, suffisamment pour deux. Tandis que le discours de leur père se poursuivait afin de retracer les exploits de son héritier, l'attention de la musicienne ne cessait de voyager entre lui et les grandes portes dans son dos.

« Et malgré ton égarement, tu ne cesses de faire notre fierté. Car tu nous reviens mûri de cette épreuve. C'est donc avec un immense bonheur que je te souhaite bon retour à la maison, mon fils. Mon héritier. »

De nouveau, la salle acclama les dires de son souverain qui frappa une fois Gungnir sur le sol pour faire danser les flammes dans les coupelles accrochées aux colonnes. Elles s'envolèrent au-dessus de la foule et empruntèrent des nuances colorées plus extravagantes : vert, bleu, violet, fuchsia. Des rires d'enfants se laissèrent amadouer par le spectacle. Asgard en fête, comme le royaume ne l'avait plus été depuis plus de deux siècles. Depuis la mort de Balder et les voiles d'un blanc funeste au-dessus de la capitale.

Une joie qui se poursuivrait au travers de célébrations. Un mariage était en préparation depuis cent quatre-vingt-sept ans. Une fille de Vanaheim serait choisie pour devenir son épouse, consolider la paix entre les deux branches d'Yggdrasil. Tels étaient les desseins de son père. « Une fois le sablier accordé vide, vous devrez rentrer et assumer votre rôle. » Thor était prêt à l'assumer, l'avait toujours été. Car il serait roi. Car il apporterait la paix au travers des Neuf Royaumes.

Néanmoins, il le ferait – comme toujours – à sa manière.

« En ce jour, et devant tous ces êtres chers que je prends pour témoin, moi, Odin, fils de Bor et Père de toutes choses, déclare que- » Les grandes portes de la salle s'ouvrirent à peine ; le grincement fut suffisant pour interrompre la parole royale.

Tous les regards suivirent celui du roi et de son épouse, qui se redressa sur le rebord de son siège, à priori surprise. Thor fut le dernier à se retourner, retenu par un soupçon de réticence, pour découvrir ce qui se trouvait à l'autre bout du tapis carmin. Ou plutôt qui s'y trouvait : Lofn, l'une des douze suivantes de sa mère, la plus discrète du groupe, qui paraissait si petite entre les soldats armés, si fragile dans ses voiles de satin sarcelle. Ses mains étaient jointes devant son ventre ; si elles tremblaient de nervosité, son dos demeurait droit et son menton haut. L'Asyne avança ainsi, au milieu des murmures et des questions muettes, jusqu'à dépasser le prince d'une vingtaine de centimètres pour se stopper face aux marches et à ses souverains. Elle apportait avec elle un léger vent fleuri ; dans sa longue et dense natte brune cohabitaient de nombreuses espèces végétales aux secrets variables : lys, gardénias, hellébores, pivoines, violettes, tulipes, bleuets ou encore anémones, tressés avec soin pour faire chanter leur langage.

« Lofn ? Qui y a-t-il ? » demanda Frigga en premier, sans doute la seule autre personne dans la salle capable de ressentir la nervosité de sa suivante.

« Navrée de vous importuner mes seigneurs », la Vanir inclina profondément sa tête en avant ; des pétales voletèrent autour de sa silhouette gracile. « Si je me présente devant vous aujourd'hui, ce n'est pas en tant qu'alliée de la Mère de toutes choses, ni même en tant que sujet d'Asgard. » Elle se redressa avec lenteur, retrouva sa posture noble pour parler avec assurance : « mais en tant que porte-parole de deux âmes prêtes à s'aimer. » Les murmures redoublèrent face à son annonce. Odin entrouvrit la bouche ; elle fut plus rapide et poursuivit : « Sans vouloir rappeler à ses majestés leur parole, j'ai autrefois reçu l'honneur d'apporter, une fois par millénaire, mon soutien à deux amants choisis par ma seule compassion.

- Je ne le nierais pas, ma tendre Lofn » déclara le roi, le timbre assombri par une pointe de pressentiment qui rendait incertaine sa joie précédente, « mais pourrions-nous en parler plus tard ? » Ses lèvres tentaient une expression affectueuse. « Je ne suis pas certain que le moment soit le plus approprié » ajouta-t-il en échangeant un regard avec son fils.

Par-dessus son épaule, la Déesse compatissante l'imita. Le marron de ses iris était chaleureux ; Thor y trouva l'espoir dont il avait besoin pour avancer. « Au contraire, mon roi » ; elle lui adressa un sourire secret, avant de se retourner, « je crois même arriver au bon moment. » Les sourcils d'Odin se froncèrent avec lenteur ; il n'allait pas aimer les prochains mots de son interlocutrice. « J'ai ouï dire que vous étiez réunis aujourd'hui en l'honneur du mariage prochain de notre précieux prince.

- En effet. » Il commençait à comprendre, comme le témoignèrent les flammes vagabondes, retournées se réfugier dans leurs coupoles respectives.

Sa mère fut plus rapide ; ses sourcils montèrent haut sur son front, et sa bouche s'entrouvrit de surprise - ou d'émerveillement, Thor était bien trop concentré sur la frêle déesse pour chercher à déchiffrer l'expression maternelle.

« Prenant connaissance de cette nouvelle » poursuivit Lofn, « je me suis donc empressée de vous rejoindre avant que des faux-semblants ne soient énoncés. Car j'ai moi-même une vérité à faire entendre. » Elle prit une profonde inspiration, comme pour reprendre une gorgée de courage, avant d'annoncer, d'une voix claire et forte : « Cette union ne peut avoir lieu. »

Une annonce qui éveilla des exclamations de surprise et d'indignation dans l'assemblée. « Qu'entendez-vous par là, mon amie ? » s'exprima Frigga par-dessus la cacophonie engendrée, une main posée sur celle serrée de son époux.

« Ma Reine, le prince Thor est l'une des deux âmes pour lesquelles je demande clémence auprès de vous aujourd'hui.

- Mon fils n'est pas un cœur pris. » Le danger grimpait dans la voix du Père de toutes choses.

Lofn ne se laissa pas impressionner. « Le prince Thor a prêté serment devant ma personne comme témoin. Son cœur est pris, et son âme liée. » La rune sur sa poitrine brûla pour se manifester, une délicieuse combinaison de Wunjo et de Gebo, tracée dans l'intimité d'une cellule, loin du reste du monde.

« Puis-je traverser les flammes du Ragnarök une seconde fois si c'est pour te prouver la sincérité de mes mots. » Il le ferait, si telle était la punition nécessaire.

« Pour toujours.

- À jamais. »

« Un serment ne peut être rompu que si l'une des deux parties le revendique » poursuivit la Déesse des secrets, parfaite dans son rôle, « ce qui, pour l'heure, n'est pas encore a-

- Il suffit ! » Le poing s'abattit avec force sur l'accoudoir du trône ; les torches s'embrasèrent avec ardeur, des cris de surprise résonnèrent entre les colonnes d'argent. « Thor ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?! »

L'Ase blonde inspira avec profondeur. Il s'y était préparé. Il pouvait affronter cette vague de colère.

Néanmoins, il n'eut pas même le temps d'ouvrir la bouche que la silhouette de Lofn se glissa devant lui pour faire barrière. « Ainsi » reprit-elle, comme si elle n'avait pas été interrompu par la colère royale, « j'use mon droit de clémence aujourd'hui pour le prince Thor et son âme destinée.

- Qui est ? » demanda sa mère, comme si elle ignorait – comme si elle n'avait jamais su.

« Absente. » Ce fut à son tour de s'avancer. Il ne voulait pas se cacher, en avait assez de le faire. Cette rune – cette promesse ! – méritait d'être exposée avec fierté aux yeux de tous, pour que tous sachent celui qu'il avait choisi. Depuis des siècles ; peut-être même depuis toujours. « Jamais sans toi. » « Mais je m'engage à vous la présenter le plus tôt possible.

- Thor » clama à nouveau son père, « tu as pourtant accepté notre marché. Un roi avisé ne revient pas sur une parole donnée.

- Navré de vous décevoir père » car il savait qu'il était en train de le faire, « mais notre accord n'a jamais stipulé l'identité de la personne que je devais épouser. Tant que cette union sera bénéfique pour la couronne, qui se soucis de qui trônera à mes côtés, si ce n'est moi-même ? » Il se stoppa à côté de celle qui s'était portée volontaire pour défendre son engagement et posa sa main sur son épaule dans un geste de gratitude.

Du coin de l'œil, il repéra à nouveau Hela ; l'espoir avait redonné des couleurs à son visage. « Écoute » l'avait-elle supplié des décennies plus tôt, et il avait écouté. Durant des années, pour forger, pièce après pièce, ce grand dessein – différent de celui préparé par son père.

« Vous m'avez toujours dit qu'un roi avisé s'abstient de déclencher une guerre, qu'il préfère à la place consolider les alliances et préserver la paix si durement obtenue par nos ancêtres. »

Un peu plus loin, Sif et le trio paladin approuvèrent ses paroles d'un hochement de tête.

Le sourire sur les lèvres maternelles s'accentua.

« Père. Mon Roi. » Il n'eut aucune honte à poser un genou à terre, sa paume droite pressée contre les pulsations de la rune précieuse. Les voix se turent autour d'eux ; toute son attention était tournée vers son géniteur. « Si, par mon geste, j'apporte une paix supplémentaire aux Neuf Royaumes, veuillez accorder à Dame Lofn sa requête innocente. Car vous me perdriez en m'obligeant un cœur que le mien ne pourrait chérir. » Il savait ce qu'il risquait, ne pouvait plus faire marche arrière. « Maintenons les noces, mais permettez-moi de choisir la personne qui m'accompagnera. Dans l'éternité, et même au-delà. »

Son discours s'acheva dans le silence, qui se prolongea sur plusieurs minutes interminables.

Anxieux, il guetta la réaction de son père dans le bleu glacial de son œil unique. Une colère brûlait au fond de sa prunelle, mais d'autres émotions attendaient encore de se révéler.

Lorsqu'il parla enfin, le trouble marquait ses mots : « J'ignore ce que tu manigances, cette fois encore. » Et c'était compréhensible. Et déjà mieux que l'animosité affichée précédemment.

« Je vous l'ai dit » répondit donc Thor, le cœur à peine plus léger, « un traité de paix. »


Chapitre 23

Tiwaz


« Débutez l'évacuation des civils ; les enfants et les plus fragiles en premier. Que les guerriers et les mages volontaires se préparent à accueillir l'envahisseur. Une longue nuit nous attend. »

Les paroles d'Odin à peine prononcées, le peuple d'Asgard se mit en mouvement, telle une seule ombre, pour répondre à la décision royale. Les armures cliquetèrent sur les membres des volontaires ; les lames chantèrent, brandies hors des fourreaux pour scintiller à la lueur des torches. Des dizaines de doigts habiles gravèrent Sowilo et Tiwaz dans la chair ou sur les plastrons des futurs combattants ; Hela se chargea de tracer les siennes elle-même, comme elle l'avait fait des décennies plus tôt, avant qu'il n'entraîne leurs deux frères dans une mission suicide à Muspelheim. Puis elle fut emportée au loin avec Brunnhilde, sur le dos impeccable de Warsong.

« Sois prudent » lui avait-elle demandé, de cette même manière qu'il l'avait ordonné à Loki, en serrant avec force sa main dans la sienne. Il n'avait pas cherché à fanfaronner. Peut-être plus tard, lorsque le lever de soleil promis par les bouches chères lui serait assuré.

Bien plus tard, lorsque l'effroi glacial aurait quitté son âme à la vision de l'aile ouest de Valaskjálf réduit en cendres par une explosion soudaine et assourdissante. L'aile qui renfermait la salle aux trésors, là où était stocké entre autres la Flamme Éternelle, unique objet permettant la résurrection de Surtur. Possiblement l'objectif visé par tous les démons infiltrés dans la capitale, comme celui pourchassé par Fenrir selon les dires de Mobius. Fenrir qui, aux dernières nouvelles, était en mauvaise posture. De même que - il supposait - l'idiot qui s'était précipité à sa rescousse en refusant toute l'aide qu'aurait pu lui être offerte de sa part.

Plus tard oui, car ce n'était définitivement pas le moment de fanfaronner.

De la lave se répandit très vite dans les jardins ; le magma perça la pénombre de ses braises dangereuses pour révéler le désastre en cours. L'incendie proliférait sans retenue ; les végétaux se mouraient, les uns après les autres, sur son passage. Avec lenteur, les flammes alimentées par le génocide sylvestre se regroupaient au niveau de la cour centrale pour construire de manière progressive une forme disgracieuse, gargantuesque – aussi haute que Valaskjálf ; personnification des cauchemars les plus anciens.

Surtur, le Seigneur de Muspelheim.

« Si tu veux mon avis, j'en connais un qui a passé une mauvaise journée. » À sa gauche, Volstagg tenta un trait d'humour pour apaiser les craintes des guerriers qui pouvaient enfin mesurer la grandeur – c'était le cas de le dire – de la tâche qui les attendait.

« Qu'il ne compte pas sur nous pour lui garantir une meilleure nuit » assura Fandral en achevant d'accrocher le fourreau de son épée à sa taille. À ses côtés, Sif et Hogun vérifiaient aussi leur arsenal. Ils étaient pris de court, le temps assuré par Mobius abruptement réduit. Pour autant, il ne fallait pas se précipiter ; l'objectif principal demeurait le même : évacuer en premier les plus fragiles vers le Revenger.

Depuis le grand balcon d'Hlidskjalf, qui offrait une vue imprenable sur toute la capitale, Thor observa la population se regrouper avec calme pour suivre les directives des troupes d'Hela. Un fin voile illusoire recouvrait les ruelles, rendant de plus en plus difficile l'analyse de l'évacuation à mesure que l'on s'éloignait du manoir royal et, par conséquent, du danger qui grossissait en son sein. Le bateau attendait encore sur les moirures blessées du pont ; il serait assez grand pour au moins emporter tous les enfants en un seul voyage, ce qui limiterait l'ouverture du Bifröst, et par conséquent l'invasion du royaume par les serviteurs du roi igné. Invasion qui avait déjà débuté, comme le révélaient les fissures de plus en plus nombreuses sur la toile céleste. Des fissures sur lesquelles se focalisait déjà le pouvoir de son père, et peut-être même celui d'Heimdall. Ils devaient suivre le plan, rester concentrer. Surtur était pour l'heure le danger le plus préoccupant.

« Tu as intérêt à ne pas être là-bas » marmonna-t-il pour lui-même, obligé de se rassurer ainsi pour ne pas foncer tête baissée dans le tas de lave amovible. Loki avait toujours tenu ses promesses, contrairement à lui. Il était malin, difficile à attraper, et doué d'un instinct de survie qui les avait déjà sortis tous les deux de situations, certes moins critiques que celle-ci, mais tout de même redoutables. L'espoir, se rappela-t-il ; il était un enfant, il avait le droit de croire encore ; la pomme d'Idunn attendait d'être croquée.

Surtur bougea son bras dans un geste maladroit ; une tour de Valaskjálf fut réduite en poussière. La mâchoire à peine dessinée au milieu de son visage s'étira en hauteur pour pousser un hurlement dévastateur, qui fit trembler les fondations sous leurs pieds. À l'évidence, Volstagg avait raison : le seigneur démoniaque n'était pas de bonne humeur.

Thor enroula par automatisme ses doigts autour du manche de Mjöllnir ; les bandes de cuir s'adaptèrent à merveille aux callosités creusées par le temps sur sa paume. Le marteau chanta son bonheur de réunion à l'instant où il le décrocha de sa ceinture pour laisser tout son poids reposer le long de son bras, pour le laisser redevenir cette part de lui-même. Enivrant, telle une bouffée d'oxygène après une séance d'apnée trop longue.

« C'est moi qu'il veut » déclara-t-il ensuite en avançant vers la rambarde du balcon. Il sentit le regard de ses compagnons glisser dans sa direction.

« Thor » débuta alors le maître épéiste en le rejoignant, « sans vouloir froisser ton ego, tu n'es pas le centre de toutes les colères. »

Le prince rit, força la moquerie sur ses lèvres pour répondre à l'attaque verbale que lui destinait son ami. « Très cher, tu oublies que j'ai un petit frère opiniâtre et rancunier. » Son attention retourna ensuite complètement vers son futur adversaire, et il expliqua : « Y a des signes qui ne trompent pas, crois-moi. » Il avait été le dernier visage que le démon avait vu avant de se désintégrer, privé de sa source vitale ; la dernière personne qui lui avait brisé les oreilles à force de paroles – Surtur n'avait pas l'humour facile, il pouvait l'attester ; le dernier insecte qui avait osé se mettre en travers de son dessein, et qui était parvenu à le stopper net dans son besoin de destruction. Bien sûr qu'il serait la cible de choix pour le souverain de feu.

« Loki a raison » souffla Sif en venant se placer à sa droite, les bras croisés sur sa poitrine et le regard tourné dans la même direction que le sien, « tu es une vraie plaie.

- Très chère, vous, d'accord avec mon frère ? Voici donc pourquoi nous assistons à la fin du monde. » Elle afficha un sourire léger dans lequel il tenta de puiser. La peur n'était pas un sentiment qui lui ressemblait, il était un guerrier, « téméraire et idiot » comme le décrivait Loki autrefois. Il devait se rappeler. Inspira longuement pour insuffler du courage dans chaque fibre de son organisme. Laissa son pouvoir s'éveiller sous son épiderme, parcourir ses nerfs, jusqu'à rejoindre Mjöllnir. « Il est temps de retourner au charbon.

- Tu as un plan d'attaque ? » demanda Hogun derrière lui.

« Un plan ? » Il fit tournoyer le manche de son marteau entre ses phalanges. « On attaque. » Avant de défier la gravité pour se projeter dans les airs et filer entre les vents, en direction de son futur adversaire.

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« Surtur arrive » annonça le sorcier à destination du maigre équipage du Revenger. Il n'avait pas été assez rapide pour intercepter l'ennemi, Fenrir était blessé, et les événements s'accéléraient beaucoup trop, lui donnant l'impression d'être traîné dans le flux temporel incontrôlable. Sa vision tanguait un peu, peut-être dû à sa perte de sang récente, aux tremblements qui faisaient vibrer la coque du bateau, ou bien aux réminiscences oniriques qui ne cessaient de frapper à la porte de son esprit.

Par-dessus l'épaule d'Alioth, qui lui offrait de la stabilité en le tenant par les épaules, Mobius compléta sa mauvaise nouvelle : « Et je crains qu'il ne soit pas le seul. »

À l'entente de ces mots, Loki inclina la tête vers l'arrière pour imiter l'Alfe qui étudiait la voûte céleste ; et contempla ainsi les nombreuses déchirures qui cohabitaient au milieu des constellations, telles des toiles arachnoïdes de plus en plus ramifiées. Au centre de certaines, des membres aux griffes acérés tentaient de se frayer un chemin. L'armée de Muspelheim commençait à perdre patience, surtout depuis l'éveil de leur seigneur. Pour l'instant, la barrière érigée en renfort par Odin – il reconnut la signature de son pouvoir – tenait la route, mais elle ne serait pas suffisante pour attendre l'aurore.

« Nous ne pourrons pas faire évacuer les civils par le Bifröst » déclara Mobius, confirmant à voix haute sa pensée.

« J'utiliserai le Tesseract. » En puisant dans l'énergie environnante, cela ne devrait pas lui demander trop d'efforts ; il lui suffirait juste de viser le point d'atterrissage au travers des branches d'Yggdrasil afin de ne pas égarer le Revenger et ses passagers. « Facile » résuma-t-il en haussant les épaules ; hésiter n'était de toute manière plus une proposition envisageable. Ils devaient agir.

Comme le confirma le cor Asgardien qui résonna dans l'obscurité lointaine.

De même que la torche gigantesque qui s'alluma dans l'enceinte du manoir royal. Surtur, revigoré par le sacrifice de son disciple et l'ardeur de la Flamme Éternelle dérobée. L'antagoniste principal de ses visions cauchemardesques.

Il ignora les battements affolés de son cœur contre sa cage thoracique. « Le Bïfrost, votre frère, et vous » se rappela-t-il les paroles de Mobius. « Tant que ces trois éléments ne sont pas réunis » - ils avaient le temps. Moins que prévu, mais suffisamment.

« Occupez-vous de charger un maximum de personnes sur le Revenger. » Le métamorphe traça une Tiwaz maladroite sur le poignet de son garçon ; la rune n'était pas parfaite, mais elle lui permettrait de se connecter aux racines de ce royaume et de puiser son énergie à l'intérieur. « Je vous confie la sécurité du navire. Vous n'serez pas trop de trois avec Brunny si la barrière venait à céder. Il faut aussi soigner la patte de Fenrir. Mobius. »

L'Alfe bougea, mettant genou à terre face au Vargr qui se pressait déjà contre le flanc de son adoptant. « Bataille. Fort. Accompagner » protesta celui-ci en frottant son museau contre la paume douée de Seidr, en quête de réconfort.

Loki répondit sans hésitation à sa demande. Incapable d'éteindre complètement l'anxiété dans sa voix, il insista : « Tu dois d'abord te rétablir. »

« Fort » répéta le grognement lupin.

« Mais pas invincible.

- Il n'est pas le seul » ajouta à son tour Mobius en changeant de patient pour ausculter le mollet en cours de cicatrisation de son supérieur. Le cuir déchiré révélait une peau encore noircie par les cendres, auréolée par une teinte bleutée là où sa métamorphose s'était effondrée. Une vision qui ne plut pas aux prunelles scrutatrices de son intendant, qui lui fit savoir sans gêne : « Dois-je vous rappeler que les Jötnar sont plus susceptibles aux blessures de feu ?

- Une chance que cela soit réciproque » déclara le sorcier ; il fit un pas de côté pour s'éloigner des doigts déjà occupés à apaiser sa douleur – bien d'autres tâches nécessiteraient la magie de l'Alfe, une broutille pareille ne méritait pas qu'il s'y attarde. Raison pour laquelle il convia un voile illusoire sur sa jambe afin d'effacer la preuve de sa faiblesse et rendre à son armure son aspect impeccable. Réaction qui fit soupirer Mobius ; il n'insista pas pour autant, car il savait que, s'ils avaient encore un peu de temps, le sablier ne s'arrêterait pas pour autant. Surtout pas pour si peu.

Comme le témoignait le ciel ébranlé par les tentatives d'invasion de plus en plus agressives, les premières silhouettes cendrées qui parvenaient à s'infiltrer jusqu'à Asgard.

Comme le témoignait l'amoncellement de nuages autour des tours de Valaskjálf ; la silhouette de feu dressée au milieu, de plus en plus grande, de plus en plus menaçante.

Comme le témoignaient les cris des guerriers au loin, entrés dans la bataille pour la survie de leur royaume. Des Neuf Royaumes, car Surtur ne se contenterait jamais d'une seule branche à incendier.

« Vous l'avez vous-même dit » déclara Loki en adressant un sourire en coin au vieux sage, « je dois cesser de fuir. » Fuir n'était plus une option envisageable, même si elle était celle sur laquelle il désirait plus que tout se précipiter en premier. Il était prêt ; prêt à vivre ce futur contemplé depuis des siècles durant ses songes. Un poids qui pesait depuis trop longtemps, qui s'alourdissait à mesure qu'il tentait de l'alléger, empêtré dans le tas de fils problématiques. Fuir ne servait à rien – « Vous fuyez depuis trop longtemps » ; le nœud dans la pelote - « Laissez le nœud se dérouler. »

Un nouveau soupir, allongé par l'éclat au cœur des perles orageuses de l'Alfe. « Vous n'écoutez que lorsque ça vous arrange » maugréa-t-il avec un reproche bien trop faux dans la voix. La seconde d'après, des bras s'enroulèrent autour de son cou pour l'attirer dans une accolade chaleureuse, qui sentait le sable chaud et le parchemin. « Vous êtes indubitablement irrécupérable. »

Loki rit contre les mèches grisonnantes de son compagnon de route et lui rendit son étreinte sans hésitation. « Je l'serais à jamais » répondit-il ensuite avec un haussement d'épaules désinvolte, « on n'se refait pas.

- Hélas, je crains fort que vous ayez raison. » Le troisième soupir fut beaucoup trop dramatique pour sonner autrement que faux. Les prochains mots qu'il prononça se brisèrent néanmoins avec authenticité : « Allez le rejoindre. »

« Le Bifröst, votre frère, et vous. » Il devait cesser de fuir. « Tant que ces trois éléments ne sont pas réunis, la bataille ne sera pas finie. »

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Mjöllnir percuta avec force le poignet dont la lave commençait à se consolider. La main aux griffes acérées vola dans les airs ; du sang igné s'échappa à grosses gouttes du moignon. Surtur siffla de douleur, avant de balayer les alentours pour trouver le responsable de ce coup-bas. Thor l'attendait, debout sur le toit de ce qu'il restait d'un kiosque – celui sous lequel sa mère préférait autrefois prendre le thé. Le marteau revint à sa poigne, fidèle à ses directives, son acier gravé de futharks luisant sous les braises de l'ennemi.

Vu d'aussi près, le seigneur de Muspelheim était gigantesque, plus impressionnant encore que depuis les bâtiments éloignés. Des excroissances s'échappaient de son crâne pour donner encore plus de hauteur à sa silhouette. Ses orbites, exempts de paupière et de pupilles, n'étaient que deux flambeaux brulant avec rage ; qu'il tourna dans sa direction avec une lenteur dangereuse – sa fureur était perceptible, aussi dense que l'humidité avant l'éclatement d'un orage.

L'exacte représentation d'un souvenir qu'il aurait préféré oublier.

« Thor » grogna le géant de sa voix caverneuse – sa bouche n'était qu'un orifice au milieu du magma facial. « Fils d'Odin.

- Surtur » répliqua-t-il en faisant tourner la lanière accrochée au bout de Mjöllnir autour de son index, « fils de… personne en fait. » Son rire accentua ses deniers mots. « Tu es donc toujours en vie ? En voilà une bonne nouvelle. » L'ironie lacérait sa langue ; il savait son adversaire prompte au premier degré, et s'amusa de l'interrogation qui étira un instant les craquelures ignées du démon. « Moi qui croyais que t'avais été tué, y a genre… deux siècles ?

- Je ne peux pas mourir. Pas avant d'avoir accompli mon destin et anéanti ton royaume. » Le démon gonfla le torse, galvanisé par la fierté du dessein qu'il dictait. « Ainsi que tous les autres.

- J'ai cru comprendre. » Du coin de l'œil, l'Ase perçut ses compagnons se mettre en place sur les hauteurs derrière le géant igné qui, soit ne les avait pas repérés, occupé par son discours, soit ne leur accordait aucune importance, comme on ignorerait une fourmi sur son chemin. « Tu sais » reprit Thor en posant Mjöllnir contre son épaule dans un geste désinvolte, « c'est marrant que tu m'parles de ça ; cela fait des siècles que mon frère me raconte : Asgard dévoré par les flammes, tombant en ruine. Et toi, Surtur, tu es au centre de tous ses rêves. » Le visage de Loki, détruit par la peur, ruiné par les larmes, se dessina dans sa mémoire ; il rit jaune pour contrôler son irritation. « J'en serais presque jaloux.

-Ton frère a donc vu le Ragnarök. » Le démon fit un pas dans sa direction ; la terre trembla en conséquence. « L'effondrement d'Asgard. » Il tendit le bras vers l'extérieur, laissa les flammes s'accumuler dans sa paume pour prendre peu à peu forme. « La grande prophétie qui va me permettre d'accomplir mon destin. » Un second pas ; une horde de corbeaux s'envola en croassant de peur. « Enfin, mon heure est venue. Je retrouverais enfin toute ma puissance. » La masse enflammée forgea une lame aussi haute que le mur derrière. « Je dominerais les chaînes de montagnes et enfoncerai mon épée en plein cœur d'Yggdrasil. » Un second coup d'œil ; les guerriers étaient en place.

« Toutes mes excuses. » Parfait. « Mais cela devra encore attendre, genre… » Il tendit le bras droit ; Mjöllnir s'aligna avec ses muscles. « Jamais ? »

Surtur haussa une arcade sourcilière, peut-être d'incompréhension, peut-être d'amusement ; il s'en moquait, car l'importance était le message transmis.

La seconde d'après, des cris de guerre s'élèvent depuis les toits - les Ases ne savaient pas attaquer en silence, avait un jour fait remarquer son cadet - et des silhouettes se projetèrent sur celle du démon, armes et chaînes lourdes en mains. Haches, épées, marteaux et hallebardes s'abattirent sur le magma en cours de solidification pour détruire, coup après coup, la forme acquise les quinze dernières minutes. Surtur émit des complaintes de douleur, qui firent grogner la terre sous leurs pieds. Sa lame s'éleva, flamboya dans la voûte céleste obscurcie - tel le soleil à naître promis -, menaça l'armée Asgardienne de son prochain mouvement qui, Thor le supposa, serait dévastateur.

Non. Ses doigts crépitèrent, les bords de sa vision blanchirent. Non, il ne le permettrait pas.

Sans attendre, Mjöllnir l'entraîna dans les airs pour venir rencontrer le tranchant de l'épée ignée. Le rouge des flammes et le bleu de ses éclairs s'entrechoquèrent dans un éclaboussement d'énergie qui les fit chacun chavirer vers l'arrière. Lorsque Thor retrouva le kiosque en ruine, projeté avec force, ce fut pour dégrader davantage ses pierres, achever sa stabilité fragile. Il ne fut pour autant pas coupable du vacarme qui résonna ensuite.

« Thor ! Thor ! » Ses oreilles bourdonnaient ; du sang coulait sur sa joue, d'une plaie qui cicatrisait déjà. Le visage de Sif se dessina au-dessus de lui. Une brûlure commençait à se dessiner sur le bas de sa mâchoire et un éclat belliqueux brûlait au fond de ses pupilles. « Foncer n'est pas la meilleure solution » commenta-t-elle en lui tendant une main pour l'aider à se relever ; il l'accepta sans protester. « C'n'est pas qu'une simple épée.

- Faut croire » marmonna le prince en contemplant son marteau. Une fissure venait de se dessiner le long des runes.

« Nous devons d'abord l'affaiblir. Les mages s'en occupent déjà. » Il releva le regard ; Surtur était à terre, projeté, tout comme lui, contre la bâtisse dans son dos. Le feu qui parcourait ses veines s'était à peine tari, contrairement à l'animosité qui grandissait dans ses orbites. Des guerriers avaient commencé à enrouler des chaînes autour de ses articulations pour entraver ses membres. « Mais… » ; il n'aimait pas ce « mais », redoutait l'évidence qu'il cachait. « Ils n'y arriveront pas seuls. Nous avons besoin de Loki.

- Non », sa réponse fut immédiate. Il revoyait l'enfer de Mullspelheim, se remémorait les cris de douleur de son cadet, les plaies à la cicatrisation lente qu'il avait camouflées derrière le peu de magie épargnée par son enfermement. « Les blessures de feu peuvent être mortels pour les Jotnär.

- Et l'inverse est tout aussi vrai. Thor, i-

- Attention ! » hurla Volstagg parmi les guerriers occupés à tailler la silhouette de Surtur à coups d'acier. Un coup de bras envoya valser la moitié au loin ; les chaînes cliquetèrent avec danger au-dessus de ceux encore debout.

« Pauvres fous » déclara le géant plus fort que la souffrance des Ases, « vous ne pouvez pas m'arrêter. » Il planta son épée dans la terre qui se fendit de ridules lorsqu'il prit appuie dessus pour se redresser. Sa lame était intacte, nota Thor, alimentée par la Flamme Éternelle.

« C'n'est pas l'épée qu'il faut affaiblir » conclut le futur roi à voix haute. Au fond de son esprit résonna la voix de son père, qui confirma sa pensée : « Ce marteau ne sert qu'à contrôler ton pouvoir. Le canaliser. » Mjöllnir chanta lorsqu'il le fit tournoyer entre ses doigts. « Elle n'est pas la source de sa force » reprit-il les paroles paternelles, autrefois destinées à un petit garçon apeuré par son pouvoir grandissant.

« Peu importe » répondit Sif en se mettant déjà en garde face au géant à nouveau debout sur ses jambes, « elle reste pour l'instant notre principal problème. »

Comme pour confirmer ses dires, une nouvelle tour de Valaskjálf éclata en mille fragments sous un coup d'épée léger.

Peut-être, oui.

o

Warsong galopait dans les airs avec célérité ; ses puissantes ailes défiaient les vents pour lui permettre de voler de portail en portail afin de trancher les têtes et membres qui osaient s'y frayer un chemin. Il en arrivait de partout, malgré la barrière érigée pour les ralentir ; elle pouvait sentir l'aura du roi Odin, mêlée à celle du gardien arc-en-ciel, tenter de colmater les déchirures célestes, sans jamais réussir à les combler complètement. Du gain de temps, c'était la seule chose qu'ils pouvaient espérer. La seule chose qu'elle pouvait leur offrir.

Décapitant un démon pénétré à Asgard jusqu'à la poitrine, Brunnhilde jeta un regard vers le bas, là où les premiers civils, entourés de soldats, venaient de franchir la surface diaprée du Bifröst. Dame Hela était à l'autre extrémité, elle dansait parmi les carcasses des premiers envahisseurs, silhouette brumeuse qui faisait chanter ses deux longues lames dans le silence instauré par la fuite. Les pleurs étaient contenus ; les civils les plus courageux osaient tenir une arme pour défendre leurs êtres chers ; l'objectif était maintenu dans l'esprit de chacun : le Revenger. Leur chance ; l'unique.

Gagner du temps, oui, mais encore combien ?

La terre trembla brusquement ; le groupe se stoppa sous le choc, avant que la princesse ne leur cri d'avancer. Reculer était de toute manière devenue inenvisageable, car les ruelles, autrefois peuplées de rire et de vie, se voyaient peu à peu envahir par des silhouettes hideuses et noircies de cendre. Les portails ne se refermaient plus assez vite ; elle n'était pas assez rapide.

Soudain, un hurlement strident lui perça les tympans au-dessus de sa tête. Warsong, surprit, s'ébroua dans les airs et manqua de percuter une masse imposante. Un démon venait de déchirer le ciel, plus costaud que les précédents – en se référant à la circonférence de sa tête, il devait facilement dépasser les trois mètres de haut. Sans hésiter, Brunnhilde lança sa monture dans sa direction et brandit son épée à deux mains pour l'abattre sur la nuque de l'adversaire. La lame s'enfonça avec difficulté, avant de riper contre un os assez dur pour la faire rebondir. La créature gémit de douleur et donna un coup de patte dans sa direction. Warsong esquiva de justesse, y laissant littéralement quelques plumes.

« V'là autre chose » maugréa la Valkyrie en prenant de la hauteur pour rester hors d'atteinte. Le menu fretin cédait sa place au plat de résistance. Les brèches étaient trop nombreuses ; si Odin était puissant, son pouvoir demeurait vieillissant et, à l'évidence, insuffisant.

Si seulement ses sœurs avaient encore été présentes sur le champ de bataille, elles auraient concouré pour éliminer un maximum d'ennemi et régler le compte de ces affreux en l'espace d'un battement d'ailes.

Le démon rugit, Warsong hennit ; les deux furent masqués par un mugissement sourd en provenance d'en dessous. Elle remarqua alors l'amoncellement de nuages sombres, anormal dans ce ciel perturbé, qui prit sous ses yeux la forme d'un immense clapé dentelé pour se refermer d'un coup sur l'envahisseur. Avant même que le démon ne puisse exprimer sa douleur, il fut déchiré en deux, réduit à l'état de cendres par la silhouette reptilienne. Une gueule de crocodile, uniquement composée de vent, à l'exception de deux flambeaux vermeils au milieu de la masse.

Brunnhilde sourit. Au meilleur de sa forme, Alioth venait de rejoindre la partie.

Et, comme le témoignèrent des orbes lumineux propulsés par Mobius depuis le pont du Revenger, il n'était pas le seul.

o

Projeté par un puissant coup de lame, Thor dérapa sur près d'un demi-kilomètre. Son épaule gauche se déchira contre les rochers et les fragments de demeure rencontrés en chemin ; il fit taire la douleur en saturant ses récepteurs d'électricité. La tactique n'était pas la bonne, il était prêt à l'admettre. Les chaînes, si laborieusement attachées par ses confrères, avaient fondu comme neige au soleil au contact de la Flamme Éternelle pour devenir des projectiles que l'ennemi avait utilisés par la suite contre eux. Pour ne rien arranger, la silhouette de Surtur ne cessait de croitre, à mesure que des soldats de son armée monstrueuse parvenaient à le rejoindre pour combattre à ses côtés. Comme si un géant de feu de plus de cinquante mètres de haut n'était pas suffisant.

L'Ase royal avait donc ordonné à ses hommes de se focaliser sur les créatures de cendre car, déjà bien occupé à recevoir la colère du souverain de Muspelheim, Thor ne pouvait assurer seul ses propres arrières.

Mjöllnir frappa le sol ; il prit appuie sur son manche pour s'aider à se relever. « Pas mal. Je dois le. Reconnaître. » Sa parole était entrecoupée par son souffle manquant. Une ou deux côtes s'étaient repliées vers l'intérieur de son thorax et chatouillaient ses poumons à chaque inspiration. Cela ne l'empêcha pas de rire – même s'il le regretta aussitôt -, car offrir la peur ou la souffrance à son adversaire aurait déjà été une trop grande victoire à lui céder.

Surtur avançait d'un pas lent dans sa direction ; chacun de ses pas réduisait un peu plus la capitale en ruine. Les poutres s'enflammaient, les toits s'effondraient, les ruelles se crevassaient. Ils s'éloignaient de plus en plus de Valaskjálf pour rejoindre les montagnes qui abritaient le manoir qu'il partageait avec son cadet ; en focalisant l'attention de Surtur loin du Bifröst, Thor espérait ainsi détourner son attention du peuple qui s'échappait dans l'ombre de sa sœur. Par chance, le seigneur démoniaque répondait à ses espérances. Rancunier, comme il l'avait supposé.

« Pauvre enfant dieux, te débattre ne fait que retarder l'inévitable.

- Tu m'en vois ravi. » Il grimaça, instable sur ses jambes, obligé de s'appuyer contre un pan de mur par miracle encore debout. Le sang coulait à flots le long de son bras ; taillée en profondeur, l'épaule prenait du temps à se refermer. « Dis voir Surtur, j'me faisais la remarque. » Il ignorait pourquoi – et avec quelle patience – le géant l'écoutait toujours avec attention, tel un noble effrayé de manquer à son devoir auprès de son peuple. « C'est une sacrée belle épée que tu as là.

- Impressionné par la taille de Crépuscule ? » Comme pour appuyer ses mots, l'ennemi abattit son arme sur une large villa qui ne conserva après son passage que ses fondations ébranlées.

« Crépuscule ? » répéta l'Ase ; il fit mine d'être impressionné. « Comme Crépuscule, l'Épée du Destin ? Capable de rompre les fils tissés par les Nornes ?

- Et d'ôter la vie à l'Arbre Monde. Oui. »

Une fois encore, Thor hocha la tête de haut en bas, faussement admiratif. Même si, au fond de lui-même, une part de son amour pour les armes se posait un milliard de question au sujet de celle-ci. « Je suppose qu'elle est la source de ton pouvoir. » Non, évidemment.

« Non » confirma Surtur à voix haute, beaucoup trop honnête dans son désir malhonnête de réduire les Neuf Royaumes en cendres. « Crépuscule se nourrit de mon pouvoir, je n'ai pas besoin d'elle pour être aussi puissant. Tant que je porte ma couronne. »

Thor fronça un instant ses sourcils ; l'information était tombée, offerte avec trop de sincérité pour être repérée aussitôt. « Une couronne ? » Il interrogea du regard les deux excroissances échappées du crâne démoniaque. « C'est une couronne, ça ? Je pensais que c'était un mono-sourcil » compléta-t-il, un sourire en coin.

La colère de son interlocuteur ne se fit pas attendre : « C'est une couronne ! » rugit-il, et le guerrier eut juste le temps d'être tracté sur le côté par Mjöllnir que l'épée gigantesque s'abattit là où il se tenait auparavant. Susceptible aussi, nota-t-il dans un coin de sa tête.

« Désolé, désolé », sa main libre balaya l'air d'un geste vague et peu convaincant ; il ne l'était pas. « Donc, tout ce que j'ai à faire pour éviter le Ragnarök, c'est de t'arracher ce truc de la tête ? » reprit-il ensuite, prêt à profiter au maximum de la langue facile du géant – offrait-il des informations en toute connaissance de cause ? ou bien était-il juste trop intègre, malgré ses envies de génocide ?

Surtur émit un bruit étrange, étouffé au bord de ses lèvres inexistantes ; à sa grande surprise, il riait. « Mais le Ragnarök a déjà commencé, petit Dieu. Et tu ne pourras l'arrêter. » Il fit deux nouveaux pas en avant, dans sa direction ; Crépuscule traînait derrière lui, ses flammes dévoraient les alentours. « Je détruirai ton royaume avec ton concours. » Thor détestait l'expression qui étirait les traits magmatiques de son visage. « Ton peuple se consumera dans d'atroces souffrances.

- Oh. C'est effroyable » ; l'ironie lui lacéra la langue. « En toute franchise, te voir devenir soudain immense et consumer une planète devrait être un spectacle impressionnant. » La plaie s'était résorbée, le monde retrouvait sa stabilité. « Mais je crois que je vais devoir choisir l'option B. » Surtur arqua un sourcil ; il expliqua donc : « décrocher cette tiare de ton crâne, restaurer la paix et célébrer enfin les noces qui m'attendent. » Un plan B rondement ficelé, qui ne tenait debout que par l'espoir de voir naître le prochain jour. Car, si Thor était aussi idiot que ses proches ne cessaient de lui rappeler, il ne l'était pas suffisamment pour ignorer la faible probabilité de leur réussite.

Surtur rit de ses paroles, non pas de moquerie mais avec une pointe de fierté lorsqu'il commenta : « Ta bravoure est louable, Thor, fils d'Odin. Cependant, tu n'arrêteras pas le Ragnarök. Pourquoi le combattre ? »

Pourquoi ? La poitrine du guerrier se gonfla de pouvoir, des éclairs galopèrent dans ses veines. Il connaissait sa cible, il croyait en son plan. « Le soleil brillera à nouveau sur nous. » Ils seraient là, tous, debout sur cette branche d'Yggdrasil chérie. Ils seraient là pour accueillir le char de Däg. Ils seraient là pour chanter, trinquer en l'honneur des tombés. Il enlacerait sa mère en la portant pour la faire valser dans les airs, embrasserait son frère au point de l'étouffer.

Le Ragnarök ne les emporterait pas ; ils le combattraient avec toute leur rage.

« Parc'que c'est ce que font les héros. » Et il s'élança, le corps parcouru d'éclairs qui grondèrent dans ses oreilles et au travers de sa bouche ouverte. Chacune de ses foulées créait une onde de choc foudroyante qui pulvérisait les amas magmatiques lancés dans sa direction par le géant igné. Mjöllnir l'aidait à défier la pesanteur pour échapper aux attaques adverses, redoutables contre les bâtiments – le quartier devenait méconnaissable avec le temps. Par moments, le marteau s'envolait de ses doigts pour venir frapper la silhouette démoniaque avec force, avant de revenir vers lui pour le cueillir avant qu'il ne touche terre. Ses coups étaient rapides et précis, sa foudre focalisée en un point permettait de détruire peu à peu l'armure qui maintenait la couronne ancrée sur son front. Sans elle, Surtur perdrait de son pouvoir. Sans elle, ils avaient une chance.

Il pouvait le faire.

Chaque coup porté aggravait la colère du démon, qui semblait s'alimenter de ses propres ondes négatives pour croître, s'approcher un peu plus des étoiles à chaque gémissement émis. À peine éclaté, le magma se resolidifiait à la surface de son épiderme. Ses coups devenaient de plus en plus anarchiques, imprévisibles, difficiles à esquiver. Thor n'abandonnait pas pour autant, car il pouvait le faire.

Non, il devait le faire. Il était le champion d'Asgard, les Nornes lui avaient écrit une glorieuse destinée ; la rune brûlait avec force sur son torse, pulsait en rythme avec son cœur fou d'adrénaline.

Il devait le faire, le ferait. Le Ragnarök ne l'avait jamais effrayé.

Il le ferait, poursuivrait ses coups de marteaux, ses projections d'éclairs.

Il tiendrait.

Il-

L'animosité de Surtur déchira brusquement l'obscurité, son corps s'enflamma avec force, il gagna davantage de centimètres tandis qu'il projetait sa colère vers le ciel. Surprit, Thor esquiva de justesse la main griffue qui se tendit pour s'abattre sur lui, mais ne fut pas assez rapide pour anticiper son second coup. Mjöllnir fut dressé devant lui, juste à temps pour encaisser les braises tranchantes de Crépuscule. La force de l'impact le propulsa au travers du mur de plusieurs maisons successives. Sa colonne craqua, son souffle se coupa, sa vision s'obscurcit.

Sa fidèle arme, toujours entre ses doigts, gémit avec difficulté, tandis qu'il fut stoppé dans sa course par le flanc solide d'une montagne. Loin, bien loin du lieu d'impact. Immobile. Incapable de bouger sans ressentir une douleur insupportable.

Pourtant, il savait, il devait.

La couronne.

Tenir.

o

« Doucement. Avancez sans vous précipiter. » Le vieil homme affable guidait les habitants vers l'intérieur du bateau avec un calme remarquable, qui jurait avec le chaos externe.

Blottie contre sa mère dans les cales, la fillette contenait ses tremblements, les paupières mordues par des larmes qu'elle se refusait de libérer. Il fallait être fort, il fallait être fière. Les démons étaient horribles et puaient la chair calcinée. Sa cheville portait encore la griffure de l'un d'entre eux, une attaque qui les avait tous pris de court avant que la Valkyrie ne vienne à leur rescousse, élégante sur la blancheur tâchée de son pégase. Ils avaient fait partie des premiers à rejoindre le vaisseau ; il leur faudrait encore un peu de temps pour que tout le monde puisse prendre place comme eux. Elle avait perdu de vue ses amis et le reste de sa famille, ne pouvait que garder espoir de pouvoir les retrouver après ce trop long cauchemar – car ce ne pouvait qu'être un cauchemar. Son père lui avait toujours rapporté les louages d'Asgard, la cité de toutes les cités, magnifique dans son histoire, impressionnante dans son architecture, irréprochable dans sa sécurité. Or, son père ne mentait jamais ; il était un guerrier redoutable et respecté, qui avait autrefois combattu aux côtés de leur bien-aimé prince Thor. Prince qui les sauverait, car il ne pouvait échouer.

« Tout va bien », sa mère lui caressa le front et repoussa sa frange sur le côté. « Ton papa va nous sortir de là. Il va aider le prince à battre ce grand méchant, et nous pourrons retourner à la maison. » L'idée était belle, cela sonnait bien pour son esprit encore naïf. Elle se laissa tenter, obligée par son besoin d'apaisement de croire en ces paroles maternelles.

« Tout va bien » elle répéta, pour se convaincre elle-même ou pour aider sa mère à se décrisper. Jamais la peur ne devait les prendre en otage, c'est ce que son père n'avait eu de cesse de lui répéter lors de leurs leçons de combat.

« Tout ira bien » reprit une nouvelle fois sa génitrice en la pressant plus fort encore contre sa poitrine. Un nouveau groupe de rescapés venait de les rejoindre, et ils furent obliger de se tasser un peu plus contre la coque du bateau. Le silence était oppressant, rythmé par la respiration saccadée des nouveaux venus et les pleurs contenus des plus jeunes. Il faisait noir ; seule une lueur de sort brûlait au centre de l'immense pièce pour empêcher chacun de marcher sur les pieds de son voisin. Il faisait humide ; une odeur iodée flottait dans l'atmosphère.

C'est alors que des lèvres, perdues à l'autre bout de la foule, se mirent à fredonner une vieille mélodie, douce et mélancolique. Très vite, les adultes se joignirent à l'étranger. Sa mère comprise, qui interpréta les paroles de sa voix claire et aiguë :

Shadows fall and hope has fled

[Les ombres tombent et l'espoir s'est enfui]

Les doigts maternels passèrent dans ses boucles rousses pour y défaire des nœuds imaginaires. L'enfant enroula ses bras autour du vendre rond de sa mère.

Steel your heart

[Renforce ton coeur]

The dawn will come

[L'aube viendra]

« Avancez. »

o

The night is long and the path is dark

[La nuit est longue et le chemin est sombre]

Le genou d'Odin toucha terre, écrasé par le poids de la barrière qu'il tentait de maintenir. Non, pas maintenant. « Tenez bon, mon roi » lui murmura Heimdall depuis l'autre bout d'Asgad, « encore un peu. »

Il tenta de puiser dans l'espoir de son gardien, et dans le chant des lames qui valsaient autour de lui. Sa belle Frigga menait la danse au milieu de sa garde rapprochée ; des éclats de seidr doré éclataient autour d'eux, puissants et suffisants pour protéger le trône devant lequel il se tenait. Mais pour combien de temps encore ?

Sa fatigue était immense ; il tenta de la repousser – pas maintenant !

« Les premiers civils embarquent sur le bateau » poursuivit l'Ase aux yeux d'or. Une bonne nouvelle, qui lui apporta la force nécessaire pour se relever en prenant appui sur Gungnir, la poigne fébrile.

« Thor ? » demanda-t-il, le souffle cout, les tempes nimbées de sueur. Le prince, têtu et téméraire, était leur seule chance, il le savait pertinemment. Au moins pour sauver les autres branches de l'Arbre Monde si Asgard venait à s'effondrer. Il avait foi en son fils, foi en son pouvoir, plus grand qu'il ne pourrait jamais l'imaginer, foi en son amour pour son peuple. Foi au lendemain qu'il lui avait promis. Il voulait croire.

La voix du gardien lui apporta une réponse mitigée : « Notre prince se bat avec la rage de ses ancêtres. Mais l'ennemi est puissant.

- Je le crains » souffla-t-il en fermant ses paupières. La barrière se redessina aussitôt sur la toile de son esprit, avec ses moirures perturbées et ses fissures de plus en plus nombreuses, de plus en plus élargies. De plus en plus menaçantes. Il devait les refermer, endiguer l'invasion.

Du temps, du temps : tout ce qu'ils demandaient. La seule chose qu'il était capable d'offrir à ses semblables.

« Il n'est pas seul. » Le commentaire ajouté par les iris omniscients le fit sourire. Non, Thor ne l'était jamais. Malgré ses ordres, malgré les punitions, malgré les disputes.

« Permettez-moi de choisir. »

Malgré le destin. Malgré le temps. Malgré la distance.

Odin avait tout de suite reconnu cette énergie qui s'était glissée dans la nuit asgardienne, furtive et silencieuse, telle l'ombre d'un corbeau funeste. Ou celui d'un baiser volé. Une lueur d'espoir, bien que ternie par des années d'acharnement, de rejet, de chaos.

Thor n'était pas seul. L'avenir de leur peuple reposait entre les mains de la future génération. À qui il ne pouvait que promettre du temps supplémentaire, retarder l'inévitable. Du temps, du temps : ce qu'il leur offrirait.

Gungnir frappa le sol ; Odin repoussa la douloureuse fatigue au loin et serra des dents pour puiser la force au plus profond de lui. « Il n'y a pas d'heures pour les braves » il murmura pour lui-même. Il songea au lever de soleil promis, s'imprégna de sa chaleur imaginaire pour la laisser diffuser au travers de ses doigts. Un dernier effort.

Look the sky for one day soon

[Regarde vers le ciel pour un jour bientôt]

The dawn will come

[L'aube viendra]

o

Bare your blade and raise it high

[Dénude ta lame et lève-là haute]

« Pauvre fou. » La poigne de Surtur s'enroula autour de son flanc pour le soulever de terre. Le touché était ardent ; Thor retint une grimace de douleur. Sa tête pendait mollement sur le côté, de même que Mjöllnir accroché à son poignet. Les fissures s'étaient aggravées à sa surface ; le marteau ne survivrait pas au prochain coup.

La véritable question demeurait qui de son arme ou de son corps se briserait en premier ?

Il était prêt à prendre les paris contre lui-même, tant la douleur agressait la moindre de ses terminaisons nerveuses.

Le souverain démoniaque le secoua à peine entre ses phalanges, de quoi retourner ses boyaux qui quémandaient l'expulsion de son dernier repas – qui lui semblait si loin à présent. « Ta bravoure est louable » répéta le géant de feu en l'approchant de son visage, plus long à présent que le corps tout entier de l'Ase. Une odeur fétide de mort émanait de son haleine. Un seul de ses globes oculaires aurait suffi pour alimenter le foyer de tout un village.

Le combat était voué à l'échec ; pour autant, il devait poursuivre, car l'inverse était inconcevable.

Du coin de l'œil, le guerrier repéra l'imposante silhouette – risible à côté du mollet magmatique – d'un ancien if ayant autrefois servi à accueillir les membres d'une même famille. Une sœur composait son dernier morceau sur son fidèle hardingfele ; les deux plus jeunes admiraient le spectacle, assis entre les jupons de leur mère ; l'aîné des frères veillait sur la scène avec un regard attendri. Un doux jour de printemps, paisible et sans problème. Calme et parfait.

Un endroit familier. Un endroit qui avait de l'importance.

Un endroit qu'il ne pouvait pas laisser mourir sous le joug de l'envahisseur ; trop de souvenirs résidaient entre les murs de Bilskirnir, tant méritaient encore d'y être écrits. Leur demeure, le chez-soi promis.

Poussé par ce besoin de protection, Thor enfonça ses ongles dans la main le maintenant prisonnier ; un geste risible, douloureux, qui fut accueilli par le rire moqueur du démon : « Pauvre fou. » Il fut secoué en retour ; des flammes léchèrent ses avant-bras et il dut se mordre la lèvre inférieure pour retenir un cri de douleur. « Tu aurais dû écouter. » Il sentit la brûlure, il sentit la chaleur. Pourtant, ses épaules frissonnèrent. « Tu ne peux pas arrêter le Ragnarök. » Il ressentit ; son pouvoir gronda, comprenant en premier.

La morsure des flammes perdait de sa vigueur ; un sourire gratta peu à peu ses lèvres, à mesure qu'il saisissait. « Tu as raison » déclara l'Ase ; un léger panache de fumée s'échappa avec ses mots. Sous ses paumes, une fine pellicule de givre se dessinait à la surface du magma pour tarir ses flammes. « Je suis un pauvre fou. Mais, tu sais ce qu'on dit ? » Il apprécia la perplexité sur les traits du géant, plus agréables à contempler que sa fureur belliqueuse ou son insupportable moquerie. Alors, Thor leva son attention vers le ciel, et son adversaire l'imita. « Les fous vont souvent de pair. » Juste à temps pour apercevoir la silhouette qui se laissa tomber sur eux, lame de glace en main, pour trancher le bras geôlier.

Mjöllnir lui évita la chute, contrairement à Surtur dont la douleur lui fit perdre l'équilibre, car déjà le froid de la blessure galopait le long de son biceps pour attaquer son épaule.

« On dirait que j'arrive à temps » fanfaronna avec délice une voix derrière lui lorsqu'il atterrit au milieu de ce qu'il restait d'une aire d'entrainement.

« À temps ? » Thor rit en se tournant vers lui – vers ses iris à la couleur incertaine, déchirés entre le vert habituel et l'écarlate de ses ancêtres. Il avait l'air bien, aucune blessure n'agressait sa silhouette à la pâleur tirant sur l'azur, aucun pli ne venait froisser son armure, pas même une tache de boue sur le cuir de ses bottes. Trop impeccable ; le guerrier repéra sans peine l'illusion. Mais il y avait plus urgent, Surtur se relevait déjà. Partagé entre le bonheur de revoir son cadet et l'angoisse grandissante de le voir si proche du danger, l'Ase se reconcentra sur l'adversaire, la poigne serrée autour de son arme fracturée. « Tu as toujours pris ton temps » ; le reproche sonna avec trop d'affection pour paraître authentique.

Loki avança, leurs épaules se frôlèrent. « Uniquement pour te laisser une chance de briller. »

Ses lèvres s'étirèrent davantage, surtout à la vision de l'éclat malicieux luisant au cœur de ses prunelles enchantées. « Tu veux prendre les paris ?

- Tu seras le premier à quémander à l'aide. Mon frère » ajouta la langue espiègle avec beaucoup trop de tendresse pour ne pas être moqueuse.

Un fragment de seconde, ils se pressèrent côte à côte, comme pour partager leur présence.

Stand your ground

[Défends ton territoire]

The dawn will come

[L'aube viendra]

Thor accepta sans hésitation le pari.


Notes de l'auteur

Bonjour, bonjour ! De retour pour ce vingt-troisième chapitre qui, je l'espère, vous aura plu. La bataille finale a débuté ; je ne suis pas très à l'aise avec l'écriture des combats mais je vais faire de mon mieux pour satisfaire votre lecture. Beaucoup de choses à dire donc passons vite aux notes de fin !

Note 1 : Un rappel comme à chaque fois, Valaskjálf est le nom donné au manoir d'Odin dans la mythologie nordique, et Hlidskjalf est le nom de la salle du trône. Bilskirnir est la demeure de Thor, partagé ici avec Loki. Gungnir est le nom de la lance d'Odin.

Note 2 : Pour rester dans la mythologie nordique, Däg est la personnification divine du soleil qu'il tire à l'aide de son char. Lofn est quant à elle l'une des servantes de Frigga, mais aussi et surtout la Déesse des Amours perdus et illégitimes. On la surnommait « celle qui console ». Elle intervient notamment auprès d'Odin et de sa maîtresse qu'un mariage puisse se concrétiser même si cette union ne semblait pas possible au départ, voire interdite ou illicite. Le mot « permission » dérive ainsi de son prénom.

Note 3 : Afin d'appuyer justement sur ce côté amour interdit, j'ai pioché pas mal dans le langage des fleurs que l'on retrouve dans les cheveux de Lofn. Comme la lecture peut varier suivant les sources, voici celles que j'ai choisies pour la tresse de la jolie déesse. Symbole de renaissance et d'amour pur, le lys était porté en couronne par les époux gréco-romains pour célébrer leur mariage ; elle peut aussi incarner les amours secrets et impossibles. Le gardénia est un signe de confiance et de douceur qui peut traduire la joie, le respect ainsi que l'amour secret entre deux individus. Offerte, l'hellébore blanche signifie l'espérance d'une réponse favorable à une demande en mariage. La pivoine rose est pour un amour timide, tandis que la rouge évoque la protection de la personne aimée. La violette est pour l'amour timide et pudique, qui dit « je pense à vous » ou « je vous aime en secret ». La tulipe rouge, elle, est pour la passion et l'amour intense. Messager de tous les sentiments purs, naïfs ou délicats, le bleuet est pour l'amour inavoué, délicat et timide. Enfin, l'anémone évoque un amour fragile mais persévérant, comme « ne m'abandonne pas » ou « je voudrais être près de toi ».

Note 4 : Restons dans les significations avec les futharks, les runes nordiques. Représentée par un X, Gebo symbolise la générosité et les échanges, incarnant l'aspect de donner et recevoir l'amour. Représentée par un P, Wunjo est quant à elle la rune de la joie et de l'harmonie qui incarne le bonheur apporté par l'amour. Lorsqu'elles sont fusionnées, ces deux runes créent une rune de liaison qui symbolise une relation amoureuse harmonieuse et joyeuse fondée sur le don et la réception mutuels. Rune du soleil, Sowilo apporte la lumière sur le chemin sombre et symbolise l'accomplissement d'une étape importante, une victoire et/ou une étape à franchir. Tiwaz enfin, en tant que rune de Tyr, Dieu de la Guerre, de l'Ordre et de la Justice, était utilisée pour gagner en endurance et remporter la bataille.

Note 5 : Passons aux références. Pour commencer, toute la conversation entre Thor et Surtur est fortement inspirée de leurs échanges dans Thor 3, notamment avec « Surtur, fils de… personne en fait », ou « C'est une couronne, ça ? Je pensais que c'était un mono-sourcil », ou encore « Parc'que c'est ce que font les héros ».

Note 6 : « Pour toujours. – À jamais » est la devise du TVA dans la série Loki. Alioth est un personnage de la saison 1, qui ressemble à un reptile composé de nuages sombres, un peu comme décrit dans ce chapitre pour notre Alioth. Quand Loki se sent comme « traîné dans le flux temporel », ça vient d'ailleurs de la saison 2, de même que « Je l'serais à jamais, on n'se refait pas » et « Il n'y a pas d'heures pour les braves ».

Note 7 : Enfin, « Tu as un plan d'attaque ? » « Un plan ? On attaque. » est une réplique d'Iron Man dans Avenger.

Note 8 : Crépuscule est chez Marvel le nom de l'épée ardente de Surtur ; il l'a notamment utilisé pour détruire Asgard dans l'accomplissement de la prophétie du Ragnarök.

Note 9 : La chanson proposée dans ce chapitre est The Dawn will come, tirée de Drago age Inquisitor et composée par Trevor Morris.

Un grand merci pour avoir lu ce chapitre et pour suivre cette histoire. À la revoyure !

Chu