Chapitre 24
Mjöllnir
Surtur se relevait déjà, avec difficulté. La colère irradiait de ses flammes, déformait ses traits. Loki décida que les vieux ouvrages ne rendaient pas hommage à son effroyable prestance, et nota dans un coin de son esprit de mettre à jour les archives une fois la victoire remportée. S'ils s'en sortaient.
À priori, son entrée en scène n'avait fait qu'accentuer l'animosité du souverain démoniaque – il avait toujours été plus doué que Thor pour user la patience d'autrui. Le bras tranché repoussait déjà depuis le moignon ; la glace qui persistait permettait de ralentir le processus mais, contrairement à la flamme brûlant au cœur de l'ennemi, elle ne serait pas éternelle. Et ils s'épuiseraient avant même de l'avoir fait vaciller. Leur meilleure option était-
« La tiare. » Le métamorphe tourna son regard en direction de son aîné.
Il était sacrément amoché. Sous le sang coagulé et la terre qui encrassaient son épiderme, les plaies se résorbaient déjà. Des côtes avaient été cassées, il le devinait à la manière dont se tenait le guerrier - légèrement penché pour leur permettre de se ressouder à la bonne place. Une cicatrice nouvelle s'étendait depuis sa joue droite, ricochait sur le bas de sa mâchoire, avant de s'étendre sur son épaule en avale, là où son armure avait volé en éclats. Il repéra aussi les brûlures, plus lentes à disparaître que les entailles ; il dût repousser avec force la vision onirique de son frère étalé sur les couleurs mourantes du Bifröst, préféra s'intéresser à l'aura d'Hela qui flottait autour des grondements internes de l'Ase. Le pouvoir des runes qu'elle avait tracé s'estompait. Thor n'en avait de toute manière jamais vraiment eut besoin sur le champ de bataille, car les futharks n'apportaient rien à sa nature d'élémentaire.
Le prince héritier tourna à son tour son attention vers lui. Des émotions multiples se mêlaient dans le bleu de ses yeux ; Loki fit le choix de ne pas les déchiffrer, si ce ne fut l'envie de vaincre – la seule dont ils avaient besoin pour l'heure. « La tiare » reprit alors son aîné, « elle est la source de son pouvoir. » Le Jötunn analysa ladite couronne, dont chaque pique les dépassait à présent en hauteur d'un bon demi-mètre. « Si nous parvenons à lui arracher, alors-
- Thor, tu as vu la taille de c'machin ?
- Une meilleure idée, mon cher frère ? »
Loki se mordit la lèvre inférieure, en quête de ladite meilleure idée. Sauf qu'ils n'avaient pas le temps de réfléchir, comme leur rappela le tremblement de terre à l'instant où l'ennemi acheva de retrouver son équilibre. Une idée, qu'importait. « Je pourrais essayer de la geler » - tout était dans le « essayer » - ; le seidr sifflait déjà au bout de ses doigts. « Tu n'auras ensuite qu'à frapper de toutes tes forces. Passe-moi Mjöllnir » ajouta-t-il en posant déjà sa paume contre l'acier fissuré. L'arme catalyseuse était vouée à se briser, mais peut-être pouvait-il lui offrir une fin plus glorieuse.
Des éclats verts grattèrent la surface abimée du marteau pour graver les traits de Thurisaz qui augmenterait sa résistance. En parallèle, il laissa une part de son charme asgardien s'effondrer et les runes claniques de sa véritable forme parcourir son épiderme, incertain sur la teinte à arborer. Isaz se dessina dans son esprit : un simple trait droit, essentiel pour coordonner les énergies de nature différente présentes en lui.
« J'aime bien » commenta une voix à son côté, une fois l'arme rendue à son propriétaire.
Le Dieu malicieux leva les yeux au ciel ; un sourire dansait sur ses lèvres. « Reste concentré » maugréa-t-il avec peine, car il était évident que son frère n'évoquait pas son plan, déjà acté comme excellent par sa jolie tête blonde. Ni même son marteau, avec lequel jouaient déjà ses phalanges.
Thor rit, de ce rire solaire capable d'éteindre l'obscurité, éternel éclat d'espoir dans cette nuit sans fin.
Ils s'autorisèrent dix secondes de répit supplémentaires, appuyés contre l'autre, l'attention verrouillée sur l'ennemi. Ils pouvaient – devaient - le faire. Pour le jour à naître, et tous ceux qui lui succèderaient.
Puis, comme un seul homme, ils se jetèrent dans la bataille.
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Hela foula enfin de ses bottes la surface diaprée du Bifröst, après ce qui lui avait paru être une éternité à combattre dans les ruelles étroites en périphérie de la capitale. Le groupe de guerriers qu'elle commandait tenait le rythme, galvanisés par les runes belliqueuses qui ornaient leurs plastrons et leur chair, mais il était évident qu'ils atteignaient leurs limites. Tout comme elle, elle devait le reconnaître. L'ennemi n'était pas redoutable, son nombre et son acharnement faisaient néanmoins sa force ; ils ne pourraient tenir la même cadence jusqu'au lever de Sól. S'il demeurait encore un horizon pour l'accueillir après ce cauchemar nocturne.
Une bonne nouvelle se présentait toutefois : les derniers civils venaient d'atteindre le bateau ; le départ serait imminent.
Perchée sur son fidèle destrier, la Valkyrie volait au-dessus des voiles pour éloigner les envahisseurs, de plus en plus gros, robustes et malveillant. L'imposant Vargr noir et l'alligator aérien – elle n'avait jamais rien vu de semblable – guettaient quant à eux sur et autour du pont arc-en-ciel pour permettre aux derniers habitants de rejoindre le vaisseau sans encombre. Un travail d'équipe rondement mené, comme si chacun savait ce qu'il devait faire, mais aussi ce qui devait être fait par les autres. Hela se rappela alors : son cadet était fin stratège, il ne se serait jamais encombré d'amateurs pour mener à bien une mission. Thor lui-même finissait toujours par l'écouter – une prouesse ! - et à agir en prenant ses mots pour directives.
D'un mouvement précis du poignet, l'enchanteresse enfonça l'une de ses lames jusqu'à la garde dans le dos d'un démon quadrupède hideux. « Heimdall ! » appela-t-elle au travers des cendres dispersées par le vent.
« Je sais » répondit aussitôt le timbre grave du gardien au creux de son oreille. « Mais nous ne pourrons prendre le Bifröst pour l'évacuation, au risque de le voir se déchirer.
- Parce que la situation pourrait être pire ? »
L'absence de réponse fut suffisante pour lui glacer le sang dans les artères.
Elle utilisa cette peur soudaine contre son prochain adversaire, mélange de lézard et de bœuf magmatique. « Alors quoi ? » Elle roula sur le côté pour éviter un coup de cornes, avant d'user de ses deux épées pour trancher les pattes avant du monstre. De l'ichor ébène constella ses joues, brûla celle encore charnelle ; la souffrance soudaine donna de la force à sa voix : « Nous ne tiendrons pas indéfiniment ! » Son seidr gicla de ses doigts pour créer un mur invisible qui repoussa son prochain attaquant vers le précipice.
« Le Bifröst est relié aux autres Royaumes » expliqua le gardien, « ce qui n'est pas le cas du Tesseract.
- Loki » elle devina sans peine. L'artefact avait été volé des décennies plus tôt, lorsque le Jötunn, condamné à mort, avait fui sa sentence. Une fuite organisée de toutes pièces par Thor, tout comme le vol du cube cosmique dont le cœur pendait à présent autour du cou du plus jeune.
Par automatisme, ses prunelles se tournèrent vers l'immense silhouette enflammée qui évoluait au loin, à proximité des montagnes abritant Bilskirnir. Surtur. Une boule gonfla dans sa gorge. Ses frères. Une pensée difficile à envisager, car douloureusement familière. « Laissez-moi venir avec vous. » Elle était l'aînée de l'adelphie, si inutile dans son rôle de grande sœur.
« Il sait ce qu'il fait » poursuivit l'Ase aux yeux d'or. Sa voix ne trahissait aucune once de doute, car Heimdall avait toujours fait partie des rares personnes qui avaient su voir au-delà des préjugés – le prince intelligent au-delà du monstre bleu ; la bouche pleine de questions et les oreilles toujours prêtes à entendre les nombreuses histoires contemplées par les iris omniscients. Durant des siècles de servitude, à protéger le Bifröst et les Neuf royaumes qu'il reliait, le gardien n'avait jamais désobéi, ni même menti à son souverain. Si ce ne fut pour réparer un tort de ce dernier. « Mon prince, êtes-vous sûr ? » Un allié de taille. « Tenons, encore un peu. »
Son attention glissa vers la marée sombre et mouvante qui s'approchait avec dangerosité des moirures du pont. « Encore un peu » elle répéta à voix haute. Ses doigts firent danser le manche de ses épées ; l'acier chanta, prêt à reprendre la découpe des corps calcinés. Encore un peu ; Loki savait ce qu'il faisait.
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La glace se répandait au travers de ses doigts cérulés, l'essence Jötunn renforcée par la rune que psalmodiaient les sifflements de seidr : « Isaz. Isaz. » Les cristaux de gel s'enfonçaient en profondeur dans l'épiderme magmatique, telles une infinité de fines aiguilles qui explosaient une fois pénétrées. Son pouvoir permettait ainsi de créer des brèches dans l'armure démoniaque, sur lesquelles Thor venait ensuite frapper de toutes ses forces. Leur travail d'équipe était parfait ; aussi parfait qu'autrefois, où ils partageaient le même champ de bataille pour préserver la paix des Neuf Royaumes. Deux siècles de séparation n'y avaient rien changé, ni la rancune, ni les regrets. « Jamais sans toi », complémentaires jusque dans la destruction. « Asgard n'est pas prêt à une telle catastrophe » ; il était temps pour cette branche de le devenir.
Un duo dont l'efficacité nourrissait goulûment l'irritation – si ce ne fut la haine – de Surtur. La cadence de ses coups avait encore augmenté ; les mouvements de son épée créaient des lames d'air ardentes, détruisaient les bâtiments alentour pour en faire des projectiles tranchants, fracassaient la terre pour la rendre instable, réduisaient peu à peu les lieux de sûreté pour les obliger au mouvement perpétuel.
Il fallait alors prendre des risques ; le Bifröst était encore loin, la vision – s'il s'en référait à l'hypothèse de Mobius - avec.
L'organisme gorgé de magie, Loki changea de forme en un battement de cils. Ses ailes noires aux reflets cobalt le portèrent plus haut, plus proche. Il virevolta autour de l'acier enflammé et des doigts qui tentèrent de l'attraper, assisté par les éclairs fraternels qui foudroyaient le colosse sans ménagement. La couronne, son objectif ; il se focalisa dessus. Arrivé à sa hauteur, il abandonna ses plumes pour retrouver l'usage de ses mains et convia une dague givrée le long de son avant-bras droit pour l'enfoncer à la base du front cintré.
Le hurlement de douleur qui en résulta fit trembler la moindre fibre de son existence.
Non, son corps tout entier fut secoué, malmené par les gesticulations du géant qui l'obligèrent à enrouler son bras libre autour de l'excroissance royale la plus proche afin de se maintenir. La Flamme Éternelle lui fit aussitôt regretter ce geste en brûlant sa chair en profondeur ; il serra les dents et lutta contre l'instinct de lâcher prise. Avant qu'une autre douleur, plus vive, ne remonte le long de ses muscles gelés encore enfoncés ; un craquement d'os agressa ses oreilles, bien moins que son prénom hurlé par les lèvres de son aîné.
Mjöllnir gronda sous ses pieds, venu en renfort pour chasser les griffes essayant de le déloger. Ce fut alors au tour du ciel de trembler ; un avertissement au bord de l'éclatement. Il tenta de l'ignorer, de se reconcentrer sur sa tâche. « Isaz ! » convia-t-il avec force. Les éclats de seidr virèrent vers un turquoise presque blanc et entrèrent en résonance avec les molécules de son organisme. Il en satura ses récepteurs pour atténuer la sensation, convia l'adrénaline à maintenir son emprise sur ses nerfs. Le Bifröst était loin ; l'échec aussi.
« Loki ! » appela de nouveau l'Ase blond. La colère et l'angoisse assombrissaient son timbre. L'idiot.
« La couronne ! » lui cria-t-il en retour, dans un souffle qu'il ne se souvenait pas lui manquer. Il ne sentait plus son bras gauche, mais cela n'avait pas d'importance. La tiare, leur objectif, la seule chose qui comptait pour l'heure. Sa glace parvenait à restreindre l'emprise de la Flamme Éternelle, à enrober la base de l'ornement démoniaque pour fragiliser le magma. Mais il ne pourrait tenir ; il fallait juste que son frère se décide. « Thor ! »
La seconde d'après, une silhouette drapée de rouge apparut à la périphérie de son champ oculaire. La foudre gronda, martela ses tympans avec dangerosité. Le monde blanchissait, dévoré par une énergie de plus en plus instable, suffisante pour détruire les fondations de Bilskirnir, fendre les chaînes de montagnes alentours. Les tuer tous les trois.
Néanmoins, il ne fallait pas oublier la fiabilité éternelle de Mjöllnir qui, tel un paratonnerre, concentra toute cette masse d'électron en son cœur. Cœur sur le point de se rompre, mais qui ne partirait pas seul.
Thor lui hurla quelque chose ; le monde était bien trop bruyant pour qu'il le comprenne. Loki se fia alors aux mouvements de son aîné, devina leurs trajectoires, et lâcha prise pile à l'instant où les premiers éclairs léchèrent le haut de ses joues. Dans sa chute, il croisa les orbes furieux de Surtur, perçut la souffrance prévisionnelle du souverain démoniaque, la courbure de ses lèvres effacées, l'ardeur de la Flamme Éternelle, prête à encaisser.
Il devait s'éloigner.
Loki appela à lui sa forme aérienne. La métamorphose leva néanmoins la répression de ses récepteurs, et la douleur revint en une vague intense. Ses sens s'affolèrent ; serrer des dents ne servait plus. Battre des ailes, pour au moins s'éloigner. Un peu, suffisamment.
Pas assez rapide.
L'onde de choc, créée par la combinaison entre le feu, la glace et la foudre, le propulsa vers l'avant. Son équilibre fut déstructuré, le monde tangua dangereusement dans des orientations impensables. Ses plumes se résorbèrent. Son seidr siffla d'impuissance. Par instinct, il fit la seule chose que son organisme lui autorisa dans ce désordre : il ferma les yeux.
Il y eut des hurlements, des tremblements, des grondements. Des éclats douloureux lorsqu'il percuta enfin une destination, une surface robuste qui le stoppa dans sa course, tout comme l'air dans ses poumons. Ses oreilles bourdonnaient, sourdes de tout autre chose que le sifflement aigu engendré par le choc. Il avait mal, mais ce détail n'avait aucune importance. Le Bifröst était loin, mais il ne pouvait que craindre. Il avait besoin de sa vision, de savoir. Ses ongles s'enfoncèrent dans la surface dure et irrégulière derrière lui. Ses doigts gelèrent aussitôt les crevasses de l'écorce – écorce, un arbre. Dans son esprit, la forme si simple d'Isaz était vacillante ; elle lui donnait le vertige. Il ne sentait plus son bras gauche, un feu violent avait pris la place de ses sensations. Son poignet droit craquait à mesure que les os tentaient de se remettre à la bonne place. Ses jambes se montrèrent instables lorsqu'il tenta de se redresser dessus – sur un champ de bataille, il valait mieux se tenir debout ; la position allongée attendrait son dernier souffle. La vision manquait encore. L'odeur de cendre et de soufre imbibait ses narines. Thor. Le Bifröst était loin ; ses cristallins étaient trop secs pour verser la moindre larme. Thor. La couronne. La douleur. Il manqua de se prendre les pieds dans une racine protubérante, avant que des bras viennent encercler son corps. Chauds, familiers. « Thor. » Le prénom quitta ses lèvres, à peine murmuré par ses cordes vocales enrayées – avait-il crié ?
L'étreinte se resserra, accentua la souffrance de plaies dont il ignorait l'existence, son esprit entièrement tourné vers celle de son bras gauche. Il avait besoin de voir, de le voir. Il allait forcément bien, le Bifröst…
Sa main droite remonta le long de courbes musculeuses, avant d'être interceptée par une plus large et caleuse pour la presser contre un angle rugueux. La forme d'une mâchoire. Il avait besoin de voir. « Attends. » Il obéit. Un souffle vint chatouiller le bord de ses cils, comme pour stimuler les ailes d'un papillon afin de l'aider à s'envoler. Il sentit des particules gratter la surface de ses yeux desséchés, le liquide lacrymal reprendre ses droits ; ses paupières acceptèrent enfin de bouger.
Lorsqu'il les ouvrit, à peine, le monde était sombre et granuleux. Il n'y avait de toute manière pas grand-chose à observer, si ce n'était les écailles parfaitement dessinées d'une armure en acier. Un torse, sous l'épiderme duquel bâtait encore un cœur. Droit, debout, qui se soulevait de manière régulière. Le Bifröst n'était pas encore là.
Loki battit plusieurs fois des paupières ; sa vision s'améliora après chaque instant de noirceur. Enfin rassuré – il voyait -, il laissa échapper un long soupir en venant presser son front à la jointure du cou offert. Il y avait des traces de brûlure sur l'épiderme, du sang et de la boue séchée. L'odeur solaire était masquée par celle des éclairs qui venaient de percuter Asgard. Un fragment de seconde, le sorcier rêva alors d'un lit dans lequel se prélassait, celui-là même que son frère avait quitté en pleine nuit pour partir en chasse, avant de ne jamais revenir, et l'obliger – lui - à faire de même.
Mais il savait, devinait sans peine. « Ce n'est pas encore fini. » La vision n'était pas encore accomplie ; son frère le serrait avec beaucoup trop de force pour ne pas trahir son inquiétude.
« Loki, nous devons trouver Eir.
- Elle doit être avec les civils. » Il l'espérait profondément. « Nous n'avons pas besoin.
- Mais, ton bras !
- Je sais. » Il grimaça en tentant de se redresser. « Ce n'est pas très esthétique, je suppose. Peu importe » rajouta-t-il en pressentant les prochains mots de son frère. « Il y a plus urgent. »
Son regard se détacha enfin pour analyser les environs. Il y avait… rien ; en absence des flammes de Surtur, l'obscurité avait repris ses droits, plongeant dans le noir le terrain d'entrainement qu'il devinait sans peine ravagé par l'onde de choc. Un silence de mort régnait sur les lieux, trop tranquille ; il parvenait même à percevoir les battements cardiaques de son aîné.
« Ce n'est pas encore fini » répéta son frère, un soupir retenu au bord de ses lèvres. Ses larges doigts s'intercalèrent entre ses phalanges contre la joue barbue. Loki détourna alors son attention pour l'offrir à l'Ase, et sentit son propre organe sanguin se figer dans sa poitrine.
Thor – cette image. Les pointes de ses mèches avaient commencé à roussir, réduites de plusieurs centimètres pour certaines. De nouvelles entailles s'étaient ajoutées au portrait ; un portrait trop proche de celui qu'il fuyait depuis si longtemps. « Le Bifröst, votre frère, et vous. »
Le bleu de ses iris s'était éclairci, dévoré par la blancheur du pouvoir électrique qui surfait encore à sa surface. « Il va revenir. La couronne n'était qu'un leurre. » Son soupir lui échappa finalement ; Loki décida qu'il n'aimait pas l'expression qui se peignait sur les traits du blond. La joie lui allait mieux, beaucoup mieux.
Il tenta alors : « Tu n'auras qu'à l'attaquer à nouveau avec ta foudre. »
Un rire chaud, douloureux à entendre, résonna entre eux. « J'viens d'l'attaquer avec le plus grand éclair de l'histoire des éclairs, sans résultat. La Flamme Éternelle poursuit de brûler. » Et tant qu'elle poursuivrait de brûler, Surtur pourrait revenir. Oui, comme il l'avait déjà fait, deux fois au moins.
Sa glace seule ne serait jamais suffisante.
Comme pour répondre à leur hypothèse, un grondement fit trembler la terre sous leurs pieds. Une impression de déjà vue, qui broya ses entrailles d'appréhension. Une boucle sans fin, un cauchemar voué à se répéter. Ils ne pouvaient pas stopper le Ragnarök. Et plus ils attendaient, engouffrés dans ce cycle désastreux, plus le pouvoir de l'ennemi se renforçait – Loki avait noté sa puissance supérieure à celle qu'il avait exposée lors de leur précédente rencontre, sa taille de plus en plus croissante à mesure qu'ils lui assignaient des coups. La fin ne pouvait être évitée, seulement freinée inutilement. « Tant que ces trois éléments ne sont pas réunis, la bataille ne sera pas finie. » Thor avait le droit de savoir.
C'est alors qu'un hurlement long et aigu déchira le silence grondant. Fenrir. Aussitôt, le métamorphe fouilla les alentours en quête de son compagnon.
Sa silhouette se détacha avec difficulté de la pénombre. Debout sur ses quatre pattes à nouveau fonctionnelles, il apportait avec lui une odeur d'ichor et de corps calcinés - sans doute l'effluve des monstres qu'il avait croisé en chemin. « Père » couina-t-il en venant se frotter contre ses mollets, puis renifler son bras gauche qui pendait lamentablement contre son flanc. « Blessure. Douleur. Aide. »
« Ce n'est rien » ; le métamorphe obligea un sourire dans sa voix pour ne pas inquiéter le Vargr ; sans succès.
Heureusement, celui-ci ne s'attarda pas plus longtemps dessus, conscient de la mission qui lui avait été assignée : « Bruit. Séparés. Bateau. Prêt. »
« Le bateau est prêt à partir » résuma Thor. Dans un coin de son esprit, le Jotünn sentit son cœur se serrer ; peu de personnes parvenaient à déchiffrer les paroles muettes de Fenrir.
Cependant, l'urgence de la situation se fit plus forte. « Je dois les rejoindre ; Heimdall ne pourra pas ouvrir le Bifröst, au risque de créer des ouvertures vers les autres royaumes. » Pour éviter de répandre la gale sur un arbre, il suffisait de couper la branche atteinte avant qu'elle ne contamine les autres. Ils étaient coupés du reste des mondes. La Pierre de l'Espace, elle, électron libre autour d'Yggdrasil, non. Il la sentit pulser contre son sternum, comme pressentant les attentes qui allaient bientôt reposer sur son éclat.
Thor approuva d'un hochement de tête. « Je m'occupe de retenir notre invité désobligeant.
- Quoi ? » déclara le sorcier en plongeant son regard dans le sien. « Non.
- Loki, tu l'as toi-même dit, je n'aurais qu'à l'attaquer à nouveau avec ma foudre.
- Sans succès. »
Son aîné afficha un sourire. « Il n'est pas question ici de victoire ou de défaite ; nous devons juste gagner du temps. » Il pressa son front contre le sien. « Temps que nous sommes en train de perdre à force de débattre. Écoute » souffla-t-il face à son regard qu'il devinait plein de refus – car il ne pouvait pas juste l'abandonner derrière lui, pas avec ce qu'il savait. Thor lâcha sa main pour venir placer la sienne au bas de son dos avec l'autre, présente depuis le début pour lui apporter le soutien nécessaire. « Loki, nous n'avons pas besoin de mettre un terme au Ragnarök ; Surtur avait raison, nous ne pouvons plus l'arrêter. Mais rien ne nous empêche de choisir la fin que nous voulons lui offrir. »
« Il n'y a pas de choix » il voulut lui réponde. Il sentit ses iris s'humidifier, chasser les derniers grains de poussière causés par sa chute. Le nœud commençait à se défaire ; il ne pouvait plus l'arrêter. « Laissez le nœud se dérouler. » Il avait peur.
Et lorsqu'il avait peur, la colère était toujours l'émotion la plus facile à gérer. « Et ensuite ? » Elle lui brûla la langue. Lui donna envie de frapper ce visage, d'enfoncer ses ongles dans la chair de ses joues pour lui remettre les idées en place - Thor serait roi ; comment le serait-il mort ?! « Réduire les choses en cendres, c'est facile. Fuir, c'est facile. » Non, cela ne l'avait jamais été depuis que son frère l'avait supplié de quitter Asgard.
Deux siècles. « Essayer de réparer ce qui menace de s'effondrer, c'est difficile. »
« Ensuite ? » L'Ase frotta son nez contre le sien. « J'ai beaucoup d'idées pour la suite. À commencer par contempler ce lever de soleil promis. »
« Garder espoir, c'est difficile. » L'espoir ; il le gouta sur le bord des lèvres souriantes. Un baiser désespéré, chaotique, nécessaire pour poursuivre. Sceller cette promesse – sa promesse, car Thor ne tenait jamais les siennes. Encore une seconde, puisque l'éternité ne leur était plus assurée. Trop de temps perdu à fuir, trop de temps usé à réfléchir.
Du temps.
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Le portail se referma derrière lui pour ne laisser que le pont du bateau comme décor environnant. Des soldats et des civils armés s'amoncelaient de la proue à la poupe. Mobius se tenait face à lui, les mains posées sur le gouvernail ; la pierre bleue à sa boutonnière luisait du dernier éclat d'énergie qui avait permis à son maître de se téléporter aux bonnes coordonnées. « Nous sommes prêts » déclara l'intendant en guise de salutation, avant que son regard ne glisse le long de son bras gauche et qu'il ne fasse remarquer : « Vous êtes blessé.
- Plus tard », Loki chassa son inquiétude d'un mouvement vague de sa main saine. « D'abord le Revenger. Nous allons avoir besoin d'Alioth pour faire bouger ce navire. Où est-il ? »
Du menton, l'Alfe l'invita à se retourner, ce qu'il fit. Pour contempler l'alligator céleste refermer d'un claquement sonore sa mâchoire autour d'un démon d'une dizaine de mètres de long. Il était incroyable, parfait dans cette forme qui le rebutait depuis son enfance. « Je n'suis qu'un monstre » n'avait eu de cesse de répéter sa version plus jeune. « Pourquoi je n'suis pas comme Sig ? » Une souffrance interne qui s'était directement connectée avec sa propre expérience – le monstre sous le lit. Des décennies qu'ils tentaient d'affronter ces démons irréels ensemble ; la perte de sa cadette n'avait fait qu'assombrir le cœur du jeune garçon. Enchaîné à ce passé, plus totalement libre.
Sa petite alouette, comme l'appelait autrefois Sigyn.
Loki laissa une gerbe de seidr s'échapper de ses doigts pour venir éclater dans le noir céleste, et attirer sur eux l'attention des deux orbes incendiaires. Les voiles étaient déjà déployées, prêtes à accueillir le vent favorable à leur départ. Un vent qui les enveloppa bientôt ; Alioth les enclava dans son corps brumeux. Autour d'eux, les hommes s'activèrent pour tendre les cordages et empêcher les voiles de se décrocher. De son côté, le sorcier s'aventura jusqu'à la proue du Revenger, sa main agrippée à son précieux pendentif – il n'avait jamais quitté son cou plus longtemps qu'une seule nuit. Il devait trouver la bonne destination. En deux siècles de fugue, il n'avait que très peu utilisé le Tesseract pour ses déplacements ; aussi, il ne maîtrisait pas l'artefact avec autant d'aisance qu'il aurait souhaitée en avoir dans cette situation – à savoir, le sort de toute une nation sur ses épaules. Mais il n'avait pas peur, car il n'avait plus le temps pour.
Il se mit donc en quête d'un signal différent, pendu autour d'un autre cou sur une branche voisine. Les habitants de Lamentis devaient s'attendre à les voir débarquer ; en se rendant sur Asgard, ils s'étaient préparés au pire avec l'éveil de Surtur. Il n'aurait qu'à déposer la cargaison vivante, puis revenir aider Thor pour trouver une solution.
Le signal trouvé, Loki insuffla de son énergie dans la pierre pour dessiner un portail face à lui - face à eux. Alioth fit ensuite le reste pour les faire voguer jusqu'aux vagues qui dansaient avec lenteur de l'autre côté.
Il n'aurait ensuite plus qu'à revenir.
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« Tâche de ne pas mourir, ou je peux t'assurer que tu regretteras les flammes de Surtur.
- Moi aussi je t'aime, mon frère. »
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Thor inspira avec lenteur, le goût de Loki encore présent contre sa langue. Le manche de Mjöllnir, et ce qui restait de sa regrettée masse, pendait à sa ceinture. L'énergie électrique parcourait la surface de son épiderme sous forme de pulsations paresseuses, en attente d'être convoquée. L'éveil du seigneur démoniaque était lent, imprévisible ; il devait rester sur ses gardes. Il n'avait pas besoin de le vaincre, devait juste gagner le temps nécessaire pour permettre au Revenger, porteur de l'avenir d'Asgard, de s'échapper.
Il n'avait pas besoin de gagner, seulement de survivre. Ou son frère, rancunier et têtu, refuserait assurément de lui octroyer sa main.
Ce qui n'était pas envisageable, car il avait travaillé beaucoup trop dur pour ce jour.
Un rire retentit soudain dans l'obscurité, comme pour se moquer de son dur labeur encore incertain d'être concrétisé. Il n'eut pas besoin de chercher d'où il provenait, car il résonnait tout autour de lui. Des amas de cendres voletaient des quatre coins du terrain détruit pour rejoindre un point lumineux en son centre. La Flamme Éternelle. Surtur.
« Pauvre fou » déclara le démon, omniscient.
Ses doigts cherchèrent par automatisme le toucher de Mjöllnir, avant qu'il ne se rappelle son état – inutilisable. Il serra donc le poing et concentra son énergie pour former une lame élémentaire. Sa forme était instable, tout comme son pouvoir en absence de son catalyseur. « Ce marteau ne te sert qu'à contrôler ton pouvoir. Le canaliser » n'avait eu de cesse de lui répéter son père durant son enfance. « Il n'est pas la source de ta force. »
« Tu crois pouvoir me vaincre, fils d'Odin.
- Oh, je n'ai pas cette prétention » il avoua en s'avançant vers l'amas de plus en plus formaté – une silhouette humanoïde voyait approximativement le jour. D'un geste précis, Thor lança la lame qui vola, tel un boomerang, pour trancher la gorge en train de se déployer, avant de retrouver sa poigne. Une attaque vaine, car une nouvelle masse magmatique bourgeonnait déjà au niveau de la coupe. Sa régénération avait encore progressé, devenue presque immédiate. Il allait devoir enchaîner les coups.
« Tu ne peux arrêter le Ragnarök. » Thor arriva à proximité de l'ennemi. Ça aussi, il n'en avait plus la prétention. Il trancha sans inquiétude un poing propulsé dans sa direction, avant de devoir esquiver un nouveau coup, porté par les phalanges aussitôt venues remplacer le membre perdu.
Presque immédiate ; le premier mot perdait de son sens à chaque seconde. Tant que la Flamme Éternelle brûlerait, Surtur vivrait. Il fallait l'éteindre ; comment ? Il n'avait pas le droit aux doutes ; ils affaiblissaient l'esprit, et donc le corps. Il ne devait pas réfléchir, cela ne lui réussissait jamais. Il était le Champion d'Asgard, le futur roi. Avec force, il abattit son poing sur le sol ; l'onde de choc générée faucha l'équilibre du démon qui s'écroula vers l'arrière, avant de se remodeler par automatisme. Épuisant ; le repos attendrait son dernier souffle.
« Tâche de ne pas mourir » le sermonna à nouveau le souvenir de son frère, qu'il avait dû lâcher. Laisser partir, une nouvelle fois. Le bras blessé. Les yeux humides d'une faiblesse qu'il se refusait à lui avouer. De même que le poids qui pesait sur ses épaules depuis trop longtemps.
« Des rêves prémonitoires ? Je pensais qu'il tenterait de vous le cacher. » Il avait tenté. Depuis toujours.
« Tu brûles. » N'avait-il déjà pas brûlé ?
« Ta fin est proche, enfant Dieu » déclara Surtur au travers de sa bouche qui reprenait peu à peu forme.
La lame se remodela en un marteau entre ses doigts. « Peut-être. » Sans la moindre once de pitié, Thor cogna la masse de toutes ses forces contre la joue adverse qui se brisa et emporta le reste de la tête au loin avec elle. Il donna ensuite un coup de talon dans le tronc décapité, qui fut propulsé et explosa contre un amas de roches. « Mais il me reste encore quelques pages à tourner. »
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Aidée par ses hommes, la princesse Hela refermait les hautes portes d'Himinbjorg sur les envahisseurs qui s'agglutinaient derrière. Le cœur du Bifröst devait être protégé, son gardien était prêt à tomber pour défendre ses moirures spatiales.
« Heimdall » l'appela la demi-Vanir en grimpant les marches qui menaient à la boussole centrale de la bâtisse, devant laquelle il se tenait, mains jointes sur son épée pour lui insuffler son énergie. Celle du Père de toutes choses n'était plus qu'un fil étiolé, qui menaçait de se rompre à chaque instant. Son sommeil était proche. S'il tombait, le prince Thor serait leur dernier rempart pour protéger la cité. Mais jusqu'à quand ?
Toujours cette même question.
Ses yeux glissèrent le long d'une branche parallèle. Midgard venait d'accueillir la jeunesse de leur peuple. Une bonne nouvelle dans ce désordre funeste. Un gain de temps supplémentaire, mais voué à devenir inutile. Car le seigneur Surtur ne se contenterait pas d'un seul royaume à détruire.
La Valkyrie s'avança près de la première née d'Odin pour lui adresser des paroles ; l'attention d'Heimdall se porta sur tout autre chose. Une autre branche ; un sourire figé, patient, dont il ne parvenait pas à déterminer les intentions. Un pouvoir puissant somnolait entre des doigts acérés. Prêt à détruire, mais dans quel camp ?
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« » Une voix grésillait dans son esprit.
Ses bottes soulevèrent un épais manteau de poussière lorsqu'il prit appui dessus pour freiner. Les coups avaient repris en intensité, en célérité, et surtout en force. Sans la glace de Loki pour fragiliser l'armure magmatique, ses éclairs redevenaient progressivement aussi inoffensifs que des aiguilles lancées sur du cuir. Il n'abandonnait pas pour autant ; tant que ses poings pouvaient frapper, il assommerait la silhouette de plus en plus grande de son ennemi.
« Prince » retenta la voix. Thor fronça les sourcils, en quête des mots manquants. « Mon prince ? »
Il roula sur le côté pour échapper à un bloc de granit enflammé.
Heimdall, devina-t-il, se focalisant sur cette découverte pour oublier un temps la douleur provoquée par l'éclat rocheux qui s'enfonça dans sa cuisse. « Parle » siffla-t-il entre ses dents serrées. Le sang s'agglutinait sous son pantalon, perlait à grosse goutte le long de son mollet. La plaie se résorbait néanmoins déjà ; il ne devait pas s'arrêter pour si peu. « Parle » répéta-t-il plus fort, pour être certain d'avoir été entendu à son tour.
« Les ondes d'énergie perturbent le lien. » Le gardien s'exprimait le plus distinctement possible, avec des phrases courtes, comme pour lutter contre les coupures.
Thor tira sur le tissu de son pantalon pour éviter qu'il ne colle à son épiderme poissé d'hémoglobine. « C'est bien dommage, parc'que c'est p'têtre la chose qui lui fait le plus d'effet. » Il laissa ladite énergie foudroyante s'accumuler dans ses veines ; les petites attaques n'avaient plus aucun effet, seules les plus énergivores permettaient encore de ralentir l'ascension du seigneur démoniaque. « Annonce-moi une bonne nouvelle » supplia-t-il presque, désabusé par la forme qui dépassait à présent les vingt mètres de haut. Encore un peu et il pourrait le frapper pour réduire ses derniers efforts.
« Le bateau vient de partir. » La bonne nouvelle réclaméee. Les rebords de sa vision blanchirent ; le marteau élémentaire gagna en poids entre ses doigts. « Pouvez-vous encore tenir ? »
Un sourire dévora ses lèvres. « Comme tu peux l'voir » ; le marteau devint immense, avant de s'abattre sans pitié sur l'ennemi en reconstruction qui explosa sous le choc, « je pète le feu. Littéralement » ajouta-t-il avec ironie, car cela l'avait toujours aidé à affronter les champs de bataille les plus difficiles. Pour le plus grand déplaisir de Balder, toujours trop sérieux lorsqu'il enfilait son casque.
Il s'imagina l'amusement timide sur les lèvres de son vieil ami, habitué depuis le temps. Avant de percevoir le doute dans le silence de ce qu'il retenait au bord de ses lèvres.
Thor devina sans peine. « Que vois-tu d'autres ? » demanda-t-il aussitôt, avant de rouler sur le côté pour échapper à un projectile de feu – risible, mais les brûlures étaient plus longues à cicatriser que les simples plaies.
« De la visite.
- Encore ? » Il roula à nouveau, manqua de se prendre un mur par miracle encore debout. « Hostile ou bienveillante ? » La deuxième option était peu probable mais, comme disait les anciens, l'espoir faisait vivre. Et si, de toute son existence, les Norrnes acceptaient de se montrer clémentes une seule fois avec lui, il était prêt à jouer cette carte maintenant.
« Ce serait plutôt à vous de me le dire. Mon prince. » Il y avait comme de la suspicion dans son ton. Heimdall n'avait jamais douté de lui ; elle ne pouvait qu'être de nature taquine.
Le seigneur de Muspelheim rugit ; la terre trembla. Heimdall se montrait taquin : la fin du monde était indéniablement proche.
« Ont-ils l'air sympathique ? » demanda-t-il en concentrant sa force dans son poing pour l'abattre dans la pliure du genou adverse. Une fois de plus, Surtur perdit l'équilibre. Dans son esprit, il s'imagina le lever de sourcils au-dessus des iris d'or car, s'il devinait juste sur l'identité de ces fameux invités, l'adjectif « sympathique » ne serait sans doute pas le plus approprié pour les désigner.
Heimdall devina sa pensée, bien plus rapidement qu'il ne parvint à élaborer cette dernière en silence : « Mon prince, si nous ouvrons le Bifröst, nous ne pourrons plus contenir le Ragnarök.
- Je le sais, mon ami, mais... » Sous ses yeux, le géant igné se redressait, grandissait, s'enflammait de colère. Un cycle perpétuel - « Tu ne peux arrêter le Ragnarök. » - voué à l'échec. « Nous ne tiendrons pas indéfiniment. » Un rire amer lui échappa. Le secret de Loki, ce qu'il avait refusé de lui dire ; son plus beau mensonge. Car son frère savait - « Tu brûles. » - ils ne pouvaient pas arrêter le Ragnarök. Pas seuls du moins. « Nous avons besoin- » Il se figea, la bouche entrouverte ; une idée venait de vibrer le long de ses neurones. Insensée, risqué et stupide ; tout ce qui le définissait. « D'aide. » Ses lèvres entonnèrent un second rire, plus tendre.
Insensée, oui. Risqué, pour sûr. Stupide, totalement.
Dans un rugissement de colère, Surtur abattit ses avant-bras sur la terre qui se fendit sur plusieurs kilomètres. L'Ase sauta pour éviter le torrent de lave qui se déversa dans la crevasse formée. Avant de contempler, avec un calme qui frôlait le déni, les formes qui se détachèrent progressivement du lit enflammé pour enfoncer leurs phalanges disloquées dans la paroi de la fosse. Une déchirure dans la barrière, trop violente pour être contenue.
Celle de trop.
« Heimdall », il engendra un nouveau marteau élémentaire dans son poing droit, « ouvre le Bifröst. » Un cycle sans fin.
À moins qu'ils ne décident de celle qu'ils souhaitaient écrire.
« Et contacte mon frère. »
Notes de l'auteur
Bonjour tout le monde ! Le vingt-quatrième chapitre est enfin disponible. Riche en péripéties, j'espère qu'il aura su vous satisfaire, ou au moins vous divertir. À petits pas, nous approchons de la fin de cette histoire, ce qui me réjouit autant que cela m'attriste. Bref, passons aux notes, peu nombreuses pour une fois.
Note 1 : Les futharks désignent l'alphabet runique autrefois utilisé notamment par les Vikings. Thurisaz, l'épine, est la rune du géant (homme fort) mais aussi celle associée à Thor et à son arme de prédilection, Mjöllnir. Elle représente ainsi la force, l'énergie, le courage et la résistance ; ce qui en fait une rune de protection au combat, qui permet de gagner dans presque n'importe quelle situation. Isaz, la glace, est quant à elle une rune qui représente la résistance statique pour bloquer ce qui est en mouvement ; arborant une forme de barre verticale, elle permet de se refocaliser sur sa personne (comme Loki ici lorsqu'il tente de fusionner ses deux natures).
Note 2 : Restons dans la mythologie nordique avec les classiques manoirs : Bilskirnir désigne la demeure de Thor – et des enfants d'Odin en général pour cette histoire – et Himinbjorg correspond au manoir d'Heimdall, situé au bout du Bifröst. Sól, rapidement cité, est quant à lui le dieu personnifiant le soleil dans les légendes.
Note 3 : Plusieurs références à Thor 3 se sont glissés dans ce chapitre ; le combat contre Surtur est en lui-même beaucoup inspiré par la bataille de Thor et Loki contre Hela à la fin du film. Il y a par exemple l'excellente réplique de Thor lorsqu'il répond à son frère « J'viens d'l'attaquer avec le plus grand éclair de l'histoire des éclairs, sans résultat. » On retrouve aussi l'histoire du marteau, et le fameux « Loki, nous n'avons pas besoin de mettre un terme au Ragnarök… »
Un grand merci pour avoir lu et pour suivre cette histoire. À la revoyure !
Chu
