Note de l'auteur : Suite du combat et fin de cette nuit effrayante.

Je m'excuse du temps que j'ai mis à écrite ce chapitre à nouveau, mais pour ma défense, il fait 17-18 pages en police 11…

Désolée pour les fautes que vous trouverez, mais j'ai dû le relire une 30taine de fois et je n'en peux plus. Je passerais dessus une prochaine fois.

Ne me punissez pas et dites-moi ce que vous en pensez.
Les critiques sont les bienvenues.

Je voulais remercier toutes les personnes qui m'ont encouragé pour finir ce chapitre, sans jamais me presser mais toujours en insistant sur l'envie qu'elles avaient de lire la suite.
Merci merci merci !

Enjoy !


Grell paraissait surpris, hébété, devant une attaque si faible, mais pour le moins inattendue.

Son sang cramoisi qui s'étendait lentement dans le dos de son manteau tachait le tissu rouge précieux. Dans sa douleur sourde, il avait lâché la faux qui s'englua dans le sol boueux.

Fou de rage, il repoussa son agresseur d'un violent coup de pied, arrachant de sa propre plaie les ciseaux ensanglantés que l'écrivain emporta dans sa chute.

« Comment oses-tu, comment oses-tu porter la main sur un dieu de la mort ! rugit-il en levant une main gantée menaçante vers Arthur.

Le jeune homme, à genoux, ne tenta pas de fuir.

Quelle chance restait-il devant la puissance d'un divin quand celui-ci s'apprête à porter sur vous le coup fatal ?

Il ne tremblait pas; car la peur l'avait quitté depuis longtemps maintenant. Toute frayeur du mystère qui l'avait étouffé avait disparu, comme la flamme d'une bougie soufflée. Il ferma les yeux et derrière ses paupières closes des images défilèrent, rapides, muettes. Mais il ne pouvait poser de nom sur les visages qui lui apparaissaient dans ce dernier instant.

Était-ce son bébé qui souriait dans les bras de cette femme qu'il avait aimée ? Ses lèvres, ses cheveux soyeux… oui, c'était bien elle, la douce oubliée. Un instant, il aurait voulu regretter de ne pas avoir porté ces rêves et espoirs vers ces personnes qu'il chérissait, mais il ne pouvait pas. Dans un dernier soupir de honte, il leur demanda pardon.

Mais le coup final ne s'abattit pas sur lui, et soudain il se sentit projeter en arrière. On frôlait son visage. Sans doute, la main du shinigami qui n'avait pas réussi à l'atteindre et il sentit le sol froid et visqueux contre son dos, puis la boue qui se mêlait à ses cheveux.

Il ouvrit les yeux.

Le majordome était debout au côté du shinigami, tremblant imperceptiblement, mais il se tenait droit, les bras tendus devant lui, près au combat.

« Oh, je vois que tu en redemandes mon beau démon. Tu comptes me combattre avec une telle blessure ? railla le dieu de la mort en redressant les lunettes qui lui tombaient sur le nez.

Un coup parti, un geste si vif qu'Arthur ne put discerner d'où le coup était parti. Le shinigami se retrouva à terre un bref instant, lui sembla-t-il, mais il se trouva debout plus vite qu'un œil humain ne pouvait le décrire, ou même l'apercevoir.

« Décidément, tu es insatiable Sebastian, » Grell essuya la fine ligne de sang qui coulait de sa lèvre. « Et bien soit, tu l'auras voulu ! »

L'assaut commença, violent. Les coups volaient à une rapidité déconcertante, presque invisible. Si des éclaboussures rougeâtres ne se mêlaient pas à la boue et que l'odeur de sang n'emplissait pas l'air orageux, il aurait été difficile de dire que des êtres se battaient en ces lieux, puisque leurs formes ne se distinguaient plus.

Soudain, Sebastian se retrouva au sol et Grell s'allongea sur lui, écrasant son cou de ses doigts, en faisant craquer les petits os.

« J'ai toujours su que nous nous dirions au revoir ainsi, ton corps contre le mien, dans une étreinte mortelle ! » susurra Grell dans un rire grinçant, les yeux écarquillaient de plaisir, et les dents à vif.

Le démon lui assena des coups de poing dans les côtes pour se libérer, lui arrachant, avec une satisfaction malsaine, des cris de douleurs. Le shinigami desserra les doigts, libérant la respiration de son adversaire.

« Arthur ! cria le démon tout en frappant à nouveau le dieu de la mort, « la faux, Arthur ! »

Sortant de sa transe contemplative, le jeune homme se mit debout, péniblement, se tenant les côtes blessées par le coup de pied reçu. Il fut surpris que ses jambes puissent encore le porter, et dans un effort insupportable, il se précipita sur la scie motorisée qui reposait non loin du corps immobile de Ciel.

« Que crois-tu faire mon joli !? cria Grell en tentant de se relever et d'échapper à l'étreinte brutale du démon qui le maintenait au sol. « Ne touche pas à ça ! »

Arthur sauta sur l'arme un objet lourd, terrifiant, souillé de liquide rouge visqueux, puant le sang frais. Il la souleva avec peine, son poids tirant sur ses bras endoloris. Ses mains fébriles trainaient sur le moteur, cherchant un moyen de la faire démarrer : une scie, un système motorisé, une chaine… reliée à un démarreur, semblable à celui qu'on trouvait sur les nouveaux moteurs au gazole de l'académie des sciences de Londres.

« Je t'ai dit de ne pas toucher à cela » hurla Grell en assenant un coup de genou dans la plaie encore ouverte de Sebastian. Il se dégagea et se précipita sur le jeune écrivain, les mains tendues devant lui, prêt à le lacérer.

Arthur tira sur le démarreur, actionnant la scie tourbillonnante. À genoux dans la boue près du corps de Ciel, il assena un coup maladroit de la scie vers l'avant, barrant le passage du shinigami vers le garçon, le menaçant avec sa propre arme.

La lame coupa.

Du sang jaillit et un hurlement atroce résonna dans la pénombre.

Tombant à genoux, le dieu de la mort se tenait le bras, gémissant de douleur, écrasant son moignon, alors que sa main tranchée gisait à terre, se crispant dans la boue une dernière fois.

« TU VAS CREVER POUR ÇA! s'écria Grell fou de rage. TU VAS CREVER ! »

Derrière lui, un démon poussa un long soupir comblé.

« L'avantage change de camps. Je peux enfin m'occuper de vous à ma guise. », susurra Sebastian, faisant amoureusement craquer les jointures de ses doigts en s'approchant du shinigami.

Il prit la main tranchée de Grell qui se trouvait à terre. Joueur, il la lança en l'air, une fois, deux fois, à la manière d'une pièce de monnaie, observant le dieu de la mort, qui gisait toujours à genou, haletant de douleur.

« Quelle manucure parfaite ! dit le majordome en retirant le gant du membre.

Un horrible sourire sur les lèvres, il gifla le shinigami avec sa main amputée, déchirant la peau de sa joue avec ses propres ongles vernis.

« Ahhh, arrête ! NON ! » Un nouveau coup, et les griffes transpercèrent sa paupière, crevant l'œil en arrachant les lunettes. « Mon VISAGE !

- Vous désiriez prendre ce qui m'était le plus cher, n'est-ce pas Grell ? Acceptez l'ironie de cet instant ! C'est à mon tour de détruire ce que vous chérissez le plus. » Et Sebastian leva à nouveau la main ensanglantée.

« Assez ! »

Une pince géante surgit du néant et attrapa la griffe que brandissait le démon, l'arrachant à sa poigne. Surpris, Sebastian leva les yeux vers son assaillant.

Perché sur la branche d'un chêne se tenait un autre shinigami, tenant la faux qui lui avait volé son arme improvisée. Le dieu de la mort sauta de l'arbre et atterrit près du démon, qui recula, l'œil menaçant.

« Cela suffit. » dit William T. Spears en abaissant sa faux. Il jeta le membre amputé aux pieds du shinigami aux cheveux rouges.

« William ! gémit Grell, cherchant de son œil, valide la trace du shinigami. William ! Regarde ce qu'ils m'ont fait ! Ils m'ont mutilé !

- Rentres ! le coupa Spears d'un ton glacial. Tu en as assez fait.

D'abord surpris, Grell grimaça de douleur, cherchant à se mettre debout.

« J'en ai assez fait ? grinça le shinigami tremblait de colère, plus encore que de douleur. Je n'ai enfreint aucune règle ! Le gamin serait mort il y a longtemps sans l'intervention du démon, peu importe son âme maintenant, il ne sera jamais sur aucune liste. Que représente-t-il pour nous? Et le démon, pourquoi l'épargner? Non, je n'ai enfreint aucune règle !» Il montra son visage, d'une main tremblante. « Regarde ce qu'ils m'ont fait, regarde-moi !

« Ta haine d'aveugle » murmura Spears. « Et on ne peut accepter ce genre de comportement de la part d'un shinigami.

- Ma haine… que sais-tu de la haine, toi qui ne ressens rien… murmura le shinigami dans un souffle, serrant son bras mutilé pour enrayait la souffrance. Tu juges sans savoir, mais qu'attendre de plus de toi ! »

Une brève lueur de tristesse passa dans les yeux de William, mais elle s'effaça aussitôt.

« Rentre maintenant, inutile de s'attarder, répliqua-t-il d'un ton sec. Attends-moi à la grille du manoir, il faut que l'on te soigne. »

Grell porta les doigts à son visage et grimaça, touchant les lacérations profondes. Il ramassa sa main, et la mit dans sa poche puis s'éloigna, clopinant misérablement sur le chemin boueux.

Spears regardait un moment le shinigami partir quand une voix l'interpela.

« Je vous ai envoyé un message il y a plusieurs jours ! »

William se tourna vers le démon qui le fixait avec une colère non dissimulée.

« Le courrier passe par un long chemin administratif, » expliqua-t-il sans émotion, « et nous travaillons par pigeon, votre chouette a été examinée avant que nous ne lisions son message.

- Quelle efficacité, grogna Sebastian, haineux.

- Cela va peut-être vous surprendre, mais la vie d'un démon nous importe peu !

- Ce n'est pas à ma vie que je pense ! s'écria Sebastian, en proie à une fureur qu'il ne contrôlait plus.

Redressant ses lunettes, William observait le démon, qui s'appuyait sur une jambe pour soulager l'autre, bancale, luttant pour rester debout. Une plaie béante lui découpait le torse.

« Je sais », murmura-t-il en posant ses yeux sur Ciel Phantomhive toujours inconscient. Un jeune homme aux cheveux brun prenait son pouls, touchait son front. « Le garçon doit sans doute être protégé à tout prix, selon votre contrat.

- Le contrat ? répéta Sebastian à mi- mot comme s'il ne comprenait pas. Un faible râle échappa de ses lèvres et sa fureur parut se tarir, alors qu'une fatigue lancinante se dessinait sur son visage. « Ah oui le contrat, murmura-t-il, posant les yeux sur ces mains tachées de son propre sang. C'est sans doute pour cela que je fais ça. » Il reposa le regard sur le shinigami, avec calme et sévérité. « Allez-vous-en et emmenez votre bête de foire avec vous. Quittez ce domaine. » Il se détourna, désirant rejoindre son maître. « Vous prenez tellement de place dans le monde des humains qu'on pourrait vous confondre avec des démons. »

Spears grimaça à cette remarque et dans un soupir dédaigneux, il s'apprêta à partir.

« Excuse-moi ? Monsieur ? »

Une voix douce. William se retourna. Le jeune homme. Pas plus de 30 ans sans doute, mais le shinigami ne sut dire exactement son âge, car il paraissait jeune et vieux en cet instant. Un joli visage, innocent et sage, celui d'un éternel étudiant. Mais celui-ci semblait avoir trop appris et le poids du savoir lui était douloureux. Il tenait la faux d'un shinigami dans la main, le bras ballant semblait ne plus avoir la force de la porter et la lame s'enfonçait dans la terre.

« Une jeune femme a été blessée… par votre ami, continua-t-il. « Elle saignait, son sang était sombre…

- C'est parce qu'elle a été blessée par une faux de shinigami alors qu'elle ne devait pas mourir, expliqua le shinigami, sans émotion. Le sang qui s'écoule est mêlé du liquide qui entoure l'âme humaine, car la faux déchire à la fois la chair et l'âme. C'est pourquoi le sang est si sombre. »

Le jeune homme acquiesça sans réellement comprendre, mais il insista :

- Nous avons brûlé la plaie pour arrêter le saignement…

- C'est ce qu'il fallait faire. Les humains ne peuvent survivre à la faux des shinigamis, sauf s'il s'agit d'une éraflure que l'on cautérise. Si vous avez brûlé la blessure, elle survivra. »

Arthur avança sans peur vers William et lui tendit la faux.

« Une arme qui découpe les âmes ? C'est très inconsidéré de votre part de la laisse ici sans surveillance. »

William remonta ses lunettes et prit la scie, jaugeant l'écrivain. Il avait cet éclat dans les yeux, ce soupçon de folie qui envahissait les êtres qui rencontraient le surnaturel, ces personnes qui « ont vu des choses » et qui succombent à leurs fantasmes morbides avant de sombrer dans la démence.

« Vous êtes peut-être le seul que je reverrai monsieur Arthur Conan Doyle, le jour de votre mort sans doute. Jusque-là, » il se tourna vers le démon penché sur le Comte qui ouvrait doucement les yeux. « Prenez garde à votre âme… Et pardonnez-nous encore pour le dérangement.

« Le dérangement ? » soupira Arthur. Quelle ironie d'appeler « dérangement » un événement qui avait bouleversé toute sa vie, brisait son innocence, entaillait sa raison et écrasait son cœur. « Mon âme est-elle réellement en danger ? demanda-t-il avec un sourire triste.

- Un pacte avec un démon, c'est la menace la plus vivace pour l'âme humaine. Mais la folie guette les hommes qui restent à la frontière entre le monde mortel et immortel. Quittez ce manoir, vous n'y avez pas votre place. Ils ont choisi d'être damnés ensemble. Pas vous.»

Arthur regarda le garçon allongé au côté de son majordome. Ni l'un ni l'autre ne parlait ni ne se touchait, comme si la peau de l'autre était interdite. Un voile noir les enveloppait, et il ressentait enfin ce qu'il n'avait su discerner jusqu'alors. Ce lien indéfectible, c'était donc un pacte diabolique, un serment issu de la noirceur la plus maléfique. Des mots oubliés lui revinrent en mémoire, des prières, des carêmes et des psaumes qu'il avait appris enfant et avait passé sa vie de raison à abjurer. Un mélange de boue et de cire bénie : l'âme, l'éternité, le jugement dernier, la damnation…

Il avait renoncé à tout cela il y a bien longtemps. Le seul ange qui l'avait touché et lui avait inspiré une adoration sacrée s'appelait Ciel Phantomhive. Et son âme, tout comme son corps, lui était perdu. Ciel ne serait jamais à lui. Il appartenait à un autre.

« Peu importe, murmura Arthur, alors qu'une tristesse étouffante l'enveloppait lentement. J'en ai assez vu, je veux rentrer chez moi. »

Il se retourna, et sourit avec mélancolie. Le Dieu de la Mort avait disparu.

Ciel expira soudain, ouvrant brutalement les yeux comme réveillés en sursaut par un hurlement sourd. La vue lui revint doucement et il aperçut un visage, encadré de cheveux noirs ébène. Des yeux cuivres le fixaient, ce qui l'apaisa, rassuré par ce regard qu'il connaissait tant. Il se redressa, aidé par son démon qui plaçait ses mains contre son dos pour le soutenir doucement. Le garçon chercha du regard le shinigami, mais ne vit personne. Il regarda Arthur qui retourna vers la porte principale du manoir, avec langueur.

Il aurait voulu l'appeler, lui demander ce qu'il s'était passé pendant qu'il était inconscient, mais le jeune homme avait le pas lourd et le visage si triste que Ciel ne se résolut pas à prononcer son nom. Doucement, il le regarda s'éloigner.

Jetant un regard furtif autour de lui, il se rendit compte qu'il était seul avec son majordome. Le dieu de la mort avait disparu.

Il se sentait épuisé et sa respiration le faisait souffrir, mais il était calme. La pluie coulait sur son visage et il frissonna. Ses yeux se posèrent sur le démon agenouillé à ses côtés. Un triste soupir s'échappa de ses lèvres roses alors que Sebastian levait une main, dont il ôta le gant. Il posa doucement des doigts glacés sur sa gorge, écartant les mèches de cheveux lourdes et humides, touchant la peau que la main de Grell avait meurtrie en l'étranglant.

« C'est fini. » dit-il, alors que la main froide remontait sur son visage, caressait son front et calmait sa fièvre.

« Oui c'est fini. » répondit le démon, même si ce n'était pas une question.

Le garçon posa à son tour la main sur la poitrine du majordome, où la blessure profonde découpait la chair. Le démon expira brusquement à ce contact sur sa plaie brûlante. La douleur enfla puis diminua sous les doigts frais qui parcourraient ses meurtrissures.

La respiration du garçon était encore irrégulière et sifflotante, mais les battements de son cœur étaient calmes et tranquilles tandis que ces doigts glissaient sur la peau blessée. Il ne savait pourquoi l'envie irrépressible de le toucher l'avait envahi, mais alors que sa peau touchait sa chair, toute peur s'effaça remplacée par une violente tristesse. D'où venait-elle donc cette mélancolie naissante qui lui faisait oublier la douleur et le froid, qui le pousser à des caresses interdites? Il lui sembla que le monde avait changé, à la fois plus noir, mais pourtant moins effrayant. Juste un plus tragique si cela fut possible pour lui.

Les images de la lanterne cinématographique lui revinrent en mémoire, mais il repoussa ses souvenirs, ne sachant qu'en faire, ne sachant pas plus ce qu'elles pouvaient signifier. Il n'avait rien vu de particulièrement probant dans cette âme démoniaque, pourtant, leur évocation soulevait un profond malaise qui alourdissait son cœur, comprimait sa poitrine. Il ne voulait pas réfléchir à présent, maintenant qu'il restait tant à faire.

Que devait-il faire de Snake? Comment expliquer ces attaques et les morts qui avaient expiré leur dernier souffle dans ces murs? Comment présenter à la Reine un rapport digne du Comte Phantomhive sans éveiller ses soupçons ou entraîner le Comte Gray à sa poursuite?

Il secoua la tête désirant vider son esprit de toutes ces pensées, qui n'avaient pas leur place à cet instant, alors qu'il sentait le regard intense de son démon lui brûlait la chair, que son visage était si près du sien que le souffle qui s'échappait de ses lèvres lui caressait la joue.

Tremblant, il se rendit compte de leur état à tous deux, son démon blessé et lui toujours à genoux sur le sol boueux, ses vêtements déchirés, crasseux et humides. La pluie les rendait lourds, collants.

Sebastian le fixait sans bouger, sa chemise et sa veste étaient en lambeaux, tachés de sang et de saleté. Ciel détourna le regard, amer. Il fit un mouvement pour relever ses jambes, mais la force lui manquait. Il doutait de pouvoir se mettre debout. Dans un élan hésitant, mais contrôlé, il passait doucement les bras autour du cou de Sebastian, attachant son corps fébrile au sien, le serrant tendrement contre lui, même s'il sentait la blessure du démon contre sa propre poitrine et son ventre. Le sang coulait encore, se mêlant à l'eau de pluie et à la boue qui souillait déjà sa veste de velours et sa chemise de flanelle autrefois blanche.

« Tu as beau être blessé, tu dois me porter jusqu'à ma chambre. C'est ton travail de majordome.» Sa voix était roque et souffrante, abimée par l'étranglement.

Solennel, Sebastian acquiesça et passa ses bras sous le corps du garçon, ignorant sa souffrance, et forçant ses muscles à se bander une dernière fois en cette nuit lugubre et glaciale qui ne semblait pas connaître de fin. Ses chaussures vernies glissaient, sans qu'il ne perde l'équilibre, mais chaque mouvement envoyait des signaux de fantastiques douleurs qui se répandaient en vague dans tous ses membres. Une langueur l'envahissait et il serrait plus fort dans ses bras le garçon qui avait posé sa tête sur son épaule, les yeux clos.

Ils traversèrent la porte d'entrée principale et l'air chaud du manoir leur sembla un instant étouffant.

Perdu dans l'obscurité, droit au milieu du hall se tenait Tanaka, un chandelier à la main.

«Puis-je dès à présent avertir les invités qu'ils sont en droit de quitter le petit salon?» demanda l'ancien majordome d'une voix douce et mesurée, ne portant aucun attention ni jugement sur l'apparence éprouvée des arrivants, trempés, serrés si fort l'un contre l'autre.

«Faites. J'emmène le Comte dans ses appartements, répondit le majordome d'une voix égale à sa fonction malgré son état de faiblesse. Veuillez donc l'excuser auprès de ses invités.»

«Bien monsieur, dit le vieil homme en s'inclinant, avant de tourner les talons et de disparaître dernière une porte.

De l'escalade des escaliers qui menait à sa chambre, Ciel ne sentit rien, car le démon l'emportait à une vitesse vertigineuse jusqu'aux étages supérieurs, frôlant à peine les marches dans sa course.

Arrivé à la porte, une faiblesse, et le démon sembla sur le point de s'effondrer pour se reprendre, s'appuyant d'une main sur le mur à l'encadrement de la porte, l'autre soutenait toujours le garçon. Il sentit les bras de Ciel le serrer plus fort, l'implorant silencieusement de rester debout. Une légère toux l'anima soudain, mais il n'ouvrit pas les yeux.

«Vous n'auriez pas dû venir à notre rencontre, dit Sebastian d'une voix étouffée, la main crispée toujours appuyée sur le mur.

- Avais-je le choix ? murmura Ciel, niant l'évidence et espérant que son démon ne réponde pas. Car malgré son hypocrisie, la vérité était qu'il avait eu le choix perdu dans les bras d'Arthur qui l'avait empêché de partir, ou lors des chutes dans sa course folle, il avait eu le choix. Il aurait pu rester à l'abri dans son manoir, se cacher, se taire. Ou peut-être non. La peur pousse aux plus grandes folies, et il lui avait semblé que perdre Sebastian reviendrait à se perdre lui-même. Mais aller expliquer cela à un démon… Mieux valait taire ce qu'il ne pouvait comprendre, ou ce qu'il pourrait lui paraître risiblement humain.

- Vous ne m'avez pas fait confiance ? s'enquit sombrement le majordome.

- Bien sûr que non, répondit Ciel, glacial, malgré ses bras qui se resserraient un peu plus autour du cou de son serviteur. Je ne peux pas avoir confiance en un démon. Mais si tu sous-entends que je doutais de ta capacité à gagner, j'avoue que l'idée m'a traversé l'esprit.» La scène atroce de cette nuit lui réapparut, Sebastian tombant du toit, s'écroulant sur le sol...

- J'en suis désolé, répondit simplement le majordome.

Ciel sentit la tristesse l'étreindre à nouveau. L'apparence le faisait souffrir, il avait l'impression de s'étouffer à force de se taire. Il aurait voulu dire quelque chose à cet être blessé qui le serrait si fort, des paroles vraies et si stupidement passionnées. Le genre de lyrisme que les hommes couchent sur le papier pour déclarer des sentiments enflammés et délicieux. Oui il aurait voulu ouvrir les lèvres et les prononcer à haute voix, en oubliant la nature de celui qui les écoutera. Mais ces mots, il ne les connaissait pas. Il ne les avait pas appris et dans son souffle les paroles se transformaient en cendres avant de former des sons.

Pourtant il aurait tellement voulu expliquer ce déchirement, lui dire que le voir torturer lui avait fait mal, terriblement mal. Que l'horreur de cette nuit l'avait transformé en écorché vif, proie de ces émotions les plus refoulées et les plus humiliantes, à pleurer sur les douleurs d'un démon dont il ne pouvait imaginer l'absence. À courir jusqu'à lui, quitte à mourir dans ses bras.

Oh oui, il valait mieux se taire.

Le démon pénétra dans la chambre, et se dirigea vers la grande cheminée. Il leva la main, appliquant la paume vers les buches qui s'enflammèrent, et de grandes flammes envahirent l'âtre.

Le majordome s'approcha du lit et déposa son maître sur le sol. Glissant à genoux, il entreprit de défaire la veste du jeune homme. Ôtant ses gants sales pour ne pas tâchaient davantage sa peau, il déchira la chemise trop abimée pour plus de cérémonie. Les yeux de son maître ne le quittaient pas, observant chacun geste si familier, comme si ces doigts habiles le dévêtaient pour la première fois.

L'air se fit plus dense, et des ombres inquiétantes, créées par les flammes, se propageaient sur le mur, dessinant des monstres terrifiants semblant glisser sur le papier peint pour lécher les motifs. C'est en les admirant que Ciel sentit son pantalon glisser sur ces jambes glacées et tomber sur le sol. II sentait les mains dégantées s'incruster dans le creux de son genou, le forçant à lever la jambe. Puis l'autre. Plus rien n'était réel, seulement la lassitude et les spectres des flammes. Il ne regardait que les ombres dansantes sur le mur, étourdit de fatigue. Ses yeux se fermèrent, et sa respiration profonde parut le plonger dans une douce somnolence dont il avait rêvé depuis tant de jours. Des doigts glissaient dans ses cheveux humides, et le libérer de son cache-œil. On le baignait quelque peu, retirant le peu de boue qui tachait encore son visage, ses cheveux, ses mains et ses pieds. Puis on l'enfermait dans une nouvelle chemise, douce et sèche, qui sentait la lavande et le linge frais. Des doigts glissaient sur sa peau tout en en fermant les boutons. Des mains puissantes le soulevèrent de terre et il sentit le matelas épais et la douceur caressante des draps de satin contre sa nuque endolorie.

Il crut sombrer dans le sommeil lorsqu'il entendit des pas qui s'éloignaient, et une soudaine peur l'étreignit, un puissant rappel de la tristesse qui l'avait envahi un peu plus tôt.

«Restes... s'entendit-il soupirer, puis il se tut honteux de ce désir puéril de ne pas voir être seul, à nouveau. «Restes jusqu'à ce que je m'endorme».

Humiliante demande, mais il s'en moquait, tout autant que de la chaleur honteuse qui montait à ses joues, lui rougissant la peau. Il se fichait même de ce faible rire qui emplit un bref instant la pièce, signe que son majordome raillait encore sa faiblesse humaine.

Mais lui semblait-il qu'une note mélancolique accompagnait ce soupir ricaneur? Peut-être même de la tendresse, se surprit-il à penser. Peu importait.

Des bruits de vêtements lui parvinrent, c'est ce qu'il crut reconnaître derrière ces paupières closes. Un bruissement de veste, une boucle de ceinture qui se dénouait, du tissu qui tombait à terre. De l'eau aussi, qui coulait dans une jarre, un clapotement insistant, le feu qu'on attisait, puis le silence.

Les minutes silencieuses passèrent, puis Ciel ouvrit les paupières, se redressant légèrement, et chercha des yeux son majordome.

L'homme maléfique se tenait debout devant l'âtre de la cheminée, l'épaule appuyée contre le foyer de pierre, la moitié de son corps était nu. Ciel rougit et se surprit à détourner les yeux. Il n'en fut que plus honteux.

Pour l'amour du ciel il n'était plus un enfant !

Déglutissant péniblement, il reporta son regard sur Sebastian.

Son serviteur chiffonnait entre ses deux mains la chemise tachée de sang qu'il portait un moment plus tôt, l'appuyant fermement contre sa blessure. Dans les flammes brûlaient sa veste et son gilet de majordome.

À la vue de son démon, Ciel sentit son cœur se serrait. La blessure, d'où s'écoulait encore du sang, n'était rien à côté de l'expression triste qui durcissait les traits de Sebastian. Un désespoir.

Il se leva doucement et s'approcha, ses pieds nus martelant le sol.

«Tu vas mourir. »

Incertain et effrayé, Ciel se figea. Son démon ne le regardait. Son regard restait porté sur les flammes qui dansaient en reflet dans ses yeux.

«Pas aujourd'hui, mais un jour, continua-t-il d'une voix morne. De ma main ou de celle d'un autre. De la maladie ou de la vieillesse. Un jour, tu vas mourir.»

Ciel resta un instant alerte, hésitant, ne sachant pas en quoi sa mort importait aux yeux du démon.

- Évidemment. Essaies-tu de me faire peur? Ou es-tu un idiot qui vient seulement de comprendre ce que signifie «être mortel», railla Ciel, mais son sourire moqueur disparut devant le visage austère et triste du majordome.

Sebastian le regardait enfin, admirant la petite chemise de nuit qui paraissait tout de même trop grande pour le corps de son maître. Un ange déchu dans sa tunique céleste, et même si le démon n'aimait pas les anges, le garçon en avait tout l'éclat en cette effroyable nuit de mars.

Il leva la main vers son visage, le toucha, en écarta les mèches humides.

«Je suis un idiot qui vient de comprendre ce que cela signifie vraiment, murmura-t-il, sentant la lourdeur des mots qui disaient plus qu'il ne pouvait prononcer. Il vit une lueur de doute passer sur le visage de Ciel, puis l'interrogation et la colère. Le comte secoua la tête, repoussant les doigts qui le caressaient.

«Bien sûr que je vais mourir. C'est ce que tu veux non ? N'est-ce pas le but de tout cela?» Il esquissa un signe du doigt, les montrant tous les deux.

Poussant un râle agacé, Sebastian se détourna, abandonnant une discussion qu'il ne comprenait pas réellement.

Ciel se sentit désabusé, excédé par l'attitude inattendue de son démon. Il en arrivait à regretter les remarques acerbes et moqueuses. Tout, plutôt que cette tristesse à l'écho de la sienne.

«Tu sembles incertain, dit le jeune homme, d'un ton glacial, presque dédaigneux. Il ne savait d'où venait cette colère naissante. « Crains-tu d'avoir des remords quand tu me tueras?

- Ciel!»

Entendant son nom, le garçon hésita, n'ayant pas l'habitude de l'entendre prononcer par les lèvres démoniques. Son démon semblait oublier toute règle d'étiquette en cet instant. Il voulait le faire taire, comme si les paroles de Ciel lui étaient insupportables. Quelle ironie!

«Non, réponds-moi!» insista le garçon, furieux. «Pourquoi ce regard amer et mélancolique? Pourquoi me parler de ma mort aujourd'hui? N'en as-tu pas tué d'autres avant moi?

- Oh si, tellement, dit-il avec un sourire malicieux, mais le rire n'était pas dans ses yeux. Des humains de passage dont je découvrais le nom au moment où je leur volais leur âme. Mais pour toi c'est différent. Avec toi, je suis aveugle. Je passe de surprise en découverte, de souffrance en délices. Mais j'avoue m'être perdu dans cette aventure.

«Alors, pourquoi ne pas avoir continué à dévorer ses âmes sans importance? Pourquoi être venu à moi?», demanda le garçon qui serrait les poings, détestant chacun des mots prononcés par le majordome.

- Je pensais que ce serait amusant. Mais aujourd'hui, je ne ris plus.

Ciel serra les poings. Les paroles de Sebastian réveillèrent en lui des sentiments qu'il voulait étouffer, un goût d'impossible et d'interdit qui le rendrait malheureux et le blessait. Il était tellement fatigué, il ne voulait plus penser, échafauder des plans, prévoir des horreurs, anticiper des malheurs. Simplement se coucher à la lueur de ce feu si rassurant.

Dans un élan de colère incontrôlée, Ciel se rua sur le démon, le poussant contre la pierre de l'âtre, les deux mains appuyées sur sa poitrine. Surpris, Sebastian lâcha le tissu tâché de sang qu'il tenait contre sa plaie, posant ses mains sur les épaules du garçon. La blessure semblait encore plus impressionnante maintenant que le torse était à nu, même si celle-ci avait déjà commencé à guérir.

« Hypocrite ! cria Ciel, incapable de retenir sa fureur. Menteur ! Pendant ces trois longues années, as-tu jamais pensé qu'un jour tu tiendrais mon cadavre dans tes bras? Non, tu n'as pensé qu'à la saveur de mon âme. Tu m'as sauvé pour me dévorer. Je vis avec cette idée depuis que tu m'as sorti de cette cage puante. Et maintenant, tu doutes, tu pleures! Comme le berger malheureux devant l'agneau qu'il a engraissé et qu'il doit égorger! Agis en démon, monstre que tu es! »

Le garçon le gifla, une fois, deux fois. Mais ses coups étaient faibles, impuissants, ce qui amplifiait sa colère. Il aurait voulu le blesser, lui faire regretter ses paroles qu'il trouvait injustes et vides, trop éloignées de leur serment pour être réelles.

« Pourquoi me dire cela maintenant? dit-il, l'épuisement et la tristesse étouffaient sa voix. Pourquoi ces mots ce soir, alors que je n'ai pas la force de les entendre, alors que simplement respirer m'est difficile. Tais-toi ! Jusqu'à demain, ne dis plus un mot. Efface de ton regard cette tristesse que je refuse de comprendre. Regarde-moi comme tu m'as toujours regardé, je ne supporte pas ces yeux que tu poses sur moi, qui me rendent plus précieux que je ne le suis pour toi. C'est un ordre Sebastian ! »

Ses mots se finirent en toux roque qui secouèrent sa petite forme. Faible, il s'appuya sur son majordome qui posait ses mains sous ses bras, le maintenant debout. La respiration lui revint, mais elle restait difficile. Le démon posa son front contre celui du jeune homme, le regard brûlant posé sur lui, tendre, attendant que la crise passe. Le garçon sentit peu à peu le souffle lui revenir, sa respiration s'apaiser.

« Je te déteste, murmura-t-il, avec tant de passion qu'il semblait dire autre chose.

C'est à ce moment que les lèvres du démon se posèrent sur les siennes. Sa colère s'évanouit, remplacée par une douce langueur mélancolique. Le désir dévorant l'envahit soudain, le faisant frémir. Il comprit qu'il avait désiré ce baiser, qu'il avait rêvé ardemment de ses lèvres sans oser y songer. Il passa les bras autour du cou de son démon, frissonnant sous les doigts qui le caressaient à travers la fine chemine que le couvrait. Il tressaillit, tout son corps frissonnait, enivrait par ce baiser sacrilège. Il n'avait pas la volonté de questionner ce geste insupportable et délicieux ni de se demander si son démon l'embrassait parce qu'il le désirait ou parce qu'il souhaitait calmer sa fureur. Les mains dans son dos appuyèrent davantage, et le baiser se fit plus profond et fiévreux et Ciel sentit un engourdissant suave emprisonner son corps.

Aveugle de plaisir, abandonnant le peu de force qui lui restait, il se laissa glisser au sol, devant l'âtre enflammé, emportant avec lui le majordome qui s'allongea sur lui, l'écrasant sans lui faire mal. Quittant les lèvres douces, le démon enfouit son visage dans son cou, respirant la vie qui animait ce corps si fragile, sentant les battements de cœur dans la veine où il posa les lèvres. Il s'attendit à ce que son maître le repousse, mais il n'en fit rien. Au contraire, il sentit le garçon écarter les jambes, allégeant le poids d'homme qui s'appuyait contre sa forme. Le démon sentit les genoux de son maître caresser les côtés de son corps, tandis qu'il passait ses doigts fins dans ses cheveux, un geste intime et étranger qui ne lui déplut pas. Il aurait dit que le garçon essayait de calmer un animal sauvage par des caresses. L'image le fit sourire contre la chair brûlante.

Ciel sentait la moquette lui chatouiller la nuque et les bras. Le poids de son démon sur son corps ne lui était ni désagréable, ni douloureux et le contact chaud de sa poitrine nue le rassurait et l'effrayait.

Il ne se souciait pas de la saleté, mais il savait que le sang de Sebastian ruisselait sur lui.

Le liquide chaud coulait sur ses vêtements, glissait sur sa peau, s'engouffrait entre ses jambes. La chambre s'emplit de l'odeur âpre du sang, s'alliant à la senteur de buches brûlées. La main de Sebastian longea son bras et attrapa les doigts qui caressaient ses cheveux, les entrelaçant avec les siens.

Il cessa de respirer un instant, mais de sa bouche ouverte, aucun son ne sortait, car là où ses doigts rejoignaient les siens, le souffle était trop court pour des syllabes prononcées distinctement. Le garçon vidait son esprit. Ne pas songer qu'un corps si puissant écrasait le sien, que les cheveux qui frôlaient son visage étaient noirs et que les doigts qui caressaient ces lèvres n'étaient pas humains. Des ombres propagées par les flammes nageaient sur le plafond, et le silence se brisait dans le crépitement rassurant du bois qui se consumait.

Ils restèrent ainsi de longues minutes. La respiration du démon se fit plus profonde, son souffle brûlant caressait la nuque du garçon et celui-ci comprit que le démon s'était accordé le luxe de s'endormir dans ses bras. Bercé par les battements de cœur qui résonnait dans la poitrine puissante, Ciel sombra dans le sommeil.


Tanaka entra dans le salon. Les voix se turent à son entrée et les personnes présentes tournèrent un regard anxieux vers le vieux majordome.

« Mesdames et Messieurs, le Comte Phantomhive vous informe que tout danger est maintenant écarté et que vous pouvez quitter le petit salon. »

Un soupir de soulagement raisonna dans la pièce.

« Alors, que l'on nous serve le thé ! » s'exclame Keane en se levant de son fauteuil, prenant par la main la jeune Irène qui portait la main sur son cœur, soulagé, mais dont les traits tirés abimaient encore son visage de porcelaine.

« Du thé ? Mais du champagne, que Diable ! s'exclama Charles Gray. La soirée mérite quelques divertissements. Fêtons donc la fin de cette aventure.

- Bien monsieur, dit Tanaka en s'inclina. Le Comte vous prie de l'excuser, mais les événements de cette nuit l'ont épuisé et ...

- Peu importe, nous boirons en son honneur, intervint Grimsby. Veuillez nous servir dans le grand salon, je me sens à l'étroit ici, je ne supporte plus ces murs. »

Un à un, les convives quittèrent la pièce. Abberline les regardait s'éloigner, mais lui-même ne désirait pas se lever de son siège. Il avait supporté les remarques vides des invités qui l'entouraient pendant plusieurs heures, mais son esprit était tourné vers ce qu'il se passait à l'extérieur de ces murs. Et surtout ce qu'il était advenu d'Arthur et de Ciel Phantomhive. Ils ne les avaient pas rejoints dans le salon. Abberline en avait donc conclu que le Comte avait cédé aux exigences de l'écrivain, chose invraisemblable pour qui connaissait le caractère opiniâtre du garçon. Une pointe de jalousie l'anima soudainement, fugace, mais réelle et il la repoussa sans vouloir y prêter attention. Il est vrai que le jeune homme l'intriguait depuis longtemps maintenant. Le fait qu'Arthur soit devenu aussi proche de lui en moins d'une semaine le mettait mal à l'aise ou plutôt animait chez lui des sentiments qu'il pensait malsains et inconvenants. Mieux valait rester éloigné de Ciel Phantomhive et de préférence, ne jamais lui tourner le dos, il le savait fort bien. Cependant, le jeune médecin avait ignoré tous les avertissements que Lord Randall lui avait lui-même prodigués. Et il se surprit à regretter d'avoir lui-même écouté son supérieur...

Il s'échappa de ses pensées honteuses lorsqu'il vit Arthur surgir par l'encadrement de la porte. Le jeune homme faillit se cogner contre Lau qui s'apprêter à sortir de la pièce à la suite des autres.

« Allons, allons, doucement, mon ami, dit le chinois.

- Pardonnez-moi, répondit Arthur plus par automatisme que par sincérité. Il semblait hébété, perdu dans ses pensées.

-Vous semblez bien las, la nuit a été rude pour vous.

Arthur fixa Lau, cherchant pourquoi sa voix recelait une note si amusée.

- On peut dire cela en effet, finit-il par répondre, hésitant. Mais elle l'a sans doute été pour nous tous.

- Oui, pour nous tous…» Le chinois se pencha sur le jeune homme, posa une main chaleureuse, mais à la poigne insistante, sur son épaule et murmura à son oreille d'une voix suave. «Avez-vous appris quelques mystères dont notre jeune Comte a le secret ?

Arthur sursauta, se dégageant de l'étreinte.

- Je…

- Ah, mais vous ne pouvez rien raconter, n'est-ce pas? Et même si vous le pouvez, n'en faites rien. Je préfère découvrir la part d'ombre du jeune Phantomhive par moi-même. »

Arthur ressentit à nouveau ce malaise que produisait sur lui la présence de cet homme. Il transpirait la malhonnêteté par tous les pores de sa peau. Et l'idée qu'il puisse être un collaborateur privilégié de Ciel l'exaspérait. Décidément, le comte aimait s'entourer de monstres...

- Vous ne serez sans doute pas déçu, Lau.

Le chinois porta le doigt à ses lèvres, amusé.

- Pourtant vous semblez l'être vous-même.

Arthur sourit, un rictus qui ne lui ressemblait guère, mais dans ses yeux Lau put lire toute l'inimitié qu'il lui portait. Puis il s'inclina avant de dépasser le chinois et sa compagne, sans plus de cérémonie, et s'approcha de l'inspecteur qui le jaugeait de bas en haut.

Celui-ci devait sans doute remarquer qu'Arthur ne portait plus le même costume et que ses cheveux étaient humides. Il fut soulagé et reconnaissant quand Abberline ne lui posa aucune question à ce sujet. Doyle s'installa dans le fauteuil en face de son ami comme ils l'avaient fait deux jours avant cette terrible nuit. Ils restèrent un moment silencieux, le policier attendant patiemment qu'Arthur veuille lui parler, bien que celui-ci n'eut aucune envie de le faire, simplement parce qu'il n'avait rien à raconter. Rien du moins que des oreilles rationnelles puissent entendre et approuver, sans qu'on le prenne pour un fou. De toute façon en cet instant, tout lui semblait irréel. Sa vie, vidée de sa dose quotidienne de rationalisme moderne, lui semblait chaotique et mouvante et il ne savait plus à quel crédo raccrocher son existence. La science? Elle n'expliquait en rien ce qu'il s'était passé cette nuit, la raison? Elle vacillait comme une flamme dans la tempête. Ses repères s'évanouissaient en poussières et il ne pouvait plus faire confiance à ses yeux ou à sa tête. Quant à son cœur, il était en plus piteux état que le reste. Il se surprit à regarder ses propres mains et à les voir comme étrangères, différentes alors qu'elles restaient les mêmes.

Soudain, il s'aperçut qu'Abberline l'étudiait depuis quelques minutes, et il rougit de son attitude impolie et évasive. La venue de Tanaka qui leur apportait du champagne lui évita des excuses embarrassées.

Le majordome leur tendit une coupe, qu'ils prirent, mais l'écrivain la posa doucement sur la table basse de bois vernis.

« Tu n'en veux pas ? demanda Abberline, ne souhaitant pas boire seul ce liquide de célébration.

- Je me demande ce qu'il a à fêter ce soir.

- La fin de cette affaire.

- A-t-elle réellement une fin?

- Tu es amer.

- Je suis... désenchanté. Et fatigué.

- Que s'est-il passé ?

Arthur leva les yeux vers l'inspecteur qui avait posé cette question avec empressement et l'impatience de son ami le surprit. Mais il aurait dû y penser, Abberline était avide de curiosité en ce qui concernait les événements de cette nuit. Il aurait voulu lui dire ce qu'il avait vu, partager ces instants. Pourtant, il doutait que le jeune homme croie à son histoire. Des dieux de la mort, un démon, un enfant damné... allons, allons, soyons sérieux...

Devant son silence, Abberline insista: «Tu as eu ce que tu voulais ?

- Plus je ne l'espérais, répondit-il enfin en souriant tristement. Dodelinant de la tête, il porta ses doigts à ses yeux, se massant les paupières. « Cependant, je ne suis pas sûr de savoir ce que je veux maintenant. Dormir sans doute. Oui, dormir. Et pour cela, j'ai besoin du canapé dans la chambre que t'a alloué le Comte.

- Tu ne vas pas dormir dans la chambre du Comte ? dit Abberline, surpris.

- Non..., j'ai besoin de m'éloigner et de réfléchir. C'est préférable pour moi. J'ai déjà déménagé mes affaires dans tes appartements, je m'excuse de l'avoir fait sans te concerter, mais je me doutais que je n'obtiendrais pas un refus de ta part. En descendant, je suis passée voir Mei rin pour m'assurer que sa blessure ne présentait plus aucun danger. Elle dort profondément dans l'une des chambres du 2ème étage.

- Mais pourquoi ? A-t-elle été blessée ? demanda Abberline, surpris.

Arthur parut interloqué par cette question, puis il se rendit compte qu'il avait fait rentrer son ami dans une conversation des plus glissantes, car s'il ne prenait garde il risquait de révéler des informations sur des événements qui n'étaient pas censés s'être produits, en tout cas pas dans le monde rationnel dans lequel ils s'épanouissaient en toute inconscience des forces obscures en mouvement autour d'eux.

- Une blessure ouverte, » dit-il rapidement, cherchant à dissiper la curiosité qui brillait dans les yeux bruns qui le fixaient. « Mais nous l'avons soigné et sa vie n'est plus menacée aujourd'hui.

- Mais je ne comprends pas, intervint lentement Abberline. Était-elle présente lors de l'attaque dans la serre ?

- L'attaque dans la serre... Frédéric… je ne sais ce que je peux te dire ou ce que je devrais taire, mais …

- Arthur, ils ont arrêté un homme ce soir, l'interrompit l'inspecteur, son visage soudain sérieux et implorant surprit l'écrivain. Dis-moi qu'il s'agit bien du meurtrier que nous recherchons.

- Il est mêlé au crime, répliqua le médecin.

- Mais il n'est pas l'instigateur de tout cela ?

- Je ne sais pas, je ne comprends pas toute cette histoire, je n'en connais que des bribes inconsistantes.

- Oh, mais je ne comprends que trop bien ce qu'il s'est passé ici !

- Vraiment ? s'exclama l'écrivain interloqué.

- Oh oui, le Comte et son majordome ont à nouveau berné tout le monde et ont réglé une affaire sordide en ne révélant qu'une partie de l'histoire, et en enterrant la vérité. » L'inspecteur se tut. « Il y'avait un autre tueur ? Ou une autre menace ?

- Il y avait… « autre chose », murmura Arthur, qui ne pouvait se résoudre à nommer ce qu'il l'avait attaqué. Mais ce n'est plus une menace pour nous maintenant. Mais cette chose ne pourra jamais être traduite en justice, du moins, pas la nôtre… De mon point de vue, qui est assez obscur et désorienté je l'avoue, Ciel et son majordome ont fait ce qu'ils ont pu ce soir…

- Arthur ! Entendre ses mots dans ta bouche… Tu justifies leurs méthodes, tu acceptes leurs mensonges !

- Je ne les défends pas! Mais je ne connaissais pas tous les tenants de l'affaire et toutes les forces qui étaient en mouvement en ces lieux. Je suis dépassée, le monde est dépassé devant ce qui est arrivé ce soir. Et bien que cela me crève le cœur de l'admettre, je doute que toi ou moi soyons de taille à résoudre les mystères sordides qui hantent ce manoir.

- Ils ont attrapé un homme ce soir, dit Abberline, la voix étranglée par l'émotion. Un garçon qui croupit dans la cave de ce manoir, enchainé, les fers aux poignets. Il sera présenté à la Reine et c'est la corde qui l'attend. Est-il coupable de ce qu'on l'accuse, a-t-il agi seul ? C'est ce que je veux savoir Arthur. Car je ne supporterais pas qu'un innocent soit accusé de tous ces crimes et soit condamné à mort simplement parce que cette version de l'histoire convient au Comte Phantomhive.

Arthur hésita. Il ne savait ce qu'il pouvait révéler.

« La mort de Lord Phelps, il est impliqué dans ce meurtre.

- Une morsure de Serpent, s'exclama l'inspecteur, exaspéré. Il est coupable d'avoir des animaux venimeux qu'il contrôle. Mais ce n'est même pas un crime direct. Il ne serait pas pendu pour cela. Pourtant, accusé du meurtre de Lord Siemens, il mourra. Cette idée ne t'est pas insupportable !

- Grand dieu, bien sûr que si !

- Alors, fais quelque chose ! Plaide en sa faveur, raconte ce que tu as vu.

Arthur se mit soudain à rire, ce rire sans saveur qu'il commençait à avoir en habitude, un rire de désillusion.

- Personne ne me croira si je raconte ce que j'ai vu, je n'y crois pas moi-même !

- Alors, parle au Comte. Il t'écoute.

- Il n'écoute que lui-même Frédéric, comme l'a toujours et comme il le fera à jamais, dit sombrement l'écrivain. Il suit son propre dessein, peu importe le prix.

- Et quel est mon dessein, tu y penses ? Car c'est moi- oui moi ! – qui emprisonnerai de mes propres mains un garçon que je sais innocent, un pantin choisi par les Phantomhives, pour que je le mène à la potence. C'est ma signature de police que je poserai sur ce mensonge ! Pendant que toi tu rentreras dans ton foyer, que tu embrasseras ta femme et ton enfant, et tu oublieras toute cette histoire.

- Jamais je n'oublierai ce qu'il s'est passé ici. Tout autant que toi je comprends l'injustice qui sévit dans ces murs. Mais je me sens impuissant ! Je ne sais pas à quel point ce jeune homme est impliqué dans ces meurtres et les seules personnes qui peuvent répondre à ces questions sont murés dans le silence... ou ont disparu.

- Demandons-lui directement.

Arthur regarda son ami, ne sachant ce qu'il voulait dire, et celui-ci continua : « Il est là dans la cave, rien ne nous en empêche de lui parler. »

- Pour l'amour du ciel… ! » Cette nuit ne s'arrêterait donc jamais !

- Viens avec moi, dit l'inspecteur en se levant avec rigueur, obtus et décidé qu'il était.

- D'accord, mais aidez-moi à me lever, mes côtes me font souffrir. Et non, je ne te dirai pas comment cela est arrivé.

Étouffant un râle de frustration, Abberline prit la main que lui tendait son ami et le tira du fauteuil.


La pluie venait à peine de cesser et le sol était encore marécageux. Ils décidèrent de passer par l'intérieur du domaine et d'entrer par la porte de la cuisine qui menait à la cave.

Ils descendirent le long escalier de pierre en colimaçon et arrivèrent aux cuisines. Aucun des serviteurs n'était présent, Arthur le savait. Finni et Bard veillaient Mei rin dans l'une des chambres du château, occupés à appliquer des linges humides sur son visage et sur sa brûlure.

Ils ouvrirent la lourde porte de bois. À nouveau, un escalier en colimaçon, plus sombre que le précédent. Ils n'avaient pour lumière qu'une faible bougie qu'ils avaient prise dans le salon, ne désirant pas demander une lampe de peur qu'on ne leur demande quel usage ils souhaitaient en faire. Abberline menait la marche suivie d'Arthur qui s'agrippait aux parois de pierre à chaque marche qu'il devait descendre. Le shinigami lui avait sans doute fêlé une ou deux cotes. Chaque pas semblait une torture, mais il avançait sur les pas de son ami sans scier.

Ils arrivèrent à une autre porte de bois, qui grinça fortement lorsqu'ils voulurent l'ouvrir. La force de deux hommes était nécessaire, car le bois gonflé d'humidité s'était épaissi.

Une odeur de vin leur parvint, forte et diffuse. La pièce était plongée dans l'obscurité totale et on respirait l'air moite jusqu'au plus profond des poumons.

Par chance, ils connaissaient déjà les lieux. Ils y étaient descendus quelques jours auparavant, quand le coroner Baxter avait examiné en leur présence, les cadavres qui y étaient entreposés. Ils cherchèrent la colonne de pierre qui soutenait la voute de la cave, battant l'obscurité à la flamme de leur unique bougie.

Une forme se dessina dans le noir, et ils s'approchèrent pour découvrir le détenu recroquevillé contre la colonne de pierre.

Quand le garçon entendit leur pas, il se releva brusquement, comme un animal apeuré, reculant jusqu'à se heurter contre la pierre sur laquelle il était enchainé.

« N'aie pas peur, lui dit doucement Arthur, en levant deux mains devant lui en signe d'apaisement. Nous ne te voulons aucun mal, nous sommes venu te parler, simplement te parler.»

Mais en réponse, il entendit des balbutiements et gloussements incompréhensibles.

Abberline leva la lampe et porta la lumière sur le jeune homme, et se glaça d'effroi. À son tour, Arthur émit un hoquet de surprise et recula.

Snake se tenait là, à genoux, les yeux larmoyants, sa langue boursoufflée et bleue pendant hors de sa bouche gonflée et ouverte où se dessinaient des veines épaisses. Son visage était si bouffi que l'un de ses yeux ne parvenait plus à s'ouvrir. On avait l'impression qu'il lapait le peu d'air qui parvenait à passer à travers sa bouche crevassée. L'aspect du garçon n'avait plus rien du croquis que l'inspecteur avait réalisé la veille.

- Grand Dieu, mais que lui est-il arrivé ? s'exclama Abberline. A-t-il été mordu par l'un de ses serpents ?

Le garçon se remit à balbutier, secouant frénétiquement la tête.

- T'a-t-on réduit au silence ? demanda Arthur avec douceur, ému par cette cruauté qu'il savait possible dans ce manoir de l'enfer.

Un oui de la tête du malheureux confirma ses craintes.

- N'as-tu pas d'antidote ? s'exclama Abberline en posant la bougie à terre pour observer le garçon.

- Contre quoi ? Je ne sais pas ce qu'on lui a administré. Je pourrais le tuer en essayant de le sauver. De l'ail pour le soulager sans doute, l'allicine que cela contient stimule la circulation sanguine. On l'utilise parfois comme antidote contre certains venins et poison. Je voudrais lui donner du laudanum pour la douleur. Mais si on le drogue trop dans son état, il peut ne plus avoir la force de respirer.

- Va voir dans les caisses là-bas, il doit y avoir des vivres, essaye de trouver quelque chose à lui donner. On ne peut pas le laisser ainsi.

Arthur s'exécuta. L'inspecteur prit un mouchoir dans sa poche et le déchira. Il prit deux morceaux de tissus qu'il plaça entre les poignets du garçon et les menottes. Le jeune homme avait dû tirer sur les chaines à s'en entailler la chaire.

-Cela va soulager la brûlure de la chaine. Ne tire plus dessus, c'est inutile.

Il récupéra avec son mouchoir de l'eau qui suintait le long de la colonne, et appliqua le tissu humide sur le visage du garçon et sur sa nuque.

Arthur revint, tenant un bol de bois grossier duquel s'échapper une forte odeur d'ail.

- J'ai trouvé des gousses que j'ai écrasées avec une pierre. Tiens-lui la tête en arrière, je vais en mettre sur sa langue et son visage. T'a-t-on fait boire quelque chose ?

À nouveau non de la tête et le garçon leur montra sa langue avec frénésie. Arthur prit la bougie et l'approcha de sa bouche, examinant la langue.

- Une piqure, là! Je la vois, la peau est presque noire à cet endroit, soupira Arthur. Il prit le mouchoir d'Abberline et le plongea dans le bol. « Il nous faut une pointe, quelque chose pour lui ouvrir la langue est en faire sortir le sang purulent.

- Ma plume, que j'utilise pour écrire dans mon calepin dit Abberline en cherchant dans ces poches, pour en sortir un petit bloc, une minuscule bouteille d'encre et la plume pointue.

- Parfait, dit Arthur en la prenant. Cela va te soulager, nous allons essayer de vider le poison qui circule dans ta langue. Cela ne vaut pas un réel antidote, mais tu pourras respirer plus facilement. »

Il perça la langue, et un sang rouge et puant s'écoula du muscle enflé. N'écoutant pas les plaintes du garçon aux yeux larmoyants, il appliqua le tissu qui avait trempé dans l'ail et appuya sur la langue, laissant le liquide infecté l'écouler.

Au bout de quelques secondes, il lâcha la tête du garçon.

- C'est tout ce que je peux faire pour le moment, dit-il à Abberline, déçu de ne pouvoir être d'un plus grand secours.

- Peux-tu nous parler ? demanda Frédéric à Snake.

Le garçon fit une tentative, mais son discours était chaotique, gloussant.

- Sais-tu écrire ?» Il lui tendit sa plume et son calepin.

Le garçon repoussa les objets et dit non de la tête.

Abberline soupira et reprit:

- As-tu tué Lord Siemens ?

Le garçon fit non de la tête.

- As-tu attaqué Sebastian Michaelis?

Snake émit un grognement à l'évocation de ce nom, mais à nouveau, il dit non.

- Pourquoi as-tu tué Lord Phelps ?

Le garçon gloussa encore tout en secouant la tête, battant des mains.

- C'était un accident n'est-ce pas ? demanda doucement Arthur. Était-ce le jeune Comte que tu visais ?

Oui de la tête.

- Pourquoi ?

Le garçon tenta alors de s'exprimer, luttant avec effort pour former des mots malgré ses lèvres boursoufflées qui refusaient encore de se fermer et sa langue veineuse qui pendant lamentablement hors de sa bouche.

Quelques mots pourtant furent compris par les deux hommes, à genoux devant lui, tentant de décrypter ces propos.

« Massacrer… ceux que j'aimais. Mes amis… Tous tués. »

Arthur baissa la tête. Il ne supportait pas le désespoir qu'il lisait dans les yeux du garçon. Il y voyait sa propre souffrance et son dégoût de lui-même. Car ayant posé le pied dans un autre monde, mystique et fantastique, il s'était mis à douter de tout ce en quoi il croyait, animé d'un bizarre et dangereux scepticisme.

Il se releva s'éloignant dans l'ombre. Il regarda Abberline passer son manteau autour des épaules du prisonnier, lui parlant avec douceur, des paroles que le garçon acceptait avec des hochements de tête reconnaissants. Au fond, le seul crime de ce jeune homme avait été de croiser un jour le chemin de Ciel Phantomhive et de son démon… et il ne connaissait que trop bien cette mise à mort silencieuse. Il lui sembla que leur vie à tous deux étaient en survis depuis le jour où ces deux êtres étaient entrés dans leur vie, piétinant leur conscience et leurs idéaux. Et cette idée était insupportable.

Il vit Abberline attraper la bougie et se lever, alors que le garçon se recouchait sur le sol humide, enveloppé dans le manteau de l'inspecteur.

Ils ne dirent aucun mot lorsqu'ils traversèrent la pièce. Ils fermèrent la lourde porte de bois sur le malheureux et Arthur garda un instant la main posée sur le bois grossier, songeur.

« Je parlerai à Ciel Phantomhive dès demain », dit - il alors qu'ils remontaient l'escalier obscur.

Fin du Chapitre 11


Quelques explications :

- Les démons dorment, mais ils n'en ont pas besoin, c'est un luxe. Et Sebastian en avait grand besoin.

- « Les nouveaux moteurs au gazole de l'académie des sciences de Londres » : Les premiers moteurs à gazoles étaient exposés à Londres au XVIIIème, ce qui m'a permis de faire en sorte qu'Arthur sache un peu près comment fonctionnait une faux en forme de tronçonneuse, lui qui est scientifique.

- Grell :
J'avoue que j'ai été très fort… Entre Arthur qui lui plante les ciseaux dans le dos, lui coupa la main avec la faux et Sebastian qui utilise sa main amputée pour le gifler au point de lui crever un œil… Le shinigami déguste méchamment.
Je ne suis pas sadique, j'ai même été horrifiée de ce qui arrivait à Grell. Mais l'univers de Kuro est sombre et douloureux, cette histoire ne fait pas exception.

- Grell et William :
Yana a dit que William était le grand amour de Grell, et celui-ci est d'une froideur déconcertante. J'aimerai vraiment en apprendre plus sur Spears et je crois qu'il cache un cœur plus tendre qu'il n'y parait. Et je pense que dans cette histoire, même s'il ne le dit pas ouvertement, les blessures de Grell le rendent malheureux. Mais cela il ne le dira jamais…

Arthur et William :
La discussion entre Arthur et William est extrêmement importante pour la suite du chapitre.
En dehors du contenu, j'ai vraiment aimé voir un humain et un shinigami discutait ensemble.

La chouette de Sebastian : Sebastian a envoyé la chouette au bureau des shinigamis. Je te connais pas exactement le contenu mais cela devait être un peu près ceci : « Venez récupérer l'autre taré qui traine au manoir des Phantomhives ou je l'étripe. » Mais bien sûr sous la plume d'un majordome de la famille Phantomhive, la formulation était beaucoup polie et soutenue…

Ciel/Sebastian/ Arthur : Dans ce chapitre ces trois personnages ne sont pas dans leurs états normaux. Eprouvés, excédés, en proie à leurs sentiments et émotions à vifs, ils ne sont plus réellement eux-mêmes. La fin de cette histoire leur redonnera leurs couleurs

Ciel / Sebastian : Je sais ça reste soft entre eux… mais ça vient… ne vous inquiétiez pas… bientôt… bientôt…

Plus que deux chapitres...

Dans le prochain (et avant-dernier) chapitre :
Arthur et Ciel discutent…
Snake est présenté à la Reine….
Sebastian va voir Undertaker….
Ciel prend une décision…


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