Mes petits chats,
Cette nouvelle partie inaugure un tournant dans "L'homme de la plage " et la dernière partie de cette histoire dont la publication a commencé il y a un peu plus d'un an (!).
Je la publie en n'étant pas entièrement satisfaite mais je ne parviens pas à trouver le petit quelque chose qui me fera changer d'avis donc je vous la propose ainsi. Au fil de la longue correction de cette histoire, j'ai beaucoup modifié la chronologie. Même si j'ai travaillé dur pour garder un ensemble cohérent, c'est peut-être là qu'est à chercher ce petit truc qui me démange...
Bref, j'espère qu'elle vous plaira (et que je parviendrai à vous surprendre un peu ;))
Je vous souhaite une très bonne lecture.
Bien à vous,
ChatonLakmé
Pour rappel, les relations entre personnes du même sexe étaient encore considérées comme un crime dans cinquante États desÉtats-Unis jusqu'en 1962. L'homosexualité n'a toutefois été dépénalisée qu'en 2003.
Union Square est un quartier commerçant situé dans le centre de San Francisco.
The Big One est le nom donné au super tremblement de Terre qui devrait frapper un jour la Californie, un État situé sur une importante ligne de faille sismique.
L'homme de la plage
o0O0o o0O0o
Vingt-cinquième partie
Fin mars
Malgré la température matinale un peu fraîche et le temps légèrement humide, les badauds se pressent dans les rues de Old Town. Bucky a été surpris de devoir garer le pick-up loin sur le front de mer mais son étonnement ne cesse de monter c'est à croire que la moitié du comté bénéficie comme Chris et lui d'un jour de congé pour étendre leur week-end. Le marché des producteurs locaux est bondé et de longues files d'attente se forment devant certains étals. … C'est peut-être la moitié de la Californie qui a choisi de faire l'école buissonnière finalement.
Un petit crachin tombait encore en tout début de matinée mais les esprits s'échauffent toujours. Le brun a dû lutter contre une habitante de la baie d'Humboldt pour pouvoir acheter quelques-uns de ces petits gâteaux aux poires dont Chris raffole, les fruits étant les rares rescapés d'une mauvaise saison. Hors de question de lui laisser emporter le lot entier, Bucky a l'amour conquérant et il veut lui faire plaisir même s'il a payé les modestes tartelettes un prix indécent. De loin, le brun a aperçu la famille de sa concurrente, un mari et deux enfants trépignant d'impatience. Aucune raison d'acheter la moitié du petit étal du boulanger pour quatre personnes. Le brun n'en démord pas et peu importe que le sac pèse un peu trop lourd dans sa main à présent, les anses en plastique lui cisaillant la paume. Au moins, les pâtisseries sont très richement garnies en fruit.
À ses côtés, Chris tient Sandy en laisse, un peu gêné par son attelle qu'une maladresse le contraint à porter encore. Les gâteaux aux poires adouciront sans doute sa peine et sa frustration. Bucky a déraisonnablement envie de le gâter quand il le surprend en train de regarder sa main d'un air sombre, comme si le modeste équipement médical était responsable de tous les maux de la terre.
La chienne est surexcitée. Trop de monde, trop de stimulation, trop de vendeurs dépassés auxquels elle pourrait voler un peu de marchandises par gourmandise. Même son grand ami le vendeur de pains de viande lui a jeté un regard peu amène quand il l'a vu tourner un peu trop près de sa marchandise, dépassé par l'empressement de sa clientèle. Bucky l'a tiré par le collier pour l'éloigner, sans rien acheter. C'est une autre de ses victoires de la matinée. Même tenue en laisse, Sandy est un peu comme une de ces poussettes trop encombrantes contre lesquelles on rouspète en se demandant pourquoi on a décidé de la sortir à ce moment précis et pas du tout adéquat. Seul le sourire désarmant de Chris, la largeur de ses épaules, sa mâchoire barbue et le duo adorable qu'il forme avec Sandy leur épargnent les remarques trop désobligeantes.
Son compagnon jette un regard attentif à leur liste de courses tandis qu'ils descendent lentement 2nd Street.
On les presse de tous côtés, les visiteurs trépignent et les deux hommes piétinent, Sandy marchant sagement à côté de la cuisse de Chris qui l'a attrapé plus prudemment par son collier.
Ils avancent lentement, cela leur permet de regarder avec une attention toute particulière les étals Bucky ignorait qu'il existait un tel camaïeu de couleur pour de simples carottes. Ni des tomates noires. C'est intriguant, il se demande quel goût elles ont.
Dans le lointain, le clocher de Saint-Bernard Catholic Church sonne onze heures et demie.
Bucky grommelle. Ils ont à peine commencé à rayer les premières lignes de leur liste. Une fois encore, Chris l'a attiré dans ses bras le matin au réveil, chaud et langoureux, avide de plaisir et très heureux de lui montrer qu'il pouvait se servir parfaitement bien de ses deux mains malgré son attelle, sans douleur ni raideur. Le brun ricane et songe à un jeu de mot un peu graveleux. Si, il y avait bien la roideur parfaite de son –
Le couple a quitté Manila très tard et se retrouvent en compagnie des flâneurs et des retardataires pour faire leurs courses. Tant pis, le mal est fait Bucky peut difficilement en vouloir à son compagnon d'être incapable de garder ses deux mains pour lui pour faire l'amour.
Ils se promènent sous un soleil un peu pâle sur 2nd Street et cela ressemble un peu à des vacances.
Le brun frotte distraitement son nez dans le col du blouson en cuir de Chris. Il aime son poids sur ses épaules, la douceur de la doublure en mouton et les parfums mêlées de son compagnon et de la peau tannée. Bucky le lui a emprunté avec malice tandis qu'ils quittaient la maison, il pense que Chris aime aussi le voir habillé avec.
Saint-Bernard Catholic Church sonne encore.
— « Il est tard. Nous pourrions manger en ville, je pense que nous sommes bloqués à Old Town jusqu'à la fin du marché », suggère Chris en s'arrêtant avec intérêt devant l'étal très coloré d'un maraîcher.
Bucky hausse nonchalamment les épaules.
— « On s'arrête au Café Waterfront ? »
— « Tu lis dans mes pensées, je meurs d'envie de manger un hamburger. »
Le blond rit joyeusement et passe un bras sur ses épaules avant d'embrasser sa tempe.
Miss Patty les croise au même moment depuis le trottoir devant son salon et les salue d'un air de gourmandise. Un peu plus loin, attablés à la terrasse d'un café, Bucky et Chris aperçoivent David et Susan, main dans la main en train de boire une boisson chaude et de partager une pâtisserie. À l'angle de 2nd Street et de Snug Alley, c'est l'officier de police Porterfield qui leur adresse un petit signe de la tête tandis qu'il verbalise une voiture mal garée sur le trottoir.
Le brun sourit.
Tant de gens de leur connaissance, tant de personnes qui les regardent avec bienveillance et qui sont heureux pour eux. Une vie dans laquelle Chris s'est parfaitement inséré au point qu'on se dispute sa présence à table au repas de Noël. Un endroit où il a pu s'épanouir, que ce soit dans son travail, dans sa fréquentation de la communauté d'Eureka et dans leur maison. Le blond a ses endroits préférés et des enseignes qu'il apprécie moins. Il donne systématiquement un pourboire à Miss Patty qui l'adore et, derrière la borne d'accueil de Providence, Sue Ann aux cheveux roses meurt d'envie de lui pincer les joues quand elle le voit.
Personne ne doute de leur couple et même la revêche officier Ruiz s'est un peu adoucie depuis que son compagnon est venu la rejoindre il y a quelques semaines à Eureka.
Bucky sait qu'on interroge encore parfois Chris sur sa vie d'avant, sur sa mémoire un peu défaillante.
Non, toujours pas de souvenirs.
Pas de nouvelles de la part de la police municipale, ni de la police du comté ou de l'agence fédérale.
Personne ne réclame après lui. Rien. Le néant. Pas d'identité ni de passé.
Mais il a une nouvelle vie et il a Bucky – qui l'aime éperdument aussi – et il est heureux.
C'est ce que Chris répète toujours avec un joli sourire, un sourire qui fait soupirer avec tendresse autour de lui ou lui attire de grandes tapes viriles dans le dos.
Alors la vie continue, le mois de mars s'écoule tranquillement.
Bucky pense au printemps et à bien après encore au vrai retour des beaux jours parce que la météo est un peu maussade malgré la fin de l'hiver, à leurs prochaines vacances et à son anniversaire en mai où il espère que, peut-être, Chris acceptera qu'il lui fasse l'amour.
D'autres mois encore, juillet et l'anniversaire de leur rencontre puis octobre l'anniversaire de leur couple. Un an, une année complète et totale de bonheur.
Tant d'autres moments que le brun oublie sans doute mais que son compagnon lui rappellera. Cette idée le fait rire.
Bucky est vraiment atrocement heureux, si heureux que s'il était superstitieux, il songerait que tant de félicité doit forcément rencontrer un accro, un sursaut parce que les planètes se réalignent un instant normalement. La vie n'est pas uniquement faite d'amour et d'eau fraîche. Mais il ne croit pas en l'astrologie ni en toute autre forme de divination – pas même à ses propres rêves quand il dort – il est pragmatique alors il se contente juste d'être heureux.
Chris lâche le collier de Sandy mais garde la laisse un peu courte par précaution. La chienne lève la tête, hume l'air avec intérêt et gémit doucement. Le brun grimace. Ils ont dépassé depuis longtemps le vendeur de pains de viande, il doit s'agir de la jeune femme qui vend des friandises tendances pour animaux, notamment des oreilles de porc séchées et aromatisées dont l'odeur rende la chienne presque folle de joie. Impossible de faire demi-tour, la foule autour d'eux éclaterait en protestations outrées en les voyant aller à contre-courant.
Chris resserre doucement son bras sur ses épaules pour le garder contre lui, Bucky enroule un bras autour de sa taille, la main glissée sous son blouson. Ça fait probablement très gay mais dans la foule, il croise un couple de filles habillées d'une manière parfaitement coordonnée, leurs doigts enlacés. Elles portent le sweat de la CSPU d'Arcata le brun a aussi remarqué des casquettes floquées du logo de la HBRSC – l'école de médecine au sud de la ville – et des sweats aux couleurs des Wildcats d'Eureka High. Autant de rivaux potentiels pour trouver une place en terrasse au Café Waterfront dont les burgers sont très prisés par les jeunes gens d'Eureka.
Alors qu'il observe distraitement l'étal d'un vendeur de tomates – il y a encore des variétés qu'il n'a jamais vu auparavant – Bucky remarque un éclat fauve plus loin devant lui, la flamboyante chevelure rousse d'une femme. Le brun continue à marcher, passe devant un stand de biscuits et il l'oublie. Il adore ces petits gâteaux secs, produits dans le comté voisin de Trinity.
À côté de lui, Chris sort déjà son portefeuille pour contenter sa gourmandise.
— « Il ne nous en reste plus, n'est-ce pas ? Tu souhaites que je t'offre un ou deux paquets ? »
Bucky ricane et lui donne un petit coup de coude dans les côtes.
— « Steve ! »
— « … Je pense qu'en prendre deux est plus prudent. Il y a beaucoup d'autres clients autour de nous et le stand n'est pas présent toutes les semaines. »
— « Tu exagères, tu sais très bien qu'il vend aussi ses produits dans cette épicerie fine sur A Street. »
— « Steve ! »
Le brun ricane. Il se penche sur lui et vient embrasser sa mâchoire, y traînant ses lèvres d'un geste caressant.
— « Ils n'ont pas le même goût », rétorque-t-il avec mauvaise foi.
— « Steve ! Bon sang, Steve ! »
Bucky jette un regard par-dessus son épaule. Sandy s'agite un peu devant eux. Elle n'aime pas entendre crier, cela l'effraye. La chienne vient se coller à sa jambe et le brun la gratte gentiment derrière les oreilles. Il aimerait bien aussi que ce Steve réponde à la personne qui l'appelle. Cela semble vraiment important et dans la bulle de bonheur du brun, les gens ne crient pas.
— « Steve ! Bordel, laissez-moi passer ! Écartez-vous, vous ne voyez pas que vous gênez ! Steve ! Steve ! »
Il semble y avoir une bousculade loin d'eux, en aval du marché, et des gens qui protestent.
Sandy se presse si fort contre ses jambes qu'elle manque de le faire trébucher. Bucky la flatte gentiment mais la chienne tend le cou et vient lécher vigoureusement ses doigts.
Le brun hausse un sourcil étonné. C'est ce qu'elle faisait quand elle a commencé à grandir alors que, encore chiot, elle tétait vigoureusement ses doigts pour se rassurer. Le jeune homme a trouvé cela adorable jusqu'à ce qu'il ne soit obligé de laver couverture sur couverture parce qu'elle bavait joyeusement dessus. Bucky pensait pourtant lui avoir appris à ne plus le faire.
Il fronce les sourcils, regarde à nouveau tour de lui.
Ces cris derrière eux commencent à l'agacer. Ils vivent au XXIe siècle pour l'amour du Ciel, y a-t-il encore des gens sans portable qu'on ne pourrait interpeller qu'en beuglant comme un vendeur sur une foire ?
— « Steve ! Steve ! »
Le jeune homme resserre ses doigts sur la hanche de Chris, les aventure un tout petit peu plus loin pour caresser la peau chaude et douce de son pouce.
Ce cri empli d'émotions tord quelque chose dans son ventre, une chose qui ressemble à une gêne. Une sensation désagréable qui lui rappelle celle qui l'a étreint à son réveil après la Saint-Valentin après ce rêve.
Bucky frotte doucement sa joue contre l'épaule du blond. C'est chaud, familier et rassurant. Il plaint sincèrement toux ceux qui n'ont pas la chance d'avoir un Chris dans leur vie.
Son compagnon coince la laisse de Sandy dans le creux de son coude et ouvre son portefeuille.
— « Je prends deux paquets donc ? Quel parfum préfères-tu ? On avait acheté ceux aux pépites de chocolat et au caramel la dernière fois. Tu te rappelles, c'était i peine quinze jours… »
Bucky roule des yeux.
— « Je me souviens surtout que je n'étais pas seul pour les manger. Choisis-en un, je choisirai l'autre. »
— « Steve ! »
Puis soudain, ça arrive.
Comme un ralenti cinématographique un peu kitsch.
La foule semble refluer lentement autour d'eux, son flot auparavant fluide comme bouleversé par un individu nageant vigoureusement à contre-courant.
Bucky aperçoit un homme blond, plutôt trapu, fendre littéralement l'attroupement d'un pas de tempête. Ses sourcils sont froncés, tous les traits de son visage presque douloureusement contractés et ses lèvres exsangues.
Le brun veut détourner le regard mais il n'y arrive pas. Sa gêne – son malaise – grossit dans sa poitrine.
Les yeux clairs de l'inconnu lancent des éclairs, cela pourrait être de la colère mais il semble juste profondément bouleversé. Il marche toujours, bousculant les gens autour de lui sans la moindre considération. Il progresse, se précipite aussi rapidement que la foule dense le lui permet.
Il marche dans leur direction, droit vers eux et sans erreur.
Bucky fronce les sourcils, il serre ses doigts sur la hanche de Chris. Son compagnon tressaille légèrement et lui jette un regard surpris. Ses ongles courts se sont enfoncés dans sa chair.
— « Bucky ? Est-ce que tout va bien ? »
— « Je – »
L'inconnu avance toujours. Un pas de plus, puis deux puis trois. Bucky détourne les yeux pour regarder son compagnon. Chris sourit gentiment, il frotte son nez contre sa tempe avant de chercher sa bouche.
— « Steve ! »
Le brun ferme lentement les yeux et l'embrasse. Il se presse contre lui, probablement plus fort que la décence ne l'autoriserait à le faire en public. Avant 1962, on a arrêté aux États-Unis des hommes ensemble pour bien moins que cela.
Chris retire son bras de ses épaules, glisse sa main sur sa nuque pour le garder contre lui, son souffle brûlant caresser doucement son visage.
— « Steve ! »
L'inconnu apparaît brusquement à côté d'eux.
Chris l'embrasse toujours voluptueusement, il en semble pas l'avoir remarqué. Ce n'est pas du goût du blond qui pose d'autorité une main sur son épaule pour les éloigner brusquement l'un de l'autre.
Bucky cligne des yeux, le goût de son compagnon encore sur les lèvres. Quoi ? Il tourne la tête.
L'inconnu est avec eux, entre eux.
Il crispe ses doigts sur l'épaule de Chris et la serre tellement fort que ses jointures blanchissent. Si le brun pensait qu'il avait l'air bouleversé un peu plus tôt, il semble à présent complètement perdu. Chris fronce les sourcils et le repousse d'un geste. L'inconnu écarquille les yeux. Pas perdu, plutôt… anéanti. Une flamme passe soudain dans ses prunelles bleues et, agrippant à nouveau le blond par les épaules, le jeune homme le tourne brusquement vers lui pour les mettre face à face. Il serre ses doigts sur lui pour le maintenir fermement.
— « … Steve… », souffle-t-il d'une voix douloureuse et chancelante. « Bordel, c'est… Merde, c'est vraiment toi. C'est vraiment toi ! Bon sang, mais qu'est-ce que tu fous ici ? Sans donner de nouvelles depuis neuf mois ? Est-ce que tu as la moindre idée du sang d'encre que nous nous sommes tous fait pour toi ! Et t'es là et… et… Merde, c'est quoi cette barbe ?! Et ces cheveux ?! »
Bucky remarque distraitement qu'une jeune femme à la chevelure fauve – cette chevelure qu'il a aussi aperçue un peu plus tôt – se tient derrière l'inconnu. Son visage est beau, plus composé, mais dans ses yeux verts passent un maelström d'émotions. Elle est délicatement maquillée. Ses lèvres pleines sont rouges, ses yeux sont ourlés de noir mais ses joues sont pâles, aussi blanches que celles de son compagnon. Presque exsangues.
Ce dernier est incroyablement agité, un flot de paroles décousues sort de sa bouche un tic agite le coin de son œil gauche. Ses doigts sont crispés sur les épaules de Chris, ses ongles courts s'enfoncent dans la toile de son blouson. Bucky remarque seulement maintenant que ses mains tremblent. Ses prunelles marron sont plantées dans celles de son compagnon qui se dégage une nouvelle fois.
Chris fait un pas en arrière, loin de l'inconnu.
Il attrape brusquement la main de Bucky et la serre fort. Si fort que le brun grimace légèrement.
Dans leurs jambes, solidement campée sur ses pattes, Sandy aboie bruyamment en direction des nouveaux venus. Son corps entier frémit de nervosité et d'appréhension. Le jeune homme la caresse machinalement entre les oreilles mais elle ne réagit pas. Ses muscles tressaillent et ondulent sous sa fourrure dorée.
— « Je suis désolé, je pense que vous me confondez avec quelqu'un d'autre », répond Chris d'une voix rauque.
Bucky acquiesce lentement mais l'inconnu se décompose devant eux et c'est étrangement douloureux à voir. Le brun presse les doigts de Chris entre les siens, le tire doucement pour l'inviter à reprendre leur déambulation dans le marché d'Old Town. Ils ont encore des courses à faire et des hamburgers à manger ce type blond a un problème qui ne les concerne pas.
Il regarde Chris.
Son compagnon reste étrangement immobile sur l'asphalte. Il dévisage l'homme, les épaules un peu raides et la mâchoire contractée.
Bucky emmêle leurs doigts.
— « Chris, allons-y. Nous n'avons pas fini nos courses », dit-il doucement.
Le brun tire encore, son compagnon fait distraitement un pas vers lui. Il ne quitte pas l'inconnu du regard alors Bucky décide de ne pas être un sauvage, il salue ce dernier d'un signe de tête. Voilà, c'est une erreur, vous vous êtes trompé, merci et bonne journée. Essayez le crabe tout frais pêché, c'est la spécialité du coin. Vraiment, je vous assure que vous ne le regretterez pas.
Une lueur étrange – dangereuse – luit soudain dans les yeux de l'inconnu, plus puissante et furieuse que jamais. Il secoue vivement la tête, passe une main fébrile dans ses mèches courtes et sa nuque. Elle tremble toujours, peut-être plus que jamais.
— « Je… je ne confonds pas ! Merde, je ne confonds pas ! » répète-t-il dans ce qui ressemble à un cri. « Bordel, même avec cette foutue barbue de hipster et ces cheveux longs je te reconnaîtrai Steve ! Putain, on se connaît depuis plus de dix ans, tu penses réellement pouvoir me tromper ?! »
Le jeune homme tend brusquement une main et ébouriffe familièrement ses mèches dorées. Elles retombent souplement sur le front de Chris et l'inconnu éclate d'un rire qui fait couler une goutte de sueur glacée dans le dos de Bucky.
— « C'est toi ! Bien sûr que c'est toi ! Dis-le, Natasha ! »
Il dérange encore un peu la coupe de Chris et le brun songe qu'ils doivent vraiment avoir l'air ridicule ainsi, dans la rue.
Derrière lui, la jeune femme ne dit rien, elle se mord seulement les joues et Bucky voit des larmes perler à ses longs cils gainés de mascara. … Pourquoi pleure-t-elle ?
L'inconnu tente d'arranger une nouvelle coupe de cheveux pour Chris, repoussant des mèches, en disposant d'autres autour de son visage. C'est si stupéfiant, ses gestes sont si rapides, que le blond ne bouge pas. Au début. Bucky a l'impression que cela dure une éternité quand enfin, Chris attrape le poignet du jeune homme avant de l'écarter violemment de son visage. Sandy aboie plus fort et commence à grogner.
— « Qu'est-ce qui ne va pas chez vous ?! Vous ne pouvez pas faire ça », gronde son compagnon d'un air sombre.
— « Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?! », éructe le blond en le fusillant du regard. « C'est toi qui joues au connard et qui fait semblant de ne pas savoir qui je suis ! Nous sommes amis pour l'amour de Dieu ! Et un ami te dirait que changer de tête était une très mauvaise idée. Sérieusement, est-ce que tu t'es bien regardé ?! Putain, tu ressembles à un de ces mecs branchés qu'on croise à Union Square et que tu détestes. Tu n'es pas d'accord, Natasha ? »
Le jeune homme se tourne vers la rousse. Son silence, la fixité de son regard humide sont oppressants.
Bucky tire encore sur la main de Chris. Bon aller, ça suffit maintenant, toutes les meilleures plaisanteries ont une fin. Ah ah ah, ils ont bien ri – même si le brun est presque sûr de déranger ainsi la coupe de cheveux d'une autre personne sans son consentement peut être qualifié d'agression – mais vraiment, ils ne peuvent pas rester. Bucky veut vraiment acheter les petits biscuits de Trinity avant l'épuisement du stock et Chris et lui aiment manger en sur la terrasse du Café Waterfront. Elle est petite, ils doivent se presser.
L'inconnu récupère sa main et se frotte le poignet en grimaçant légèrement. Le brun est absurdement satisfait de voir que Chris a serré vraiment très fort.
— « Merde mec, tu m'as fait mal. Je suis sûr que les flics du coin pourraient dire que tu m'as agressé », grogne-t-il en frottant sa peau rougie.
Bucky a envie d'éclater d'un rire particulièrement nerveux. Le jeune homme fronce les sourcils, lui jette un regard en coin.
— « Tu n'as jamais été bon comédien Steve alors arrête tes conneries. Cette barbe est ridicule, n'essaye pas de te cacher derrière un foutu costume », dit-il en plissant les yeux vers lui. « Tu veux que Natasha te répète ce que tu ne cesses de dire sur les salons de coiffure à la mode d'Union Square ? Que tu ne comprends pas qu'on puisse se payer une coupe de cheveux à cinquante dollars et se faire tailler la barbe à la pince à épiler ?! »
— « … Je doute qu'une coupe de cheveux à Eureka coûte cinquante dollars, Clint. »
La rousse esquisse un sourire à peine perceptible, au moins aussi discret que l'amusement dans sa voix. Dans d'autres circonstances, il serait sans doute très beau, peut-être un peu sensuel grâce à l'ourlet parfait de sa bouche pulpeuse le genre de sourire qui fait se retourner les hommes dans la rue.
Bucky le trouve juste fragile, un peu incertain et surtout suintant de tristesse. Son ventre se tord.
La jeune femme n'est pas volcanique comme son ami, elle est plus composée mais dans son regard, le brun lit quelque chose qui réveille une peur soigneusement enfouie au fond de lui et un peu oubliée depuis des semaines mois à peine chatouillée depuis la nuit de la Saint-Valentin.
Elle ressemble au passé et à la vérité.
Clint gronde d'exaspération et lui jette un regard noir.
— « Ne fais pas comme si tout ça n'était pas un énorme bordel ! Natasha, on le cherche depuis neuf mois et il est là, à seulement cinq heures de route de San Francisco ! », réplique-t-il en pointant un doigt accusateur vers elle.
— « San Francisco… »
Les paroles de Chris sont un souffle discret mais elles résonnent comme un cri aux oreilles de Bucky un peu comme les diatribes enflammées de Clint. C'est très léger – si léger qu'il faut tendre réellement l'oreille pour l'entendre – pourtant la voix de son compagnon provoque en lui un raz-de-marée.
Chris a déjà eu ce ton-là.
Ça a été très rare en neuf mois de vie commune, mais le brun l'a déjà entendu et ça l'a fait se crisper de la même manière quand Sam parlait en riant de ses yeux bleus couleur de myosotis et d'autres bricoles qu'il pensait sans importance.
Chris souriait, riait souvent mais il regardait aussi un peu dans le lointain et touchait distraitement la cicatrice à sa tempe. C'était suffisant pour avoir l'impression que pendant une fraction de seconde, son compagnon avait été sur le point de lui échapper. De partir… loin de lui.
Bucky caresse sa main de son pouce.
Quand Chris se tourne vers lui pour le regarder, il ne peut que lui adresser un petit sourire un peu crispé. Celui du blond est aussi doux et tendre que d'habitude mais le nœud dans son estomac se desserre à peine.
Clint roule des yeux et lui donne un coup de poing dans l'épaule pour l'obliger à le regarder.
— « Oui San Francisco ! La ville où tu es né, où tu as grandi et où tu as fait ta vie. La ville que tu sembles avoir complètement oublié pour vivre ici une petite vie de putain de hipster qui fait ses courses au marché local ! », vocifère-t-il.
Le jeune homme empoigne une nouvelle fois Chris par les épaules et Bucky lit dans les traits froissés de son visage qu'il ne le lâchera pas – jamais – même si un tsunami causé par The Big One devait brusquement submerger Eureka.
Il plisse les yeux, le fixe jusqu'à l'indiscrétion.
Chris tente de tourner la tête, il l'encadre sans façon de ses mains pour l'obliger à le regarder. Il se penche vers lui. Pétrifié, le brun éprouve soudain l'angoisse presque existentielle que Clint va l'embrasser malgré la splendide rousse à ses côtés.
— « Je ne sais pas que ce que tu cherches à faire ou à prouver mais tu n'es pas un putain de hipster. C'est tellement différent de l'homme que tu es Steve ! Tellement foutrement différent ! », poursuit-il. « On déclare ta disparition à la police de San Francisco pour t'inscrire dans le fichier des personnes disparues, on fait tout ce qu'il faut et c'était là que tu te cachais ! Que tu te planquais de tous ceux qui t'aiment et qui sont morts d'inquiétude pour toi depuis des mois ! »
— « Je – »
— « Tais-toi et laisse-moi finir ! », grince le blond. « C'était ça ta combine ?! Tu as simplement disparu volontairement et Natasha et moi on tombe sur toi par hasard comme si ont était en vacances ! C'est vraiment pas de chance mon pote ! Bon sang, tu es un tel enfoiré ! »
Clint semble ivre de fureur. Il serre la tête de Chris entre ses paumes et l'agite, comme s'il avait besoin de le secouer pour extérioriser le maelstrom d'émotions qui le bouleverse à cet instant.
Un goût amer dans la bouche, Bucky esquisse un geste pour les séparer. Bordel, ça va vraiment trop loin, il ne laissera pas Chris se faire insulter.
Sandy aboie encore plus fort, c'est désespéré et sincèrement terrifié. Elle ouvre la gueule et claque des dents en direction de Clint. Le blond relâche Chris, les yeux rivés sur la chienne avec appréhension. Les aboiements de Sandy ressemblent à une sirène d'alerte.
Chris cligne lentement des yeux, raccourcit machinalement la laisse de la chienne pour la garder contre lui.
— « … Je n'aime pas entendre des insultes », souffle-t-il.
— « Bordel ! Enfin un truc vrai dans toute cette histoire de fous ! »
Clint lève les mains au ciel avec grandiloquence comme un pasteur d'église évangélique. Le brun n'est pas un homme violent mais il a envie de le frapper pour effacer le sourire suffisant sur son visage.
Sandy s'agite encore, tire sur sa laisse pour tenter de venir vers lui. Le jeune homme sursaute légèrement, il perd un peu de sa superbe et cela lui fait immensément plaisir.
— « Eh, tiens-le bien en laisse ce chien ! D'ailleurs, depuis quand tu as un chien ? », grince-t-il.
— « Vous lui faites peur. Elle arrêtera de vouloir se jeter sur vous quand vous vous calmerez », réplique Bucky avec agacement.
Il tente d'attirer Sandy à lui mais se fige.
Le regard flamboyant de Clint se braque sur lui le blond semble tout juste remarquer sa présence. Il le dévisage et ça tord juste son ventre d'angoisse, ses yeux marron qui courent sur lui, sur son corps et ses vêtements d'une manière assez insultante. Avant de se fixer sur sa main, celle qui tient bien serré les doigts de Chris. Il a arrêté de les caresser gentiment, il ne peut pas tout faire.
Ses prunelles deviennent soudain particulièrement ombrageuses et dangereuses, presque mauvaises.
Bucky se raidit et – peut-être un peu stupidement et sans instinct réel de préservation – il se rapproche de Chris, colle son épaule contre la sienne. Celui-ci frotte doucement le bout de ses doigts contre sa tempe droite et sa cicatrice ce petit geste annonciateur d'une migraine. Le brun presse gentiment ses doigts entre les siens, se glisse devant lui. Il cache délibérément la vue sur ce double cauchemar blond et roux et sourit tendrement.
— « Est-ce que tu vas bien ? », demande-t-il doucement.
— « … Ça va. J'aimerais bien qu'on finisse nos courses maintenant, je veux rentrer à la maison. »
Chris se racle la gorge, sa voix est rauque et légèrement éraillée. Comme après qu'il a joui en lui dans leurs draps. Le brun se mord les joues, ce n'est certainement pas le moment.
Il sourit gentiment à Chris et hoche la tête. Il est temps en effet, sans doute peuvent-ils même rentrer dès à présent à Manila Bucky survivra sans biscuits ni déjeuner au Café Waterfront jusqu'à la semaine prochaine. Il la voit à nouveau, cette ombre qui vient couvrir le front de son compagnon et troubler un peu son regard. Migraine.
Dans son dos, le brun sent le regard de Clint lui brûler la nuque. Et la poignarder en même temps.
— « On va retourner à la voiture par Redwood Hayway pour éviter la foule. »
— « Bonne idée. Allons-y s'il te plaît », grimace Chris.
Le blond se penche vers lui, effleure sa tempe de ses lèvres. Elles sont froides et sèches sur sa peau, Bucky les aime mais cette fois, elles ne peuvent pas conjurer le mauvais sort. Il tourne la tête à droite et à gauche, cherche une trouée dans la foule pour entraîner son compagnon hors du marché. Il aimerait bien être assez rapide pour les faire disparaître comme par magie parmi les passants.
Chris respire doucement dans ses cheveux, son souffle est chaud.
— « … Je ne voulais pas le croire quand la police a dit que ça pouvait être une action volontaire de ta part , tu es majeur et vacciné. Je ne voulais vraiment pas y croire mais t'es là… avec quelqu'un. Et un chien. Tu n'aimes pas les chiens, Steve », souffle Clint d'une voix rocailleuse.
— « J'aime bien Sandy… », répond-il et Bucky se demande sincèrement pourquoi il s'embête à le faire. « … Je suis qui je suis. Je suis désolé mais vous vous trompez. »
La chienne lève ses beaux yeux noisette sur lui en entendant son nom puis roule tendrement sa tête dans sa large paume.
Bucky appuie distraitement sa joue contre l'épaule du blond. Clint a l'air toujours aussi perdu, il lui fait penser à une de ses bouées rouge et blanche ballottée par les flots pour délimiter les zones de baignade à Manila Beach. Un mouvement ondulatoire un peu hypnotique qui a depuis toujours l'étrange pouvoir de lui donner la nausée. Le brun se lèche les lèvres. Oui, c'est assez semblable.
— « Rentrons chez nous, Chris. »
Bucky le tire rapidement par leurs mains emmêlées, il vient de repérer un passage entre le stand de la biscuiterie et son voisin.
Chris esquisse un salut poli envers Clint – quelle foutue habitude que sa politesse – avant de lui emboîter le pas.
Le brun le tire plus fort, se fraye habilement un chemin en bousculant quelques personnes sur son passage peu importe si cela ressemble à une fuite. Il aperçoit le trottoir derrière les deux stands et au-delà, F Street où ils vont s'engouffrer et disparaître. Tout cela n'aura été qu'un étrange moment au goût de cauchemar.
Il croit entendre Clint et Natasha discuter à haute voix derrière eux, peut-être les interpeller mais il ne se retourne pas. Retrouver la voiture, démarrer sur les chapeaux de roue et rentrer à Manila telle est la mission.
Son compagnon effleure sa tempe de son nez en guise d'acquiescement. L'ombre menaçante couvre un peu plus son front et il fronce imperceptiblement les sourcils d'inconfort. Chris fait un petit signe de la tête à Clint, comme un salut auquel ce dernier ne répond pas. Bucky fait de même en direction de la jeune femme, mal à l'aise devant l'acuité de son regard et il s'empresse de leur tourner le dos.
Il esquisse un sourire, l'entrée de F Street est juste devant eux. La doublure en mouton du blouson et le coton de son polo collent à ses épaules en sueur. Ils y sont, ils –
Bucky perçoit un mouvement sur sa droite.
Trop tard.
Clint se glisse devant lui et lui barre le passage, une main posée sur son torse pour l'arrêter.
— « Deux minutes, mec. Qui est Chris ? », demande-t-il d'un ton dangereux.
Le brun se dégage vigoureusement, il sent les doigts de son compagnon se resserrer autour des siens.
— « Qui-est-Chris ?! »
— « C'est l'homme que vous appelez d'une autre manière. Il n'est pas celui que vous chercher, laissez-nous passer ! », s'énerve Bucky.
Clint cligne des yeux, l'air un peu stupide. Il jette un regard par-dessus son épaule, vers Chris qui caresse avec application Sandy. Ses ongles courts s'enfoncent dans sa paume mais le brun ne dit rien.
— « Putain, je pensais avoir tout vu… C'est quoi ce prénom ? C'est toi ? Tu – Tu t'appelles Steve bordel, Steve Rogers ! »
Bucky tente de repousser le blond pour passer devant lui et disparaître, le plus vite possible. Clint referme une main sur son avant-bras, une poigne de fer qui le fait grimacer de douleur.
— « N'essaye pas de me fausser compagnie mec, je te jure que je suis tellement en rogne que je pourrais te frapper et je n'aime pas faire ça », gronde le blond en le fusillant du regard.
— « Clint… », tente de l'apaiser la rousse en posant une main sur son épaule.
— « Pas maintenant Natasha, je veux la fin de cette foutue pièce de théâtre. » Il relève des yeux flamboyant sur Chris, si emplis de rage que Bucky s'en veut un peu d'avoir vraiment envie de détaler comme un lapin. « Tu t'appelles Steve Rogers. Tu es né en 1986, tu as trente-sept ans et tu étais un gringalet quand tu étais enfant. Tu ne sais pas cuisiner mais tu peux passer des heures à regarder des émissions de cuisine. Tu as des grains de beauté en bas du dos qui ressemblent à la constellation du Bélier. Je pourrais continuer pendant des heures comme ça, tu es Steve Rogers. Et tu es mon meilleur ami. »
Bucky sent une sueur glacée couler un peu plus le long de son dos et rendre ses épaules poisseuses.
Il ne sait pas qui est Steve Rogers mais il connaît cette constellation de grains de beauté sur le corps de Chris. Il en connaît par cœur le relief délicat quand il l'embrasse avec passion ou l'effleure paresseusement du bout des doigts le matin avant de se lever. Lui aussi, il a pensé que ces petits grains de beauté traçaient les contours du Bélier et il a ri avec Chris – tellement ri, bouche contre bouche – alors que les mains de son compagnon effleuraient son corps pour trouver aussi sa constellation.
Le jeune homme jette un regard à son compagnon.
Il voit un léger tressaillement agiter ses paupières et son front se creuser de plis soucieux, de cette ride entre sourcils qui est le signe qu'Elle approche. Chris frotte une nouvelle fois sa tempe de sa paume, le geste est plus appuyé qu'auparavant. Sa peau rougit un peu et sa cicatrice blanche ressort. Le brun vient enlacer doucement son poignet.
— « Te masser les tempes ne fera pas partir ta migraine. »
— « Tu es le seul à avoir ce super-pouvoir, c'est ça ? », essaye de sourire Chris avec malice.
Il essaye mais ça fait mal à voir parce qu'il souffre déjà un peu. Bucky secoue la tête.
— « Tu veux qu'on s'arrête à la pharmacie ? Tu n'as pas ton ordonnance mais Louis nous connaît bien, il acceptera probablement de te donner une plaquette d'anti-inflammatoires. »
— « Je n'aime pas ces médicaments, ils me donnent un peu la nausée », proteste faiblement Chris.
— « Oh ! Arrête de faire comme si vous étiez juste tous les deux ! »
Bucky se sent tirer brusquement en arrière pour l'éloigner de son compagnon. Il n'a pas le choix, il lâche sa main.
Les yeux bleus de Clint sont étincelants de rage et de quelque chose qui ressemble à une blessure, peut-être de la jalousie. Le brun serre les dents. C'est tellement risible.
Il ne baisse pas les yeux devant lui, lui rend son regard peu amène et suspicieux.
Après quelques secondes interminables, Bucky doit admettre, la rage au ventre, que Clint le bat à plate couture. Le jeune homme cligne des yeux et le dévisage d'une telle manière – parfaitement indescriptible – que le brun a soudain l'impression d'être la pire personne au monde. Les yeux du blond luisent de rage.
— « T'es qui toi au juste ?! Tu l'appelles Chris et tu – Qu'est-ce que tu lui as fait ? Tu lui as fait du mal ?! », s'exclame-t-il en le fusillant du regard.
Le jeune homme désigne d'un geste brutal l'attelle de Chris. Bucky a la nausée.
— « Tu l'as frappé ?! Bordel, éloignes-toi de lui ! », vocifère encore le blond.
Bucky doit à un réflexe dont il ignorait être pourvu de reculer pour éviter la main menaçante que Clint tend vers lui pour le saisir au collet. Il a les mains qui tremblent mais cela n'a plus rien à voir avec l'émotion qui le submergeait un peu plus tôt. Le brun le pense réellement capable de s'en prendre physiquement à lui. Il a l'impression que tout s'érode lentement sous ses pieds, prélude à un effondrement plus certain.
Bucky déglutit et secoue la tête.
— « Je n'ai rien fait. C'était un accident. »
Il s'en veut – tellement – mais il se sent obligé de se justifier sous le regard lourd de Clint. Ça a encore été un accident Chris venait de retirer son attelle, il célébrait avec ravissement sa vie d'homme libre jusqu'à ce que Sandy ne le fasse tomber lors d'une promenade à Manila Beach quelques jours plus tard. Mauvais manière de se rattraper, doigts qui craquent. C'est bête.
— « C'est ce qu'ils disent tous », siffle-t-il d'un air mauvais. « Ne t'approche pas de Steve. »
Bucky se rapproche au contraire de son compagnon, moins par défi que comme un geste viscéral.
Le blond ne le comprend pas comme ça. Il esquisse encore un geste pour l'attraper Bucky ne doit son salut qu'à Natasha qui se glisse soudain entre eux pour les éloigner. Elle le pousse, Clint vacille d'une manière un peu impressionnante.
— « Tu vas vraiment le frapper ? Arrête ça immédiatement Clint. Calmes-toi et essaye de te comporter comme un homme civilisé s'il te plaît. Tout est assez compliqué pour que la police d'Eureka ne décide en plus de t'embarquer pour agression », dit-elle d'un ton glacial.
— « Je rêve ! Ce serait un comble Natasha, c'est lui le coupable dans cette histoire, pas moi ! », vocifère son ami.
— « Tu l'accuses de quelque chose qui semble le rendre malade. »
Bucky a envie de la remercier d'un sourire mais la rousse lui tourne le dos. Il ne voit que sa nuque blanche et ses épaules fines pour lui, elles sont un rempart aussi solide que le corps musculeux d'Arnold Schwarzenegger.
— « Les tueurs en série ont souvent l'air charmant quand ils massacrent pas des innocents. »
— « Arrête tes sottises, tu veux ? », soupire-t-elle en passant une main dans ses cheveux.
— « Mais il est avec Steve ! Bordel Natasha, ils se tiennent la main ! »
Clint les désigne d'un doigt tendu particulièrement impoli mais au diable les convenances.
Bucky n'a rien à se reprocher pourtant il rougit violemment sans pouvoir s'en empêcher. Ils ne font que se tenir la main, le blond ferait probablement une apoplexie s'il apprenait qu'il y a encore trois nuits, il avait la tête entre ses cuisses et le –
Plus que cela, il y a aussi le ton de Clint il ressemble à celui que prendrait un parent pour expliquer à une autre personne que son fils préfère les hommes. Quelque chose à mi-chemin entre l'incrédulité, la gêne. Et la désapprobation.
Bucky serre douloureusement les dents, c'est blessant.
Natasha pense la même chose, elle a l'air franchement exaspérée et elle frappe Clint à l'épaule d'un vigoureux coup de poing. Cette fois, le jeune homme grimace de douleur.
— « Arrête immédiatement ça », répète-t-elle d'une voix menaçante.
— « Bordel Natasha, cesse de faire comme si tout cette putain de situation était normale ! C'est Steve ! Notre Steve ! Il n'est pas un foutu Chris, il ne porte pas la barbe et il ne sort pas avec des hommes ! », vitupère Clint.
— « … Je ne suis pas Steve. », souffle Chris d'une petite voix.
C'est un filet un peu étranglé, un peu douloureux.
La ligne de sa mâchoire est incroyablement contractée et ses lèvres pincées, un peu blanches. Il papillonne des yeux et frotte nerveusement sa tempe droite de sa paume. Sandy gémit doucement et vient s'asseoir sur ses pieds, collée contre sa cuisse et la tête levée pour le regarder. Chris esquisse un sourire qui ressemble à une grimace avant d'effleurer le sommet de son crâne. Un léger tressaillement agite ses doigts.
Bucky regarde rapidement autour d'eux.
Ils doivent s'éloigner, trouver un endroit tranquille hors de la foule. Le pick-up est garé trop loin et son compagnon a vraiment besoin de s'isoler. La migraine progresse et elle s'annonce dévastatrice.
Bucky regarde frénétiquement autour de lui. La devanture bleue du Los Bagels, un restaurant à thème, attire son attention et il entraîne Chris derrière lui, main dans la main. Il sait qu'un tout petit parking est aménagé derrière l'établissement, ils peuvent s'y glisser et être un peu au calme.
Le brun presse le pas, il sent les doigts de son compagnon trembler autour des siens. Vite, plus vite.
Le jeune homme entend le couple lui emboîter le pas, Clint l'interpelle du même ton que prendrait un vigile en constatant un vol à l'étalage. Le brun l'ignore. Il contourne l'angle du Los Bagels et s'engouffre avec Chris sur le parking. À côté de la porte de service menant aux cuisines, il trouve une chaise de jardin en plastique pour les pauses des employés et y pousse son compagnon. Le blond se laisse presque tomber sur le siège.
Une vague odeur de friture flotte dans l'air mais rien de trop écœurant.
Bucky a envie de rester avec lui et d'aller chercher le pick-up en même temps pour le ramener chez eux. Il est au supplice.
Chris penche la tête, les coudes sur les genoux, la respiration un peu hachée. Le brun s'accroupit devant lui, il caresse gentiment ses cheveux puis sa mâchoire douloureusement crispée. Sandy se glisse entre eux, entre les cuisses de Chris et pose sa tête sur son genou.
— « Tu es mieux ici ? »
— « … Je sens l'odeur de la frite. Je n'ai pas très envie d'aller manger au Café finalement. »
Bucky rit légèrement, un petit croassement un peu étranglé.
— « Moi non plus, on trouvera autre chose pour la prochaine fois. »
— « … Tu adores leurs hamburgers. »
— « Ce n'est pas grave Chris. »
Le brun se redresse, glisse une main sur sa nuque pour la masser doucement. Ses doigts courent aussi sur les tempes de son compagnon, légèrement moites d'une sueur un peu maladive.
— « Ça sent la friture mais il y a moins de monde et moins de bruit », souffle Chris.
— « Ouais. Ferme les yeux et respire profondément. »
Le blond hoche péniblement la tête sous ses doigts, pâle et crispé.
— « Elle va être vraiment très forte, Bucky… »
— « Je pensais t'installer au restaurant le temps d'aller chercher le pick-up. Tu peux le faire ? »
— « … Je ne suis pas sûr. »
Bucky pince les lèvres. Merde. Il est reconnaissant à Natasha de contenir les diatribes de son ami à quelques mètres d'eux, le brun ne peut pas tout gérer à la fois.
Il déglutit, caresse tendrement la tempe droite de son compagnon. Les cheveux sont un peu poisseux à la racine.
— « Je peux appeler un taxi pour qu'il nous conduise à Providence si tu préfères. »
— « … Peut-être. »
Chris n'ajoute rien, ni un franc accord ni un refus net. Bucky s'approche encore un peu, son compagnon s'appuie lourdement contre lui, la tête dans son giron. Il attend en lui massant délicatement la nuque. Le blond frémit imperceptiblement, enroulant une main autour de sa cuisse pour le garder contre lui.
— « Pourquoi Steve devrait-il aller à l'hôpital ? Qu'est-ce qu'il se passe ? »
Le brun tourne la tête et fusille Clint du regard. Le jeune homme observe la manière dont ils sont étroitement enlacés d'un air un peu stupide, ses yeux s'attardent sur la main de Chris posée sur lui.
— « Taisez-vous, ce n'est pas le moment », siffle-t-il.
— « Tu – Pour qui est-ce que tu te prends au juste ?! Écartes-toi de lui ! »
Chris se recroqueville un peu contre lui. Bucky a vraiment envie de frapper Clint.
— « Taisez-vous pour l'amour de Dieu, j'essaye de l'aider ! », proteste-t-il.
— « Tu ne fais rien du tout mec. C'est quoi ce bordel ?! Arrête de le tripatouiller comme tu le fais et lâches-le ! Lâches-le immédiatement ou je – »
— « … Non, reste… », chuchote douloureusement Chris.
Il s'appuie encore, enfonce son front dans son ventre. Il remonte une main, crochète ses doigts aux passants de son jean. Sa paume repose à plat sur sa fesse droite, l'enveloppant parfaitement. Les joues de Clint s'empourprent, Bucky est incapable de savoir s'il s'agit de colère ou de gène. Encore une fois, s'il savait…
— « J'ai besoin de toi », reprend doucement le blond.
— « C'est lui qui te met dans cet état, c'est à lui de partir ! Bordel Steve, on va te conduire nous-même à l'hôpital ! Natasha, va chercher la voiture. »
Le blond sort des clés d'une poche intérieure de son blouson et les tend à son amie. La jeune femme ne bouge pas, il insiste en agitant la main. Les clés font un joyeux tintement métallique.
— « Natasha ! », insiste-t-il.
Chris respire fort, c'est comme un grondement et un sifflement mêlés et ça fait mal. Bucky a le cœur au bord des lèvres. Clint râle de rage, il marche vers eux et tend une main vers Chris pour l'aider à se lever et l'emporter. Le brun se décale, tente de cacher son compagnon de son corps.
— « Tout ça est de votre faute ! Vous n'arrêtez pas de hurler, vous le stressez et ça lui donne la migraine. Chris a perdu la mémoire il y a – »
— « Il est amnésique ?! Tu te fous vraiment de moi ! » Clint l'empoigne par l'épaule pour le repousser brusquement. « Il s'appelle Steve Rogers, il a trente-sept ans, il habite à San Francisco. »
— « Et j'ai des naevus mélanocytaires qui ressemblent à la constellation du Berlier dans le dos. Tu étais fier comme un paon quand tu as appris le nom scientifique des grains de beauté, Clint… », marmotte Chris.
Le blond inspire brusquement, gémit de douleur et s'enroule un peu plus sur lui-même, contre Bucky.
Les yeux baissés sur lui, sur les cheveux dorés dans lesquels il aime tant passer les doigts, le brun le regarde d'un air stupide.
… Quoi ?
Non…
Il pâlit tandis qu'à ses côtés, Clint éructe bruyamment de joie. Il le bouscule une nouvelle fois. Cette fois, Bucky ne lutte pas il fait un pas de côté.
Le couinement de Sandy ressemble à un sanglot.
— « Je le savais ! Je le savais, bordel ! Tu sais qu'on sait donc il n'est plus utile que tu joues la comédie maintenant. T'as toujours été tellement mauvais pour ça », glousse Clint.
Son rire est obscène aux oreilles de Bucky. Interdit, il observe le jeune homme attraper vigoureusement Chris par les épaules pour le faire se relever. Son compagnon reste assis sur la chaise en plastique, mutique et très pâle, trop solide pour se laisser emporter comme une demoiselle en détresse. Clint grimace.
— « Aller mec, un petit mal de tête ne t'a jamais empêché de vivre. Mets-y un peu du tien », grommelle-t-il en cherchant son ami du regard. « Natasha, aide-moi à éloigner Steve de ce dingue s'il te plaît. Perte de mémoire… Conneries, oui. »
Bucky ne bouge pas, glacé sous le blouson en cuir de Chris.
L'inconnu – plus si inconnu que ça – a un nom et Chris le connaît.
Il a eu le souvenir d'un moment passé avec lui, un souvenir qui emplit Clint d'un bonheur indécent et le fait passer pour un salopard.
Clint s'agite encore, tire, force mais Chris grogne de douleur. Il tente de s'échapper de la prise ferme de ses mains, s'avachit un peu plus sur la chaise en plastique, le teint cireux. Le blond rit, se moque il ne lui permet pas de s'échapper et ne cesse de le redresser d'autorité. Bucky se demande quel est exactement son problème pour ne pas réussir à comprendre que quelque chose ne va pas.
Quand Chris rouvre péniblement les yeux pour chercher les siens, le brun déglutit. Son compagnon a l'air complètement hagard et son regard est voilé par des larmes de douleur. Alors que Clint tire sur une longue mèche dorée pour se moquer de lui, Natasha le rejoint.
— « Clint, laisses-lui un peu d'air tu veux. Steve n'a pas l'air d'aller très bien. »
Bucky souffre. Que Clint soit le seul à parler bruyamment de Steve Rogers pouvait à la limite le faire passer pour un hystérique. Entendre la jeune femme prononcer aussi ce nom ne peut pas être le signe d'une folie collective.
Le blond tente d'éloigner Sandy des jambes du jeune homme, la chienne se tortille contre lui et tente de lui mordre les doigts.
— « Bien sûr qu'il ne va pas bien ! Il était avec ce malade ! Comment t'as fait pour le rendre comme ça ?! Tu l'as enfermé ?! », renchérit le blond en jetant un regard noir à Bucky.
— « Tu es le seul qui ressemble à un fou ici. Calmes-toi s'il te plaît. »
La rousse se rapproche lentement de Chris, presque prudemment. Elle tend une main pour tenter de… l'aider d'une quelconque manière mais le jeune homme inspire d'une manière inquiétante. Elle hésite, fait un pas en arrière avant de se tourner vers lui. Même si la voix de Chris est un filet étranglé et douloureux, Bucky l'a entendu aussi. Son compagnon murmure son prénom d'une manière presque désespérée.
— « … Est-ce que vous pouvez – S'il vous plaît ? », demande-t-elle d'un air un peu incertain.
Bucky ne se le fait pas dire deux fois. Il pousse gentiment Sandy sur le côté, se glisse entre les cuisses ouvertes de Chris avant de le serrer contre lui. Le blond exhale un souffle tremblant contre lui.
— « Qu'est-ce qu'il a ? »
— « Je n'ai pas menti », dit-il en observant attentivement les traits froissés de Chris. « Nous ne connaissons pas ce Steve Rogers. Il s'appelle Chris parce qu'il avait un morceau de contrat de location d'une voiture dans sa poche quand je l'ai trouvé. C'est tout ce que nous avions. Il n'a pas de souvenirs. »
Ce sont des explications un peu décousues mais la jeune femme semble s'en contenter pour le moment. Elle hoche lentement la tête, Bucky s'affermit un peu. Il faut qu'il calme la situation pour que le couple leur permette de repartir pour Manila sans alerter la police pour enlèvement. Il pense sincèrement Clint capable d'appeler le FBI.
— « Je vous assure que je dis la vérité. Chris a des migraines à cause de son agression, on l'a frappé à la tête et il a eu une commotion cérébrale. Nous devons rentrer chez nous, il doit s'allonger dans le noir pour que ça passe. », insiste-t-il en regardant Natasha.
Bucky tressaute du pied de frustration. Il a l'impression que le pick-up est garé à l'autre bout du monde et il ne peut toujours pas quitter son compagnon pas quand Clint a l'air d'attendre la moindre distraction de sa part pour s'enfuir avec lui.
— « Conneries ? On n'est pas dans un épisode de telenovela », répète le blond.
— « Clint, la ferme », siffle la rousse.
Le brun veut la remercier d'un sourire mais la manière dont elle passe une main lasse dans ses boucles pince sa poitrine. Il ne va pas aimer ce qu'elle va lui dire ils ne sont pas amis ni même du même côté.
— « … Il a changé mais c'est bien notre ami, Clint et moi n'avons pas menti non plus », reprend-elle. « Vous savez pour les grains de beauté, je l'ai vu dans votre regard. Steve a peut-être changé de prénom mais c'est bien lui, nous pourrions vous dresser une liste de particularités physiques que vous connaissez aussi. C'est Steve. »
Le brun déglutit difficilement et baisse les yeux sur ses pieds.
— « … Nous devons rentrer à la maison. »
— « Tu ne vas nulle part avec lui !, proteste Clint.
— « Nous ne pouvons pas l'aider et ce n'est pas nous que Steve cherche. Laisses-le faire. »
Le blond lui jette un regard particulièrement incrédule.
— « … Tu plaisantes Natasha. On ne le connaît pas, on ne sait rien de lui. »
Les deux amis se disputent mais Bucky les ignore. Il se penche, embrasse Chris sur le crâne. Le blond lève la tête, lui offre un pauvre sourire et le jeune homme l'avale d'un baiser. Peu importe si Clint s'étrangle derrière lui, Chris est plus important. Bucky cajole tendrement ses tempes de ses pouces tandis que son compagnon lui rend maladroitement son baiser. Encore de la douleur.
— « Est-ce que tu peux te lever ? »
— « … Je ne pense pas, je ne suis pas sûr que mes jambes me portent », avoue-t-il d'une voix hachée.
— « Tu as besoin d'aller à Providence ? »
— « Je veux juste rentrer chez nous. »
Oh, encore ce dilemme. Bucky passe une main fébrile dans ses cheveux et sa nuque. Il ne sait pas comment faire.
— « Donnez vos clés à Clint, il va aller chercher votre voiture. »
— « Je ne vais certainement pas faire ça, Natasha ! »
— « Tu vas le faire pendant que je reste ici avec eux. Dépêches-toi s'il te plaît. »
Elle lui jette un regard impérieux. Le blond étouffe un cri de rage, arrache presque le trousseau des mains de Bucky qui lui décrit le pick-up Ford et se met à courir en maugréant ce qui ressemble fort à d'atroces insultes. Natasha ébouriffe ses mèches rousses et s'appuie d'une épaule contre le mur voisin, très proche d'eux. Le brun esquisse un pâle sourire.
— « Merci. »
Elle hausse légèrement les épaules.
— « Nous tournions en rond et de toute évidence, beaucoup de choses nous échappent », admet-elle lentement. « Vous habitez ensemble, n'est-ce pas ? Toute cette histoire est… un sacré bordel mais je pense que vous comprendrez que je vous demande votre nom et vos coordonnées. Je m'appelle Natasha Romanoff. Clint - Clint Barton - et moi habitons aussi à San Francisco, nous sommes des amis de longue date de Steve. »
D'un geste un peu second, Bucky sort son portefeuille de la poche intérieure du blouson en cuir. Il en tire une petite carte de visite qu'il annote rapidement au stylo avant de la lui tendre. Tony l'a convaincu qu'en utiliser dans le cadre professionnel le rendrait plus crédible. Il en a distribué à peine une dizaine en trois ans. Le faire maintenant est d'une ironie qu'il n'est pas en mesure d'apprécier.
— « J'ai ajouté le numéro de la plaque du pick-up et mon portable. Vous pouvez m'appeler pour vérifier, je comprendrais. »
Natasha le remercie d'un sourire fatigué. Elle s'exécute. L'entraînante sonnerie pré-enregistrée de son Samsung tinte aux oreilles de Bucky comme les trompettes de l'Apocalypse.
— « Vous avez aussi le mien comme ça. … Vous savez que c'est vrai, n'est-ce pas ? », dit-elle dans un souffle.
Bucky hoche imperceptiblement la tête, Winnifred Barnes ne lui a pas appris à mentir. Il s'est passé quelque chose aujourd'hui au marché d'Old Town, quelque chose qui lui brise le cœur et rend ses mains moites d'appréhension.
Natasha se mordille les joues, les yeux baissés sur sa carte de visite.
— « Est-ce que je peux vous appeler dans la soirée ? Nous avons beaucoup de choses à nous dire je pense… »
— « Vous logez à Eureka ? »
— « Clint et moi sommes en déplacement professionnel. Nous avions prévu de rentrer à San Francisco après le déjeuner, nous allons louer des chambres dans un hôtel du centre-ville. »
Le brun lui est reconnaissant de ne pas demander asile chez eux, dans leur maison.
— « Essayez au Eureka Inn sur 7th Street, leur petit-déjeuner est le meilleur de tout Eureka. »
La rousse le remercie d'un sourire un peu plus franc avant de plonger dans un silence pensif.
Considérant qu'il a été assez sociable pour le reste de sa vie, Bucky se concentre sur Chris. Il lui masse la nuque en lui murmurant des petits riens tendres. Son corps est très lourd contre le sien il est toujours aussi chaud pourtant Bucky n'a jamais eu aussi froid.
Quand il reconnaît le moteur cent chevaux et le klaxon de son pick-up, il passe une main sur son visage. Chris est épuisé. Lui aussi, avec l'impression que le monde s'effondre autour d'eux.
