Résumé: Une grande demeure perdue au fin fond de l'Ecosse et du temps pour être ensemble, pour se parler, se redécouvrir et s'aimer tous les trois...

.

Un gros chapitre aujourd'hui, avant de se quitter pour quelques temps... Bonne lecture! ;)

.


.

Harry grimpa encore un peu sur le chemin caillouteux, arriva au sommet de la petite surélévation qui lui cachait la berge du lac et aperçut enfin en contrebas la silhouette sombre qu'il cherchait. Le chemin redescendit en un mince sentier à peine visible, qui ressemblait plutôt à un vague lit d'herbes couchées sur le sol par le passage des animaux. La terre gorgée d'humidité rendait parfois des bruits spongieux et une sensation collante sous les semelles de ses bottes. À sa gauche, toute la pluie tombée depuis leur arrivée s'écoulait en un petit filet d'eau qui serpentait entre les herbes hautes et les pierres moussues.

Harry resserra les poings au fond des poches de son manteau, ajustant le rebord de ses manches afin qu'aucun souffle d'air ne puisse y pénétrer, puis fourra le bout de son nez dans sa grosse écharpe. Le froid était mordant mais il avait quelque chose de vivifiant, une pureté cristalline qui le rendait presque attractif. Il faisait partie du lieu, de ce paysage sauvage et indomptable, de ces collines nues parsemées de cascades éphémères et balayées par les vents d'hiver.

Quelques pas avant la rive du lac, Severus était assis à même le sol, sur une vaste pierre plate, les jambes repliées et ramenées vers lui. Sa cape drapée autour de lui ondulait doucement au gré de la brise du petit matin. Ses bras encerclaient ses genoux écartés, un poignet tenant l'autre; tout son corps semblait figé par le froid, ou plus sûrement par la contemplation de cet endroit magique.

Harry s'arrêta à ses côtés et releva le visage pour embrasser les lieux du regard. C'était somptueux. De minuscules vaguelettes ridaient la surface du lac à leurs pieds tandis qu'au loin, il paraissait immobile, sombre comme la nuit, enroulé d'écharpes de brume. Les pentes des premières collines, couvertes de bruyères roussies par l'hiver et le froid, en émergeaient abruptement puis s'arrondissaient peu à peu, laissant place dans le fond à d'autres collines, bien plus hautes, dont les sommets enneigés brillaient doucement dans la lumière naissante. Un paysage rude, aux allures de fin du monde, tout en roche et en majesté. À la mesure du caractère ancien et farouche de son vampire. Et au-dessus de tout cela, lavé par la pluie de la veille, un ciel tendre s'illuminait lentement de couleurs pastels, des roses poudrés, des oranges chaleureux, tout un monde de douceur qui venait apaiser l'âpreté rugueuse de ces montagnes.

– Qu'est-ce que tu fais là ? marmonna Severus. Tu vas mourir de froid.

D'une main impérieuse, il attrapa son avant-bras et l'attira vers lui, l'obligeant à s'asseoir entre ses cuisses, appuyé contre son torse. Sa position, plus près du sol, protégeait davantage Harry contre le petit vent frais qui s'insinuait dans son col malgré son écharpe; la cape de Severus l'isolait du froid humide de la pierre, et surtout, il en déploya les pans autour d'eux pour l'emmitoufler dans un fourreau de chaleur.

– Nox m'a dit où tu étais…

– Et tu avais besoin de me rejoindre plutôt que de rester au chaud sous la couette ?!

Harry sourit tout en s'appuyant un peu plus contre son vampire. Ici ou là, ce qui comptait, c'était d'être ensemble.

– Je voulais t'inciter à revenir avec nous.

– Tu n'en as pas eu assez hier soir ? fit Severus avec un sourire dans la voix.

Un grognement appréciateur lui échappa tandis que son vampire refermait possessivement ses bras autour de lui. Après leurs galipettes de l'après-midi et un dîner salvateur pour son estomac, le début de la nuit avait été épique...

La première fois, Lucius avait été submergé par la symbolique du moment et par son excitation: les voir s'aimer physiquement – et surtout devant lui –, comme ils ne s'étaient pas aimés depuis des mois, avait littéralement porté son orgasme et il avait eu le plus grand mal à ne pas terminer trop vite. Dans la soirée, cela avait été tout l'inverse : Lucius avait pris un plaisir immense à jouer avec leur nouvelle relation et surtout avec les limites de Severus. Et pour son plus grand bonheur, Harry avait été à la fois une poupée docile entre leurs mains, et à la fois le spectateur fasciné de ce jeu sulfureux entres ses deux amants.

Lucius lui avait tout fait, des baisers époustouflants, des simulacres de morsures, des doigts égarés au fond de son corps alors que Severus ne l'avait pas encore pénétré, il l'avait fait gémir, crier, supplier, il l'avait caressé langoureusement là où Severus aimait à le mordre, il l'avait contraint à des fellations délicieuses à la limite du haut-le-cœur… Harry en souriait encore, tellement ça avait été renversant. Mais le plus renversant avait sans doute été les regards que Lucius échangeait avec Severus, des regards de provocation, de défi, parfois de complicité. Secouer sa possessivité, chatouiller son orgueil, taquiner tout l'attachement et la dévotion qu'il vouait à son calice…

Et Severus qui, quelques semaines plus tôt, doutait encore de sa capacité à le toucher et à rester maître de lui-même en toutes circonstances, avait cédé, pas après pas, à tous les petits jeux pervers de leur mari. Ses yeux étaient passés du noir au rouge bon nombre de fois, ses crocs étaient sortis pour ne plus disparaître, il était venu l'embrasser et lui prendre une goutte de sang dès que Lucius le laissait un peu respirer, il avait grogné et grondé, mais au final, Lucius avait pu le pénétrer le premier sans qu'il ne monte sur ses grands chevaux.

Harry se souvenait même d'un baiser au cours duquel Severus avait mordu sa langue jusqu'à ce que le goût divin de son sang emplisse leurs bouches et maquille leurs lèvres, que son vampire avait consciencieusement léchées. Il avait joui plus de fois qu'il ne s'en souvenait… Et Severus et Lucius avaient conclu ce pacte tacite et complice qui consistait à ce que chacun se sente libre de faire ce qu'il avait envie sans que l'autre ne se sente menacé.

– Tu vas t'en remettre ? gloussa Harry.

Severus grogna et pour se venger de son ironie, il vint coller son nez glacé contre sa joue et mordiller le lobe de son oreille, lui arrachant un gémissement de plaisir.

Autour d'eux, la lumière de l'aube colorait doucement les flancs des collines, rejetant la nuit dans leur dos. La neige des sommets, dans le lointain, prenait des teintes rosées; le soleil était peut-être à fleur d'horizon mais ils étaient encore protégés pour l'instant.

– Je n'allais pas tarder à rentrer, murmura Severus. Tu aurais dû rester au chaud.

– Je n'arrivais plus à dormir…

– Pourquoi ça ?

Harry se lova un peu plus contre son vampire, ajustant soigneusement les pans de sa cape autour de leurs corps réunis. Severus avait dû sentir qu'il était préoccupé et s'il ne voulait pas se montrer trop intrusif, il avait tout de même cette façon délicate de lui tendre une main.

– Je me suis réveillé, et dans cet entre-deux où les pensées dérivent toutes seules, j'ai pensé à Mark… Et après ça, je n'ai plus réussi à me rendormir.

– Quel est le problème avec Mark ?

Harry soupira doucement, laissant échapper une volute de fumée blanche de ses lèvres.

– En ce moment, ça ne va pas très fort avec Håkon. Trop de travail, trop de distance… Des tensions entre eux. Il m'a fait de la peine, confessa-t-il. Lucius a dit qu'il en toucherait un mot à Håkon mais il n'a sans doute pas eu le temps de le faire avant notre départ. Et pendant ce temps-là, moi je suis en train de me prélasser avec vous deux au fond d'un lit…

– Ça suffit. Tu n'as pas à te sentir coupable de pouvoir être enfin heureux, le sermonna doucement Severus en embrassant sa tempe. Je pense qu'on a payé assez cher notre part de souffrance.

– Je sais. C'est juste que… j'aimerais pouvoir faire plus, être plus présent…

Harry respira profondément l'air glacial pour s'imprégner du calme et du silence qui régnaient dans cette vallée au cœur des collines désertes. Il avait besoin de chasser ces préoccupations issues d'un mauvais rêve et qui le hantaient depuis son réveil.

– Tu fais autant que tu peux… Et je lui parlerai aussi, si c'est nécessaire. Håkon et moi avons développé une certaine… proximité à force de nous fréquenter.

Sans savoir pourquoi, la formulation l'interpella et Harry fronça les sourcils. Håkon et Severus se voyaient régulièrement lors de dîners ou de soirées, ils conversaient souvent ensemble de choses et d'autres, parfois de runes et de magies anciennes, mais l'ambassadeur avait toujours paru plus proche de Lucius. Et à la façon dont Severus le disait à présent, Harry devinait que sa « camaraderie » avec Håkon allait plus loin qu'un simple échange de politesses courtoises.

– Est-ce qu'il… t'aide au sujet de Vladimir ?

Comme souvent lorsqu'ils parlaient de Vladimir ou de cette menace silencieuse qui pesait sur leurs épaules, Harry joua distraitement avec l'alliance de son union avec son vampire. Il avait presque toute confiance en sa magie mais la présence discrète – et permanente – de ce portoloin miniature lui permettait toujours de se sentir un peu plus en sécurité… Contre son oreille, le souffle de Severus était empreint de résignation; il répondit pourtant avec honnêteté :

– Oui. Malheureusement, Håkon a ses propres comptes à régler avec le monde des vampires… Il ne peut rien faire de lui-même mais il me transmet en sous-main toutes les informations qui parviennent à la Commission. Je me charge de faire le tri, de les recouper avec d'autres sources d'informations… Son aide m'a déjà été plus que précieuse.

– De quelle façon ?

– D'Alagnac m'avait fourni des renseignements sur un vampire qui avait été aperçu sur un des attentats en France et qui semblait faire partie de la garde rapprochée de Vladimir. En travaillant avec Håkon, on a pu s'en faire une idée plus précise, les services spéciaux de Francis Dorléans ont arrêté les sorciers qu'ils avaient enrôlés pour les attaques et ont éliminé deux ou trois vampires… De fil en aiguille, j'ai obtenu d'autres informations, qui m'ont permis de remonter d'autres pistes et ainsi de suite…

Ces paroles ressemblaient tellement à un aperçu de la guerre autrefois que Harry en eut un long frisson. Résurgence de vieux souvenirs et d'inquiétudes nouvelles… Et voilà qui expliquait sans doute aussi ce qu'avait mentionné Lucius un jour, en parlant de Severus revenant avec une blessure sur laquelle il n'avait pas voulu s'étendre. Nul doute qu'il prenait une part active à ces « recherches ».

– En France, donc… ?

– Pas seulement, reconnut Severus. Mais maintenant que Lucius n'est plus Ministre, j'ai plus de mal à obtenir des informations ici. Parkinson est une bonne aide… quand elle arrive à garder sa langue dans sa poche.

La dérision était destinée à alléger un peu leur discussion et à le faire sourire, et elle ne réussit pas si mal. Le plus compliqué pour Harry était cette impression de tomber des nues et de comprendre enfin comment s'emboîtaient les pièces du puzzle si longtemps après.

– Je vois, fit-il simplement. Et… est-ce que tu as pu avancer un peu avec le registre des ouvertures de compte à Gringotts ?

Depuis leur passage à la banque, Severus n'avait plus reparlé de ces documents que lui avait confiés le superviseur Ragnok.

– Deux ou trois noms m'ont tapé dans l'œil pour l'instant mais je n'ai pas encore eu le temps de tout éplucher… Mais, s'il-te-plaît, arrête de te préoccuper de tout ça; tu as assez à faire de ton côté.

– Sev…, soupira Harry. Je sais que tu n'as pas envie que je me mêle de ces histoires et que tu voudrais surtout que je ne prenne pas de risques, mais… je ne suis pas la cinquième roue du carrosse. Ne me tiens pas à l'écart; ni de ce que tu fais, ni des risques que tu prends. J'apprécie que tu me donnes tous ces détails parce que je te le demande mais j'aurais aimé savoir tout ça au fur et à mesure… Et si je peux t'aider, je veux le faire.

Severus remua doucement, glissa son nez sous ses cheveux, dans son cou, et inspira profondément comme s'il se gorgeait de son odeur. Un geste instinctif, peut-être encore plus animal que de le mordre.

– Je sais, je sais, tu me l'as déjà dit… Mais… Ce n'est pas si simple. Je te laisserai mettre le nez dans le livre de sortilèges des gobelins, si tu veux. Peut-être que quelque chose t'inspirera, avec ta magie si particulière…

En guise de reconnaissance, Harry sourit et tourna la tête juste assez pour l'embrasser. Puis, songeant à sa magie, il fourra les doigts dans la poche de son pantalon pour en ressortir les trois petites pierres qu'ils avaient trouvées dans sa forêt. Malgré la pâle lumière de l'aube, elles brillaient dans la paume de sa main de cette somptueuse et profonde couleur verte.

– Tu les as gardées sur toi ?

– Oui, murmura Harry. Pour l'instant, je ne sais pas… quel est leur sens, leur utilité… Je préfère ne pas m'en séparer.

– Tu penses toujours que c'est Mayahuel qui les a disposées sur le pas de la porte de ta maison ?

– Je ne vois pas d'autre explication. Elles portent la trace de sa magie; Luna l'a perçu autant que moi…

Ils se turent quelques instants, chacun plongé dans ses pensées : ces pierres et tout ce qu'elles représentaient; la première fois que Severus se rendait dans cette forêt où Harry avait vécu si longtemps; ce nouveau rituel d'union qui avait été cette fois un vrai choix et une vraie volonté; la trace de Maya, disparue depuis des mois et des mois… Trop d'éléments troublants pour que ce ne soit qu'une simple coïncidence. Quant à comprendre le pourquoi de ces pierres et leur sens

Severus observa Harry refermer le poing autour des trois malachites et les remettre au fond de sa poche. Il le sentait un peu triste et plein d'incertitudes sur lesquelles il ne pouvait agir.

– Elle te manque ?

Il n'avait jamais vraiment osé lui parler de Mayahuel. Pour lui, elle appartenait à cette partie de la vie de son calice qu'il gardait tout au fond de son cœur, comme un jardin secret et précieux, aux côtés de son lien avec Axaya, aux côtés de cette vie sauvage et libre qu'il avait abandonnée pour venir vivre avec eux. Remuer ces souvenirs anciens lui avait toujours paru dangereux, comme si les regrets allaient entraîner Harry loin d'eux de façon inexorable. Et la disparition de Mayahuel, juste après la naissance difficile de Scorpius, était passée – pour eux –, au second plan par rapport à la reconstruction de leur couple et surtout de la relation entre Harry et Lucius… Si ces pierres signifiaient d'une façon ou d'une autre le retour de Mayahuel dans leur vie, Severus n'était pas très sûr de savoir quoi en penser.

– Elle a fait partie de ma vie pendant longtemps, murmura Harry. C'est aujourd'hui une époque révolue mais je n'imaginais pas vivre un jour sans elle, sans qu'elle soit là quelque part, de temps en temps… C'est étrange, voilà tout…

Severus glissa un baiser dans le cou de son calice, faute de pouvoir faire davantage. Il comprenait ses sentiments, l'impression de secouer des images anciennes et un peu troubles, de rajouter une couche d'incertitude sur du flou et des interrogations sur de l'incompréhension; de la même manière que certains doutes venaient ternir ses propres souvenirs.

– Est-ce que je peux… te poser une question ?

– Bien sûr.

Severus resserra les pans de sa cape autour d'eux, repoussant les assauts du vent et du froid tout autant que de la lumière. Ils n'étaient plus qu'une silhouette massive et indistincte, assise sur une pierre au pied d'un lac, au milieu de nulle part, dans le silence des collines désertes. Niché contre lui, presque joue contre joue, Harry profitait même de l'ombre de sa capuche. Le moment de regagner la chaleur et le confort douillet de la demeure approchait à grands pas mais Severus voulait profiter de ce tête-à-tête pour éclaircir ce qui lui pesait sur le cœur.

– Quand… nous avons fait l'amour, l'autre jour, dans la forêt… est-ce que tu l'avais prévu ? Est-ce que tu avais prévu de refaire le rituel ? Est-ce que tu avais prévu cet endroit-là ?

Cela faisait en réalité beaucoup de questions, sans compter celles qu'il n'avait pas formulées, mais Harry ne fit montre d'aucune ironie, ni de cette énumération, ni sur le fond de ces angoisses qui s'exprimaient presque ouvertement. Il prit le temps de réfléchir quelques secondes et de répondre lentement, avec le souci manifeste d'exprimer ses idées le plus clairement possible.

– Je savais que ça arriverait bientôt, parce que c'était évident. Et nécessaire. J'en avais envie depuis longtemps, tu le sais… Et ce week-end était aussi destiné à ça : prendre le temps de trouver une certaine harmonie tous les trois, et pour cela, il fallait bien qu'on ait enfin franchi le pas tous les deux…

Severus grimaça à ce que soulignait ce « enfin » tandis qu'Harry enchaînait pour ne pas qu'il se méprenne.

– … Pas plus que toi, je n'avais envie que cette première fois tous les deux n'ait lieu en présence de Lucius. Certains moments n'appartiennent qu'à nous, parce qu'ils ont un sens, comme d'autres vous appartiennent à vous, et c'est normal… Je n'avais rien prévu de plus que cette échéance brève, et si Luce ne nous avait pas interrompu l'autre jour dans la piscine, ça aurait sans doute eu lieu à ce moment-là.

Ce moment-là qui avait permis à Severus de vider son sac face à son mari, de lui avouer qu'il ne souhaitait pas recommencer cette inversion des rôles qui l'avait mis si mal-à-l'aise, et cela aussi avait été nécessaire… Il ne pouvait pas le regretter.

– Et pour ôter tes derniers doutes, ajouta Harry avec un léger sourire dans la voix qui montrait bien à quel point il l'avait percé à jour, rien ne se serait produit si tu n'avais pas accepté de venir avec moi chercher des ingrédients dans la forêt. Ce n'était pourtant pas la première fois que je te proposais de venir, mais tu n'avais jamais voulu m'accompagner auparavant… Pourquoi ce jour-là… ?

La question était purement rhétorique et si Severus ne prit pas la peine d'y répondre, elle souleva tout de même un écho de vérité dans son esprit. D'autres interrogations, aussi… S'ils avaient été dans la forêt deux jours plus tôt, est-ce qu'ils auraient fait l'amour à ce moment-là ? Est-ce que Harry aurait été jusqu'au rituel d'union ? Et s'il avait refusé de l'accompagner, se seraient-ils unis malgré tout au Manoir le même jour, ou plus tard ? Était-ce le lieu ou le moment, qui avait présidé à tout cela ? Ou bien la conjonction des deux ?

– En réalité, reprit Harry, pendant tout le temps où nous avons récolté les ingrédients, je n'ai pas du tout songé à ça. Toi-même, tu étais un peu étrange, troublé par je ne sais quoi… par la magie de la forêt, peut-être… Peut-être qu'inconsciemment, tu as senti des choses… C'est une fois dans la maison, quand tu t'es assis sur le lit, que tout est devenu limpide. C'était comme… comme si tout était enfin aligné : le moment, l'endroit, la signification… Un peu comme ces sculptures que Lucius adore et qui ne se révèlent que sous un certain angle…

– Les anamorphoses, murmura Severus.

– Voilà. Tout est abstrait, confus, mélangé et soudain, avec un autre point de vue, ça se transforme. C'était ça… tout est devenu clair. Toi et moi, à cet endroit, le jour de ton anniversaire, un an après le serment d'union un peu désastreux que nous avions prononcé… comme si tout était enfin en ordre. Le moment juste, l'endroit juste. Et refaire le rituel, parce que cette fois, je le voulais vraiment, je voulais tout de toi : le lien, le sexe, la morsure, la communion d'âme et de corps… L'éternité.

Un frisson puissant, venu du plus loin qu'il était, secoua Severus. Cela faisait sens. Même lui, pourtant moins sensible que Harry à ce genre de magie symbolique, comprenait ce qu'il voulait dire. Cette impression que tout était enfin aligné, coordonné, que chaque petit pas, chaque progression dans leur relation, chaque reconquête, n'avaient été destinés qu'à ce moment où ils se trouvaient tous les deux, seuls, à cet endroit. Inclure leur histoire dans une histoire plus vaste qu'eux, clore un cycle, en ouvrir un autre, achever un chapitre et écrire le suivant… Harry ne mentait pas en disant qu'il n'avait rien prémédité; il avait juste été sensible à l'évidence qui s'imposait devant lui.

Tous les doutes que Severus avait ressentis et ruminés depuis la petite phrase de Lucius le premier soir n'étaient que du vent. Harry n'avait jamais considéré le fait de refaire le rituel comme un cadeau déguisé pour son anniversaire, comme un présent symbolique pour lui faire plaisir. Ce vœu de redevenir son calice n'avait jamais été contraint par les circonstances ou envisagé comme une offrande… Au contraire, si Harry avait souhaité cela, c'était d'abord pour lui-même et ensuite pour eux, pour effacer les erreurs du départ et repartir sur un vrai choix. Cela avait été guidé par la sincérité, la spontanéité, la certitude et l'évidence du moment. Pour une fois, Lucius avait tort et Severus n'en était que plus heureux. Il serra Harry dans ses bras et les fit disparaître pour rejoindre la chaleur de la demeure.

.

– Il fallait le dire si ma conversation t'ennuyait ! gloussa Harry.

Son calice glissa hors de son étreinte et de la tiédeur de sa cape, plus ébouriffé que jamais. Il retira aussitôt écharpe, bottes et manteau, puis frotta ses mains l'une contre l'autre pour les réchauffer.

– Pas du tout, mais j'ai entendu ce que j'avais besoin d'entendre, avoua Severus sans se soucier de dévoiler le désarroi qui avait été le sien. Et avant que tu ne meures de froid ou moi de la lumière, il était grand temps de rentrer.

– Toujours aussi grandiloquent, à ce que je vois !

Tout en riant, Harry lui tourna le dos et commença à s'éloigner en direction de l'escalier qui menait vers l'étage des chambres. D'un geste, sa cape et ses chaussures valsèrent dans le vestibule tandis que Severus se précipitait vers son calice, qu'il retint d'une main sur son bras avant de le faire pivoter vers lui. Il ne pouvait pas terminer cette conversation d'une manière aussi abrupte et aussi sèche.

– Harry. Je suis désolé d'avoir douté de toi.

À la manière de Lucius, il haussa un simple sourcil qui signifiait autant de curiosité que d'ironie.

– J'ai cru… Pendant un moment, j'ai cru que tu avais tout planifié, confessa Severus en prenant son calice dans ses bras. J'ai cru qu'avec ta grandiloquence et ton abnégation typiquement gryffondoriennes, tu avais voulu m'offrir ce rituel comme un cadeau d'anniversaire un peu particulier, que ce n'était que pour me faire plaisir, que tout était prévu et calculé… J'ai eu peur que ce soit… réfléchi, et non pas souhaité. Et je suis très heureux d'avoir eu tort.

Comme il était difficile d'avouer des craintes aussi intimes… Mais son calice méritait ces aveux et la confiance qui les liait les rendait indispensables.

– Tu sembles oublier que mon côté Gryffondor, c'est surtout d'être trop spontané et de foncer tête baissée sans réfléchir ! gloussa Harry.

– Ne dis pas n'importe quoi. Tout le monde sait bien que ce n'est qu'une façade et que tu es bien plus mesuré et réfléchi que tu ne veux le faire croire.

Un certain agacement devait transparaître dans sa voix car Harry abandonna son air d'insouciance pour redevenir plus sérieux, même s'il arborait encore un sourire très doux.

– Alors tu devrais savoir aussi que je ne joue pas avec tes sentiments, ni avec notre relation. Tu sais à quel point je voulais faire l'amour avec toi depuis des semaines, depuis des mois. Je ne dis pas ça pour te culpabiliser parce que tu es celui qui as traîné des pieds – et je comprends très bien pourquoi –, mais tu sais que cette volonté ne date pas d'hier. J'ai eu tout le temps nécessaire pour changer d'avis et au contraire, j'ai continué à en rêver jour après jour.

Un instant, Harry posa le front contre le menton de Severus et il put enfouir son nez dans les cheveux de son calice et se gorger de son parfum. L'instant d'après, il avait relevé la tête et le regardait droit dans les yeux.

– Et pour ce qui est de cette histoire de rituel, parce que c'est de ça qu'il s'agit au fond, je n'avais rien prémédité, Severus, et je ne l'ai pas fait non plus sur un coup de tête écervelé. Tu as l'air de penser que… je n'étais pas sincère; que quelles que soient mes raisons, il doit forcément y avoir quelque chose pour lui enlever de sa valeur…

Un sentiment douloureux traversa Severus en devinant le voile de tristesse dans les si beaux yeux verts de son calice.

– Je crois que tu ne saisis pas à quel point c'était important pour moi, reprit Harry avec douceur. À quel point c'était essentiel… Le premier rituel, après ta transformation, était poussé par les événements; je voulais t'empêcher de mourir et il était inconcevable de ne pas le faire. C'était une décision qui tombait sous le sens, même si elle n'était pas tout à fait… libre. La deuxième fois, après toute cette violence dans le pavillon chinois, était aussi une évidence. Si la moindre chose pouvait améliorer notre relation, je devais la tenter. Le choix n'en était pas vraiment un non plus, mais je ne pouvais pas le refuser. Je me suis juste… laissé faire, sans y participer réellement… Je ne sais même pas comment la magie a pu considérer que mon consentement était réel.

Severus serrait les dents, résolu à ne pas montrer tout ce que ce résumé de leurs débuts faisait surgir en lui de douleur, de regrets et de culpabilité. Pourtant le regard de son calice ne contenait qu'une douceur et une tendresse à peine croyables. Il ne faisait que relater des faits, sans y mettre la moindre accusation ou la moindre rancœur.

– Cette fois… il ne s'agissait ni d'un choix ni d'une décision, en réalité. Il s'agissait d'envie. De désir, insista Harry en se serrant contre lui. Tu n'imagines pas combien j'avais envie de refaire ce rituel, de devenir ton calice de nouveau, de façon pleine et entière, sans que rien ne nous y pousse. De faire ce rituel comme il aurait dû être fait la première fois, en s'aimant de tout notre cœur; de vivre cette morsure avec tout ce qu'elle comporte de puissance, de noblesse et de beauté; de nous lier enfin sans que rien ne vienne entacher ce lien, aucun mauvais souvenir, aucune contrainte, juste ce désir profond d'être ensemble d'une si belle manière.

Harry ferma les yeux et soupira, ses lèvres tordues d'un sourire trop ému.

– Tu n'as pas idée à quel point j'aime et je chéris ce qui nous unit, murmura-t-il. À quel point j'adore être ton calice et à quel point j'adore que tu sois un vampire. Mon vampire… Si je pouvais, je changerais beaucoup de choses dans ma vie mais ça, je ne le changerai pour rien au monde !

Severus frissonna et enfouit son visage dans les cheveux de son calice, le serrant dans ses bras avec une force désespérée. Il était touché, ou plutôt bouleversé, par les déclarations de Harry. Il doutait d'avoir jamais été plus heureux de toute sa vie, et à la fois de s'être jamais senti plus exposé et plus vulnérable. Et c'était une sensation intimidante de se dire que Harry était cette faiblesse, cette fêlure en lui, qui lui donnait pourtant toute cette force et cette puissance qui pourraient lui faire soulever des montagnes. Severus ferma les yeux une seconde et inspira profondément l'odeur chaude et savoureuse de son calice.

– Allons rejoindre Lucius, murmura-t-il.

.

.

La journée s'étira, encore plus lente, tiède et voluptueuse que la veille. Harry en souriait sans discontinuer, blotti entre son mari et son vampire. Severus ne semblait jamais rassasié de sa chaleur et du contact de sa peau contre la sienne, prolongeant les câlins, les étreintes, le plaisir de se toucher, même s'il ne s'agissait plus de sexe. Il avait du mal à le lâcher, à ne pas l'avoir contre lui, au point qu'il fit servir le petit-déjeuner au lit, pour ne pas avoir à quitter le confort de leur nudité et de la couette. S'éloigner quelques instants pour aller aux toilettes évacuer le thé que Harry venait de boire le faisait grogner de mécontentement; prendre une douche ou un bain semblait… inenvisageable si Severus n'était pas de la partie.

Et c'est ce qu'ils finirent par faire, en fin de matinée, accompagnés par Lucius qui ne quittait pas son petit sourire moqueur. Une douche d'une chaleur tropicale, nimbée de vapeurs parfumées; des mains éparpillées sur des corps ruisselants et Severus qui ne put s'empêcher de le laver de la tête aux pieds, comme un autre rituel, pour finir à genoux devant lui, le couvrant de savon et de mousse. Lucius, penché à son oreille, qui murmurait en souriant des paroles que Harry n'entendait pas, puis Severus qui vint laver, rincer, caresser puis lécher ses testicules et la douce longueur de son sexe, avant de le sucer lentement. Tenir debout, appuyé contre le carrelage de la douche, était presque un défi. Le plaisir fut rapide, enivrant; Severus n'en perdit pas une goutte, semblant s'en nourrir avec le même bonheur que de son sang. À peine séchés d'un sortilège, ils se jetèrent dans la douceur des draps et la chaleur de la couette pour quelques instants de repos qui devinrent bientôt quelques minutes de sommeil…

Ce fut la faim qui tira Harry de cette somnolence délicieuse et il lui fallut insister en riant pour convaincre son vampire de le laisser s'habiller pour descendre déjeuner. De toute évidence, Severus n'aurait eu aucun problème à continuer de passer la journée au lit, ni même à le faire manger nu sur ses genoux pour prolonger le contact entre eux. Harry avait l'impression de vivre une de ces espèces de lune de miel magique qui les inciterait à ne plus se lâcher pendant des heures. Ces quelques jours participaient peut-être de cela, en réalité… il se souvenait parfaitement de Severus lui racontant les reproches des Anciens de Colibita quand il avait quitté le Manoir et son calice juste après le deuxième rituel d'union. Ancrer une relation, se rassasier de l'autre… Et peu importe les raisons, il allait profiter de ces heures abandonnées à la tendresse et à la fusion des corps avec le plus grand bonheur.

Lucius n'était pas en reste pour apprécier ces moments de quiétude au fond d'un lit, ses doigts toujours prêts à effleurer sa gorge, à dessiner les entrelacs de magie gravés sur son corps ou à caresser longuement le dos de Severus, de ses épaules sculptées jusqu'au creux de ses reins. Harry savait bien que sa relation avec son vampire avait quelque chose d'un peu excessif ces jours-ci, qu'ils étaient encore plus fusionnels qu'ils ne l'étaient habituellement, et il était d'autant plus reconnaissant envers son mari de les laisser se comporter comme ils le souhaitaient, sans intervenir ni ironiser sur leur besoin d'être constamment collés l'un à l'autre. Lucius était comme toujours admirable : présent, tendre, disponible et toujours enthousiaste, que ce soit pour un moment de plaisir ou une façon plus tranquille de partager du temps ensemble.

Ce fut lui, d'ailleurs, qui proposa de regarder un film dans le salon de télévision après le thé de dix-sept heures, ce à quoi Severus acquiesça sans rechigner tant qu'il pouvait tenir son calice dans ses bras. Une comédie romantique quelconque, aussi légère et tendre que leur humeur, sans rien qui puisse venir ternir la douceur qu'ils voulaient préserver. Les ronronnements d'Orion qui semblait ne plus vouloir quitter Severus, les crépitements du feu, la pluie sur les vitres… La senteur de la bergamote et celle, plus épicée, des petits gâteaux à la cannelle; le parfum de Lucius, ce santal irrésistible, et l'odeur du bois… La douceur de la fourrure du chat, du plaid qui les recouvrait tous les trois ou bien celle des lèvres de ses amants qui venaient effleurer ses lèvres ou les creux de sa gorge…

Ils dînèrent aussitôt le film fini puis montèrent directement dans leur chambre. Il n'aurait pas son bain sous les étoiles ce soir, parce que le ciel nocturne était encore couvert, mais Harry n'était pas contre ces moments de tranquillité sous la couette, lovés les uns contre les autres. Lucius avait trouvé un roman à son goût, Severus avait repris son ouvrage de magie ancienne, vieux comme le monde et poussiéreux au point que l'aristocrate avait exigé un sortilège de nettoyage avant d'autoriser sa présence dans les draps. Harry, pour sa part, avait déniché un petit livre de botanique sur des plantes rares d'Amérique du Sud qui lui servait de prétexte autant pour les rêveries que pour jeter un œil, de temps en temps, sur les lectures de ses amants. Orion était roulé en boule entre ses genoux et ceux de Severus, le museau couvert par une patte et les moustaches frémissantes d'un rêve agité…

Harry abandonna le premier, refermant son livre pour se glisser complètement sous les draps; le sourire aux lèvres en se collant contre son mari tout en sachant très bien que Severus allait suivre pour se rapprocher de lui, ce qu'il fit quelques secondes plus tard. Ce n'était même pas une envie de sexe – Harry avait largement eu son compte depuis trois jours –, mais ce soir, il avait très envie d'une vraie morsure.

Depuis leur rapprochement dans la forêt et ce nouveau rituel du caliciat, Severus l'avait abondamment mordu… pour compléter le lien, pour déclencher leur orgasme à de nombreuses reprises, pour le plaisir d'égratigner sa peau, de glaner quelques gouttes de sang et cicatriser aussitôt ses marques. Dès qu'il en avait envie, son vampire venait glisser son visage dans son cou ou ailleurs, il suçait sa peau jusqu'à faire affleurer des perles carmins qu'il léchait comme des trésors. Harry avait parfois l'impression d'une gourmandise d'enfant, qui viendrait piocher dans un sac de bonbons de manière compulsive, sans pouvoir s'arrêter, gavé de sucre et pourtant affamé une heure plus tard. Il ne voulait rien lui refuser, bien sûr, mais ce soir, il avait envie d'une vraie morsure, il avait envie de sentir Severus se nourrir à son cou plutôt que picorer, il voulait le sentir aspirer son sang jusqu'à plus soif, boire jusqu'à en être rassasié… ses lèvres sur sa peau, arrondies autour de ses crocs plantés dans sa chair, et cette succion délicieuse – lente et profonde – qui enflammait son corps de contentement. Il voulait remplir son rôle de calice, peut-être, être celui capable d'assouvir tous les besoins de son vampire, celui qui pouvait le satisfaire, le combler et l'apaiser. Et lorsque Severus le mordit de cette façon si magnifique, Harry bascula dans un monde de félicité telle qu'il mit de longues minutes à se rendre compte que Lucius avait abandonné son roman pour caresser lentement ses cheveux et les contempler tous les deux avec un regard éperdu d'amour et de fascination.

.

Cette vraie morsure fut peut-être ce qui permit à Severus de se détacher de lui plus facilement le lendemain matin, sans que Harry ne se réveille, ni ne se sente désireux d'aller le rejoindre où qu'il soit, perdu dans le silence brumeux des collines avoisinantes. Au contraire, il continua à somnoler même après le départ de son vampire, le sourire aux lèvres, pelotonné contre le corps de Lucius. Son esprit divaguait de rêveries tendres en rêveries soyeuses, et il finit par se rendormir tout à fait.

À son réveil, une ou deux heures plus tard, Severus n'était pas encore revenu mais ce n'était guère étonnant : il faisait encore nuit et seules les pâles lueurs d'une aube timide venaient jeter dans la chambre une clarté à peine suffisante pour distinguer les silhouettes des tableaux sur les murs. À sa respiration trop discrète et à la caresse lancinante d'un doigt sur son épaule, Harry pouvait dire que Lucius lui aussi était réveillé. La douceur de cet effleurement le fit frissonner et il se réinstalla un peu plus contre son mari tout en remontant la couette dans le creux de son cou. La peau de Lucius était chaude à souhait, et Harry grogna sa satisfaction en y frottant son visage et en jetant un bras en travers de sa taille. Il entremêla leurs jambes pour mieux se coller; une bouffée d'air tiède s'échappa de sous la couette : le parfum chaud et doucereux de leurs corps à peine sortis du sommeil… une odeur qui le faisait presque saliver. Il tourna la tête une seconde pour déposer un baiser sur le torse de son mari, puis sur l'angle de sa mâchoire, avant de se réinstaller dans le creux de son épaule.

– Est-ce que tout va bien ? murmura-t-il devant son absence de réaction.

– Bien sûr que tout va bien, répondit Lucius en sortant des méandres de ses pensées.

– Tu as l'air… lointain. Préoccupé.

Lucius respira profondément et laissa échapper un souffle, presque un soupir. Puis il pencha la tête juste assez pour frotter son nez dans ses cheveux tout en resserrant le bras autour de ses épaules.

– Je repensais à notre conversation dans le jacuzzi…

Harry émit un son interrogatif pour l'inciter à s'expliquer davantage mais son mari garda le silence un long moment. Plusieurs sujets avaient émaillé cette conversation : leur relation aujourd'hui, la façon d'organiser leurs rapports sexuels pour que chacun puisse y trouver satisfaction, tous ces aménagements dont ils n'avaient finalement tenu aucun compte au profit de la spontanéité et de la complicité.

Mais un autre sujet avait également occupé leur conversation, bien plus décisif pour leur avenir lointain, et Harry ne doutait pas que c'était cela qui préoccupait davantage son mari.

– Je…, souffla Lucius avant de s'interrompre quelques secondes. Quand vous étiez à Colibita, tu as rencontré d'autres calices ?

Harry grimaça sans pouvoir s'en empêcher au souvenir de cet accrochage tumultueux avec Andreas venu lui reprocher d'avoir laissé son vampire affamé et exsangue. Severus s'était interposé pour le chasser, immense de colère et de puissance, mais cette première rencontre avec un de ses alter ego avait été tumultueuse et pas très engageante. La jalousie d'Andreas, cette menace qu'il avait laissée planer de se rapprocher dangereusement de Severus, n'avaient pas incité Harry à vouloir s'intéresser de plus près à ses pairs.

– Un seul, répondit-il vaguement. J'ai rencontré bien plus de vampires qu'autre chose. Quelques humains aussi, des employés du Palais ou des donneurs volontaires, mais les calices semblaient plus discrets… Pourquoi ?

Les doigts de Lucius glissaient pensivement le long de son épaule, effleurant sa peau en de lents va-et-vient.

– Et parmi ces vampires, est-ce que certains partageaient le même calice… ?

– Je ne sais pas, répondit Harry, troublé par les inquiétudes sous-jacentes de son mari. Nous n'avons pas vraiment parlé de ça. Pour la plupart, ils étaient plutôt curieux de notre relation, à Severus et moi, et de la façon dont notre magie fonctionne. La sienne parce qu'elle persiste malgré sa transformation et la mienne parce qu'elle est un peu particulière…

Lucius émit un vague grognement songeur puis reprit ses caresses machinales sur sa peau.

– Parfois… j'en viens à me demander si c'est seulement possible, murmura-t-il. Si cette idée de nous servir de calice à tous les deux n'est pas seulement un vœu pieux, une vue de l'esprit. Si ce n'est pas un rêve impossible à réaliser sans finir par nous entretuer.

– Tu crains d'entrer en conflit avec Severus à mon sujet ?

– C'était déjà une crainte en ce qui concernait nos rapports sexuels, fit remarquer Lucius. Il a fallu en parler, accepter des changements dans nos habitudes, s'adapter… J'étais prêt à faire bien des efforts pour respecter ses besoins – et au final tout s'est très bien passé, même sans y faire plus attention que ça –, mais… En tant que vampire, est-ce que je serais prêt aux mêmes efforts sans chercher à prétendre à la première place ? Est-ce que ce ne sera pas juste… instinctif et sans possibilité d'être plus mesuré ?

Un peu alarmé, Harry pivota sur lui-même pour s'appuyer sur son coude et poser son menton sur le torse de son mari. Même à demi-allongé sur lui, il ne devinait pas l'expression de son visage, ni s'il fronçait les sourcils ou s'il fermait les yeux. À sa voix, il s'agissait plus de réflexions et de considérations lointaines que d'angoisses immédiates, mais il ne voulait pas que ce sujet devienne une crainte muette, enfouie sous des apparences sereines, qui reviendrait tourmenter Lucius de loin en loin et qui l'empêcherait de prendre une décision dans de bonnes conditions.

– Je sais que c'est possible, affirma Harry avec toute l'assurance dont il était capable. Les livres de Mihai en parlent de façon régulière, même si ce n'est pas la norme. Et si tu lui poses la question franchement, il te le confirmera. Seulement, à Colibita, c'est un sujet un peu tabou et je ne suis pas sûr que ça se pratique vraiment. Leur société fait qu'ils n'aiment déjà pas beaucoup le principe de prendre un calice et pire encore, la polygamie y est très mal vue. Mais ça existe, ailleurs, dans d'autres communautés ou dans certaines circonstances… Le plus souvent, ce sont des couples de vampires qui ne veulent pas se perdre et qui prennent un calice en commun. Et en règle générale, c'est le vampire le plus âgé, le premier transformé, qui prend un ascendant naturel.

Lucius glissa un bras replié sous sa tête pour la surélever jusqu'à croiser son regard.

– Et donc, selon toute logique, ce serait Severus qui prendrait cet ascendant sur moi ? maugréa-t-il avec un air faussement contrarié.

– D'autant plus, confirma Harry en souriant, que ce serait lui qui t'aura transformé. Ça vous donnerait un lien de… « parenté ». Pas comme un lien filial ! s'empressa-t-il d'ajouter devant les sourcils brusquement froncés de son mari. Mais davantage comme des pairs, des membres d'un même clan…

– Le « créateur » a donc un lien particulier avec le vampire issu de sa propre morsure ? interrogea lentement Lucius.

– Vraisemblablement oui, répondit Harry. Les livres de Mihai ne sont pas très explicites sur le sujet, étant donné qu'ils traitent surtout de la relation vampire-calice, mais c'est ce qu'ils semblent suggérer. Il s'agirait d'une sorte de « reconnaissance » mutuelle dans le sens où leurs pouvoirs partagent une certaine connexion, une certaine affinité. Comme s'ils appartenaient au même sang, bien qu'il ne s'agisse pas tout à fait de cela…

Il s'interrompit un instant et se redressa un peu plus sur son coude pour croiser le regard attentif et soucieux de son mari.

– Vous avez déjà partagé tant de choses ensemble, depuis tant d'années… ça te gêne à ce point de partager un lien supplémentaire avec lui ?

– Je ne pensais pas à Severus et moi, répondit aussitôt Lucius. Mais plutôt à Vladimir.

Harry eut un temps d'arrêt tel que son souffle resta un instant bloqué dans sa poitrine. Il n'avait pas pensé à ça. Vladimir… qui avait mordu Severus pour le transformer. Son créateur, avec qui il partageait donc une certaine proximité inhérente à cette première morsure. Un lien dont ils se seraient certainement tous passé et dont ils ne connaissaient pas bien les tenants et les aboutissants.

– Est-ce que…, murmura Harry alors que les questions abondaient brusquement dans son esprit. Est-ce que tu crois que ça peut avoir une incidence ? Je veux dire… on sait que l'influence de Vladimir n'existe plus depuis le pavillon chinois, qu'il ne s'agit pas d'une servitude, ni d'une emprise, mais… est-ce que ce lien pourrait empêcher Severus de s'en prendre à lui pour se venger ? Est-ce qu'en tant que « pairs », Severus serait dans l'incapacité de lui nuire ?

Il s'agissait davantage de penser à voix haute plutôt que de réelles questions, mais il avait besoin de les formuler et de mesurer l'écho qu'elles avaient chez son mari. Lucius haussa d'ailleurs les sourcils avant de les froncer à nouveau, pris dans une intense réflexion. Harry le sentait perplexe, un peu désarçonné par ces interrogations auxquelles ils étaient pour l'instant incapables de répondre et par l'ampleur de ce que cela pouvait signifier. Dans le regard pâle de son mari, il lisait aussi un soupçon d'inquiétude pour Severus et envers tous ces éléments dont ils ne maîtrisaient rien.

– Je ne sais pas, souffla-t-il. Mais si dans un couple de vampire, il existe une espèce de « hiérarchie » en faveur du premier transformé, j'imagine que Vladimir aura tout de même une certaine « autorité » sur Severus. Sans doute pas au point de le retourner contre nous, mais peut-être qu'il existe un interdit ou un tabou qui empêcheront Severus de le tuer…

Sans avoir besoin d'ajouter quoi que ce soit, ils se comprirent d'un simple regard : d'intenses recherches et de nombreuses heures de lectures les attendaient jusqu'à pouvoir clarifier ce sujet et mettre leurs inquiétudes derrière eux. Ou agir, le cas échéant.

Avec une infime culpabilité, Harry songea aussi qu'il éprouvait de moins en moins de scrupules à envisager la vengeance de Severus, quand bien même il s'agissait de tuer Vladimir et pas seulement de le neutraliser. La perspective de pouvoir vivre enfin tranquilles, sans cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, l'emportait sur sa probité et son sens moral. C'était sans doute très égoïste de sa part, mais Vladimir ne leur avait pas donné beaucoup de raisons de se montrer indulgents.

– Je poserai également la question à Mihai, réfléchit-il à voix haute. Je sais qu'il a prévu de venir vers la fin du mois, ce sera l'occasion d'en savoir plus… Je ne sais pas qui était son créateur mais je crois qu'il ne le portait pas dans son cœur.

– Vers la fin du mois ?! s'étonna Lucius en redressant un peu la tête pour mieux le regarder. Et je ne suis pas au courant ? À moins qu'il ait prévu de loger ailleurs qu'au Manoir ?

– Je n'en ai aucune idée, lâcha Harry. C'est Charlie qui m'en avait parlé avant Noël mais peut-être que Severus en sait davantage…

Lucius afficha une moue dubitative puis haussa légèrement les épaules.

– Il ne m'en a rien dit mais peu importe. Si Mihai souhaite venir, il sera le bienvenu… tant que ça ne crée pas de conflits avec Severus.

Harry esquissa un sourire en coin et se tourna légèrement sur le côté pour s'appuyer sur son poing et son bras replié. Par là, Lucius entendait sans doute les évolutions des derniers jours et le poids de ces changements dans leur relation : ce nouveau rituel du caliciat, le fait qu'ils soient à nouveau capables de s'aimer de façon pleine et entière tous les trois… Mihai ne devait pas être un grain de sable dans cet équilibre encore fragile. D'autant plus si l'on considérait le « petit faible » que le vampire avait eu pour lui.

– Ça se passera bien, affirma-t-il avec confiance. Mihai s'est résigné à ce que je ne sois jamais son calice… Pas de gaieté de cœur, mais je pense qu'il est sincère. Et bien trop intègre et respectueux pour faire quoi que ce soit qui puisse nous nuire.

– Et toi, demanda abruptement Lucius. Tu t'es résigné ?

La question avait valeur de test et Harry y répondit par un sourire tranquille.

– Je reconnais que j'ai pu être troublé par Mihai à l'époque où rien n'allait plus entre Severus et moi, mais c'est une période révolue. Et aujourd'hui, tu sais très bien qu'il n'y a qu'un seul vampire à mes yeux, en attendant que tu en deviennes un toi aussi… Évidemment, je regretterai toujours qu'il n'existe pas une autre solution pour Mihai, que je ne puisse pas lui donner mon sang, au moins de temps en temps, mais je sais aussi qu'il a une part de responsabilité dans son destin. Il ne veut pas prendre un autre donneur, et moi je ne peux pas être ce donneur-là…

Lentement, Lucius leva une main qui vint effleurer sa joue et ses lèvres avec hésitation avant de glisser le long de son épaule. Il pensait sans doute la même chose que lui : tout ça était triste et regrettable mais Mihai avait choisi. Il resterait ce vampire flamboyant et charmeur, d'une culture prodigieuse et d'une humanité bouleversante, pétri de sensualité et affamé de rencontres, et pourtant incapable de se résigner à vivre dans un monde plus pâle que ses rêves, dans lequel son dernier amour était mort et l'homme qui était devenu sa faiblesse ne pouvait pas lui appartenir.

– On voudrait toujours pouvoir sauver tout le monde, murmura Lucius.

– Bien sûr. Et ça restera une douleur, quelque part, insidieuse… Mais aujourd'hui, j'ai Aria, j'ai Severus et je t'ai toi… Et ça compte bien plus que tout le reste.

Harry se pencha légèrement vers son mari pour sceller cette déclaration d'un baiser puis se redressa pour croiser son regard et son sourire confiant.

.

oooooo

.

– Que nous vaut cette mine boudeuse ? ironisa Lucius en levant les yeux de son roman. La bille n'a pas suivi la trajectoire que tu voulais ?

Harry grimaça puis baissa le regard vers la table de billard pour évaluer la position des billes sur le tapis. En réalité, cela faisait bien quelques minutes qu'il avait frappé son dernier coup; depuis, il s'était perdu dans la contemplation de la baie vitrée et des pelouses humides tandis qu'il enduisait – longuement – le procédé de craie bleue. Et pour l'avoir fait remarquer de façon si narquoise, cela devait bien faire quelques minutes que Lucius avait cessé de lire pour l'observer du coin de l'œil.

– J'étais en train de songer qu'on devait déjà repartir demain, avoua-t-il dans un souffle plein de résignation.

– Cette faculté à se gâcher les derniers instants au lieu d'en profiter ! se moqua doucement Lucius.

Le discret sourire de Severus montrait qu'il partageait le point de vue de son mari, mais il eut la bonté de ne pas y ajouter son petit commentaire sarcastique; Harry se sentait déjà bien assez maussade comme ça. Il n'y pouvait rien. La perspective qu'il leur restait moins de vingt-quatre heures à passer dans ce havre de paix, isolés et loin du monde, entachait la quiétude du moment. Il avait beau savoir que ce n'était de toute façon qu'une parenthèse, il avait beau avoir des tas de choses à faire, sa fille à s'occuper, des potions à préparer, des amis à voir et en particulier Mark pour qui il s'inquiétait, il aurait pu rester là pour l'éternité.

– On n'a même pas eu un peu de répit au niveau du temps pour pouvoir profiter de l'extérieur !

– C'est l'hiver, chéri… !

Harry grogna un son geignard devant l'ironie doucereuse de Lucius puis leur tourna ostensiblement le dos pour se positionner et jouer la prochaine bille.

– … On reviendra, si tu y tiens tant, ajouta l'aristocrate avec un sourire manifeste dans la voix.

Harry resta interdit un instant, puis fronça les sourcils, bien conscient qu'il existait dans les mots de son mari une insinuation discrète qu'il ne saisissait pas. Malgré tout, son premier sentiment était un bonheur ravi qui le fit sourire jusqu'aux oreilles. Il fit volte-face, une exclamation joyeuse sur le bout de la langue.

– C'est vrai ? J'adorerais !

Ce ne fut que dans un deuxième temps qu'il remarqua leur attitude : celle de Lucius, les jambes croisées et le menton haut, tout en fierté satisfaite, et celle, amusée et vaguement dubitative, de son vampire. Severus n'avait même pas levé les yeux – à peine haussé un sourcil –, et il se contenta de tourner ostensiblement une page de l'ouvrage qui le captivait.

– Maintenant que Harry a mordu à l'hameçon, si tu lâchais enfin la vérité pour nous dire ce qu'est exactement cette maison, suggéra-t-il d'une voix lente et sarcastique. Ou bien à qui elle appartient…

D'un geste de la main, Lucius se défendit de cette accusation muette de les avoir manipulés ou d'avoir gardé ses petits secrets pour lui, puis il replaça délicatement une mèche de cheveux derrière son oreille, sans quitter son petit air jubilatoire.

– Eh bien… J'attendais un peu de voir ce que vous en pensiez… Savoir si elle vous plaisait, si vous aviez envie d'y revenir…

Harry connaissait assez son mari pour deviner qu'il ménageait ses effets avant de leur révéler la vérité, et malgré sa curiosité, il n'avait pas l'intention de supplier ou de lui faciliter la tâche. Il reposa tout de même sa queue de billard dans le râtelier et s'approcha négligemment du feu pour y réchauffer ses mains – et suivre d'un peu plus près la confrontation narquoise entre ses deux amants.

– Je crois que le sourire plein d'espoir de Harry parle pour lui, suggéra Severus. Et j'ai dans l'idée qu'il a apprécié la salle de bains principale avec le dôme au-dessus du jacuzzi…

À l'évocation de ce bain merveilleux et de cet endroit de toute beauté, Harry sentit son sourire s'élargir un peu plus. Il rêvait de revenir ici quelques jours de beau temps; pour profiter un peu des alentours, mais aussi pour un bain sous les étoiles avec ses deux conjoints.

– Et toi ? insista Lucius.

Severus releva la tête, promena un doigt songeur sur son menton et prit le temps de faire languir son mari avant de répondre :

– Mmh… Une petite dizaine d'ouvrages ont attiré mon attention. Je pourrais passer un peu plus de temps ici…

Harry gloussa devant les manières de Serpentard de son vampire tandis que Lucius esquissait un sourire en coin délicieux. Severus ne voulait pas avouer son intérêt mais il ne trompait personne et certainement pas l'autre Serpentard de la pièce.

– J'en conclus que la maison te plaît, ricana Lucius tandis que Severus concédait un vague acquiescement. Il se pourrait que nous puissions y revenir… voire même l'acheter.

– L'acheter ?! s'exclama Harry en se laissant tomber dans un fauteuil.

Cette fois, le sourcil de Severus était monté d'un cran supplémentaire et, passée la surprise, il pouvait dire à son air calculateur que son vampire était en train de soupeser le pour et le contre, d'évaluer le prix d'une demeure de ce type et surtout de savoir s'il était vraiment intéressé.

– Meublée ?

Lucius gloussa, devinant sans doute que Severus songeait davantage au contenu des bibliothèques qu'aux meubles en eux-mêmes.

– La maison appartient aux Nott, expliqua-t-il, mais ils n'y viennent jamais. Ils l'ont héritée d'un lointain cousin qui est décédé sans enfant, ni héritier, mais ils préfèrent largement leurs résidences de Londres ou Brixham. L'Écosse, c'est un peu trop… froid, désert et reculé, pour eux !

– On les comprend, fit Severus avec un rictus amusé. Mais c'est ce qui fait le charme de l'endroit.

– Quoi qu'il en soit, je suis certain que Caius Nott sera plutôt satisfait de trouver preneur pour cette maison. Et je doute qu'il soit assez féru d'histoire de la magie et de savoirs anciens pour se préoccuper des ouvrages de ces bibliothèques.

Les deux hommes échangèrent un sourire de connivence qu'Harry observa avec sidération.

– Mais… et le Manoir ?! s'alarma-t-il. Qu'est-ce que tu comptes en faire ?! Tu veux… le vendre et déménager ici ?!

L'idée lui paraissait à ce point aberrante qu'il en était bouche bée, les yeux écarquillés et figé par la surprise. C'en était presque choquant; le Manoir était le lieu où il avait toujours vécu avec eux, presque depuis son retour en Angleterre, et il n'avait aucune envie de le quitter. Ils avaient vécu là tous les prémices de leur relation, les balbutiements, les hésitations, toutes leurs premières fois, avec l'un puis avec l'autre, et enfin ensemble. C'était le lieu des grands dîners de famille, des morsures dans la Bibliothèque, l'endroit où Aria avait fait ses premiers pas et où ils s'étaient mariés. Il était attaché à cet endroit plus qu'à n'importe quel autre lieu de sa vie.

– Bien sûr que non ! ricana Lucius en levant les yeux au ciel. Le Manoir est la demeure ancestrale des Malfoy; il est tellement lié à la magie de la famille qu'il tomberait sans doute en poussière si je venais à m'en séparer. Il est hors de question de le quitter…

Le soulagement fut tel que Harry sentit ses muscles se dénouer et sa tension se relâcher. Il avait vécu partout et parfois même dans le dépouillement le plus total, mais là, il s'agissait de sentiments, bien plus que du luxe ou du confort de la maison.

– Ceci dit, reprit Lucius, je suis bien conscient qu'avec la condition de Severus – et la mienne peut-être un jour –, nous allons de moins en moins profiter de la maison en Provence. Ce n'est plus seulement de lumière qu'il s'agit, mais d'un excès de soleil… Et même si cela reste très agréable en soirée ou la nuit, je me suis dit qu'on pourrait peut-être songer à un autre lieu de villégiature.

– L'Écosse, donc ? fit Severus.

– Pourquoi pas ? Vous aimez tous les deux ce genre d'endroit, un peu solitaire, un peu dépouillé… perdu au milieu de nulle part. Il y a là de quoi marcher des kilomètres dans les landes désertiques, de quoi faire des promenades à cheval ou des collines à gravir; la maison est accueillante et plutôt confortable… Et le temps écossais étant ce qu'il est, tu serais moins gêné qu'en Provence.

– Ça manque un peu de chaleur pour Harry…

Lucius eut une moue désolée et un léger haussement d'épaule qui signifiait qu'il était impossible de tout concilier, sauf à vivre la nuit. Mais avec la présence régulière d'Aria, leurs activités professionnelles et leur vie sociale, cela restait chose impossible.

Interpellé par la mention de son prénom, Harry releva la tête pour leur adresser un sourire rassurant : il se fichait bien de la chaleur ! Cette maison, même perdue dans la brume et les collines saupoudrées de neige, convenait parfaitement à son vampire et il se ferait une joie de venir ici tous les trois. Tant que le Manoir restait leur lieu de vie quotidien, il était prêt à tous les aménagements nécessaires pour les petits week-ends qu'ils s'autorisaient à gauche et à droite. Et Lucius n'avait pas tort en affirmant qu'il aimait tout autant que Severus ce genre de paysages désolés et solitaires… Lorsqu'il l'avait rejoint au bord du lac, la veille au petit matin, il aurait adoré marcher pour en faire le tour ou bien grimper au flanc de ces collines, sur les sentiers empruntés par les moutons, pour observer les alentours depuis les hauteurs…

– Il me faudra des pulls en cachemire supplémentaires ! plaisanta-t-il pour les rassurer complètement. Et un peu de fond de teint pour imiter mon bronzage habituel… !

Severus lui sourit, comme toujours éperdument reconnaissant dès qu'il faisait des efforts pour s'adapter à sa condition. Harry, lui, n'y voyait aucun effort; il s'agissait juste d'une évidence qui emportait tous les arguments, avec la certitude qu'il ne serait jamais mieux nulle part qu'auprès de son vampire et de son mari.

Et la petite phrase de Lucius suggérant que la condition de Severus serait la sienne un jour l'avait profondément ravi.

.

– Je pourrais vendre Llewellyn, proposa Severus.

– C'est ta maison, rétorqua Lucius.

– Mais je n'y suis jamais… Je pourrais aussi bien ramener ma collection de photos ici.

Harry se renversa au fond de son fauteuil, nonchalamment appuyé contre le dossier, et gloussa discrètement. De toute évidence, la décision s'était imposée de façon tacite entre ses deux amants et tandis qu'il songeait aux petites touches personnelles qu'il aimerait apporter dans la demeure, ils en étaient à discuter des modalités de ce futur investissement. Pour sa part, il voulait définitivement plus de disques pour le phonographe ! Et il lui faudrait visiter les autres chambres afin d'en trouver une pour Aria, aussi douce et agréable que celle du Manoir.

La mention de Llewellyn le surprenait, néanmoins. Il avait rarement entendu parler de la maison que possédait Severus au fin fond du pays de Galles… Un bien qui lui appartenait en propre, acheté à l'issue de la guerre avec le petit pécule réalisé avec son salaire de professeur. Un lieu qui avait été un refuge, également, lorsqu'il s'était disputé avec Lucius, au tout début du retour de Harry dans leur vie. Severus ne gardait là-bas que des souvenirs, l'idée rassurante d'un asile jamais utilisé et une partie de sa collection de photos d'art… Mais la perspective qu'il puisse se séparer de cette maison et investir un nouveau lieu signifiait sans doute bien plus que les quelques mots qui suggéraient cette vente. C'est aussi ce que sous-entendait l'insistance de Lucius :

– Tu n'as pas besoin de vendre Llewellyn… J'achèterai juste un tableau de moins le mois prochain, ironisa Lucius. Ou bien je vendrai le Monet de Harry… !

– Hey ! protesta-t-il en riant.

– Messieurs. Je suis navré de vous interrompre…

D'un même élan surpris, tous trois tournèrent la tête vers l'entrée du salon et la haute silhouette dégingandée de Nox, l'elfe de la demeure. Un instant, Harry se demanda si l'elfe ferait partie des « biens meubles » vendus avec la maison dans le cas où ils l'achèteraient… après tout, il semblait davantage lié à cet endroit qu'à la famille Nott. Bien qu'il se sente toujours un peu impressionné par l'elfe, celui-ci semblait intelligent et remarquablement efficace.

Pour l'heure, ses sourcils broussailleux étaient froncés, son visage sévère et la tension manifeste de son attitude signifiait une inquiétude un peu plus importante que le simple fait de les déranger.

– … Un elfe de maison se présente à la porte et prétend vous connaître. Il aurait un message à vous délivrer de toute urgence.

Tandis que Lucius haussait un sourcil interloqué, Harry sentit les battements de son cœur accélérer de façon anarchique. Sans savoir pourquoi, la mention d'une urgence le troubla brusquement, une longue traînée de sueur froide roula le long de son dos et il se raidit dans son fauteuil. Et l'aura que Severus venait de déployer massivement ne lui était cette fois d'aucun réconfort. Une angoisse soudaine, l'inquiétude que cette urgence soulevait en lui, cette interruption brutale au milieu d'un week-end de quiétude… cela lui rappelait bien trop d'autres moments similaires pour ne pas nourrir de sombres craintes.

– De quoi s'agit-il ? interrogea Lucius, un peu agacé.

– Il ne souhaite vous parler que de vive voix.

Harry vit son mari se lever vivement avec une irritation palpable, partagé entre la contrariété d'être dérangés, l'appréhension d'une mauvaise nouvelle et la perspective sous-jacente d'une menace à leur encontre. Mais Severus le devança et leva simplement une main dans un geste d'apaisement.

– C'est Clay.

D'une façon ou d'une autre, son aura ou sa magie avaient dû sonder l'environnement et deviner la signature magique de l'elfe du Manoir. Avec un soupçon supplémentaire de nervosité, Harry et Lucius échangèrent un regard soucieux. La présence de l'elfe était à la fois rassurante parce qu'il ne s'agissait pas d'un étranger ou d'une menace, mais aussi bien plus inquiétante parce que jamais Clay ne les aurait dérangés sans une bonne raison.

– Fais le entrer ! ordonna fébrilement Lucius.

.

L'attente ne dura qu'une poignée de secondes, silencieuses mais suffisantes pour qu'ils se dévisagent tous les trois avec un regard tendu. Chacun tentait de faire bonne figure mais Harry pouvait dire d'un simple coup d'œil que Lucius avait revêtu son masque d'impassibilité typique des Malfoy, ce qu'il faisait rarement dans l'intimité de leur couple ou de leur famille, et il percevait nettement le léger trouble dans l'aura de son vampire. Lui-même s'astreignait à respirer calmement tout en ignorant le pressentiment désagréable qui le parcourait.

Enfin, Clay apparut aux côtés de Nox, aussi dissemblables qu'il était possible de l'être. Malgré sa taille déjà relativement grande pour un elfe, Clay semblait pitoyable en comparaison… plus chétif, plus vieux, plus avachi. Mais ce qui lui donnait surtout une piteuse apparence était cette impression de fatigue et d'épuisement sur ses traits. Son visage habituellement stoïque était congestionné, presque transpirant, étrangement coloré de taches rouges au milieu d'un teint livide. Il semblait essoufflé comme s'il avait couru et la pointe de ses oreilles, comme ses mains, tremblaient de façon irrépressible. Il paraissait si près de leur claquer entre les doigts que Harry sauta sur ses pieds en déployant sa magie pour le soutenir si besoin.

– Clay ?! Mais qu'est-ce que… ?!

D'une main, l'elfe s'appuya sur le dossier d'un fauteuil avec un regard qui les suppliait de ne pas condamner – voire de ne pas remarquer – ce manque de tenue.

– J'ai dû transplaner depuis le Manoir, souffla-t-il. Je suis désolé… d'avoir mis du temps.

– La maison n'est pas raccordée au réseau de cheminette, fit remarquer Lucius. Ce sera une chose à prévoir…

Harry tourna brusquement la tête vers lui et lui lança un regard noir. Ces considérations pragmatiques n'étaient absolument pas la priorité de l'instant. Lui était bien plus affolé par l'état d'épuisement de Clay; là où l'elfe transplanait encore aisément jusqu'à Poudlard quelques mois plus tôt, il semblait aujourd'hui complètement défait par son effort. Cela, bien plus que n'importe quel signe auparavant, montrait à quel point il vieillissait de façon sidérante.

– Viens, assieds-toi, fit Harry en approchant un petit fauteuil où l'elfe se laissa tomber avec soulagement.

Dans son esprit, la nouvelle qu'il venait leur apporter était passée au second plan, bien loin derrière son inquiétude et son effarement. Et puis quelque part, au fond de son cœur, il ressentait un peu de colère envers son mari qui semblait ne pas se soucier de l'état de celui qui l'avait élevé et à qui il portait une si grande confiance depuis tant d'années. Clay était le pilier du Manoir, celui qui gérait les autres elfes, la vie de la maison et du domaine, et qui se pliait avec une fidélité dévouée et exemplaire à toutes les demandes de son Maître – du moins, celles qu'il n'avait pas déjà anticipées. Que Lucius lui montre si peu de reconnaissance et d'attention à cet instant lui était infiniment douloureux.

S'il avait été un peu plus attentif, comme Severus l'était à cet instant précis, Harry aurait compris que ce n'était là pour l'aristocrate qu'une façon de se protéger. Comme toujours, cacher ses véritables sentiments derrière une façade de marbre, voire même rester dans le déni pour ne pas être atteint par la réalité, se voiler la face encore quelques temps… Mais dans le regard de son mari, Severus devinait cette lueur d'affolement devant la faiblesse de Clay et les signes irrémédiables de sa vieillesse. Au-delà du fait qu'il ne s'imaginait pas vivre sans pouvoir se reposer sur lui pour toutes les choses du quotidien, Lucius lui vouait une affection sincère et viscérale.

– Nous ferons le nécessaire plus tard, trancha Severus. Merci d'être venu aussi vite que tu as pu… Maintenant, dis-nous ce qui était si urgent pour nécessiter que tu viennes jusqu'ici.

Ces quelques secondes de répit avaient permis à Clay de reprendre son souffle et à Harry de s'asseoir dans le siège le plus proche, penché en avant avec les coudes sur les genoux, encore tendu et aux aguets. Mais quand le regard soucieux de l'elfe se tourna vers lui, il pâlit et se raidit encore davantage en attendant le verdict.

– Monsieur Charlie Weasley a passé un appel de cheminette au Manoir et m'a demandé de vous transmettre le message. Madame Molly Weasley est… décédée.

.

Harry frissonna des pieds à la tête; un long frémissement presque douloureux tant ses muscles étaient crispés et subissaient un mouvement involontaire qui allait à l'encontre de leur tension. Son corps avait réagi instinctivement, bien plus vite que son esprit où l'information ahurissante de Clay se frayait encore un chemin dont il peinait à mesurer les conséquences. Les deux mots lui semblaient antinomiques. Inconciliables. Il n'existait aucune logique, dans aucun monde, à associer Molly Weasley et décédée dans la même phrase. Molly était encore jeune pour une sorcière, elle avait à peine quatre ans de plus que Lucius, elle était en parfaite santé et il devait s'agir d'une erreur. C'était forcément une erreur. Il n'y avait pas d'autre explication à cette révélation aberrante.

Du coin de l'œil, Harry aperçut les regards soucieux que ses deux conjoints portaient sur lui et il s'autorisa à fermer les yeux une seconde. Pour souffler. Pour se reprendre. Autour de lui, il entendait les paroles prononcées par les uns et les autres sans même les comprendre.

– Je suis désolé, murmura Clay comme s'il était responsable d'une quelconque façon de la situation…

– Qu'est-ce que Charlie a dit exactement ? le pressa Lucius.

– Il n'est pas resté longtemps en communication et il était bouleversé… Il a dit que sa mère était décédée, qu'ils étaient allés lui rendre visite et qu'ils l'avaient trouvée morte. Il a dit qu'il tenait à ce que Monsieur Harry soit au courant. Il m'a fait promettre de lui transmettre le message avant de s'excuser de devoir couper parce qu'il avait d'autres personnes à prévenir. Il était… très affecté.

– Il était seul ?

– Il ne m'a rien dit à ce sujet mais je ne crois pas. Je suis venu aussi vite que j'ai pu…

Aux derniers mots contrits de l'elfe, Harry ouvrit les yeux et esquissa un pâle sourire.

– Merci, Clay.

– Harry…

Le dernier souffle provenait de Lucius et Harry ne s'aperçut qu'à ce moment-là de la main aux longs doigts fins posées sur son épaule. Il leva la tête vers son mari qui le surplombait, plongeant son regard dans les yeux gris qu'il aimait tant. Ce soir, ils étaient d'un gris pâle, comme des nuages lessivés par la pluie, et ils semblaient profondément peinés pour lui. Tournant à peine la tête, il croisa ensuite les yeux sombres et chauds de son vampire et cette vision lui fit un bien fou. L'impression d'un endroit où se raccrocher tandis qu'un chagrin sourd et vaguement douloureux émergeait quelque part à l'intérieur de lui pour prendre de plus en plus d'ampleur.

La nouvelle était toujours sidérante mais peu à peu, il admettait sa vérité. Sa réalité. Molly avait toujours été une constante de son existence, un des premiers piliers de sa vie; celle qui faisait figure de famille quand il n'avait aucun modèle auquel s'accrocher, celle qui lui avait offert ses premiers cadeaux de Noël, ses premiers repas de famille, cette impression d'être adopté quelque part… Celle qui lui avait appris, à force de démonstrations désintéressées, ce qu'étaient l'hospitalité et la générosité. Celle qui n'avait pas été une seconde mère mais qui avait été un exemple et une référence, celle de la famille qu'il avait eu envie de construire un jour : aimante, présente, solidaire.

Ils avaient pris leurs distances depuis son retour – depuis un peu avant son départ, peut-être –, parce qu'ils n'avaient pas su se parler assez pour se comprendre, mais il avait toujours su qu'elle était là, quelque part, prête à ouvrir sa porte et à l'accueillir dans sa maison s'il le lui avait demandé. S'il en avait eu vraiment besoin, elle aurait oublié les griefs et les silences meurtris, les rancœurs et son absence pendant tant d'années, et elle lui aurait juste ouvert les bras.

La dernière fois qu'il l'avait vue, c'était à son mariage et il avait été le plus réticent des deux…

… Et maintenant, c'était trop tard.

.

Trop tard pour se voir, trop tard pour parler, trop tard pour se dire les choses essentielles, les seules qui comptent et qui sont les plus dures à avouer : les sentiments, l'attachement, l'importance de l'autre. Dire à quel point elle faisait partie de sa vie, du monde dans lequel il s'était construit, à quel point elle comptait pour lui, malgré ce qu'il avait pu en dire ou en montrer. Dire qu'il l'aimait toujours, qu'il l'avait toujours aimée, dans un coin de son cœur, qu'elle lui avait donné plus d'amour que tous les autres réunis; dire qu'il était désolé, qu'il n'aurait pas dû partir en la laissant dans l'ignorance, qu'il n'aurait pas dû revenir en s'imaginant qu'elle n'avait pas souffert et que tout serait facile, dire qu'il allait faire plus d'efforts pour faire partie de sa vie, pour renouer les liens distendus, pour lui montrer toute sa reconnaissance pour ce qu'elle avait fait autrefois… lui dire tout ce qu'il n'avait pas su dire avant.

Mais c'était trop tard.

Elle était partie, elle était morte et elle ne saurait jamais ni ses sentiments ni ses regrets.

.

Il avait dû se lever, un peu sonné, car il se retrouva dans les bras de son vampire, le front posé contre son torse et les yeux fermés. Harry respira profondément tandis que ses pensées s'éclaircissaient peu à peu. La chaleur de l'étreinte de son vampire le berçait doucement et dans son dos, la main de Lucius le caressait en de longs mouvements circulaires. Lentement, il s'imprégna de leurs parfums, de leur tendresse dont il aurait besoin dans les heures à venir, puis il se recula légèrement pour les regarder tour à tour.

– Je suis désolé…

– Désolé de quoi… ? Tu n'y es pour rien.

– Je suis désolé que ça se termine comme ça, répéta-t-il. Notre week-end… Je… Il faut toujours que quelque chose vienne tout gâcher.

Insidieusement, la douleur enflait, ridicule, un peu égoïste, une souffrance qui se nichait dans sa gorge enrouée, dans ses yeux embués et dans son cœur pris en étau par un sentiment de gâchis innommable. Il avait honte aussi, un peu, de ne pas savoir si le pire pour lui était la mort de Molly ou ce week-end gâché par sa mort.

– Ce n'est pas de ta faute.

Il renifla une fois, malgré lui, encombré de cette humidité qu'il ne voulait pas verser comme un enfant. Sa tête bourdonnait de ce chagrin désordonné qui mêlait souvenirs d'autrefois et d'aujourd'hui, tendresse et regrets, tristesse et amertume.

– Je vais aller… Je suis désolé.

– Bien sûr. Tu vas aller les rejoindre. C'est normal que tu sois là-bas…

Harry se recula d'un pas de plus, se détachant de leur étreinte qui se relâchait lentement. Il avait terriblement envie de leur réconfort, de se perdre dans leurs bras pour s'y cacher et ignorer la froide réalité qui le rattrapait jusque dans ce cocon de bonheur, mais c'était impossible. Sa présence était due, ailleurs, auprès d'autres qui souffraient sans doute plus que lui.

– Vous allez rentrer au Manoir ?

Ils échangèrent un regard puis ce fut Lucius qui répondit, un peu hésitant :

– Je pense… Je sais bien que tu peux nous rejoindre où que nous soyons, mais j'aimerais autant être à portée du réseau de cheminette. Si jamais Matthieu a besoin de joindre Severus, ou si Luna et Padma ont besoin de communiquer avec toi…

Avec un soupçon de panique, Harry songea à tous ceux, autour de lui, qui étaient impliqués dans cet événement : Luna était très proche de Charlie, bien plus que de simples collègues, et Matthieu allait prendre le chagrin de son compagnon de plein fouet… Il pouvait vouloir contacter son père adoptif, Luna pouvait avoir besoin de lui pour garder Aria…

Égoïstement, il n'avait pensé qu'à son propre chagrin, à celui de Charlie et des autres fils Weasley, mais les personnes touchées par ce décès brusque étaient certainement bien plus nombreuses que ça.

L'aura puissante de son vampire se déploya autour de lui comme une cape chaude et enveloppante et Harry ferma les yeux pour s'en imprégner. Severus avait dû percevoir tout ce qu'il était incapable de dire, ses émotions déchirées, cette sensation presque physique que son cœur était étranglé, et il venait, à sa manière, tenter de le rassurer et de l'apaiser.

– Tu n'as rien bu, aujourd'hui, lui fit-il remarquer alors qu'il songeait à son départ.

Il savait que ce n'était pas le moment mais c'était terriblement tentant… Donner son sang pour avoir l'impression d'être utile, pour renforcer leur lien et trouver un peu de paix; une vraie morsure où il pourrait se perdre dans l'étreinte de son vampire et oublier un instant le monde cruel qui poursuivait inexorablement sa course autour d'eux.

Les yeux sombres de Severus chatoyèrent et il s'approcha pour poser un baiser sur ses lèvres.

– Ça n'a rien d'urgent. Va faire ce que tu as à faire. Tout le reste peut attendre.

Harry tenta un sourire pitoyable dont les coins s'incurvaient un peu trop vers le bas. Il n'avait tellement pas envie de ça : les quitter pour aller se confronter à la peine et la douleur des autres; pas plus que de se confronter à son propre chagrin et ce que ce décès signifiait dans son histoire.

Une tristesse abyssale s'emparait doucement de lui. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas perdu quelqu'un de proche qu'il avait oublié à quel point la souffrance pouvait poignarder le cœur et couper le souffle. Il aurait voulu ne jamais vivre ça à nouveau, ne jamais réveiller tous ces fantômes pour en ajouter un autre à la longue liste de ses disparus. Il était déjà fatigué et écrasé par le poids des jours sombres qui s'annonçaient.

Il leva une dernière fois les yeux pour puiser un peu d'amour dans leurs regards puis transplana dans un craquement déchirant.

.


.

Je sais, je sais, vous allez râler ^^ Mais c'est ainsi... On aurait pu s'arrêter sur ces moments de bonheur mais, même si eux vont bien à présent, il reste encore des choses à régler dans cette histoire ;)

Merci à tous d'être encore là et de rester fidèles à notre trio! Les prochains chapitres sont en cours d'écriture, alors on se retrouvera d'ici plusieurs semaines, peut-être même plusieurs mois. J'espère pouvoir vous sortir quelque chose pour l'automne prochain... D'ici là, portez-vous bien, profitez de belles histoires et passez un bel été! Quant à moi, je partirai... en Ecosse, bien sûr! ^^

Au plaisir

La vieille aux chats