TW pour ce chapitre : viol non détaillé, violence, prostitution
Drago fit machinalement glisser sa langue sur les trois petites dents qui lui poussaient du côté gauche. Comme ses cheveux, ses dents repoussaient quand elles étaient arrachées, brisées, ou simplement déchaussées. A croire que son corps refusait d'abandonner la partie. Heureusement, et contrairement à ses cheveux, elles ne repoussaient pas plus longues que les précédentes. Si tel avait été le cas, il aurait aujourd'hui une dentition à rayer le plancher, des chicots démesurés comme ceux de Granger, quand elle avait intégré Poudlard.
Drago sourit à cette pensée. C'était amusant comme ses années de scolarité lui paraissaient à la fois belles et lointaines. Une tout autre vie. A l'époque, ses seuls soucis consistaient à se tenir au courant des dernières tendances et à s'y conformer…
Il se suçota pensivement la gencive, et sentit de nouveau le goût du sang inonder sa bouche.
La veille au soir, Runcorn l'avait ramené à sa cellule avant de reprendre sa visite nocturne avec le Directeur. Son père l'avait accueilli d'une gifle monumentale qui avait fait exploser la blessure à la lèvre que lui avait infligé le Surveillant Major. Rockwood s'était précipité, avide de poursuivre la punition, mais Lucius Malfoy, hautain, superbe, l'avait arrêté d'un geste.
« Profitons de la lumière pour travailler. Tu t'occuperas de Drago à l'extinction des feux », avait-il annoncé.
Aussi Drago s'était-il sagement assis sur son lit, et avait tout raconté du comportement de Potter.
Il se sentait trembler de rage rien qu'à y penser. Sa façon de sourire, de se moquer, de s'amuser de la situation, son regard… Drago s'était attendu à un regard de pitié, celui d'un petit chevalier blanc découvrant pour la première fois à quel point le monde était sordide. Il aurait compris un regard de dégout, de mépris, devant la déchéance des Malfoy. Après tout, c'est ce que Drago éprouvait lui-même. Il n'aurait pas pu blâmer Potter pour penser ainsi… Il avait reçu ce regard hilare, gourmand, comme il avait reçu les innombrables sexes qui l'avaient détruit chaque fois un peu plus…
Quand les lampes à incandescences du couloir s'étaient éteintes en clignotant, Malfoy père avait soupiré, s'était changé, puis avait rejoint son lit en hauteur. Et Rockwood s'était déchaîné sur le corps déjà meurtri de Malfoy. Les coups lui avaient fait sauter la canine gauche et les deux dents voisines. Drago les avait probablement avalées. Après quoi, il avait mordu son oreiller pour s'empêcher de hurler pendant que Rockwood ruait dans son dos.
Le matin venu, Drago avait découvert, avec un léger vertige, que le sang avait recouvert tant de tissu qu'aucun lavage ne serait possible. Son père détestait la saleté, aussi Drago s'était-il contenté de jeter la taie à la poubelle, de poser l'oreiller nu à l'envers, et de recouvrir la moitié inférieure, ou le sang avait traversé, avec sa couverture.
Il faudrait qu'il se procure une nouvelle taie. Hors de question de vendre son corps en échange. Son père n'aurait pas permis que Drago prenne seul ce genre d'initiative. Mais il pouvait promettre une performance supplémentaire la prochaine fois que son père ordonnerait une prostitution. C'est un arrangement qui fonctionnait avec certains vieux qui appréciaient les caresses ou les mots doux pendant l'acte. Malfoy trouvait une info, la partageait avec le vieux, qui avait alors droit à sa double récompense. Tout le monde était gagnant.
Le confinement exceptionnel se poursuivait, et on n'avait pas eu de nouvelles de Waren. On ne l'avait pas aperçu au réfectoire, ni au matin, ni à midi. La rumeur commençait à enfler, et les regards concupiscents dont on couvrait Drago lui donnaient froid dans le dos. Quand la colère enflait trop, Lucius laissait Macnair organiser des « tournantes » dont Drago mettait des jours à se remettre. La dernière fois… Drago ferma les yeux et frissonna. La dernière fois, à quand remontait-elle ? Moins d'un an ? C'était certain. Plus de six mois ? Difficile à dire…
Drago se balançait nerveusement d'avant en arrière en s'entêtant à se rappeler. Il triturait le souvenir comme il pouvait triturer son auriculaire cassé ou sa gencive à vif, trouvant du réconfort dans cette douleur souhaitée et maitrisée.
Soudain, un bruit de pas dans le couloir. Drago tourna vivement la tête.
Pourvu que ce soit le retour de Waren. Pourvu qu'il vienne réclamer son dû et que les choses redeviennent comme avant. Pourvu, pourvu… Drago se mordit violemment la lèvre. Ce fichu espoir ! Toujours ces fichus souhaits ! Pourquoi ne pouvait-il pas simplement attendre que les évènements se produisent sans provoquer l'ire du destin par ces stupides espérances ?!
Le Surveillant Johnson s'arrêta devant leur cellule et sortit son trousseau de clefs.
« Malfoy, suis-moi. »
Lucius Malfoy descendit élégamment de son lit avant que Johnson ne l'arrête.
« Pas vous, Monsieur Malfoy. Votre fils. »
Monsieur Malfoy tourna la tête pour toiser celui qu'il avait cessé d'appeler « fils » depuis des années. En tâchant de garder contenance, Drago se leva pour se diriger vers la porte que le gardien était en train de déverrouiller. Lucius l'arrêta d'une main sur l'épaule.
« Surveillant Johnson, commença-t-il d'un ton doucereux, jamais il ne me viendrait à l'esprit de m'opposer à ce que vous emmeniez mon fils… » Il prononça le dernier mot comme s'il lui brûlait la langue. « Mais j'aurais apprécié que vous m'en demandiez la permission.
– Ce n'est pas moi qui le demande, Monsieur Malfoy… »
Johnson avait ouvert la porte de la cellule en grand, et attendait la sortie de Drago. Aucun gardien n'osait pénétrer les quartiers Malfoy sans l'invitation expresse du patriarche, à moins d'un ordre direct de Waren ou de Runcorn.
« Aurons-nous bientôt des nouvelles de notre cher Surveillant Brigadier ? interrogea Malfoy.
– Je n'en ai pas moi-même, Monsieur. Il a été consigné dans ses appartements. »
En prononçant cette phrase, Johnson lança un regard assassin à Drago. Lui aussi le considérait bien évidemment comme responsable… Drago ressentit un pincement au cœur. Il connaissait mal Johnson, ne lui avait probablement jamais adressé la parole, aussi une part de lui avait imaginé qu'il puisse être non pas quelqu'un de bien, mais disons quelqu'un d'acceptable, qu'il pourrait côtoyer sans haine ou mépris…
Lucius tapota doucement l'épaule de Drago avant de le lâcher et de faire un pas en arrière.
Finalement, le jeune prisonnier sortit de cellule et emboîta le pas de Johnson. Ils parcoururent les couloirs qui menaient à l'infirmerie, traversèrent un hall immense qui avait certainement dû être somptueux quand la prison était encore un château, mais qui était aujourd'hui sombre, poussiéreux, avec des murs lézardés et un plancher pourri. Ils montèrent trois volées d'escaliers, et débouchèrent sur un couloir chaleureux aux murs éclairés à la torche, et orné d'un long tapis à motif. Drago devina qu'il devait s'agir d'un espace réservé au personnel pénitentiaire. Ils remontèrent la galerie jusqu'à une lourde porte de bois massif à laquelle Johnson frappa trois coups secs.
Au bout de quelques secondes, les portes s'ouvrirent par magie, et Drago se figea sur place, bouche bée.
La pièce qui se présentait devant lui respirait le luxe. Une odeur d'air frais et de linge propre le frappa de plein fouet. Ses yeux cillèrent devant l'imposante table d'acajou aux pieds sculptés en forme de pattes de griffon. Les chaises assorties qui l'entouraient avaient des assises neuves en velours brillant aux couleurs chaudes et sobres de l'automne. Le tapis aveuglant sur lequel trônait l'ensemble était si épais qu'on aurait dit un manteau de neige. Sous le tapis, un parquet verni et brillant sur lequel il aurait été infamie de marcher en chaussures de ville. Et puis ces tentures aux murs, cette cheminée superbe, ce lustre de cristal, ces rideaux brodés de fils d'or !
Drago sentit ses paupières papillonner. Les rideaux entouraient une large baie vitrée donnant sur un élégant balcon. Et derrière la rambarde du balcon, le ciel à perte de vue. Il avait oublié l'immensité du ciel. Il avait oublié cette sensation de vertige à voir quelque chose de trop grand, de trop beau. Il ferma les yeux. S'il fixait une seconde de plus les nuages titanesques, il ne pourrait s'empêcher de courir vers la baie vitrée, de traverser le verre et de se jeter vers le firmament.
Il laissa à son cœur le temps de se calmer avant de détourner le visage et d'ouvrir de nouveau les yeux.
Évidemment, Potter était là. Seul le directeur de l'établissement pouvait prétendre à des appartements d'une telle magnificence. Potter l'avait fait venir pour l'humilier, pour lui rappeler que l'un d'eux avait tout gagné, tandis que l'autre avait tout perdu. Potter qui discutait aimablement avec le Surveillant Johnson, comme si la présence de Malfoy était insignifiante.
« C'est gentil à vous, Johnson. Moi aussi, j'ai hâte de travailler avec vous tous.
– Ma vieille mère n'en reviendra pas, quand elle saura que je travaille pour Harry Potter. Vous savez, jusqu'à maintenant, le travail de surveillant pénitentiaire ne faisait rêver personne, mais maintenant, et grâce à vous…
– Et oui, et oui, tout ça grâce à moi… » Et Il éclata d'un rire franc. « Johnson, reprit Potter, vous transmettrez mes salutations personnelles à votre mère. Si, si, j'insiste. Mais je ne voudrais pas vous retenir plus longtemps, je sais que vous avez beaucoup de travail avec tout ça. D'ailleurs, vous pouvez lever le confinement exceptionnel des détenus. Je vous prie de passer le message à vos collègues. C'est moi qui vous remercie Johnson ! Voilà ! »
Il raccompagna le surveillant aux yeux brillants d'admiration à la sortie, et coupa court à la conversation en lui fermant les portes au nez.
On n'entendait plus dans la pièce que le crépitement du feu de cheminée.
« Malfoy. »
Le ton était railleur. Drago ne réagit pas.
« Je t'en prie, assieds-toi. »
Potter lui désignait un ensemble de deux fauteuils et d'un canapé assorti, entourant une petite table basse devant la cheminée. Tous semblaient incroyablement confortables. Évidemment, il y avait un piège. Il y en avait toujours un. Mais l'envie, ou plutôt la nécessité, d'effleurer à nouveau quelque chose de doux décida Drago à accepter l'offre. Il choisit le fauteuil le plus proche de la cheminée, lissa sa robe sous ses fesses, et s'installa avec douceur. Il s'enfonça aussitôt dans le rembourrage moelleux, et se retrouva plus avachi qu'il ne l'aurait voulu. Il posa ses bras sur les accoudoirs, appréciant le contact du velours sur ses poignets. Puis, pour se donner une contenance, il croisa élégamment les jambes. Il toisa alors Potter qui s'installait dans le canapé face à lui.
Potter était l'incarnation de la nonchalance. Affalé en arrière, les bras négligemment écartés sur le dossier, Les cuisses largement ouvertes malgré les pieds rapprochés et ancrés au sol, la tête légèrement penchée… Il observait également Drago, en silence…
De longues minutes s'écoulèrent sans un mot ni un geste.
Ce fut Potter qui détourna le premier le regard avec un bref éclat de rire nasal.
« Tu n'as pas changé Malfoy.
– Et bien permets moi de te retourner le… J'imagine que ce n'était pas un compliment, alors disons la banalité ? »
Drago laissa son regard vagabonder dans la pièce, assez fier de sa répartie. Ce n'était certes pas du Shakespeare, mais les premiers mots qu'il prononçait devant le célèbre Harry Potter montraient assez leur différence de niveau culturel et social, appuyaient son ennui et sa supériorité sans être pour autant insultants… Évidemment, son père aurait trouvé mieux. A cette pensée, Drago fronça brièvement les sourcils.
« Qui aurait pu deviner qu'on se retrouverait ici », poursuivit Potter en saisissant une tasse de thé fumant sur la table basse.
Drago observa le plateau d'argent ouvragé qui comportait encore une petite théière, une tasse pleine, et une soucoupe assortie dans laquelle reposaient deux sucres. Que le directeur d'Azkaban ne connaisse pas la différence entre un sucrier et une soucoupe l'écœura légèrement… Mais l'ombre de son père planait désormais dans la pièce, et Drago ravala une remarque moqueuse… Il lui fallait amadouer l'homme puissant qui lui faisait face, faire preuve de politesse, de flatterie… Il chercha désespérément que répondre aux platitudes de Potter, mais rien ne lui vint… Plutôt que de laisser le silence s'éterniser, il se força à confirmer ses dires :
« En effet, je crois bien que personne ne s'attendait à ta visite… » Puis il ajouta, trouvant sa pauvre imagination dans le décor riche : « Jolis appartements.
– Je ne suis malheureusement pas celui qu'il faut féliciter à ce propos. Tout ça appartenait à l'ancien Directeur. »
Drago remarqua alors que la pièce comportait en effet tous les meubles nécessaires, mais aucun objet personnel ou bibelot qui puisse lui donner l'air d'être habitée.
« On vient de m'apprendre, poursuivit Potter, qu'en tant que Directeur, j'aurais la visite d'une prisonnière, chaque matin, pour balayer les sols, changer les draps, récurer les chiottes… »
Drago tâcha de garder un visage neutre, mais il leva mentalement les yeux au ciel, accablé par le non-intérêt de la conversation… Potter essayait-il de se vanter ? De le rendre jaloux ? Pensait-il qu'une bonniche était ce qui manquait à son bonheur ?! Cette fois, il s'autorisa une réponse ironique :
« C'est fascinant, Potter. Je t'en prie, dis m'en plus…
– Je me suis dit que je pourrais te confier le job… »
Drago poussa un soupir et s'enfonça davantage dans son fauteuil… Enfin, les insultes commençaient. Enfin, la conversation allait dans une direction qu'il pouvait anticiper. Malgré tout… Une pointe de déception l'assaillait. Faire le travail d'une femme ? Potter n'avait rien trouvé le plus humiliant à lui balancer ? Ça ne ressemblait pas à une attaque, à peine à la raillerie d'un enfant de cinq ans…
Drago observa les flammes dans la cheminée, décidé à montrer à son interlocuteur à quel point la chamaillerie l'ennuyait.
« Je suppose que tu pourrais, en effet…
– Ça t'intéresse ?
– Non. »
A peine le mot sorti de sa bouche, Drago regretta de l'avoir prononcé. Évidemment que le poste était intéressant ! Pouvoir fouiller dans les petits papiers du directeur, empoisonner son thé, chaparder quelque objet magique… Les possibilités étaient infinies ! Et si le prix à payer était de nettoyer les toilettes, et bien Merlin savait à quel point Drago avait connu pire question humiliation…
Il s'apprêtait à se rattraper d'un « à moins que », mais Potter lui coupa l'herbe sous le pied en reprenant la parole.
« Qu'on s'entende bien, je me doute que le ménage n'est pas ton truc… J'espérais plutôt pouvoir… Disons, profiter de ta compagnie… »
