cattleyahana : Comme tu le disais sur un chap précédent, il a pris la bonne décision, mais pas pour les bonnes raisons...
Quitter Azkaban, c'est bien, mais si c'est pour se retrouver de nouveau sous l'influence de son père, ça vaut à peine mieux...
Le lendemain matin, Drago fut surpris de croiser Ginny Weasley à sa sortie de l'infirmerie. Il venait d'y récupérer Carrow pour l'emmener avec lui récupérer le courrier des albatros.
« Alors, il parait que tu quittes l'Angleterre ? demanda-t-elle après l'avoir salué.
– Les nouvelles vont vite, grinça Drago. Je n'ai pris ma décision qu'hier soir.
– Ah ? J'avais cru comprendre que c'était déjà acté à midi. Enfin, c'est ce que Harry avait sous-entendu… Bref, je voulais te parler de celui-là », compléta-t-elle.
Elle désignait Carrow qui marchait derrière eux. Comme souvent quand elle était dans le coin, elle obtenait son attention presque totale, et si Drago ne haussait pas le ton pour se faire entendre, il pouvait la suivre de ses yeux vitreux pendant des heures.
« Je pensais prendre la relève avec lui, annonça-t-elle tout de go.
– Pardon ? » Il ralentit légèrement sa marche, interloqué, avant de se reprendre.
« Ça fait un moment que Harry me dit qu'il veut l'envoyer à Sainte Mangouste, mais j'en ai discuté avec Nguyen, et il pense pas non plus que ce soit une bonne idée de l'isoler dans un endroit où il ne connait personne. Je pense pas pouvoir m'en occuper tous les jours, mais le Stade n'est pas loin de l'hôpital, donc voilà, je pourrais passer de temps en temps, pour voir comment il se remet, lui accorder le genre d'attentions que tu lui donnes. Et puis, je connais quelques autres à Poudlard que… Enfin, qu'il a torturé aussi, alors je me dis qu'on pourrait se relayer. Que ce serait mieux pour lui qu'il entende plusieurs voix, plutôt que toujours la même. »
Drago hésita… La Sang-Pur ne semblait pas vouloir profiter de l'état de Carrow pour se venger, pour l'humilier, ou quoi que ce soit d'autre, et quelque chose lui disait que les « quelques autres » qu'elle citait étaient du même genre. Tout de même, une telle générosité était difficile à croire.
« Je risque pas de m'en occuper aussi bien que toi, parce que je suis pas totalement maso non plus, reprit-elle. Mais lui parler, le faire sortir régulièrement, tout ça, c'est possible. Et puis on cherchait un ramasseur de balles, au Stade. Un homme à tout faire. Quelqu'un pour ramener les rafraichissements, nettoyer les vestiaires, ce genre de trucs, tu vois ?
– Pourquoi ferais-tu ça ?
– Parce que… Parce que ça n'a aucun sens qu'il reste là si il ne comprend même pas pourquoi il est puni. Et puis je sais pas, il me fait pitié. »
Arrivés devant la petite porte taillée dans la herse du château, ils se retournèrent tous les deux pour observer Carrow d'un œil critique. Celui-ci s'arrêta à son tour et resta immobile, clignant doucement des paupières.
« C'est… vraiment généreux de ta part de t'en soucier, Wesaley, admit finalement Drago. Je suppose que c'est ce qui serait le mieux pour lui. »
·
L'après-midi même, le Professore Kenaran devait partager avec l'ensemble des personnes présentes les résultats de ses recherches concernant le Détraqueur, avant que la plupart des Sorciers ne quitte l'île le lendemain avec le ferry.
Drago hésita longtemps à participer au rassemblement : Il ne voulait pas être remarqué, et puisque le bruit courrait déjà qu'il était sur le point d'échapper à sa sentence, les remarques à son encontre ne risquaient pas d'être très agréables à entendre…
Ceci dit, puisqu'il allait lui falloir intégrer le Cabinet d'études du Maléfistinat, manquer cette occasion d'assister à un cours aurait fait mauvaise impression.
La réunion avait lieu dans le Hangar, et Drago s'arrangea donc pour arriver sur les lieux pile à l'heure, afin de pouvoir s'installer discrètement au dernier rang. La salle avait été aménagée et rappelait désormais une salle de classe : Des bancs avaient été dressés pour créer un amphithéâtre autour d'un tableau noir, un rétro-projecteur avait été installé, un mur de liège occupait le mur du fond, et sur celui-ci étaient punaisés des posters scientifiques ou runiques… La foule était dense : Les Maléfistiniens, les Surveillants, les amis de Potter…
Au bout d'un moment, l'exposé en lui-même commença.
S'il n'avait pas craint que son départ soit remarqué et critiqué, Drago aurait quitté les lieux : Le Dottore Vilardo passa presque une heure à réciter d'un ton morne et avec un accent Italien rauque ce qu'il y avait à savoir sur les Détraqueurs « ordinaires », et que tout le monde connaissait déjà. La Dottora Bonello enchaîna sur un historique du sortilège de Patronus, leçon qu'elle avait déjà assénée lors de son arrivée sur l'île, et qui n'avait d'intérêt pour personne. Le Dottore Jakopović prit la relève avec une démonstration philosophique assommante sur les créatures des Ténèbres et leur rôle dans l'équilibre du monde…
Drago était bon élève et respectueux – fourbe et hypocrite, disaient les autres – et il s'efforça de prendre un air intéressé.
Ensuite, plus surprenant, l'un des nouveau Dottore se présenta et prit la parole pour parler legilimancie. Il expliqua succinctement les différentes formes que pouvait prendre cette pratique, et insista longuement sur cet effet de ricochet que Drago avait déjà expérimenté, quand la victime d'un tel sort parvenait à renvoyer l'attaque vers son agresseur et à voir ses souvenirs à lui.
Drago se mordilla alors les lèvres en espérant qu'il s'imaginait des ponts là où il n'y en avait pas. Il jeta tout de même un coup d'œil nerveux vers la silhouette de Kenaran, assis au premier rang. Celui-ci était placé légèrement de biais, et Drago pouvait apercevoir son œil gris. Il se demanda un moment s'il était paranoïaque de penser qu'il puisse l'observer ainsi, et à l'instant où il se fit cette réflexion, un léger sourire apparut sur les lèvres fines du Maléfistinien.
Enfin – l'après-midi avait été longue et harassante, des pauses avaient faites, et Drago avait hésité plus d'une fois à regagner sa cellule – Kenaran se leva-t-il avec élégance pour prendre à son tour la parole :
« Merci, mes chers collègues, pour ces mises au point absolument nécessaires à ce que mon discours ne parte pas d'une base trop abstraite… »
Il résuma un moment les points de comportement qui séparait le Détraqueur d'Azkaban de la masse de ses congénères, soulignant sa violence, sa puissance, sa propension aux attaques physiques, et enfin, l'espèce d'instinct maléfique qui pouvait être confondu avec de l'intelligence qui l'avait fait fuir Potter et qui l'avait poussé à vouloir ouvrir une brèche dans le dôme extérieur, non pour faire entrer ses camarades, comme cela avait été suggéré par certains, mais pour pouvoir s'échapper.
Drago fronça les sourcils. Il n'avait aucune preuve pour aller à l'encontre de la supposition, si ce n'était son instinct et celui de la Selkie… Tout de même, si le but du Détraqueur n'avait été que d'échapper à Potter, il aurait pu tout aussi bien s'enterrer profondément dans le sol sous-marin et attendre une centaine d'année que celui-ci ne meurt enfin.
« Quant à savoir pourquoi celui-ci a évolué de cette manière – et il s'agit là d'une avancée majeure dans l'étude de ces Non-Êtres – et bien nous avons découvert qu'une fraction de vie pouvait être insufflée en eux. Comment ? Permettez-moi tout d'abord de vous présenter un document unique au monde, qui saura, j'en suis sûr, vous impressionner. »
En prononçant ces mots, le Professore ouvrit délicatement un petit coffret d'or et de cristal ouvragé, dont les sorts de protections et de préservations luisant et colorés pulsaient doucement. Il en sortit un parchemin, et Drago se mordilla les lèvres en reconnaissant les enlumines dorées ornant le papier de correspondance d'Azkaban. L'homme se dirigea à pas lents vers le petit vidéo projecteur, y déposa le courrier, et celui-ci s'afficha en grand sur le mur blanc surplombant les tableaux de lièges.
C'était la lettre que la plume à Papote avait rédigé avant l'attaque du Détraqueur, quand Drago s'était assoupi.
Il restait peu d'espèce non utilisé sur le papier. En haut, à gauche, l'écriture était régulière et témoignait de ses pensées du moment, pas spécialement décousues :
« Ce n'est pas important. Je dormirai plus tard. Il reste de la potion d'anesthésie dans la trousse à pharmacie de la salle de bain. Il vaut mieux travailler plutôt que de risquer de le voir à nouveau. Avec son corps répugnant, sa sale petite gueule de fouine dégueulasse et la faim »
L'écriture avait changé quand les pensées de Rockwood s'étaient imposées à lui un instant, puis à nouveau sur le dernier mot, tracé avec une agressivité telle que la plume avait traversé et déchiré le parchemin.
Puis le mot se répétait, s'inscrivait en lettres de plus en plus larges, tremblantes, acérées, jusqu'à s'étaler en capitales agressives et énormes, à peine contenues dans la largeur de la feuille. La plume était repassée sur elles des dizaines de fois, les élargissant, les déformant au point qu'elles semblaient davantage des runes antiques que des lettres : FAIM
Le mot se répétait encore et encore sur l'intégralité de la feuille, inlassablement. Parfois en pattes de mouches minuscules, comme si la pensée n'était qu'une simple note dans la marge, parfois presque aussi grandes que le mot central. Parfois accompagné d'un pronom, d'un adjectif d'une précision : faim insatiable, faim séculaire, cette faim qui me dévore, pour faire cesser la faim, des siècles que j'ai faim… Parfois, le mot s'entortillait sur lui-même pour combler un espace laissé vacant ou s'inscrivait à la verticale le long d'autres lettres qui formaient le même mot, encore et toujours, faim, faim, FAIM, FAIM…
Et puis, parfois, d'autres mots se répétaient : L'attente, l'espoir, le besoin, la rage, la fureur, la furie. Les siècles, aussi.
Certains n'étaient pas inscrit sur le papier, mais on les devinait à travers les autres : L'angoisse, l'impatience, le renoncement, la désespérance…
Enfin, il y avait les mots qui avaient été tracés en dernier.
On les reconnaissait, parce que l'encre n'avait pas eu le temps de sécher et avait bavé quand le parchemin s'était envolé. L'écriture avait une taille normale, et la calligraphie semblait presque apaisée au milieu de la confusion ambiante des autres lettres qui s'entremêlaient, se croisaient, se recouvraient les unes les autres :
« Je suis mort, et je me répandrai. »
Un brouhaha avait commencé à se faire entendre. Cette surprise visuelle semblait avoir réveillé les spectateurs après les discours soporifiques.
Drago ne baissa pas les yeux. Baisser les yeux aurait signifié qu'il avait quelque chose à cacher. Drago garda le regard fixe. Rien n'indiquait la date à laquelle le document avait été rédigé, ni par qui, ni dans quelles circonstances. Peut-être que le Professore comptait sous-entendre que sa rédaction était récente et le résultat de ses petites expériences.
« Ce document a été rédigé le 27 janvier dernier, juste avant l'attaque qui a fait pénétrer le Détraqueur à l'intérieur du château, et suite à laquelle Monsieur Potter a demandé notre assistance. Il l'a été sous l'utilisation d'une plume à Papote dont l'usage a permis de mettre en mots les obsessions et instincts du Détraqueur. Vous remarquerez que peu de phrases, peu de pensées construites et cohérentes sont présentes, ce qui confirme que ces créatures ne pensent pas réellement. Pas au sens où nous l'entendons, en tout cas. Ici et ici, remarquez la différence de calligraphie, remarquez comme soudain, le discours semble cohérent, intelligent. Ceci parce que le Sorcier à l'esprit duquel la plume était connectée avait alors le pouvoir sur ses émotions… »
La respiration de Drago avait pris un rythme plus soutenu. Il avait gardé le regard fixé sur Kenaran, mais il voyait, à la lisière de son champ de vision, les visages se tourner vers lui, et continuer leurs murmures.
Rien n'indiquait que le document venait de lui. Il n'était pas le seul Sorcier de l'île à avoir utilisé une plume à Papote.
« Le Sorcier que j'évoque est bien évidemment Monsieur Drago Malfoy. Ce document a été rédigé à une époque où ses conditions de détention étaient telles que sa rage et son désir de vengeance envers les hommes se lit ici et là… »
Drago aurait dû immédiatement prévenir le Maléfistinien qu'il acceptait son offre. Kenaran n'aurait alors pas prétendu que ces pensées sauvages étaient les siennes. Ces allégations avaient pour but de le faire passer pour un fou dangereux parmi les Sorciers présents, et de le forcer à partir.
« Quant à savoir pourquoi les pensées de Monsieur Malfoy et du Détraqueur sont ainsi emmêlées, il s'agit simplement de l'utilisation inadéquate d'un sortilège de legilimancie : Le Détraqueur n'ayant aucun esprit à explorer, quand Monsieur Malfoy a lancé son sortilège, une partie de sa vie, de son esprit, de sa rage, de sa magie, a été transmise au Non-Être, et l'a doté de cet ersatz de personnalité qui… »
Non.
Non. Non. Non.
Non.
C'était faux.
Le Détraqueur avait déjà un comportement aberrant avant que Drago n'utilise sa legilimancie contre lui. Il n'était pas responsable.
Ne pas baisser les yeux. Baisser les yeux aurait signifié la honte, et la honte aurait signifié la culpabilité.
Une voix chevrotante s'éleva quand Kenaran fit enfin une pause dans son discours :
« Et bien ce n'est pas l'affirmation la plus stupide que j'ai jamais entendue – Quand on fait mon métier, et qu'on vit aussi vieux que moi, on est témoin de certaines choses – mais ça n'en est pas loin, en tout cas… »
