Chapitre 2.
Hermione était accoudée à une rambarde, les yeux tournés vers l'horizon. Ses cheveux frisottés volaient dans tous les sens. Elle détourna le regard un instant pour jeter un oeil sur la montre à gousset qu'elle avait dans sa poche.
Cette même montre qui lui avait été offerte par son père et qui lui rendait tant service. Aujourd'hui, elle la maudissait pour l'heure qu'elle lui renvoyait, car elle n'avait aucune envie d'y retourner.
Tout ce qu'elle voulait, c'était juste… continuer d'observer l'océan, sans se préoccuper des gens, des passagers et surtout de son chef qui lui faisait vivre un véritable enfer. Elle voulait retrouver ses bouquins, seule.
Embarquée pour remplir le poste de libraire dans la bibliothèque des deuxièmes classe de ce paquebot, c'est au bout de quelques jours à peine qu'elle avait été reléguée au rôle de liftière, celui que personne ne voulait.
S'occuper de faire la navette entre les étages était bien pire que d'aiguiller des étrangers dans leur lecture, d'autant plus qu'elle avait été dégagée de son poste pour une absurdité sans nom. On disait d'elle qu'elle avait incité à un mouvement de révolte, face au faits que la plupart du petit personnel avait été placés dans des cabines de troisième classe. Alors maintenant, grâce à sa trop grande bouche, voilà qu'elle devait parcourir le bateau de long en large dès qu'elle avait le malheur de vouloir ouvrir un bouquin !
Alors qu'elle se retournait pour se diriger vivement vers la porte donnant sur l'accès principal, elle percuta de plein fouet un homme, qui la rattrapa au vol avant qu'elle ne tombe, non sans crier de surprise.
« Seigneur, vous allez bien ?! »
Hermione cligna plusieurs fois des paupières.
Elle reconnaissait cet homme et fronça les sourcils en penchant la tête, juste avant qu'il ne la redresse avec douceur sur ses pieds.
Il était grand, mince, avec des cheveux mi longs noirs peu habituels plaqués en arrière ainsi que des vêtements qui différaient de celui de l'équipage. Son visage était un peu sale, et ses mains laissèrent quelques traces noires sur ses manches.
Oh Hermione reconnaissait bien ce genre d'individus. Ils bossaient dans la soute du navire, alimentant les fours en charbon.
« Oh non, murmura Hermione en fermant les yeux.
_ Désolé, je dois y aller, lâcha l'inconnu avant de se dérober.
_ Hors de question, le rattrapa-t-elle. »
L'homme en question leva un sourcil de consternation en s'arrêtant net.
« Vous venez de souiller mon uniforme et mon chef va encore me passer un savon, insista Hermione. Vu votre accoutrement, vous devez travailler à la chaufferie, je me trompe ? »
Oh Dieu, cette cruche n'allait pas commencer à l'embêter tout de même !
Il était en retard, encore en retard, tout ça parce qu'un espèce de sombre crétin était monté au sommet de la quatrième cheminée du navire en filant la frousse de sa vie à une passagère. Et voilà que maintenant, il tombait sur une sombre emmerdeuse de première.
« Figurez-vous que non, balança-t-il, excédé.
_ Vous êtes pourtant plein de suie.
_ J'ai dû aller déloger le pire abruti que la terre ne m'ait jamais donné de rencontrer en haut d'une cheminée figurez-vous.
_ En haut de quoi ?
_ Ecoutez, j'ai encore des tas de trucs à faire. Il y a ce foutu incendie à gérer, et ces jumelles qui sont introuvables.
_ Je vous ai demandé votre nom il me semble.
_ Thomas, ça vous va ?
_ Bien, Thomas, siffla Hermione. Vous me ferez le plaisir d'aller vous-même informer mon chef sur la raison pour laquelle je servirais les passagers aux ascenseurs dans l'état dans lequel je me trouve.
_ Bien, qui est-il ?
_ Robert Wilson. »
Thomas rit alors doucement, en secouant la tête.
« Oh alors là, il en est hors de question mademoiselle.
_ Moi, c'est Hermione, et puis-je savoir pour quelle raison je vous prie ?!
_ Parce que Wilson est la pire tête à claque de ce bateau. »
Hermione ouvrit la bouche et l'homme voulut partir, mais elle l'en empêcha de nouveau en se mettant en travers de sa route.
« D'accord, mais je peux savoir quel est votre statut, à vous avant que vous ne vous enfuyez comme un voleur ?!
_ Oh bien sûr. Je suis le charpentier de ce navire, balança-t-il fièrement.
_ Le, le, le charpentier. »
Oh il semblait définitivement fier de lui, et pour l'être, il le pouvait. Ce poste était si important que les deux seuls charpentiers étaient logés parmi les premières classes, et qu'il était de mauvais ton de se mettre à leur hurler dessus pour de mauvaises raisons, à vrai dire.
« Je suis certain que vous devez regretter de m'avoir beuglé dessus comme vous l'avez fait maintenant, n'est-ce pas ? jubila-t-il.
_ Pourquoi ? Vous allez me coller un procès ? »
Thomas expira bruyamment l'air de son nez, agacé.
« Retournez à votre poste Hermione, et arrêtez de rester plantée au beau milieu de ce fichu chemin de promenade. »
Hermione le regarda partir au loin en soupirant d'agacement.
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Minerva observa la scène, totalement sidérée tandis que quelques élèves étaient restés, dont les jeunes Potter et Weasley au chevet de leur amie. Les autres quant à eux regardaient, hypnotisés en quelque sorte, les images projetées dans cet amas de fumée.
« Attendez, vous voulez dire que vous avez fait cette expérience sans aucun test ni accord préalables ?! s'emporta la directrice.
_ Minerva, j'ignorais que vous n'étiez pas au courant ! Severus m'a assuré qu'il avait eu votre permission.
_ Et vous pensez qu'il s'est retrouvé dans cet état pour quoi au juste ? »
Pompom, qui avait allongé Severus au beau milieu de coussins lui aussi, était parvenue enfin à le réchauffer après qu'il se soit évanoui et que sa température corporelle ait frôlé celle d'un glaçon. Un peu désemparée, elle avait rassuré tout le monde sur leur état : ils ne demeuraient que dans un sommeil extrêmement profond, rien de plus.
« Je suppose que sa présence dans la vision de Miss Granger vient de nous donner une réponse partielle sur cette situation… »
Sidérée, McGonagall se mit à observer la scène se déroulant devant ses yeux. Elle revit Miss Granger, habillée d'une chemise d'époque et d'un pantalon strict, abaissant et levant machinalement la manette d'un ascenseur en fer forgé.
« Vous savez, Minerva, dans le fond il y avait tout de même peu de possibilités pour que leurs destins se soient déjà emmêlés de la sorte auparavant. Rien ne permettait de le prédire ! »
Minerva ferma la bouche, se retenant de rappeler à Sybille que son statut de prophétesse était un peu censé éviter ce genre de déconvenues. Mais elle balaya cette remarque d'un revers de main.
« On ne peut rien faire pour les sortir de là ? gronda-t-elle. Car croyez-moi, dès que Severus se réveillera, je lui passerais le savon du siècle.
_ Pas avant que l'expérience ne soit terminée, je le crains.
_ Et combien de temps risque-t-elle de durer ?
_ Je l'ignore. Tout ce qu'on peut faire c'est… attendre, et observer le déroulé des faits avec eux. »
Minerva soupira de nouveau. Alors, son regard se dirigea de nouveau vers les images défilant devant eux, comme un vieux film sous pellicule.
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Hermione soupirait de lassitude, au bout de quatre heures à activer ces fichues manivelles. Elle ne pouvait même pas apprécier la musique de l'orchestre, celle-ci étant sans cesse interrompue par ses allers et venues entre les étages.
Quelques couples dévisageaient son accoutrement, bien trop sale et Hermione grognait une fois seule. Tout ça à cause de ce… Thomas ! Elle finirait par avoir des problèmes !
Et à peine y songea-t-elle que l'habitacle monta jusqu'à un petit couloir tout en haut, donnant sur la salle radio. Quand elle en ouvrit la porte pour accueillir la personne ayant fait appel à l'ascenseur, Hermione se figea.
« Monsieur Wilson, articula-t-elle. »
L'homme, grand et peu engageant semblait fulminer face à elle. Ses yeux rapprochés se muèrent en regard noirci tandis que ses poings se serraient en la dévisageant de la tête aux pieds.
« Miss Marshall. Puis-je savoir ce que vous fabriquez ? »
L'officier resta en travers de la porte, empêchant la porte de se fermer d'une poigne ferme. Hermione se décomposa et bégaya soudain.
« Ecoutez, j'ai heurté… enfin, je ne sais plus son nom, mais il est charpentier et je n'avais plus que cinq minutes pour prendre mon service monsieur.
_ Vous servez l'ascenseur des premières classes, gronda son interlocuteur. Après votre petite rébellion de la dernière fois, je pensais que votre nouvelle affectation vous aurait fait le plus grand bien. »
Quel hypocrite.
Cette affectation était merdique et il le savait très bien.
Devoir traverser le paquebot tout entier lui faisait perdre un temps considérable à chaque prise et fin de poste, sans parler de ses horaires abominables qui l'entrainaient à transporter une fois sur deux, un passager saoulé au brandit.
« Je suis désolée, balança Hermione d'un ton agacé.
_ Non vous ne l'êtes pas, balança-t-il.
_ Non en effet, je ne le suis pas ! explosa Hermione. Vous m'avez mise ici uniquement pour m'embêter, et je le sais très bien ! J'aimerai retourner à la bibliothèque des secondes classes. »
L'homme ricana, d'un éclat qui ne lui plaisait guère.
« Mademoiselle, vous trouverez votre place chérie lorsque vous quitterez ce paquebot.
_ J'ai été embauchée en tant que responsable de cette partie du bateau, pas pour faire la navette auprès d'hommes riches et bourrés qui me mettent la main aux fesses toutes les dix minutes !
_ Ecoutez-moi bien petite sotte : dois-je vous rappeler ce que vous êtes ? »
Hermione fronça les sourcils, puis le marin approcha d'elle, avec ce léger rictus au coin des lèvres qui la fit frissonner.
« Vous êtes une femme, chuchota-t-il. »
Hermione détourna le regard, profondément révoltée, si en colère qu'elle empêcha ses yeux de d'humidifier. Elle ne voulait lui donner aucune satisfaction. Mais cela n'eut guère l'effet escompté.
« Une femme n'a rien à faire avec des bouquins. Alors maintenant, vous la fermez, et vous souriez quand une main a la chance de se poser sur ce joli petit cul. Avec un peu de chance, vous aurez droit à un extra, on raconte que plus l'heure de la nuit avance, plus les effets de l'alcool désinhibent. »
Hermione lui lança un regard noir, retrouvant un peu de son flegme. Mais l'homme poursuivit.
« Sachez également que mes tours de garde concordent avec votre planning. Malheureusement, mon ouïe me fait tant défaut ces derniers temps, sans compter sur le capitaine d'armes et son sommeil de plomb. Autant dire que si vous criez, je risque de ne rien entendre. »
Hermione sentit un vent glacial lui parcourir l'échine. Elle n'osa soutenir son regard plus longtemps tandis qu'elle peinait à cacher son air de dégoût.
« Retournez vous changer, cracha-t-il. Vous avez cinq minutes. »
Hermione s'en alla précipitamment de l'habitacle. Elle traversa ainsi les quartiers des officiers, laissant enfin échapper ses larmes tandis qu'elle percuta de nouveau un homme en descendant de la passerelle… Encore, cet homme.
Elle se retourna brièvement, et cacha tant bien que mal les sillons humides sur ses joues. Sans daigner adresser la parole à ce Thomas qu'elle estimait responsable de cette humiliation, Hermione repartit tout aussi précipitamment pour rejoindre sa cabine.
Thomas l'observa, interloqué. Lorsqu'il se retourna, il vit ce Robert au loin, la fixer avec un sourire en coin qui le fit plisser les yeux de colère.
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Hermione rejoint sa cabine exiguë rapidement, se changeant à une vitesse surnaturelle qui lui permit d'oublier un temps ces paroles abominables prononcées par cet officier.
Etrangement, ce n'était pas la première fois qu'elle entendait ce genre d'horreurs. Peu de femmes travaillaient en les temps qui courent, surtout sur des navires et encore plus, sur le Titanic. Elles étaient une vingtaine à peine contre au moins 800 hommes. Dans ce cas de figure, elle aurait beau en parler à un plus haut gradé, cela n'y changerait rien.
Au moins, elle partageait sa couche avec une autre femme, oui, mais pour le reste ? Il fallait dire qu'elle avait été embauchée à la dernière minute. Un agent de la White Star Line l'avait appelé la veille, catastrophé pour prendre ce poste et elle avait accepté, sans même signer aucun contrat. Enfin, elle n'avait pas pu refuser de travailler à bord d'un paquebot pareil. Ce n'était pas n'importe quel bateau, le Titanic !
Mais surtout, elle avait été si heureuse de rejoindre l'Amérique. Là bas, l'espérait-elle, elle subirait peut-être moins de discrimination en raison de son sexe.
Pour le moment en tout cas, c'était plutôt raté.
Hermione s'apprêtait à repartir, mais sursauta lorsqu'on toqua à sa porte.
Dieu, les lieux était si exiguës qu'elle se contorsionna pour atteindre la poignée. Et lorsqu'elle l'ouvrit, elle ne vit qu'une chose : une grande masse sombre, accoudée au lambris du mur, silencieux et presque jugeur lui semblait-elle.
« Quoi ? aboya Hermione. Vous venez ici pour des excuses, vous aussi ? »
Thomas leva les sourcils, sans pour autant se défaire de sa position.
« Désolée, ça vous va ?! Après tout, vous m'êtes tombé dessus tout à l'heure, alors je me suis dis que je devais bien vous rendre la pareille. A croire que ce bateau n'est pas assez grand pour deux !
_ Vous êtes toujours comme ça ? demanda le charpentier, qui ne se défaisait pas de son expression interloquée. »
Hermione lui jeta un regard empli de reproches.
« Vous pouvez retirer votre badge, vous avez congé sur cette soirée.
_ Pardon ?
_ J'ai eu une discussion avec Monsieur Wilson, comme vous me l'aviez demandé. »
Hermione soupira. Elle lui envoya une oeillade perplexe, avant de s'asseoir lourdement sur le bord du lit du bas de l'ensemble superposé.
« Rien ne servait de venir à mon secours, trancha-t-elle.
_ Je ne suis pas venu à votre secours. J'ai fait quelque chose qui me semblait juste. »
Thomas l'observa un léger moment, avant de se redresser dans le but de partir.
« Attendez, le retint-elle en se levant d'un bond.
_ Oui ?
_ J'ai été… grossière, je suis désolée. »
Thomas lui accorda un mouvement de tête et se retourna. Mais avant qu'il ne puisse partir, il entendit de nouveau sa voix suppliante.
« Puis-je vous demander un dernier service ? »
L'homme se tourna une nouvelle fois vers elle, et lorsqu'il vit Hermione se triturer nerveusement les doigts, il soupira de lassitude.
A peine quelques minutes plus tard, Hermione exaltait de joie. Il ne leur avait fallu que traverser une partie du pont A pour arriver dans le salon de lecture des premières classes. Il n'y avait presque personne à cette heure, juste trois femmes assises ensembles dans un coin reculé.
Lorsque Thomas se retourna vers Hermione, il croisa son regard totalement subjugué. Les baies vitrées de la salle donnaient une allure lumineuse et fantastique aux lieux. Il y régnait un calme olympien, quasi solennel. Il fallait dire que la bibliothèque des secondes classes dans laquelle elle avait pris plaisir à travailler était située juste en dessous du fumoir. Autant dire qu'elle avait passé de longues journées et soirées dans le bruit des conversations et des talons des dames foulant le sol.
Ici, il y avait des tables immenses et surtout, pourvues de lampes. Un véritable luxe pour Hermione qui déplorait de ne pouvoir lire lorsque la nuit arrivait dans sa pauvre cabine avec ce hublot minuscule.
Il trainait sur les bureaux du papier à lettre à l'effigie du Titanic, d'autres portant l'en-tête de la White Star Line et Hermione les frôla de ses doigts en même temps qu'elle alluma une des lampes de notaires mises à sa disposition.
« Vous me surprenez vous savez, lâcha alors l'homme à ses côtés.
_ Pourquoi ça ? jubila Hermione en s'asseyant sur une des chaises si confortables faisant face à une table d'écriture.
_ J'étais certain que vous me demanderiez de vous accompagner vers l'espace ouvert des troisièmes classe.
_ Mais pourquoi diable aurais-je fait ça ? s'insurgea-t-elle.
_ Il serait de mauvais genre qu'une demoiselle s'y rende non accompagnée, je pensais simplement que vous profiteriez de ma présence pour vous y rendre.
_ Une raison de plus pour que je m'abstienne dans ce cas, rétorqua Hermione. »
Thomas soupira. Il prit place à ses côtés, et s'accouda à la table afin de l'observer plus franchement.
« Mademoiselle Marshall, vous m'avez l'air d'une femme compliquée, balança-t-il sans aucun tact.
_ Je vous remercie de ce compliment, Thomas. »
Le concerné leva un sourcil, avant de lentement laisser échapper un sourire en coin. Bien sûr, ça n'en était pas un.
« Qu'est-ce que vous pouvez bien trouver à ce fumoir, murmura-t-il, amusé. C'est chiant à mourir.
_ Je n'avais jamais eu l'autorisation de m'y rendre, un tel espace méritait que je puisse le contempler. Je l'imaginais simplement plus peuplé.
_ C'est devenu un salon presque exclusivement réservé aux femmes pour être honnête. Or, et je le déplore croyez-le, celles à bord de ce bateau n'aspirent que trop peu à ce genre d'exercice qu'est l'écriture.
_ Je vois. »
Hermione jeta un coup d'œil autour d'elle et en effet, hormis quelques plumes et de l'encre, il n'y avait pas un seul livre disponible.
Quelle déception.
« Moi qui pensait trouver des choses amusantes à faire.
_ Vous avez une drôle de définition de l'amusement.
_ Oh laissez-moi deviner Monsieur le Charpentier. »
Le concerné leva de nouveau un sourcil, mais plus amusé qu'autre chose par le ton léger employé par cette jeune femme. Elle s'accouda alors sur la table elle aussi, et jaugea son accoutrement.
Costume noir tiré à quatre épingles, veston, chaussures cirées, col blanc remonté et long manteau en laine tout aussi sombre : cet homme ne manquait vraisemblablement de rien.
« Vous amuser revient pour vous, à vous congratuler auprès des hommes de votre trempe autour d'un énorme cigare en faisant des concours sur votre position en terme d'importance géopolitique vis à vis des autres passagers de ce paquebot. Je me trompe ?
_ Vous vous trompez très lourdement même, ajouta-t-il.
_ Alors quoi dans ce cas ?
_ Pour le moment, j'admets que vous représentez une sacrée distraction. »
Hermione lui tira la langue et Thomas rit un peu plus de bon cœur face à ce geste puéril.
« Vous évitez la conversation.
_ Bien. Puisque vous êtes si maligne, faisons un jeu.
_ Un jeu ?
_ J'ai un petit secret que, et j'en suis certain, vous ne trouverez jamais. Mais je vous met au défi de le faire. Si vous n'y parvenez pas, vous concéderez à ce que je vous montre ma définition de l'amusement. »
Hermione pencha la tête, et fronça les sourcils. Puis, elle sembla réfléchir un court instant, avant de lui lancer un regard en biais.
« Quoi ? questionna-t-il d'une drôle de voix.
_ Ce n'est pas… quelque chose de déplacé au moins ? »
Thomas éclata de rire cette fois, et Hermione lui frappa le bras, avant de sourire à son tour.
« Non Miss, rien de déplacé. Juste un jeu innocent.
_ Et pourquoi voudriez-vous jouer avec moi ? demanda-t-elle, espiègle.
_ Pour ma part : votre présence à mes côtés évite qu'on ne m'appelle pour encore déloger un taré qui aurait comme idée de se faire enfermé dans la cale réfrigérée, ou de taper un sprint dans les soutes à charbon. Et avant que vous ne me posiez la question : oui c'est vraiment arrivé. »
Hermione rit enfin, amusée.
« Et c'est votre travail de déloger ces importuns ?
_ Vous savez, personne ne veut faire ça, et à chaque fois, on m'appelle pour soit disant « vérifier que tout est en ordre ». Si vous voulez mon avis, je pense qu'on me prend pour le dindon de la farce sur ce bateau. »
En guise de réponse, la jeune femme rit de nouveau en se secouant la tête. Thomas observa ainsi ses boucles bouger en tous sens, lui envoyant au passage un léger parfum sucré aux narines.
« Alors vous voulez vous servir de moi comme excuse pour prétexter d'être trop occupé pour vous en charger, c'est bien ça ? explicita-t-elle.
_ C'est exactement ça.
_ C'est d'une fourberie ! »
Thomas expira l'air de son nez d'un ton moqueur, avant de sourire une nouvelle fois.
« Très bien, mais si je gagne...
_ Si vous gagnez, ricana Thomas en levant les yeux au ciel.
_ Si je gagne, reprit Hermione d'une voix plus autoritaire. Vous serez mon coursier personnel et devrez aller chercher n'importe quel livre que je vous demanderais tous les matins.
_ Vous m'en direz tant, soupira-t-il. Bien. Je suppose que nous pouvons nous entendre là-dessus.
_ Ai-je le droit de vous poser des questions ? demanda-t-elle.
_ Et moi, en ai-je le droit ?
_ Bien sûr.
_ Dans ce cas oui. Et comme vous semblez détester qu'on vous rappelle votre genre, je me permettrais de vous poser la première : dites-moi Miss, qu'est-ce qui vous amène sur le Titanic au juste ? »
Hermione soupira.
« Il y a eu une grève peu de temps avant le jour de l'inauguration, et la White Star Line cherchait du personnel urgemment. Ne me plaisant guère en Grande Bretagne, j'ai songé que je pourrais tenter ma chance aux Etats Unis, pour étudier.
_ La littérature ?
_ Entre autre, oui. Ce que je trouve ironique puisque beaucoup de femmes sur ce bateau ne jurent que par le mariage.
_ Détrompez-vous, il existe des passagères très impliquées dans la cause.
_ Citez-en moi une seule, le défia-t-elle en un rire sans joie.
_ Hé bien, vous, pour commencer. »
Hermione lui envoya une œillade entendue.
« Il y a aussi Helen Candee, ajouta-t-il.
_ Helen Candee est sur le paquebot ?! s'écria Hermione.
_ Moins fort, on va vous virer d'ici et moi avec ! »
Mais rien à faire, Hermione semblait surexcitée.
« J'aime tellement ses oeuvres ! Dites-moi que vous pourrez faire en sorte que je puisse lui dire quelques mots, s'il vous plaît, supplia-t-elle en lui tirant le bras.
_ Peut-être, si vous arrêtez d'agir comme une folle.
_ Vous me devez bien ça après tout, si j'ai été chassé de mon poste, c'est de votre faute.
_ J'ai réparé mon erreur je vous signale.
_ Bon. Arrêtez de faire votre rabat joie, je dois maintenant trouver une question à vous poser. »
Thomas souffla du nez, un peu amusé.
Depuis le début, il aurait pu s'en aller, l'envoyer sur les roses, enfin… Pourquoi restait-il à faire la conversation à cette jeune femme après tout ? Elle était si… vive, impertinente et presque agaçante. Sans parler du fait qu'il s'était juré de ne nouer de lien avec personne durant cette traversée.
C'était même bien pour cela qu'il insistait toujours sur son rôle de charpentier. Les gens pensaient ainsi qu'il était un personnage important, et qu'on ne devrait pas l'importuner. Il fallait aussi dire que sa carrure et son air peu engageant allaient assez dans ce sens.
Thomas avait embarqué sur le Titanic pour une seule et unique raison : la fuite en avant. Son ancien patron était un sale con criblé de dettes et autant dire que la grève des ouvriers avait été du pain bénit.
Thomas n'avait pas hésité une seconde lorsque l'opportunité s'était offerte à lui d'embarquer pour rejoindre un autre pays, où personne ne connaîtrait son nom. Son ancien boss ayant apposé son nom sur de vieilles factures, Tom s'était retrouvé traqué par les huissiers, tant et si bien que cela lui avait bousillé l'existence, jusqu'à même l'entrainer à faire une croix sur sa vie sentimentale.
Comment aurait-il pu embarquer une femme dans toute cette galère après tout ?
Mais quand il était tombé sur Hermione le matin-même, quelque chose s'était passé, quelque chose d'étrange. Elle n'avait pas eu l'air effrayée par lui, et son caractère. Au contraire même. Dieu, elle aurait pu le liquéfier sur place si elle en avait eu le pouvoir, le narguant même de lui coller un procès, quel culot !
Ça avait été sacrément courageux de sa part d'oser prononcer ce genre de choses connaissant la réputation de la White Star Line et sa passion pour les procédures. Alors, il avait songé, peut-être bêtement, que s'il devait bien y avoir une personne n'en ayant rien à faire des conventions sur ce paquebot rempli de plein aux as, ce devait bien être elle.
« D'accord Thomas, est-ce que votre secret a un rapport avec votre travail ?
_ Non.
_ Avec votre famille peut-être ? Vous êtes mariée ?
_ Vous êtes dingue ? s'offusqua-t-il, la faisant rire à ses dépends.
_ D'accord, d'accord, se défendit-elle. Alors si nous éliminons les critères travail-famille-amour, c'est une histoire d'argent.
_ Quelle perspicacité, ironisa-t-il. Cependant, Hermione, cela fait trois questions au lieu d'une, accusa-t-il.
_ Arrêtez ce petit manège Thomas.
_ J'ai gagné, reprit-il.
_ Bon, où diable voulez-vous m'emmener ? Qu'on en finisse.
_ Qui vous dit que je veux vous emmener quelque part ? demanda-t-il avec suspicion.
_ Votre air narquois. »
L'homme leva les yeux au ciel, mais concéda au bout de quelques secondes à lui dire ce qu'il avait en tête.
« Il y a une fête musicale chez les troisième classe.
_ Non, trancha-t-elle en se levant.
_ Oh vraiment ! s'exaspéra-t-il.
_ Je les entends déjà assez depuis ma cabine, balança Hermione. Si c'est votre définition de l'amusement, alors laissez-moi vous dire que c'est de mauvais goût. »
Hermione se leva et sortit de la pièce, mais Thomas la suivit, à sa surprise. Parcourant le chemin de promenade, il la vit frissonner et expirer un air embrumé à travers sa bouche. C'est machinalement qu'il lui proposa son manteau épais, et qu'elle l'accepta. Il était vrai qu'elle n'avait pas vraiment réfléchi lorsqu'elle avait enfilé cette fine chemise, accompagnée de ce veston marron simple, mais guère adapté à la météo, sans compter sur sa jupe longue qui faisait frissonner ses jambes sous ses bas en laine.
Hermione se pelota dans cette cape épaisse, si chaude et rassurante portant un parfum masculin agréable qui la fit sourire un peu bêtement. Elle venait presque de l'insulter, et lui, il lui donnait son manteau.
« Vous n'êtes pas très fairplay Miss.
_ Les fêtes, ce n'est pas pour moi, marmonna-t-elle.
_ Allons bon, vous ne savez pas danser ? On ne vous a pas appris ça, à l'école ?
_ Non, rit-elle. Et de toute façon, ça ne m'intéressait pas.
_ Accompagnez-moi, et demain, à la première heure, je viendrais vous chercher pour vous emmener jusqu'à la bibliothèque. Cela vous permettra de prendre tout votre temps avant votre prise de poste, car si vous revenez accompagnée par moi-même, l'autre abruti n'osera rien vous dire.
_ Vous tenez tant que ça à boire des bières dans cet endroit blindé de monde et assourdissant ?
_ C'est mon tour de garde, rappela Tom. Quitte à ce qu'ils me cherchent encore pour régler des absurdités, autant aller dans un secteur où ces crétins ne s'aventureront pas, de crainte de se chopper des poux et de tomber sur des rats. »
Soudain, un homme cria à l'autre bout du pont. Tom et Hermione se retournèrent en même temps, interloqués. Mais Thomas reconnut l'officier Murdoch et arrondit le regard en se retournant vivement vers Hermione.
« On court, lui glissa-t-il en reprenant sa marche.
_ Quoi ?
_ J'ai dis, on court. »
Hermione l'observa en coin, se demandant s'il plaisantait. L'homme affichait une mine terriblement sérieuse, bien qu'un brin espiègle peut-être. Hermione accéléra le rythme en entendant un « Monsieur Hart » retentissant, puis d'un regard commun, ils se mirent soudain à prendre leurs jambes à leur cou.
Hermione descendit les escaliers en tentant de suivre Thomas tant bien que mal, un peu trop amusée par la situation. Elle prit tout de même quelques secondes pour ajuster le bas de sa jupe.
« Mais venez, qu'est-ce que vous foutez ?! s'emporta-t-il en lui chopant le poignet. »
Hermione se fit emporter par lui à la vitesse de l'éclair, longeant le pont D pour prendre des escaliers qu'elle n'avait même jamais remarqué jusqu'à présent. Ils étaient à l'extrémité du bateau, et plus ils descendaient, plus le volume sonore l'emportait sur les appels de Murdoch tout en haut qui ne les avait pas vu descendre.
Thomas la fit s'arrêter peu loin, se figeant pour mieux écouter ce qu'il se passait là haut. Il posa alors son index sur sa bouche alors qu'il sentait son souffle chaud et rapide contre son doigt. Hermione pouffa un peu en le voyant si apeuré de faire son travail, mais ce dernier arrondit le regard vers elle, et elle se tut, sans pour autant se défaire de son rictus amusé. Elli tentant tant bien que mal de calmer les battements de son coeur précipités et son essoufflement.
« Vous avez déjà songé à faire du vélo pour vous entraîner ? Le gymnase est ouvert de 10h à 18h, murmura-t-il.
_ Mais je vous emmerde enfin ! »
Thomas pouffa un peu, et tendit de nouveau l'oreille. Tous deux constatèrent sans peine que l'officier venait de repartir dans le sens inverse de l'entrée des escaliers.
« Vous êtes un goujat on vous l'a déjà dit ? finit-elle par lâcher, vexée.
_ On me l'a déjà dit en effet, mais je m'en fiche éperdument. Et oh, quel hasard ! Vous entendez ? Je crois bien que nous ne sommes pas loin de la fête organisée chez les troisièmes classe ! »
Hermione lui envoya un regard consterné, mais il ne sembla pas s'en préoccuper outre mesure. La jeune femme soupira dans le vide avant de le suivre. De toute façon, il fallait maintenant qu'elle passe par là pour rejoindre sa cabine.
« En plus, vous êtes fourbe, lui glissa-t-elle au creux de l'oreille.
_ Et vous, vous êtes chiante. »
Dans cet espace étroit, Hermione tomba sur des tas de gens en train de rire, de danser et de boire au rythme du piano et des violons. Inutile de préciser qu'elle commençait à comprendre pourquoi il lui était impossible de fermer l'œil certains soirs.
Thomas regarda brièvement autour de lui, et réussit à choper au passage deux verres d'une bière brune à la couleur bien trop douteuse.
Il la tendit à Hermione sans un regard, et elle jeta un œil perplexe au mélange. Quand son cavalier s'en aperçut, il leva les yeux au ciel.
« Arrêtez de vous poser des questions pour l'amour du ciel et buvez ! »
Hermione lui jeta un regard résigné et trempa ses lèvres dans la bière. Elle approuva d'une mine surprise, et en but plusieurs gorgées.
« Parfait, lui glissa-t-il en se positionnant derrière elle pour lui subtiliser son verre. Maintenant, ignorons les rats et reprenons depuis le début : vous ne pas savez vraiment pas danser ?!
_ Je sais danser, tenta-t-elle de protester. Mais juste la valse.
_ La valse, oh non mais je vous en prie ! »
Hermione pouffa un peu, et retira son manteau pour le poser négligemment sur un banc.
« Bien, vous avez gagné, lâcha-t-elle, mi fatiguée de lutter, mi amusé par son entêtement. Mais je vais avoir besoin de bien plus de bière pour supporter ça.
_ Et moi dont ! »
Déjà un peu enivrée, et lui sans doute un peu plus au vu de son verre qu'il avait descendu à une vitesse ahurissante, elle le laissa poser sa main sur sa taille pour l'approcher de lui. Hermione s'accrocha à son épaule en pouffant, avant qu'il ne prenne sa paume et la fasse tourner d'un sourire moqueur.
« Si vous voulez boire plus Miss, il va falloir supporter ça sans vomir !
_ Vous plaisantez j'espère ? C'est plutôt vous qui avez trop bu Thomas.
_ Et vous pas assez, Miss Je-suis-trop-littéraire-pour-m'amuser ! »
xXx
Il régnait, dans la salle de divination, un silence de plomb, uniquement rythmé par la musique entrainante s'échappant des souvenirs brumeux d'Hermione Granger. Minerva avait fini par presque s'écrouler sur une des chaises des étudiants, à la fois subjuguée et ébahie par les images devant elle.
Ses yeux suivaient ce spectacle, impuissante, mais aussi attentive qu'on puisse l'être. Les autres élèves semblaient tout aussi ensorcelés, comme suivant une histoire dont la fin serait forcément, fatale. Car on parlait bien du Titanic, n'est-ce pas ?
Mais, mieux valait ne pas y songer maintenant.
Harry avait recroquevillé ses genoux sous son menton, et Ron tenait un coussin dans ses bras, ayant étalé ses jambes alors que les rires d'Hermione et Snape, dansant à cœur joie, semblaient résonner dans la tour toute entière.
