Candice ruminait au volant de sa voiture. Elle repensait à sa dernière conversation avec Attia et maugréait dans sa barbe. Comment la commissaire pouvait-elle encore penser, après ces années de collaboration, que Candice irait dans le sens de la politique. Mon Dieu, qu'elle détestait ce microcosme ! Ces traitements de faveur et ces mesquineries la mettaient hors d'elle ! Durant toute sa carrière dans la police, elle s'était fait un devoir de rester éloignée de tous ces sujets-là, apportant à chaque victime et suspect le même traitement de faveur.
Bien sûr, elle avait eu des propositions tout au long de sa carrière. A la Crim' déjà, son chef d'équipe lui avait plusieurs fois mentionné que pour évoluer, il faudrait qu'elle soit plus conciliante avec les hauts gradés comme le préfet par exemple. Ce dernier venait très souvent rôder au quai des Orfèvres et s'immiscer dans les affaires du groupe. Idem, pour son supérieur. Nombre de fois, Candice s'était demandée si ces derniers se sentaient réellement concernés ou bien cherchaient-ils un moyen de s'occuper ? Quoiqu'il en soit, son taux de résolution d'enquêtes spectaculaire et sa gouaille légendaire, avaient tapé dans l'œil des politiques, et par des insinuations, ces derniers lui faisaient comprendre qu'elle irait loin.
Candice préférait garder son intégrité et briller par la résolution des enquêtes. Seule lui importait la satisfaction de voir les suspects jugés et les victimes avoir justice. Rien d'autre. En s'engageant dans la police, elle avait fait le choix de servir ses concitoyens, point à la ligne.
La question s'était une nouvelle fois posée à Sète. La préfète, suivant de près les affaires de la brigade, savait qu'Attia avait les dents longues et qu'un poste de commissaire dans une vulgaire BSU de province ne la satisfaisait pas. Alors, la préfète s'était tournée vers Candice. Cette décision l'avait interloquée et profondément surprise. Pas qu'elle entretenait de mauvais rapports avec sa supérieure indirecte, mais elle fut surprise que cette dernière pense à une personne aussi singulière qu'elle..
Un soir, après que la préfète avait félicité l'équipe pour une enquête difficile rondement menée, Candice s'en était ouverte à Antoine.
« Antoine, appela Candice, tu pourrais rester 2 minutes s'il te plait.
- Oh, Antoine va faire des heures sup', sourit JB avec sa lourdeur habituelle. Il fit un gros clin d'œil à Antoine et passa le pas de la porte.
- Je peux rester aussi, s'il y a encore du travail… tenta Chrystelle. Elle n'était vraiment pas à l'aise avec le rapprochement de sa supérieure et d'Antoine. SON Antoine quoi ! C'était elle qui travaillait depuis 5 ans à ses côtés, qui allait boire des verres le soir avec lui et même qui partageait ses footings du dimanche matin. Elle.
- Non non Chrystelle, tout va bien ! Rentre chez toi et profite de ta soirée, tu l'as bien méritée, sourit Candice.
- Ok … laissa tomber Chrystelle. A demain.
- Tu voulais me parler ? demanda Antoine.
- Oui, j'avais une question à te poser, assez confidentielle…
- Ah bon ? Quoi ? s'alarma Antoine. Il n'était pas prêt là maintenant à parler de leur relation et à faire un pas en avant. Pas là au commissariat entre deux dossiers. Il avait en tête d'autres scénari plus intimes…
- La préfète m'a proposé le poste de commissaire. Attia ne va pas s'éterniser longtemps… Je te fais confiance Antoine, une cheffe de groupe n'a pas à parler de ça avec son adjoint. Mais je voulais ton avis, il compte beaucoup pour moi …
- Bien sûr, je ne dirai rien ! Wahou Candice, c'est une super proposition !
- Oui, n'est-ce pas ?! Tu as quelque chose de prévu ce soir ? On pourrait en parler dans un autre endroit, les murs ici, ont des oreilles…
- Je comptais faire des machines ce soir, pas très viril je te l'accorde, mais le rythme effréné des dernières enquêtes a eu raison de ma penderie. Tu n'as pas vu un changement de look depuis 3 jours ? Je ressors mes vieilleries de l'école de police !
- Ha ha ! Si, mais je pensais que tu essayais un nouveau style. Et comme ça n'avait pas l'air concluant, je me gardais bien de toute remarque, se moqua Candice.
- Très drôle… ricana Antoine. Dans une heure chez moi ? Ca me laissera le temps de ranger un peu…
- Euh… Ok… t'es certain que ça ne te dérange pas ?
- Non non ! Apporte à boire, la soirée va être longue, je te connais quand tu pèses le pour et le contre, ajouta Antoine. A tout à l'heure ! »
Ca, elle ne s'y attendait pas ! Elle pensait juste aller boire un mojito au Cuba Libre, leur point de ralliement, pas à terminer chez lui. Elle n'y était pas retournée depuis la fameuse soirée cookies… Bon c'était peut-être mieux, au Cuba Libre, les murs avaient aussi des oreilles, ici ça grouillait de collègues.
Candice repassa chez elle en coup de vent prendre une douche et se changer. Le terrain avait sali le bas de son jean et ses chaussures. Elle avait oublié ses fidèles bottes roses chez elle lorsqu'elle avait fait du jardinage. Bon essayé de dompter les arbustes près du passage vers la plage serait le meilleur terme.
Elle avait opté pour une robe bleue avec des sandales compensées beiges et relevé ses cheveux en un chignon à peu près maîtrisé. Elle prenait son sac à main lorsqu'une voix l'interrompit.
« Maman ? Tu sors ? demanda Emma.
- Oui ma chérie, j'ai un rendez-vous de travail ce soir, je ne rentrerai pas tard !
- Et tu t'habilles comme ça pour un rendez-vous de travail ? Avec une nouvelle robe et un chignon ?
- Euh oui… réalisa soudainement Candice en se scrutant dans le miroir de l'entrée. C'est vrai qu'elle avait un peu mis le paquet ce soir… pour un rendez-vous de travail. Après tout, c'en était un non ? Elle voulait surtout qu'Antoine la voit autrement qu'en jean sale et chaussures crottées. Et, différemment de la nuit chez lui, en vrac. Elle se souviendrait longtemps de leur face à face sur la terrasse, elle emmitouflée dans sa couette, nue en dessous, et lui torse nu. Il ne lui avait jamais paru aussi sexy qu'à ce moment-là. Pas que d'habitude, il était négligé hein. Mais là, quoi …
- Maaaaman ! la rappela sur terre Emma. Et ben, il en a de la chance Antoine !
- Antoine ? Pourquoi Antoine ? Qu'est-ce qu'il a à faire là-dedans Antoine ?
- Genre Maman ! Tu t'es fait aussi belle pour ta commissaire machin chose ou pour les vieux croulants de la préfecture ?
- Non, non…
- Alors, soit c'est pour Antoine, soit un nouvel homme dans ta vie ! Et comme tu ne parles de personne d'autre à la maison, j'en déduis que c'est lui, sourit sa fille.
- Alors toi ! Tu es bien trop intelligente pour ton bien ! Bon, sauf en maths hein… Donc, progresse davantage en maths et laisse tomber ma vie sentimentale ! haussa le ton Candice.
- Vie sentimentale, j'en étais sûre ! triompha Emma.
- Bon, Emma, je ne rentrerai pas tard. Il y a de l'argent sur la table de la cuisine si vous voulez vous faire livrer une pizza et j'ai prévenu papa. Il passera faire un tour dans la soirée.
- Pas tard, pas tard… Genre ! ricana Emma. Et puis, pourquoi t'as appelé papa ? On est assez grand pour rester seul maintenant !
- Pour éviter que vous fassiez des bêtises ! Je vous connais mes amours, sourit Candice. Allez je file ! »
Dans la voiture, Candice repensa à sa conversation avec sa fille. Décidément, cette dernière avait bien les mêmes gênes qu'elle et notamment le même sens de la déduction. Et elle avait raison. Antoine prenait de plus en plus de place dans sa vie, dans leur vie par ricochet. C'est sans s'en rendre compte que Candice arriva devant la porte de son adjoint. Elle se gara et sortit de la voiture.
Plantée devant la porte, elle hésitait à appuyer sur l'interphone. Son index se posait sur le bouton et revenait en arrière. Elle refit le même geste une dizaine de fois. Merde, ce n'était qu'un rendez-vous de boulot ! Et initié par elle ! Même si elle tentait de s'en convaincre, elle se sentait l'âme d'une adolescente qui va à son premier vrai rendez-vous.
« Candice ! Je ne t'avais pas entendue arriver, la héla Antoine depuis la fenêtre. Je t'ouvre, monte ! »
Normal… Elle n'avait pas réussi à sonner. Elle respira à plein poumon et poussa avec appréhension la porte d'entrée de l'immeuble.
Les dés étaient jetés.
