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Cela faisait maintenant trois jours que Katakuri faisait grève. Apparemment, rien à l'horizon ne menaçait l'avenir de Totto Land mais ça n'empêchait pas son escargophone de sonner toutes les deux minutes. Et il tenait sa parole : il ne décrochait pas.

King aurait bien aimé qu'il le fasse juste une fois, pour se faire une idée de la panique dans laquelle il avait plongé ses frères et sœurs, mais Katakuri voulait savourer des vacances bien méritées. Il se levait tard, mangeait souvent et laissait sa population se gérer d'elle-même. Et tout se passait étonnamment bien ! L'île ne pourrait pas rester en grève indéfiniment — Komugi aussi dépendait des autres ressources de l'archipel — mais tout le monde restait calme. La vie sur cette île était incroyablement douce. King commençait à s'y habituer et à y prendre goût. Quoique, ce n'était pas tant l'île et son atmosphère qu'il trouvait agréable mais plutôt la compagnie de Katakuri.

Comme celui-ci avait du temps libre, il avait gracieusement offert de le passer avec King. Il s'était d'abord moqué de lui — un geôlier qui s'intéresse au bien-être d'un prisonnier ce n'est pas courant — puis, ravagé par l'anxiété et les pensées intrusives, il avait accepté de lui filer le train pour une visite guidée de Totto Land. Avec le concours de Brûlée, Katakuri lui avait montré d'autres îles, toutes aussi colorées et parfumées les unes et que les autres, et lui avait permis d'explorer Sweet City, au grand jour cette fois. King l'avait surtout soupçonné de profiter de l'occasion pour se pavaner devant tout le monde et de faire enrager ses frères et sœurs. Il jubilait de cette nouvelle sensation de liberté plutôt que de chercher à le distraire mais King s'en était amusé.

Le seul membre de la famille à avoir tenté de raisonner son frère durant ces trois jours était Cracker. Il était venu pour négocier et tenter de récupérer la flotte de son aîné. King n'avait pas assisté à la conversation mais il l'avait vu repartir la queue entre les jambes.

C'était le sujet de conversation qu'il avait choisi d'aborder en accompagnant de nouveau Katakuri dans son déjeuner. Depuis qu'il l'avait surpris la main dans le sac, Katakuri avait accepté sa présence et lui proposait de se joindre à lui dès que l'occasion se présentait. King n'avait aucune idée de ce qu'il devait penser de cette nouvelle habitude. Apparemment, il avait toujours mangé seul. Et il avait l'air heureux d'avoir quelqu'un avec qui discuter à présent. Il ne savait pas s'il devait se sentir honoré d'un tel privilège ou insulté de servir de bouche-trou. Dans le fond, il s'en fichait. Il ne lui avait pas fallut longtemps pour réaliser qu'il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas eu l'occasion de se retrouver seul avec quelqu'un avec qui il pouvait avoir conversation normale, qui ne soit ni une dispute, ni du sarcasme permanent. Ça aurait sans doute été différent si Katakuri n'avait pas eu un effet aussi apaisant sur lui.

— Comment ça s'est passé ? Demanda King en triant soigneusement la nourriture que Katakuri lui avait mis de côté, sans le regarder pendant qu'il mangeait pour éviter de le mettre mal à l'aise.

— Comme prévu, soupira Katakuri. Il ne voulait pas vraiment récupérer ma flotte, il voulait juste m'entendre dire qu'il est un bon général.

— Parce que ce n'est pas le cas ?

Il grommela, mécontent d'avoir à critiquer son petit frère devant lui.

— Pas vraiment. Il n'est pas mauvais à proprement parler mais il est trop timoré pour faire un bon meneur.

— "Timoré" ? Il m'a parut très en forme quand il est venu m'emmerder.

King se demandait de quoi ils avaient l'air tous les deux, planqués dans la forêt à déjeuner dans l'herbe. Katakuri avait l'habitude et n'avait pas l'air troublé. Il continuait de dévorer ses donuts, sans que ça ne le gêne le moins du monde pour parler.

— Il a subit une défaite cuisante contre Chapeau de Paille lui aussi, il avait besoin de se racheter de toute urgence et il a fait le choix idiot de te provoquer pour prouver qu'il était encore fort. Mais dans les faits, c'est un trouillard. Il a toujours eu peur de tomber de haut et maintenant que c'est arrivé, il perd les pédales. Il était complètement abattu, ça m'a fait de la peine de l'envoyer sur les roses mais je ne pouvais pas céder.

— En gros il a essayé de te manipuler, conclut King.

Un poisson sauta tout à coup, pour attraper un papillon qui voletait au-dessus d'un cours d'eau qui passait non loin de là, et déconcentra King une seconde. Il pivota la tête par réflexe.

— Qu'est-ce que tu regardes ? S'étonna Katakuri.

— Rien.

— Les poissons ?

Katakuri jeta un coup d'œil par dessus son épaule, un peu amusé.

— Ça a l'air drôle d'être un zoan. Si tu ressens le besoin irrépressible d'aller pêcher, fais toi plaisir. Je ne me moquerai pas.

— Est-ce que tu ne serais pas en train de te payer ma tête des fois ?

Katakuri haussa les épaules mais ne profita pas de la perche tendue pour rebondir. Il était encore trop pudique pour le taquiner franchement. Il n'allait jamais trop loin. D'autant plus maintenant, alors qu'il mangeait, légèrement en retrait et tournant la tête pour éviter que King ne soit trop exposé à sa mâchoire.

— Pour en revenir à ton frère, dit-il pour lui faire oublier le poisson. Pourquoi est-ce que tout d'un coup il aurait eu besoin que tu lui dises qu'il faisait du bon boulot ? Il a passé l'âge de rechercher la validation non ?

— Ça nous arrive à tous de nous sentir en dessous de tout et d'avoir besoin de réconfort. Mama est exigeante, parfois on craque.

Tu m'étonnes, pensa King sans oser le dire à voix haute.

— Vous êtes combien en tout dans cette famille ?

— En comptant mes neveux et nièces ?

— Non, les frères et sœurs suffiront. Sinon je sens que je vais avoir le vertige.

— Quatre vingt cinq, annonça Katakuri.

Un voile passa sur ses yeux et il rectifia.

— Quatre vingt trois. Deux de mes frères sont morts il y a peu.

Il s'abstint de détailler les circonstances de leurs morts mais King devina que là aussi il y avait un "tabou familial".

— Désolé.

— Pourquoi tu me demandes ça ?

— Pour me faire une idée, j'ai vu le tableau dans ton palais mais j'ai pas pris le temps de tous vous compter.

— Ah, ce tableau là, dit-il avec une pointe d'amertume. Tu as bien fait de ne pas compter, nous ne sommes pas tous dessus de toute façon.

— Tu ne l'aimes pas ?

Il remua sur sa nappe, il était gêné. King avait mit le doigt sur un sujet sensible.

— Non, je le trouve assez moche mais c'est un ordre de Mama. Chacun d'entre nous doit afficher ce portrait quelque part sur son île. C'est une sorte de...

Il chercha ses mots.

— ...De rappel du serment d'allégeance qu'on prête à Mama. On passe devant tous les jours et on se rappelle de son rêve et du travail qu'on doit accomplir pour le mener à bien.

King eut un frisson. Kaido était le plus puissant des empereurs mais Big Mom était bel et bien la plus terrifiante. Yamato n'était pas si mal loti en comparaison des enfants Charlotte.

— Ne fais pas le choqué, anticipa Katakuri. Ta vie ne doit pas être si différente de la mienne. Le culte de la personnalité, ça n'a rien de nouveau. Je n'ose même pas imaginer de quoi ton capitaine est capable.

— Kaido n'est pas comme ça.

Il avait dit ça sans agressivité. Il était incapable de ne pas défendre Kaido. Il n'irait pas jusqu'à dire que son capitaine était un homme bon et juste, il ne fallait pas exagérer, mais il n'acceptait pas qu'on le compare à cette sorcière malsaine de Big Mom. Kaido n'était pas un manipulateur. Il n'avait pas besoin de culte de la personnalité, il attirait les gens naturellement. Sa force, son prestige, son charisme suffisaient. Et contrairement à ce qu'on pouvait croire de l'extérieur, Kaido était naïf. Il s'entourait de personnes qui voulaient le voir tomber ou qui profitaient de son influence pour étendre leur propre pouvoir. Et plus les années passaient, pire c'était. Il était de moins en moins réfléchi et sa violence explosait de façon désordonnée. Rares étaient ceux qui lui étaient profondément loyaux. King était certainement le seul.

Il n'avait pas très envie de parler de ça ou de faire passer Kaido pour plus fragile qu'il ne semblait l'être. Encore moins maintenant que la rumeur de sa mort planait au-dessus de sa tête. Il préférait garder Katakuri au centre de l'attention.

— Je me trompe ou tu éprouves du ressentiment envers ta mère ?

Il ne remettait pas en question sa loyauté mais à la manière dont il avait parlé de son "serment", King avait senti une certaine lassitude. Il ne broncha pas devant la question mais pris un peu de temps avant de répondre. Il hésitait certainement à se montrer sincère.

— C'est compliqué.

King s'abstint de répliquer qu'il l'avait deviné ça tout seul.

— Je suis fidèle à ses idéaux, j'y crois. Je veux le bien de notre famille, je veux le bien de Totto Land.

— Mais... ?

Il était plongé dans ses pensées et n'avait probablement jamais abordé le sujet avec qui que ce soit. C'était risqué pour lui de se livrer à un ennemi et il le savait. S'il avait un peu de jugeote, il s'arrêterait là, avant de donner plus d'informations à un ennemi. Même si ça crevait les yeux qu'il avait quelques trucs à dire sur la question et que sa grève était déjà explicite.

— Mais rien. C'est tout ce qu'i dire.

Évidemment, il était plus malin que ça.

Un chat s'approcha timidement d'eux, dans l'espoir d'avoir un petit quelque chose à se mettre sous la dent. Les animaux n'osaient plus s'approcher maintenant que King était de la partie. Il avait l'aura d'un prédateur et il les tenait éloignés. Mais ça l'amusait de voir que Katakuri, avec ses crocs apparents et sa stature immense, n'était pas perçu comme une menace par la faune. Ça en disait long sur lui et sa nature.

Il repensa à ce qu'il lui avait dit : son hypothétique ressentiment envers sa mère — son capitaine — n'avait pas d'importance. Il plaçait leur équipage et leur objectif au-dessus du reste. En ça, ils étaient très similaires. Une fois de plus.

— Tu es bien curieux aujourd'hui, s'amusa Katakuri en portant sa tasse de thé préférée à ses lèvres.

C'était une façon élégante de lui dire que ses questions étaient trop intrusives à son goût.

— C'est parce que je ne comprends rien à votre équipage.

— Nous sommes une famille avant d'être un équipage, retiens-le.

— Je sais mais justement. Vous êtes une famille et vous fonctionnez comme des aristocrates tout en étant des pirates, c'est absurde.

— Des "aristocrates", peut-être pas...

C'est vrai qu'avec son cuir clouté et sa mâchoire surhumaine, Katakuri n'avait rien à voir avec la noblesse telle qu'on la connaissait et c'était tant mieux.

— Pourtant la transmission du patrimoine génétique et les mariages arrangés, c'est un bon truc d'aristo ça, se moqua King.

— C'est pas seulement une question de patrimoine, c'est plutôt un objectif de nombre et de diversité. Plus la famille est étendue et hétéroclite, mieux c'est. Mama aimerait que toutes les races se tiennent toutes ensemble sous sa bannière.

King grinça des dents.

— Oui, je sais. Elle me l'a bien fait comprendre.

Katakuri s'aperçut aussitôt qu'il n'appréciait pas d'être considéré comme une pièce rare. Il eut toute les peines du monde à essayer de se rattraper, c'était assez drôle à voir.

— Je ne disais pas ça pour... Enfin, le but n'est pas de te... Euh...

— Ça va te fatigue pas, tu vas te faire mal. Big Mom n'est pas la première à avoir essayé de m'ajouter à sa collection. Elle a juste été la seule à le faire en me proposant un mariage. Quelque part c'est aussi la seule à m'avoir demandé la permission, je veux bien lui reconnaître ça.

Katakuri manqua de s'étrangler. Visiblement cette réplique là, il ne l'avait pas anticipée. Il toussa une seconde en se tapant la poitrine et fusilla King du regard. Il ne savait pas si la colère qu'il voyait dans ses yeux était dirigée contre lui ou contre sa mère mais c'était étrangement flatteur.

— Elle a quoi ?! Mais quand ça ?

— Il y a longtemps, à l'époque où je ne cachais pas encore mon visage — c'est un peu pour ça que j'ai commencé à le cacher d'ailleurs. J'avais seize on dix sept ans, je sais plus. Elle a essayé par tous les moyens de me récupérer et parmi ses arguments il y avait " si tu veux je te file une de mes filles", dit-il, le sourire aux lèvres devant un Katakuri en train se décomposer d'embarras juste devant lui. Elle a encore essayé de me récupérer il y a quelques semaines, et je suppose qu'elle a réussi puisque je suis là.

Katakuri se prit la tête dans la main.

— J'ai honte, je suis désolé.

— Pourquoi ? Je suis sûrement pas le premier à qui elle a fait le coup.

— Non évidemment mais... Je ne savais pas qu'elle avait essayé avec toi.

Il avait l'air profondément vexé et King ne savait toujours pas si c'était lui qui devait se sentir en faute ou non.

— Je dois m'excuser ? Demanda-t-il, sans pouvoir réprimer un rire devant sa mine courroucée.

— Non !

Il croisa les bras sur sa poitrine en grommelant.

— Incroyable... !

— Au fait, tant qu'on parle de ça, j'ai une autre question pour toi.

Il se tourna vers lui avec mauvaise humeur et King se demanda s'il était bien prudent de poursuivre la conversation.

— Vas-y.

— Pourquoi tu n'est pas marié ?

De ce que King avait pu voir, Katakuri ne semblait pas partager sa vie avec qui que ce soit. Depuis le temps qu'il était là, s'il avait été marié, il l'aurait su. Non seulement il n'avait vu personne à ses côtés, ni entendu qui que ce soit parler d'une épouse. Ou plutôt d'un époux — il ne croyait pas une seconde que Katakuri soit attiré par les femmes. Mais il n'imaginait pas Big Mom, avec ses quatre vingt enfants, accepter les mariages homosexuels dans sa famille. Les mariages étaient arrangés pour créer des alliances mais aussi pour faire des enfants, très vite et en priorité. En plus de ça, c'était flagrant que Katakuri souffrait de sa solitude. Ça l'avait étonné. Un fils aîné, aussi puissant, dans une famille qui souhaitait tant s'agrandir et étendre son empire, cela n'avait pas de sens qu'il ne soit pas marié.

Il vit à son regard que la question lui faisait mal. Ses yeux s'égarèrent au loin, il n'était pas fier d'avoir à expliquer son célibat.

— Pourquoi ça t'intéresse ?

— Je trouve ça surprenant, c'est tout.

Katakuri prit une grande inspiration, posa sa tasse et se laissa tomber contre l'arbre derrière lui. Il ne le regardait pas. Il avait très visiblement envie de changer de sujet mais accepta néanmoins de lui répondre.

— Mama et moi sommes tombés d'accord sur l'idée qu'il valait mieux que je ne marie jamais.

King devina que derrière cet "accord", seule Big Mom avait obtenu satisfaction.

— Mama veut des petits enfants, beaucoup de petits enfants. Le plus possible. Et moi, avec ma difformité, il était préférable que je ne me reproduise pas. Elle souhaite une grande et belle famille colorée avec toutes les races possibles en son sein, mais la moindre anomalie qui pourrait gêner son image de monde idéal la met en colère. Alors moi, avec ma gueule géante, il valait mieux que je ne transmette pas mes gènes, comme tu dis. Elle m'a toujours dissuadé de prendre la main de quelqu'un et finalement ça m'arrangeait, je n'ai jamais vraiment cherché à me marier.

King ne savait pas quelle horreur relever en premier dans tout ce qu'il venait de lui dire. Il était loin d'être un saint lui même mais l'idée de sélectionner des enfants, ou de penser des unions, comme on ferait l'élevage de chiens de race lui donnait envie de vomir. L'idée même de la recherche de l'être "parfait" lui inspirait une profonde répugnance. A lui, en particulier. Il savait que l'objectif d'utopie multi-culturelle de Big Mom était parfaitement hypocrite, il n'avait pas imaginé qu'elle l'était à ce point. Néanmoins, il épargna son dégoût à Katakuri. Il comprenait mieux pourquoi il mangeait en cachette à présent.

— C'est un très mauvais calcul de sa part, déclara-t-il, sincèrement perplexe.

— Comment ça ?

— Ça n'a pas de sens ! Les mariages sont aussi des arrangements pour accroître son pouvoir. Plus le parti est intéressant, meilleure est l'alliance ! Vu ton statut dans ta famille et dans l'équipage... Tu devais pourtant crouler sous les propositions ! Elle est passée à côté de combien d'alliances surpuissantes en te mettant à l'écart ?

Katakuri pouffa d'un rire sans joie.

— Non, détrompe-toi. Ca n'a jamais été le cas !

King fut un peu vexé par son rire et il s'en aperçut. Il se rattrapa.

— J'en avais peut-être quelques unes quand je cachais mon visage, admit-il. Je plaisais un petit peu, c'est vrai. Mais j'en avais tout de même beaucoup moins que mes frères, qui passaient beaucoup plus de temps que moi à... chercher des partenaires, disons. Mais je t'avoue que je m'en suis jamais préoccupé, puisque je ne cherche pas à me marier.

Comme la fois où les homies lui avaient dit qu'il s'éclipsait seul pendant des heures pour prier le dieu de la guerre, King eut le pressentiment qu'il était en train de le baratiner. Il n'était pas aussi indifférent à l'idée d'être célibataire qu'il voulait le faire croire.

— Et puis, maintenant que mon vrai visage a été dévoilé au grand jour, c'est sûr, ça n'arrivera plus, ajouta-t-il rapidement.

King se redressa d'un coup, contenant à grand peine son sourire amusé. Il venait de comprendre où était le nœud du problème. Ça aurait dû lui paraître évident tout de suite, après tout ce qu'il lui avait expliqué mais ça lui paraissait tellement grotesque qu'il n'arrivait pas à se faire à l'idée.

— Attends, attends, attends... C'est ça la raison pour laquelle tu ne cherches pas à te marier, tu crois que tu es trop repoussant pour recevoir des propositions ?

Katakuri le fixa sans comprendre, un peu embarrassé.

— Et bien, d'après mon expérience : oui ?

King n'éclata pas de rire, il se serait braqué s'il l'avait fait et ce n'était pas ce qu'il voulait, mais il lui offrit son air le plus affligé.

— Mec, se contenta-t-il de dire, lui même surpris par son ton compatissant.

Une pointe d'agacement naquit sur le visage de Katakuri mais il persista.

— C'est ridicule, ajouta-t-il.

— Si tu crois que c'est facile à admettre, grogna Katakuri, visiblement blessé.

— Mais tu te rends pas compte que...

Il n'arrivait même pas à finir sa phrase. Qu'est-ce que sa mère avait bien lui faire subir toute sa vie pour qu'il en vienne à penser ça de lui-même ? Il était probablement un des rares de sa famille à ne pas être marié — à cause d'un caprice de Big Mom — et il était loin, vraiment très loin, d'être laid. Et quand bien même il l'aurait été, ce n'était jamais un frein pour un mariage arrangé entre deux familles. Il était certain que les personnes qui s'étaient éventuellement vues promises à Katakuri lui auraient accordé leur main avec plaisir, sans hésiter une seconde. Ce n'était pas possible d'avoir une si piètre opinion de soi !

— Ta mère t'a vraiment mis des œillères pour que tu penses que ta bouche est un frein au mariage, c'est incroyable. Tu ne réalises pas que, au contraire, il y a des milliers de personnes qui te courent après ?

— Mais...

— Il y a pas de mais, c'est un fait. Visage caché ou pas, je suis sûr que tu as reçu des tonnes de propositions. Non seulement personne n'est assez bête pour s'arrêter à ça mais en plus ce n'est absolument pas repoussant ! Au contraire.

Il avait du mal à ne pas avoir l'air scandalisé. Il n'était pas sûr de comprendre pourquoi ce manque de jugeote le révoltait mais l'expression de Katakuri en entendant sa dernière affirmation lui confirma que ça valait le coup de s'énerver. Il avait l'air de n'avoir jamais entendu quelqu'un lui dire qu'il pouvait juste... plaire. King hésita une seconde à lui partager tout ce qu'il avait déjà entendu autour de lui et qu'un homme avec des canines pareilles, ça avait plutôt tendance à créer des fantasmes qu'à les anéantir. Mais après réflexion il se dit que c'était peut-être trop d'un seul coup.

Katakuri, bouleversé et hésitant, parvint à maintenir son discours.

— Je t'assure, dit-il. Je pense que c'est toi qui ne te rend pas compte, je suis certain que depuis que je me suis découvert le visage, plus personne ne m'a proposé quoi que ce soit.

Il avait l'air désespéré et King eut soudain une idée.

— Ok, je tiens le pari.

— Pardon ?

— On va parier sur le nombre de propositions que tu as reçu depuis que tu ne te caches plus.

Katakuri ne comprenait plus rien à cette conversation et ses expressions étaient toutes plus confuses les unes que les autres. Il essaya de rester neutre mais c'était visiblement compliqué.

— Je ne fais jamais de pari.

— Et bah cette fois tu vas en faire un.

Il était très fier de lui sur ce coup là.

— Si je trouve le bon chiffre —à un ou deux près — je gagne. Et si vraiment tu n'as rien reçu, tu gagnes. Ca te va ?

Il hésitait mais finalement, il se laissa entraîner par le jeu.

— Très bien, si tu insistes. Quel chiffre as-tu en tête ?

— Mh, ça fait combien de temps, un mois ? Un mois et demi ?

— C'est ça.

— Ok, je dirais une trentaine.

— QUOI ? Mais ça va pas ?!

Il perdit patience immédiatement. Il devait croire que King se moquait de lui.

— Non, ça suffit. Ca ne sert à rien de parier, je n'en ai reçu aucune !

— D'accord, trente c'est peut-être un peu beaucoup, admit-il. On va dire vingt.

— Tu es malade.

— C'est le pari, je maintiens. Vingt propositions..

— Et tu veux parier quoi exactement ?

King leva les mains devant le visage de Katakuri.

— Mes menottes ?

— Bien essayé.

— Bon. Dans ce cas, je me contenterai d'un trophée. Je sais que tu as un trident, si je gagne : tu me l'offres. J'aime les armes.

Katakuri prit une seconde pour réfléchir. Il n'avait pas l'air enchanté par ce prix mais il était sûr de lui. Il croisa les bras sur sa poitrine et retrouva sa contenance.

— D'accord. Si tu gagnes, je te donne mon trident. Mais si tu perds, je te refile les homies les plus pénibles et les plus bruyants que j'ai sous la main pour te suivre partout tant que tu séjourneras ici.

Il espérait sans doute le dissuader et lui faire prendre conscience de sa bêtise mais c'était trop tard. King était joueur. Il n'allait pas abandonner aussi facilement.

— Pari tenu, dit-il en lui offrant sa poignée de main.

Katakuri la serra fermement, ragaillardi par son excès de confiance.

— Ne te réjouis pas trop vite, je pense que tu vas le regretter, dit-il, alors qu'un sourire apparaissait enfin sur ses lèvres.

— Je ne crois pas. Va jeter un coup d'œil dans tes petits papiers, je pense que tu vas avoir une surprise. Je suis sûr que ça arranges bien tes frères que tu ne t'intéresses pas à ce sujet et qu'ils t'ont piqué des propositions alléchantes pendant des années. Tu as dû passer à côté de plein de choses. Et pas de triche ! Ajouta-t-il d'un coup. Tu n'utilises pas tes pouvoirs de perception pour te faire une idée de ce qui t'attends.

— Je ne tricherai pas. Mais je te trouve bien sûr de toi.

— Je le suis toujours.

/

Katakuri se sentait ridicule mais aussi étrangement stimulé par ce stupide pari. King et son petit air suffisant lui avait donné envie de le remettre à sa place même si, au fond de lui, il espérait très fort qu'il avait raison. Il ne croyait pas une seconde à sa victoire et ne comprenait pas pourquoi il s'acharnait à vouloir lui prouver que des gens le demandaient en mariage. Même si c'était extraordinairement flatteur. Et il n'avait pas l'habitude.

Si King n'avait pas été aussi moqueur, peut-être qu'il aurait simplement savouré le compliment mais son orgueil l'avait conduit à vouloir lui montrer qu'il se trompait. Il se demandait aussi s'il avait déjà entendu quelqu'un d'autre lui affirmer avec autant de conviction qu'il n'avait rien de repoussant. Brûlée le lui avait déjà dit mais ce n'était pas pareil. C'était sa sœur, sa confidente. Elle l'avait toujours soutenu et réciproquement. Venant d'elle, c'était du réconfort et de la bonté de la part de quelqu'un de sa famille qui l'aimait sans condition aucune. Quand le compliment venait d'un lieutenant rival, aussi beau qu'un personnage de roman, l'impression n'était évidemment pas la même.

Il goûtait volontiers à la flatterie sous-entendue, même s'il devait garder la tête froide. Il n'était pas sûr que les mots de King ne soient pas désintéressés. Peut-être essayait il de l'amadouer pour endormir sa méfiance. D'un autre côté, quitte à jouer sur son sens de l'honneur, pourquoi ne pas parier autre chose qu'une arme ?

Il n'aurait certainement pas dû se précipiter aussi vite à Sweet City. Faire mariner King un peu plus longtemps aurait été plus drôle — qu'il prenne le temps d'imaginer ce que serait son quotidien avec des homies qui lui collent au train toute la journée — mais il était trop curieux pour s'arrêter. Finalement c'était vrai, il n'avait jamais pris le temps de s'intéresser à ses histoires de mariage. Il avait abandonné très vite.

Il avait menti à King en lui affirmant ne pas ressentir le désir de se marier. Bien sûr qu'il aurait préféré partager sa vie avec quelqu'un. Il avait grandi avec des rêves romantiques en tête, en l'attente de trouver la personne idéale, exactement comme dans les contes que Mama leur lisait quand ils étaient tous enfants. Il avait vite compris que ce ne serait pas possible pour lui. Personne ne choisissait son ou sa partenaire chez les Charlotte. Mama décidait, ils obéissaient. Et parfois, avec un peu de chance, les mariés s'entendaient bien. Mais l'amour était accessoire, le but était toujours le même : agrandir la famille, apporter du sang neuf. Or celui de Katakuri, aux yeux de Mama, était vicié. Il n'aurait jamais droit au mariage, ni à la cérémonie, ni aux échanges de vœux, rien. Ce qui l'arrangeait dans cette interdiction, c'était qu'il préférait ne pas être marié que de se voir forcer d'épouser quelqu'un qu'il n'aimait pas. Il était vieux jeu et il le savait, mais il y tenait. Quitte à être avec quelqu'un, que ce soit de l'amour. Sinon rien.

Et il n'aurait jamais pu supporter de voir le visage de quelqu'un se décomposer en découvrant sa vraie nature dans l'intimité. Non, finalement, son sort lui convenait. Il en était triste mais il s'y était fait. Il n'était plus dans la course depuis longtemps.

Pourtant, King lui avait donné envie de savoir. Etait-il vraiment passé à côté de tant de choses que ça ? Il n'avait jamais été très sociable et il évitait de trop se plonger au cœur des fêtes de Mama, qui étaient souvent l'occasion rêvée pour ses adelphes de sceller des fiançailles. Oven l'avait très souvent supplié de rester aux soirées pour danser et approcher des partenaires. Lui et Daifuku avaient fait tout leur possible pour qu'il se "décoince" mais il était resté ferme. Qu'on le laisse seul avec ses rêves plutôt que le forcer à se lier à quelqu'un.

Même si King avait raison, même si des propositions intéressantes l'attendaient, il n'en ferait rien. Ça ne changerait rien. Mais il avait besoin de savoir. Il fallait absolument qu'il sache si King lui avait dit la vérité en lui disant qu'il n'était pas repoussant.

Il avait eu du mal à expliquer à Brûlée son besoin impérieux d'aller à Sweet City. Il lui avait mentionné "un problème administratif" et elle n'avait pas gobé le mensonge. Mais elle avait consentit à le laisser voyager à travers les miroirs. Elle avait aussi eu la gentillesse de le laisser entrer directement dans les archives afin qu'il ne croise personne qui aurait pu venir le questionner sur sa grève. Il avait trouvé l'endroit vide, en dehors du mobilier et autres homies divers, censé faciliter la recherche, tous ravis d'avoir de la visite.

Il s'était adressé à tous les dossiers vivants du secteur en espérant que ceux-ci ne se montrent pas trop bavards après son départ. Il n'avait pas envie de faire un secret de sa venue mais il avait un peu honte de ce qu'il était en train de faire.

— Ecoutez moi ! Demanda-t-il à la volée. Je cherche des courriers ou des documents concernant des propositions de mariage reçues au cours du mois.

— A quel nom monsieur ? Demanda un tiroir à la voix particulièrement austère.

— Hum, le mien, avoua-t-il honteusement.

— Veuillez patienter un instant, répondit le meuble d'une voix sans âme.

Il croisa les bras et attendit, priant pour que personne ne se rende aux archives tant qu'il serait là. Car s'il avait raison et que personne n'avait cherché à l'épouser, ce serait encore plus humiliant de s'en rendre compte devant témoin. Au moins, il aurait la consolation de dire à King qu'il avait perdu.

Une bien maigre consolation.

Les minutes passèrent et la douleur de la déception commençait à l'envahir. Il aurait dû s'en douter et ne pas s'infliger ça. Il ne regrettait pas de s'être débarrassé de son écharpe mais l'attente d'une réponse réveillait la blessure des mots que Flampée lui avait crachés à la figure. King côtoyait tellement de monstres, il n'avait tout simplement pas su différencier Katakuri de ce qu'il avait l'habitude de voir. Quelque part, c'était peut-être une bonne chose.

Soudain, un papier se précipita sur lui et lui percuta l'épaule.

— En voilà une proposition, seigneur Katakuri ! Une famille de constructeurs de navires de guerre qui souhaiterait vous avoir pour gendre.

Ah, ça en faisait au moins une. Il saisit le papier pour lire ce qu'on lui proposait — et s'il n'y avait pas erreur sur la personne — quand une autre feuille de papier se plaqua d'elle même sur son visage en piaillant.

— Ici aussi, monsieur ! Un clan de South Blue spécialisé dans l'élevage d'escargophone rares a une fille à marier !

C'était... étrangement spécifique. Bon, ça en faisait deux. C'était plus que ce qu'il pensait mais toujours moins que ce que King lui avait prédit.

— Ici, général Katakuri ! La fille d'un riche marchand qui désespère de trouver un partenaire.

Trois ? Depuis un mois c'était effectivement pas mal comme score. Mais toujours pas assez pour...

— Ici, seigneur Katakuri !

— Ici aussi !

— Par là, monsieur !

— Et ceux qui datent du mois dernier, on peut sortir ?

— Et moi ! Un message d'une célébrité qui vous admire énormément, général !

— Ne m'oubliez pas ! Je viens de la part d'une famille noble de West Blue !

Mais d'où sortaient elles toutes ?! Katakuri se retrouva pris dans une vague de feuilles volantes qui pépiaient au-dessus de sa tête, se plaquant contre son visage ou son torse en espérant être lues les premières. Il était obligé de fermer les yeux, il avait l'impression qu'une nuée d'oiseaux survoltés lui picorait le visage. Il était incapable de les compter !

— Calmez-vous ! S'écria-t-il soudain. Je ne vois plus rien !

Les feuilles et leur bruit assourdissant se calmèrent et se laissèrent tomber au sol. Quand il rouvrit les yeux, il y en avait partout. Il avait l'impression d'avoir renversé un tiroir complet de paperasse devant ses pieds. Il n'en revenait pas ! Il resta bouche bée quelques secondes, avant de revenir à lui et de se rappeler de qu'il était venu faire ici.

— Je vais vous lire à l'ancienne, d'accord ? Evitez de bouger que je puisse vous ramasser.

— A vos ordres, s'écrièrent-elles à l'unisson.

Il s'accroupit pour les réunir et à chaque nouvelle feuille qu'il ajoutait à sa pile, il réalisait que King avait eu raison.

Il n'en revenait pas. Il avait l'impression qu'il ne s'arrêterait pas de compter. Dix, onze, douze, treize ? Quatorze ?! Ça n'en finissait pas. Il n'avait jamais entendu parler de toutes ces propositions !

Il avait finit de toutes les ramasser en atteignant le nombre vingt quatre et pensait à celles qui traînaient encore quelque part et qui dataient d'il y a plus longtemps. C'était vertigineux, il était tant persuadé de ne rien trouver. Il regarda autour de lui un instant, pour vérifier qu'il ne s'agissait pas d'une blague cruelle orchestrée par King ou par ses frères, même si ça n'avait aucun sens.

Il se redressa et commença à lire chaque feuille de papier, une à une. Rien de tout ça n'était faux, il reconnaissait certains noms, certains sceaux, d'autres lui étaient inconnus mais il savait que les lettres étaient véritables. On l'avait réellement courtisé, même depuis la révélation de son secret.

Il eut soudain honte de sa naïveté, King avait raison. Les recherches d'alliance ne se souciaient pas du physique des mariés et c'était sa puissance qui était convoitée. Mais tout de même ! Il se demanda pourquoi Oven, qui adorait mettre les mains dans sa vie sentimentale, ne lui avait jamais parlé de toutes ces lettres ! Puis il se rappela que son frère n'avait probablement jamais mis les pieds dans les archives...

Il était partagé entre la colère, le soulagement, le choc, la fierté et la tristesse. Lui qui espérait se reposer et garder un esprit serein pendant sa grève, il n'était pas au bout de ses peines.

— Je suppose que je viens de perdre mon trident, déclara-t-il alors, pour lui même.

Il n'aurait jamais cru qu'en lui demandant pourquoi il n'était pas marié, King bouleverserait encore tellement de choses dans son univers.


J'ai adoré écrire la scène des feuilles qui lui volent dans la tronche, je trouve ça absolument adorable.

Ce pari m'a beaucoup fait rire, c'était l'amorce parfaite pour fêter la naissance d'une amitié. Ils prennent la confiance tous les deux et ils n'ont rien d'autre à faire que de se tourner autour c'est parfait.

Puis alors le prochain chapitre, on va bien rire aussi. J'ai hâte d'avoir les réactions. Au fait, la dernière fois on m'a demandé si je faisais ma pause habituelle de l'été et du coup : oui. Il n'y aura pas de chapitre pendant le mois d'Août. Mais après le chapitre d'aujourd'hui, il m'en restera encore deux à écrire. (Un le 16/07 et un autre le 30/07)

J'ai encore tellement de trucs à écrire, je ne sais pas combien de temps va durer cette fic mais c'est le bon côté du slow burn. C'est long, mais ça en vaut la peine.

A la prochaine !