BON.

Enfin, voilà le chapitre tant attendu. Encore désolée pour ce très long retard. Pour ma défense j'ai une bonne excuse : la tempête Ciaran m'a coupé l'électricité et internet la semaine dernière. Je n'ai pas été capable d'écrire pendant deux jours. Et vu le morceau qu'est ce chapitre, il ne pouvait pas en être autrement. (Et encore, j'ai choisi de le couper plus tôt que prévu sinon j'aurais été encore plus en retard.)

J'espère que vous êtes encore là et que vous n'avez pas décroché après ces deux faux bonds successifs. Surtout pour ce chapitre là qui met, je l'espère, du baume au cœur. Depuis le début de cette histoire, on suit deux hommes qui ont toujours été bouffés par la solitude et les obligations.

Il est temps pour eux de rattraper l'adolescence qu'ils n'ont pas eu. Ensemble.

Content warning : overdose de guimauve et de mignonnerie, je me suis moi -même fait hurler à écrire ça. Ah et il y a enfin une scène de toit car toutes mes histoires ont une scène de toit.

(Dernière petite précision, j'ai choisi de montrer les paroles anglaises du Saké de Binks parce que je trouve cette traduction plus réussie que la version française.)


King regarda Katakuri s'éloigner avec regret.

Il aurait préféré lui coller au train toute la soirée pour mieux supporter ce calvaire mais sa dignité le lui interdisait. Il détestait se sentir comme ça. Comme un môme qui avait besoin de s'accrocher aux jupes de sa mère pour affronter une foule d'inconnus.

Il n'était pas dupe, Katakuri allait certainement serrer des poignées de main pendant des heures et ne pas avoir une seule minute à lui accorder. En un sens, ça le réconfortait de savoir que ce serait une mauvaise soirée pour lui aussi. Au moins, ils pourraient débriefer ensemble plus tard. Il avait passé assez de temps en sa compagnie pour savoir qu'il allait détester faire le beau pour séduire de nouveaux partenaires commerciaux. A son humble avis, il aurait dû s'abstenir de jouer ce rôle. Katakuri était un bon chef mais certainement un très mauvais politicien. Il n'était pas assez fourbe pour ça. Il pouvait deviner les conversations à l'avance tant qu'il voulait, il était trop honnête pour le job.

Mais il avait la chance d'être suffisamment charismatique pour imposer le respect dès le premier coup d'œil. Il fallait être idiot pour essayer de l'arnaquer.

King pensa alors à Kaido et à tout ceux qui avaient essayé de profiter de lui et de son pouvoir durant toutes les années qu'il avait passées à ses côtés. Cet imbécile d'Orochi en tête. Être l'homme le plus puissant du monde, à la tête d'une armée gigantesque, n'empêchait pas les plus cupides d'essayer de le vampiriser. C'était lui qui avait échoué à l'en protéger. Et encore une fois, c'était ce qui se passait ce soir : on voulait l'utiliser lui pour profiter de l'influence de Kaido. Il se demandait comment il avait pu accepter.

Il s'éloigna et chercha un endroit stratégique où se placer, là où il pourrait voir tout le monde et anticiper les approches. Il dépassa une petite troupe d'invités apprêtés comme si ils se trouvaient à l'opéra — Comment Big Mom s'y prenait pour attirer des gens pareils à ses soirées ? Le malaise de King s'accentua quand il sentit leurs regards dans son dos. Il aurait préféré ne pas entendre leurs commentaires.

— Oh ! Est-ce que c'est lui ?

— Des ailes noires, des cheveux blancs et la peau brune... Il n'y a pas de doute possible.

— Quelle incroyable créature, qui aurait pu le deviner d'après son avis de recherche !

— Il est magnifique, une seule de ses plumes doit valoir une fortune, chuchota quelqu'un, tout de même assez fort pour qu'il l'entende.

Oh putain, pensa King en prenant une grande inspiration. Venir ici était la pire des idées qu'il avait jamais eues. Cela lui demanda un effort surhumain de ne pas carboniser tout le périmètre. Sa première apparition sans masque parmi des gens qui n'étaient pas des pirates avait provoqué la réaction qu'il avait redoutée. Et il se serait bien passé de se faire appeler "créature".

Il jeta un rapide coup d'œil à Katakuri, il était toujours occupé à discuter avec un mafieux quelconque, cigare au bec, et ne risquait pas d'être disponible avant un moment. King n'avait plus qu'une solution pour calmer l'anxiété qui le prenait à la gorge : l'alcool. Il repéra le punch laissé à disposition des invités et se dépêcha de se servir avant d'affronter de nouveaux commentaires répugnants.

/

Katakuri n'écoutait les compliments qu'on lui adressait que d'une oreille. Il détestait qu'on lui lèche les bottes ou qu'on le flatte grossièrement et sa soirée semblait bien partie pour se résumer à ça. Il ne savait jamais quoi répondre, et demander à ses potentiels futurs alliés d'abréger le protocole pour en venir au fait — parler affaires — serait forcément mal perçu, il n'avait pas d'autre choix que de faire semblant d'être satisfait de ce qu'il entendait.

Heureusement pour lui, Oven finissait toujours par récupérer la conversation. Il était plus naturel et compétent pour tenir une discussion. Dès qu'il en avait l'occasion, Katakuri s'écartait un peu des groupes pour surveiller les environs. D'habitude, c'était leur mère qui recevaient les louanges pendant lui se chargeait de la sécurité. Il ne pouvait pas perdre ses vieux réflexes aussi facilement. Mais cette fois, il était aussi facilement distrait par la présence de King. Il se souciait bien plus de son bien être à lui que de celui de ses invités.

Il le chercha discrètement du regard dans la foule et le trouva à proximité des boissons. Il tournait le dos à l'assemblée, et il ne pouvait pas voir son expression, mais il le connaissait assez maintenant pour deviner ce qu'il ressentait ; à la raideur de ses gestes et à la façon dont les flammes de son dos flamboyaient.

Certaines personnes le regardaient avec convoitise mais n'osaient pas l'approcher. C'était sans doute mieux comme ça, il était sûr que toute tentative de dialogue avec lui serait une catastrophe. Il mourrait d'envie de le rejoindre mais Oven avait décidé de le tenir fermement par les épaules et de rejoindre un autre invité pour lui vanter ses mérites. Il tenterait de s'éclipser dès qu'il le pourrait. Si seulement il pouvait faire comme d'habitude et se contenter de jouer les vigiles.

— Dis donc, tu pourrais faire un effort pour faire semblant d'avoir envie d'être là, marmonna Oven alors que leur interlocuteur s'éloignait.

— Je ne suis pas doué pour ça, tu le sais très bien.

— Peut-être, mais avec ton écharpe tes expressions étaient indéchiffrables alors ça passait. Là, ça se voit que t'en as rien à foutre.

Katakuri soupira en retirant le bras de son frère de ses épaules.

— On était tous d'accord pour dire que je n'étais pas celui qui devait convaincre ces gens de faire affaire avec nous.

— Eh, t'as décidé de jouer au chef : assume.

— C'était ton idée.

Son regard se dirigea automatiquement vers King et son indiscrétion n'échappa pas à Oven, qui soupira à son tour.

— Tu peux te passer de sa présence pendant cinq minutes non ?

— Je suis inquiet de ce qu'il pourrait se passer si quelqu'un venait à lui manquer de respect. Mon boulot c'est la sécurité normalement, tu me suis ?

— Ne me prends pas pour un con non plus. Personne ne lui parle là. Alors qu'il est censé nous filer un coup de main d'ailleurs, grommela Oven en remarquant que King était plus intéressé par la nourriture que par ceux qui lui tournaient autour.

— Je vais aller lui parler.

Il n'avait pas du tout l'intention de forcer King à faire leur publicité mais Oven n'insista pas et rejoignit leurs sœurs de mauvaise grâce. La soirée avait vraiment commencé maintenant, les invités avaient laissé tomber les salutations et commençaient à profiter des différentes attractions laissées à leur disposition. King en faisait parti. Un couple que Katakuri identifia comme des émissaires de Du Feld, décédé lors de la dernière Tea Party, avaient décidé de l'approcher les premiers.

Il était surpris que d'autres soit venus à la suite de leur regretté patron, après le fiasco de la dernière fois, et il n'était pas sûr que leur présence ici soit une bonne idée. Ils ne seraient pas les premiers à vouloir se venger du tort que Mama avait pu faire à leur entreprise.

Ils tournaient autour de King mais à la tête qu'il faisait, il était clair qu'il n'était pas du tout sensible aux compliments qu'on pouvait bien lui adresser. Katakuri savait déjà qu'il arriverait trop tard pour l'empêcher de les chasser sans ménagement. Lorsqu'ils rebroussèrent chemin, ils passèrent devant lui sans même le saluer, pâles et renfrognés. Il se demandait par quelle grossièreté King avait bien pu les congédier.

Quand enfin il le retrouva, il était en train d'examiner son verre de punch. Après l'avoir reniflé une seconde, il fit la grimace et l'éloigna loin de son visage avec un air outré.

— Vous pouvez pas servir de la bière, comme tout le monde ?

S'il était encore capable de faire de se moquer, c'est qu'il n'allait pas si mal. Katakuri était rassuré.

— C'est une boisson trop commune et pas assez sucrée au goût de ma mère. Tout va bien ?

King leva les yeux sur lui. Katakuri avait l'impression qu'il était content qu'il soit venu le trouver.

— J'ai vu ces gens s'enfuir après t'avoir parlé, poursuivit-il. Alors...

— Tu as peur que je sabote vos chances de faire du profit ?

Katakuri ne répondit pas et le fixa jusqu'à ce qu'il se décide à dire la vérité.

— Ils m'ont présenté leurs "condoléances" avant de mentionner les MADS, répondit King. Alors je les ai peut-être envoyé se faire foutre. J'avoue.

Il se justifia en voyant la mine déconfite de Katakuri.

— J'ai jamais promis d'être sympa, rappelle toi.

— Je sais. Et de toute façon, je ne les envisageais pas comme des partenaires fiables donc ce n'est pas si grave. Mais qu'est-ce que tu as contre les MADS ?

— Ce serait trop long à raconter.

Et trop personnel, pensa Katakuri en se promettant de ne pas réaborder le sujet. Il y avait encore bien des secrets que King refusait de livrer.

King continua d'observer les environs, sans se soucier de lui. Il but le verre qu'il s'était servi d'une seule traite et en contempla le fond avec un regard plein d'ennui qui fit rire Katakuri.

— Tu as l'intention de te soûler ?

— C'est ce que j'ai prévu pour supporter la soirée, ouais. Mais si je dois venir me resservir toutes les dix secondes, ça va vite me gonfler. Il n'y a pas une bouteille qui traîne par là ?

Il fit le tour de la table — que d'autres gens commençaient à approcher pour se servir, sans lâcher King des yeux — et s'accroupit pour fouiller en dessous dans l'espoir de trouver une cachette quelconque. Katakuri salua poliment les nouveaux venus, résolu à éloigner King de leurs regards indiscrets.

— Tu n'espères quand même pas trouver ça sous la table ?

Sa tête se redressa brusquement avec un effet comique qui amusa Katakuri. King s'en aperçut et se vexa.

— Oui bon bah ça va, chez moi il y a des bouteilles qui traînent dans tous les coins, à force de...

Il laissa mourir sa phrase. Katakuri continua de sourire.

— Ici on les range avec le reste des vivres. Incroyable, je sais.

— C'est ça, fous toi de ma gueule.

Il se redressa et Katakuri l'invita à le suivre. Il n'aurait sans doute pas dû l'encourager à boire mais peut-être que les effets de l'alcool aurait un effet positif sur son humeur. Il était toujours tendu et il le soupçonnait d'être bien moins maître de ses nerfs que lui-même. Si d'autres convives venaient à le vexer, la soirée pourrait très mal tourner et il n'allait certainement pas laisser ça se produire.

/

Brûlée était plus détendue que jamais ce soir. D'habitude, elle devait se charger des déplacements des homies et les miroirs étaient perpétuellement disponibles pour ses frères et sœurs. Mais pas cette fois, le fiasco de la dernière fois les avait rendus prudents et elle avait pour seule consigne de ne pas se faire kidnapper. Alors elle profitait du banquet avec les autres, sous la surveillance de ses aînés. Elle pouvait prendre le temps de parler avec des sœurs qu'elle n'avait pas vues depuis des siècles et de goûter les plats qu'elle avait toujours eu envie de goûter sans jamais en avoir le temps où l'occasion.

En temps normal, quand Mama organisait la soirée, elle se réservait toutes les premières parts des plats délicieux et il était rare que ses enfants osent goûter ce qui leur faisaient vraiment envie, de peur de subir ses foudres. Pas cette fois, il n'y avait aucun risque qu'elle se fâche. Alors elle s'en donnait à cœur joie ! Le chocolat de Pudding était particulièrement savoureux, sa jeune sœur était une championne en la matière et il y avait la queue pour déguster ses préparations. Oven avait eu raison de lui demander de s'en charger.

Pile au moment où elle pensait à lui, il s'approcha d'elle et se servit parmi les amuse-gueules, sans délicatesse, ni enthousiasme. Pour la première fois, il était celui de la fratrie qui avait l'air de ne pas s'amuser du tout.

— Est-ce que ça va ? Lui demanda-t-elle timidement, de peur que la question n'accentue sa mauvaise humeur.

— Ouais, ouais, ça va, râla-t-il en s'emparant d'un muffin. C'est notre frère qui me gonfle.

— Lequel ?

— Kata ! Il a même pas attendu une heure avant de se remettre à courir après son beau gosse. Regarde le !

Brûlée s'exécuta et trouva Katakuri très vite : il était effectivement en compagnie de King — mais de son point de vue, c'était lui qui collait aux train de son frère, pas l'inverse — et fouillait dans les réserves d'alcool. Sans doute pour trouver quelque chose de plus rustique, qui convenait mieux au palais de King qu'un punch préparé avec soin.

Elle sourit devant cette image. Effectivement, pour une fois, Katakuri n'avait pas directement foncé dans un recoin pour se cacher et attendre que le temps passe, il se déplaçait à visage découvert et se souciait de son apparence comme d'une guigne. Elle en était heureuse pour lui.

— Ne sois pas fâché après lui. Pour une fois qu'il n'est pas complètement crispé, on peut le laisser tranquille.

— Je ne suis pas fâché, se défendit Oven. Ça me soûle qu'il considère King comme prioritaire dans un moment pareil, c'est tout. Surtout en utilisant "la sécurité" comme prétexte.

— Ça t'étonne ? Demanda-t-elle sincèrement à son frère.

Il réfléchit pendant deux bonnes minutes avant de répondre. Il avait les yeux rivés sur leur frère et King et analysait chacun de leurs gestes pour mieux les décrypter en silence. Brûlée s'abstint de faire tout commentaire sur le temps qu'il fallait à sa réflexion pour conclure d'une évidence.

— Non, maintenant que tu le dis, avoua-t-il.

Brûlée pouffa de rire.

/

— Qu'est-ce que c'est que ça ? Demanda King en jugeant la bouteille qu'il avait dans la main comme si elle risquait de lui exploser au visage.

— De l'hydromel.

— De l'hydro... ? Mais quelle bande de snobs vous êtes, c'est incroyable.

— Snob ?! Se scandalisa Katakuri. C'est toi qui ne trouve rien d'assez bon pour te satisfaire, alors que tu m'as avoué n'avoir aucun goût, et tu trouves encore le moyen de râler quand je te propose ce qu'on a de meilleur en stock ?

Décidément, Katakuri était d'un calme exemplaire et d'une sagesse remarquable mais il ne tolérait absolument pas qu'on remette en question ses choix en matière de bouffe et de boisson. King fit la moue, tout de même incapable de nier qu'il se comportait comme un goujat de première, et répondit par son habituel sourire insolent.

— Puisque tu me cherches autant à me faire plaisir, je ne vais pas faire mon difficile. Ce serait malpoli.

— Et tu ne voudrais surtout pas ça, n'est-ce pas ?

— J'en mourrais.

Katakuri leva les yeux au ciel avant de se concentrer sur l'étiquette d'une autre bouteille du stock, qu'il avait pris pour lui-même.

— Je ne me moque pas de toi en plus, il est très bon celui-là.

— Je plaisantais, détends toi. Je vais la boire ta bouteille, se moqua King.

Il regarda Katakuri bouder en s'adossant au mur et l'imita, content de l'avoir poussé à se rebiffer. Son anxiété s'envola maintenant qu'il avait l'occasion de lui parler un peu.

— Alors, comment tu t'occupes d'habitude pendant ces soirées ?

Katakuri haussa les épaules.

— Comme maintenant. Je dis bonjour, j'essaye d'être à la hauteur de ma réputation, parfois je m'occupe des petits, puis je m'installe dans un coin en attendant que ça passe. En surveillant les fauteurs de trouble.

King acquiesça. Encore une chose qu'ils avaient en commun, se dit-il. Sans pour autant le lui confier.

— Il doit pas y en avoir beaucoup des fauteurs de trouble.

— Oh si. Ils sont nombreux, ceux qui veulent assassiner Mama. On ne sait jamais.

— Peut-être, ce que je voulais dire c'est que tu dois te faire chier quand même.

Il ne démentit pas.

— Le plus pénible c'est de ne pas manger alors qu'il y autant de bonnes choses à portée de main, dit-il en regardant la table la plus proche avec envie.

— Pourquoi ne pas manger ?

King connaissait déjà la réponse, Katakuri lui en avait parlé. Il n'osait toujours pas manger en public. Il comprenait pourquoi mais maintenant qu'il avait un bon aperçu de la famille Charlotte, quasi au complet et réunie au même endroit, il lui paraissait toujours plus absurde que Katakuri, en particulier, soit forcé de cacher une particularité physique alors qu'il n'était pas le seul a en posséder une. Mais comme son apparence était nouvelle pour beaucoup, il continuait de les "ménager" en ne leur imposant pas la vision de ce qu'il considérait comme monstrueux.

A sa question, il se contenta de lui répondre un regard agacé. Regard qui signifiait "tu sais très bien pourquoi je ne mange pas", et comme c'était vrai, il n'insista pas.

Il essaya de repérer des têtes connues parmi les invités mais il ne trouva personne d'assez important pour éveiller sa curiosité. Et il lui suffisait de croiser le regard de qui que ce soit pour devenir un sujet de conversation, il avait horreur de ça. Malheureusement, il eut la malchance de poser brièvement les yeux sur Oven, en pleine conversation avec — il pouvait le deviner à son accoutrement — une personne assez riche pour éponger les dettes de leur équipage.

Oven se rappela alors immédiatement de sa présence et de l'avantage que garantissait son influence parmi eux. Il crut lire sur ses lèvres quelque chose comme "je vais vous présenter" et ils se dirigèrent dans sa direction.

— Oh, non, jamais de la vie, dit-il à voix haute en se dégageant du mur.

Il s'éloigna de quelques mètres, sentant le regard de Katakuri dans son dos.

— Où est-ce que tu crois aller ? Demanda-t-il sans hostilité.

— Le plus loin possible de ton frère.

Il ne savait pas du tout où se planquer mais la main de Katakuri sur son épaule et son air malicieux le rassura sur le fait qu'il ne le trahirait pas.

— Si tu veux éviter les conversations, suis moi.

Il devait avoir envie d'esquiver cette soirée autant que lui pour n'avoir aucun scrupule à faire faux bond à son propre frère. King ne se fit pas prier et lui emboîta le pas. Katakuri était chez lui après tout, il connaissait les meilleures planques. Il s'attendait à ce qu'il l'entraîne derrière une porte dérobée pour rejoindre un espace VIP mais il s'arrêta devant d'un bâtiment — même s'il avait toujours du mal à qualifier ces édifices comestibles comme tels — et leva le nez en l'air pour l'observer.

— Ici ce sera très bien.

King se demanda de quoi il pouvait bien parler car ni l'un, ni l'autre ne pouvait franchir la porte d'entrée de l'immeuble, trop petite pour leur gabarit.

— En général, quand la soirée devient un peu trop bruyante pour moi, je m'isole en hauteur. Comme ça je garde un œil sur tout le monde sans qu'on puisse m'atteindre, lui expliqua Katakuri en pointant son index sur le toit.

— Tu es aussi misanthrope que moi, se moqua King.

Là encore, il ne démentit pas. Il lui fit une nouvelle démonstration des capacités que lui procurait son fruit du démon : il lança son bras comme un tentacule pour agripper un rebord du toit et certainement se hisser tout en haut en seulement quelques secondes. King avait du mal à déterminer de quelle matière il était fait, il n'avait pas pris le temps de l'interroger lors de leur duel.

— C'est quoi ton pouvoir au juste ?

— Je suis un homme mochi.

Disant cela, il se propulsa au sommet du bâtiment comme un élastique, coupant à King toute possibilité de faire le moindre commentaire — car il avait certainement deviné qu'il se ferait chambrer.

— C'est à la fois terrifiant et ridicule, dit-il pour lui même.

La main de Katakuri redescendit jusqu'à lui, paume ouverte, pour l'inviter à la saisir et lui servir d'ascenseur. Il le fit attendre plusieurs secondes avant d'accepter de la prendre. Il n'avait pas besoin de ça, il était peut-être blessé mais il était parfaitement capable de voler jusque là-haut, ça ne lui demanderait pas un grand effort. Cependant, il savait que si il s'y risquait, il allait se faire engueuler. Finalement, il se laissa faire et profita du coup de main.

Il était amusé par son pouvoir. Il comprit enfin pourquoi Katakuri portait des gants, le mochi était si collant qu'il fonctionnait presque comme de la glue. Au combat, ce devrait être très pratique. Il regrettait qu'ils n'aient pas eu plus de temps pour se battre et lui permettre de voir l'étendue de ses capacités. Mais la gêne qu'il avait ressentie à la fin de leur duel le dissuada d'en réclamer davantage pour le moment. Quand il aperçut le sommet du bâtiment il lâcha la main de Katakuri et se hissa lui-même sur le toit.

Il avait dit vrai, à cette hauteur, ils avaient une vue d'ensemble sur toute la soirée. Les gens en bas n'étaient pas plus grands que des insectes et leur absence ne les empêchaient pas de s'amuser : l'orchestre sur place avait commencé à jouer des musiques plus enjouées et quelques personnes dansaient. La soirée battait son plein et les autres enfants Charlotte ne semblaient pas réclamer l'assistance de leur frère, ils étaient tous très occupés et aptes à se débrouiller sans lui.

— Maintenant tu n'as qu'à faire comme moi et surveiller ce qu'il se passe. Ils se contenteront de t'admirer de loin, lui dit Katakuri en s'asseyant sur le bord du toit, les mains jointes sur les genoux, comme un gosse.

— C'est encore mieux, ils ne nous verront même pas, ricana King. Si on est hors de leur champ de vision, ils vont nous oublier.

Il rejoignit Katakuri et s'installa à côté de lui, quoiqu'avec plus de nonchalance, enfin prêt à ouvrir sa bouteille. Il jeta un œil du côté de Katakuri et constata qu'il avait les mains vides.

— Tu n'as rien pris à boire ?

— Non, je te l'ai déjà dit : je ne me sustente pas en public.

— Mais c'est débile, personne ne va te voir à cette hauteur ! Et je ne vais pas picoler tout seul !

— Peut-être mais... Je n'ai pas l'habitude de boire plus d'un seul verre.

— Et ben tu devrais, ça ne te ferait pas de mal. Heureusement que j'en ai pris une deuxième, dit-il en lui déposant l'hydromel sur les genoux, sans lui laisser le choix.

Même si Katakuri pouvait voir l'avenir immédiat, son expression de surprise demeurait.

— Je peux savoir où tu l'avais cachée ?

— Contente toi de l'ouvrir.

/

— Non mais dites moi que je rêve ! S'exclama Oven, assez fort pour que Brûlée l'entende. VOUS CROYEZ QU'ON NE VOUS VOIT PAS LA HAUT ?

Elle leva les yeux et, sur l'un des hôtels de luxe qui entouraient la place, elle crut reconnaître Katakuri — et à côté de lui, King — assis à son sommet. Elle pouffa de rire en priant pour que son frère aîné ne le remarque pas. Il pouvait toujours s'égosiller, il n'y avait aucune chance pour qu'ils l'entendent avec tout ce bruit.

En vérité, ça n'avait rien de très étonnant que Katakuri s'éclipse aussi vite, il avait toujours fait ça, mais l'irritation que ressentait Oven était compréhensible. Il revint vers Brûlée comme si elle était aussi concernée par l'offense que lui.

— Ce con de lunaria à une sale influence sur lui et il m'a mis un énorme vent par dessus le marcher. Il va me le payer !

— On ne pouvait rien attendre de mieux de la part d'un membre de l'équipage de Kaido, lui rappela Brûlée.

— Exactement !

Il se rapprocha doucement de Brûlée et se pencha sur elle, pour lui faire une confidence.

— Et, garde le pour toi, mais je crois que Kata a un faible pour lui.

Brûlée fit de son mieux pour ne pas éclater de rire à la figure de son aîné. Il l'aurait mal pris et personne n'avait besoin qu'il devienne désagréable. Mais elle était incapable de ne pas s'amuser de la situation. Même Oven s'en était aperçu, alors qu'il n'était pas le plus attentif des hommes, encore moins à ce genre de choses. Katakuri avait demandé à Brûlée de ne pas lui en parler, mais son jumeau avait deviné tout seul.

Pour qu'il s'en rende compte, c'était que Katakuri avait complètement abandonné l'idée d'être discret. Et Brûlée ne savait pas sur quel pied danser par rapport à cette information. En un sens, elle était heureuse pour lui et lui avait même donné sa bénédiction pour qu'il s'amuse un peu. Depuis quelques temps il s'affirmait et tapait du poing sur la table pour se faire entendre. Lui qui avait toujours été si effacé et conciliant, à se sacrifier pour tout le monde — encore plus pour elle — elle était fière de le voir se libérer du poids qu'il avait ses les épaules. Et elle se doutait que King devait l'y aider, d'une certaine façon. Mais elle ne voulait pas lui en attribuer tout le mérite.

Car elle était moins sûre de ce qu'elle pensait de lui. Si sa présence apportait un peu de normalité et de gaieté au quotidien de Katakuri, qui avait toujours eu un train de vie de moine, alors tant mieux. Simplement, elle ne devait pas oublier qu'il ne fallait pas lui accorder une confiance aveugle. Que son frère préféré le trouve plaisant n'était pas suffisant pour cela — Katakuri était quelqu'un de réfléchi mais elle seule savait comme il était romantique dans le fond. Son bon sens ne pouvait plus fonctionner plus en la présence de son coup de cœur. Si King était plus rusé qu'il ne voulait bien le montrer et qu'il songeait à la vengeance, il était capable de détruire Katakuri et de causer leur perte à tous. Elle devait garder la tête froide.

Même s'il était difficile de ressentir autre chose que de l'amusement en voyant le soldat terrible de Mama faire le malin devant un homme qui lui plaisait. Elle lui souhaitait sincèrement de se lâcher. De toute façon, elle savait qu'il était incapable de ne pas garder la tête froide.

/

Katakuri ne comprenait pas pourquoi King insistait à ce point pour qu'il l'accompagne dans sa quête d'ivresse mais il avait l'air si enjoué à cette idée qu'il ne pouvait pas faire autrement que de s'exécuter pour lui faire plaisir.

D'une manière générale, depuis qu'ils avaient gagné les hauteurs, son humeur s'était grandement améliorée. Il était heureux d'échapper aux regards et en cela, Katakuri le comprenait mieux que personne. Il s'en voulait un peu d'avoir laissé Oven en plan mais il était bien plus content de se retrouver seul avec King. Ils allaient profiter de leur perchoir pour contempler la soirée de loin et Katakuri espérait bien pouvoir profiter des commentaires venimeux de son ami sur l'évènement. Il le sentait motivé.

Il avait ouvert sa bouteille avec empressement et en avait bu une gorgée avant même que Katakuri ne songe à l'imiter. Il grimaça une seconde après avoir goûté l'hydromel. Katakuri roula des yeux : évidemment, il n'aimait pas.

— C'est fort ! Dit-il avec surprise, en s'essuyant la bouche avec la main.

— Ça devrait te faire plaisir.

— C'est le cas, confirma-t-il. Mais toi tu vas y survivre ?

Katakuri se redressa d'un coup. King cherchait à l'offenser.

— J'ai dit que je ne buvais pas beaucoup, pas que j'allais m'évanouir comme une jouvencelle après une gorgée !

— Tu es si facile à taquiner, se désola King. Ce n'est qu'avec moi où tu es comme ça avec tout le monde ?

La réponse était délicate. Il ne voulait pas montrer d'inclination trop explicite à son égard. Mais il le soupçonnait de déjà connaître la réponse et de simplement chercher à l'agacer. Il ne lui ferait pas ce plaisir. Il fallait qu'il trouve le moyen de le pousser dans ses retranchements à son tour. King avait trop souvent le dessus sur lui, il était hors de question que ça dure.

— Ce n'est que toi mais tu n'y es pour rien. C'est parce que la plupart des gens ne sont pas assez bêtes pour me provoquer.

Loin d'être intimidé ou choqué, il se contenta de lui répondre par un nouveau sourire espiègle. Katakuri ne pouvait être sûr de rien, il n'avait pas eu le plaisir d'observer King dans son élément, mais il avait le sentiment que lui aussi avait un comportement inhabituel en sa présence. Ou alors, être hors de portée du monde avait un effet souverain sur son humeur.

— Alors ? A quel point cette soirée est différente de ce que tu connais ? Lui demanda-t-il, curieux d'en savoir plus après avoir tant entendu parler de l'équipage de Kaido et de sa débauche.

— Ce n'est même pas la peine de comparer, se moqua-t-il. Il fait encore jour et vous êtes tous sobres, pour commencer. Il y a un service de sécurité là — il pointa son doigt sur les homies armés qui surveillaient les allées et venues — les gens sont bien sapés, il y a de la belle vaisselle, des décorations pour l'occasion, vous êtes calmes et polis...

— Et tu as l'habitude de l'inverse.

— Exactement.

— C'est terrifiant.

Comme Katakuri ne savait pas comment relancer la conversation, il se dépêcha d'ouvrir sa propre bouteille. Il y avait si longtemps qu'il n'avait pas bu d'alcool. Les occasions avaient été nombreuses mais la plupart du temps, il évitait de le faire afin de garder les idées claires. "Au cas où", car il prenait la responsabilité de protéger toute sa famille sur ses seules épaules. Un écart de sa part et le moindre incident devenait sa faute même s'il n'avait strictement rien à se reprocher à la base. Aujourd'hui, il voyait les choses autrement : il n'y avait aucune raison pour qu'il se prive de profiter de la soirée, comme les autres. Évidemment, il ne voulait pas tomber dans l'excès inverse mais il ne voyait rien de mal à suivre l'exemple de King.

De cette façon, il lui témoignerait son estime et le plaisir qu'il avait à partager sa compagnie.

Par réflexe, il chercha de nouveau à baisser son écharpe pour boire avant de se rappeler qu'il ne la portait pas. Cette vieille habitude refusait de disparaître. King le remarqua.

— Tu aurais vraiment passé toute la soirée sans rien avaler si je n'avais pas insisté ?

— Oui, répondit Katakuri après avoir avalé une gorgée — effectivement cet hydromel était fort. J'ai l'habitude.

— Tu dois mourir de faim à chaque fois.

— Oui. Je me débrouille toujours pour piquer des gâteaux discrètement, quand je sens que je vais tourner de l'œil, mais ce n'est pas comme ça que j'aime manger.

— Je sais, s'amusa King. J'ai vu.

Des fois Katakuri avait du mal à réaliser qu'il avait laissé King entrer dans son intimité à ce point là. Et que ça lui avait semblé aussi naturel. Il n'était déjà plus gêné de manger devant lui alors qu'il avait toujours été mal à l'aise de laisse Brûlée le regarder. Même s'il savait qu'elle n'aurait jamais fait de commentaire désobligeant et qu'elle était la seule qu'il voulait bien laisser entrer dans son jardin secret. Mais King, lui, ne le dérangeait pas le moins du monde. Peut-être parce qu'il s'en fichait et ne s'en cachait pas. Peut-être parce qu'il mangeait comme un glouton, lui aussi — même si il restait bien trop beau pour qui que ce soit puisse être gêné par sa façon de manger. Ou peut-être parce qu'il préférait profiter de chaque seconde avec lui plutôt que de perdre du temps à penser à son apparence.

— Je peux te poser une question ? Lui demanda-t-il soudain, le regard perdu devant lui.

— Bien sûr.

King se redressa, il cherchait ses mots.

— Pourquoi...

Il hésita une seconde, la formulation de sa question paraissait délicate.

— En fait. Je veux dire... Je sais que tu ne veux pas qu'on te voit manger. Je sais que ta mère désapprouve ce que tu es. Mais vous êtes plus de quatre vingt dans votre famille et j'ai eu un peu de temps pour vous observer. C'est assez diversifié, il y a des hommes poissons, des long bras, des longues jambes, des infirmes, des valides... Et tu es loin d'être le seul a posséder une différence physique notable ou même "disgracieuse". Ta sœur par exemple, Brûlée, elle a une énorme cicatrice en plein milieu du visage mais personne ne lui demande de la dissimuler. Alors pourquoi tu es le seul qui de se donne autant de mal pour cacher sa vraie nature ?

Katakuri hésitait entre rire et pleurer. Il choisit d'en rire. C'était extraordinaire de sa part de savoir taper là où ça faisait mal avec une telle précision sans en avoir conscience.

— Toi, quand tu mets les pieds dans le plat, tu fais pas semblant...

— J'ai dit une connerie ?

— Non. Pas du tout.

Il prit son temps avant de reprendre la parole et King ne chercha pas à le presser, il lui en fut reconnaissant. Il avait réfléchit à cette question depuis longtemps mais c'était différent d'entendre quelqu'un la poser puis de réfléchir à une réponse appropriée. Lui avait le droit de critiquer sa mère ou ses adelphes, mais il ne voulait pas donner la possibilité à de King le faire avec trop de facilité.

— Je ne suis pas le seul, le corrigea-t-il. On est tous logés à la même enseigne, ça ne se manifeste pas de la même façon pour les uns et les autres, c'est tout. Mais j'ai été un des premiers, j'imagine.

King l'invita à poursuivre d'un regard : ce n'était pas une réponse suffisante à ses yeux. Il voulait parler de lui, pas de ses frères et sœurs. Mais lui ne voulait pas parler de l'incident de Brûlée. Quelque part, il avait peur que King ait subitement une mauvaise opinion de lui, change d'avis et décide qu'il avait eu raison de se cacher.

— J'ai ma petite idée sur la vraie raison pour laquelle ma mère m'encourageait à me cacher mais ce n'est qu'une supposition.

King l'écoutait avec la plus grande attention.

— Je pense que je suis celui de la famille qui lui ressemble le plus.

— Hein ?

— Je lui rappelle tout ce qu'elle déteste chez elle même. Je crois.

Il ne voulait pas entrer dans les détails. King ne connaissait pas assez Mama, ni Katakuri, pour comprendre de quels traits communs il pouvait bien parler. Leur hyperphagie à tous les deux était suffisamment flagrante pour qu'il s'épargne la peine d'entrer dans les détails.

— Ta sœur aînée ressemble beaucoup plus à ta mère selon moi, dit il, bêtement.

Katakuri pouffa de rire. S'il limitait sa réflexion à leur ressemblance physique, il n'y avait aucune chance qu'il devine quoi que ce soit de pire.

— Compote ? C'est vrai que c'est son portrait craché.

— Toi, c'est beaucoup plus dur de le deviner que t'es son fils.

— Ah ? Vraiment ?

Il était curieux de connaître l'opinion de King sur ce sujet.

— Tu trouves que je ne ressemble pas à ma mère ?

— Je n'ai pas dit ça.

King se tourna vers lui, le bras négligemment posé sur le genou, bouteille à la main. Sa nonchalance conjuguée à sa beauté spectaculaire n'en finirait jamais de troubler Katakuri mais il était enfin capable de le regarder dans les yeux sans rougir, même quand il était soumis à un tel examen.

King le détaillait du regard, à la recherche de similitudes à énumérer.

— Si je t'avais vu à côté de ta mère sans jamais avoir entendu parlé de toi — et sans voir le gros "Charlotte" brodé dans ton dos — j'aurais deviné. Vous avez le même regard.

— Oh. Je ne savais pas.

— Mais je ne trouve pas que la ressemblance soit plus frappante que ça.

Katakuri ne savait pas quoi répondre et un silence embarrassant s'installa. King n'avait pas eu de réponse claire à sa question mais il n'avait pas l'air de vouloir poursuivre cette conversation. Il préférait se concentrer sur sa bouteille. Et celle de Katakuri.

— Bon, tu vas le siffler ton hydromel à un moment ? Je suis toujours le seul à picoler là !

— Mais laisse moi deux minutes, s'agaça Katakuri. Je ne suis pas comme toi, j'ai besoin de savourer.

— Savourer quoi ? C'est de l'alcool.

C'en était trop pour Katakuri qui ne supportait vraiment pas qu'on considère un hydromel vieilli en fût comme de la bière bon marché. Il soupçonnait King de faire exprès de balancer des énormités pareilles pour l'énerver, car il savait le sujet sensible, mais même si c'était le cas : il ne pouvait pas laisser passer un tel manque de respect.

— Tu es désespérant.

— Mais quoi ? Je bois pas pour le goût, c'est le résultat qui compte, non ?

— Comment peut-on être beau comme ça et avoir des goûts aussi pourris...

King lui lança un regard choqué. Katakuri était sur le point de s'excuser — ça lui avait échappé — mais l'air malicieux qui ne quittait pas le visage de King avait plutôt tendance à le rassurer.

— Je peux savoir où est le rapport ? Se moqua-t-il.

— Je veux dire que tu as l'air raffiné mais ça s'arrête là.

Une lueur diabolique scintilla dans les yeux rouge de King.

— Je peux faire en sorte que ma tête corresponde au reste, si ça t'arrange.

— Comme si j'allais te demander de te défigurer, soupira Katakuri en levant les yeux au ciel.

Pour lui faire plaisir, il sirota une gorgée en buvant directement au goulot — malgré tout, les critiques faisaient leur effet. King continuait de sourire sournoisement mais son regard s'égara quelque part, loin derrière Katakuri. Son air joueur disparut alors pour laisser la place à un visage concerné, presque inquiet.

— Ta sœur a un problème je crois.

— Mh ?

Katakuri se retourna brusquement pour observer la place. King n'avait pas précisé de quelle sœur il parlait mais par réflexe, il observa d'abord Pudding. Elle avait l'air très occupée et pas du tout ennuyée par quoi que ce soit. Quant à Brûlée, elle était avec sa jumelle et toutes deux rigolaient bien. Son regard balaya les environs, sans remarquer quoi que ce soit d'inquiétant.

Il revint vers King pour avoir des précisions mais à la seconde où ses yeux se posèrent de nouveau sur lui il faillit s'étrangler.

Il avait devant lui la pire grimace qu'il n'avait jamais vue de sa vie. King avait lâché sa bouteille, il utilisait ses deux mains pour tordre son visage, en un résultat d'absurdité parfaite, et louchait afin de lui offrir l'expression la plus ridicule possible. Sa tête n'avait plus aucun sens. Katakuri n'eut pas d'autre alternative : il explosa de rire.

/

Brûlée sursauta en même temps que Broyé.

— C'était quoi ce bruit ? Demanda sa sœur, surprise.

Brûlée ne répondit pas et chercha immédiatement Katakuri du regard. Elle connaissait bien ce son, elle l'aurait reconnu entre mille. Seulement, elle ne l'avait pas entendu depuis des décennies. C'était le rire de son frère qui venait de retentir. Un vrai éclat de rire franc, assez puissant pour résonner sur l'île toute entière. La dernière fois qu'il avait ri comme ça, il ne devait pas avoir plus de dix ans. Quand il jouait encore avec eux et se bagarrait sans réfléchir.

Elle ressentit un soudain et intense élan d'affection pour son aîné. Enfin, se dit-elle avec soulagement. Elle aurait bien des difficultés à tenir sa promesse de garder la tête froide à présent, elle éprouvait une si vive reconnaissance envers King qu'elle ne pouvait plus le considérer comme une nuisance. Comment avait-il fait pour arracher un tel rire à Katakuri ? De là où elle était, elle n'était pas en mesure de distinguer leurs expressions mais elle devinait que tous les deux s'amusaient bien. Katakuri avait perdu son sérieux et semblait retrouver sa vivacité d'antan.

Elle n'avait pas oublié qu'elle devait se méfier mais elle était de plus en plus certaine que King ne lui était pas indifférent non plus, sinon pourquoi aurait-il cherché à le faire rire ?

— Oh, Katakuri, s'émut-elle en sautillant de joie pour lui.

— C'était lui ?! S'exclama sa sœur en le cherchant du regard dans la foule.

Par curiosité, Brûlée observa la réaction de Oven — à qui ce rire n'avait certainement pas échappé non plus. Il était occupé à discuter avec un invité et faisait mine de n'avoir rien entendu mais son visage ne mentait pas, il était outré.

Brûlée étouffa un nouveau rire, soudain d'excellente humeur. Elle ne savait pas si c'était la présence de King ou l'absence de Mama qui causait cette ambiance, mais cette soirée s'annonçait délicieuse.

/

— T'es malade ou quoi j'ai failli m'étouffer ! Toussa Katakuri, les larmes aux yeux à cause du fou rire.

King lui-même avait du mal à retrouver son sérieux. Il n'aurait jamais cru que sa farce puisse produire un tel effet et il était très fier de lui. La dernière fois qu'il avait fait une grimace pareille, c'était pour faire rire Yamato quand il était bébé et ça avait été un échec cuisant, le pauvre en avait pleuré toute la nuit.

— Ça aurait été le meurtre le plus ridicule de l'histoire, ricana-t-il devant son compagnon qui peinait à retrouver une respiration normale entre deux quintes de toux.

— Ah la vache, j'ai avalé de travers, dit-il sans cesser de tousser. Tout le monde a du m'entendre, j'ai honte.

— C'est vrai que c'est pas sérieux, comment oses-tu t'amuser à une fête ?

— Je me vengerai, grogna Katakuri, souriant malgré tout.

Il était tout rouge, les yeux rendus brillants par les larmes. King n'aurait pas cru que ça lui procurerait un tel plaisir de faire rire quelqu'un. A force de s'entendre dire qu'il était dépourvu d'humour et de toujours casser l'ambiance, il était ravi de se sentir apprécié.

— Tu as le visage élastique ou quoi ? Je n'en reviens pas de la tronche que tu viens de faire.

— On a tous des talents bizarres : c'est le mien.

— Tu t'entraînes tout seul devant un miroir pour faire ça ?

— Non, parce que ma solitude est assez pathétique comme ça, je te remercie.

Il rigolèrent ensemble jusqu'à ce que King se rappelle de la bouteille qu'il avait dans les mains. Il l'avait à peine entamée et une idée lui vint.

— Je sais comment tu peux m'accompagner tout en savourant ta boisson.

— Je t'écoute, dit Katakuri, méfiant.

— Il faut qu'on trouve un jeu à boire.

Il leva les yeux au ciel.

— Oh seigneur.

King fut surpris par sa réaction, qui témoignait d'une certaine expérience du sujet. Y avait-il une histoire croustillante là-dessous ?

— Tiens donc, tu as une anecdote de jeu à boire à me partager ?

— J'ai deux frères jumeaux King, lui rappela-t-il. Je sais parfaitement comment se termine les soirées avec les jeux à boire.

— Tu as déjà fini par rouler sous une table ?

— Non, j'ai ramassé ceux qui avaient roulés sous la table.

— Et donc ? Gloussa King.

— Donc j'ai très bien compris que ton but était de me soûler mais à ce point là, c'est un peu risqué.

— Tu n'as qu'à gagner le jeu et ça ne t'arrivera pas.

La perspective d'une compétition entre eux le fit hésiter. Il réfléchit à voix haute en marmonnant. King l'aurait bien supplié d'accepter, les risques dont il avait si peur étaient bien trop drôles, mais il n'en eut pas besoin. Katakuri soupira et lui accorda un regard hésitant dans lequel King voyait déjà la victoire.

— Tu veux jouer à quoi ?

C'était une bonne question, il n'avait pas réfléchit à ce point là. Son but n'était plus de boire pour oublier ou pour supporter une réalité trop dure. A présent, il avait vraiment envie de s'amuser mais il n'avait pas plus l'habitude du lâcher prise que son camarade.

— Euh. Aucune idée, avoua-t-il.

— Ah, bravo.

— Bah vas-y toi, propose ! Ils jouaient à quoi tes frères ?

— J'en sais rien. En général j'arrivais trop tard pour les arrêter et c'était incompréhensible, disant cela il réfléchit à un moment en particulier, le regard dans le vide. Il y en avait un où ils lançaient des capsules dans un bol, j'ai jamais rien compris.

King ne voyait pas mieux que lui de quoi il parlait. Puisqu'il avait lancé l'idée, il devait absolument trouver une solution. Il réfléchit à toute vitesse et se remémora toutes les soirées organisées par Queen. A quels jeux amusants est-ce qu'il avait bien pu assister au cours de sa vie ? Il en avait plusieurs qui lui venaient à l'esprit mais ils étaient bien trop offensants ou obscènes pour qu'il ose les mentionner devant Katakuri. Et lui même n'oserait jamais se lancer dans des jeux pareils.

Il lui fallait quelque chose de suffisamment innocent pour le convaincre.

— J'ai trouvé, déclara-t-il finalement.

Katakuri se redressa, à la fois curieux et inquiet devant ce qu'il risquait d'avoir à faire durant les prochaines minutes.

— "Je n'ai jamais", déclara-t-il.

— Jamais quoi ?

— C'est comme ça que ça s'appelle. "Je n'ai jamais".

Il le fixait avec des yeux ronds d'incompréhension et King se sentit un peu ridicule. Il avait déjà engueulé des nouvelles recrues qu'il avait surpris en train d'y jouer au lieu de bosser et il espérait que Katakuri ne le trouverait pas aussi ridicule. Il essaya d'expliquer les règles le plus sérieusement possible.

— Le but du jeu c'est de deviner des choses sur quelqu'un. Par exemple, si je dis "J'ai jamais eu 80 frères et sœurs", c'est toi qui bois. Si tu dis "je n'ai jamais eu d'ailes" je bois.

— Oh, je vois.

A son sourire, King devina qu'il était emballé. Alors son embarras disparut pour laisser place à l'enthousiasme. Ce jeu était le moyen détourné idéal pour en apprendre plus sur lui. Non pas qu'il en eut vraiment besoin, Katakuri lui avait toujours répondu poliment quand il le pouvait, mais dans un contexte pareil ; c'était différent.

— Je commence ? Proposa King.

— Je t'en prie, répondit-il, probablement impatient d'avoir son tour pour se venger de la grimace.

King prit un peu de temps pour réfléchir en se frottant le menton, sans lâcher sa cible des yeux. Katakuri lui avait déjà confié beaucoup de choses personnelles mais il voulait fouiner dans des environs plus sournois. Il voulait prouver qu'il n'était sûrement pas aussi sage et raisonnable qu'il le prétendait.

Mais comme de coutume : son visage restait de marbre et, quand il n'était pas rouge de gêne, ses yeux envoyaient des éclairs de défi. Ils se fixèrent ainsi pendant quelques secondes avant que King ne soupçonne quelque chose. Il haussa un sourcil interrogatif, sans dire un seul mot. Il n'était pas aussi doué que Katakuri pour deviner l'avenir immédiat mais il était tout à fait capable de repérer quelqu'un en plein acte de tricherie.

Katakuri resta stoïque pendant un moment avant de capituler en souriant et de boire une première gorgée. King fit comprendre sa désapprobation en annonçant à voix haute ce qu'il avait prévu de dire depuis le début, un peu vexé d'avoir été pris de cours.

— J'ai jamais utilisé mon haki de l'observation pour tourner une situation à mon avantage, dit-il en regardant son adversaire finir d'avaler. Arrête de tricher.

— Tu m'as dit de jouer pour gagner, c'est ce que je fais, se défendit-il en pouffant de rire, fier de cette première manche.

— Non, c'est trop facile. Tu vas ruiner le plaisir.

— Bon très bien, si tu insistes, accepta Katakuri. A mon tour.

Il se tourna pour faire face à King. Il le trouva bien sûr de lui, son attitude n'avait plus rien à voir avec sa réserve habituelle.

— Je n'ai jamais prétendu être fair play alors que je suis particulièrement fourbe.

King encaissa la provocation en buvant à son tour.

— Je ne suis pas si fourbe mais je veux bien t'accorder le point, dit-il, beau joueur.

— N'essaye pas de nier.

Il rirent et King réfléchit à une nouvelle attaque. Katakuri était toujours trop à l'aise, il devait le désarmer.

— Je n'ai jamais, commença-t-il en traînant sur la dernière syllabe. Je n'ai jamais pleuré en écoutant une chanson.

Katakuri roula des yeux, mais ne but pas.

— Ah, je l'aurais parié pourtant, fit King, déçu.

— Je n'ai pas la larme facile. A moi. Je n'ai jamais paniqué parce que je devais m'occuper d'un mioche et que je ne sais pas faire.

King grogna et porta de nouveau la bouteille à ses lèvres. Si ça continuait comme ça, il allait finir ivre mort sans que Katakuri soit même légèrement pompette.

— Ça je m'en doutais, dit-il. Tu as trop peur de Pudding pour que ce ne soit pas vrai.

— Eh, si on t'avais refilé un bébé dans les pattes à 19 ans quand tout ce que tu sais faire c'est te battre, tu aurais paniqué aussi.

— Tu es ... ? Demanda Katakuri stupéfait.

— Non, c'était pas le mien. Bref, à mon tour.

Il décida d'être plus agressif.

— Je ne me suis jamais fait tatouer en dessous de la ceinture.

Comme prévu, les joues de Katakuri rosirent et il accepta de boire après quelques secondes, permettant à King de savourer sa victoire.

— J'ai enfin ma réponse.

— Il descend sur ma cuisse c'est pour ça, se justifia Katakuri avec timidité.

— Peut-être mais j'imagine que ça ne s'arrête pas brusquement au niveau de ton aine comme une trace de bronzage. Ça a dû te demander un effort colossal de te mettre à poil devant le gars qui t'a tatoué, pudique comme tu es...

— C'était une femme, et je ne suis pas si... Ok, tu veux jouer. J'ai compris.

Il fit craquer ses doigts pour chasser son embarras. King rit mais se sentit un peu menacé. Il ne savait pas à quoi s'attendre mais il savait qu'il allait être gêné aussi. Katakuri faisait mine de regarder ailleurs — probablement gêné par sa future attaque — mais un sourire flottait sur ses lèvres.

— Je n'ai jamais toujours choisi des vêtements très moulants... volontairement.

Il se tourna lentement vers King, sans expliciter davantage ce qu'il voulait dire exactement mais avec l'expression de celui qui l'avait pris sur le fait. King détourna le regard avant de boire une gorgée.

— J'en étais sûr, se moqua Katakuri.

/

La soirée se passait tout à fait calmement et la nuit commençait à tomber. Pudding avait enfin terminé son travail : tous les plats et les desserts étaient à disposition, prêts à être dégustés par tous et le trac de la soirée l'avait complètement quittée. Elle avait mal partout et profita enfin d'une pause bien méritée. Elle évita les invités et les nouvelles têtes, elle n'avait pas l'énergie de saluer qui que ce soit ou d'endosser son rôle de petite princesse de Totto Land. Elle avait faim et méritait un instant rien qu'à elle.

Elle était satisfaite de son travail et les gens semblaient contents, eux aussi. Katakuri avait eu raison, elle s'était mis trop de pression sur les épaules. Même si on lui prêtait plus de talent qu'elle n'en avait, tout le monde passait un bon moment et c'était l'essentiel. Elle pris place à une table calme, et déjeuna enfin.

Brûlée vint la complimenter sur sa cuisine et ses autres frères et sœurs lui adressèrent des signes amicaux en passant près d'elle mais personne n'avait une seconde à lui accorder. Ils n'étaient pourtant pas si occupés mais il y avait quelque chose de différent dans l'air. Tout le monde avait vraiment l'air de vouloir profiter de la soirée. Elle entendait des rires venant de tous les côtés et l'ambiance était... chaotique. La plupart des tables dressées pour l'occasion étaient inoccupées ou incomplètes parce que les invités allaient et venaient librement. D'habitude, les Tea Partys suivaient un planning très précis, basé sur les désirs de Mama et le moindre accro était sévèrement puni. Mais elle n'était pas là. Et personne n'avait eu envie de forcer quoi que ce soit. Oven avait évidemment fait attention à ce que tout soit sérieux et bien présenté — ou plutôt : leurs sœurs l'avait empêché de faire n'importe quoi — mais la fête n'avait rien à voir avec ce dont ils avaient l'habitude. Ils avaient gardé le côté grandiose mais avaient ôté toute pression de devoir faire quelque chose de parfait.

Pudding aurait dû s'en trouver soulagée mais elle pensa avec amertume à son mariage. Elle se demandait ce qui ce serait passé si ça n'avait été qu'une cérémonie normale. Elle pensait régulièrement à ce qu'elle avait perdu — et raté — ce jour-là et ce soir, son imagination vagabondait vers les multiples possibilités qui se seraient offertes à elle si Mama n'avait pas été là. En vérité, elle n'aurait sans doute jamais choisi Sanji d'elle-même mais elle était désormais incapable d'envisager quelqu'un d'autre. Est-ce qu'ils se seraient amusés et aurait passé un bon moment ensemble si les choses s'étaient passées autrement ?

Un soupir mélancolique lui échappa et lui coupa l'appétit. Elle allait mieux ces derniers temps, elle ne pouvait pas lutter contre les vagues de déception et de tristesse qui continuaient de la submerger régulièrement.

Elle posa sa tête sur la table et observa les alentours, contente de passer inaperçue. Au moins, ses adelphes passaient un bon moment. Elle n'était même pas sûre de les avoir déjà vus si souriants et ... normaux. Personne ne se sentait obligé de correspondre à sa réputation. Sauf Oven, peut-être, mais sa réputation et sa vraie nature était indissociables. Elle chercha Katakuri du regard. Elle se demandait si lui aussi se trouvait changé par cette ambiance légère. D'après ce qu'il lui avait raconté, il avait souffert des exigences de Mama autant qu'elle et elle se sentait plus proche de lui grâce à cela.

Il ne fallut pas longtemps à son troisième œil pour repérer son grand frère. Comme toujours, il avait trouvé un endroit où se percher loin des autres pour jouer les vigiles de la soirée. Mais cette fois, il n'était pas seul et il n'avait pas l'intention de surveiller quoi que ce soit. King et lui était avachis, bouteilles en main, en pleine conversation animée. Ils avaient l'air de bien s'amuser. Pudding n'était même pas sûre d'avoir déjà vu son frère sourire ou rire une seule fois depuis sa naissance.

Il semblait se trouver dans une bulle et avoir oublié l'existence de leur famille. King n'était pas en reste ; le peu qu'elle avait observé de lui, il était toujours sombre et taciturne. Au contact de Katakuri, il avait l'air extraordinairement normal. Il souriait et riait. Et frimait aussi. Leur flirt sautait aux yeux.

Pudding éprouva soudain une vive jalousie. Elle savait que Katakuri n'avait pas menti en lui racontant le mal que Mama lui avait fait. Et son soutien lui avait un bien fou. Mais là, tout de suite, de le voir profiter d'un moment d'intimité avec King, sans avoir les yeux de leur mère braqué sur lui, à épier les moindres de ses faits et gestes... Il pouvait faire ce qu'il voulait. Il avait le droit de tomber amoureux d'un rival de leur équipage — car c'était le cas, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure — Mama n'avait rien manigancé pour lui, elle ne lui avait pas ordonné de le tuer, il avait pris toutes ses décisions seul. Il avait eu assez confiance pour garder King près de lui, dans son palais. L'influence de leur mère ne l'atteignait plus depuis longtemps.

Elle s'en sentait si loin. Elle n'avait même pas pu s'occuper de la gestion d'un banquet sans faire de crise d'angoisse. Il ne se passait pas un jour sans qu'elle regrette chacune de ses décisions depuis le jour de son mariage. Elle n'avait été qu'une marionnette et elle l'était encore. Katakuri, lui, avait coupé les fils depuis longtemps. Pas elle. Et le seul qui avait réussi à ébranler un tant soit peu cette influence avait disparu. Pour toujours. Elle avait été trop odieuse. Et maintenant, elle était toujours aussi seule.

Elle se leva, fatiguée de ses idées noires, et quitta la soirée discrètement.

/

Le soleil se couchait doucement et Katakuri commençait à ressentir les effets de l'alcool. Il avait envie de rire pour un rien et l'attitude de King n'arrangeait pas les choses. Leur jeu continuait et chaque découverte qu'il faisait l'un sur l'autre était soit ridicule, soit trop comique pour qu'il reste de marbre. Il avait complètement perdu le compte ; gagnait-il ou non ? Il s'en fichait. Du moment qu'il pouvait continuer de se payer la tête de King, tout lui allait.

— Oh, c'est à toi ! Dit celui-ci en le poussant du coude, lui aussi bien éméché.

— Ah. Attends je commence à être à court d'idées.

— T'es obligé d'en trouver, ta bouteille est pas encore vide.

Katakuri gloussa bêtement et réfléchit. Il avait fait le tour des questions embarrassantes mais il avait toujours envie d'en savoir plus. Au point où il en était, il se fichait d'avoir l'air ridicule ou stupide devant lui, il voulait juste des infos. Il ne connaissait pas King aussi bien qu'il l'aurait voulu et il chérissait chaque petit détail comme un trésor.

— Je n'ai jamais, commença-t-il, peu inspiré. Je n'ai jamais créé d'incident diplomatique avec un autre équipage !

King eut du mal à répondre, son cerveau embrouillé était plus lent à la détente.

— Euh, c'est à dire ? Qu'est-ce que t'appelle un incident diplomatique ?

— Bah je sais pas moi, c'est pourtant clair ce que je te dis.

— J'ai jeté le bateau de ta mère du haut d'une falaise mais l'alliance avec nous elle s'est faite après, ça compte ou pas ?

Il leur fallut un moment à tous les deux pour comprendre ce qui venait d'être dit et King essaya péniblement de rattraper son aveu.

— Je précise que personne n'est mort dans le processus.

— Tu bois, ordonna Katakuri.

Il obtempéra. D'après ce Katakuri pouvait voir, il lui restait encore pas mal de marge avant de finir sa bouteille.

— Moi non plus j'ai plus d'idées, avoua-t-il après avoir avalé.

— Si t'arrêtes, tu perds, le provoqua Katakuri qui n'avait pas la moindre envie d'arrêter.

— Tu rêves. Je vais trouver.

Après un court instant, qui permis à Katakuri de profiter des sensations de tournis qui atteignaient doucement son cerveau, King reprit confiance. Les effets de l'alcool l'avaient totalement décrispé. Il avait une mèche de cheveux qui retombait sur son visage et qui ondulait légèrement à chacun de ses rires. Il avait beau essayé de la chasser d'un petit mouvement de tête, elle revenait inlassablement se poser devant ses yeux. Il devenait de plus en plus difficile pour Katakuri de se retenir de la saisir pour la passer délicatement derrière son oreille.

— J'ai trouvé, déclara-t-il enfin. Je n'ai jamais fait semblant d'être digne et raisonnable alors que je suis un barbare assoiffé de sang sur le champ de bataille.

Dans la bouche de n'importe qui d'autre, ça aurait été une insulte. Mais venant de King, c'était non seulement un compliment mais aussi une supplication. Il aurait été déçu que Katakuri ne boive pas. Aussi, il s'exécuta avant même de réfléchir à la réponse, puis il se rappela que c'était un peu vrai. Il aimait se battre, il avait toujours adoré ça. C'était un langage qu'il maîtrisait, un domaine dans lequel il était absolument sûr de ses compétences. Il était ravi que King le voit.

— Héhé, j'le savais, ricana-t-il.

— En même temps, t'as vu ma mère...

— Je m'en fous de ta mère, c'est pas pareil.

— Bon, à moi !

Il n'eut aucun mal à trouver la prochaine. Il n'avait qu'à suivre les inclinations de King pour trouver ses idées. Si le thème était "quel rôle prétends tu jouer" il en avait plein en réserve.

— Je n'ai jamais prétendu être une brute sanguinaire alors que je suis un tendre.

King encaissa et fronça les sourcils. Il hésitait à boire. Katakuri resta attentif au moindre de ses gestes et micro expressions. Il avait très envie de savoir s'il avait eu raison ou non. Il n'était sûr de rien mais il soupçonnait King d'être au moins soixante pour cent plus doux que ce qu'il prétendait. Ou alors il l'espérait. Ce qu'il voyait de ses yeux, pour le moment, était trop flou pour déterminer quoi que ce soit. Comme toujours, il y avait une partie de lui qu'il gardait absolument secrète. Au point de ne pas même la laisser transparaître sur son visage, même après avoir trop bu.

Finalement, il ne but pas. Il se contenta de sourire tristement en haussant les épaules.

— Non, je suis vraiment ravagé de l'intérieur. Désolé.

— Si on t'as déjà confié des mômes, c'est que tu dois avoir au moins un petit peu de... Comment on dit... De douceur en toi.

— C'est surtout parce que j'étais le seul à savoir faire quelque chose de mes dix doigts. C'était soit moi, soit le premier troufion qui passait.

— 'Faudra demander son avis au gamin. Ça m'intéresse.

— Ha ! Bonne chance, il me déteste au moins autant qu'il déteste son père, dit-il d'un ton pince sans rire.

L'amertume non dissimulée de son ton fit de la peine à Katakuri. Il aurait voulu faire quelque chose pour soulager cette douleur qu'il devinait mais tout ce qu'il aurait pu tenté aurait été déplacé. Il se contenta de tendre l'oreille pour recueillir les confidences, si jamais elles devaient suivre. Il n'en fit aucune, à la place, il poursuivit leur jeu.

— Je n'ai jamais voyagé, dit King, aussi soudainement que tristement. Du moins, jamais après avoir atteint l'âge adulte.

Katakuri n'eut pas le temps de réagir, King le devança et but le premier. Avant de lui adresser le regard compatissant de celui qui connaissait déjà la réponse. C'était vrai.

Après la création de Totto Land, Katakuri n'avait jamais quitté l'archipel pour d'autres destinations que celles que Mama avait choisi pour lui et jamais plus longtemps que quelques semaines. Il était toujours revenu à la maison, au bout de sa laisse. Il eut une pensée pour Lola, Chiffon et Praliné. Les plus braves d'entre eux finalement.

Il but une gorgée plus longue que les autres avant de reprendre.

— Je n'ai jamais eu d'amis, admit-il un peu honteusement avant de reboire aussitôt.

— Pour de vrai ? S'étonna King. Mais...

— Les frères et sœurs c'est pas pareil, le coupa-t-il.

Il s'attendait à voir King le suivre mais il reste un long moment sans bouger. Il contempla sa bouteille de longues minutes avant de décider de boire au goulot. Lui aussi descendit sa bouteille plus vite que les fois précédentes. Cet aveu là lui était particulièrement douloureux.

— On a vraiment des vies de merde, soupira-t-il, mi amusé, mi affligé.

— Au moins, on est deux.

— On se met d'accord sur ça et on arrête avant de niquer l'ambiance ?

Katakuri approuva et King termina sa bouteille d'un seul trait. Il poussa un râle de satisfaction.

— C'est vrai que c'est bon ce truc, ça se boit facilement, j'ai rien senti monter !

— Et t'es comment là ?

— Je te redis ça dans dix minutes.

Katakuri rit et se précipita pour l'imiter. Alors qu'il allait porter la bouteille à ses lèvres, King eut un geste inattendu. Il plaça subitement sa main entre sa bouche et le goulot pour l'empêcher de boire davantage. Katakuri lui frôla donc légèrement le dessus de la main du bout des lèvres. Il pouvait en sentir la chaleur et n'osait plus faire un seul mouvement.

Il jeta un coup d'œil rapide et stupéfait à King, qui ne bougeait pas non plus. Il avait l'air aussi surpris que lui par son propre réflexe. Il se justifia maladroitement.

— T'as assez bu.

Cette fois, aussi gêné fut-il, Katakuri remarqua la tristesse dans ses yeux et même s'il était incapable d'en déceler l'origine, il sut que ses soupçons sur la nature douce de King étaient fondés. Il ne savait pas si c'était les effets de l'alcool ou l'expression de son affection pour lui qui se manifestait, mais une bouffée de chaleur le prit. Comme il était agréable de le voir se soucier de lui.

— Je saurais m'arrêter, le rassura-t-il, soudain sérieux.

— Tu es sûr ?

Il acquiesça et attendit patiemment que King retire sa main. Après quoi, il termina sa bouteille, le cœur palpitant et la tête embrouillée.

King fit de son mieux pour faire oublier son geste, il se releva pitoyablement, peinant à se tenir droit — il était plus soûl qu'il en avait l'air. Il avait toujours sa bouteille vide à la main.

— J'en fais quoi de ça maintenant, demanda-t-il en regardant partout autour de lui pour trouver un endroit où s'en débarrasser. Bon bah, hop.

Il tendit le bras pour la jeter au loin et, malgré l'ivresse, Katakuri se leva d'un coup pour lui attraper le bras.

— Eho ! Tu fais quoi là !

— Bah je la jette ?

— Mais mon île c'est pas ta poubelle, je te permets pas !

King leva le bras plus haut pour tenir la bouteille hors de portée. Katakuri n'aurait jamais cru, de toute sa vie, avoir à sautiller pour essayer d'attraper un truc trop haut.

— Allez, du nerf ! Tu peux y arriver ! Se moqua King.

— Donne moi ça !

Il lança un bras de mochi en l'air et lui arracha la bouteille des mains.

— Eh ! S'offusqua-t-il.

— Tu fais moins le malin là !

— Génial. Et tu vas en faire quoi maintenant ? Dit-il d'un air de défi en croisant les bras sur sa poitrine.

Katakuri bafouilla une seconde puis une idée lui vint, malgré l'alcool. Il adressa un sourire carnassier à King, fier de son idée.

— Regarde un peu ça.

La main en visière, il observa la place devant eux à la recherche d'une poubelle où se débarrasser de leurs déchets. Il y en avait plusieurs dans son champ de vision mais il en voulait une qui soit suffisamment loin pour que son tir soit impressionnant aux yeux de King. Quand son choix fut fait, il visa, recula d'un pas ou deux, le bras en arrière, et lança son projectile.

La bouteille tournoya dans les airs et tomba à quelques mètres de la poubelle et explosa, rependant des débris de verre dans tous les sens. Les gens alentours s'écartèrent d'un seul coup avec un cri apeuré, sans comprendre d'où tombait la bouteille en question.

— Oh, merde, marmonna Katakuri.

— Pff ha ha !

King éclata de rire — un rire sonore de zoan — et applaudit façon sarcastique.

— Joli tir. Je suis impressionné.

— Oh la ferme, c'est à cause de l'alcool. Je vise mieux que ça normalement.

— Oui, bien sûr, c'est l'alcool.

— Eh, tu sais quoi...

Katakuri s'empara de la deuxième bouteille et la lui plaça de force dans les mains.

— Vas-y, je te regarde.

— Mais avec joie, accepta King en lui riant au nez. Par contre, la poubelle c'est nul comme cible. Donne moi autre chose.

— T'es un grand garçon, tu te démerdes.

Il lui décocha un petit regard d'approbation espiègle et scruta l'horizon.

— Oh ! Une sculpture à l'effigie de ta mère. Pardon mais l'occasion est trop belle.

Il se positionna et, avec un cri d'effort ridicule, il balança la bouteille à travers la place. Elle atteignit sa cible avec fracas et entraîna de nouvelles exclamations choquées. La sculpture s'effondra mollement sur une table qui se brisa sous son poids alors que des invités s'écartaient en courant, outrés.

Katakuri grogna et King poussa un cri de victoire satisfait.

— Ouais ! Dans ta face, frima-t-il en poussant Katakuri du coude. Pas trop déçu ?

Il ne l'était pas le moins du monde mais la provocation était efficace. Il fouilla la poche de sa veste et trouva les bonbons qu'il convoitait. Il avait eu la bonne idée d'en prendre avec lui avant la soirée au cas où des perturbateurs viendraient. King continuait de fanfaronner devant lui mais il s'empressa de lui clouer le bec.

— Attends, avec ça, c'est autre chose, tu vas voir.

Il chercha un objet à dégommer et porta son choix sur le chapeau que sa sœur aînée avant posé sur la table devant elle. Il avertit King de son choix et se mit en position. Il essayait de garder son sérieux mais le fond de sa bouteille lui était monté directement au cerveau et il sentait bien qu'il allait vite ne plus être bon à rien.

— Si tu te loupes tu vas le regretter, l'avertit King qui rigolait de façon incontrôlable.

— Tais toi, tu me déconcentres.

Loin de se calmer, King prit ça comme une consigne et entreprit de le déconcentrer encore plus en s'approchant très près de son oreille.

— Regarde là bas ! Une armée de... De... Une armée de bières qui approche !

— Pourquoi une armée de bières ? S'agaça Katakuri en essayant de ne pas rire.

— Je sais pas, je cherchais un truc que t'aimes pas.

— J'ai jamais dit que j'aimais pas la bière. Et pousse toi tu me gênes !

Il essaya de l'éloigner d'une main et de concentrer son tir de l'autre mais King ne se laissait pas faire. Il se laisse tomber comme un poids mort sur son bras et il était lourd le bougre. Katakuri avait toutes les peines du monde à rester debout. Finalement, il tira et atteignit la carafe de punch qui éclata et répandit son contenu sur ses frères et sœurs présents.

— Rah ! Mais merde ! S'énerva-t-il à nouveau, King hilare à côté de lui. T'es fier de toi ?

— Un peu ouais, répondit-il en titubant en arrière. Ça y est, c'est officiel : je suis bourré.

— Sans blague ! Si tu crois que ça va m'empêcher de me venger.

Katakuri utilisa son pouvoir pour rendre le sol sous les pieds de King plus bancal qu'il n'était. Ça marchait moins bien qu'il l'aurait voulu à cause de sa propre ivresse mais c'était suffisant pour empêcher King de tenir sur ses jambes.

— Eh ! Je peux pas utiliser mes pouvoirs moi, se défendit-il en écartant les bras pour garder l'équilibre.

— Je m'en fous, ricana Katakuri.

King s'effondra aussitôt de tout son long sur le toit de l'immeuble avec un bruit sec de craquement. Katakuri paniqua une seconde, de peur de lui avoir brisé quelque chose.

— Ça va ?!

— Non, mon aile, gémit-il.

Mortifié, Katakuri se précipita sur lui et s'agenouilla pour l'aider à se relever... avant de se faire écraser son propre mochi sur le visage, à pleine main.

— Je déconne. C'est le toit qui a craqué, avoua King, un éternel sourire insolent sur les lèvres.

Katakuri chassa patiemment la pâte qu'il lui recouvrait la figure avant de rouvrir les yeux et de déclarer la guerre.

— Je vais te le faire bouffer ce toit.

/

— Qu'est-ce que c'est que ce cirque ?! S'offusqua Compote essayant vainement d'essuyer le punch qui recouvrait sa robe.

— Je crois que c'est Katakuri qui a tiré, expliqua Amande.

— Mais qu'est-ce qui lui prend ?

Oven n'osait pas faire le moindre commentaire. D'un côté, il avait envie d'éclater de rire, de l'autre, il était tout aussi vexé que ses sœurs. Mais pas pour les mêmes raisons. Il en voulait vraiment à son frère de s'amuser avec quelqu'un d'autre que lui.

Car il était clair pour n'importe qui possédait une paire d'yeux fonctionnels que son cher jumeau, toujours si sérieux, était en train de passer une excellente soirée en compagnie de King. Il n'avait pas la moindre idée de ce qui avait pu l'amener à tirer sur la foule — probablement pas de mauvaises intentions — mais il était certain que c'était la faute du lunaria et de ses charmes.

Brûlée pouffa de rire à côté de lui, elle était la seule d'entre eux qui avait l'air de trouver la situation hilarante.

— Ça ne t'inquiète pas ce qui vient de se passer là ? S'énerva-t-il.

— Pas vraiment, avoua-t-elle en calmant son rire.

— Notre frère est en train de perdre la boule...

— En un sens oui, confirma-t-elle. Je crois qu'il a trop bu.

Il leva les yeux au ciel, fâché de ne pas trouver le soutien qu'il espérait. Il chercha son frère du regard et ne sut quoi penser du spectacle qui s'offrait à lui. Lui et King se bagarraient comme deux gosses.

Il se renfrogna mais trouva une consolation en songeant à l'état dans lequel Katakuri serait le lendemain matin.

/

— Il y a jamais de musique à vos soirées ou quoi ? S'étonna King, dont les vêtements étaient maintenant couverts de mochi, de miettes de gâteau et de crème après avoir subi une brève attaque d'aliments.

— Bah si, dit Katakuri, pas dans un meilleur état, en lui montrant l'orchestre de la soirée. Tu vas encore dire que c'est pourri c'est ça ?

— Bah ouais ! Vous êtes des pirates ou pas dans ce pays ? On entend rien et il y a personne qui danse.

— Parce que toi, tu danses à vos soirées ? Je pensais que tu ne dansais jamais, même pas avec un flingue sur la tempe !

King, désormais parfaitement soûl, considéra la question un moment avant de se rendre compte qu'effectivement ; il ne dansait jamais. Depuis quand est-ce qu'il en avait même quelque chose à faire de danser ? Il n'en avait aucune idée, tout ce qu'il savait c'était que maintenant, il lui était intolérable de ne pas entendre la moindre musique.

— Non, je danse pas mais c'est parce qu'en général c'est Queen qui s'occupe de la musique, et sa musique : yeurk !

Il fit mine de vomir et se promit de ne pas recommencer une seconde après, sans quoi il risquait de rendre le peu de nourriture qu'il avait dans le ventre.

— Et quelle musique trouve grâce à vos yeux votre majesté ? Ricana Katakuri en se remettant debout sans la moindre souplesse — il était aussi soûl que lui.

— J'sais pas, avoua King. Mais pas ça là, c'est nul. T'aimes ça toi ?

— Quoi danser ou la musique ?

— Les deux.

Katakuri s'étira en essayant de réfléchir à la question, exhibant la vue de sa musculature aux yeux de King. Celui-ci n'essaya même pas d'être discret lorsqu'il le dévora du regard. Il était toujours impressionné de constater à quel point il était taillé pour la bataille. Son corps ne comptait que peu de cicatrices, pourtant il témoignait de sa force et des années qu'il lui avait fallu pour arriver à un tel résultat. Il ne montrait ni fatigue, ni usure. La souplesse avec laquelle il bougeait était surnaturelle. Peut-être que son pouvoir y était pour quelque chose mais King se plaisait à croire que c'était de son seul fait.

Il ne s'était jamais caché d'admirer la force mais l'alcool transformait son appréciation en observation lubrique dont il eut un peu honte. Il se réconforta en se souvenant que Katakuri ne se rendait absolument pas compte de ce qu'il dégageait.

— J'aime pas "ça" spécialement mais j'déteste pas non plus, répondit-il alors en haussant les épaules.

— Aies une opinion tranchée pour une fois, râla King, toujours occupé par sa contemplation.

— Et danser ça dépend, des fois je suis obligé quand Mama organise des bals, ou des trucs comme ça. Et tout le monde veut se mettre avec moi. Ça c'est chiant, j'aime pas qu'on me force en fait.

— Tu m'étonnes, répondit King du tac au tac. Attends parce que tu sais danser toi ?

Katakuri le fusilla du regard, vexé qu'il le sous-estime.

— Je pensais que c'était plutôt le genre de trucs pour lequel t'étais nul.

— Je vois peux voir l'avenir, imbécile, se fâcha-t-il sans être réellement menaçant. C'est pratique pour savoir où mettre les pieds !

— Ah, mais c'est parce que tu danses que des valses ou des trucs comme ça. Evidemment si tu sais compter jusqu'à trois, là ça va.

Katakuri gloussa en se passant la main sur le visage.

— Mais quel prétentieux, dites moi que je rêve.

— Quoi, j'ai tort ?

— Oui, tu projettes ! C'est toi qui sait pas danser.

— Si, mais moi je parle de danser, pas de suivre un plan de où il faut mettre les pieds et réfléchir à comment tu te tiens. S'amuser quoi ! Et avec ça, il désigna l'orchestre de l'index. C'est pas près d'arriver !

Même si Katakuri désapprouvait son opinion sur la danse, il avait l'air d'apprécier la direction que prenait conversation.

— Vas-y, suggère leur quelque chose ! Ils n'auront qu'à le jouer.

— Un truc de pirates, c'est pas les choix qui manquent !

Le choix lui sembla aussitôt évident.

— Le saké de Binks, tu connais ?

— Je ne suis pas inculte ! C'est une des premières chansons que Mama nous a appris. Bouge pas !

King avait tendance à oublier que Katakuri avait potentiellement passé sa petite enfance avec les pires forbans de l'Histoire. Il l'imagina minuscule, à chanter sur les épaules de Kaido et étrangla un fou rire.

Katakuri tituba à son tour, en direction de l'orchestre — c'était un miracle qu'il soit capable de mettre un pied devant l'autre. Puis il tomba sur ses genoux. Une fois à portée de voix, il hurla depuis son perchoir :

— EH ! JOUEZ LE SAKE DE BINKS ! ET VITE, ON S'ENNUIE LA !

King l'avait déjà remarqué avec son éclat de rire de toute à l'heure, mais Katakuri était capable d'avoir du coffre. Il parlait toujours si bas et avec un ton si calme, ça ne devait pas être souvent qu'il élevait la voix. Et la surprise de l'orchestre en contre bas confirma ses soupçons. Ils étaient trop loin pour que King puisse distinguer la stupeur sur leur visage, mais l'absence soudaine de musique ne passa pas inaperçue.

— REFLECHISSEZ PAS, FAITES CE QUE JE VOUS DIS ! Insista-t-il.

Il n'était pas agressif et son ébriété n'était maintenant plus un secret, mais personne de sain d'esprit n'aurait été capable de désobéir à son ordre. Les premières notes de la chanson retentirent et King commença déjà à se balancer — il aimait cette musique plus qu'il ne voulait bien l'admettre.

Katakuri essayait de se relever mais son propre poids l'empêchait de se tenir droit. Il se vautra en arrière, à moitié écroulé de rire devant son propre ridicule. King s'approcha, faussement apitoyé :

— Tu veux un coup de main ?

Katakuri lui offrit sa poigne. Il le releva de force — en manquant de peu de tomber sur le cul, lui aussi. Il lui tomba à moitié dans les bras et s'en détacha sans enthousiasme, en bafouillant une excuse maladroite. King tendit l'oreille : la musique résonnait dans l'air et il lui était impossible de ne pas se mettre à la fredonner.

— Danse maintenant, ordonna presque Katakuri. T'es obligé.

— C'est ce que je fais.

La mélodie lui revint peu à peu en mémoire — il y avait trop longtemps qu'il ne l'avait pas écoutée, ça faisait combien d'années ? — et le plaisir de danser dessus aussi. Il commença bêtement par chantonner et claquer des doigts avant de laisser son corps agir tout seul, par automatisme. Il n'avait pas conscience de ses mouvements, il y allait à l'instinct. Ses épaules et son bassin remuaient en rythme et plus il se laissait aller, plus il s'amusait. Il était soulagé de ne pas être à Onigashima, personne ne pourrait le chambrer ou lui faire remarquer qu'il avait perdu les pédales. Il n'était pas obligé d'avoir l'air effrayant ce soir, tant pis. Il était soûl et n'avait pas d'autre besoin que de s'amuser.

Il rouvrit les yeux et Katakuri ne bougeait plus d'un poil. Il le regardait danser, les yeux brillants, la bouche légèrement entrouverte, comme s'il venait de trouver le One Piece.

— Tu comptes me regarder toute la soirée ou tu vas te joindre à moi ?

Katakuri retrouva aussitôt ses esprits mais ne le lâcha pas des yeux. King s'étonna soudain de ne pas être gêné qu'il le regarde comme ça. Au contraire. N'importe qui d'autre aurait pris son poing dans la figure depuis longtemps, mais lui... Il devait bien avouer qu'il aimait lui couper le souffle.

King était toujours celui qui dansait avec le plus d'aise. Katakuri était encore raide et semblait en proie à quelconque réflexion. Même soûl, il avait du mal à se lâcher.

— Je ne me souviens plus des paroles, dit-il alors, en essayant de se remémorer la chanson.

Il tendit l'oreille, King fit de même. L'orchestre ne leur avait pas fait plaisir qu'à eux apparemment. En contrebas, les gens dansaient aussi et tout le monde chantait avec plaisir. Il ne fallut pas longtemps à Katakuri pour retrouver la mémoire et se mettre à chanter.

— Bid farewell to weaver's town, say so long to port renowned ! Sing a song, it won't be long, before we're casting off !

Plus les paroles lui revenait et plus il oubliait les limites de son corps. Bien vite il rejoignit King dans ses gesticulations. Galvanisés par les chants des invités, ils se remémorèrent les paroles ensemble, inconscients de ressembler à des fêtards comme les autres pour la première fois de leur vie.

Ni King, ni Katakuri ne se souvenait qu'ils étaient des commandants censés représenter deux énormes puissances maritimes. Ils ne se souvenaient pas non plus qu'ils avaient passé l'âge de découvrir les joies de l'ivresse et de faire n'importe quoi aux yeux de tous. Ils étaient trop occupés à chanter — faux — les paroles d'une chanson vieille comme le monde, qu'ils avaient honte d'avoir si peu chanté après toutes ces années de piraterie.

Cross the gold and silver seas, a salty spray puts us at ease,

Day and night, to our delight, the voyage never ends !

King ne savait pas lequel des deux avait eu l'idée en premier mais le temps qu'il s'en rende compte, ils s'étaient tous les deux attrapé par la taille et tournoyaient comme deux crétins, à brailler aussi fort l'un que l'autre, comme si il se débarrassaient de tout ce qui leur pesait. La tête de King avait beau lui tourner, il avait parfaitement conscience de la main de Katakuri sur son flanc et de la sienne sur sa taille. Le contact était chaud et ne lui déplaisait pas. En d'autre circonstances, il en aurait sans doute été horrifié de cette audace. Mais pas cette fois, cette main là ne cherchait rien. Elle ne faisait aucun mal, il pouvait la laisser faire et se concentrer sur sa propre prise.

Quand le tournis se fit un peu trop puissant, ils se détachèrent naturellement — Katakuri fut plus long à s'éloigner et garda son front collé à son épaule encore quelques secondes avant de se remettre à chanter. King l'accompagna.

Somewhere in the endless sky, stormy winds are blowing by,

Waves are dancing, evening comes, it's time to sound the drums !

Ils frappèrent du pied le toit de l'immeuble à l'unisson pour illustrer cette partie de la chanson et les conséquences de leur bagarre de tantôt leur revint directement dans la figure. Le toit craqua légèrement, avant de complètement s'effondrer sous leur poids.

Tous les deux poussèrent un cri de surprise et King se sentit dégringoler sous des kilos de miettes et d'autres résidus comestibles, dur comme la pierre. Il se retrouva vautré sur ce qui était une table de salle à manger quelques secondes plus tôt et mis un peu de temps à retrouver ses esprits. Il n'avait absolument pas mal mais son cerveau étourdi peinait à comprendre qu'il venait de passer au travers d'un plafond. La poussière qui voletait autour de lui lui cachait la vue mais il devinait que Katakuri avait dû tomber lui aussi.

Il se releva tant bien que mal, toujours sonné, et trouva en face de lui une silhouette immense, le dos au sol et la jambe droite levée en l'air contre le mur. Il pouffa de rire.

— Ça va ?

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Demanda Katakuri, la voix pâteuse.

Il se mis sur ses coudes et secoua la tête pour chasser les débris qu'il avait dans les cheveux. Il regarda le sol devant lui, puis King, puis il leva la tête pour observer le trou béant du plafond.

Un éclair de lucidité illumina ses yeux et il lâcha une longue plainte.

— Oh noooon. Je vais devoir faire des travaux.

Il se laissa retomber au sol, découragé. King n'avait aucun scrupule à se moquer.

— Ils sont pourris vos matériaux.

— Ah la ferme ! Dit Katakuri, pas vraiment fâché, en lui jetant un morceau de mur. C'est ta faute, tu fous le bordel dans ma vie.

— De toute façon, c'était moche.

Katakuri n'écoutait pas, le poids des responsabilités lui revenait en pleine face.

— Je vais me faire engueuler...

— C'est bon, tu t'en fous, râla King, soudain vexé de ne plus être le centre de son attention. Tu diras que c'est de ma faute.

Katakuri tourna vivement la tête dans sa direction, l'air courroucé mais absolument pas menaçant.

— Mais c'est ta faute, quelle idée de sauter sur le toit comme ça !

— Quoi ?! C'est toi qui a commencé !

— N'importe quoi !

King tendit sa longue jambe devant lui et posa son talon sur le sol, sans lâcher Katakuri des yeux.

— Fais gaffe, où je le casse encore plus ton précieux immeuble.

— N'y pense même pas.

Ils se fixèrent comme deux chats sauvages pendant trente secondes avant que King ne veuille provoquer le destin. Il leva légèrement la jambe, sans parvenir à contrôler le sourire qu'il adressait à Katakuri. Comprenant ce qui allait lui arriver, il le mit en garde.

— Je te préviens si tu fais ça... !

King, incapable de résister à l'idée de ce qu'il pourrait faire pour se venger, décida d'être un sale gosse et abattit sa jambe sur le sol déjà endommagé par leur chute. Tout s'effondra encore une fois, précipitant Katakuri à l'étage du dessous.

Les grognements outrés de celui-ci le firent beaucoup rire. King se leva doucement — pas tellement parce qu'il faisait attention à ne pas chuter lui aussi, mais parce que son sens de l'équilibre n'était pas au mieux — et vint se pencher au dessus du trou béant laissé par le corps de Katakuri. Il l'aperçut en train de se débarrasser des gravats juste en dessous. Il leva la tête et fusilla King du regard avec une tête de hibou indigné.

— Comme tu le vois, je n'ai pas peur de toi, le provoqua King.

— Tu devrais, répondit aussitôt Katakuri, dont le sourire dévoilait la blancheur des crocs.

King n'attendit pas d'avoir la preuve de sa rancune et s'enfuit aussi vite que possible par le premier trou qu'ils avaient fait. Il devait lutter à la fois contre son envie de rire et contre l'alcool qui le rendait lourd et gauche. Heureusement pour lui, Katakuri était tout aussi ralenti et d'après les bruits qui retentissaient son dos, les rares meubles encore en état dans l'appartement faisaient de redoutables obstacles à sa progression.

King revint sur le toit et attendit une seconde que Katakuri réapparaisse. Il ne voulait pas vraiment le semer, ça n'aurait pas été drôle. Quand il pointa enfin le bout de son nez de sous les décombres, son regard joueur prouvait qu'il n'avait pas abandonné l'idée d'attraper King pour se venger. Il lui fonça dessus et la chasse commença. King bondit aussitôt du haut du toit pour atterrir en bas. La foule s'écarta brusquement, effrayé par son apparition soudaine — et par le choc causé par son atterrissage — mais il ne leur prêta aucunement attention. Il repartit à l'aveugle en zigzaguant sur la place, Katakuri sur ses talons.

Quelques tables volèrent sur leur passage et des éclats de voix lui parvinrent mais il ne prit pas la peine de les écouter. Il n'avait plus que leur jeu à l'esprit.

La voix de la raison dans sa tête était en train de hurler mais il l'avait mise en cage pour le reste de la soirée. Juste pour cette fois, pour une fois ! Il avait peut-être régressé de trente ans mais il n'aurait pas eu à en arriver là s'il avait eu la possibilité de le faire plus tôt, quand il avait l'âge. Et dans le fond, voix de la raison ou non, la situation le rendait trop heureux pour qu'il s'arrête.

Il voulait que ça continue, encore, toute la nuit si possible. Pour une fois qu'il avait la tête vide et le sourire aux lèvres. Qu'il n'était plus triste, seul ou inquiet. Il était comme à quinze ans, il était plein de vie et avait un ami avec qui tenter le diable. Il ne voulait pas que ça s'arrête.


J'espère qu'il vous a plu, il aura mis tellement de temps à arriver celui-là mais ne sont-ils pas adorables ?!

Depuis le temps que j'avais envie d'écrire ce passage. Et je suis frustrée en plus parce que leur soirée EST PAS FINIE ! La suite risque d'être encore plus mignonne. J'ai tout aussi hâte.

Et j'avais plein de trucs à dire sur ce chapitre mais là forcément, j'ai tout oublié. Je viens tout juste de le finir alors j'ai la tête complètement vide.

N'hésitez pas à me dire si vous avez apprécié !

Bon. Pour le prochain, NORMALEMENT il sort le 26/11. En espérant que d'ici là je ne sois ni malade, ni empêchée par une catastrophe naturelle. Ca suffit maintenant.

Et dernière petite précision pour les gens sur ffnet : comme c'est dur de mettre des statuts ou quoi sur ce site, pour être au courant de l'avancée des chapitres, j'ai rouvert un compte insta : arobase lawesculape ! N'hésitez pas à passer.