Pardoooon, je suis très à la bourre. J'avais beaucoup trop de trucs à faire ce weekend !

MAIS techniquement je suis dans les temps, on est toujours dimanche ! Et c'est le retour au présent. On retrouve King et Katakuri qui ne sont pas en pleine forme. Lezgo !


Depuis quelques jours, des pluies torrentielles tombaient sur Totto Land.

Tout le pays était forcé de faire face à des crues soudaines et violentes, en plus des tempêtes successives qui ne faisaient que détruire ce que la famille Charlotte s'évertuait à reconstruire. Tout le monde était épuisé par cette météo exécrable, sauf Katakuri.

Il était sur le pied de guerre et comme toujours, il était d'une efficacité remarquable. D'une part parce qu'il ne voulait surtout pas prendre de retard dans la réparation des dégâts qu'il avait lui même causés sur son île, d'autre part parce qu'il avait désespérément besoin de maintenir son esprit occupé. Et il ne connaissait pas de meilleur moyen que le travail acharné pour ça. Il passait des nuits blanches sur les chantiers et aidait lui même à installer les protections contre les inondations.

Tout était bon pour ne pas se retrouver seul avec ses pensées.

Il y avait des jours que King et lui avaient pris la décision de ne pas concrétiser leur relation mais il était toujours incapable de le digérer. Chaque jour il se tuait à la tâche, volant parfois les responsabilités qui incombaient à ses frères et sœurs, pour ne plus y penser. Mais rien n'y faisait. Il ne se passait pas une seconde sans que leur conversation ne revienne le hanter. Il essayait de se convaincre qu'ils avaient tous les deux agis pour le mieux mais son cœur refusait d'entendre raison.

Il avait l'habitude d'être seul, triste et frustré mais rien de tout ce qu'il avait ressenti auparavant n'était comparable à ce qu'il le dévorait en ce moment. Il avait l'impression d'être en deuil. D'avoir renoncé à quelque chose d'inestimable. Son sentiment d'injustice le rongeait. Et, comme si ça ne suffisait pas, les images des moments passés avec lui lui revenaient en tête à chaque instant. Leurs déjeuners ensemble, leur pari et bien entendu : la nuit de la Tea Party.

Tout ça le hantait.

Il n'était pas sûr que King soit dans le même état que lui, il ne le croisait presque plus dans les couloirs, mais il espérait de toutes ses forces que les choses étaient moins douloureuses pour lui. Ils n'en avaient pas discuté explicitement mais apparemment tous les deux étaient tombés d'accord pour s'éviter. Ça faisait mal, mais c'était mieux comme ça. Katakuri devait se désensibiliser de sa présence. Et tant qu'il travaillerait, alors les choses se passeraient bien. Du moins, il essayait de s'en persuader.

Il avait même laissé tomber son rituel : fini les meriendas, il se contentait de manger sur le pouce entre deux allers et retours entre Whole Cake et Komugi. De toute façon, il ne pouvait plus profiter de la nature à cause de la pluie.

Il n'y avait que Brûlée pour comprendre qu'il se surmenait pour oublier le reste. Et elle en avait assez de l'aider à traverser les miroirs à tout bout de champ sans prendre de pause. Cet après-midi là, elle refusa de le laisser accéder à la baie de Sweet City pour consolider le port et le protéger des vagues.

— Ça suffit maintenant ! Tu ne crois pas que tu as assez cavalé pour aujourd'hui ? Tu m'as appelée une dizaine de fois rien que ce matin !

— Je sais, mais ce n'est pas ma faute, c'est la folie dans tout le pays à cause des crues. Je dois…

— Ne te fiche pas de moi, je te connais. Tu vas faire une pause.

Elle lui saisit le bras et l'entraîna à travers un miroir qui les mena tous les deux dans une toute petite cuisine que Katakuri ne connaissait pas. Il était obligé de garder la tête baissée pour ne pas se cogner au plafond. Au centre de la pièce, une impressionnante pile de pâtisseries trônait sur une table et les attendait tous les deux. Katakuri devina que sa sœur avait certainement préparé ça il y a quelques minutes et avait anticipé son appel. Certains gâteaux étaient encore chauds.

Il voulut renoncer à sa gentille attention pour retourner bosser au plus vite mais l'air inflexible de Brûlée l'en dissuada. Et il ne pouvait pas nier qu'il avait très faim. Il pouvait s'autoriser un goûter. Du moment qu'il ne restait pas seul, ses pensées ne se tourneraient pas vers King ou l'avenir qu'il aurait pu se bâtir avec lui.

Brûlée prit un siège la première et l'invita à en faire de même. Elle avait les traits tirés, elle non plus ne faisait pas de pauses très souvent. Elle bossait comme une dingue depuis la fuite de Chapeau de Paille et Katakuri s'en voulait toujours de lui prendre son temps.

— Tu es sûre que tout va bien Brûlée ? Tu as l'air épuisé.

— J'ai hâte d'en avoir fini avec le nouveau réseau de miroirs. J'ai l'impression que je ne vais jamais en voir le bout.

— Les intempéries te ralentissent beaucoup ?

— Oui ! J'ai à peine fini d'en installer que j'apprends que des bâtiments se sont effondrés dans l'océan ! Mais enfin qu'est-ce qui se passe en ce moment ? On a jamais eu autant de pluie et la mer est déchaînée ! A croire que quelqu'un nous a maudits.

Katakuri ne pouvait pas lui donner tort. D'après ce qu'il avait lu dans la presse, ils n'étaient pas les seuls à subir des phénomènes climatiques sortant de l'ordinaire; la première partie de Grand Line était sens dessus dessous elle aussi. En revanche, il n'y avait aucun article pour expliquer les raisons de ces catastrophes naturelles. Il ne croyait pas à l'hypothèse de la malédiction mais il trouvait que la nature reflétait à merveille son humeur, exactement comme Mama dans ses mauvais jours.

— Et je serais moins fatiguée si tu ne m'appelais pas toutes les cinq minutes pour aller à des endroits où personne n'a besoin de toi, poursuivit Brûlée.

Ses joues rosirent sous l'effet de la culpabilité. Heureusement pour lui, elle était compréhensive.

— Je sais que tu te réfugies dans le boulot mais il va falloir que tu te calmes. On a besoin de toi pour administrer le pays, pas pour porter des trucs lourds. Tu n'es pas obligé de courir partout.

— Quand je reste seul dans mon bureau, je rumine et je broie du noir. J'ai besoin de bouger pour penser à autre chose.

— J'imagine, dit-elle avec compassion. Entraîne toi dans ce cas. Tu as tout un arsenal à portée de main.

— Je ne peux pas.

S'entraîner était toujours efficace pour se défouler mais ça, c'était avant que toucher une arme ne lui rappelle son duel amical avec King. Il n'avait pas mis les pieds sur son terrain de sport depuis des semaines. Et puis, il préférait le laisser libre dans le cas ou King, lui, aurait besoin de s'occuper l'esprit avec des armes.

Brûlée se servit un café, sans le quitter des yeux.

— Ça finira par aller mieux tu sais, dit-elle avec gentillesse.

— S'il te plaît, n'en parlons pas.

Il n'avait pas du tout envie de remuer le couteau dans la plaie et la bienveillance de sa sœur n'aidait pas. Elle avait raison, il n'y avait que le temps pour arranger les choses. En attendant, il ne pouvait rien faire d'autre que fuir la réalité.

Il ferait simplement en sorte de moins faire appel à elle car elle n'avait pas à payer pour son chagrin.

Elle baissa les yeux, regrettant sans doute de ne pas pouvoir l'aider. Elle cherchait à changer de sujet mais il n'écoutait que d'une oreille. Sa mauvaise humeur et sa peine l'empêchait de tenir une conversation normale. Il se contentait de manger comme à son habitude ; pour combler le vide.

/

King n'avait pas quitté sa chambre de toute la matinée.

Il en sortait à peine ces derniers jours. Maintenant qu'il n'avait plus personne avec qui passer du temps et absolument rien à faire, il dépérissait. Mais l'ennui n'était rien à côté du déchirement qu'il ressentait depuis que lui et Katakuri avaient "mis les choses à plat."

Il ne se passait plus une seconde sans qu'il ne regrette pas amèrement d'avoir mis les pieds dans le bureau de Katakuri. Sur le moment, il avait encaissé et en était ressorti triste mais confiant : il finirait par surmonter tout ça. Il s'était trompé sur toute la ligne. Plus les jours passaient et plus il était dévasté. Il ne l'avait pas vu venir.

Il regrettait chacune de ses décisions et plus particulièrement celle qui l'avait conduite à la Tea Party : jamais il n'aurait dû y aller ! Qu'est-ce qui lui avait pris de faire ça ? Boire tout son soûl comme le dernier des crétins et entraîner Katakuri dans sa bêtise ? Il avait perdu tout sens commun ce soir là. Au point de s'infliger la douleur de devoir renoncer à l'ami qu'il s'était fait. Queen avait raison, peut-être bien qu'il aimait la torture…

Et il ne savait toujours pas quoi faire de ses émotions. Il avait toujours été conscient d'être complètement à la ramasse en terme de relations sociales mais il n'avait pas mesuré à quel point. Toutes ces années à fuir toute compagnie en dehors de celle de Kaido l'avait rendu aussi fragile qu'un nourrisson en face des autres. Il était là, à presque cinquante ans, parfaitement désarmé devant des sentiments dont il n'avait jamais fait l'expérience auparavant. Il n'avait pas fini de se sentir pathétique.

Malheureusement, cette fois, la honte ne suffisait pas à verrouiller quoi que ce soit. Son amertume était trop grande. Il n'avait pas seulement renoncé à une idylle, il avait perdu une amitié précieuse aussi vite qu'il l'avait gagnée. Ça, plus que tout le reste, lui brisait le cœur. Quelque part, rien ne l'empêchait de la conserver, puisque lui et Katakuri s'étaient entendus pour ne "rien changer" dans leurs rapports, mais dans les faits…

A quoi bon ?

Qu'est-ce qui leur restait maintenant ? Des sourires gênés et un souvenir de soirée trop arrosée qu'ils préféraient tous les deux effacer de leur mémoire ? Le cap était franchi, c'était trop tard. Et King ne se faisait pas d'illusion sur ce que Katakuri en pensait. Il avait bien compris qu'il ne voulait plus de sa compagnie. Quand ils se rencontraient par hasard dans les couloirs, il accélérait le pas ou se servait de ses facultés de devin pour fuir avant de le saluer. Depuis lors, il n'avaient plus partagé un seul repas ensemble.

Et, même accablé de chagrin et couvert de honte, King devait se rendre à l'évidence : Katakuri lui manquait. Terriblement.

Il avait pris goût à tout ça. Il n'avait pas envie de revenir à ses pensées habituelles ; paranoïaques, pleines de rage et de rancœur. C'était comme si il avait goûté à un fruit défendu, dont le goût légendaire ne l'avait pas déçu. Maintenant il en subissait les conséquences. Faire l'expérience du respect l'avait changé.

Tout ce temps passé avec Katakrui il avait ouvert les yeux sur ce qu'était sa vie : un gouffre de solitude. Sans chaleur, sans confort, sans humour, sans rien. Kaido avait été sa seule lumière dans l'obscurité mais à force de concentrer toute son énergie dessus, il était passé à côté de trop de choses. Mais lui avait on laissé le choix ? Toute sa vie, on n'avait jamais vu en lui qu'un trophée.

Il n'aurait jamais imaginé que Katakuri serait l'exception à la règle.

Il avait envie de se battre pour cette relation mais il n'en avait pas le droit. Il savait que Katakuri avait raison et que ce besoin d'être près de lui n'était qu'un caprice qui passerait avec le temps. C'était normal qu'il ressente ce manque après avoir eu un aperçu des bienfaits de sa présence sur lui. Il en voulait toujours plus. Mais ça devait disparaître.

Il avait beau se le répéter, ça ne changeait rien. Il mourrait d'envie de sortir de sa chambre et de provoquer une rencontre, quitte à faire brûler le château pour forcer Katakuri à rester dans les parages. Évidemment, il ne l'avait pas fait. De toute façon, ça n'aurait servi à rien. Katakuri avait choisi le surmenage comme technique d'esquive. Il allait et venait dans tout le pays pour apporter ses services, quitte à revenir complètement trempé à cause des tempêtes, et il ne fatiguait jamais.

Trois coups frappés à sa porte le tirèrent de ses pensées. Il ne prit même pas la peine de répondre, il savait déjà qui c'était. Pudding n'attendit pas sa réponse et entra dans la pièce, en faisant mine de ne pas voir qu'il était complètement déprimé.

Officiellement, elle n'était pas au courant de ce qui s'était passé entre lui et son frère puisqu'il n'en avait rien dit. Mais il n'y avait pas besoin d'avoir un troisième œil pour comprendre que quelque chose c'était passé entre eux : ils ne se parlaient plus alors qu'il n'y a pas si longtemps, ils étaient collés comme une paire de cerises. Pudding avait donc décidé, comme par enchantement, de lui tenir compagnie dès qu'elle en avait la possibilité.

Il la soupçonnait de l'avoir pris en pitié et de chercher à l'occuper pour lui éviter de se transformer en serpillière.

Il aurait préféré mourir que de l'admettre mais il lui en était reconnaissant, car sa tactique fonctionnait. Elle parvenait à le tenir occupé et à lui faire penser à autre chose. Il ne comprenait toujours pas pourquoi elle le suivait partout, il n'avait rien fait qui justifiait son affection pour lui, mais il appréciait sa présence. Même s'il la trouvait toujours incroyablement agaçante, il avait de la sympathie pour cette gamine. C'était sans doute parce qu'elle était tout aussi inadaptée socialement que lui.

D''après ce qu'il avait observé, elle ne parlait pas à grand monde, même dans sa propre famille, et n'avait aucun ami. Elle avait jeté son dévolu sur lui, l'étranger qui ne pouvait pas voir ou juger ses imperfections et ses fautes. En revanche, il n'était pas persuadé d'être le bon candidat pour l'aider à se sentir bien sa peau. Et la raison pour laquelle elle venait le voir confortait son opinion.

Elle réclamait sa présence pour, soi-disant, la reprise de son travail. Or, son travail était de cuisiner et de tenir un restaurant. Il n'existait pas un domaine dans lequel il était moins compétent que celui-là.

Ce jour-là, elle le traîna en dehors de sa chambre, comme une môme de six ans qui veut à tout prix lui montrer le beau dessin qu'elle a fait, et le conduisit dans la cuisine du palais dans laquelle elle passait ses journées. Elle était couverte de farine et son tablier tâché de diverses substances colorées témoignait du temps qu'elle avait passé aux fourneaux. D'après ce qu'il avait compris, elle travaillait sur de nouvelles recettes pour la réouverture de son établissement et il lui servait de premier critique culinaire avant leur mise sur le marché.

Il lui avait répété des dizaines et des dizaines de fois qu'elle aurait mieux fait de demander son avis à quelqu'un doté d'un palais moins rustre que le sien — c'était comme ça que Katakuri l'avait qualifié. Mais elle n'en démordait pas.

— Justement ! C'est parce que tu n'y connais rien que je te demande. Si j'arrive à te faire tomber de ta chaise grâce à mes recettes, c'est que je suis sur la bonne voie !

— Il y a peu de chances que ça se produise tu sais.

— Je relève le défi !

Ça ne servait à rien de lui dire non, elle ne lui laissait pas le choix. Alors il faisait de son mieux pour déguster tout ce qu'elle lui proposait — et là encore, il la soupçonnait d'utiliser sa maîtrise du chocolat pour lui remonter le moral.

— Qu'est-ce que tu essayes d'accomplir au juste ? Demanda-t-il en avalant un beignet qui était infiniment trop petit — et trop bon — pour lui. Il est très bon ton chocolat, et tu le sais. Tu n'as pas besoin de me l'entendre dire.

— Il est bon mais il n'a pas l'effet que je voudrais.

— C'est à dire ?

Il ne voyait pas bien quel effet elle cherchait à obtenir. Une friandise servait à s'offrir un petit plaisir ponctuel, ce n'était pas la peine de chercher plus loin. Pourtant elle ressemblait à un peintre en phase de création.

— Si les gens viennent au restaurant, c'est pour bien manger ou pour le plaisir de sortir entre amis. Je peux leur donner ce qu'ils attendent mais… Il manque quelque chose. Je me suis toujours basée sur ce que faisait ma sœur mais maintenant j'aimerai trouver mon truc.

— Ben… Change d'ingrédients ?

Elle lui décocha un regard consterné auquel il répondit par un soupir.

— Je t'avais dit que je te servais à rien.

— Je te demande pas des conseils de cuisine, je veux que tu me dises si à un moment donné, ce que tu goûtes te fait penser : "Oh ! Je n'avais jamais mangé un chocolat comme ça !" mais dans le bon sens du terme.

Il esquissa un petit sourire triste. Chaque recette qu'elle lui faisait goûter était plus délicieuse que la précédente et il n'avait aucune idée des compétences réelles de Pudding puisqu'il n'avait jamais mangé quoi que ce soit de chocolaté avant d'être emprisonné sur Totto Land. C'est à peine s'il prenait plaisir à manger avant d'avoir rencontré ces gens.

Et, automatiquement, il se remit à penser à Katakuri et à son enthousiasme effréné pendant les repas. Comme sa cadette — et probablement tout le reste de la famille — il adorait manger et parler de ce qu'il aimait manger. King en avait appris énormément en partageant ses pauses déjeuners et il n'avait jamais autant apprécié ce moment de la journée. Les efforts de Pudding semblaient bien pâles en comparaison.

La frustration lui revint dans la face comme un boomerang.

Il comprenait que Katakuri préfère prendre ses distances avec lui mais la brutalité de la rupture était un supplice. Si au moins il lui avait donné le temps de s'habituer à le voir moins souvent…

/

Katakuri avait promis à Brûlée de moins la solliciter et il comptait bien tenir sa parole. Mais comme il le redoutait, tant qu'il restait enfermé dans son bureau : il gambergeait. Il avait énormément de paperasse en retard et largement de quoi occuper son esprit mais rien n'y faisait. Il était incapable de se concentrer.

Il avait aperçu King avec Pudding avant de venir ici et rien que ça, ça lui brisait le cœur. Il mourrait de curiosité : qu'est-ce que Pudding faisait avec lui ? De quoi est-ce qu'ils parlaient tous les deux ? Elle avait de la chance de pouvoir passer du temps avec lui alors qu'il devait lutter pour ne pas aller lui parler. Ce n'était pas qu'il n'en avait pas envie, loin de là, mais il devait résister. Il devait être plus fort que ça.

En revanche, il se savait incapable de lui demander de quitter la pièce si jamais il venait lui rendre visite et c'était ce qui était en train de se produire. Comme toujours, King avait permis à la porte sentiente d'annoncer sa venue et laissait à Katakuri le temps de se préparer psychologiquement à l'accueillir. Il mit plusieurs minutes avant d'accepter de le faire entrer. Il ne savait pas s'il était prêt à lui faire face, comme si de rien était. Il se demandait même comment lui faisait pour oser venir le voir. Et ce qu'il pouvait bien avoir à lui dire de plus.

Il prit une grande inspiration et fit de son mieux pour avoir l'air normal et serein avant qu'il entre. C'était peine perdue : il était tremblant et aussi rougissant qu'à l'accoutumée.

King entra timidement dans la pièce ; contrairement à d'habitude, il accorda énormément d'attention à la façon dont il devait refermer la porte. Il ne voulait pas faire de bruit ou abîmer le loquet. Ou alors il gagnait du temps avant de regarder Katakuri dans les yeux.

Quelque part, c'était rassurant de constater qu'il était extrêmement mal à l'aise lui aussi, mais ça ne l'aidait pas à se sentir mieux. Au contraire, l'attente était insoutenable. Et dire qu'il n'y a pas si longtemps, tout ça lui avait semblé si naturel...

King avait l'air de regretter son choix. Une fois dans la pièce, il n'osa même pas faire un pas vers lui. Il lui jeta un regard craintif pour s'assurer que sa présence n'était pas indésirable et qu'il avait bel et bien le droit de rester. Katakuri aurait voulu exprimer quelque chose de positif en réponse mais il ne pouvait rien faire d'autre qu'afficher un air pincé et embarrassé.

Car il n'y avait pas que King qui était entré dans la pièce, il y avait tout le cortège qui allait avec : sa beauté spectaculaire, son parfum, son aura et le désir insurmontable de le toucher qui s'emparait de Katakuri quand il le regardait. Leur éloignement n'avait pas arrangé les choses, loin de là, il était gêné mais ravi de le voir. S'il n'avait pas été un adulte responsable — et s'il n'avait pas eu peur de la réaction de King — il aurait tout envoyé bouler pour écouter ses pulsions et revenir sur sa décision de ne pas aller plus loin.

Il l'invita à s'approcher d'un petit signe de tête, tout en se donnant l'air d'être absorbé par son travail. Il ne voulait pas paraître impoli mais il ne voulait pas lui donner de faux espoirs non plus ; il n'avait pas changé d'avis sur leur relation. Il ne devait rien encourager. Même s'il l'envie ne manquait pas.

King fit un pas en direction de son bureau et Katakuri comprit immédiatement qu'il ne nourrissait pas le moindre espoir de quoi que ce soit. Sa mélancolie était visible. Il était toujours aussi beau et impeccable mais son teint était terne et ses yeux habituellement perçants semblaient éteints. Il n'avait sûrement pas dormi depuis un moment mais Katakuri connaissait son air fatigué et ça, c'était autre chose.

Finalement, ils étaient aussi mal l'un que l'autre. Et ça n'avait rien de réconfortant.

— Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? Demanda-t-il, pour crever l'abcès.

King sursauta presque. Il avait l'air étonné qu'il lui adresse la parole sur ce ton. Peut-être qu'il avait été trop sec et il s'en voulait déjà. Ne plus être proche de lui était une chose, être désagréable en était une autre. La dernière chose qu'il voulait était lui faire croire qu'il ne l'estimait plus.

King haussa vaguement les épaules, comme s'il se trouvait là par hasard.

— Je me demandais si tu n'avais pas un boulot à me faire faire. N'importe quoi, je m'en fous. Juste de quoi m'occuper. Je tourne en rond.

Les yeux de Katakuri se fixèrent machinalement sur les menottes qu'il portait aux poignets. Il lui avait promis de l'en délivrer dès que leurs capitaines referaient surface. En attendant, il était toujours tenu en laisse. King n'avait pas l'air de s'en offusquer plus que ça. Il affichait un air las mais il ne réclamait pas sa liberté. Il attendait patiemment qu'on les lui enlève.

Cette image aussi lui causait énormément de peine. Il aurait pu exploser de rage et tout faire brûler sur son passage pour lui arracher les clés par la force. Il n'en avait rien fait. Probablement par respect. Son sens de l'honneur n'était pas différent de celui de Katakuri.

— Malheureusement, je n'ai pas grand chose à te confier, avoua-t-il.

— Tu as l'air débordé pourtant.

— J'en fais un peu trop. J'ai besoin de m'occuper aussi.

— Et de m'éviter.

Il aurait pu lui planter un poignard dans le cœur, le résultat aurait été le même. Mais il avait raison.

— Je ne voulais pas te blesser.

— Je sais. Je ne suis pas là pour me plaindre, j'ai vraiment besoin d'avoir quelque chose à faire.

— Pourtant, j'ai vu que tu passais du temps avec Pudding ?

— Oui, mais si ça continue comme ça, j'ai peur qu'elle ne fasse de moi sa poupée personnelle avec qui elle et ses copines imaginaires boivent le thé. Et je tiens au peu de dignité qu'il me reste.

L'image de King en train de boire dans tasse, le petit doigt en l'air, en compagnie de sa petite sœur se matérialisa dans son esprit et il laissa échapper un petit rire amusé. King parut soulagé de l'avoir fait rire et d'avoir réussi à détendre un peu l'atmosphère. Il se décrispa légèrement mais la douleur qu'ils ressentaient tout les deux étaient presque palpable. Il ne leur restait que la possibilité d'échanger des blagues alors qu'ils pourraient avoir tellement plus.

L'escargophone de Katakuri sonna et mit un terme à ses hurlements intérieurs. Avec un peu de chance, on allait lui apprendre une catastrophe qui pourrait les occuper tous les deux pendant des semaines.

— Excuse moi, dit-il en décrochant. Ici Katakuri.

— Général, on nous signale la présence de navires en approche du port de Sweet City.

— Alliés ou ennemis ?

— C'est le Général Cracker qui est de retour monsieur !

— Déjà ?

Il ne s'attendait pas du tout à ça.

Il était aussi étonné que soulagé d'entendre la nouvelle. Le retour de Cracker ne signifiait qu'une seule chose : il allait enfin avoir des réponses concrètes sur ce qui était arrivé à sa mère. Du moins, il l'espérait. Il revenait beaucoup plus tôt que ce qu'il avait imaginé. Et il n'avait pas appelé depuis des jours. Brûlée non plus n'avait pas réussi à joindre les miroirs de leurs navires lorsqu'elle avait essayé et ils avaient tous craint le pire. Il y avait quelque chose de bizarre. S'il était en chemin pour rentrer, il aurait pu le prévenir en personne. Pourquoi apprenait-il son retour grâce aux alertes côtières ?

En face de lui, King avait décroisé les bras et fixait l'escargophone avec intensité. Cette nouvelle était toute aussi importante pour lui.

— Merci de m'en avoir informé, je vais l'appeler.

Katakuri raccrocha, conscient du regard fébrile que King portait sur lui.

— Tu crois que c'est un canular ?

— Non, mais je suis étonné qu'il ne m'ait pas prévenu lui-même qu'il était dans les parages. Pour une mission aussi importante… Il aurait dû chercher à me joindre avant.

Et il était impossible que ce soit un oubli. Soit son frère avait été défait par un ennemi qui se servait de sa flotte comme un moyen d'entrer dans le pays, soit il y avait un gros problème. Dans les deux cas, il fallait se tenir prêt.

Lui et King se concertèrent en silence, tous les deux conscients de ce que signifiait cette situation pour eux. Katakuri se dépêcha d'appeler Cracker sur son escargophone personnel, en priant pour tomber sur lui en bonne santé.

Il prit l'appel après une seule sonnerie. Visiblement, il s'attendait à ce qu'on cherche à le joindre. Peut-être avait-il tout simplement eu un ennui mécanique.

— C'est moi, déclara Katakuri. On m'a dit que tu approchais de Whole Cake Island…

— C'est vrai, confirma la voix de Cracker. J'accosterai d'ici une demie heure. J'ai trouvé le Chanter.

Ca, c'était une excellente nouvelle.

— Et tout le monde va bien ?

— Smoothie et les autres sont à bord, répondit-il, un peu laconiquement.

Katakuri sentit le poids de ses épaules s'alléger de façon spectaculaire. Et il se promit d'appeler Oven tout de suite après pour le mettre au courant. Ils allaient tous les deux revoir leur frère en bonne santé et ça aussi, c'était une excellente nouvelle. Malgré ça, il avait un pressentiment. Ni un bon, ni un mauvais, juste un pressentiment qu'il y avait quelque chose d'anormal.

— Je sais que j'aurais dû appeler avant, se justifia Cracker comme s'il avait lu dans ses pensées. Mais je ne voulais pas raconter ce que j'ai appris par escargophone.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Je… Je te le dirais en arrivant.

— Tu es sûr ?

— Oui.

Il allait lui demander ce qu'il advenait de Mama mais Cracker lui raccrocha au nez avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit. Connaissant le caractère nerveux de son cadet, Katakuri ne savait pas s'il devait s'attendre à une catastrophe ou à une simple bourde dont il n'était pas fier.

En attendant, ses frères et sœurs revenaient enfin à la maison après tout ce temps. Retrouver Smoothie allaient leur fournir une aide précieuse. Elle était aussi bonne meneuse d'homme que lui. Et il était rassuré de savoir que Daifuku était de retour. Il devait absolument prévenir les autres.

— Tu vas aller l'accueillir ?

Il avait réussi à oublier que King était là pendant une seconde.

— Oui, juste le temps de prévenir tout le monde.

— Je peux venir ?

Il accepta avec plaisir.

L'horizon s'éclaircissait enfin pour King. Il y avait des semaines qu'il n'avait plus la moindre nouvelle de son capitaine et l'équipage du Chanter était sa meilleure chance d'en avoir. Il n'allait sûrement pas le priver du droit d'être aux premières loges.

/

Le coeur de King battait si fort qu'il se demandait s'il n'allait pas tomber dans les pommes. Il était déjà stressé par le maigre échange qu'il avait eu avec Katakuri et le malaise qui régnait entre eux, mais la perspective d'avoir enfin des nouvelles de Kaido avait aggravé les choses. Il n'était pas soulagé, ni rassuré, il était mort de trouille.

Il ne savait pas s'il serait capable de le regarder face après s'être prélassé pendant des semaines sur le territoire de Big Mom. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer à Wano pendant que lui coulait des jours paisibles chez la concurrence ? Il pouvait toujours prétendre que ce n'était pas sa faute, qu'il avait des menottes explosives aux poignets et un geôlier impitoyable, son corps ne mentait pas. Malgré sa fatigue et son aile convalescente, il était mieux qu'il n'avait jamais été. Il avait rattrapé des dizaines d'heures de sommeil et il avait pris du poids. Lui qui se contentait toujours d'avaler un repas rapide avant de retourner bosser, Katakuri lui avait fait découvrir le plaisir que ça pouvait être de manger.

Il avait l'air de tout sauf d'avoir été captif.

Et par dessus cette inquiétude venait se greffer celle de Katakuri. Apparemment, le retour de son frère n'était pas une bonne nouvelle. Il prétendait le contraire mais King n'avait pas rêvé : son appel tardif et sa voix hésitante au bout du fil lui avait mis la puce à l'oreille : il y avait un problème. Et si l'équipage de Big Mom avait un problème, lui aussi en avait un.

Ils avaient perdu un peu de temps quand Katakuri avait appelé Oven pour lui expliquer la situation et lui demander de passer le message. Car la joie d'apprendre que leur autre frère revenait enfin au bercail l'avait poussé à poser mille questions. King aurait été curieux de le rencontrer si la nervosité n'avait pas commencé à le bouffer de l'intérieur. Il ne voulait par perdre plus de temps et savoir ce que cachait cette arrivée furtive. Brûlée les avait conduit tous les deux sur le quai et les avait accompagnés, sans prêter attention au fait qu'ils marchaient de nouveau côte à côte. Le malaise s'était envolé car King, comme Katakuri, n'avait plus qu'une chose en tête : connaître la suite. Peut-être qu'il allait repartir ce soir même. Ça lui faisait tout drôle, maintenant qu'il était vraiment proche de la fin de son séjour, il n'arrivait pas à l'envisager. Il était plus réticent à le faire que ce qu'il avait imaginé.

Et il pensait trop vite ! Rien ne garantissait qu'il allait vraiment avoir des nouvelles. De plus, il n'était pas impossible que cet équipage ne soit pas ravi de le revoir après leur tout premier échange à Wano.

Il sentait que Katakuri lui jetait des petits coups d'œil discrets sur le trajet. Il savait à quel point il se faisait du soucis pour son capitaine et devait avoir envie de lui en parler. Mais il gardait ses distances, peut-être pour ne pas s'imposer, peut-être pour ne pas rompre leur accord.

Une fois arrivés à destination, King ne fut pas surpris de trouver une foule conséquente sur le quai. Toute la famille Charlotte avait fait le déplacement. King en reconnaissait la plupart — parmi eux, les jeunes qui lui avaient couru après dans les couloirs le lendemain de son réveil et qui continuaient de le regarder en gloussant. Il avait passé tant de temps avec Katakuri et était passé tant de fois devant le portrait familial du palais, qu'il était capable de savoir qui était qui. Mais il continuait d'être épaté de voir à quel point ils étaient nombreux.

Katakuri salua les quelques personnes qui se trouvaient sur son passage et répondit aux vingt mêmes questions en traversant la foule pour rejoindre Oven. Pudding était à quelques mètres de là, Brûlée aussi, et tous avaient l'air très content du retour du navire. King aurait voulu rester avec Katakuri mais il y avait trop de monde autour de lui et il se sentait à part. Il ne faisait pas parti de cette famille et il n'avait aucune envie de partager leur liesse. Il était trop inquiet.

Il s'éloigna un peu, pour se tenir loin des réjouissances et des regroupements. Il voulait savoir ce qu'il se passait mais il ne voulait pas avoir l'air parfaitement intégré. Katakuri le regarda s'éloigner et l'interrogea du regard. King lui fit signe de ne plus se préoccuper de lui et il sembla plus que ravi de s'exécuter. Il avait beaucoup de choses à penser et s'il pouvait compter sur King pour être discret dans un moment aussi important, c'était tant mieux.

Pendant une seconde, il se vexa de ne pas être le centre de son monde puis son esprit se focalisa de nouveau sur l'essentiel : le retour de cet équipage allait sceller son destin. Il devait rester attentif. Au lieu de prêter attention à un homme qui lui avait fait comprendre qu'il n'y aurait rien de possible entre eux tant que leur situation n'aurait pas été clarifiée.

/

Katakuri avait du mal à se sentir aussi détendu et soulagé que le reste de la fratrie.

Tous avaient l'air heureux de revoir la famille. En particulier celles et ceux qui avaient un jumeau à bord. Oven le premier. Katakuri avait du mal à marcher jusqu'au quai parce que le poids de son frère, qui avait passé un bras autour de ses épaules, le ralentissait.

— Il faut qu'on fasse une grosse fête pour les accueillir ! J'ai l'impression que ça fait un an que je n'ai pas vu Daifuku, et on en a des trucs à leur raconter ! Attends de voir sa tête quand je vais lui dire que tu t'es bourré la gueule et que tu as détruit des immeubles. Il va adorer.

— Oven, lâche-moi s'il te plaît. Je crois qu'il y a eu un problème pendant le voyage, ne te réjouis pas trop vite.

— Oh c'est sûr il y en a eu, dit-il en haussant les épaules. Mais tant qu'ils reviennent, moi ça me va !

Katakuri était intimement persuadé que quelque chose d'incroyable était sur le point de se passer. Il était trop angoissé pour voir l'avenir et obtenir des réponses à ses questions mais c'était ce que son instinct lui hurlait.

C'était pour cette raison qu'il surveillait King du coin de l'œil. Il s'était éloigné de la foule et observait le quai, les mains croisées sur la poitrine et le visage fermé. Il le connaissait assez pour savoir qu'il était mort d'inquiétude. Bien plus que lui. Il avait du mal à croire qu'il puisse faire quoi que ce soit d'idiot mais pour le moment, il était le seul élément capable de déclencher un incident. Katakuri se rassurait en se disant que si il avait pris la peine de se mettre en retrait de lui-même, c'était qu'il était conscient de ce que sa présence pouvait causer.

Il y avait également une part de lui qui était moins raisonnable et qui espérait seulement pouvoir lui apprendre une bonne nouvelle. Ou mieux, apprendre une bonne nouvelle pour eux deux. Mais rien n'était moins sûr.

Le bateau de Cracker n'était plus très loin et derrière lui, le Queen Mama Chanter suivait. La proue du navire, un homie d'ordinaire enjoué et malicieux, ne disait pas un mot. Son expression était neutre et donnait au vaisseau un air hanté et angoissant.

Ce n'était pas normal.

Il n'avait pourtant subi aucun dommage mais le pressentiment de Katakuri ne faisait qu'amplifier.

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King trépignait d'impatience. Il était tenté de s'envoler directement sur le navire pour secouer le petit frère de Katakuri et lui arracher la vérité, qu'enfin il lui dise où était Kaido.

Il ne tenait bon que parce qu'il ne voulait pas forcer Katakuri à le stopper.

Il était d'autant plus nerveux que tout le monde autour de lui piaillait d'enthousiasme. Evidemment, ils avaient des raisons de se réjouir ; ils allaient enfin revoir les membres de leur famille pour lesquels ils s'étaient tant inquiétés. Il aurait adoré être dans le même état. Mais il ne faisait confiance qu'à Katakuri, et lui, il ne souriait pas du tout. Ce bateau immense que King avait jeté dans l'Océan il y a des semaines était plein de promesses, pourtant il n'avait que peu d'espoir d'obtenir ce qu'il voulait. Plus les minutes passaient, plus il se sentait mal.

Le navire accosta et de là où il était, il pouvait voir les passagers descendre à terre. Il reconnut Cracker et d'autres visages qu'il avait eu l'occasion d'apercevoir avant de chasser Big Mom de Wano. Mais tout fut bientôt flouté par une marée humaine qui fonçait vers les nouveaux arrivants pour les applaudir et les noyer sous les sifflements et les bravos, comme un stade devant une équipe sportive. Ils étaient accueillis en héros mais King avait eu le temps de voir que leurs mines étaient sombres et préoccupées. Il s'approcha un peu pour écouter ce qui se disait, sa haute stature lui permit de fendre la foule sans trop de problème.

Katakuri, Oven et leur sœur aînée étaient au premières loges. Oven fut le premier à se jeter sur son petit frère et à le gratifier d'une grande claque dans le dos. A sa suite, il y avait une femme aux cheveux blancs tout aussi grande que ses grands frères — King se souvenait l'avoir vue — et un homme au crâne rasé, bâti comme une armoire à glace. A la façon dont Oven se jeta sur lui pour le serrer dans ses bras, King devina qu'il devait s'agir du troisième frère. Il ressemblait encore moins à Katakuri que le second.

Katakuri s'approcha de lui à son tour et King comprit à sa gestuelle qu'il était réellement soulagé de le voir en un seul morceau.

Il se sentait de trop devant cette petite réunion.

Il eut soudain le sentiment qu'il n'était pas à sa place ici, qu'il ne le serait peut-être jamais. Il n'avait aucune raison d'être là, Katakuri se remettrait très bien de son départ tant qu'il avait une famille autour de lui pour le réconforter. Lui n'avait qu'une personne à qui s'accrocher et il désespérait d'avoir de ses nouvelles. Il s'approcha encore plus, pour être sûr de ne pas perdre une miette de ce qui se dirait.

/

Tout le monde débarquait et se dépêchait d'aller retrouver les siens. Mont d'Or, Galette et Flambée passèrent devant Katakuri sans trop lui prêter attention. Il y a encore quelques semaines, il aurait attribué leur froideur à la révélation de son visage, mais maintenant qu'il les voyait de plus près, il savait que leur mine livide n'avait rien à voir avec lui. Plus inquiétant encore, Cracker, Smoothie et Daifuku, les vétérans de l'équipage, semblaient être les plus dévastés.

Katakuri était de plus en plus inquiet. Daifuku n'était pas du genre émotif pourtant on pouvait voir à son expression peinée qu'il était porteur de mauvaise nouvelle, ça ne faisait aucun doute. Oven s'en aperçut aussi en voyant que leur frère ne partageait pas leur joie de les revoir. Il était temps d'avoir des réponses et vite. Katakuri se pencha sur Cracker et lui posa la question discrètement, tant que l'attention n'était pas trop sur lui.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Cracker ouvrit la bouche mais fut incapable de répondre. Il semblait trop choqué pour dire quoi que ce soit. De toute évidence, il avait réfléchi à ce qu'il allait dire mais maintenant qu'il avait son frère en face de lui, il ne pouvait plus articuler un seul mot. Il se tourna vers Smoothie, dans l'espoir qu'elle l'aide un peu mais elle était encore plus silencieuse que lui. Elle qui était d'habitude si fière et sûre d'elle, elle avait la tête basse et les yeux fatigués. Son sentiment de culpabilité était manifeste. Katakuri fit un pas vers elle et lui posa une main apaisante sur l'épaule, dans l'espoir de lui arracher un mot, n'importe quoi. Elle leva brièvement les yeux vers lui — et fut brièvement déconcertée par sa bouche — puis elle tenta d'expliquer ce qui la mettait dans cet état. Mais, comme leur petit frère, elle abandonna avant même d'émettre le moindre son.

Oven, déconcerté par leur détresse mais toujours jovial, mit les pieds dans le plat.

— Qu'est-ce qui vous arrive tous les deux ?

Katakuri le devança en posant la question fatidique.

— Où est Mama ?

En la posant, il eut sa réponse. Ils avaient les yeux humides et l'air perdu. Il ne pouvait y avoir qu'une seule explication à ça. Ça expliquait pourquoi Cracker ne l'avait pas appelé et pourquoi il n'avait pas réussi à lui dire la nouvelle. Mais il n'osait pas y croire. C'était impossible. Pourtant, il le savait.

Elle était morte.

— Comment… ? Demanda-t-il, par réflexe, mais toujours sans y croire.

En réponse, Smoothie se passa une main sur le visage, dans l'espoir de défroisser son ses traits tirés, mais il était clair qu'elle était au bord des larmes. Cracker baissa la tête d'un air coupable, comme s'il était personnellement responsable de ce désastre. Oven sentit l'atmosphère changer mais il ne comprenait toujours pas ce qui avait bien pu les mettre dans cet état et ce que Katakuri avait découvert. Il se tourna vers Daifuku, en quête d'explication.

— Quelqu'un peut me dire ce qu'il se passe ? Dit-il avec un petit rire nerveux.

Daifuku, qui semblait moins bouleversé que les deux autres, fut le premier à répondre. Mais il n'avait pas moins de mal à leur annoncer la nouvelle. Après avoir prit une grande inspiration, il déclara :

— Les journaux ont dit la vérité.

Son ton était triste et désolée mais assez ferme pour parvenir au reste de la famille qui attendait sur les quais. Le brouhaha joyeux des retrouvailles s'atténua soudain pour prêter attention à ce qui venait d'être dit.

Katakuri fixa Daifuku droit dans les yeux pour être sûr d'avoir parfaitement compris ce qu'il disait. Il ne cilla pas, il avait l'air épuisé et abattu mais il n'y avait pas de mensonges ni dans ses propos, ni dans son regard. Il s'avança vers le reste de la famille, conscient que la responsabilité d'annoncer la nouvelle le reposait maintenant sur ses épaules.

Katakuri ne pouvait plus bouger. Le choc l'avait assommé. Il avait besoin de digérer l'information pour prendre conscience de sa réalité. La voix de Daifuku lui paraissait lointaine, pourtant elle était nette et ferme.

— Écoutez moi, lança-t-il à ses frères et sœurs. Notre voyage à Wano ne s'est pas passé comme nous l'avions espéré. Je ne sais pas comment vous le dire mais…

Un silence de mort s'en suivi. Katakuri se répéta ses mots avant même qu'il ne les prononce.

Mama est morte.

— Mama est morte. Perospero aussi.

Smoothie craqua et enfouit son visage dans ses mains. Cracker renifla bruyamment, incapable de regarder qui que ce soit dans les yeux. Dans la foule, d'autres avaient fait passer le mot après avoir débarqué et tout le monde réalisait peu à peu qu'il ne s'agissait pas d'une mauvaise blague. Leur mère n'était pas à bord du navire, ni à bord d'aucun autre. Elle ne reviendrait plus jamais. Elle avait perdu la vie à Wano et plus rien ne la ramènerait. Katakuri sentit son cœur tomber dans sa poitrine en entendant le nom de Perospero. Il avait trouvé étrange qu'il ne soit pas dans les premiers à descendre du bateau pour leur annoncer la nouvelle, tout s'expliquait. Il avait du mal à y croire.

Il y avait toujours eu une rivalité entre eux et leurs relations étaient tendues mais il aurait tout donné pour que Daifuku revienne sur ses paroles et annonce qu'il s'était trompé. Mais il savait que c'était la vérité. Son grand frère était mort.

Ainsi que sa mère.

L'increvable Linlin était morte.

Oven, tout à coup conscient de ce qui se passait, attrapa Daifuku par le col.

— Arrête tes conneries ! Elle peut pas être morte !

Daifuku le força à lâcher d'un seul regard. Il détestait être le porteur de mauvaise nouvelle, mais il n'avait plus le choix.

— C'est la vérité, trancha-t-il. Kid et Law l'ont tuée. Nous sommes arrivés trop tard pour la sauver, la bataille était déjà terminée. On a pu… ramener le corps de Perospero, expliqua-t-il, dévasté par ses propres explications. Mais pour Mama, nous n'avons rien pu faire.

— Comment ? Redemanda Katakuri, l'esprit toujours un peu engourdi par cette nouvelle.

Daifuku soupira. Tous les regards étaient tournés vers lui mais il n'avait que peu d'explications à fournir.

— Elle et Kaido ont fini sous l'océan, dans le cratère d'un volcan. Nous ne pourrons jamais les récupérer. C'est fini.

Un nouveau silence se prolongea puis enfin, les pleurs éclatèrent. La nouvelle était encore pire que tout ce que les Charlotte auraient pu imaginer. C'était si inconcevable, si impossible que Mama disparaisse … ! Aucun d'entre eux n'aurait jamais cru avoir à supporter un choc pareil. Katakuri observa tous ses visages familiers et bien aimés, noyés sous les larmes et l'horreur de cette perte. Oven avait pâli et ses yeux s'humidifiaient à chaque fois qu'il clignait, bientôt il s'effondrerait. Brûlée pleurait à chaude larmes dans les bras de sa sœur jumelle, Pudding aussi sanglotait en regardant le sol, tous et toutes étaient soudain submergés par le désespoir et la douleur d'avoir perdu leur maman.

Il était le seul à ne pas verser la moindre larme.

/

King ne bougeait plus.

Son cerveau ne fonctionnait plus. Il avait entendu et il était sûr d'avoir compris, mais tout en lui rejetait l'information. Il ne pouvait pas l'accepter tout en étant parfaitement certain que c'était la vérité. Il venait d'entendre la pire des hypothèses qu'il avait envisagées et il était paralysé. De rage, de terreur pure, de chagrin, tout ça à la fois ? Il s'en savait rien, à part qu'aucun retour en arrière n'était possible et qu'il n'y avait plus rien à faire.

La tête lui tournait subitement. Il n'était pas loin du malaise, il tituba mollement et fit un pas en arrière, complètement hagard. Il se répéta ce qu'il avait entendu, à la recherche d'une faille, n'importe quoi qui aurait pu le rassurer ; peut-être qu'il y avait une expression maladroite là-dessous et qu'il avait compris de travers ? Peut-être que Kaido l'attendait encore là-bas, sous les décombres, et qu'il était bien vivant ? Mais non, il avait conscience de son déni. Cette fois, il n'y avait plus d'excuses pour le soulager, il était face à la vérité toute nue.

Son capitaine était tombé, mort depuis des jours et désormais remplacé par un nouvel empereur. Bientôt il serait oublié, comme s'il n'avait jamais existé. Il avait disparu. Et le seul refuge de King avec. Toutes ces années passées sous son étendard semblaient avoir été soufflées. Il n'avait plus rien, à part des hurlements et des pleurs tout autour de lui.

Il était incapable de l'encaisser. Son corps faisait de son mieux pour le garder debout sur ses pieds. Il aurait voulu fuir, s'envoler le plus haut possible, faire n'importe quoi pour se tenir loin de la douleur qui commençait à lui lacérer le cœur et le déchiqueter de l'intérieur. Il ne le pouvait pas. Il restait immobile, les yeux fixes sur un point invisible. Il n'y avait pas de réaction à avoir, pas de propos à tenir, rien. Il ne savait pas comment affronter la nouvelle, tout ce qui lui semblait bon lui était impossible. Son corps se chargeaient de le tenir debout mais le reste ne répondait plus. Ses sens fonctionnaient, mais lui n'était plus là. Il était coincé avec les images de sa vie qui défilaient devant ses yeux…

Les conversations lui parvenaient, sans qu'il en saisisse le sens. Les voix de Katakuri et de son frère se faisaient entendre, il n'y trouvait ni réconfort, ni information utile.

Tout ce que son cerveau parvint à enregistrer, comme si ça avait le moindre intérêt, était la voix d'une femme. Plus forte que celle des autres, elle hurla un "Toi !" enragé et se tut aussitôt. Il comprenait la rage sans la partager, alors il l'ignora.

Quelques secondes plus tard, un poing s'abattit avec violence contre son visage. Trop hébété pour réagir, le coup le précipita au sol avec violence et une douleur vive, plus concrète, lui rendit quelque peu ses esprits. Une des sœurs de Katakuri l'avait frappé de toutes ses forces et elle le toisait maintenant de toute sa hauteur. La haine sur son visage était si intense qu'elle aurait pu le mettre en pièce par la simple force de sa pensée.

Il n'y voyait aucun inconvénient. Il estimait mériter cette correction. Si elle avait les moyens de le tuer, elle devait le faire.

Et elle en avait l'intention.

— Si tu n'avais pas été là, rien de tout ça ne serait arrivé !

Elle lui colla un nouveau coup de pied dans la poitrine. Il ne fit rien pour parer et encaissa le coup sans résistance. Il s'attendait à en prendre un autre mais une ombre plus grande encore s'interposa entre lui et la femme, pour le protéger de sa fureur.

— Arrête, gronda Katakuri avec toute l'autorité dont il était capable.

Elle explosa.

— Qu'est-ce qu'il fait ici ?! Il devrait être dans une cage ! Vous auriez dû planter sa tête sur une pique depuis longtemps ! Il n'a rien à faire en liberté ! Laisse moi l'achever tout de suite, tout est de sa faute !

— Recule, grogna à nouveau Katakuri, sans élever la voix.

— Donne moi une explication ! Ordonna-t-elle.

— Quand tu m'auras dit pourquoi tu l'as fait venir ici.

Cette réplique lui cloua le bec. Elle ne répondit rien. King ne les regardait pas, il se fichait de ce qui lui arrivait. Il se répétait encore ce qu'il venait d'apprendre. Il essayait d'enregistrer l'information et de la disséquer pour détecter l'ombre d'un mensonge quelque part. Mais il n'y avait rien, Kaido était mort. Loin de lui, seul. Il avait laissé faire. Son capitaine était mort et sa vie avec. Plus rien n'avait d'importance pour lui.

/

Katakuri repoussa fermement Smoothie. Il était dans une colère noire mais il faisait de son mieux pour faire bonne figure. Ce n'était pas le moment de laisser parler ses émotions. Il était inquiet pour King mais il ne pouvait pas se permettre de s'occuper de lui avant d'avoir calmé ses frères et sœurs.

Smoothie s'était dégonflée comme un ballon de baudruche. Sa colère lui avait fait oublier que c'était elle qui avait envoyé King sur Totto Land. A présent, elle ne disait plus rien et se perdait à nouveau dans son chagrin. Les autres, qui n'étaient pas encore habitués à la présence de King, le dévisageaient et s'interrogeaient sur cette soudaine attitude protectrice : jamais Katakuri n'avait prit le parti d'un étranger plutôt que celui d'un membre de la famille.

Puisqu'il était sans doute le chef pour de vrai à présent, il avait des responsabilités à prendre et une autorité à prouver.

— Personne ne se battra maintenant, déclara-t-il. Ce n'est pas le moment. On vient d'apprendre la plus terrible des nouvelles.

Tous baissèrent la tête et sanglotèrent, d'accord avec ce point.

— On a besoin de temps. Tous. Les explications, ce sera pour plus tard, dit-il en jetant un coup d'oeil à Smoothie, puis à Cracker. Vous pourrez faire votre rapport demain, en attendant… On a un frère à enterrer. Rentrez, retrouvez vos proches. Prenez le temps de pleurer, le reste du monde attendra.

Il avait du mal à croire ses propres mots, il n'avait aucune envie de pleurer. Il consola celles et ceux qui passaient à sa portée et fit de son mieux pour prendre la situation en main. Comme toujours, il pouvait au moins faire ça. Personne ne posa de questions car le besoin de pleurer et de se faire à la nouvelle était trop grand. Lui voulait se rendre utile, à défaut d'exprimer le moindre chagrin, il pouvait faciliter celui des autres.

Et là, tout de suite, il avait envie de savoir comment allait King. Mais le temps de faire son petit discours, il avait disparu. Il ne l'avait pas vu s'éloigner et il mourrait d'envie de partir à sa recherche — la nouvelle avait dû être tout aussi dévastatrice pour lui — mais il devait jouer son rôle d'abord.

Il avait dit la vérité, Perospero méritait des obsèques et il fallait d'abord s'occuper de ça. Il espérait que King pouvait l'attendre, encore un tout petit peu.


Beaucoup d'entre vous se demandaient comme j'allais résoudre le problème...

Bah voilà du coup. Il y avait pas trente six solutions. Big Mom et Kaido sont morts (en tout cas il le sont bel et bien dans cette fic) alors d'un côté : youpi parce que la relation va pouvoir décoller. De l'autre... Est-ce que c'est vraiment aussi simple ? Non. Quand les deux personnes qui servaient de pivot à King et à Katakuri viennent à disparaître, c'est dur de rebondir.

Mais on entre dans ma partie préférée de l'histoire. FORCEMENT, on me voit venir avec mes gros sabots.

J'espère que la suite vous plaira !

POUR LE PROCHAIN CHAPITRE, normalement je serai pas en retard (mais à force j'ose même plus donner de date...) et ça devrait être pour le 4/02. Croisons les doigts !