Ici la livraison du dimanche !

J'aime beaucoup la conclusion de ce chapitre, j'espère qu'elle vous plaira !


Le beau temps était enfin de retour et Komugi en avait bien besoin.

Aujourd'hui se déroulaient les funérailles du frère aîné de Katakuri, il valait mieux pour toute cette famille que la pluie ne leur tombe pas dessus à ce moment-là.

Pour une raison qui échappait encore à King, Katakuri avait décidé que les obsèques auraient lieu sur son île plutôt que sur Whole Cake. Le connaissant, il avait sûrement justifié ce choix par des raisons pragmatiques telles que : "il ne faut pas ralentir les travaux" mais il le soupçonnait d'utiliser cet enterrement à des fins politiques. Pour appuyer son nouveau statut de leader. Même si ça n'avait rien d'officiel et qu'il se débrouillait bien pour le nier, il avait une stratégie.

Depuis la fenêtre de sa chambre, King pouvait voir le déroulé de la cérémonie qui avait lieu sur la grande place devant le palais. Il n'entendait rien — et ne souhaitait pas écouter — mais il avait un bon aperçu de ce qu'il s'y passait. Comme toujours, Katakuri avait l'air de gérer le plus important tout en restant en retrait pour ne pas accaparer trop d'attention sur lui. Du moins, pour le moment. Il devait être nerveux à l'idée de faire le discours qu'il avait promis. King en fut attendri pendant une seconde. Mais son répit fut de courte durée. A chaque fois qu'il s'autorisait à penser à quelqu'un d'autre que Kaido, il se flagellait mentalement lui-même pour se punir de sa déloyauté.

Il s'éloigna de la fenêtre. Après tout, il n'avait que peu d'intérêt pour les funérailles. Mais il n'avait rien d'autre à faire que de s'en préoccuper. Il était à la fois mort d'ennui et incapable de faire quoi que ce soit à part dormir. Il avait honte d'être dans un état aussi lamentable mais il n'y pouvait rien. Son esprit tout entier était grippé et il ne savait pas de quoi il avait besoin pour s'en sortir.

D'un coup de pied au cul, certainement. Et il était le seul à pouvoir se le donner. S'il ne trouvait pas le moyen de reprendre du poil de la bête, il finirait certainement par se transformer en un pitoyable petit tas de cendre. Seulement, il n'était pas sûr d'avoir réellement envie d'aller mieux.

Il pensa à Katakuri, au milieu de sa famille, prêt à porter le poids de deux pertes à lui tout seul pour que personne ne sombre ou ne se laisse dévorer par la mélancolie.

Il était tellement plus équilibré que lui. Il traversait un deuil similaire au sien mais il ne s'en était pas plaint un seul instant. Peut-être parce que King ne lui avait jamais donné l'espace nécessaire pour le faire. Chaque fois qu'ils s'étaient vus, la conversation avait tourné autour de lui. Il ne lui avait même pas demandé comment lui vivait la perte de son capitaine — de sa mère. Aussi horrible fut-elle, Big Mom avait certainement laissé un vide tout aussi impossible à combler dans le cœur de ses enfants. Katakuri lui avait offert son épaule pour pleurer et lui n'avait rien fait d'autre que se complaire dans sa tristesse. Il culpabilisa. S'il n'avait pas envie d'aller mieux pour lui même, il pouvait le faire pour quelqu'un d'autre.

Penser aux funérailles lui fit réaliser une chose : le palais était vide. Tout le monde en dehors de lui avait pris la peine de se déplacer pour rendre un dernier hommage au fils aîné de la famille Charlotte. King était seul. En dehors des quelques objets enchantés qui continuaient de hanter les couloirs et qui préféraient l'éviter comme la peste depuis le jour où il avait ouvert les yeux sous ce toit. Il n'avait pas la force d'affronter qui que ce soit mais il pouvait profiter de cette aubaine pour se dégourdir les jambes et prendre un peu l'air. Ca ne pouvait pas lui faire de mal.

Il n'avait pas d'objectif précis, il cherchait simplement quelque chose à faire. Ce n'était pas comme si il ne connaissait pas le paysage mais c'était toujours mieux que de végéter sur son lit, seul avec ses souvenirs de gloire passée.

Une seconde après avoir franchi le seuil de sa porte, il réalisa comme tout était calme. Il n'y avait pas un chat dans les couloirs. Il restait bien quelques homies insignifiants pour traîner dans les parages ; des chandeliers qui susurraient une petite mélodie lugubre au dessus de sa tête, des tableaux vivants et d'autres objets qui détalaient à sa vue. En dehors de ça, pas de véritable âme qui vive. King se demanda par quel prodige ces créatures étaient encore en vie. La disparition de Big Mom aurait dû entraîner celle de ses pouvoirs également. Mais le fonctionnement de certains fruits du démon étaient impossibles à comprendre et il se contenterait de cette explication. Il préférait éviter que l'espoir que Big Mom ou Kaido aient survécu ne vienne le chatouiller.

Le silence et la quiétude du palais l'apaisa. Savoir qu'il n'allait croiser personne avant plusieurs heures était rassurant. Il avait la possibilité d'errer sans but précis, peut-être pour dénicher une pièce qu'il n'avait pas encore visitée. Mais c'était peine perdue, il n'avait fait que quelques pas quand il comprit à quel point cet endroit lui était familier désormais. Il s'était habitué aux tentures colorées, aux dorures et à la douceur rosâtre des tapis et des murs. Même l'odeur des lieux était délicieusement rassurante. Tout était comme tous les jours depuis des semaines ; un parfum capiteux de bonbon flottait dans les airs alors qu'il approchait des escaliers. Chacun des tableaux, animés ou non, lui était connu. Il était passé devant tant de fois qu'il s'était mis à les apprécier, même ceux de la défunte impératrice qui semblaient toujours le suivre du regard.

Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait à l'aise dans ce décor. Il avait la sensation de faire parti de l'écosystème du palais. Il s'était adapté à l'environnement et réciproquement. Mais était ce si différent de Onigashima ? Il avait vécu à Wano pratiquement toute sa vie sans jamais s'y sentir chez lui. Il avait toujours craint qu'un ennemi lui tombe dessus au détour d'un couloir. Là-bas, il n'avait eu que son sabre, sa petite chambre à lui et rien d'autre. Même pas un objet pour égayer la pièce, rien. Il avait toujours fait en sorte de pouvoir tout quitter du jour au lendemain, il n'avait jamais rien possédé. Tant que Kaido lui accordait sa confiance, il avait estimé n'avoir besoin de rien d'autre. Un toit au dessus de sa tête était amplement suffisant, il n'avait pas eu besoin de personnaliser quoi que ce soit.

Il avait conservé cette façon de penser sur Totto Land mais… Peut-être que la révélation de son visage aux yeux de tous l'avait rendu moins méfiant, car il avait bel et bien rempli les placards de la chambre que Katakuri lui avait attribuée. Avec des vêtements, principalement, mais c'était plus que tout ce qu'il avait déjà possédé dans sa vie. Sans oublier Mogura, le trident de Katakuri qu'il avait gagné suite à un pari ridicule et qu'il avait suspendu au mur comme un trophée, juste en face de son lit, afin de la regarder avant de dormir.

Il n'avait jamais fait ça avant.

Ses pas le conduisirent en haut des escaliers et sa curiosité le poussa vers une pièce qu'il n'avait encore jamais vue. La chambre de Katakuri. Il avait déjà "rencontré" la porte d'entrée mais il n'avait pas daigné jeter un coup d'œil à l'intérieur. Ça ne l'intéressait pas à l'époque. Il le regrettait mais comment aurait-il pu deviner que le fils d'une ennemie prendrait une telle importance dans sa vie ?

Il fit quelques pas dans le couloir, en faisant mine de passer ici par hasard, et s'arrêta brièvement devant les appartements de Katakuri. Ils étaient logés sous une alcôve teintée d'un rose sombre plutôt discret en comparaison des autres pièces du palais. La porte elle-même était immense — ce qui n'avait rien d'étonnant — mais simple. Sans ornements ou dorures excentriques. Katakuri tenait à rester dans l'ombre, même sous son propre toit. La porte, jusque là endormie, ouvrit un œil et reconnut King.

— Oh, bonjour vous, dit-elle d'une voix roucoulante que King n'avait pas oublié. Je suis désolée mais Katakuri n'est pas là. A moins que vous ne veniez pour moi ?

— Non, pas vraiment.

Elle fronça les sourcils — du moins, ce qui devait faire office de sourcils à une porte.

— Mh, je ne vous laisserai pas entrer si c'est ce que vous espérez. Vous êtes peut-être charmant mais sûrement pas assez pour me convaincre de désobéir à mon maître.

— Je n'ai pas l'intention d'entrer.

— Qu'est-ce que vous faites là alors ?

Il n'avait pas de réponse à cette question et en fut immédiatement embarrassé. Qu'est-ce qu'il espérait ? Que la porte lui livre gentiment les secrets de Katakuri et le laisse jouer les voyeurs pour satisfaire un besoin de réconfort impulsif ? Il rebroussa chemin avant de sentir encore plus gêné. La porte lui cria "Je lui dirais que vous êtes passé !"

Au bout du compte, le reste de sa balade ne l'aida pas à se sentir moins lourd, ou moins déprimé. Il se sentait comme un fantôme, à errer là-dedans, sans but précis ou sans espoir de retrouver un jour un peu de joie de vivre. Alors une idée lui traversa brièvement l'esprit : il avait l'estomac vide mais pas assez d'énergie ou d'appétit pour manger. En revanche, il pouvait se glisser jusqu'en cuisine et, peut-être, faire ce que son défunt capitaine avait toujours fait pour se remplir le ventre et éteindre ses tourments.

Il n'était pas convaincu par l'efficacité de l'alcool sur l'humeur mais il en connaissait bien les effets et il savait que ça marchait bien pour oublier. En désespoir de cause, il pouvait toujours envisager cette solution. Il savait comment cela se passait.

Qu'est-ce qu'il avait à perdre ?

Il se répondit à lui même en se remémorant tous les moments où il avait ramassé Kaido à la petite cuillère après une soirée — ou une matinée — trop arrosée, toutes les fois où il l'avait aidé à marcher, l'avait couché, ou lavé, lui revinrent en tête. Il savait que c'était ce qui l'attendait s'il prenait cette voie là, même juste une fois. Il avait été de l'autre côté. Il s'était senti tellement impuissant et inutile. Et sans importance.

La tentation de se mettre dans un état second était grande. Mais il était hors de question qu'il inflige ça à Katakuri.

Il fit demi-tour et regagna sa chambre.

/

Les funérailles s'étaient bien passées. Du moins, aussi bien qu'un enterrement puisse se passer, car l'ambiance n'était pas à la fête. Katakuri savait qu'il avait eu les bons mots quand tout le monde s'était mis à pleurer en plein milieu de son discours. Lui-même avait eu du mal à ne pas craquer ; il lui avait suffit d'imaginer Perospero réagir à son éloge pour sentir se gorge se serrer. Il aurait sans doute apprécié de voir son petit frère se donner autant de mal pour lui cirer les pompes.

Quelque part, c'était assez amusant. Et incroyablement triste. Il aurait tant aimé que les choses se passent mieux entre eux. Il se demandait comment lui aurait géré la perte de Mama. Son instinct lui disait que ses choix n'auraient pas été si différents des siens. Il aurait manœuvré pour prendre la tête du pays. Ambitieux comme il était, il aurait détesté voir Katakuri lui voler l'opportunité. Là où il était, il devait ronger son frein.

Il en aurait ri s'il avait pu.

Mais comme leurs autres frères et sœurs disparus, il aurait désormais sa tombe. Après l'éloge de Katakuri, son cercueil avait été conduit sur l'île Bonbon pour y être inhumé et son ministère avait été confié à ses enfants. Katakuri avait prévu de laisser un passage ouvert sur Perori Town pendant un moment, pour permettre à tout le monde d'aller sur sa tombe, mais Brûlée était bien trop affectée pour maintenir un réseau fonctionnel entre les miroirs. Elle n'avait pas cessé de pleurer depuis le début de la cérémonie et n'était pas en mesure d'utiliser son pouvoir sans risque pour le moment.

A la fin de son hommage, il l'avait entraînée à l'écart pour lui permettre de souffler un peu. Il ne pensait pas sa tristesse plus grande que celle des autres, il savait simplement reconnaître les effets du surmenage quand il les voyait. La pauvre avait besoin de s'arrêter de toute urgence, pour de vrai. Elle ne pouvait pas gérer le deuil et son travail en même temps. Il avait bien l'intention de le lui faire comprendre.

Après l'avoir pris dans ses bras pendant quelques minutes, il lui ordonna de rentrer chez elle et de se reposer.

— Je vais bien, je t'assure.

— Non, tu ne vas pas bien. Tu es épuisée. Je veux que tu prennes une semaine pour toi et c'est non négociable.

— Je ne peux pas ! Comment vous allez faire sans moi ? Et si on subit une autre attaque ?

— On saura gérer, la rassura-t-il.

Hélas, Brûlée n'était pas moins une Charlotte que lui ; il était difficile de la faire renoncer à ses responsabilités et il était encore plus compliqué pour elle d'envisager autre chose que le travail acharné pour chasser les problèmes.

— Je ne veux pas me tourner les pouces alors que les autres travaillent.

— Si tu essayes de bosser, je te mets des menottes en granit marin à toi aussi.

Elle sourit et leva les yeux au ciel. Il avait gagné.

— Bon, puisque tu insistes.

Elle tira un mouchoir de sa poche et essuya les larmes qui lui brouillaient toujours la vue.

— Je ne sais pas comment tu fais, dit-elle d'une petite voix. Ça ne devrait plus m'étonner de te voir rester calme en toutes circonstances. Mais même dans un moment comme celui-ci, tu restes stoïque pour que nous autres nous puissions craquer en paix.

Il y avait autant d'inquiétude que de gratitude dans sa déclaration, Katakuri en fut profondément gêné. Il n'était pas si altruiste qu'elle le croyait.

— Tu n'es pas obligé de cacher ta peine, poursuivit-elle, toujours occupée à essorer ses pleurs.

— Ne t'en fais pas pour moi.

Elle lui donna un petit coup de poing dans l'épaule.

— Imbécile ! Tu t'en fais toujours pour nous et jamais pour toi, tu…

— Brûlée, je vais bien. Et si ça peut te rassurer, je vais me reposer aussi. Maintenant…

Il pointa son doigt sur le miroir qui habillait le mur derrière elle.

— Chez toi. Tout de suite. Avec une boisson chaude.

Elle capitula. Ils s'étreignirent encore une fois et il attendit patiemment qu'elle disparaisse de l'autre côté du miroir. Une crampe douloureuse lui serrait les entrailles. Il avait honte et il était très angoissé que Brûlée, ou les autres, finissent par se rendre compte qu'il était calme et apte au travail pour une seule raison : il n'était pas aussi triste qu'il aurait dû l'être.

L'absence de Perospero allait certainement le travailler pendant un certain temps mais il n'éprouvait rien pour Mama. Après quatre jours, il en arrivait même à se dire : "Bon débarras." Il n'oserait jamais le formuler à voix haute, ni même imaginer la réaction de ses frères et sœurs à un tel aveu. Il avait enfin gagné leur respect véritable et quasi unanime, il ne voulait surtout pas le perdre.

Et il n'arrivait pas à comprendre comment il pouvait rester aussi insensible à la mort de sa propre mère. Il était plus inquiet à ce propos que pour les autres questions posées par son absence. Par exemple : comment allaient ils faire pour gérer le pays sans nouveaux homies ? Les demi âmes de ces créatures avaient une espérance de vie plutôt courte sans Mama. Sans oublier que, privés de la protection et du chantage de Big Mom, les habitants iraient sûrement s'installer ailleurs très vite. Les divers pouvoirs de la fratrie ne suffiraient peut-être pas à faire tenir cet empire debout. Il aurait dû être terriblement angoissé par ces questions en plus d'être ravagé par le deuil, comme tout le monde. Néanmoins : il allait bien.

Maintenant que Mama n'était plus là pour les terroriser, ils avaient tout le temps du monde pour réfléchir posément à l'avenir de leur pays. Et pour se remettre d'un décès que tout le monde avait toujours cru impossible. Ils trouveraient une solution. Alors il allait bien. Mais il ne se l'expliquait pas. Sa rancœur était elle aussi grande ?

Quelque part, Brûlée avait raison : il avait besoin de lever le pied. Et quel autre moyen pour ça qu'un bon repas. Il mangeait sur le pouce depuis trop longtemps, il avait besoin d'engloutir des montagnes de sucre. Et comme c'était ce qu'il faisait toujours quand il était contrarié, personne ne s'étonnerait de le voir s'empiffrer après des funérailles.

L'idée de s'allonger seul et de grignoter en paix le mettait en joie. Mais de ça aussi, il avait honte. Existait il une plus grande insulte à la mémoire de sa mère que de s'offrir un joyeux gueuleton après l'enterrement de son fils aîné ?

Il regagna son palais sans tarder, la tête pleine de reproches envers lui-même. Heureusement pour lui, il avait un autre sujet sur lequel concentrer son attention : King. Toujours King.

Le pauvre allait plus mal que toute sa famille réunie. Il avait peur de le laisser seul, un peu plus chaque jour. Il faisait de son mieux pour lui permettre de se rétablir mais il hésitait toujours entre le coller pour veiller sur lui à toute heure du jour et de la nuit, ou lui laisser un maximum d'espace. King était tellement secret, c'était difficile de savoir ce qui lui convenait le mieux. Encore plus maintenant qu'il rechignait à prendre la parole.

Pour le moment, Katakuri préférait ne pas lui rendre visite. Il mourait d'envie de le voir mais il ne voulait pas se présenter sans autre chose à offrir que les platitudes habituelles.

Les objets enchantés accueillirent son retour avec enthousiasme en batifolant joyeusement à ses pieds, comme des chiens qui feraient la fête à leur maître. Il se demandait à quoi pouvait ressembler la vie sans eux, est-ce que ça lui manquerait maintenant que Mama n'était plus là ?

Il les enjamba sans dire un mot et prit le chemin de la cuisine. Son personnel n'était pas là, il leur avait donné une journée de congé en l'honneur de Perospero. Sa joie se renforça à l'idée de profiter d'u moment rien que pour lui, dans le silence et le calme de son palais. Il ne s'était jamais autant senti "chez lui" qu'en ce moment. Il n'avait plus peur que qui que ce soit débarque à l'improviste et le surprenne dans ses habitudes, ou que sa mère ne l'appelle soudainement et l'oblige a laisser tomber ses plans. Il était presque prêt à fredonner sa bonne humeur.

Il abandonna l'idée une fois devant la porte de la cuisine. Des éclats de voix humaines retentissaient de l'autre côté : deux personnes étaient en train de de disputer. Il ouvrit discrètement, un peu déçu de ne pas être aussi seul qu'il l'avait espéré.

— T'es bouchée ou quoi ?! C'est non !

— Mais je te demande pas grand chose !

— T'as rien à me demander !

Katakuri reconnut Pudding, qui allait et venait devant ses fourneaux, à la recherche d'un ustensile quelconque. Ou du moins, c'est ce qu'elle voulait avoir l'air de faire pour faire comprendre à son interlocutrice que sa présence était indésirable.

— T'as vraiment prit la grosse tête depuis ta cérémonie ! S'énerva Flampée, qui flottait dans les airs au-dessus de Pudding. Alors que t'es restée dans les pattes de Katakuri comme une petite chose fragile pendant que nous on risquait nos vies !

— Tu as fini ? Parce que je suis occupée là.

Katakuri fut irrité de savoir Flampée chez lui. Il n'avait pas oublié sa farce cruelle et elle n'avait pas demandé la permission avant d'entrer dans son palais. C'était ce genre d'impolitesse inculquée par leur mère qu'il voulait laisser derrière lui. Il avait tout sauf envie de se mêler d'une bagarre entre deux adolescentes mais il était hors de question qu'il renonce à son déjeuner. Il fit irruption et les coupa dans leur dispute.

— Qu'est-ce qu'il se passe ici ?

Flampée sursauta et se cacha aussitôt derrière Pudding. Depuis qu'il lui avait crié dessus, elle avait peur de lui. Il en aurait été peiné s'il elle n'avait pas été aussi odieuse auparavant. Mais il n'avait pas l'intention de se venger, il se satisfaisait d'incarner une figure d'autorité capable de lui serrer la vis. Ce n'était qu'une gamine pourrie gâtée, elle avait le temps de changer.

Pudding, soudain extraordinairement satisfaite d'avoir développé une relation privilégiée avec Katakuri contrairement à sa sœur, prit un malin plaisir à lui répondre avec plus de familiarité qu'à son habitude.

— Comme d'hab, je fais mes muffins pour King, tu en veux ?

Elle lui tendit un des biscuits terminés, avec son célèbre air de petite fille sage. Katakuri se fit la réflexion qu'il valait mieux ne pas la laisser croire en une quelconque supériorité hiérarchique et que leur nouvelle complicité ne devait pas être un moyen pour elle d'écraser Flampée. Il n'avait pas l'intention d'imiter sa mère et de monter les jeunes les uns contre les autres pour les asservir.

— Ce n'est pas ce que je demande, pourquoi vous vous disputiez ?

Pudding fut un peu déstabilisée par son ton sec mais elle ne chercha pas à l'amadouer.

— Elle veut venir avec moi voir King, avoua-t-elle en jetant un regard noir à leur cadette. Je lui ai dit qu'il n'avait pas besoin de voir des nouvelles têtes.

— Je veux pas lui faire la causette ! Je veux juste le voir !

— C'est encore pire, idiote !

Elles se crièrent de nouveau dessus, en se lançant des piques cruelles l'une à l'autre. Katakuri leva les yeux au ciel avant de sévir et de hausser le ton.

— Eh ! Ca suffit !

Pudding s'agaça un peu et soupira mais Flampée se figea immédiatement. Elle ne voulait plus jamais prendre le risque de le mettre trop en colère.

— Pudding, il faut que tu laisses King tranquille.

— Mais il ne mange rien ! Je veux juste aider.

— Tu n'es pas sa mère, gloussa-t-il, tout de même un peu attendri de la voir aux petits soins pour lui. Tu vas finir par le mettre mal à l'aise.

Flampée esquissa un sourire cruel que Katakuri tua dans l'œuf.

— Et toi, dit-il en pointant un doigt implacable sur Flampée. Il est hors de question que tu te balades ici comme si c'était chez toi tant que tu ne m'auras pas présenté des excuses.

Elle ouvrit de grands yeux choqués. Elle n'avait vraiment pas l'habitude de se faire réprimander, elle était incapable de réagir de façon censée. Ses yeux se mouillèrent de larmes insincères.

— Des excuses ? C'est toi qui doit me demander pardon ! Tu as mis K.O ta propre petite sœur !

— Petite sœur qui s'est crue maline d'interférer dans une bataille où elle aurait pu se faire tuer. Il est hors de question que tu t'approches de King, il ne sera pas ton nouveau chouchou. Et si ça ne te plaît pas, file d'ici.

Pudding les regardait sans rien dire, pas tout à fait au courant de ce qui s'était passé entre eux. Les larmes coulèrent sur les joues de Flampée et elle se précipita hors de la pièce à toute allure, telle une diva. Katakuri resta de marbre. Il était sûr que ce rappel à l'ordre pouvait lui mettre un peu de plomb dans la cervelle. La connaissant, elle allait sans doute se plaindre de sa méchanceté à un autre grand frère — probablement Oven. Il ne se faisait pas de soucis. Il fallait du temps pour qu'elle développe autre chose qu'un caractère capricieux. Il ne désespérait pas qu'elle revienne un jour lui présenter les excuses qu'il méritait.

— Tu comptes vraiment laisser King mourir de faim ? S'énerva Pudding.

— Bien sûr que non. Je pense seulement que tu devrais me laisser m'occuper de ça à partir de maintenant.

Elle piqua un fard. Elle était outrée mais elle ne contesta pas sa décision, elle se contenta de ranger son tablier et ses gants de cuisine en claquant les portes des placards avec violence pour lui faire comprendre qu'elle était en colère. Comme beaucoup d'autres enfants Charlotte, elle détestait qu'on mette en doute ses compétences culinaires, il n'y avait qu'elle-même qui avait le droit de se déprécier.

— Moi je pense que tu devrais lui déclarer ta flamme une bonne fois pour toutes, au lieu de venir critiquer tout ce que je fais, dit-elle en rangeant ses gâteaux un par un dans un panier en osier.

C'était une attaque inattendue et pernicieuse. Tout à fait digne de Pudding qui, quand elle le voulait, n'hésitait pas à se montrer aussi fourbe que Flampée. Heureusement pour lui, il était immunisé.

— Je le ferai, quand ce sera le bon moment.

— Pff, et c'est quand ça ? Dans trois siècles ?

— Ce sera quand il sera de nouveau lui-même.

Il n'avait pas l'intention de développer. Il n'était pas entièrement honnête, il y avait une part de lui qui craignait la suite des évènements. Il avait toujours peur d'un rejet et peur de perdre King pour toujours après lui avoir retiré ses menottes. Il ne faisait que retarder l'échéance. Mais il ne mentait pas pour autant. Pour l'instant, King était ébranlé, fragile, il n'avait pas envie de revenir vers lui et de lui rappeler son affection alors qu'il traversait une des périodes les plus sombres de sa vie. Il savait qu'il pouvait être enjoué et épanoui, il attendrait qu'il le soit à nouveau avant de faire un pas vers lui.

Il avait attendu son arrivée pendant quarante ans, il pouvait attendre encore un peu.

— Tu te tends pas compte de la chance que t'as, lui lança Pudding avant de claquer la porte, son panier sous le bras.

Si la sortie de Flampée l'avait laissé de marbre, il se sentit un peu plus coupable de la voir réagir comme ça. Il se demanda comment King — qui avait déjà clamé sa soi-disant expertise pour gérer les querelles d'ado — aurait géré la situation à sa place. Il l'imagina lui répondre, avec son ton pince sans rire : "A ta place, je leur aurais mis un coup de pied au cul à toutes les deux et ça aurait filé droit."

Il pouffa de rire tout seul. Finalement, il ne s'était pas si mal débrouillé.

Puisqu'il était enfin seul, il pouvait faire ce pourquoi il était venu : manger. Mais ce que Pudding lui avait dit lui trottait dans la tête. Il savait qu'elle disait vrai : King n'avalait strictement rien depuis presque une semaine. Et se nourrir de minuscules muffins sucrés n'allait sûrement pas le remettre d'aplomb.

Une idée lui vint ; quitte à faire à manger, autant le faire pour deux. Pudding était une pâtissière de talent, mais il fallait quelque chose de plus consistant pour un membre de l'équipage des Cents Bêtes. Quelque chose qui était à sa portée. Il n'avait pas cuisiné depuis une éternité mais il se trouva soudain très motivé.

Il demanda à la porte de la cuisine de rester close jusqu'à nouvel ordre, pour que personne ne vienne l'interrompre, et se lava les mains avant de foncer directement vers le garde manger. S'il voulait cuisiner pour King, il fallait qu'il choisisse bien sa recette. Ca aurait pu être vite expédié, puisque King était complètement nul en matière de nourriture. Mais il voulait s'appliquer tout en lui donnant quelque chose de nourrissant à se mettre sous la dent. Il voulait aussi lui faire plaisir.

Il allait lui préparer quelque chose qui n'était pas sucré, pour une fois. Un vrai plat, complet. Seulement, que choisir ? King ne lui avait pas donné beaucoup d'indices sur ses parfums favoris puisqu'il n'en avait pas. En revanche, il savait que c'était un zoan. Un carnivore, de surcroît — et qu'il savait être glouton. Il lui avait aussi dit avoir un faible pour le poisson. Il ne s'y connaissait pas beaucoup en viande de poisson, mais il trouverait bien quelque chose.

Il entra dans son frigo, encore plus grand que lui et capable de contenir un monstre marin entier. Il fut soulagé de voir qu'il n'avait pas à rougir de son stock. Il y avait des pièces de choix et de la viande en pagaille. Il fouina un peu et porta son choix sur un poisson plat, une sole, pêché dans la matinée, d'une taille moyenne pour lui mais prodigieuse pour n'importe quel autre être humain. Il avait une recette en tête, c'était facile à faire et goûteux. Parfait pour reprendre une activité qu'il n'avait plus eu le temps de pratiquer depuis des lustres.

Il saisit le poisson par la queue et le ramena à la cuisine. Il l'étala sur le plan de travail, s'empara d'un grand couteau et le prépara ; il retira soigneusement la peau et gratta les écailles. Pendant qu'il procédait, il demanda aux ustensiles animés dont il avait besoin de se tenir prêts. Une poêle géante, assez grande pour cuir un lion, obéit et se jeta d'elle même sur la plaque de cuisson, parée à accueillir le poisson après son assaisonnement. Une marmite se remplit elle-même d'une quantité impressionnante de farine et se plaça à la droite de Katakuri. Un autre bol, d'une taille similaire, glissa a sa gauche et renversa un peu de son eau dans la précipitation.

— Doucement, grogna Katakuri, sans se déconcentrer.

Quand il eut terminé d'écailler le poisson, il le plongea d'abord dans l'eau pour le rincer, le sécha, puis le mit dans la farine. Il le roula dedans généreusement dedans, jusqu'à ce que la chair soit recouvert d'une couche de poudre blanche afin que, une fois cuit, le poisson soit légèrement croustillant. Il se demanda si King apprécierait de mordre là-dedans, il espérait sincèrement que le goût lui plairait. Pour le moment, c'était encore trop simple. Et puis peut-être bien qu'il avait déjà goûté à ce plat, et qu'il ne l'aimait pas.

La poêle derrière lui se remplissait généreusement d'huile en attendant que Katakuri se décide à lui confier son poisson. Il était plus nerveux qu'il le pensait à l'idée de cuisiner pour King. Il était terrifié à l'idée de préparer quelque chose qui ne serait pas assez bon et se trouvait un peu ridicule de penser que manger un plat de soigneusement préparé — du moins aussi soigneusement que possible — pourrait l'aider à se sentir un mieux. Il trouverait sûrement ça futile, ou dérisoire, comparé à sa douleur. Mais Katakuri ne maîtrisait pas beaucoup d'autres langages, en dehors de celui du combat. Alors il poursuivit.

Il regarda le poisson se dorer joliment dans la poêle, alors qu'il l'arrosait généreusement de beurre, jusqu'à ce qu'il prenne une belle couleur caramel. L'odeur lui paraissait alléchante, il avait de plus en plus faim. Mais maintenant qu'il avait commencé, son appétit était secondaire. Et il prenait plaisir à faire ça. La plupart des enfants Charlotte avaient appris à cuisiner, principalement pour satisfaire leur mère, mais il avait toujours apprécié cette activité. Il était loin d'être aussi bon que les autres, qui pour certains étaient des cuisiniers remarquables — à commencer par Pudding — mais il aimait manipuler les ingrédients, les pétrir, les sentir, les découper, les goûter et les regarder cuir. Et ses mains se rappelaient des gestes.

Son angoisse de rater sa préparation fut vite chassée par l'enthousiasme qu'il avait à regarder son poisson mijoter dans le beurre et changer peu à peu de couleur. Il ajouta du jus de citron à la préparation et imagina la réaction de King quand il le goûterait enfin.

Il termina en sortant le poisson cuit de la poêle et en coupant délicatement les filets, débarrassés des arêtes. Il ajouta la sauce de la poêle, encore du citron et un peu de persil pour décorer. Après ça, il plaça le tout dans une assiette, en changeant d'avis plusieurs fois quand à la disposition des filets. Il tenait vraiment à ce que ce soit le plus joli possible. Il savait parfaitement que King ne saurait pas apprécier son effort mais il s'en fichait. Il était hors de question qu'il ignore l'importance de l'aspect d'un plat parce que son ami n'avait jamais été confronté à autre chose que de la nourriture rôtie sur une pique autour d'un feu de camp.

Il observa le résultat avec un peu de recul et s'estima… satisfait. Voir fier. Il avait toujours peur que ce soit trop simple mais il savait que ce serait bon. Il aurait bien tout dévoré pour s'en assurer mais il restait un incorrigible bec sucré. Et il n'oubliait pas son objectif : faire une petite surprise à King. Et pour une surprise, il lui fallait…

Il chercha un peu partout, à la recherche d'une cloche en métal que King pourrait soulever avant de découvrir ce qu'il lui avait préparé. Il en trouva une de bonne taille et la déposa avec délicatesse sur son assiette. Il n'avait plus qu'à monter jusqu'à sa chambre.

/

Katakuri passa doucement la tête par la porte, un peu inquiet de voir que la chambre était toujours plongée dans la pénombre en début d'après-midi. King était bien là, couché sur son lit. Il avait la tête dans l'oreiller et la bouche légèrement entrouverte. Il dormait paisiblement. Son aile tombait mollement sur le sol.

Au moins, il est détendu pensa Katakuri.

Il déposa son assiette sur la commode à côté de l'entrée — ainsi que le panier que Pudding avait encore laissé sur le pas de la porte. Tant pis, il le découvrirait plus tard. Il était prêt à repartir quand King ouvrit un œil.

— Je ne dors pas, tu peux entrer, marmonna-t-il en se redressant.

— Tu es sûr ? Je peux repasser plus tard.

— Non, reste. Il faut que je me secoue un peu.

Il s'assit sur le lit et se défroissa le visage rapidement. Katakuri avait envie de lui dire que ce n'était pas la peine, même avec une tête de zombie, il restait toujours séduisant bien malgré lui. Il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit, King aperçut le plat et le panier sur la commode et soupira.

— Encore Pudding ? Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour qu'elle arrête ?

L'irritation dans sa voix coupa toute envie à Katakuri d'avouer qu'aujourd'hui, c'était lui qui avait eu l'idée de lui apporter à manger. Il se fit tout petit.

— Je… Je lui ai dit d'arrêter. Elle l'a un peu mal pris mais je pense qu'elle n'insistera pas plus.

— Merci, dit-il.

Il se passa une main dans les cheveux, un peu étourdi par sa sieste, et sembla enfin réaliser que Katakuri était dans la pièce. Il se racla la gorge, soudain nerveux.

— Euh pardon, bonjour ?

— Bonjour, répondit Katakuri en souriant. Tu es sûr que ça va ?

— Oui, j'essaye juste de me souvenir comment on socialise.

Katakuri se joignit à lui, comme la dernière fois. Il le trouva en meilleure forme que la dernière fois : il venait de plaisanter. C'était plutôt bon signe. Il n'était sûrement pas près à tenir la conversation sérieuse dont ils avaient tous les deux désespérément besoin, mais c'était un début.

Toutefois, il avait l'air un peu gêné, comme s'il avait effectivement oublié comment lui parler.

— Écoute, commença-t-il sans la moindre pitié pour l'anxiété de Katakuri qui venait soudainement de monter en flèche. Je suis désolé, j'ai passé beaucoup de temps à me morfondre et je ne t'ai même pas demandé comment toi tu allais.

Katakuri haussa les sourcils. Il s'était attendu à tout sauf à ça, son anxiété s'écroula immédiatement.

— Tu as perdu ta mère. Ce n'était pas… Une femme très sympa mais quand même, ça doit être dur et je suis désolé.

Il resta silencieux une seconde. Ses mots le touchaient mais ils n'étaient d'aucune utilité. Et il lui devait la vérité. A lui, il pouvait la confier. Il ne faisait pas parti de la famille, il n'avait aucune raison de lui en vouloir ou de s'offenser de ce qu'il allait lui dire.

— Tu n'as pas à être désolé, dit-il en le regardant droit dans les yeux pour qu'il comprenne bien qu'il ne mentait pas. Je n'ai pas versé une seule larme pour ma mère. Je ne ressens rien.

King l'observa avec intérêt, à la fois surpris et intrigué. Il ne détecta rien d'autre que la vérité dans sa déclaration et comprit aussi que Katakuri se trouvait démuni face à cette absence d'émotion. Il savait qu'il n'avait pas livré cette information à qui que ce soit d'autre avant lui.

— Rien… rien ?

— Rien du tout. Je fais semblant d'être triste depuis quatre jours.

L'absence de jugement dans les yeux de King le soulagea du poids immense qu'il avait sur les épaules et sa culpabilité s'atténua un peu.

— Je sais que je devrais être effondré, comme tout le monde. Ou au moins, être dans le déni. C'est le contraire. J'ai tout de suite accepté l'idée et ça me fait presque plaisir qu'elle soit morte, avoua-t-il avec une pointe de dégoût pour lui-même.

King le regardait sans dire un mot et l'écoutait attentivement.

— Comment je peux ne pas être triste pour la mort de ma mère ? Demanda-t-il soudain, conscient que King était le seul au monde à pouvoir entendre de telles confidences de sa part.

Il scruta son visage impassible, afin de se faire une idée de ce qu'il pensait. Il avait du mal à savoir si son air compatissant était dû a son état de fatigue où si il le prenait en pitié. King baissa les yeux un instant et se plongea dans sa réflexion.

— C'est impossible de ne rien ressentir, déclara t-il après quelques secondes. Je pense que tu es mal mais que tu ne t'en rends pas encore compte.

— Je ne suis pas un gosse, se vexa Katakuri. Je suis capable d'identifier mes émotions, je te jure que je m'en fiche. Je ne me l'explique pas mais c'est la vérité.

— Non, ça va te tomber sur le coin de la gueule à un moment où à un autre.

Katakuri le laissa s'expliquer.

— Ta mère était un monument de la piraterie, invaincue, puissante, influente. Elle a été au centre de vos vies à tous pendant des années et toi tu étais son fer de lance. Je te crois quand tu me dis que tu es content qu'elle soit morte mais je pense aussi que tu te protèges. Une personne pareille ne peut pas disparaître d'une vie sans faire de gros dégâts au passage.

Il savait de quoi il parlait mais Katakuri n'était pas convaincu. Il était même un peu déçu, il aurait préféré que King lui dise qu'il avait raison, que sa mère ne méritait pas sa tristesse ou son attention. Il n'avait jamais perdu une occasion de la critiquer depuis son arrivée, il pensait qu'il ne chercherait pas à le contredire. Il avait du mal à comprendre pourquoi tout d'un coup, il lui donnait un tel avertissement.

— Je me sens comme un traître pourtant, dit-il tristement, toujours sûr de n'avoir aucun sentiment à l'égard de sa génitrice.

— Ça, c'est un début, murmura King, en jouant avec ses doigts. Et tu n'es pas le seul.

Ce fut un nouveau choc pour Katakuri. La loyauté de King n'avait jamais flanché. Tout le temps qu'il avait passé ici, il n'avait jamais eu une mauvaise parole pour Kaido, bien au contraire. Il était logique qu'il culpabilise de ne pas avoir été présent pour lui mais de là à se sentir comme un traître ?

— Tu n'as absolument rien d'un traître, le rassura Katakuri.

— Peut-être pas. Mais j'ai laissé ce fiasco arriver.

Il se confia à son tour.

— J'ai merdé sur tous les plans. Si j'avais fait plus attention, le soir où les samouraïs nous ont assiégés, rien ne serait arrivé. Je n'aurais pas dû balancer le navire de Big Mom dans l'Océan non plus, si vous aviez tous été de notre côté dès le départ, nous les aurions écrasés ensemble. Jusqu'au dernier. Si j'avais réussi à faire entendre raison à Yamato, Kaido n'aurait jamais perdu. C'était mon rôle de le protéger mais j'ai pensé qu'il était assez fort pour se défendre lui-même. Qu'il était imbattable. Que ma présence importait peu, murmura-t-il avec douleur.

Le nom de Yamato lui était inconnu mais il se rappela ce que Daifuku et Smoothie lui avaient raconté. Il y avait une question qu'il mourrait d'envie de lui poser. Ce n'était peut-être pas le bon moment, mais il valait mieux ça que de laisser King sombrer dans une nouvelle spirale de culpabilité.

— Yamato, répéta-t-il. Est-ce que c'est lui le fils de Kaido ?

King se tourna vivement vers lui, choqué de l'entendre prononcer ces mots.

— Comment tu sais ?

— Mon frère Daifuku et ma sœur Smoothie l'ont rencontré avant de rentrer.

L'inquiétude dans ses yeux s'évapora aussi vite qu'elle était apparue.

— J'imagine que ce n'était qu'une question de temps avant que la nouvelle ne s'ébruite, soupira t-il. Oui, c'est le fils de Kaido. Son abruti de fils.

— C'est lui le gosse dont tu as dû gérer les caprices ?

Il opina du chef, profondément las à l'évocation des années passées a essayer d'éduquer le rejeton de son capitaine. Katakuri sourit, il n'était pas sûr mais il avait l'impression que derrière cette rancœur affichée, King était rassuré de le savoir en vie.

— J'aurais aimé le rencontrer.

— Tu aurais peut-être réussi là où j'ai échoué, admit King. Tu es plus doué que moi avec les enfants. Même si ce n'est plus un enfant depuis longtemps.

— Pourquoi Kaido n'a jamais parlé de lui ?

King se ranimait petit à petit. Parler de ça lui faisait du bien.

— Parce que leur relation était infernale. Yamato a toujours été rebelle. Dès le départ, il tenait tête à son père et revendiquait les idées de ses ennemis, alors je te laisse imaginer les disputes. Il était plus calme ces dernières années mais dès qu'il a eu l'occasion de nous tourner le dos, il l'a fait. J'ai fait de mon mieux avec lui mais ça n'a pas suffit. Et je ne voulais pas l'admettre mais je pense que si Kaido l'avait traité différemment, alors peut-être…

Il fit une nouvelle pause.

— Peu importe. Tout ça, c'est fini maintenant.

Katakuri ne savait pas quoi lui dire pour lui remonter le moral. Même n meilleure forme, il paraissait si inconsolable.

/

King en avait assez de se focaliser sur lui-même. Il ne pouvait pas parler de son cas sans avoir envie de verser de nouvelles larmes. Et il n'était pas le seul à avoir besoin de réconfort. Katakuri en avait besoin lui aussi. Pourtant, il n'avait fait qu'enchaîner les maladresses depuis qu'il était entré dans la pièce. Au lieu de lui dire que ce n'était pas grave de ne rien ressentir, il l'avait averti qu'il finirait par craquer. Décidément, il faisait un piètre ami.

— Je ne suis pas très doué pour te remonter le moral, s'excusa Katakuri, inconscient d'être toujours le plus sensible et généreux des deux.

Et il s'excusait en plus.

— Si ! Bien sûr, excuse moi, il faut que je retrouve mes esprits. C'est juste que… J'ai toujours du mal à accepter ce qui s'est passé. Maintenant que Kaido est mort, j'ai perdu le peu de… — Il hésita un instant sur le terme — de "famille" que j'avais. C'est un peu dur à avaler mais je n'ai pas le choix, il faut bien que je vive.

D'après la tête que faisait Katakuri, il ne le rassurait pas du tout.

— Tu es ici chez toi, j'espère que tu le sais ?

— Je commence à me faire à l'idée, dit-il en souriant.

Les yeux de Katakuri descendirent une seconde sur ses menottes et il perçut une lueur d'angoisse assez déplaisante dans le fond de ses yeux. Il aurait certainement dû s'en inquiéter, mais il n'en avait pas la force.

Son ventre gargouilla brusquement et leur coupa la parole à tous les deux. Un long gargouillis assez embarrassant. Il ne s'était pas rendu compte qu'il avait aussi faim. Depuis l'annonce de la mort de Kaido, il n'avait pas réussi à avaler grand chose à part les quelques friandises que Pudding lui laissaient. Il n'avait fallu que quelques minutes de discussion pour qu'il se détende enfin et que son corps se rappelle qu'il avait besoin de manger pour vivre.

Katakuri le transperça du regard avec une sévérité terrifiante qu'il avait hérité de sa mère et King ne trouva rien de mieux à faire que de baisser les yeux.

— Depuis quand est-ce que tu n'as pas mangé exactement ? Se fâcha t-il soudain.

— Un petit moment, avoua King avec une pointe d'humour qui ne chassa pas l'expression exaspérée du visage de Katakuri.

Il se releva et lui désigna le panier et le plat sous cloche qui l'attendaient gentiment sur la commode.

— Et bien, tu vas me faire le plaisir de manger tout ça. Pudding est peut-être pénible, mais elle à le mérite de se soucier de ton bien être alors ne néglige pas ce qu'elle t'offre.

Il avait l'air très en colère et King ne s'était jamais senti aussi désolé de sa vie. Il n'arrivait pas à identifier la cause exacte de son irritation. Etait ce parce qu'il avait dédaigné la nourriture ?

La réponse était dans la question. Ce n'était vraiment pas un sujet de plaisanterie pour Katakuri. Il lui promit d'un signe de tête qu'il allait manger tout ça.

— Bien, moi aussi il faut que je mange. Je vais te laisser tranquille.

Sa froideur surprit encore King, peu habitué à le voir se comporter comme ça à son égard, mais il ne dit rien. Avant de franchir la porte, il lui adressa un dernier regard — sans doute conscient d'avoir été un peu plus autoritaire que ce qu'il voulait.

— Si tu veux te joindre à moi dans les jours qui viennent, pour manger, pour travailler, pour n'importe quoi, tu viens quand tu veux.

Sur ces mots, il disparut et laissa King à sa solitude. Il comprenait que son départ précipité était sa façon de lui laisser son intimité, car c'était ce qu'il faisait toujours, dans son extrême délicatesse. Mais il regrettait de l'avoir laissé partir et encore plus de l'avoir mis en colère. Même s'il ne comprenait pas pourquoi satisfaire sa faim était un sujet aussi sensible.

Il repensa alors à la tentation qu'il avait eu de se saouler, quelques heures plus tôt, et comprit que se laisser mourir de faim pour Katakuri : c'était la même chose. Sans le vouloir, il lui avait infligé ce que Kaido lui avait subir pendant des années.

Il se sentit profondément minable. Katakuri ne souhaitait rien d'autre que de le voir bien portant et lui, il ne voyait même pas les efforts qu'il faisait pour lui. Il était hors de question qu'il lui fasse plus de peine. Il se leva et récupéra le panier, minuscule, qu'il connaissait bien maintenant. Il était plus surpris par le plat sous cloche, tout droit sorti d'un restaurant chic et visiblement adapté à son gabarit.

La gamine s'était donné du mal apparemment, il ne savait pas si il le méritait. Il ne savait pas du tout à quoi s'attendre. Il souleva la cloche, toujours chaude, et sentit le plat avant même de le voir. Ce n'était pas un de ses mets sucré habituel : ça sentait divinement bon. Tellement bon qu'il commença à saliver tout de suite. Il baissa les yeux sur ce qui pouvait dégager un fumet aussi délicieux et découvrit quatre minces filets de poisson — il ignorait quelle espèce — joliment dorés, baignés dans une sauce généreuse couleur caramel et parfumés au citron.

Il n'avait jamais eu aussi faim de toute sa vie. Il n'avait jamais vu quelque chose d'aussi bien présenté non plus, il se sentait indigne de prendre la moindre bouchée de ce plat. Pourtant, il en mourrait d'envie. Il sentait son instinct animal hurler, il avait BESOIN de dévorer cette assiette le plus vite possible. Toutefois, il tempéra ses ardeurs. Il y avait des couverts et il avait l'impression que ne pas s'en servir aurait été une profonde insulte à Pudding pour avoir cuisiné une telle merveille.

L'évidence le frappa alors si fort qu'il formula sa pensée à voix haute.

— Pudding n'a pas préparé ça…

C'était Katakuri. Il en était sûr. Pourquoi il ne l'avait pas dit tout de suite, cet idiot ?

Il avait prit la peine de faire à manger. Pour lui. Et non seulement ça avait l'air succulent — comme tout ce qu'il s'efforçait de lui faire goûter — mais il avait choisi de lui cuisiner un plat conforme à ce qu'il lui avait dit. King aimait le poisson, alors il lui fait du poisson. Il n'avait aucune idée de quel poisson, ni même de comment il avait préparé tout ça, mais il l'avait fait lui-même. Il le savait.

Il était profondément touché. Il n'en laisserait pas une seule miette.

Il piqua sa fourchette dans un des filets et un petit morceau de chair blanche, légère et délicate, se détacha du reste. Il la porta à sa bouche et un goût citronné lui envahit immédiatement la bouche, il mâcha doucement pour profiter des saveurs que Katakuri espérait très certainement qu'il remarque. C'était bon, très bon. Très doux et légèrement croustillant. Juste assez gras pour le faire saliver davantage.

Il n'avait jamais rien mangé d'aussi bon de toute sa vie.

A chaque nouvelle bouchée, il se le répétait. Quand est-ce qu'il avait mangé quelque chose d'aussi appétissant pour la dernière fois ? Est-ce qu'il avait mangé ne serait-ce qu'un seul plat de ce genre dans sa vie ? Il ne s'en rappelait plus. On avait certainement déjà cuisiné pour lui, il y a très, très, très longtemps. Mais il avait tout oublié. Il ne savait qu'une chose : ça lui avait manqué. Et qu'est-ce que c'était bon, c'était le meilleur poisson qu'il avait jamais mangé. Il avait l'impression de manger Nika en personne.

Une légère pointe de sel flotta sur sa langue. Il s'arrêta de manger une seconde, le temps de reprendre ses esprits. Il pleurait à chaudes larmes et il ne pouvait pas se contrôler. C'était nerveux. Il tenta de les essuyer de sa manche mais plus il essayait de s'en débarrasser, plus elles coulaient. Un rire nerveux lui échappa, c'était la première fois qu'une chose pareille lui arrivait. Il ne s'en serait jamais cru capable mais c'était vrai : il était en train de pleurer de joie.

C'était trop à la fois, il était submergé. Ce plat merveilleusement préparé rien que pour lui ne se contentait pas de soulager sa faim, il lui prouvait qu'il avait une importance que personne n'avait jamais daigné lui reconnaître jusque là. Katakuri avait fait ça impulsivement, en pensant lui offrir une petite minute de répit dans sa dépression, et c'était la plus belle preuve d'affection que King avait jamais reçue. Il ne pourrait jamais lui rendre la pareille, c'était impossible de faire mieux que ça.

Il n'avait pas fait que lui dire qu'il était chez lui, il venait de le lui prouver. Il avait perdu Kaido mais il avait trouvé quelqu'un d'autre pour prendre le relais. Quelqu'un qui l'aimait assez pour faire ça.

Qui l'aimait assez pour penser à lui faire plaisir.


Je l'aime T_T

Et si jamais : la sole c'est vraiment hyper bon. Je suis pas douée pour décrire les scènes de bouffe mais je vous jure qu'il lui a préparé un truc du feu de dieu.

J'avais envie d'écrire une scène où Katakuri prépare à manger depuis longtemps. Mon headcanon c'est qu'il adore ça mais qu'il n'a jamais le temps et n'ose pas trop le faire à cause de son complexe lié à sa mâchoire. A mon avis, il préfère faire des desserts, comme tous les Charlotte, donc là en plus il est sorti de sa zone de confort juste pour King. C'est vraiment l'homme parfait.

On approche très vite d'un moment très important auquel j'ai hâte d'arriver. La concrétisation est de plus en plus proche !

On se retrouve le 17/03 !