Chapitre I : l'An Quinze
Les cerisiers étaient en fleurs près du Grand Pavillon, répandant leur parfum jusque dans les ruelles pavées de la vieille ville d'Hiôto. Le mois d'avril venait de commencer, scellant le début d'une nouvelle année sous le règne de Rido Kuran, la quinzième depuis son accession au trône.
La Reine Juri et son époux Haruka étaient morts en laissant un fils unique, Kaname, orphelin âgé de neuf ans, alors trop jeune pour endosser son rôle en pleine guerre successorale. La mort mystérieuse de son frère Haruka et de son épouse, avait soudainement propulsé Rido à la place de vice-roi, régent à la place de son neveu. Malgré un mouvement contestataire à son encontre, il avait réussi à s'imposer comme dirigeant auprès des grandes familles.
Il était parvenu à constituer au fils des ans une garde royale, alimentée par les fils de l'aristocratie. Ces derniers jouissaient ainsi d'une position militaire et sociale importante, bénéficiaient de rentes et de terres et fréquentaient la cour où ils avaient tout le loisir d'y rencontrer concubines et filles de bonne famille et ainsi lier des alliances profitables… dans tous les domaines. Sous le couvert de prestige et de privilèges accordés, Rido avait ainsi muselé toute contestation. Le sort de ces soldats d'élite et celui de leur famille dépendant de sa seule volonté.
Ses familles nobles se partageait une partie du pays, revendiquant terres et titres et cohabitant avec leur voisin, au grès des conflits, des alliances, des trahisons et des mariages. Chacun de ces clans, à défaut de s'unir durablement contre le roi, se livraient régulièrement querelle, confortant Rido dans sa position d'arbitre suprême pour lequel diviser pour mieux régner n'était pas une simple maxime, mais une tactique politique redoutable.
Afin d'éviter la généralisation de conflits armés, le Sénat, assemblée immémoriale, avait le pouvoir de contrebalancer les décisions d'un roi unique. Les sénateurs reconnaissaient le pouvoir du souverain, le nommant même lorsque le titre devait passer d'une lignée à l'autre selon les règles de succession des sang-purs ou parfois en raison du manque d'héritier. Rido avait toujours refusé de se marier, vivant de concubinages multiples et de scandales plus ou moins étouffés. Les sénateurs plaçaient donc tous leurs espoirs dans le futur roi, Kaname Kuran. Plus jeune, ils l'espéraient plus malléable et influençable.
Le prince héritier avait été envoyé à l'Académie Cross pour y parfaire son éducation avec les jeunes hommes de son âge et de sa condition, permettant ainsi à Rido d'avoir les mains libres pour agir et gouverner à sa guise.
Les années s'étaient écoulées et le devoir ainsi que le Sénat rappelèrent Kaname à la cour. Ce dernier venait de fêter son vingt-quatrième anniversaire. Il aurait pu être intronisé dès ses vingt-et-unième ans, mais pour une raison qui échappait aux sénateurs, le jeune prince ne semblait guère pressé de revêtir l'habit de monarque et d'en assumer la pleine responsabilité.
Kaname préférait demeurer pour le moment dans l'ombre de son oncle. Son statut d'héritier, ses qualités et son érudition lui permettant de devenir un talentueux diplomate, maniant armes et négociations. Il émanait de lui une sérénité et une aura d'autorité qu'il avait su employer à bon escient. Ce sang pur qui refusait d'user de sa condition pour régner en autocratique despote comme beaucoup d'autres l'avaient fait, jouissait du respect de tous les gouverneurs de provinces. Une notoriété croissante qui n'était pas sans exaspérer le roi Rido.
Pour Kaname, un roi se devait d'être présent en son royaume. Pour Rido, un roi se devait de siéger en majesté dans la grande salle d'audience du Palais d'Hiôto. L'appétit du Roi pour les femmes, la guerre et les terres était insatiable et il n'était pas rare de voir l'oncle et le neveu se disputer à ce sujet.
