La pensée est sinueuse, l'histoire l'est aussi. Parfois Grey songe. Parfois il se perd. Le lecteur aussi. Hors de l'histoire, dans sa tête, hors du temps.
Je ne la supporte plus.
Elle est là, là là.
Partout.
Chaque fois.
Chaque jour.
Là.
À croire que ma vision périphérique est un lieu de ralliement.
Ça m'agresse.
Ça m'agace.
Ça m'oppresse.
Ça m'angoisse.
Et elle s'en fout.
Elle reste là.
Là. Là. Là.
Elle me noie. Tout est trop bleu. Le raz-de-marée écorche mes rétines, irrite mes nerfs, déforme mes mots.
Je l'envoie toujours chier. Sans fioritures ni langage fleuri. De toute façon je n'ai que le blizzard pour arme et elle n'a que ses yeux pour me noyer.
Elle me noie de ses regards langoureux, de son attention permanente, de ses déclarations au lyrisme dégoulinant. Tout chez elle coule vers moi, inondant mon espace vital, ma confortable solitude, mon iceberg.
Mais rien ne me fait fondre.
Je suis opprimé. Le malheureux prisonnier d'une geôlière n'attendant qu'un pernicieux Stockholm.
Mais rien ne me fait fondre.
Ni ses mots à fleur de peau, ni sa prévenance, ni sa loyauté, ni sa résilience, ni la bruine qui devient orage après mon blizzard.
Une tempête. C'est tout ce que cela donne.
Une bruine d'inquiétude, un blizzard de rejet, un orage de douleur. Une tempête de larmes.
Mais rien ne me fait fondre.
Pourtant tout m'engloutit.
La colère rouge.
Les reproches silencieux.
Les silences déçus.
Tout m'engloutit.
Tout m'engloutit parce qu'elle me noie. De son amour frivole, innocent, pastel et trop sucré.
Elle a mis dans sa poche l'opinion publique, la fourbe.
Alors que sa crue est bordée d'attendrissement, validée par le rivage, ma banquise se craquèle, piochée par les rictus qui s'y écrasent.
Mes rivages sont trop rocailleux pour la berceuse de ses vagues.
Ma surface trop givrée pour que l'orage s'y enfonce.
Les larmes trop salées pour ne pas être corrosives.
Désormais, je nage.
Une rage amère s'est emparée de moi. Son adrénaline est puissance et j'en tire une force nouvelle. J'exprime mon désaccord, crie à l'injustice. Pourquoi devrais-je me forcer ?
En quoi l'optimisme de son sentiment le légitime davantage au mien ?
Pourquoi n'ai-je pas le droit d'exprimer mon refus sans désapprobation ? Je ne demande ni validation ni ralliement, moi. Pas même de témoins.
Me voilà, naviguant en eaux troubles, portant mon drapeau blanc à bout de bras, implorant pour l'indifférence. La sienne pour sa paix, celle de tous pour la mienne.
Elle fait varier mon environnement. Les sujets de conversations avec mes proches, ce que je cherche en pénétrant dans une pièce, les lieux où je décide de poser mon regard.
Je veux l'éviter.
Je veux la fuir.
Je ne veux pas la voir.
Je pars en guerre avec la houle. Je briserai les vagues. Je ne perdrai pas le combat qui oppose mes décisions intérieures avec ce que les yeux des autres ont pensé voir.
Qu'ont-ils vu, même ?
Une inclination à sens unique avec un espoir de réciprocité, rendu probable à leurs sens par un biais romantique trop prononcé ?
Une comptabilité papier devenu remarquable par la manifestation d'un des sujets concernés ?
Je nage, de toutes mes forces, mais ce n'est pas moi qui contrôle l'eau.
Et rien ne peut geler les vagues.
Me voilà presque sur la rive. À devoir émerger. Choisir.
Elle me noie mais voilà que je décide de nager.
Je nage mais j'atteints la rive.
Et me voici, à bout de souffle, hésitant à quitter les vagues. Briser la houle ou accepter d'y être bercé.
Car pour nager, fallait-il encore avoir accepté de se mouiller un peu.
Choisir.
Geler la surface une fois hors de l'eau ou fondre en eau trouble.
Ah Juvia...
Me laisseras-tu un jour sortir la tête hors de l'eau suffisamment longtemps pour que je puisse reprendre mon souffle ?
Ah Juvia...
Le jour où tu as décidé de m'inonder, j'ai su que je ne choisirai jamais vraiment de rejoindre la berge.
