II - This is the way the world ends Not with a bang but a whimper —

La chambre était silencieuse. C'était quelque chose à quoi Harry ne parvenait pas à s'habituer. Le silence constant. Il était coupé du monde dans tous les sens du terme, mais surtout parce que ses oreilles ne fonctionnaient pas comme elles le devaient. Ce n'était pas le problème qui apparaissait en haut de sa liste, mais c'était un problème qui était là et qui lui crachait à la gueule bien trop ouvertement pour qu'il réussisse à l'ignorer. Il était un sorcier, par Merlin. Il savait utiliser la magie, avait été au contact des plus grands médicomages de ce siècle et pourtant, personne n'avait trouvé de solutions à sa subite surdité. C'était un problème qui aurait dû être réglé rapidement — sûrement beaucoup plus rapidement que l'os d'un bras qui repousse en une nuit. Seulement, les faits étaient là : lui, Harry-putain-de-Potter était sourd comme un pot.

Comment ?

Il n'en avait aucune putain d'idée.

Pourquoi ?

Se référer à la réponse précédente.

Harry Potter détestait sa putain de vie — et oui, il jurait énormément lorsqu'il était frustré. Et puis, il était plus aisé de s'épancher sur ce problème-ci, que celui de son identité.

Ah. Oui, parce qu'apparemment, il était un Black. Un membre de la putain de prestigieuse famille Black, cette famille de sorciers fous liés à l'obsession de la pureté de sang — « Toujours Pur », scandait leur slogan. Peut-être que ses ancêtres actuels devaient se retourner dans leur tombe. Ceux des Black, entendons-nous. Après tout, le guérisseur pouvait bien l'appeler comme il le souhaitait, Harry était le fils de James Potter et de Lily Potter née Evans, une née-moldue non des moindres.

Alors oui. Harry se voilait la face parce que parfois, il aimerait que sa vie soit plus simple et que quitte à choisir entre son avenir dans la famille Black et une petite surdité de rien du tout, il choisirait la surdité.

Sauf que bien évidemment, le Destin, la Vie — ou même la Mort pour ce qu'il en savait — le portaient en horreur apparemment, parce que rien n'allait jamais vraiment dans le bon sens.

Quelques heures plus tôt, alors qu'il était en proie à une crise de panique (oui, à son grand âge) une femme à qui il aurait donné une trentaine d'années avait déboulé comme une furie dans sa chambre (parce qu'il avait une chambre individuelle, voyez-vous) et l'avait dévisagé longuement. Harry avait eu l'impression de repasser sous un sort de diagnostic — ce qui n'était pas très agréable. La femme, une aristocrate au visage fier, aux cheveux blonds comme les blés et aux yeux bleus perçants, s'était approchée de son lit et avait pris son visage en coupe et Harry, trop absorbé par sa crise existentielle, n'avait pas fait mine de s'éloigner pour éviter le contact. Il n'avait pas vu ses lèvres bouger, ni entendu les paroles qu'elle lui avait adressées. Il n'avait donc pas pu constater son incompréhension, puis son choc. Il ne l'avait pas vue demander la présence d'un guérisseur ni exploser d'une colère noire au fur et à mesure que celui-ci lui avait expliqué l'état du sorcier alité, puis devenir blême puis manquer de s'effondrer de choc.

Un homme s'était approché, aristocrate lui aussi, le visage fermé et les sourcils froncés. Il était grand et large d'épaules — presque trop — et impeccablement peigné. Seules quelques mèches aussi sombres qu'une nuit sans lune retombaient sur ses yeux gris. Il avait posé sa main sur l'épaule de ce qui devait être son épouse avant de venir enserrer son bras comme pour la retenir dans son malaise.

Il avait pris la parole, mais Harry n'avait rien compris à ce qui avait été échangé. Il s'était recroquevillé sur lui-même, sa tête prise entre ses genoux et se balançant d'avant en arrière. Il priait, priait et priait pour que ce cauchemar prenne fin.

Personne ne prit la peine de répondre à ses prières.

À la place, il sentit une douce chaleur se répandre dans son corps et calmer petit à petit sa crise de nerfs.

Harry papillonna bêtement. Ah, songea-t-il. Le guérisseur avait sa baguette en main lorsqu'il se redressa à la manière d'une créature s'assurant que les intrus n'allaient pas brusquement l'attaquer.

Des lettres apparurent dans les airs comme quelques heures auparavant.

Vos parents sont ici, Monsieur Black, disaient-elles.

Et Harry fronça les sourcils parce que ses parents étaient morts et enterrés depuis presque vingt ans. Puis, il eut envie d'enfoncer son crâne très violemment contre une surface vraiment très dure.

Oui. Le problème numéro deux sur sa liste.

Il était un Black, apparemment (parce qu'on revenait toujours aux bases, voyez-vous).

Choisissant la prudence, le sorcier consulta le bloc-notes qu'une infirmière avait déposé à son intention et y inscrivit quelques mots à son tour.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe.

Le guérisseur pinça les lèvres d'un air contrit tandis que ceux qui faisaient désormais office de parents fronçaient les sourcils à leur tour, échangeant presque un regard interloqué.

Harry roula des yeux — ce qui choqua un peu plus les deux représentants légaux parce que, apparemment, ce n'était pas un comportement convenable.

Oui, bon. Son écriture n'était pas digne de Malfoy et de sa calligraphie parfaite, et alors ? Pourtant, personne ne s'attarda sur l'incident. Il y avait beaucoup plus urgent.

Est-ce que tu te souviens de ce qui s'est passé ? demanda de nouveau le guérisseur.

Et Harry songea merde et je n'avais pas pensé à ça.

Parce que oui. Il avait pris la place de quelqu'un d'autre et il doutait fortement que quiconque trouve l'idée charmante. Rapidement, le sorcier prit la décision de feindre l'ignorance, se parant de sa meilleure moue confuse et d'une expression des plus innocentes. Ça fonctionnait avec Molly Weasley.

Il eut un doute concernant les deux Blacks, mais ses doutes furent réduits à néant lorsque la femme glissa une main gantée devant sa bouche dans une expression d'horreur.

Elle consulta de nouveau le guérisseur, ce pauvre Golding qui, au vu de sa réaction, se fit houspiller.

Mentalement, Harry nota un troisième problème dans la liste des choses qui n'allaient pas depuis les dernières 24 heures.

Premièrement, il s'était fait agresser dans une ruelle sombre par un type un peu trop porté sur les armes à feu — et franchement, c'était quoi ce bordel ? Depuis quand les Londoniens s'étaient-ils mis à l'obtention d'armes à feu ? Ce n'était pas les putains d'États-Unis d'Amérique aux dernières nouvelles.

Il prit de nouveau sa tête entre ses mains.

Bon, d'accord, il n'avait pas trois, mais quatre problèmes.

Son agression, donc. Qui tombait relativement bas dans sa liste de priorités parce qu'il avait survécu à un Avada Kedavra et qu'il avait vu pire dans sa vie.

Puis son hospitalisation, qu'il relégua au même niveau pour à peu près les mêmes raisons.

Ensuite, il avait perdu l'ouïe, ce qui était franchement ennuyeux et il se demanda si ce n'était pas une punition d'une puissance supérieure pour avoir passé beaucoup trop de temps à écouter aux portes et à fouiner là où il n'aurait pas dû — ce qui avait sauvé le cul du monde sorcier, mais il n'en était pas à compter les points.

Et enfin, il faisait désormais partie de la famille Black… ce qui était dérangeant outre mesure pour un tas de raisons qu'il n'était pas certain de pouvoir lister dans son intégralité sans finir dans l'aile psychiatrique de Sainte-Mangouste.

Quoique, tant qu'à y séjourner, autant visiter tous les services, non ?

Non. Soit. Certes.

Harry soupira. Sa vie était profondément merdique. Ginny lui manquait terriblement. Ron lui manquait terriblement. Hermione lui manquait terriblement et même Malfoy lui... Bon. Non, là, il exagérait — ou devenait fou, à voir.

Puis, parce que ce n'était pas suffisant, il percuta enfin l'information capitale et cela, lorsqu'on le découvrit des draps camouflant son corps.

Ses jambes étaient petites.

Bon, d'accord. Harry n'avait jamais prétendu être un géant. Il avait même une taille plutôt en dessous de la moyenne — merci les Dursley, mais certainement pas minuscule au point de ne pas être certain de dépasser le mètre vingt.

Fronçant les sourcils — chose qui commençait sérieusement à devenir une très, très mauvaise habitude, Harry se rua vers la salle de bain attenante à la chambre. Il devait savoir. Il n'était pas certain de pouvoir supporter une autre nouvelle absurde.

Alors sans s'attarder sur la décoration plutôt luxueuse de l'endroit — c'est que les riches avaient les moyens, après tout, Harry posa les yeux sur le miroir. Il papillonna, sa bouche formant un très joli 'O' de surprise. Puis il jura silencieusement parce que tout ce qu'il était en mesure d'apercevoir, c'était une mèche rebelle.

Harry eut envie de vomir. Pas parce qu'il avait perdu quelques centimètres, mais plutôt parce que cette information le guidait sur une voie qu'il n'était pas tout à fait certain d'apprécier.

"Je suis un putain de môme", dit-il pour personne en particulier.

Et tandis que sa mère — bon sang, sa foutue mère — venait voir ce qu'il était en train de mijoter, Harry choisit cet exact moment pour s'évanouir.

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Harry planta sa cuillère avec violence dans son pauvre porridge, qui vraiment, n'avait rien demandé à personne. Il était d'une humeur terriblement mauvaise et le fait qu'on le tienne à l'écart n'aidait vraiment pas. Ce n'était déjà pas quelque chose qu'il avait apprécié lorsqu'il avait étudié à Poudlard étant plus jeune, puis encore un peu plus dans sa vie d'adulte. Maintenant qu'il était un adulte dans un corps d'enfant, tout ce qu'il avait envie, c'était de s'étouffer dans son porridge et de mourir.

Oui. Bon. Il n'avait jamais prétendu être tout à fait sain d'esprit, d'accord ?

Heureusement, il ne fut pas abandonné trop longtemps dans sa chambre affreusement vide, impersonnelle et foutrement silencieuse.

Bientôt, une équipe de médecins accompagnée des parents du propriétaire de ce corps fut de nouveau présente dans la chambre et Harry se demanda si feindre un nouveau malaise l'exempterait d'une nouvelle batterie de tests.

Il avait compté huit heures depuis son réveil. Huit heures d'allers et retours, de tests en tout genre, de nouvelles plus mauvaises les unes que les autres et l'adulte était en train de saturer violemment comme put l'attester le verre qui vola en éclats devant son regard furieux.

Harry grimaça. La magie accidentelle ne lui avait pas franchement manqué. Il avait un contrôle excellent sur celle-ci avant… avant tout ça. Maintenant, il se sentait comme une cocotte-minute oubliée sur le feu : prêt à exploser pour tout et n'importe quoi. Il se demanda si cela était dû à la fatigue, ou parce qu'il n'était réellement qu'un môme et abandonna l'inquisition mentale avant de se fourrer dans un énième bourbier.

D'un tour de baguette, Golding répara les dégâts, lui offrant une fois de plus un sourire contrit et Harry baissa les yeux. Le pauvre guérisseur n'avait rien demandé à personne et faisait simplement son travail. Il ne faisait que lui rendre la tâche plus difficile que prévue et ce n'était pas son genre.

Harry inspira.

Un mouvement à ses côtés attira son regard et il dévisagea de nouveau Golding, l'œil curieux.

Reprenons Monsieur Black, voulez-vous ?

Les lettres flottaient toujours dans l'air et Harry se dit qu'il commençait à les détester.

Il acquiesça pour la forme.

Pouvez-vous me donner votre nom et votre prénom ?

L'Élu se laissa choir contre son oreiller. Ça n'annonçait rien de bon. Pourtant, non sans un rictus en coin, il inscrivit BLACK en toutes lettres sur son fichu calepin. Le guérisseur s'en amusa mais ses nouveaux gardiens légaux le réprimandèrent d'un regard.

Ne fait pas le malin, semblait gronder Monsieur Black Senior et honnêtement ? Vu la carrure de l'homme, Harry n'avait vraiment pas envie de faire le malin. Il soupira.

Je ne sais pas, écrivit-il.

Il ne risqua aucun coup d'œil vers le couple. Madame Black allait-elle s'effondrer de nouveau ? Harry songea qu'au moins, tous les regards se détourneraient de sa frêle personne.

Parce que oui. En plus d'être un môme, il était affreusement frêle. Comme s'il n'avait pas passé des années à se battre contre les mauvais traitements des Dursley jusqu'à finalement retrouver une forme acceptable.

Avait-il précisé qu'il lui arrivait de détester sa vie ? Oui ? Non ?

Connaissez-vous votre date de naissance ? demanda de nouveau Golding.

Harry répondit d'un mouvement de tête.

Non. Il ne savait rien, de rien, de rien, de rien. Des clous. Nada. Niet.

Ce… qui était plutôt arrangeant en fin de compte. Parce qu'alors, il n'avait pas à prétendre être quelqu'un qu'il n'était pas… ce qu'il faisait depuis presque huit heures mais pour la bonne cause (ne pas se faire trucider par le couple Black par exemple).

D'accord, pas d'inquiétude. Ces choses-là prennent du temps.

Mouais, songea l'élu.

Est-ce que vous savez me dire quelle date nous sommes ? Ou de la dernière chose dont vous vous souvenez ?

Non et non.

Il risqua un coup d'œil vers Monsieur et Madame Black. Les deux présentaient un faciès vraiment très peu amical mais Harry douta qu'il soit le récepteur de tels regards. Il voulait bien se mettre à la place des deux parents. Avoir un enfant hospitalisé n'était pas la joie mais alors si ce dernier était incapable de se souvenir de quoi que ce soit en plus d'être sourd… Pendant un instant, Harry eut de la peine pour les deux adultes. Quoi qu'il se soit passé, l'enfant était introuvable puisqu'il en avait pris la place. Une pointe de culpabilité naquit sous la forme d'une boule vraiment très grosse dans sa gorge et il manqua d'échapper une larme.

Voilà qu'il arrachait un môme à sa famille. Il était bien beau, le sauveur du monde magique.

Harry, mon pote, n'y pense pas. Tu n'y peux rien, t'es la victime dans cette histoire toi aussi, songea-t-il.

Ça n'améliora pas spécifiquement son moral, mais cela lui permit de refouler ses larmes — ce qui était un bon début. Il ne voulait pas voir Monsieur Black faire une syncope parce que son fils avait fait mine d'être humain pendant un instant — et oui, il était mauvaise langue. Les Black avaient une réputation, que voulez-vous ?

Une nouvelle volée de lettres magiques attira son attention.

Les pertes de mémoire sont fréquentes durant les accidents. Cela prend parfois quelques jours, voire quelques semaines pour s'en souvenir alors ne vous inquiétez pas.

Et Harry fronça les sourcils.

Parce qu'autant, lui avait été hospitalisé pour une sombre histoire d'agression à main armée. Autant, le gamin se retrouvait à l'hôpital pour une raison qui ne lui était pas connue.

Est-ce qu'on peut m'expliquer ce qu'il se passe ? qu'il demanda/écrivit finalement. Tout le monde me pose des questions, mais personne ne répond aux miennes.

Pendant un instant, personne ne fit mine de bouger. Les regards s'étaient tournés vers Monsieur et Madame Black. Harry se demanda si on allait volontairement le laisser dans l'ombre — dans quel cas, il risquait de briser pas mal de vaisselle dans les jours à venir et ce, sans une once de culpabilité — ou si quelqu'un allait enfin daigner lui refiler quelques informations croustillantes.

L'armoire à glace en la personne de Black Senior leva finalement sa baguette magique. Pendant une seconde, Harry crut son heure arrivée (la vraie, cette fois) mais personne ne tenta quoi que ce soit.

Des lettres (encore ces fichues lettres !) virvoltèrent au-dessus de son lit. Harry plissa les yeux, voulut replacer ses lunettes sur son nez avant de se rendre compte qu'il n'en portait aucune, et de laisser son bras retomber le long de son corps.

Tu es Antares Black, de la Grande et Prestigieuse famille Black. Enfant cadet d'Arcturus Black — moi-même — et de son épouse Melania MacMillan. Tu as une sœur aînée, Lucretia Black, et un frère aîné, Orion Black. Tu es né le premier jour du cinquième mois de la mille-neuf-cent-trente-et-unième année et tu as été hospitalisé il y a huit semaines suite à une chute en balai.

Harry ouvrit la bouche, puis la referma.

Putain de bordel de merde, songea-t-il. Je suis dans le passé. J'ai fait un saut de quatre-vingt ans dans le passé. Putain de bordel de merde.