Si Corrin n'avait pas été aussi bien éduquée, elle serait restée enfermée dans sa chambre encore des semaines pour ne pas avoir à affronter les conséquences de la veille. Mais malgré toute l'horreur, la peine et la peur de retrouver sa famille après son fameux « test », elle accepta les visites dès le lendemain.
Bien que la fratrie rentra en même temps, ce fut Elise qui se précipita la première à son chevet, le regard inquiet.
— Corrin ! Oh, grande sœur, comment te sens-tu ?
— Mieux qu'hier, reconnut Corrin avec un faible sourire.
Sans attendre d'autorisation, Elise la prit dans ses bras. Corrin accepta son étreinte et la lui rendit en lui caressant avec douceur le dos de son pouce.
Leurs aînés gardaient leur distance pour l'instant. Peut-être attendaient-ils qu'Elise se détache de leur sœur pour prendre la parole. Ou… peut-être bien que ce qui s'était produit les avait irrémédiablement séparés.
Corrin en eut la gorge nouée.
Enfin Elise la relâcha, bien que l'inquiétude dans son regard demeurait.
Le silence s'étalât dans la chambre de la princesse, tel un brouillard suffoquant.
— Je… Je suis désolée, fut tout ce que trouva à dire Corrin, j'ignore complètement ce qui a pu se produire…
— Oh, ma petite fée d'amour ! Ne t'excuse pas pour ça, intervint Camilla. Nous en avons discuté… Léo pense que ce serait dû au sang de Dragon qui coule en nous.
— C'est vrai ?
L'idée qu'il puisse y avoir une explication rationnelle lui ôtait déjà un poids sur sa conscience.
— Je n'en suis pas certain, expliqua le second prince, mais c'est l'explication la plus sensée que j'ai à proposer. Peut-être que, d'une façon ou d'une autre, tu serais plus apte à pouvoir te transformer en dragon. Il existe des légendes sur les premiers souverains qui auraient été capable de telles prouesses…
— Je dois avouer que t'entendre dire ça me rassure…
Si elle se sentait toujours mal à l'aise par rapport à cette aptitude, elle en éprouvait moins de dégoût.
— Père pense aussi, ajouta prudemment Xander, que tu serais la réincarnation du Dragon Obscur.
Corrin acquiesça d'un air absent.
— Vous pensez que c'est le cas…? murmura-t-elle.
— Bien honnêtement, nous n'en savons rien… Ce serait une prédiction de Iago faite à notre Père avant ta naissance.
Le mépris suintait lorsqu'il prononça le nom du premier ministre.
— Ça vaut ce que ça vaut, approuva Léo, cet homme est une vraie vipère et j'ai quelques doutes sur ses capacités à lire l'avenir.
— Quoiqu'il en soit Corrin, nous nous doutons que ce que tu as vécu hier a dû être éprouvant, reprit Camilla. Tu n'as pas fait de cauchemars j'espère ?
— Étonnamment, non…
— Ma pauvre chérie… J'espère que ça ne t'a pas dégoûtée de la Cour, hm ?
Corrin fuit du regard. Camilla écarta gentiment Elise pour prendre sa place et s'allonger à côté de Corrin.
— Est-ce que tu aimerais que je dorme à côté de toi pour la prochaine nuit ?
— Camilla ! râla sa cadette, Non !
Léo ne put contenir un rire moqueur. Par vengeance, Corrin lui jeta un coussin au visage.
— Quel acte peu princier ! s'exclama-t-il en le lui renvoyant.
— Parle pour toi et tes ricanements de chacal !
Léo fit mine d'être choqué, et des rires clairs fuirent de la chambre.
— Merci… Merci de faire comme si ça n'avait rien changé, leur dit Corrin en les regardant tous un à un.
— Ça ne change rien pour nous. Ou si cela a un impact, ce n'est qu'en positif : c'est une capacité rare et digne de notre lignée que de pouvoir accéder à cette forme, lui sourit Xander.
Corrin lui sourit en retour, mais elle n'apprécia pas ce « compliment ». Elle avait été déjà si mise à l'écart, elle n'avait pas besoin d'un nouvel élément pour la rendre différente…
— Père a exprimé son envie de te voir lors de la journée, ajouta Xander. Penses-tu pouvoir honorer sa demande ?
La cadette soupira. Avait-elle vraiment la possibilité de décliner ?
— J'irai à lui avant la nuit.
— Merveilleux. Repose-toi bien, ma petite princesse, lui sourit tendrement son grand frère.
Elle eut un rictus pénible lorsqu'il ferma la porte, les séparant pour de bon. Corrin souffla une nouvelle fois. Songeant que son fiancé n'était pas encore venu la voir, elle s'interrogea sur son absence. Avait-il peur d'elle à présent ? L'avait-on mis à l'écart le temps qu'elle se rétablisse ? Elle souhaitait que ce soit la deuxième possibilité...
— Lilith ! appela Corrin.
Sa servante parut devant elle. Si elle avait respecté ses tâches quotidiennes auprès de sa maîtresse, elle s'était tenue plus à distance que d'habitude, emmurée dans un profond silence qui lui était inhabituel.
— Ma Dame, que puis-je pour vous servir ? s'inclina-t-elle avec une politesse froide.
— Assieds-toi je te prie.
Elle s'exécuta sans grande précipitation. Le temps qu'elle s'installe, Corrin la fixait avec intensité. Enfin, lorsqu'elle fut en face d'elle, la princesse l'informa :
— Léo m'a appris que ma transformation était liée à mon sang. Est-ce vrai ? Était-ce cela que tu voulais me dire ?
Sa servante se pinça les lèvres.
— Entre autre, oui, reconnut-elle.
Corrin se passa les mains sur son visage. Cette information devait être détenue par Lilith depuis un bon nombre d'années pour qu'elle soit aussi difficile à avouer. Et de là, une multitude de questions afflua dans sa tête :
— Est-ce pour ça que mon père t'a embauché ? Pour que s'assurer que mon sang draconique coule bien dans mes veines ?
— C'est plus compliqué que ça…
— Alors parle ! s'exaspéra Corrin.
Elle fut choquée par sa propre colère. Se mettre dans de tels états ne lui ressemblait pas… Cependant, la situation n'était-elle pas elle-même exceptionnelle ?
Lilith inspira puis expira profondément, la mine attristée.
— En vérité… si j'ai été choisie, ce n'est pas par pur hasard. C'est parce que je suis moi-même un ancien dragon.
Comment ne pas tomber des nues face à une telle nouvelle ? Corrin la regardait avec incrédulité, ne sachant pas si elle devait la croire ou pas. Mais avec tous les évènements qui venaient de se dérouler, le sérieux de Lilith, la confiance qu'elle lui portait et sa propre vulnérabilité, Corrin ne la remettait pas en doute.
— Je sais que c'est difficile à accepter… et je ne vous demande pas de le faire dans l'immédiat. Mais, croyez-moi Ma Dame, je n'ai jamais eu que de bonnes intentions à votre égard. Nous suspections que votre partie draconique se réveille un jour où l'autre… Je ne l'imaginais pas si tard, et je vous prie de me pardonner. Je comptais tout vous expliquer lorsque vous auriez réveillé vos pouvoirs… Je ne voulais pas, dans le cas où ils ne se manifesteraient pas, vous donner de faux espoirs et une pression inutile.
Lilith eut l'air si désolé que la princesse ne put que l'excuser sur-le-champ.
— Je… J'imagine bien que ça n'a pas dû être facile.
— Je brûlais de tout vous avouer depuis si longtemps… Et il y a encore des choses que je dois vous dévoiler. Mais pour ce faire, lorsqu'il vous en aurez la possibilité, je souhaiterai que vous demandiez à Notre Majesté de nous autoriser à partir à Sapienta afin de rencontrer le Sage de l'Iris. Il pourra vous aider à mieux comprendre vos aptitudes et à les maîtriser.
Corrin connaissait l'illustre sage de nom. Situé dans le royaume des Îles du Sud, il vivait reclus au sommet d'une haute montagne où seuls les plus valeureux guerriers arrivaient à le rejoindre. Ce fut notamment le cas de Xander et Léo afin de se lier à leurs armes légendaires…
— Je comprends… Je lui en parlerai.
— Très bien… Corrin…
Elle lui prit la main avec fermeté. Pourtant, sa dame de compagnie tremblait et ses yeux s'étaient gonflés de larmes.
— Corrin… Je ne veux pas vous faire peur, mais le plus dur est à venir. Reposez-vous bien, Ma Dame.
Que pouvait-il y avoir pire que ça ?
Plutôt que de dormir, Corrin lut quelques livres de sa bibliothèque. Elle cibla la littérature sur les anciens dragons, cherchant en vain quelques informations qui pourraient expliquer sa condition. Comment avait-elle pu développer un tel pouvoir ? Comment le contrôler et éviter cette soif de sang, avec ou sans sa dracopierre ? Les récits parlaient bien de l'aptitude des premiers dirigeants en descendance directe à une prouesse comme celle-ci (comme lui avait informé Léo plus tôt), mais ils remontaient à un millénaire tout au mieux… et ils n'y avaient presque rien concernant le fonctionnement, le mode de vie des dragons.
Bien qu'insatisfaite des connaissances de ses livres, Corrin dut se résoudre à se présenter devant son père. Lilith l'accompagna en silence sur le chemin les menant à la salle du trône où le roi Garon accordait des audiences privées.
Très vite après avoir été annoncée, son père la reçut. Son bras droit se tenait à ses côtés, toujours avec une sinistre expression sur la partie visible de son visage. Corrin essaya de ne pas prêter attention à lui et de se concentrer sur le roi.
— Mes hommages, mon Père.
— Corrin, sois la bienvenue. Je suis réjoui de ta réussite et de l'éveil de ton sang. Tout s'est déroulé selon les prédictions de Iago.
— Bien sûr, Votre Excellence. Je ne pourrai tolérer de vous livrer des informations incorrectes ! s'engorgea aussitôt celui-ci.
La princesse se contenta d'acquiescer d'un air neutre.
— Nous supposons que tu n'as pas de souvenirs de ta vie antérieure - cela n'a pas d'importance. Puisque tu disposes de toutes tes capacités, tu devras te rendre au Pont Suspendu du Lac Cristallin*. Montre aux Hoshidiens l'étendue de la puissance de Nohr ! Montre leur que le divin est de notre côté !
— Père, je suis très honorée de la mission que Vous venez de me confier, répondit humblement Corrin en masquant son choc, pour autant, je souhaiterai Vous soumettre une requête qui, je le pense, nous sera bénéfique à tous.
— Je t'écoute.
Pour autant, Corrin entendit la méfiance dans le timbre de sa voix.
— Eh bien… Je me pose énormément de questions concernant mes aptitudes. Je ne maîtrise pas entièrement mes nouveaux pouvoirs… J'ai besoin de guidance.
— Suis ton instinct, Corrin, l'encouragea son père. Personne ne peut t'enseigner ce genre de prodiges qui sont le fruit d'un talent naturel.
— Je me permets d'insister : je ne suis pas certaine de pouvoir réaliser un exploit comme hier. J'étais à peine maitresse de moi-même ! J'ai besoin d'un mentor ou de connaissances à ce sujet.
— Pourquoi douter de toi-même ? De toute manière, personne n'est apte à t'enseigner ce que tu recherches, répéta Garon. Tu as juste besoin d'exercice, et quoi de mieux que le terrain pour se former ?
— Le Sage de l'Iris le pourrait, c'est pourquoi je Vous demande Votre autorisation pour m'y rendre.
— Tu ne sais pas ce que tu dis, ma fille. Le Sage de l'Iris vit au sommet d'une montagne et d'un temple très difficiles d'accès. Sa demeure est remplie de pièges afin que seuls le plus valeureux d'entre nous puisse l'atteindre. Je sais de quoi je parle car je m'y suis moi-même rendu quand j'étais âgé de quelques années de plus que toi...
— N'avez-vous pas dit qu'il fallait que je me fasse confiance ? Me pensez-vous trop faible pour ne pas récidiver votre parcourt ? provoqua Corrin qui perdait patience.
La colère lui donna la sensation que ses cornes de dragon poussaient sur sa tête...
— Il suffit Corrin ! tonna le roi. Tu ne rencontreras pas cet homme et je t'interdis de rentrer en contact avec lui. Qu'importe ce que l'on t'a dit, tu n'en as pas besoin. Ce qu'il faut en revanche, c'est que tu accomplisses ta mission. Nous devons nous venger des Hoshidiens et apaiser notre peuple souffrant. Maintenant, va-t'en, avant que ton effronterie ne me courrouce !
Corrin ouvrit la bouche pour rétorquer sèchement, avant de se soumettre, le regard abattu.
— Bien, Père.
Elle s'inclina et partit. Mais avant de franchir la porte, elle entendit distinctement Iago ricaner :
— Ah, les enfants sont bien ingrats quelque soit l'âge, n'est-ce pas Votre Altesse ?
Le sang de Corrin bouillonnait dans ses veines.
Notes:
* Cet endroit remplace l'Abime Eternel pour des raisons scénaristiques.
