En raison de l'état d'alerte, Corrin et les troupes qu'elle devrait mener restaient au château Krakenburg encore quelques temps. La probabilité que Kaze ait réellement réussi à quitter la capitale était non négligeable, mais Garon (et Iago) considérait qu'ils avaient encore assez de temps avant d'engager la guerre.

Corrin en profitait donc pour réfléchir à ses possibilités. Elle commençait à entrevoir ses options, mais elle nécessiterait d'aide… et elle craignait les conséquences si jamais on venait à découvrir qu'elle avait désobéit au roi.

Surtout pour ceux qui viendraient à participer à échafauder son plan…

Pour l'heure, elle se rendait aux cachots pour rencontrer l'ancien chef des geôliers. Il allait être exécuté l'après-midi même.

Immédiatement en saluant les gardes, elle constata que l'humeur était au plus bas. Les mines sombres et lugubres ne pouvaient être illuminées ne serait-ce que pour le laisser paraître auprès de la princesse.

Elle ne leur en voulut pas.

Enfin, on l'amena en face de la cellule du malheureux. Il se retourna à son approche, et parut stupéfait en la voyant.

— Princesse Corrin… Je ne m'attendais pas à votre venue.

La jeune femme avait prévu tout un discours pour tenter à défaut de le consoler lui proposer un peu d'apaisement avant son heure. Mais sa gorge était devenue sèche et ses mots s'étaient envolés…

— Je… Je tenais à vous présenter mes excuses, balbutia-t-elle en cherchant son assurance. D'une certaine façon, si j'avais tué cet espion…

L'ancien chef des geôliers secoua la tête.

— Non, Princesse. Je ne peux accepter vos excuses : s'il y a un fautif, c'est bien moi. Ma négligence a coûté la fuite d'un espion détenant des informations d'une importance cruciale. Il s'agissait de ma mission, de mon travail et j'ai échoué… J'en a-assumerai les conséquences…

Il essayait d'être brave, mais il était évident que la terreur le tenaillait. La fatalité lui avait étreint la gorge, lui provoquant un bégaiement sur ses derniers mots.

Corrin eut le cœur serré pour lui. Pour ces hommes qui ne faisaient que leur travail et qui se retrouvaient si durement menés…

— Il… Il y a-t-il une chose que je pourrai faire pour vous ? lui demanda-t-elle. Une dernière volonté que je pourrai exaucer ?

— P-Princesse… Je ne mérite pas…

Il se tut un instant. Ses yeux voyaient quelque chose de lointain, et quand il revint à lui, il reprit doucement :

— Je ne mérite rien… Mais… Puisque vous être la réincarnation du Dragon Obscur… Pourriez-vous bénir mon fils ? Il n'aura plus de père… alors la protection divine me semble être un bon remplacement… Lui n'a rien fait qui ne mérite cela…

— Oui… Bien sûr…

Corrin essaya de ne pas montrer que cette requête la mettait mal à l'aise. Comment était-elle censée bénir quelqu'un ? Elle espérait que Lilith pourrait l'éclairer à ce sujet en tant qu'ancien Dragon…

— La princesse Elise ! s'écria un garde derrière eux.

Sa sœur aînée écarquilla les yeux en entendant le prénom de la benjamine. Que pouvait-elle faire ici ? Lorsque la toute jeune fille apparut devant elle, elle eut l'air aussi surprise qu'elle.

— Corrin ? Oh, je ne m'attendais pas à ce que nous ayons la même idée… Sinon je t'aurai proposé que nous y allions ensemble !

— Euh… Eh bien, de même ?

En réalité, elle n'aurait jamais fait une telle chose tant cela lui paraissait cruel d'imposer ça à sa jeune sœur. Force est de constater qu'elle n'était pas aussi fragile qu'elle ne l'avait pensé…

— Princesse Elise, salua le prisonnier avec un faible sourire.

— Bonjour Georges. Vous me voyez navrée de la situation dans laquelle vous êtes et je regrette déjà votre présence…

Le condamné baissa le regard et essuya ses yeux larmoyants.

— Je sais que ce que ce n'est pas grand chose… Mais je vous ai apporté vos desserts préférés… Je ne suis pas sans savoir que ce n'est qu'un maigre réconfort, mais je vous prie de l'accepter.

Georges garda une expression douce amère, visiblement un touché par le geste d'Elise.

— Mes Dames sont trop bonnes… Merci pour tous, Vos Altesses. Mon supplice sera moins pénible de savoir que malgré mon injustice, il reste une part de bonté dans les cœurs des ascendances nobles…

La dernière phrase avait été marmonné entre ses dents. En temps normal, Corrin aurait été choquée de telles paroles, mais cet homme allait connaitre la mort sous peu pour un jugement si impartial qu'elle ne put qu'approuver silencieusement sa colère.

Bras dessus bras dessous, Elise se blottit contre sa grande sœur en sortant des cachots. Une fois passées l'escaliers en colimaçon, Corrin laissa sa petite sœur au soin de ses vassaux, Effie et Arthur. Corrin connaissaient déjà tous les vassaux de ses adelphes, étant tous déjà venus au moins une fois à son manoir pour se présenter à elle.

Les deux vassaux arboraient une mine inquiète et sombre, et plus particulièrement Arthur. De ce qu'elle savait de lui, Corrin supposa que c'était l'absence de justice qui provoquait un tel état, lui qui était d'ordinaire si joyeux malgré sa malchance…

Le cœur lourd, Corrin partit rejoindre Lilith pour connaitre la procédure pour bénir quelqu'un.

Quand elle lui soumit sa requête, la dragonne eut un air songeur.

— J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle… La mauvaise, c'est que vous n'êtes pas apte à performer une bénédiction.

Corrin soupira. Des sentiments mêlés, de soulagement et de déception, s'exprimèrent dans son souffle.

— La bonne, c'est que j'en suis en revanche capable.

— Vraiment ? Accepterais-tu alors de bénir cet enfant ?

Lilith mit un doigt au niveau de ses lèvres, visiblement partagées.

— Ce genre de choses ne doivent pas être faites à la légère… Mais compte tenu des circonstances, je suppose que je peux essayer…

— Merci Lilith ! Tu es vraiment une bonne personne.

Il eut une lueur triste dans ses yeux dorés qu'elle ne comprit pas.

Alors que Corrin l'amenait vers les appartements de Georges, la princesse commençait à s'interroger sur le lien qu'elles entretenaient. Certes, Corrin était une princesse - et peut-être la réincarnation d'un ancien Dragon… mais Lilith ne devait-elle lui être supérieure plutôt que d'être sa servante ?

Cependant il s'agissait d'un sujet qui ne pouvait être évoqué à tout venant au détour d'un couloir : elle comprenait que Lilith ne souhaite pas que son identité soit établie. Corrin garda donc ceci dans un coin de sa tête.

Le jeune garçon - Adam de son prénom - se trouvait dans la petite chambre qui servait de logis pour lui et sa famille. Après avoir expliqué la situation à sa mère, elle les laissa entrer pour les présenter à l'enfant.

Il devait avoir dix ans tout au plus. Un garçon qui avait les traits de son père et la même expression de tristesse dans ses yeux.

— Bonjour Adam. Je suis la princesse Corrin, et voici ma Dame de compagnie, Lilith. Nous sommes allées voir ton père il y a peu et nous a demandées de te bénir au nom du Dragon Obscur.

L'enfant les dévisagea avec une mine inquiète, incertain de ce qu'il pouvait dire ou faire. Corrin se mit à sa hauteur avec un sourire doux.

— Si tu le veux bien, prends ma main pour que je puisse te la donner.

À la stupéfaction de tous, Adam se recula.

— Adam ! s'écria sa mère. Donne ta main, allez !

— Non ! hurla-t-il, Je n'en veux pas, de cette bénédiction ! Qu'est-ce que j'en ferai ?

— Adam ! reprit sa mère partagée entre la colère et la peur de froisser la princesse, C'est la volonté de ton père, et Dame Corrin a eu l'amabilité de l'accepter ! Reviens ici !

— Nooon ! Je ne veux pas ! Si Dame Corrin est vraiment le Dragon Obscur, pourquoi elle n'empêche pas mon père d'être tué ?

Cette interrogation eut l'effet d'un coup de poignard dans le cœur de Corrin. Adam partir se cacher sous son lit.

— Petit insolent ! Je suis sincèrement navré, i-il n'est pas comme ça d'ordinaire, c'est un bon fils -

— Ne vous excusez pas, répondit avec douceur la princesse. J'entends ses arguments.

Elle réfléchit un instant à comment s'expliquer auprès de l'enfant.

— J'aimerai pouvoir faire quelque chose pour ton père. Je le souhaite vraiment, mais avant d'être le Dragon Obscur, je ne reste qu'une princesse. Le roi reste au-dessus de tous.

— Si vous êtes vraiment une déesse, vous êtes au-dessus de lui, fit remarquer Adam avec un peu moins d'agressivité. Ne devrait-il pas vous obéir ?

— Une déesse…

Était-ce vraiment ce qu'elle était ?

— J'essaierai de lui parler, mais je ne peux rien te promettre.

Les yeux de l'enfant brillaient sous le lit.

— Merci, murmura-t-il.

Une fois la porte passée, Corrin demanda à Lilith :

— Sais-tu si je suis réellement la réincarnation de ce dragon ? J'ai tellement de mal à y croire…

— Je vous répondrai dans votre chambre. Nous sommes toujours écoutées, entre ses murs…

— Il faut que nous fassions aussi attention à l'heure, je crains qu'il ne me faille d'abord me rendre auprès de mon père…

L'entrevue se passa aussi mal que Corrin l'avait imaginée : un vrai dialogue de sourds où chacun restait sur ses positions et ne fit absolument pas avancé la cause de ce pauvre homme. Garon l'accusa d'avoir le cœur trop sensible et tint un discours similaire à celui de Xander. Quand il eut énoncé ceci, Corrin sut qu'il n'y avait rien à y gagner et qu'elle perdait son temps.

Pauvre Georges qui perdrait sa vie en vain…
Pauvre Adam qui n'aurait plus de père…
Pauvre Myriam qui allait devenir veuve…

Quelle piètre dragonne était-elle !