Hey hey ! Me revoici après deux semaines pour un nouveau chapitre plutôt dense !

Je pensais pouvoir prendre du recul sur mon histoire en espaçant la publication des chapitres à 2 semaines, et ça a effectivement été le cas - beaucoup plus que ce à quoi je m'attendais... Le rythme de l'histoire était jusque là volontairement soutenu. Tellement soutenu, à vrai dire, que j'ai relevé quelques incohérences que je connaissais déjà mais que j'ai décidé de prendre à bras le corps... Alors me voici à réécrire complètement la suite du récit ! Globalement, le schéma reste assez similaire à ce que j'avais initialement prévu, mais je vais développer certains points que j'avais volontairement laissé en suspens puisque je ne voulais pas particulièrement entrer dans les détails avec cette fanfic. J'ai changé d'avis, et voilà que je perds mon avance !

La douzaine de chapitres préfaits vont donc être remaniés, élargis, dédoublés et subir des ajouts qui vont probablement augmenter la taille du récit. Le ton, s'il ne change pas trop, va prendre tout de même une autre allure. J'espère que cela ne dérangera pas trop la lecture ni la cohérence de l'ensemble. Dans tous les cas, voici le chapitre 24 qui, par sa longueur, témoigne déjà d'un certain changement, même s'il n'entre pas encore dans la boucle de ceux qui ont été réécris en partie ou totalement.

Après ce grand commentaire de début de chapitre - je m'en excuse, ce n'est pourtant pas dans mes habitudes -, je vous souhaite une excellente lecture, et vous retrouve dans deux semaines (ou dans les reviews) pour la suite de l'aventure !


Chapitre 24 - Echange équivalent


Au fond de lui, Edward savait qu'ouvrir la porte de l'amour charnel avec Roy Mustang ne serait pas de tout repos. Le militaire était réputé pour être un séducteur né et pour aller et venir dans tous les foyers des villes qu'il avait habitées dans la mesure où ceux-ci abritaient une femme plus ou moins jolie. Adolescent, Edward le prenait pour un obsédé et avait juré de ne jamais devenir un adulte comme lui. Maintenant qu'il avait grandi et qu'il se retrouvait dans son lit après une série d'évènements tous plus improbables les uns que les autres, il se rendait compte qu'il n'était hélas pas encore prêt à vérifier ses hypothèses, et qu'il n'en avait pas la moindre envie.

La soirée qui s'était déroulée avait pourtant ouvert un champ infini de possibilités dans l'esprit de Roy et il était bien déterminé à assouvir le moindre de ses désirs. Sitôt qu'il rentra du travail, le lendemain de leur soirée au restaurant, il chercha la présence d'Edward, l'assaillit de caresses et de baisers auxquels le jeune homme répondit avec distance. Ce fut avec une frustration profonde qu'il comprit qu'Edward n'avait pas du tout dépassé le stade de la gêne et qu'il pouvait toujours aller se brosser pour espérer pouvoir aller un peu plus loin avec lui. Il n'insista pourtant pas et décida de lui laisser le temps de dépasser cet obstacle mental à sa manière.

Parfois, Edward avait des accès de folie semblables à ce qu'il s'était passé la première fois. Il rendait alors leurs échanges langoureux, passionnés et, très vite, ils se retrouvaient tous deux dénudés et haletants, se découvrant un peu plus à chaque fois. Pourtant, Roy n'avait, à ce moment, presque aucun droit, et devait se laisser faire s'il souhaitait que leur ébat ne se termine pas en dispute. Mais il était, par nature, un homme curieux, et il était bien décidé à comprendre quel était le problème pour élaborer sa stratégie : cela ne lui ressemblait pas de rester passif et, à vrai dire, cela ne lui plaisait pas tellement. Et puis, si Edward s'était avéré plutôt doué pour jouer de ses lèvres sur son sexe, et qu'il semblait apprécier également lorsque Roy s'occupait de lui de la même manière, le militaire désirait tout de même oser de nouveau gestes qui lui permettrait de le faire sien tout entier.

Or, il s'avéra que, justement, le problème, c'était qu'Edward n'avait nullement l'intention de se laisser faire et repoussait aussitôt sa main dès l'instant qu'il l'approchait un peu trop près de ses fesses à son goût. Le regard noir qu'il lui lançait était par ailleurs sans équivoque et Roy entendait clairement raisonner la voix du jeune homme dans sa tête, sans qu'il n'ait besoin de desserrer ses lèvres pincées : « Tu n'auras jamais mon cul, enfoiré ! ». Ce qu'il y avait d'encore plus étrange, c'était qu'Edward n'essayait pas non plus d'aller plus loin avec lui – de toute manière, cela se serait avéré inutile puisque Roy avait sa fierté et qu'il était hors de question que ce soit lui qui perde à ce jeu-là.

Un soir, Edward se glissa sous les draps aux côtés de Roy après s'être exilé plusieurs heures dans son bureau. Roy, à moitié endormi, s'approcha de lui pour l'enlacer, collant son torse nu contre son dos. Ses mains se pressèrent instinctivement sous son t-shirt pour venir effleurer son abdomen musclé. Ce simple contact lui fit un effet presque immédiat et Edward se tendit aussitôt en sentant son sexe gonfler contre le creux de ses reins. Il se retourna vivement, avec des sourcils que Roy devinait plus froncés que d'habitude dans l'obscurité. Cela n'empêcha pas le militaire de l'embrasser à pleine bouche, ce à quoi son compagnon finit par répondre en passant ses bras autour de lui. Mais les mains aventureuses de Roy, elles, ne tardèrent pas à suivre le fil de ses courbes, à s'infiltrer sous tous les tissus qui lui faisaient barrière, pour finir leur course sur ses fesses. Edward se crispa aussitôt et leur baiser langoureux fut rompu.

- Oh, non, se plaignit Roy comme l'aurait fait un enfant privé de son jouet. J'aime trop t'embrasser.

- Roy, il faut qu'on parle.

Roy, qui était encore moitié endormi, moitié excité, mit un certain temps avant de suspendre ses gestes. Il fit remonter ses mains sur ses hanches et déposa son front contre le sien.

- Je suis tout ouïe.

- J'ai fait des recherches.

Roy rouvrit ses yeux et s'écarta pour tenter de discerner l'expression d'Edward dans la pénombre. De quoi voulait-il parler, au juste ? La panique s'empara soudain de lui. Avait-il trouvé une solution pour faire fonctionner son élixirologie ? Son idylle allait-elle s'achever si tôt ? D'autres questions, encore, se bousculaient dans sa tête alors qu'Edward se redressait pour allumer la lampe de sa table de chevet. Ébloui, Roy s'assit en tailleur, inquiet, prêt à sortir tous les arguments possibles pour empêcher son départ imminent. Edward, inconscient de la panique interne de son petit ami, sortit du lit et s'éclipsa quelques secondes pour revenir avec une petite pile de feuilles qu'il tendit à Roy en s'asseyant en face de lui, la mine déterminée. Machinalement, le brun récupéra le petit dossier sans pour autant lâcher Edward des yeux. Sa mine sérieuse et son silence le poussèrent cependant à jeter un œil aux documents, le cœur battant d'angoisse.

Il s'agissait de photocopies d'ouvrages scientifiques, de schémas anatomiques précis et de témoignages qui le laissèrent perplexe. Tout cela ne semblait avoir aucun lien avec l'alchimie, ni avec l'élixirologie, aucun cercle n'apparaissait nulle part et rien ne semblait codé comme Edward le faisait habituellement. Il releva la tête vers Edward sans comprendre le pourquoi du comment de ces recherches. Le jeune homme arborait une expression décidée et semblait visiblement attendre que Roy comprenne ce qu'il venait de lui donner. Perdu et peu motivé à s'adonner à une lecture compliquée faites de dessins mal faits et de pattes de mouche, Roy finit cependant par lui demander :

- Qu'est-ce que c'est ?

L'expression d'Edward changea du tout au tout et il laissa retomber une tête déconfite entre ses mains dans un soupir d'impatience.

- Tu es vraiment stupide.

- Quoi ? insista Roy. Je veux bien essayer de comprendre, mais quel rapport avec l'élixirologie ?

- Ca n'a rien à voir avec l'élixirologie !

La perplexité qui se lisait sur le visage de Roy agaça le jeune homme qui lui reprit sèchement le dossier des mains.

- Il faut vraiment tout que je t'explique, t'es vraiment pas possible.

Roy ne répondit rien de peur de l'énerver encore plus. Edward rougit, ouvrit plusieurs fois la bouche, cherchant visiblement ses mots, puis finit par inspirer profondément, se constituant une expression étrangement neutre, avant de commencer à expliquer de la manière la plus factuelle possible :

- Nous avons tous les deux eu des relations hommes-femmes, alors on sait comment ça fonctionne. Avec les mecs, ce n'est évidemment pas identique. Malgré ça, j'ai bien senti ton envie de vouloir aller plus loin que les simples gestes auxquels nous nous adonnons actuellement, et comme je n'ai pas envie que tu sois frustré tout de suite, j'ai décidé de faire un effort de ce côté-là. Je me suis donc renseigné sur la question, pour savoir comment ça se passait, et tout ça, même si j'en avais, comme toi, une vague idée. Et franchement, même si ça ne m'a pas donné envie, ça m'a au moins rendu curieux. J'ai donc élaboré un mode d'emploi détaillé qui nous permettra de nous accoupler de la manière la plus agréable poss-

Roy ne put se retenir de s'esclaffer plus longtemps, coupant Edward dans sa longue tirade. A mesure que le discours d'Edward lui était parvenu aux oreilles, son visage inquiet s'était détendu pour laisser apparaitre un sourire de plus en plus large. Rapidement, il se mit à manquer d'air et enfonça ses doigts contre ses côtes, incapable de contrôler le puissant fou rire qui le pliait en deux. Même le coup de dossier qui s'abattit sur sa tête n'empêcha pas le son de son hilarité d'envahir l'espace de la chambre à coucher et Edward n'eut d'autre choix que d'attendre qu'il se reprenne, le fusillant du regard.

- Ahah, aaaaah, ah, putain, tu me fais tellement… tu es… incroyaaaable… !

- Tu vas arrêter de te marrer, oui ?!

- Tu as vraiment… un mode d'emploi… ?! Un mode d'emploi pour nous… nous… « accoupler »… ?! Mon dieu… Mon dieu… Tu… Ahah… ! Ahahah !

- Il faut bien que l'un de nous deux réfléchisse, oui ! Arrête de rire ! C'est parfaitement sérieux !

- Tu me tues… ! Tu me tues… ! J'en peux plus !

Edward lui assena un autre coup de dossier sur la tête et attendit, fulminant de rage, qu'il termine de s'esclaffer en parlant d'une voix rendue suraigüe.

- C'est bon ? Tu as fini ? grogna-t-il lorsqu'il lui sembla que Roy réussissait à respirer de nouveau correctement.

- J'ai jamais vu ça, rit Roy en essuyant une larme qui perlait au coin de son œil. De toute ma vie, je n'ai jamais entendu quelqu'un parler comme ça. Non mais… Tu as sérieusement fait des recherches là-dessus ?!

- Oui et, figure-toi, j'ai trouvé des informations très intéressantes. Et maintenant que j'ai compris, il faut que je passe à la pratique. Et il se trouve que, justement, tu es le principal intéressé.

- N'oublie pas d'accrocher des antisèches sur la tête de lit ! pouffa-t-il.

- Tu vas voir où je vais te les mettre, moi, mes antisèches…

- Oui, maintenant que tu as ton mode d'emploi, tu devrais pouvoir t'en sortir ! s'exclama Roy en partant dans un nouveau fou rire.

Edward lui balança tous ses documents à la figure et lui tourna le dos pour s'enfoncer sous la couette. Roy l'accompagna aussitôt, l'enlaçant dans le dos pour venir glousser à son oreille.

- Aller, boude pas…

- Va voir ailleurs si j'y suis, bâtard de colonel.

Roy embrassa sa nuque dégagée, un grand sourire encore dessiné sur ses lèvres.

- Alors comme ça, tu veux qu'on aille plus loin tous les deux ? demanda-t-il en tentant d'étouffer une nouvelle vague de rire.

- Je me disais que ça pouvait te faire plaisir.

- Tu sais que ce n'est pas comme ça que ça marche ?

- Oh, vraiment, le grand Roy Mustang, séducteur incontesté, chaud lapin d'East City, le plus grand charmeur qu'Amestris ait connu, accepterait une relation amoureuse totalement platonique ?

- Déjà, elle n'est pas platonique ; ensuite, on peut prendre notre temps. Moi je m'en fiche de savoir combien de temps ça prendra : je veux juste qu'on avance tous les deux. C'est tout.

- Et si ça n'arrive jamais ?

Le silence qui suivit cette question était sans équivoque.

- Tu vois. Donc, voilà. Je préfère faire ça maintenant et voir si ça passe plutôt que d'attendre que tu sois frustré au point de me larguer.

- Ed, c'est n'importe quoi.

- Non, c'est tout à fait sensé. Mais j'ai une condition.

Roy soupira et déposa son front sur le haut du dos d'Edward.

- Qu'est-ce que c'est ?

Edward se retourna pour planter ses yeux dorés dans les siens, plus grave que jamais.

- Est-ce que je me trompe quand je pense que tu penses que…

Il ne termina pas sa phrase. Sa gêne étrangla sa voix tout comme le rouge soudain de son teint. Roy leva un sourcil et il le contempla un instant, cherchant à deviner ses pensées. Elles n'étaient pas si difficiles à comprendre, mais il espérait faire fausse route.

- Que je pense quoi ? demanda-t-il alors.

- Roy, tous les deux, on est pareil. Aucun de nous deux ne voudra être le premier à y passer.

Roy blêmit aussitôt. Il n'avait pas envisagé une seule seconde qu'Edward puisse être celui qui mènerait la danse. Dans son esprit, qu'Edward soit un homme ou une femme ne l'avait pas heurté dans la mesure où, grosso-modo, il garderait le même rôle et les choses se ferait plus ou moins à l'identique que ce dont il avait l'habitude.

- Tu réfléchis trop ! s'exclama Roy en s'asseyant d'un bond.

- Je ne réfléchis pas « trop » ! se défendit Edward, lui aussi de nouveau assis. J'essaie juste de concilier nos deux équations de manière que l'on obtienne un résultat satisfaisant.

- Ed, le sexe, ça ne se calcule pas avec des mathématiques !

- Justement, si. J'en suis arrivé à une conclusion qui pourrait nous mettre d'accord.

- Je ne vois pas en quoi la science pourrait nous mettre d'accord sur ce sujet, honnêtement.

- Nous sommes tous les deux alchimistes, non ? s'impatienta Edward. L'échange équivalent, ça te connait ?

- L'échange équivalent ?! Tu es sérieux, en quoi est-ce que c'est applicable dans cette situation ?!

- Eh bien, c'est pourtant simple, non ?! Un coup toi, un coup moi ! C'est aussi simple que ça !

- Mais je veux pas !

- Tu ne peux pas savoir si tu n'as pas essayé, espèce de crétin !

- Tu me forceras jamais à faire ça !

- Je ne veux pas te forcer ! s'indigna Ed, choqué par cette idée. Mais il est hors de question que je sois le seul à faire des efforts !

Ils se fusillèrent du regard et restèrent immobiles un moment. Puis Edward se mit à rassembler les feuilles éparpillées sur les draps pour les rassembler en un tas qu'il prit sous le bras avant de sortir du lit.

- Je savais que tu étais con, mais je ne pensais pas à ce point-là, cracha-t-il en quittant la pièce.

Comment avait-il pu croire qu'une histoire était possible avec Roy Mustang ? Il s'était perdu dans des questions existentielles depuis qu'ils s'étaient embrassés et avait arrêté de réfléchir correctement. Rentrer chez lui était devenu secondaire et il avait préféré passer son temps libre dans les bars gays à recueillir des témoignages fiables sur la manière dont les homosexuels pratiquaient le coït plutôt que de se concentrer sur l'amélioration de son élixirologie. Maintenant qu'il se retrouvait seul, assis sur le lit simple de sa chambre initiale, il se trouvait particulièrement stupide et lourdement naïf : rien, dans ce qui avait pu ou pourrait se passer entre eux n'avait réellement d'avenir. Le Roy Mustang du futur, il le connaissait déjà : c'était un homme ambitieux et franchement antipathique qui l'avait plusieurs fois mis dans des situations délicates. Il était également connu pour être un coureur de jupon et passait son temps libre à enchainer les rendez-vous galants. Alors quoi ? Qui était-il au milieu de tout ça ? Simplement un caprice de plus que de beaux discours avaient finalement fait céder.

Edward ferma les yeux et, lentement, récupéra son oreiller pour le serrer dans ses bras. Oui, il s'était laissé berné. Il fallait admettre que Roy était beau, touchant, attachant. Il fallait admettre aussi qu'il était coincé dans cette temporalité depuis presque dix mois. Il avait pris ses habitudes, avait commencé une autre vie, s'était accoutumé aux changements au point qu'il en oubliait presque son histoire passée. Parfois, il doutait presque de ses propres souvenirs et préférait se concentrer sur son quotidien plutôt que de se demander s'il avait vraiment vécu tout cela. Alors, oui, accepter les sentiments de Roy Mustang et les partager lui permettait peut-être de s'ancrer un peu plus dans cette réalité étrangère. Mais tout n'était qu'illusion, et, bientôt, il partirait, et Roy reprendrait consciencieusement ses agréables habitudes d'homme volage.

Le jeune homme fut brusquement tiré de ses pensées lorsqu'on frappa à la porte de son laboratoire, redevenu, pour l'heure, sa chambre. Il envoya un regard noir à l'ouverture close, prêt à massacrer Roy s'il osait entrer. Mais la poignée resta immobile, tout comme le reste de la pièce. À la place, la voix, presque timide, de Roy traversa la cloison.

- Ed, je peux entrer ?

- Va te faire foutre.

Il y eut un silence pendant lequel Edward dressa une oreille attentive à tout son extérieur. Pendant quelques secondes, il n'entendit rien du tout, puis il perçut un soupir suivi du glissement d'un corps contre un mur.

- Tu as raison, fit la voix de Roy à travers la porte. Tu n'es pas le seul à devoir faire des efforts et je sais à quel point c'était compliqué dans ta tête que d'accepter ne serait-ce que le simple fait qu'on soit ensemble. Mais, tu sais, moi je n'ai rien demandé si ce n'est que de pouvoir t'aimer. Je crois que tu réfléchis trop… Tout ce dont on a parlé, c'est censé être spontané et-

- Ferme-là et dégage ! gronda soudain Edward.

- Ed, s'il te plait, arrête de t'énerver comme ça…

- Je m'énerve si je veux ! Et, tu sais quoi ? Cette histoire m'a ouvert les yeux. On a plus besoin de parler puisqu'il n'y a plus de matière à discussion. C'était une très mauvaise idée depuis le début que d'accepter une telle aberration alors, maintenant, c'est terminé.

Seul le silence accueilli l'annonce de leur rupture et, le cœur pressé dans un étau, Edward enfonça son visage dans son oreiller. C'était peut-être douloureux, mais sa décision était nécessaire.

- Ed, appela la voix assurée de Roy à travers la cloison. Si tu veux vraiment que ce soit terminé, j'aimerais au moins que tu me le dises en face.

Edward avait envie de lui hurler dessus et de le rouer de coups. Il écrasa son oreiller contre le matelas et se redressa d'un bond pour se diriger vers la porte de la chambre. Mais alors qu'il saisissait la poignée, il dut bien admettre que sa main tremblait et que sa poitrine l'empêchait de respirer correctement. Aussi mit-il plusieurs minutes avant de pousser doucement l'ouverture. Hésitant, il pénétra dans le couloir et découvrit Mustang, assis contre le mur de sa chambre, relevant ses yeux d'onyx vers lui. Il semblait parfaitement calme et, avant qu'Edward ait pu ouvrir la bouche, il tapota le plancher à ses côtés, l'invitant à s'assoir près de lui. Edward s'attarda un instant, indécis, mais finit par se glisser au sol, s'adossant à la cloison.

- Ed, murmura Roy d'une voix pas aussi neutre que ne le laissait présager son expression. Tu te mets la pression. Je ne veux pas que tu te mettes la pression. Il ne se passera rien que tu ne souhaites pas. Tu as juste à dire « non » si je vais trop loin où si je fais un geste que tu n'aimes pas. Tu ne peux pas me quitter pour une histoire pareille…

- Ce n'est pas que ça.

- Alors, quoi ?

Edward pinça ses lèvres et laissa échapper un soupir saccadé.

- On n'a aucun avenir, tous les deux.

- Pourquoi est-ce que tu dis ça ?

- Parce que je te connais, dans le futur. Je ne serai pas là, et tu seras auprès d'autres personnes. Je ne suis rien, pour toi. Ça ne sert à rien qu'on essaie.

- Tu ne peux pas me dire ça.

- Si, je peux. Je l'ai vu.

- Edward, je t'ai peut-être fait croire ce que je voulais que tu croies, mais tu n'as aucune preuve. Peut-être que nous serons ensemble. Peut-être que tu ne sais pas tout. Et peut-être que tu devrais poser ton cerveau, deux secondes, pour laisser tes sentiments s'exprimer, pour laisser notre relation s'épanouir, pour nous laisser une chance à tous les deux. Peut-être que ça ne marchera pas. Et alors ? On n'a même pas essayé. Comment peux-tu baisser les bras sans avoir rien tenté ? Oublie ce que tu sembles savoir : construit ton propre avenir sans te soucier de ce qui est censé se passer.

- Mais je sais ce qu'il va se passer.

- Je ne crois pas que tu puisses savoir quelles seront mes décisions. Mon avenir est à moi : tu n'as pas le droit de me dire quoi faire sous prétexte que tu pensais me connaître. La preuve en est : tu n'avais aucune idée de ce qui allait se passer entre nous. Tu ne savais pas que ton supérieur, le Colonel Roy Mustang, était sorti avec toi par le passé. Mais comment aurais-tu pu le savoir ? Et comment peux-tu savoir comment je me sentais lorsque je te voyais ? Comment peux-tu savoir comment je me sentirai lorsque je te verrai ? Tu ne peux pas. Tu n'es pas dans ma tête. Tu ne contrôles pas ça.

Edward resta muet, une nouvelle fois touché par les paroles de Mustang et par leur vérité frappante. Aussi ne rejeta-t-il pas le bras de Roy lorsqu'il glissa sur ses épaules et se laissa-t-il faire lorsqu'il se sentit attirer contre lui. Tous deux assis dans le couloir obscur de leur maison, ils se serrèrent dans les bras l'un de l'autre.

- Par contre, prévint Roy. Je t'interdis de me plaquer toutes les deux minutes. Je risque de finir par te trucider.

- Essaie seulement.

- Ou alors je pourrais tester ton mode d'emploi, pour te punir…

- Tu comptes te foutre de ma gueule longtemps avec ça ?!

- Oh que oui…

- J'essaie de faire de mon mieux, figures-toi. Je suis même allé me renseigner chez des experts.

- Hein ? Qu'est-ce que tu racontes… ?

- Comme je ne savais pas comment ça se passait, entre hommes, et qu'il n'y a rien dans les livres sur ça, je suis allé directement demander dans les bars gays.

L'incrédulité qui se peignit sur le visage de Roy arracha à Edward un petit rire sincère ainsi qu'une rougeur embarrassée.

- Tu as fait quoi ?!

- Il fallait bien que je sache comment ça marche, non ? Je voulais que ça se passe bien, entre nous. Et il fallait aussi que je sache à quoi m'attendre.

Roy le contempla, sans voix, d'abord éberlué, et aussi un peu amusé, de l'imaginer aller passer un interrogatoire presque scientifique dans ce genre de bars ; puis avec un tout autre œil. Edward était vraiment un drôle d'oiseau. Il avait craint de sortir avec lui pour un tas de raison, et le sexe en faisait partie. Il avait vite compris qu'Edward ne coucherait pas avec lui facilement. Et pourtant, depuis qu'ils étaient ensemble, c'était lui qui avait fait tous les premiers pas, qui avait concrètement réfléchi à la manière dont il fallait procéder, qui avait surmonté toutes ses gênes, tous ses a priori, toutes ses barrières mentales pour finalement accepter d'être malmené par un type comme lui, seulement conscient de ses propres désirs et peu soucieux de savoir s'il faisait bien les choses ou non. La manière dont Edward avait défait toutes ces appréhensions était peut-être un peu incongrue, mais elle lui mettait une sacrée claque. Roy s'était contenté d'attendre qu'Edward lui fasse suffisamment confiance pour accepter qu'il reprenne son rôle on-ne-peut-plus classique de « mâle dominant » tandis que lui-même ne se posait même pas la question de savoir ce qu'Edward désirait vraiment. Il avait sa fierté mal placée, son orgueil de type toxique, son arrogance virile qui l'empêchait d'envisager que quiconque touche à une partie aussi intime de son anatomie. Un sentiment de honte le submergea soudain tandis que son comportement égoïste lui sautait aux yeux. Il avait envisagé le sexe avec Edward comme il l'envisageait avec ses conquêtes féminines : ce serait lui qui mènerait la danse, qui prendrait ce qu'il voudrait, ferait subir ce qu'il souhaiterait, et il repartirait, satisfait, sans se soucier de savoir si, vraiment, l'autre l'était tout autant.

Or, Edward n'était pas n'importe laquelle de ses conquêtes. Ce n'était même pas une conquête, quand on y réfléchissait bien. C'était Edward qui l'avait conquis, qui l'avait fait sien, qui l'avait totalement subjugué par son naturel désarmant, par son humour taquin, par son intrépidité dangereuse, par son génie fascinant. Et, aujourd'hui, dans son regard rieur, sur son sourire confus, Roy voyait enfin en lui ce qu'il aurait dû voir depuis le début : un homme de confiance, un amant attentionné, un amoureux prêt à s'abandonner à ses gestes inexpérimentés, un partenaire dont la naïveté touchante venait de balayer, en un instant, tous ses principes infondés.

- Roy, ça va ? demanda Edward que son silence avait troublé.

- Tu es incroyable, murmura Roy, subjugué.

- Tu te moques encore, soupira Edward sans remarquer l'expression de son partenaire.

- Non, je te trouve vraiment incroyable.

Roy approcha sa main de son visage dont il releva le menton en douceur. Avec délicatesse toute nouvelle, il se pencha vers lui et l'embrassa avec l'allégresse légère qui le transportait soudain et gonflait sa poitrine d'une joie inconnue. Jamais il n'avait tant aimé et, jamais, il n'avait été aussi fier d'avoir choisi pour compagnon une personne aussi belle que l'était Edward. Jamais il ne lui arriverait à la cheville, mais il pouvait au moins essayer de miroiter un peu aux côtés d'un éclat pareil.

- Je ne suis pas sûr de pouvoir te promettre de faire ça tout de suite, dit-il. Mais tu as probablement raison pour cette histoire d'échange équivalent.


La vie reprit son cours sans que leur routine ne change véritablement. Leur discussion leur ouvrit cependant l'esprit : Roy se mit à faire plus attention à la manière dont avait Edward de détourner les yeux, de rougir, de grogner, de gémir, de frissonner, de lutter pour ne pas se laisser submerger par la crainte de pouvoir autant désirer quelqu'un. Il y avait, dans sa résistance à s'abandonner aux gestes de Roy, à l'aimer sans retenue, une touche de maladresse qui s'exprimait dans un regard troublé. Mais d'un sourire, d'une caresse, Roy apprit à adoucir cet esprit trop analytique, le guidant sur des sentiers pourtant inconnus, vers des gestes qui, jusque-là, n'avait jamais été esquissés.

Il s'avéra bien vite qu'aucun des deux n'était véritablement tendre et leurs parties de jambes en l'air, d'abord d'une timidité emprunte de délicatesse, se transformèrent pour ressembler à ce qu'avait toujours été leur relation : énergique, piquante, parfois même un peu brutale. Edward s'étonna franchement à prendre de plus en plus plaisir dans leur jeu tandis que Roy, lui, mettait peu à peu de côté sa fierté masculine mal placée pour envisager simplement d'apprécier ces moments sans s'inquiéter de l'image qu'il pouvait bien renvoyer. Avec confiance, ils se laissèrent aller aux mains de l'autre, bien que cela ait malgré tout quelques désavantages. Roy passait en effet son temps à maquiller les marques qu'Edward imprimait sur sa peau et à recoudre les boutons de ses chemises que le jeune homme aimait visiblement beaucoup faire sauter.

- Tu abuses, lui dit-il un jour. Tu pourrais faire un peu attention à mes vêtements, et à ce que tu me laisses des traces là où personne ne peut les voir.

- J'y peux rien. En plus, t'en redemandes, alors fait pas genre.

Contrairement à ce qu'avait cru Edward au début, il s'habitua très vite à cette nouvelle situation et les questions qu'il se posait à propos de leur relation se firent de plus en plus rares. En fait, il se rendit très vite compte qu'elle était naturelle, et que rien ne l'avait jamais autant été. Leur insouciance fit passer le temps si vite qu'ils furent totalement pris au dépourvu lorsque Hughes appela Roy, un jour, pour lui annoncer avec une excitation paniquée que Gracia avait perdu les eaux et qu'elle était en plein travail à l'hôpital.

- Oh mon dieu ! Oh mon dieu ! s'affola Edward en faisant des allers et retours dans la maison, suivant Roy qui s'activait. Elysia va naître ! C'est incroyable ! C'est incroyable !

- Prépare-toi, au lieu de me suivre partout, coupa Roy avec une autorité toute professionnelle.

- Tu crois que je peux venir à l'hôpital ? s'inquiéta Edward.

- Maes et Gracia te connaissent, répondit Roy en lui mettant ses lunettes sur le nez. Il n'y a pas de raison pour que tu ne viennes pas. Prépare-toi, bon sang !

En deux en trois mouvements, ils étaient tous deux à bord d'un taxi qui les mena à l'hôpital où Gracia avait décidé d'accoucher. Ils y retrouvèrent une foule étonnante, aussi fébrile que l'était Edward, tandis que Roy conservait, au milieu de toute cette agitation, une retenue empruntée à son parcours militaire. Il présenta Edward, ou plutôt, Edmund, aux parents de l'heureux couple qui, bien entendu, se trouvait de l'autre côté de la porte devant laquelle tout le monde attendait. Au bout d'un moment, pourtant, ils virent Maes Hughes, escorté d'une infirmière, en proie à une nervosité qui aurait pu être inquiétante si l'infirmière n'avait pas paru aussi blasée.

- Ce n'est pas possible qu'il reste dans la salle de travail, expliqua-elle en fourrant Hughes dans les bras de sa mère. Il est intenable.

- Laissez-moi y retourner ! se révolta Maes en se libérant de l'étreinte maternelle.

- Si vous vous calmez, on pourra envisager de vous laisser revenir. Mais là, même la mère ne veut plus de vous !

L'infirmière lui tourna ensuite le dos, sourde aux protestations du futur papa, tandis que Maes, les joues dégoulinant de larmes, s'effondrait au sol dans un mouvement particulièrement théâtral.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda la mère de Maes en s'accroupissant à ses côtés et en déposant sur son épaule une main apaisante.

- Je vous l'avais dit, moi, que c'était angoissant, commenta le père de Maes d'une voix tremblante.

Cet homme grand, aux tempes grisonnantes et au visage austère, n'avait pas décroché un mot depuis qu'Edward et Roy étaient arrivés, mais en entendant le son de sa voix, Edward compris qu'il n'était pas en meilleur état que son fils. D'ailleurs, sitôt qu'il eut ouvert la bouche, il changea complètement de personnalité et s'effondra aux côtés de son fils dans une étreinte larmoyante où perçait une fébrilité à mi-chemin entre la joie et l'angoisse. La mère fut écartée et elle se redressa en soupirant, visiblement habituée aux effusions des deux hommes.

- Mon mari a fait un syndrome de la couvade pendant ma grossesse, expliqua-t-elle.

- Un quoi ? demanda Edward, un peu dépassé par la situation.

- C'est-à-dire que mes symptômes de femme enceinte étaient presque moins violents que les siens. Il a pris presque dix kilos en neuf mois, passait son temps à manger tout et n'importe quoi et à se plaindre de maux de dos. A l'accouchement, il a même eu des sensations de contraction et il a tellement paniqué que les infirmières ont dû l'évacuer.

- C'est possible, ça ?! s'exclama Edward avec horreur, tout en jetant un regard vers Maes pour le détailler d'un œil nouveau.

Il ne l'avait pas remarqué avant puisqu'il le voyait très rarement : il avait tenté de limiter ses entrevues avec le futur père, d'autant quand Roy lui avait dit qu'il avait enquêté sur lui. De ce fait, il ne l'avait pas revu depuis son enterrement de vie de garçon où il était trop bourré pour remarquer quoi que ce soit, mais force était de constater qu'il avait effectivement prit un peu de poids.

- J'ai mal au veeeeentre ! pleurnicha-t-il. Je veux voir ma feeeemme !

- Il est en train de faire exactement la même chose, confirma la mère de Maes avec une lucidité ou perçait la tendresse. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas prendre un peu sur soi…

Maes était dans un tel état d'effondrement qu'il ne semblait pas du tout écouter ce qui se passait autour de lui, se contentant de se raccrocher au dos de son père qui n'aidait pas franchement à le rassurer. Les parents de Gracia, eux, regardaient la scène, complètement surpassés par ce qu'il se passait. A côté d'Edward, Roy finit par soupirer et oublia son rôle distant avant de s'avancer sur le devant de la scène. Sans douceur, il sépara le père et le fils pour saisir son meilleur ami par le col et lui assener une claque plus bruyante que douloureuse. Elle raisonna un moment dans le couloir soudainement devenu silencieux tandis que Maes, pris au dépourvu, avait momentanément cessé de couiner.

-Tu vas être père, lui rappela Roy. Tu veux louper la naissance de ta fille, ou quoi ? Tu veux laisser Gracia faire tout le travail toute seule pendant que tu pleurniches dans les bras de tes parents ?

Il y eut un instant de flottement pendant lequel tout le monde retint son souffle. Puis, Maes remua, se dégagea de la poigne de Roy, redressa ses lunettes sur son nez et, soudain beaucoup plus calme, se releva avec une expression perdue quelque part entre l'hébétude et la détermination.

- J'y retourne, annonça-t-il d'une voix étrangement posée.

Maes repartit. Ils entendirent la rumeur d'une conversation, mais, finalement, on ne le renvoya pas. Roy poussa un soupir et retourna s'asseoir sous les regards incrédules des quatre futurs grands-parents qui ne savaient pas s'ils devaient lui reprocher d'avoir frappé un homme en panique ou le remercier de l'avoir fait. Quoi qu'il en soit, l'attente se fit dans un peu plus de calme qu'auparavant, bien que le père de Maes ait ouvert ses vannes émotives qu'il semblait désormais incapable de refermer.

Lorsque Maes refit son apparition, ce fut avec des larmes de joie recouvrant l'entièreté de son visage. Il sauta dans les bras de ses parents en hurlant qu'il était papa, étreignit également ses beaux-parents qui l'accueillirent avec une affection non dissimulée, embrassa Roy sans plus vouloir le lâcher.

- Merci, mon vieux, sanglota-t-il tandis que Roy tapotait maladroitement son dos. Tu as bien mérité d'être le parrain d'Elysia.

- Pardon ? s'étrangla Roy, pris au dépourvu.

- Ne fais pas le surpris. Bien sûr que je comptais te le demander, et tu n'as pas intérêt de refuser. Bon, il faut que j'y retourne !

Maes repartit aussi vite qu'il était venu, laissant à Roy le temps de lancer à Edward un regard de reproche.

- J'en savais rien, justifia ce dernier en haussant les épaules, le sourire aux lèvres.

Elysia était un beau bébé aux yeux éveillés dont Roy tomba immédiatement sous le charme. Personne n'aurait pensé, pas même Hughes, le voir avec cette expression émue lorsqu'il se retrouva avec ce petit être fragile dans les bras, ni le voir fondre lorsque sa main minuscule s'accrocha à son index. Bien sûr, les plus heureux se trouvaient être les parents, entourés d'une aura d'épanouissement qui englobait dans une bulle de bonheur tous leurs visiteurs. Plus tard dans la journée, ceux qui travaillaient jusque-là se mirent à défiler et le regard méfiant que Riza Hawkeye porta sur Edward le mit mal à l'aise. Aussi, durant les jours qui suivirent, Edward se présenta à la clinique pour tenir compagnie à Gracia uniquement lors d'horaires où il était sûr de ne croiser personne puisqu'il s'était remémoré, plutôt brutalement, qu'il n'était pas tellement censé se trouver là. Lorsque Gracia put quitter l'hôpital avec sa fille, Edward et Roy les accompagnèrent chez eux avant de laisser les jeunes parents retrouver leurs marques dans cette maison qui accueillait désormais un nouvel habitant.

Cette nouvelle situation amena une certaine tension dans l'esprit des deux hommes. La naissance d'Elysia avait soudain souligné que le temps était passé et que tous deux s'étaient éloignés de leurs objectifs initiaux. Lorsqu'ils rentrèrent chez eux à pied, ils le firent silencieusement, soudain conscients de l'épée de Damoclès qui planait au-dessus de leurs têtes. Lorsque Roy sortit les clés pour ouvrir la porte de la maison, Edward lui barra le chemin, se mettant soudainement en face de lui.

- Roy.

- Edward, je...

- Roy, je t'aime. Je peux rester ici. Je ne suis pas obligé de rentrer chez moi.

C'était la première fois qu'il lui avouait ses sentiments avec des mots, même si Roy les connaissait très bien. Ses aveux, suivis de cette soudaine proposition le laissèrent sans voix. Il ouvrit la bouche et la referma plusieurs fois, incapable de réfléchir, incapable de penser à autre chose que : Je ne vais pas devoir l'attendre toutes ces années.

Pourtant, il parvint à balbutier.

- Tu ne peux pas faire ça.

- Bien sûr que je peux.

- Non. Tu as pensé à ton frère ? A ta famille ? A tout ce qu'il va se passer à Amestris ? Seras-tu capable de laisser les évènements se passer sans intervenir ? Je vais être surveillé. Tu vas être découvert. Tu ne peux pas rester ici.

Edward sembla déçu et haussa les épaules.

- Je ne sais même pas comment rentrer, de toute façon.

- Je ne veux pas te vexer, Edward, mais tu n'as pas vraiment cherché, ces derniers temps.

Il lui envoya un regard plein de colère.

- Alors c'est ça ? Tu veux que je parte ?

- Ce n'est pas ce que j'ai dit.

- Tu t'es déjà lassé ? Tu veux que je me casse ?!

- Edward, arrête de dire ça ! Tu sais bien que c'est faux !

- Alors, c'est quoi ? Hein ?!

- Je pense juste que tu as raison depuis le début. Rien ne peut vraiment changer ici, et tu n'as pas ta place dans ce monde. Tu as ta place à mes côtés, mais dès que tu sors d'ici, tu influences tout ce qu'il se passe autour de toi.

- Peut-être que c'est ce qu'il faut qu'il se passe !

- Ou peut-être pas. Edward, s'il te plait, ne m'oblige pas à dire « non » une fois de plus.

Edward vit sa détresse dans ses yeux. Il vit aussi que ses mains tremblaient. Sa colère se calma un peu. Il lui prit les clés des mains et ouvrit la porte de la maison pour le laisser entrer. Roy se laissa faire, mais, une fois qu'Edward eut fermé la porte, il l'affrontait de nouveau.

- Tu crois que c'est facile pour moi ? Quand tu reviendras dans ta réalité, tu me verras immédiatement et tout pourra reprendre exactement comme maintenant. Mais pour moi, ce n'est pas ce qu'il va se passer.

- Je sais.

- Tu n'as pas l'air de le savoir ! Treize ans, Edward ! TREIZE ANNEES ! Est-ce que tu te rends compte à quel point c'est dur pour moi de te dire de ne pas rester ? J'aurais presque quarante ans, et toi, tu seras exactement tel que je te vois aujourd'hui.

- Je suis désolé, Roy.

Le militaire soupira et se laissa aller sur le canapé. Edward s'assit timidement à ses côtés.

- Alors, comme ça, tu comptes m'attendre ?

- Tu en doutes ?

Roy le fusillait du regard.

- Je dis simplement qu'il peut s'en passer, des choses, en tant de temps. Et je ne pourrais pas t'en vouloir si tu refais ta vie.

Roy comprit soudain.

- C'est pour ça que tu veux rester ?

Edward détourna les yeux mais répondit tout de même.

- Pour moi, il se passera une seconde le temps que je revienne dans mon temps. Alors, tout aura changé. Peut-être que toi, tu auras changé. Que tu ne voudras plus...

- Je voudrais toujours de toi.

- Allons, Roy, on ne peut pas savoir.

- Je le sais. Une personne comme toi, on en fait qu'une par siècle, et je ne compte pas laisser passer ma chance.

Edward soupira, puis tenta de relativiser la situation.

- Ca fait déjà un an que je suis ici. Techniquement, si je m'en vais, ce sera douze ans d'attente plutôt que treize.

- Tu vois, se força à répondre Roy. Le temps réduit de jour en jour...


A contrecœur, Edward se remit à faire des cercles. Sans volonté, Roy les exécutait. Début août, ils n'avaient pas avancé, et c'était pour leur plus grand bonheur. Un jour qu'Edward étudiait l'elixirologie dans son laboratoire et qu'il mettait au point sa nouvelle technique, il entendit le téléphone sonner. Ravi d'être interrompu par Roy qui l'appelait pour la deuxième fois ce jour-là, il décrocha le combiné.

- Alors, on ne peut pas se passer de moi ?

- Edward ? fit une voix féminine.

Il y eut un moment de flottement.

- Madeleine ? demanda-t-il sans pouvoir cacher sa surprise.

- Oui c'est moi.

- Comment vas-tu ?

- Tu veux dire : en-dehors du fait que tu envoies des immigrés clandestins chez moi et que j'ai appris par eux que, non seulement, tu n'as pas encore trouvé de solution pour rentrer chez toi, mais qu'en plus, tu te mêles de choses qui ne te regardent pas ?

Edward resta sans voix, peu préparé à se faire agressé ainsi par une Madeleine contrariée. D'autant qu'il ne comprenait pas du tout de quoi elle voulait parler.

- Qu'est-ce que tu racontes ? bredouilla Edward au bout d'un moment.

- Il y a une jeune femme blonde, son frère, et d'autres gamins qui t'appellent "Eric" et qui sont venus pourrir mon ménage en squattant pour te parler.

Edward ouvrit grand ses yeux.

- Passe-les moi !

- Je le fais : mais tu me dois des explications.

- D'accord, mais après.

Il y eut un battement avant qu'il n'entende finalement la voix d'Isabelle raisonner dans le combiné.

- Eric ?

- Oui, c'est moi.

- Il faut absolument que tu m'expliques. Je ne comprends absolument rien, c'est complètement fou, ce qu'il se passe. Ce qu'il s'est passé.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- La police, chez Idamie, ce n'était qu'une mise en scène. Pour François aussi. Et… Eric, c'est bien toi ? Dis-moi que c'est bien toi.

- Bien sûr que c'est moi, rassura Edward qui entendait la voix d'Isabelle trembler et menacer d'éclater. Qu'est-ce que tu racontes ?

- Je ne sais pas comment c'est possible. Il y a des monstres, des gens qui peuvent prendre l'apparence d'autres, je pense. Et toi ? Est-ce que c'est bien toi ? Comment est-ce que je pourrais le savoir ?

Il réfléchit un instant, inquiet de savoir qu'elle semblait au courant de plus de choses que ce qu'elle devrait. Puis il répondit :

- La dernière fois que je vous ai vu, je vous ai dit que j'avais un frère et que vous lui ressembliez, Gabin et toi.

- … C'est un peu maigre pour me convaincre…

- Je n'ai pas grand-chose d'autre : les autres moments, j'aurais pu être n'importe qui d'autre. Cela dit, le simple fait que je réponde au téléphone alors que je t'ai dit d'aller chez Madeleine pour qu'elle me contacte pour vous devrait vous rassurer. Et moi, comment est-ce que je suis censé confirmer votre identité ?

Il y eut un nouveau silence pendant lequel Isabelle réfléchit un temps.

- Gabin m'a dit que les histoires d'Alphonse que tu nous racontais le soir étaient en fait tes aventures.

- Je lui avais dit de ne pas le raconter...

- Tu sais, mon frère n'est pas très fort pour garder un secret.

Edward ne put s'empêcher de rire, plutôt attendri par le gamin.

- Je ne sais pas ou tu es, ni qui tu es, continua Isabelle. Mais j'ai besoin d'explications. Dans le sud, c'est la guerre. Je ne sais pas exactement ce qu'il se passe mais je sais que le gouvernement dit n'importe quoi et ne laisse passer aucun message : pourtant, la Voix du Paysan a essayé de faire passer des lettres via les journaux, mais tout est censuré. On nous fait vraiment passer pour des méchants. Mais il y a des gens qui meurent tous les jours, et je ne ne sais même pas qui.

- Tu es venue chez Madeleine avec qui ?

- Les enfants et mon frère.

- Yves et Vivianne ne sont pas là ?

- Non, ils ne savent même pas que nous sommes partis. Adrien est allé les chercher pour les sortir du front et leur expliquer ce que nous avons découvert, mais… On est censé se rejoindre à Fosset.

- D'accord, fit Edward. Écoutez, ne bougez pas. J'essaie d'être là le plus vite possible : demain ou après-demain. Oh, et continuez de m'appeler « Eric ». Même Madeleine. Et il faudrait convenir d'un mot de passe pour qu'on soit sûr que ce soit nous, quand on se reverra.

- Un mot de passe ? Sérieusement...

- Hortensia, pour moi. Et toi, on peut dire...

- Limonade.

- Limonade ? Bon, si tu veux. Va pour limonade. On se voit demain.

Il raccrocha le combiné téléphonique et resta un moment devant le mur, incertain de ce qu'il devait faire. Isabelle semblait être au courant de l'agissement étrange des homonculi. Elle savait qu'Idamie n'était qu'un imposteur, mais elle semblait avoir découvert de nouvelles choses et il n'était pas sûr de vouloir savoir quoi : cela la mettrait au-devant d'un danger dont il ne pourrait pas la protéger. Et il ne voulait pas être responsable d'un nouveau désastre. Le poids de son implication dans toute cette affaire l'étouffait soudain, d'autant que, depuis deux mois, il se la coulait douce à roucouler avec un Roy Mustang qui n'était même pas celui de son monde. Toutes ces actions s'avéraient être des non-sens franchement égoïstes : après toute l'influence qu'il avait eu sur les autres, sur cette temporalité qui n'était pas la sienne, il se rendait bien compte qu'il n'avait pas donné grand-chose en échange. Quel piètre alchimiste faisait-il...


Lorsque Roy rentra, il fut étonné de ne pas entendre Edward descendre à sa rencontre, comme il le faisait habituellement depuis qu'ils étaient ensemble. Il déposa sa veste d'uniforme sur une patère, levant un sourcil face au calme de la maison.

- Edward ? appela-t-il.

- Monte ! entendit-il depuis l'étage du dessus.

Roy monta donc et entra dans le laboratoire d'Edward. Il y avait de la fumée partout et Roy s'empressa d'aller ouvrir la fenêtre.

- Qu'est-ce que tu fabriques, bon sang ?

Edward était concentré à dessiner des minuscules cercles sur des morceaux de papier.

- Je m'en vais.

Roy devint tout blanc. Avait-il trouvé un moyen de retourner dans sa temporalité ? Maintenant ? C'était trop tôt. Il n'était pas prêt.

- Déjà ? fit-il d'une voix plus aiguë que la normale.

Edward leva alors les yeux vers lui et, voyant son expression, lui sourit, rassurant.

- Non, l'allumette. Je pars chez Madeleine.

L'angoisse de Roy partit comme elle était venue et il se détendit.

- Pourquoi tu veux partir chez elle ?

- Des copains de la ferme sont là-bas, ils m'ont appelé.

Roy haussa de nouveau un sourcil et Ed sourit.

- Comme je déteste quand tu fais ça.

- Ca quoi ?

- Avec ton sourcil.

- Je ne fais pas exprès. Tu n'aimes pas ça ?

- Si, j'adore.

- Alors pourquoi dis-tu que tu détestes ?

- Parce que tu me fais penser à toi, plus tard. Ça m'insupportait. Mais c'est tellement… toi.

- Bon, et quel rapport avec tout ça ?

Il désigna d'un geste l'ensemble de la pièce. Elle était particulièrement en bazar, il y avait des fioles étiquetées partout par terre et une valise grande ouverte dans laquelle il y avait d'autres, rangées soigneusement.

- Je vais en profiter pour faire des tests. Ce n'est pas prudent que je le fasse à la maison.

- Des tests ? Des tests de quoi ?

- D'elixirologie. Enfin, l'antique. Parce que la classique, je n'arriverais jamais à la maitriser pleinement : mine de rien, il y a certains principes qui ne se détachent pas de l'alchimie.

Roy comprit soudain le rapport avec l'elixirologie, Madeleine et ses deux amis de la ferme.

- Ne me dis pas que tu vas au sud !?

- Pas tout de suite, je vais déjà aller voir Isabelle et les autres.

- Mais bon sang, Edward ! Tu ne peux pas y aller !

- Je m'en suis mêlé, alors il faut que je termine ce que j'ai commencé.

- Tu ne peux pas faire ça ! On a bien vu ce que ça donnait !

- Je peux faire en sorte d'arrêter la guerre.

- Et comment tu comptes t'y prendre, au juste ? ironisa Roy, agacé.

- Je vais déjà chez Madeleine pour qu'on me donne des infos sur cette putain de guerre dont les médias cachent la moitié des évènements !

- N'y va pas.

- Roy...

- S'il te plait, n'y va pas. Je sais que tu iras. Même si je t'en empêche : tu trouveras un moyen de partir. Mais, je t'en supplie, ne t'en va pas.

- Roy, ça va aller.

- On n'en sait rien.

Il était très sérieux et Edward le vit à sa tête dont l'expression s'était fermée.

- Tu te crois peut-être intouchable parce que ce sont des évènements qui ont, pour toi, déjà eu lieu. Mais si tu sais tout ce qu'il va se passer, tous les évènements qui vont bouleverser Amestris, tu es incapable de dire ce que, toi, tu vas devenir. Il n'y a aucune garantie que tu réussisses à rentrer chez toi, ni que je puisse t'attendre douze ans. Tu pourrais mourir avant tout ça.

Edward pinça ses lèvres. Il savait que Roy avait raison, quelque part, mais il ne pouvait se résoudre à ignorer ses amis et à fermer les yeux sur ce qui allait se passer.

- Il faut que j'essaie, au moins. Je m'en voudrais de ne pas essayer… Tu ne sais pas ce que ça fait. Tu ne sais pas les horreurs qui vont arriver… ! Toutes les personnes qui vont mourir, qui vont tout perdre dans les années à venir ! Tu ne sais pas ce que s'est !

- J'ai fait la guerre, je te rappelle !

- Alors laisse-moi faire la mienne !

- La tienne est terminée depuis longtemps ! Ton frère a retrouvé son corps, Amestris a été sauvée. Tu me traites d'idéaliste, mais finalement, il n'y a que moi qui écoute tes paroles qui, je te le rappelle, étaient de l'ordre de : "Il ne faut rien changer, la moindre modification pourrait mener à la perte de tout le monde".

- Alors tu vas laisser Hughes mourir ? trancha Edward d'une manière aussi froide qu'irréfléchie.

Le sang de Roy se figea. Son corps entier se gela. Sa gorge se noua. Ses traits se durcirent et la jeunesse de son visage se dissipa pour laisser place à la sévérité du soldat éprouvé. Edward sut à ce moment-là qu'il avait parlé avant de raisonner, et il se rendit compte du caractère illimité de sa stupidité.

- Si tu n'étais pas entré dans sa vie, la question ne se poserait pas.

Sa voix était si glaciale qu'Edward en frissonna. Il comprit seulement ensuite le sens de sa phrase : s'il n'avait pas mêlé Hughes à tout cela, des années plus tôt, il n'aurait pas fouiné dans les archives du gouvernement, il n'aurait pas découvert la vérité, et Envy ne l'aurait pas assassiné pour le réduire au silence. Les lèvres d'Edward tremblèrent. Il ne le savait que trop bien. Une colère, dirigée contre lui-même, grandit soudain en lui et se mêla à la culpabilité. Il se détourna de Roy et continua de trier ses fioles, les posant méticuleusement dans la valise ouverte à côté de son bureau.

- Tu n'as même pas été capable de le voir, lui reprocha Roy.

- Bien sûr que je l'ai vu. Je me sens coupable de toutes les vies perdues par ma faute, notamment de celle de Hughes ; je me sens coupable de l'infirmité de Havoc ; je me sens coupable aussi de la perte de ta vue – même si, au final, le Dr. Marcoh a été capable de te la rendre. Je me sens coupable d'avoir fait souffrir les gens autour de moi, et tu ne peux pas savoir à quel point ça me fait mal de vous voir, tous, jeunes, en bonne santé, et inconscients de ce qui vous attend.

- Et il a fallu que tu partages ton fardeau, que tu me le refourgues !

- C'est toi qui as voulu tout savoir !

- Parce que tu crois que j'avais la moindre idée de ce que tu allais me raconter ?!

- Tu vas quand même pas me reprocher d'être venu ?!

- C'est le problème quand on joue avec des choses qu'on ne maîtrise pas !

Edward claqua sa valise et la prit.

- Ca tombe bien, je m'en vais. T'as qu'à m'oublier, si c'est ce que tu veux.

- Va te faire foutre ! rugit Roy en prenant le premier objet qui lui venait sous la main pour le balancer sur Edward.

L'objet se brisa contre le mur et retomba en mille éclats sur le sol. Edward, lui, était déjà parti.