Bonjour à tous ! Voici le nouveaux chapitre. En vous souhaitant une excellente lecture en attendant le prochain chapitre dans deux semaines ! N'hésitez pas non plus à laisser des reviews, ça me fait toujours plaisir de pouvoir lire vos commentaires.


Chapitre 27 – Ce que fait dire la peur


Edward était un piètre élixirologue pour la simple raison que cette science se basait sur la perception du poult du dragon mais que ce concept était, pour lui, difficile à atteindre. Il avait mis longtemps à le sentir et n'arrivait pas vraiment à le manier. Alors, il avait élaboré une nouvelle forme d'élixirologie afin de contourner ce problème : l'utilisation d'une préparation chimique comme matière pour dessiner un cercle de transmutation lui permettait de modeler, comme si ça avait été de l'alchimie, les éléments. Pour cela, il n'avait pas besoin d'être un excellent élixirologue : il lui suffisait juste de se concentrer suffisamment pour activer le cercle. Il jouait juste le rôle d'une allumette, la potion faisait le reste.

Avec cette technique, il était parvenu à réparer ou créer des objets qui, avec un peu d'entrainement, s'étaient précisés jusqu'à ce que les résultats soient effectivement plus réussis que s'il avait utilisé un cercle d'élixirologie simple, comme cela avait été le cas avec Barry le Boucher mais aussi lorsqu'il travaillait à la ferme et qu'il avait tenté d'éteindre l'incendie provoqué par Envy. Force était de constater que, avec de l'entrainement, le résultat de ses transmutations n'était pas uniquement « satisfaisant » : en réalité, il égalait presque ce qu'il était capable de faire avec l'alchimie lorsqu'il pouvait encore l'utiliser. Cela l'avait d'abord rendu fier, mais une certaine inquiétude s'était immiscée en lui lorsqu'il en était arrivé à un constat cruel : il allait pouvoir passer à la vitesse supérieure et mettre en place son idée initiale. Faire de la transmutation à distance. Si cela marchait, il pourrait alors tenter la transmutation à travers le temps, puis enfin rentrer chez lui.

En traçant deux cercles identiques éloignés, il avait espéré pouvoir faire passer un objet dans l'autre, l'échangeant avec quelque chose d'égal. Cette idée lui était venue lorsqu'il avait pensé à May, capable d'utiliser le poult du dragon à distance en utilisant ses kunais. Mais il avait eu beau se concentrer sur le poult du dragon et sur tous ces principes compliqués qui formaient l'élixirologie, il n'arrivait qu'à transmuter des objets dans le cercle sur lequel il était en train de travailler, sans parvenir à détecter l'autre cercle, ni à faire quoi que ce soit à l'intérieur.

Mais, voilà, il n'avait pas réfléchi correctement. Pour arriver accidentellement jusqu'ici, dans le passé, il avait utilisé l'élixirologie sans jamais y être parvenu auparavant. Il n'avait jamais senti le poult du dragon, n'avait jamais compris comme cela fonctionnait, n'avait jamais réussi à provoquer la moindre petite étincelle. Malgré tout cela, son cercle avait étonnement fonctionné le jour de son voyage temporel, et il avait senti des choses qu'il n'avait jamais ressenties auparavant. Alors, que s'était-il passé ? Ce n'était pas véritablement de l'élixirologie qu'il avait fait, ce jour-là. Il avait simplement ouvert une porte sur une énergie et une présence familière : la sienne, son alchimie, son sang. Tout ceci était plus facile à reconnaître que tous les autres flux. Alors, il avait saisi cette force sans comprendre ce qu'elle était pour réussir son expérience. Mais, de l'autre côté, c'était une transmutation humaine qui se jouait, et il avait été happé.

Que s'était-il passé ensuite ? Quelque chose avait visiblement changé en lui. En se concentrant, il avait été capable de percevoir ce poult du dragon. C'était difficile, et il avait mis longtemps à comprendre comment l'utiliser, mais cela lui avait permis de survivre, de se défendre contre Barry le Boucher, de faire ses expériences et d'en arriver à la maîtrise qu'il avait aujourd'hui de cette science. Il n'arrivait pas exactement à comprendre, ni à expliquer, pourquoi il n'y était parvenu qu'en apparaissant dans cette temporalité, mais il y était parvenu et, après sept ans de quête désespérée, il avait finalement réussi à récupérer cette partie de lui-même qu'il regrettait tant.

Toujours était-il qu'une partie de la réponse devait sans doute résider dans son sang et dans la familiarité inconsciente qu'il avait avec lui-même. C'est pourquoi, muni de sa valise remplie de fioles, il se retrouvait sur la terrasse détrempée de chez Madeleine, à peine abrité par l'auvent qui goûtait dans ses cheveux, indifférent à ses pieds nus dans les flaques boueuses qui s'étaient formées là. Isabelle l'avait suivi, plongée dans l'incompréhension la plus totale, et ne put s'empêcher de lâcher une exclamation de surprise lorsqu'il débouchonna l'une des fioles, sortit un couteau, se taillada un doigt et laissa le sang couler à l'intérieur pour se mêler au liquide translucide déjà présent.

- Qu'est-ce que tu fais ? s'inquiéta-t-elle d'une voix alarmée sans oser se rapprocher de lui.

Il ne prit même pas la peine de lui répondre, trop concentré à reboucher la petite bouteille et à la secouer pour homogénéiser le mélange. Son esprit était trop occupé à la rétrospective de tout ce qu'il avait vécu, à essayer de comprendre ce qu'il avait loupé, pourquoi il l'avait loupé, comment il l'avait volontairement loupé ; à laisser son côté scientifique prendre le pas sur tout le reste tandis qu'il jubilait d'avoir enfin une hypothèse qui tenait la route, d'avoir enfin une expérience à tenter qui n'était peut-être pas veine, d'avoir enfin une solution pour remettre les choses dans l'ordre, d'avoir enfin les prémices d'une explication qui lui permettrait de découvrir comment il avait pu se retrouver ici. Sans attendre une seconde de plus, il remonta ses manches et balaya le sol de ses avant-bras, déblayant le trop-plein d'eau mêlé de saletés qui aurait pu contrecarrer ses plans et faire faillir son expérience. Cela fait, le contenu de la fiole se retrouva sur ses doigts et il se mit à tracer un cercle qu'il connaissait par cœur pour avoir trop de fois essayé de l'activer en vain. Puis, plus loin, il réitéra ses gestes sous les yeux terrifiés d'Isabelle qui ne s'était même pas avancée sur la terrasse et laissait la pluie imprégner ses cheveux et ses vêtements sans sembler en avoir conscience.

Edward regarda fébrilement autour de lui et récupéra deux tuteurs décoratifs de fer forgé surmontés d'animaux finement ouvragés, plantés jusque-là dans un pot de fleur, et se leva pour les poser chacun dans un cercle. Sans attendre une seule seconde de plus, il posa ses deux mains sur la bordure de cette forme géométrique et ferma les yeux pour chercher le poult du dragon. Il y parvint plus vite que d'habitude, et il sentit, en effet, un changement certain dans la nature de cette énergie qu'il percevait. Il s'accrocha à ce flux, en délimita la forme, le lia avec un autre, celui du deuxième cercle qu'il percevait étrangement, lui aussi, alors que, jusque-là, il n'arrivait qu'à sentir ce qui était à proximité immédiate. Au bout de longues minutes de concentration intense, il parvint finalement à activer les deux cercles simultanément et il leva les paupières juste à temps pour voir les tuteurs disparaître pour se rematérialiser, atome par atome, se remplaçant l'un et l'autre dans les deux cercles éloignés. Lorsque les éclairs bleus disparurent et que la transmutation toucha à sa fin, Edward se précipita d'un bond, presque à quatre pattes, jusqu'à l'un des tuteur et l'inspecta pour constater qu'il semblait parfaitement recomposé.

Alors, une vague ardente le submergea complètement, remontant de son ventre, enflammant ses entrailles, exaltant ses poumons, déployant sa gorge, tandis qu'un véritable cri de joie passait le seuil ses lèvres avec une violence qui le mit sur ses pieds, le fit sauter dans les bras d'Isabelle qu'il fit tournoyer sous la pluie légère qui les entourait. La lumière lui parut plus vive, comme si un rayon de soleil doré était venu frapper chacune des gouttes d'eau qui tombait en minces filets d'argent sur le champ d'émeraude qui s'étendait à leurs pieds. Dans ce décor rendu idyllique par l'euphorie de sa réussite, il reposa la jeune femme sans réussir à contrôler le rire joyeux qui s'élevait du plus profond de son âme.

- J'ai réussi ! J'ai réussi, putain de merde ! Je vais rentrer chez moi ! Tu te rends compte, Isa ?! Je vais rentrer chez moi ! Quand je vais le dire à Roy, il va-

Le décor fabuleux qui s'était composé tout autour de lui disparu aussi vite qu'il était apparu dans la grisaille de la réalité, sous le poids d'un torrent d'eau qui s'abattait froidement sur ses épaules, dans la boue dans laquelle se noyaient quelques brins d'herbe verdâtres. La vague d'allégresse qui était remontée de ses entrailles pour sortir s'exprimer à l'air libre se transforma en un liquide glacé qu'il ravala dans un souffle saccadé par l'horreur. Là, au sommet du succès de sa quête, sur le palier de la porte de chez lui, à la gloire de son combat contre la Vérité qui pensait l'avoir amputé de ses capacités, à l'orée de retrouvailles joyeuses avec son frère perdu depuis un an ; alors que la joie aurait dû le saisir, alors que la paix aurait dû l'envahir, alors que la fierté d'avoir accompli ce que personne avant lui n'avait accompli aurait dû supplanter tout le reste, le désespoir l'imprégna tout entier, suinta de tous ses pores, envahit tout l'espace, écrasa toutes les autres émotions.

Roy va s'effondrer.

C'était la seule conséquence de sa découverte.

Edward se sentit prit d'une faiblesse et ses jambes se dérobèrent sous son poids. Il se retrouva à genoux dans la fange, complètement vidé.

Il était capable de transmuter dans l'espace. Il était presque certain de pouvoir transmuter dans le temps. Il était allé plus loin que tous les autres. Il était le plus brillant de tous. Il était le génie que tout le monde disait qu'il était. Et pourtant, il espérait, à ce moment précis, être le plus idiot de tous les Hommes.

- Comment est-ce que je vais pouvoir lui annoncer ça ? bredouilla-t-il tandis qu'Isabelle entrait dans son champ de vision, soudain elle aussi à genoux.

Elle passa ses mains sur son visage et l'attira contre elle. Instinctivement, il passa ses bras autour de sa taille et enfouit son visage dans sa chevelure que l'ondée avait pénétrée.

- Est-ce que tu viens d'un autre endroit ? demanda-t-elle doucement.

Il hocha lentement la tête, incapable de mentir, et franchement pas enclin à le faire, de toute manière.

- Du futur, ou quelque chose du genre ?

- Oui.

Dans ses bras, il avait l'impression d'avoir de nouveau cinq ans, fragile face à une coupure superficielle que seuls le contact et la voix de sa mère parvenaient à apaiser. La comparaison était peut-être perturbante, mais il se sentit soulagé et il laissa simplement les sensations agréables qui le saisissaient le guérir de son angoisse.

- Ca fait longtemps que tu es ici ?

- Bientôt un an…

- Et Roy ?

- On a le même âge, maintenant…

- C'est lui avec qui tu vis, n'est-ce pas ?

Edward se crispa, soudain conscient des nombreuses déductions d'Isabelle.

- Ici, j'ai douze ans, lâcha-t-il. Je peux pas rentrer… Ce serait trop dur pour lui…

- J'imagine qu'il faudra que vous en discutiez tous les deux.

Il hocha une nouvelle fois la tête, puis releva le regard, craignant de voir dans ses yeux quelque chose comme de la peur ou du dégoût. Mais tout ce qu'il vit sur son visage ne fut qu'une expression bienveillante étirée par un sourire de tendresse mêlé à ce qui aurait pu s'apparenter à une certaine forme de tristesse.

- Comment tout cela est-il possible ? demanda-t-elle alors.

- Je ne peux pas tellement t'expliquer… Je ne sais pas moi-même ce qu'il s'est passé exactement et les théories sont assez techniques, alors, tu ne comprendrais probablement pas.

- Mais tu as quand même réussi à trouver une solution ?

- Je pense, oui. J'ai encore plusieurs choses à essayer pour en être certain…

Et, pendant les jours qui suivirent, c'est ce qu'il fit. Son esprit scientifique, obnubilé par sa nouvelle découverte et tous les tests qu'il pouvait faire avec, apaisa sa peine de cœur et il ne se formalisa pas tant que ça de n'avoir que des échanges plutôt froids au téléphone avec Roy. Le temps s'améliora et le soleil de l'été réchauffa l'atmosphère pour lui permettre de tenter ses expériences sans composer avec la pluie. Gabin, Violette et Margaux se mirent à squatter le jardin à ses côtés pour jouer et profiter des « miracles » qu'il produisait. Si, pour les filles, il s'agissait davantage d'une sorte de magie et un incroyable divertissement qui leur permettait d'avoir autant de jouets qu'elles le souhaitaient, pour Gabin, c'était une véritable fascination et il se mit à poser des tonnes de questions sur les principes de l'alchimie et sur ceux de l'élixirologie. Edward y répondait volontiers, heureux d'avoir une personne avec qui en parler, sans pour autant entrer dans les détails ou parler des dangerosités de la chose. Seul Valentin émettait quelques réserves à être avec Edward qu'il passait son temps à éviter lorsqu'il le pouvait : il se réfugiait alors dans la grange à regarder Madeleine travailler ou dans la chambre qu'il occupait avec Gabin, bien qu'il ait une dent contre lui pour l'amitié qu'il vouait au faux brun.

Isabelle, elle, ne savait plus quoi penser. Elle aurait voulu ne pas croire à l'improbable histoire que lui avait racontée Eric, et ne demandait d'ailleurs pas plus de détails : elle comprenait mieux les réactions de Madeleine et se mit à se mettre des œillères, comme elle. Pourtant, le destin qui semblait se profiler pour les personnes de sa région ne semblait pas très positif et, au bout de quelques jours, elle en parla à Eric.

- Il faut que je mette un plan en place, mais pour cela j'ai besoin de documents. Roy doit boucler une affaire mais nous rejoindra ensuite : normalement, dans une semaine, il devrait être là.

Elle ne savait pas quoi penser de ce « Roy ». Non pas qu'elle fut particulièrement jalouse où choquée que sa « petite amie » soit en réalité un homme, mais elle sentait Eric sur les nerfs et les échanges téléphoniques qu'il échangeait avec lui le plongeaient dans une morosité qu'il noyait sous les expériences élixirologiques. Ces moments de mélancolie qu'avait Eric ne s'amélioraient pas la nuit, mais elle voyait dans son expression un certain soulagement de pouvoir la rejoindre dans la cuisine lorsqu'il n'arrivait pas à dormir. C'était aussi un moment important pour elle et elle se sentait rassurée en sa présence qui lui faisait oublier tous ses cauchemars où le feu et le sang se mêlaient souvent à des monstres sans visages. Dès la première nuit, ce rituel qu'ils avaient développé à la ferme de Yves et de Viviane reprit et elle se mit à lui raconter ses rêves. Lui les gardait pour lui, au début, avant de les lui révéler également.

- Barry le Boucher, dit-il en soufflant, une sueur d'angoisse perlant encore sur son front. Je ne sais pas si tu en as entendu parler. C'est un tueur en série qui découpait les gens… J'ai rêvé qu'il avait kidnappé Winry, mon ex-petite amie, et aussi mon amie d'enfance. Tu sais… Je t'en avais parlé. C'était si réel.

- C'est bizarre que tu rêves d'un gars pareil.

- Pas tellement, je l'ai déjà rencontré…

Et c'est comme cela qu'elle en apprenait tous les soirs un peu plus sur lui, sans tellement le vouloir pour autant.

- Tu devrais lui dire que c'est trop pour toi, lui dit un jour Madeleine tandis qu'elles coupaient toutes deux des pommes de terre dans la cuisine. Il comprendrait, et il y a des choses que tu ne devrais pas savoir. C'est dangereux.

- Comment tu peux savoir qu'il me parle ?

- Il passe devant ma chambre, la nuit, et je l'entends. Et puis, après, il y a la rumeur de vos conversations. Je sais qu'il est attachant, mais, parfois, il faut savoir se protéger aussi…

- C'est comme ça, soupira Isabelle. Dis, tu l'as rencontré, toi, Roy ?

- Oui, une fois.

- Comment tu les as rencontrés ?

- Ils cherchaient mon oncle… Sa femme a fait les mêmes erreurs que lui, donc il voulait savoir si elle avait des informations.

- Et tu les as aidés ?

- J'ai aidé Ed, oui. Mustang n'est pas resté très longtemps.

- Alors tu ne le connais pas tellement…

- Non, pas vraiment. Je sais juste qu'Ed lui fait confiance, même s'ils ne sont jamais d'accord et passent leur temps à se disputer. Je te jure, on dirait un vieux couple.

Isabelle ne put s'empêcher de rire :

- Ca fait pas si longtemps qu'ils sont ensemble, si ?

- … Quoi ? demanda gravement Madeleine en s'arrêtant d'éplucher les patates.

- … Rien, répondit Isabelle, prise en faute.

- C'est pas vrai ! s'énerva la brune en laissant tomber ses légumes dans l'évier. Dis-moi que c'est pas vrai ! Non seulement il change de temporalité, mais en plus il fait sa vie ici ?! Mais c'est pas possible ?! Comment pourrait-il être plus déraisonnable que ça ?!... Oh mon dieu, ça fait un an qu'il est là. Je suis sûre qu'il a trouvé une solution pour se barrer mais qu'il fait genre que non.

Elle disparut, laissant Isabelle seule et un peu inquiète quant au sort que réservait Madeleine à Eric. Ou à Edward. Elle n'entendit pas ce qu'elle lui dit, mais elle ne manqua aucun des regards noirs qu'elle lui lança ce soir-là, ni la joue rouge d'Eric qui témoignait qu'elle avait probablement été malmenée.

Un jour de beau temps où Isabelle passait la serpillère dans la maison, on frappa à la porte et elle se dirigea vers l'entrée, devancée par Oups, pour ouvrir au visiteur. Il s'agissait d'un homme plutôt grand, aux cheveux d'une couleur aussi profonde que celle de ses yeux en amande, les traits tirés, visiblement fatigué, le bras gauche en écharpe et une grosse valise dans sa main libre. Il la déposa d'ailleurs pour caresser le chien qui se frottait à ses jambes, puis pour lui tendre la main en se constituant une expression amicale. Malgré l'épuisement qu'elle lisait sur son visage, elle dut admettre qu'il était séduisant.

- Bonjour, je suis désolée de me présenter ainsi à l'improviste, fit-il poliment tandis qu'elle lui serrait la main en retour. Je n'ai pas eu le temps de m'arrêter à une cabine téléphonique, sinon j'aurais manqué le départ de mon train.

- Bonjour, répondit Isabelle, un peu perdue. Si vous cherchez la menuiserie, c'est la porte là-bas.

- Oh, non. Je viens voir Ed. J'imagine que vous êtes Isabelle ? Vous le connaissez sous le nom d'Eric.

Elle se raidit. D'abord parce qu'elle imaginait très bien qu'il s'agissait de Roy Mustang même s'il ne s'était pas présenté ; ensuite parce qu'elle ne pouvait s'empêcher de se montrer méfiante envers les étrangers depuis sa mésaventure sur le Mont Vagne.

- Vous êtes ? demanda-t-elle.

- Roy Mustang.

Elle déglutit, incapable de savoir ce qu'elle devait faire. Devait-elle le laisser entrer sans rien dire, sans savoir si c'était bien lui ?

- Je vais le chercher, finit-elle par décider. Vous pouvez attendre une seconde ?

- Bien sûr.

Elle laissa l'inconnu sur le palier et se précipita dans le jardin où Ed s'affairait à de nouveaux tests élixirologiques sous le regard attentif de Gabin.

- Eric ! Il y a quelqu'un pour toi devant. Je ne sais pas si…

Ed releva la tête et se leva, comprenant aussitôt son inquiétude. Il la dépassa et elle le suivit dans le couloir de l'entrée, le visage sérieux. Mais dès l'instant qu'il aperçut Roy, son expression se transforma en un mélange étrange de ravissement et d'inquiétude et, sans prendre la peine de se montrer précautionneux, il s'empressa de sortir à l'extérieur pour se planter devant l'autre homme en agitant les bras de manière assez anarchique.

- Bordel de merde ! gronda-t-il. Qu'est-ce que tu t'es fait ?!

- Bonjour, cassa Roy sur un ton glacial.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé, bon sang ? Pourquoi tu es blessé ?!

- Je t'ai dit que j'étais sur une affaire.

- Tu ne m'avais pas dit que c'était dangereux… !

- Tu ne me l'as pas demandé.

Isabelle sentait bien la tension qui régnait entre les deux hommes et elle décida d'ailleurs de récupérer le chien avant de les laisser seuls, embarquant aussi Gabin qui, curieux, avait suivi le mouvement général.

Edward, lui, se sentit soudain atrocement coupable. Il s'était laissé emporter par ses recherches et n'avait effectivement pas demandé sur quelle affaire Roy travaillait. Il ne s'attendait pas à le voir arriver ainsi écorché, ni de l'entendre lui parler aussi froidement. Aussi se calma-t-il pour régler la situation sans s'exciter.

- Je suis désolé, se força-t-il à dire. Qu'est-ce que tu as ?

- Pas grand-chose. C'est juste en prévention. Je me suis pris une balle dans l'avant-bras, alors il faut que je le laisse en l'air pour éviter que le sang redescende et crée une nouvelle hémorragie.

- Une balle dans le bras, répéta Edward d'une voix blanche.

- Je suis fatigué par le voyage. Est-ce qu'on peut entrer ?

Edward se précipita fébrilement sur sa valise et lui demanda de le suivre. Il s'engagea dans un couloir jusqu'à sa chambre et le fit entrer à l'intérieur. Roy leva un sourcil, visiblement un peu étonné de se retrouver dans un chaos pareil et c'est contrarié qu'il se tourna vers le jeune homme. Celui-ci lui adressa un maigre sourire.

- C'est que… Les filles sont plus ou moins au courant qu'on est ensemble alors… Je me disais que tu pouvais dormir avec moi…

- C'est pas possible, grogna Roy. Tu es vraiment une catastrophe. Ce n'est pas le genre de choses à dire à n'importe qui.

- Je sais… C'est un peu sorti tout seul…

- Eh bien tu devrais apprendre à la fermer de temps en temps.

Son ton était si cinglant qu'Edward ne sut d'abord pas quoi dire. Ils étaient face à face et Roy le regardait d'un œil si noir que n'importe qui d'autre se serait ratatiné sur place s'il en avait été l'objet. Sauf qu'Edward n'était pas n'importe qui et, au lieu de se laisser marcher dessus, se laissa aller à l'agacement.

- Je sais que j'ai fait pas mal de conneries et que j'ai été odieux avec toi quand on s'est quitté, la dernière fois. Mais je me suis excusé un bon nombre de fois sans avoir ton pardon, et je ne sais pas combien de temps tu comptes rester en colère contre moi, mais il va peut-être falloir que tu arrêtes de me parler comme si j'étais ton chien.

- Oh, ça c'est la meilleure. C'est moi qui te traite comme un chien maintenant.

- Putain, Roy, pourquoi t'es venu si c'est pour m'en foutre plein la gueule ?

- Parce qu'il faut qu'on élabore un plan et que tu me donnes les dates des évènements qui vont avoir lieu. Mais ce n'est certainement pas pour te voir, toi.

- Quoi ? s'étrangla Edward.

- Il y a des cartes, des documents et de quoi noter dans la valise. On va aller se mettre sur la table de la salle à manger.

- Tu te fous de moi ?

Roy s'agenouilla pour ouvrir la valise, joignant le geste à la parole, ignorant parfaitement le fait qu'Edward aurait voulu parler d'eux, de leur relation et de leurs différends. Edward ne dit d'abord rien, choqué de le voir agir ainsi comme s'il n'était rien de plus qu'un collègue de boulot avec lequel il fallait qu'il règle une affaire professionnelle. Puis, une bouffée de colère s'empara de tout son corps. Sans avoir eu le temps de réfléchir, il avait déjà relevé Roy en le saisissant par le col et l'avait plaqué contre le mur. L'autre homme ne sembla pas vouloir se débattre et se contenta de le regarder de haut avec cette expression glaciale qu'Edward ne lui avait vu qu'une seule fois : lorsqu'il avait voulu tuer Envy et qu'il l'en avait empêché. Ce jour-là, il avait sérieusement cru qu'il allait le cramer avec l'homonculus. Comme ce jour-là, il fut saisi d'une peur viscérale qui relevait plus de l'instinct que de la raison.

- Bordel de merde, Roy, tu vas pas m'ignorer, quand même !

La colère avait disparu presque aussi vite qu'elle était venue pour laisser place à une sorte de panique sourde qui s'y apparentait en apparence. Ils ne s'étaient pas vus depuis dix jours et, pendant ce temps, il avait largement eu le temps de s'en vouloir mortellement d'avoir balancé la mort de Hughes au nez de Roy ; d'avoir sérieusement envisagé d'assassiner Shou Tucker ; d'avoir trouvé une solution pour rentrer chez lui. Il se demandait encore comment il allait pouvoir lui annoncer une nouvelle pareille alors que Roy lui avait manqué comme personne ne lui avait manqué auparavant : et ce n'était que dix jours de séparation… Malgré toute l'angoisse qu'il portait en lui, Roy, indifférent, le regardait comme s'il ne valait plus rien, comme si ce qu'il avait dit avait détruit quelque chose entre eux et force était de constater que c'était sans doute le cas. Le cœur d'Edward s'affola et il le relâcha légèrement, complètement sidéré.

- C'est pas vrai, murmura-t-il. Dis-moi que c'est pas vrai…

Alors, quoi ? Il allait devoir dire à Roy ce qu'il voulait savoir et il le laisserait partir sans rien dire ? Il avait pensé que Roy s'effondrerait à l'annonce de la possibilité de son départ, mais, finalement, ce serait peut-être une bonne nouvelle pour lui.

- PUTAIN DE BORDEL DE MERDE, ROY, DIS QUELQUE CHOSE !

Ce n'est pas des paroles qui lui répondirent mais un poing en pleine figure. Edward, prit de surprise, trébucha dans le désordre de la chambre et s'écrasa au sol. Il n'eut pas le temps de comprendre ce qu'il lui arrivait que Roy était déjà sur lui, son bras valide comprimant sa gorge.

- IL FAUT QUE TU ARRETES D'AGIR DE MANIÈRE COMPLETEMENT EGOISTE ! hurla-t-il soudain. IL FAUT QUE TU RÉFLÉCHISSES, QUE TU ARRÊTES TES CONNERIES ! IL FAUT QU'ON ARRÊTE NOS CONNERIES, À TOUS LES DEUX. J'AI COMPLÈTEMENT ABANDONNÉ MES COLLÈGUES, MA CARRIÈRE, MA PRUDENCE, MA RÉPUTATION : POUR TOI ! TU M'AS RENDU TARÉ, ET ÇA CONTINUERA AUSSI LONGTEMPS QUE TU SERAS LÀ, AUSSI LONGTEMPS QUE TU NE SERAS PAS PARTI, AUSSI LONGTEMPS QUE TU SERAS DANS MA VIE ! TU N'AS RIEN A FAIRE LA !

Edward était sonné par ses paroles, étouffé par son avant-bras, tétanisé par la violence de toute cette situation. Il savait que leurs retrouvailles seraient un peu houleuses, mais il pensait aussi qu'ils se retrouveraient après s'être pardonné. Mais Roy ne semblait pas vouloir lui pardonner. Il voulait qu'il dégage, et c'était tout. Il le détestait. Et c'était peut-être normal, après tout : il avait tellement merdé et violé tellement de règles pour parvenir à ses fins. Pourtant, malgré la justesse des paroles de Roy, Edward ne put s'empêcher d'haleter tant ces mots l'avaient oppressé. Malgré lui, ses yeux s'embuèrent, ses bras se refermèrent autour du corps qui le surplombait, et sa voix, malgré lui, gémit une protestation tellement bouleversée qu'il ne la reconnut même pas. Roy non plus ne la reconnut pas et il desserra sa prise, choqué par la détresse soudaine du jeune homme, par ses gestes désespérés qui le cherchaient, par ses lèvres qui trouvèrent les siennes et écartèrent en une seconde ce qu'il s'était juré de faire.

Roy l'aimait de tout son cœur. Pendant dix jours, il s'était efforcé d'attiser sa haine contre lui et à se faire croire qu'il le haïssait, bien décidé à se débarrasser de ces sentiments trop encombrants. Edward avait pris trop de contrôle sur lui, l'avait embarqué dans ses histoires à dormir debout, l'avait angoissé, avait fait tomber toutes ses barrières au point qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même : un type aussi ridicule n'avait rien à faire dans l'armée et pouvait encore moins prétendre à une quelconque montée en puissance – d'autant lorsqu'il visait le poste de Généralissime. Alors, il avait pris sa décision : il fallait qu'ils se séparent, il fallait qu'il n'y ait plus de « nous », il fallait qu'Edward parte, qu'il disparaisse de sa vie, qu'il arrête de le happer ainsi dans cette vie chaotique qu'était la sienne. Il s'était persuadé que c'était la bonne chose à faire. Il avait vraiment essayé de s'en tenir à cette décision.

Mais il s'était retrouvé avec ces deux yeux dorés en face de lui, ce corps qu'il aimait, cette personnalité flamboyante, et, tout à coup, tous ses sentiments lui avaient été renvoyés en pleine face, et même s'il avait été glacial, s'il avait tenté d'alimenter sa haine, s'il avait prononcé sa sentence assassine, les larmes avortées d'Edward lui faisaient l'effet d'un sceau d'eau glacé et ses lèvres, pressées contre les siennes, écartèrent toute la volonté qu'il avait eue à ce qu'une situation pareille se produise.

Malgré lui, après un instant de lutte intérieure silencieuse, il l'embrassa à son tour, répondant à sa quête désespérée, passant immédiatement ses mains sous ses vêtements. Indifférent à son bras douloureux, Roy le prit dans ses bras dans une étreinte presque délicate, cherchant peut-être à le laver des atrocités qu'il avait prononcées, et le souleva pour se laisser tomber avec lui sur le lit qu'il avait pourtant voulu dédaigner. Dans leurs gestes se mêlait quelque chose entre le désespoir, l'amour et la haine. Comme si la danse de leurs baisers, de leurs caresses, de leurs morsures exprimait toute la rancœur tue de leur séparation conflictuelle et de leurs retrouvailles empoisonnées ; rattrapait le temps perdu loin de ces corps tant désirés, tant serrés, tant aimés ; cherchait à meurtrir leurs chairs jusqu'à en imprimer l'âme. Leurs membres tremblaient, fébriles, tant ils étaient blessés d'avoir été laissés, furieux d'avoir été ignorés, affectés par leurs discours acides, désolés d'avoir été si bêtes ; soulagés, aussi, de se retrouver. Déjà, leurs peaux se confondaient entre les draps, leurs poitrines gonflaient de ne respirer que l'odeur de l'autre, leurs voix fusionnaient en gémissements inarticulés qui n'appartenaient qu'à eux. Leurs sensations, mêlées à la violence de leurs gestes et à la force de leurs émotions, les fit vriller, et ils ressentirent le même besoin, presque vital, de se trouver pour ne faire qu'un, de se faire mal pour se sentir plus que jamais, de s'abandonner à un plaisir où le sexe et le cœur battent à l'unisson. Ils s'embarquèrent dans la tempête de leurs flammes, ballotés par le rythme houleux de leurs reins, noyés sous les vagues de soupirs et de plaintes étouffées ; jusqu'à ce qu'un éclair les foudroie tous deux, qu'ils s'échouent dans la moiteur de l'autre, que le temps se condense finalement en un instant de flottement nébuleux.

Nu contre Edward, Roy profita simplement de ce calme éphémère qui régnait désormais dans la pièce. Leurs bras, leurs jambes, leurs peaux se mêlaient dans une étreinte caressante dont leurs corps engourdis souhaitaient profiter. Mais le silence qui s'était installé entre eux n'avait rien de véritablement naturel, et Roy sentait bien le cœur d'Edward battre un peu trop fort contre son oreille, ses muscles trop crispés pour qu'il soit totalement détendu. La brume abandonna peu à peu son cerveau pour laisser sa raison reprendre le dessus et réaliser ce qu'il venait de se passer : il venait de s'oublier dans ses bras pour éviter de faire face à la peine qu'il lui avait faite.

Roy releva la tête pour observer son visage, et il ne fut pas surpris de voir ses paupières closes, ses sourcils froncés, sa mâchoire serrée. Il respirait à peine et son expression contrastait franchement avec les mouvements de ses doigts qui continuaient de caresser sa peau avec douceur, de ses bras qui l'entouraient et lui procuraient leur chaleur. Son cœur manqua un battement lorsqu'il constata avec amertume que, blessé, Edward était encore plus beau que d'habitude. Il sentit un pincement désagréable dans sa poitrine lorsque le jeune homme lui délivra ses yeux d'ambre et les planta dans les siens, mélange de tristesse et de fatigue.

- Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? demanda Ed à son corps défendant d'une voix qui trahissait son affliction.

Roy avait voulu le laisser tomber, le faire fuir, l'éloigner de lui. Maintenant, il n'était plus aussi sûr de cette décision qui, de toute manière, n'arrangerait rien du tout à ce qu'il ressentait pour lui.

- Je ne sais pas, avoua-t-il en un souffle.

- Est-ce que tu veux vraiment que je « sorte de ta vie » ?

Roy déglutit. Bien sûr que non.

- Je suis désolé, s'excusa-t-il. Je… Je n'aurais pas dû dire ça. De toute façon, ce n'est pas comme si tu pouvais vraiment partir…

Il sentit Edward se tendre et vit ses iris dorés disparaître une nouvelle fois sous ses paupières, comme s'il venait de recevoir un autre coup, tout aussi douloureux que les autres.

- Ce n'est pas ce que je veux dire, essaya de rattraper Roy. C'est juste… Je suis fatigué de tout ça, et je me rends compte que je me suis laissé déborder. Je n'arrive plus à me concentrer au travail, et si je veux atteindre mon objectif…

- Tu vas l'atteindre, ton objectif. Il ne faut pas t'en faire pour ça.

- C'est exactement ça, le problème. Tu me dis que les choses vont arriver, et moi, je me repose sur mes lauriers. Mais je dois agir, quand même.

- Ce n'est pas ce que tu fais déjà ? Je te signale que tu t'es pris une balle.

- Ça faisait des mois que je n'étais pas allé sur le terrain parce que je bâclais mes enquêtes et les clôturait sans me soucier des conséquences.

- Et en quoi ça me concerne ? Tu ne vas pas me dire que ton manque de sérieux est de ma faute, quand même ?

- Ce n'est pas ça…

- Alors quoi ? Il va falloir m'expliquer pourquoi tu me balances à la gueule que tu veux que je me casse et pourquoi, la seconde d'après, on se met à baiser.

Il avait rouvert les yeux où, dans la lassitude, perçait une pointe de colère. Roy déglutit, constatant en effet que la situation était assez inacceptable.

- C'est juste qu'on n'avance à rien quand on est tous les deux, expliqua Roy, incertain. On a perdu nos objectifs de vue, et ton départ devient urgent…

- Pourquoi il serait si urgent que ça, au juste ?

- Ed, le 13 août est dépassé. Ça fait plus d'un an que tu es ici. Tu crois vraiment que ça va être gérable quand ton autre toi va venir squatter East City ? Riza et Maes se doutent déjà de quelque chose, alors quand ils le verront, ils vont tout de suite comprendre qu'il y a un problème.

- C'est toi qui as voulu que je les rencontre.

- Et c'était une erreur.

- Comme notre relation ?

- Putain, Ed, non ! Arrêtes de jouer les bonnes femmes !

- Tu me traites vraiment comme de la merde, alors j'ai quand même le droit d'être un peu contrarié, non ?!

Roy laissa échapper un long soupir et reposa sa tête contre son épaule, fatigué. Il allait parler quand Edward le repoussa violemment.

- Bordel de merde, t'es vraiment trop con ! Tu saignes !

Edward sortit du lit, enfila son caleçon et sortit de la chambre en trombe. Roy eut à peine le temps de constater que son bandage était imbibé de sang, qu'Edward revenait avec une trousse de premiers soins et s'occupait de lui. Ses gestes, empreints de délicatesse, témoignaient d'une certaine habitude à ce genre de tâches, et il resta silencieux jusqu'à ce que la plaie soit nettoyée.

- Certains points ont sautés, annonça-t-il.

- Tu es du genre énergique…

- Je plaide coupable. Mais tu aimes ça, dans le fond, dit-il en lui adressant un sourire narquois.

Le temps que Roy comprenne le sous-entendu, Edward avait repris son sérieux.

- Ce que je t'ai dit avant de partir ici est impardonnable, et j'en suis bien conscient, commença-t-il en s'occupant de lui remettre des bandages propres. Je ne pensais pas que tu me tomberais dans les bras, ou quoi que ce soit : je savais qu'il faudrait qu'on discute et qu'on trouve une solution pour qu'on reparte sur de bonnes bases. Je n'ai pas du tout envie de te perdre, j'ai vraiment pas envie de tout foirer avec toi. Et t'imagines pas à quel point ça m'arrache la gueule de te le dire aussi clairement.

Il se racla la gorge, visiblement gêné, son attention toute entière fixée sur le pansement qu'il s'appliquait à enrouler autour de son avant-bras.

- Alors, je ne sais pas ce qu'il t'est arrivé, ni à quel point tu me détestes pour ça : visiblement, tu t'es monté la tête tout seul et tu as envie de me rendre responsable de trucs pour lesquels je n'ai rien fais. Je trouve ça assez injuste. Même si tout ce que tu as dit était vrai. Mais je vais te dire une chose : même si j'ai effectivement été égoïste, même si je n'ai pas réfléchi, même si je fais que des conneries, même si je n'ai pas à être là, même si on aurait jamais dû se rencontrer de cette manière-là, même si je n'aurais pas dû faire partie de ta vie, je ne regrette absolument rien.

Il prit une grande inspiration, sans doute pour faire disparaître, sans succès, la couleur soudain rougie de son teint.

- Enfin, si, je regrette la manière dont je t'ai parlé, je regrette aussi d'avoir mis le futur sur tes épaules car, comme tu l'as si bien dit, c'était mon fardeau, et je n'ai pas eu assez de courage, ni de force, pour le porter tout seul. Ce que je veux dire, c'est que nous deux, je le regrette pas. C'est que… Je me sens bien… Mieux qu'avec n'importe qui d'autre. Hem… Je suis ridicule, excuse-moi… Je vais me taire, ce sera mieux.

- Non, continue.

Edward plongea un regard surpris dans le sien alors qu'il avait jusque-là évité de le faire. Il resta un instant sans voix, incertain, un peu perdu, puis, maladroitement, il reprit :

- De toute ma vie, rester trois mois au même endroit à avoir un boulot stable et tranquille n'est jamais arrivé. Je pense trop, j'ai besoin de bouger, j'ai besoin de me casser la tête sur quelque chose, sur un problème à résoudre, de me battre, de disparaitre dans l'action. Alphonse aussi en a eu besoin et il est parti à Xing pour apprendre l'élixirologie. Quand il s'est posé avec May et qu'il a commencé à avoir une vie bien tranquille, je n'ai pas compris comment il faisait. Même s'il a tenté de m'expliquer, et que j'ai un peu essayé, je n'ai jamais réussi à faire comme lui. Ni seul, ni avec Winry, ni avec personne d'autre. Toute ma vie a été une série d'évènements violents sans lesquels je suis incapable d'avancer. Comment on fait pour vivre avec tout ça quand on a quinze ans et qu'on a l'impression d'avoir plus de souvenirs que le plus vieux des hommes du monde ? Qu'on a l'impression que la vie est finie et qu'il n'y a plus rien à en tirer, maintenant qu'on a tout vécu ? On se cherche n'importe quel but, on comble le vide de l'inaction pour oublier qu'on n'est pas comme les autres et qu'on n'aura jamais une vie normale. On change de temporalité sans le faire exprès pour vivre en colloc' avec un mec génial, et puis soudain, on apprend à faire autrement. On se met à agir comme si la situation n'était pas inhabituelle, comme si on avait le droit de se sentir bien, comme si aimer était permis. On oublie d'où on vient, et on s'autorise un peu à être heureux. Il a fallu que je te trouve pour comprendre ce que vivait Alphonse avec May. Je pensais juste qu'il avait une personnalité plus posée que la mienne. Mais non : c'est juste que c'est à partir d'elle qu'il a pu commencer à voir le monde avec toutes ses nuances de couleurs. C'est à partir de toi, Roy, que, comme lui, j'ai arrêté de voir le monde en négatif. Et, alors, je me suis installé, chez nous, sans vouloir repartir, sans en éprouver le besoin, simplement parce que tu me rends heureux, que je n'avais jamais ressenti ça auparavant et que je suis chanceux de t'avoir rencontré.

Il prit une nouvelle grande inspiration et, s'il avait eu jusque-là le courage de déballer tout ça en fixant ses yeux sombres, il tourna subitement la tête ailleurs.

- Quand j'étais avec Winry, je lui ai dit que je lui donnais la moitié de ma vie contre la moitié de la sienne. Mais, en fait, c'était complètement stupide de penser qu'il pouvait y avoir un échange équivalent dans ce contexte. Ça marche pas comme ça, je m'en rends bien compte, avec toi. Je t'ai juste tout donné, même mon sale caractère et ma connerie, et je demande rien du tout en échange, parce que je veux rien d'autre que cette paix que ta simple existence m'apporte. Alors je m'en fous de n'avoir rien à faire là. Je crois que c'est la seule chose dans ma vie que je ne regretterai jamais.

Roy était abasourdi. Edward ne lui avait jamais parlé comme ça, et il n'aimait pas tellement dire ce qu'il ressentait. Se mettre à nu ainsi devant lui devait être atrocement difficile. Ce constat n'était peut-être pas ponctué de l'expression de son regard caché sous ses mèches teintées de noir, mais sa voix, elle, tintait d'une sincérité incontestable, d'une vérité si juste qu'aucun doute ne pouvait lui être opposé.

- Maintenant, continua-t-il dans un souffle soudain haché de trémolos incontrôlés. Si tu veux que je parte, que je dégage de ta vie, je le ferai. Il est hors de question que je sois un poids pour toi, une angoisse, ou quoi que ce soit d'autre de mauvais. Tu décides, mais je veux que ce soit clair. Parce que c'est pas possible de jouer avec moi comme tu l'as fait. On peut pas pourrir une personne et la baiser juste après, comme ça.

Il avait sans doute essayé d'être ferme et sûr de lui, peut-être aussi un peu désinvolte, mais sa posture voutée et le tremblement de ses mains sur son avant-bras ne pouvaient duper Roy. Le geste nerveux qu'il eut pour effacer les traces d'une larme évadée non plus.

- Putain, grogna-t-il, visiblement agacé par le manque de contrôle qu'il avait sur lui-même. Ca fait chier. Madeleine va nous buter en voyant l'état des draps.

Roy cligna plusieurs fois des yeux, incapable de réagir face à son discours, à sa demande, à sa remarque finale qui contrastait avec tout le reste. Il baissa les yeux sur le matelas et découvrit là le carnage qu'avait laissé sa plaie lorsqu'ils s'étaient retrouvés. Edward, lui, était déjà en train de se rhabiller et ramassa aussi les vêtements de Roy qu'il lui balança à la figure.

- Aller, bouge ton cul, grogna Edward en l'obligeant à se lever pour récupérer les tissus salis.

Roy ne se fit pas prier et s'exécuta, bien que difficilement à cause de sa blessure, tout en observant Edward s'activer à défaire les draps. Son esprit confus se focalisa alors sur la déception absurde de voir Edward évoluer dans un jean trop peu moulant à son goût.

- Pourquoi tu ne mets plus tes pantalons en cuir ? demanda-t-il soudain.

Edward suspendit ses gestes et se tourna vers lui, la mine contrariée, un tas de tissus entre les bras.

- C'est quoi cette question ? grommela-t-il.

- Ca fait un moment que tu n'en as pas porté, et je me demandais pourquoi…

- Tu crois que c'est vraiment le moment de poser une question pareille ? Tu crois pas que t'as d'autres choses à me dire que ça ?

Roy ferma sa bouche et baissa les yeux, pris en faute. Peut-être qu'il avait tenté une distraction pour ne pas avoir à réfléchir, ne pas avoir à faire face aux atrocités qu'il avait dites et aux gestes qui avaient suivi. Il allait s'expliquer lorsque la voix d'Edward s'éleva en un grognement :

- C'est parce que tu m'as dit que tu trouvais ça laid.

Roy releva la tête et observa sa mine contrite, son teint rosi, son expression gênée tandis que lui-même restait sans voix. Maintenant, il se souvenait effectivement d'avoir dit quelque chose de semblable lorsqu'ils n'étaient pas encore ensemble parce que, loin de trouver ces pantalons « laids », ils gainaient au contraire parfaitement ses cuisses à tel point qu'il était incapable de se concentrer sur autre chose lorsqu'il déambulait dans son champ de vision. Et ça la foutait vraiment mal de mater son colocataire sans aucune retenue.

- Oh bordel, tu ne les as pas remis depuis qu'on est ensemble, comprit soudain Roy.

- Oh, ça va, bougonna Edward qui n'aimait pas tellement qu'on remarque qu'il pouvait être attentionné.

- Tu es incroyablement mignon, constata Roy, le sourire aux lèvres.

- Mais ferme-là…

- Et tu es aussi complètement aveugle.

- Putain mais j'ai foutu quoi pour que tu recommences à m'insulter ?

- Je voulais juste que tu arrêtes de les porter parce que, franchement, plus aguicheur que ça, tu meures. Tu n'imagines pas la force de volonté dont je devais faire preuve pour ne pas te sauter dessus lorsque tu les mettais. Maintenant qu'on est ensemble, par pitié, reportes les.

La tête que fit Edward à ces mots valait tout l'or du monde. Le rire qui suivit aussi. Il emplit la pièce, s'engouffra dans la poitrine de Roy et fit disparaitre le poids qui s'y était logé depuis des jours.

Rien n'avait jamais été aussi ridicule que la rancœur et la haine qu'il avait forgé contre Edward. Les barricades qu'il avait construites contre lui et qu'il avait cru si solides finirent de voler en éclat et il couvrit la distance qui les séparait, enjambant les objets et les vêtements qu'Edward avait laissé trainer au sol, pour venir le prendre dans ses bras avec le cœur léger, indifférent aux draps qu'il tenait encore contre lui.

- Je suis vraiment un con, annonça Roy.

- Et c'est que maintenant que tu le remarques ?

- Toi aussi tu es con, je te signale.

- C'est pour ça qu'on forme une bonne équipe.

- La meilleure de toutes.

Ils se sourirent, sincèrement contents de retrouver leur complicité.

- Je suis désolé de t'avoir dit de partir. C'était horrible, et je ne le pense pas. J'ai juste… flippé…

- Ouais, ben j'espère, « juste », que tu flipperas pas trop souvent.

- De toute manière, tu n'as nulle part où aller, fit remarquer Roy avec humour. Je flipperai le jour où tu pourras rentrer chez toi.

Edward le fixa, le sourire un peu figé. Roy crut un instant qu'il avait dit une bêtise, mais le jeune homme répondit finalement, sur le même ton :

-Ouais, t'es pas près de recommencer à faire ta mauviette.