Helloooo !
Voici un nouveau chapitre, un peu spécial, vous vous en rendrez compte rapidement. J'espère qu'il vous plaira ! Je vous retrouve dans 2 semaines pour le prochain chapitre ou dans les reviews ;-)
Chapitre 28 – Trahison
- Je suis désolée, s'excusa la réceptionniste avec une voix d'automate. Il a quitté sa chambre hier soir.
- Pardon ?
Riza Hawkeye attendit que l'agent d'accueil ne revérifie son information, mais elle se contenta de répéter sans jeter le moindre coup d'œil à son registre.
- Il a quitté sa chambre hier soir.
- Mais enfin, ce n'est pas possible, protesta le lieutenant avec patience. Le médecin a dit qu'il ne pourrait pas quitter l'hôpital avant ce matin. C'est pour ça que je suis ici : je suis venue le chercher.
- Il faut croire qu'il a changé d'avis, répliqua l'hôtesse avec un certain agacement. Si vous voulez bien m'excuser…
Elle conclut la conversation en répondant au téléphone qui sonnait, adressant une joyeuse voix artificielle à la personne qui la contactait. Le lieutenant, elle, resta un instant immobile, puis se décida à s'écarter pour laisser les autres visiteurs accéder à la réception de l'hôpital militaire. Roy Mustang avait réussi à soudoyer son médecin pour partir plus tôt et il ne l'en avait même pas informée, sachant pourtant qu'elle viendrait invariablement le chercher pour le ramener chez lui – et aussi pour le prendre entre quatre yeux et en profiter pour avoir une petite discussion avec lui. Riza Hawkeye n'était pas dupe : elle savait qu'il s'en doutait et son évasion précoce n'en était qu'une preuve supplémentaire.
D'un pas décidé, la jeune femme traversa le couloir et s'avança vers les téléphones destinés aux visiteurs où elle composa le numéro du bureau. Quelques secondes après, Fuery répondait avec son entrain habituel :
- Sergent Fuery, équipe du lieutenant-colonel Mustang, j'écoute !
- Fuery, c'est le lieutenant Hawkeye. Le lieutenant-colonel est-il ici ?
- Euh… Non… Il n'est pas censé être à l'hôpital ? Et en permission pour la semaine ?
- Si, éluda la jeune femme. Il n'est pas passé ?
- Pas que je sache…
- Aucun document signé de sa main ?
- Attendez, demanda Fuery qui laissa planer un silence rapide. Effectivement, il y a de nouveaux documents sur votre bureau. Ils sont signés de la main du lieutenant-colonel. Vous voulez que je vous les lise ou que je vous les apporte ?
- Ça ira, merci. Je vais passer chez Mustang voir s'il va bien et viendrait les récupérer moi-même. A tout à l'heure sergent.
- Au revoir, lieutenant.
Riza raccrocha, tourna le dos au combiné puis quitta l'hôpital dans une démarche toute militaire. Elle entra dans son véhicule et démarra immédiatement pour se diriger vers la nouvelle adresse de son supérieur hiérarchique, frappant son volant de petits coups nerveux qui trahissaient son agacement. Elle avait d'abord cru que Roy Mustang s'était repris et s'était refocalisé sérieusement sur son travail après l'avoir délaissé pendant quelques mois. La raison de ce comportement raisonnable lui avait échappé, mais elle avait été soulagée de voir qu'il s'intéressait de nouveau à sa carrière. Cependant, elle avait vite compris que l'acharnement qu'il mettait soudain dans une enquête longtemps négligée n'était qu'une diversion qui lui permettait de s'émanciper de son esprit et de son corps. Elle ne savait pas combien de temps il avait dormi depuis ce moment-là, c'est-à-dire dix jours plus tôt, ni ce qu'il mangeait en-dehors du café et des sandwichs qu'elle lui apportait au bureau, mais elle soupçonnait grandement qu'il ne rentrait presque plus chez lui et que, s'il le faisait, ce n'était certainement pas pour se mitonner des petits plats.
C'était lorsqu'ils avaient commencé à débusquer leurs cibles et qu'ils avaient dû se rendre à New Optain pour contrecarrer une opération terroriste qu'elle avait vu à quel point son supérieur était instable. Sa stratégie, aussi bien ficelée fut-elle, avait difficilement été applicable par son esprit dérangé et elle avait dû prendre elle-même l'opération en main lorsqu'il avait déserté son poste d'officier pour se jeter à corps perdu dans la bataille et abuser de son alchimie. Oui, l'intervention avait été un succès, mais le nombre de morts ennemis avait inutilement été trop élevé et les interrogatoires musclés menés par le lieutenant-colonel qu'avaient subi les rescapés n'avaient rien eu de protocolaires. Finalement, le lieutenant Hawkeye avait, avec l'aide d'un médecin militaire de New Optain, réussi à écarter Mustang du quartier général de la ville pour le renvoyer à l'hôpital militaire d'East City où il avait été pris en charge. Dans sa rage, il avait foncé tête baissée et avait été blessé. C'était assez superficiel, mais suffisamment inquiétant pour lui avoir permis de faire pression et de l'enfermer à l'hôpital le temps qu'elle règle en son nom l'ensemble de la situation sur place. Elle était arrivée à East City le matin même après une nuit blanche et s'était directement rendue à l'hôpital militaire pour le voir et le ramener chez lui, bien décidée à tirer les choses au clair face à un tel comportement.
S'il pensait s'en sortir aussi facilement, il se mettait le doigt dans l'œil. Elle était bien déterminée à comprendre la situation dans laquelle il se trouvait et à définitivement élucider tous les mystères qui planaient autour d'Edmund Ford. Elle en était convaincue : tout ce qui liait le lieutenant-colonel à cet individu le perturbait, modifiait son jugement et, par conséquent, son comportement. Restait à savoir pourquoi. Malgré la stupidité dont faisait preuve son supérieur lorsqu'il s'agissait de son présupposé « cousin », elle le savait suffisamment intelligent pour faire preuve de discernement : il n'aurait jamais aidé ce jeune homme sans raison valable.
Riza en était là de sa réflexion lorsqu'elle coupa le moteur de sa voiture et qu'elle sortit à l'air libre pour faire face à la maison résidentielle où vivait désormais Roy Mustang. Un coup d'œil à la bâtisse la rendit perplexe : ce n'était pas le genre du jeune militaire de préférer une maison familiale comme celle-ci à un appartement simple et sobre, aussi proche de son lieu de travail que des bars et boites de nuit où se trouvaient ses conquêtes passagères. Que lui avait-il prit de déménager dans un endroit pareil ?
Elle s'approcha du portillon qui s'avéra être fermé à clé. Comme personne ne vint lui ouvrir après qu'elle eut plusieurs fois pressé la sonnette, elle passa par-dessus la grille, bien décidée à ne pas laisser tomber face à son supérieur qui faisait visiblement la sourde oreille – ou qui était profondément endormi après une nuit d'insomnie que les documents signés de sa main sur le bureau de son lieutenant laissaient imaginer. Elle traversa la petite allée qui menait à la porte d'entrée et se mit à frapper énergiquement sur le bois, bien en face de l'œil de bœuf qui pourrait permettre aux habitants de l'identifier.
-Lieutenant-colonel, appela-t-elle sévèrement. Je sais que vous êtes là !
Comme personne ne venait lui ouvrir, elle soupira, de plus en plus irritée par la situation. Elle tenta d'entrer de force, en vain : la porte était verrouillée. Ses pas la guidèrent alors autour de la maison et elle découvrit là un jardin dans lequel un petit potager abandonné laissait choir les divers plans de légumes desséchés sur un sol rendu aride par le manque d'entretien. D'abord, elle s'imaginait très mal Roy Mustang s'occuper d'un potager : l'auteur d'une œuvre pareille devait donc être quelqu'un d'autre. Ensuite, elle remarquait très bien que les plantes avaient bien poussé et qu'elles donnaient leurs fruits : leur entretien avait donc été brutalement stoppé ce qui expliquait l'abandon de la culture alors même que les fruits moisis ou déshydratés auraient pu être récoltés. Ils avaient eu un mois d'août très sec, dans la région Est, et ce n'était donc pas étonnant que les plans ainsi laissés à eux-mêmes aient fini par dépérir. Riza ne s'y connaissait pas beaucoup en plantes, mais elle imaginait bien que le comportement de Roy et l'état du potager étaient probablement liés. Cette hypothèse lui parut se confirmer lorsqu'elle approcha de la baie vitrée d'une véranda qui laissait apparaitre une jungle de végétaux rabougris au milieu desquels trônait un salon de jardin en osier. Derrière, une porte ouverte laissait entrevoir une cuisine inanimée.
Riza aurait voulu casser une des vitres pour entrer dans la bâtisse mais, au dernier moment, elle se ravisa. Sans attendre plus longtemps, elle contourna une nouvelle fois la maison, sauta par-dessus le portique et s'avança dans la rue jusqu'à trouver une cabine téléphonique. Là, elle composa un numéro qu'elle connaissait plutôt bien et attendit quelques sonneries avant d'entendre une voix de femme raisonner à son oreille.
- Oui, allô ?
- Gracia, identifia aussitôt Riza. Ici le lieutenant Hawkeye. Comment allez-vous ?
- Très bien, merci, répondit la jeune maman. Et vous ? Mon mari m'a parlé de l'affaire qui s'était déroulée à New Optain. Vous avez été blessée, vous aussi ? Et Roy ? Comment va-t-il ? Maes n'a pas encore eu le temps de lui rendre visite mais il comptait le faire cet après-midi.
- Je vais très bien et l'affaire s'est déroulée comme prévu. Le lieutenant-colonel n'a que superficiellement été blessé : ça ne sert donc à rien que vous vous déplaciez à l'hôpital militaire car il n'y est déjà plus.
- Je vois, ça me rassure…
- Pourriez-vous me laisser parler à votre mari ?
- Bien sûr. Ne quittez pas : il est en train de faire prendre son bain à Elysia. Je vais le chercher.
Riza attendit patiemment, tapant du pied malgré elle, jusqu'à ce que la voix de Maes Hughes remplace celle de sa femme.
- Oui allô ? Lieutenant Hawkeye ?
- C'est moi, affirma la jeune femme. Je suis désolée de vous déranger pendant votre congés paternité…
- Aucun souci ! Je suis toujours ravi de pouvoir parler à une personne supplémentaire de mon a-do-ra-ble fiiiille ! Elle est si sage, et si mignonne… Vous devriez venir nous voir ! Vous connaissez les petits plats de ma femme, et ça vous ferait l'occasion de voir Elysia : elle grandit si vite !
- Merci pour l'invitation, remercia poliment Riza qui souhaitait pourtant abréger la conversation qui promettait d'être longue si elle allait dans le sens du jeune papa. Malheureusement, c'est tout autre chose qui m'amène.
- J'imagine que vous appelez au sujet de Roy. Il va bien, au moins ?
- Honnêtement, je ne sais pas. J'étais censée venir le chercher à l'hôpital ce matin, mais j'ai appris en arrivant qu'il était parti hier soir. Il n'est pas au bureau – malgré qu'il y soit passé cette nuit alors qu'il est en permission – et il n'est visiblement pas chez lui non plus. Je voulais savoir s'il vous avait donné un double de ses clés…
- Non, il ne m'a rien donné, nia le commandant Hughes. Par contre, j'en ai fait faire un à son insu.
La jeune femme resta muette face à cette annonce, incertaine de savoir si elle devait s'indigner de son acte illégal ou au contraire le remercier de veiller ainsi sur son incapable de supérieur.
- Est-ce que vous voudriez bien me le prêter ?
- Vous êtes où ?
- Devant chez lui.
- Alors j'arrive.
Elle n'eut pas le temps de protester que le jeune papa avait raccroché. Riza n'avait pas tellement prévu de se trouver un allié pour cette aventure, mais elle devait avouer que cela la surprenait agréablement. Non seulement Hughes partageait avec elle le secret d'une enquête peu concluante sur la véritable identité d'Edmund Ford, mais elle savait également qu'il lui cachait certaines choses à ce sujet et il était peut-être temps qu'il lui révèle ce qu'elle avait manqué.
Un quart d'heure plus tard, elle vit arriver Hughes qui la rejoignit devant le portique de la résidence.
- Vous avez été rapide, constata Riza, satisfaite.
- Lorsqu'il s'agit de résoudre des mystères, vous pouvez compter sur moi, répliqua Maes avec un sourire agrémenté d'un clin d'œil. Au fait, regardez !
Il sortit de sa poche une photographie de sa fille qu'il montra à Riza avec enthousiasme.
- Regardez comme elle est belle ! Celle-ci, c'est carrément un photographe qui l'a prise. On dirait un petit ange.
- Elle est adorable, répondit aimablement la jeune femme.
- Oui, elle fait presque ses nuits, en plus. C'est à croire que les congés parentaux ne servent à rien. Mais Gracia est tout de même fatiguée et je suis bien content de pouvoir l'épauler !
- Vous prenez votre rôle de père très au sérieux.
- J'ai choisi d'être militaire pour protéger ma famille, pas pour être loin d'elle !
- Je vois… Quand reprenez-vous vos fonctions ?
- Dans deux mois. Enfin, si je les reprends…
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Eh bien, hier, le QG de Central m'a appelé pour me proposer une mutation au Bureau des Enquêtes de la capitale.
- C'est… Une belle promotion.
- Oui. Ça ne me réjouit pas tellement de quitter East City, mais si je dois aider Roy, je pense pouvoir mieux le faire de là-bas. D'autant qu'il faudra bien qu'il soit muté à Central City un jour, lui aussi.
- C'est… Oui…
- Bon, alors. Qu'est-ce qu'il nous a fait, Roy ?
Riza ne se fit pas prier plus que cela et se mit à expliquer la situation de A à Z, partageant également ses soupçons sur Edmund Ford. Hughes l'écouta avec attention, puis finit par soupirer en tirant de sa poche une clé qui lui permit d'ouvrir le portail.
- J'espère qu'il n'a rien fait de stupide, grommela le grand homme.
- Commandant, il faudrait que vous me mettiez au parfum.
- Je n'en sais pas plus que vous.
- J'en doute.
Ils se toisèrent un instant sans ciller.
-Nous sommes tous les deux dans le même bateau : nous voulons que le lieutenant-colonel atteigne son but, et nous nous sommes engagés à l'aider. Je pense qu'Edmund Ford est un frein pour lui, et son comportement récent n'a fait que m'en donner la preuve. Je sais également que vous vous êtes un peu rapproché et que Mustang vous a probablement révélé certaines choses que je ne sais pas encore. Vous savez très bien que je finirai par découvrir moi-même ce que vous savez : votre coopération ne fera que m'aider à gagner un temps précieux.
Le grand homme finit par soupirer, résigné face au regard résolu de la jeune femme.
- Très bien. Mais ne le jugez pas trop sévèrement.
- Allez-y.
- D'abord, je pense qu'Edmund Ford n'est pas une mauvaise personne. D'accord, il cache sa véritable identité et s'est lancé dans des histoires compliquées. Il est peut-être aussi en danger s'il se cache ainsi sous un faux nom, mais Roy semble tout à fait au courant de qui il est en réalité et m'a assuré à plusieurs reprises que, si je le savais moi-même, je lui aurais aussi fait confiance.
- Il m'a servi une histoire dans le genre, à moi aussi.
- Roy est amoureux.
Riza resta stoïque tandis qu'ils s'arrêtaient sur le pas de la porte. Elle mit un certain temps avant de demander, déstabilisée :
- Pardon ?
- Les deux, là. Ils sont ensemble.
- Quoi… ? Mais… Enfin… C'est impossible…
C'était impossible parce que Roy Mustang était un homme à femme. Parce qu'il était un amoureux de la séduction. Parce qu'il ne voulait impliquer personne dans ses stratagèmes et sa future prise de pouvoir. Parce qu'il craignait trop de se laisser aller à de pareils sentiments. Parce qu'il n'avait pas de temps à perdre avec ce genre de choses, qu'il avait un but plus important que n'importe quoi d'autre.
Mais, à bien y réfléchir, c'est vrai que le lieutenant-colonel avait, ces derniers temps, été inefficace, indifférent, négligent, incompétent. Dix jours plus tôt, elle avait cru le retrouver, mais il n'avait été qu'une boule de colère, de violence, d'empressement irréfléchi. Havoc lui avait dit qu'il l'avait rencontré la veille de ce changement radical et avait supposé qu'il courrait après les bruits de couloir attestant d'une possible promotion. Mais ce n'était pas seulement ça, et Riza s'en était aussitôt doutée.
- Depuis quand ? demanda-t-elle d'une voix blanche.
- Deux mois, quelque chose comme ça. Mais il a des sentiments depuis au moins Mithra.
Riza revoyait son supérieur au chevet de son « cousin » rasé, sauvé de justesse des griffes d'un dangereux tueur en série. Elle s'était posé des questions, à ce moment-là, et ne s'était pas laissé bernée par leur plate histoire familiale.
- Au moins… répéta-t-elle.
Alors, c'était simplement cela. Roy était devenu aveugle. Il avait agi de manière irrationnelle parce qu'il n'était plus raisonnable, parce qu'il s'était laissé emporter par des sentiments humains plus forts que la pensée. C'était tellement évident, maintenant qu'elle y pensait. Comment avait-elle pu ne rien voir ?
Une déception profonde s'empara alors d'elle. Elle se sentait trahie par les sentiments de son supérieur alors qu'elle-même avait laissé tomber tout le pan de cette vie-là pour l'aider, le soutenir, emportée par la conviction que c'était cet homme droit qui devait redresser le pays et apporter la paix à Amestris ; persuadée que sa petite personne importait peu face à la profondeur des croyances de cet homme dans lequel elle et Hughes avaient misé tous leurs espoirs d'un avenir sans guerre ; convaincue que tout but personnel, tout sentimentalisme, nuirait au succès de l'entreprise de cet homme qu'elle admirait profondément. Elle avait abandonné tout ce qui restait de tendresse dans son existence pour se focaliser sur des valeurs qui, contrairement aux êtres humains, ne pouvaient pas la décevoir.
Maintenant, elle découvrait que Roy n'était pas beaucoup plus fort que les autres hommes et que l'amour avait complètement supplanté tout le reste. Pour couronner le tout, l'objet de cet amour inconsidéré n'était même pas une femme. Il n'atteindrait jamais le poste de généralissime si une telle nouvelle était dévoilée au grand jour. Oui, l'homosexualité était tolérée à Amestris, mais de là à être acceptée… Alors si un lieutenant-colonel arriviste se pointait à Central au bras d'un binoclard louche, il serait viré tout aussi sec et on se débarrasserait de lui d'une manière qu'elle n'osait même pas imaginer.
- Depuis que je le connais, je n'avais jamais vu Roy heureux, indiqua Maes Hughes avec une prudence qui soulignait la conscience qu'il avait de l'état d'esprit de Riza. C'est la première fois que ça arrive.
- Une relation comme celle-ci n'est pas possible, avec ce qu'il veut faire, cassa Riza. Ils vivent ensemble, ils ne sont même pas discrets.
- Vous n'aviez rien remarqué, jusque-là, fit remarquer le commandant.
- C'est parce que je ne m'y intéressais pas ! Si quelqu'un se penche un jour sur la question, il trouvera vite ce qui se cache derrière leur jeu stupide !
- Je ne crois pas, non. Edmund Ford reste un mystère pour moi. Pourtant, j'ai vraiment essayé de trouver qui se cachait derrière ce pseudonyme : j'ai fait des tests ADN, des comparatifs photographiques, des recherches sur les espions, détectives privés, inspecteurs indépendants, mercenaires du pays, d'Aerugo et de Creta. Son profil n'est semblable à aucun autre. C'est comme s'il n'existait pas. Et je ne comprends pas comment c'est possible : il a une attitude de coupable, il ment extrêmement mal, les faux papiers qu'il s'est fait faire sont facilement décelables si on creuse un peu dans son histoire personnelle et familiale, il ne s'est pas enfui en apprenant que nous le soupçonnions de tremper dans des affaires bizarres… Bref, tout indique qu'il est tout sauf un professionnel. De plus, le fait que Roy le couvre dépasse largement ses sentiments : il n'aurait pas fait ça s'il n'était pas sûr à cent pour cent de sa bonne foi et s'il ne lui faisait pas confiance. Je crois même qu'il l'a aidé dans cette histoire de faux papiers et dans l'élaboration de sa nouvelle identité. Là encore, il ne l'aurait pas fait si ça n'avait pas été quelque chose de nécessaire. Ensuite, il y a cette histoire de Barry le Boucher : le fait qu'Edmund Ford se retrouve en plein milieu d'une affaire de meurtre, probablement de sa propre volonté, n'est pas anodin. Tout comme le fait qu'il se mette à disparaitre pendant des mois…
- Il a disparu pendant des mois ?
- Entrons à l'intérieur, proposa Maes Hughes en entrant sa clé volée dans la serrure de la porte qu'il poussa en laissant passer Riza.
Ils pénétrèrent dans la salle à vivre qui, si elle était globalement rangée, attirait toute l'attention sur le côté salon : sur la table basse se trouvait un verre accompagné de sa bouteille de whisky vide, ainsi que d'autres bouteilles d'alcool fort parfois posées à même le sol et d'un cendrier. Une odeur de tabac froid agressa les narines des deux visiteurs et l'expression déjà grave de Maes Hughes s'assombrit. Ce n'était pas étonnant : il avait plusieurs fois retrouvé Roy dans des états d'ébriété exagérés causés par des dépressions chroniques que lui provoquaient ses souvenirs d'Ishbal. A chaque fois, il l'avait aidé à se relever et l'avait remis sur les rails. Mais cela faisait plus d'un an, maintenant, qu'il n'avait pas replongé.
- Il s'est passé quelque chose, marmonna-t-il.
- Parlez-moi de cette histoire de disparition.
- Venez.
Ils se dirigèrent tous deux dans la cuisine qui, elle, ne dégageait aucune odeur désagréable. Tout était calme et tranquille et rien ne laissait présager que quelque chose d'anormal s'était produit ici. Ils prirent place autour de la table tandis que Maes Hughes tentait de remettre les informations qu'il avait dans l'ordre.
- Au début de l'année, quand vous êtes venue me voir pour me dire que Roy avait un comportement anormal, je suis allé lui rendre visite. Edmund n'était pas là, et Roy ne savait pas exactement où il était. Comme il était assez désespéré, il m'a avoué qu'il était allé à Fosset pour la manifestation qui a eu lieu en janvier mais, depuis, il n'avait plus aucune nouvelle. Il a sous-entendu qu'il était possible qu'il ait des ennuis, notamment avec le gouvernement, et il était véritablement nerveux et en colère contre nos dirigeants. Il n'arrêtait pas de jeter des coups d'œil au téléphone et lorsqu'il a sonné, il s'est littéralement jeté dessus pour discuter avec un Edmund qui venait miraculeusement de réapparaitre. Après qu'il ait eu de ses nouvelles, il ne m'a rien dit de plus même si j'ai vraiment essayé de lui tirer les vers du nez. Ensuite, Edmund est revenu, aux alentours du mois de mai, je pense, et c'est là qu'ils se sont mis à se tourner autour – enfin, je dois admettre que c'est un peu de ma faute, j'ai quand même bien encouragé Roy dans ce sens… Bref, ce n'est pas la question. La question, c'est…
- Edmund a un lien avec la guerre qui se profile dans le sud.
- Exactement.
- Et Mustang est au courant.
- Oui. Et je pense même que c'est lui qui l'a envoyé là-bas.
Riza le fixa sans comprendre, cherchant à déchiffrer le visage assombri de cet homme d'habitude si joyeux.
- Comment ça ?
- Comme il ne voulait rien me dire sur lui, je lui ai demandé si, au moins, il était dangereux. Il m'a répondu quelque chose d'étrange, avec cette expression sérieuse qu'il avait lorsque nous étions à Ishbal, ce mélange de lassitude et de culpabilité. Il m'a répondu qu'il n'était pas dangereux, à part, peut-être, pour lui-même, et que c'était plutôt Roy qui était dangereux pour lui. Nous venions de parler de la manifestation de Fosset, à ce moment-là, et de la disparition d'Edmund.
- Pourquoi ne pas m'en avoir parlé plus tôt ? reprocha Riza qui se demandait sérieusement ce que fabriquait son supérieur.
- Je ne savais pas quoi en penser… Et je ne voulais pas que Roy se braque. C'était déjà difficile de pouvoir lui parler, après ça : il s'est vraiment refermé comme une huitre. Du moins jusqu'à ce qu'Edmund ne revienne à East City.
Ils restèrent silencieux un moment, chacun réfléchissant aux évènements passés et à leur déroulement. Finalement, c'est Hughes qui finit par rompre cet instant de questionnement interne en se levant avec énergie, un sourire de retour sur ses lèvres.
- Bon ! Découvrons pourquoi notre ami s'est remis à picoler ! Je vous laisse le bas, je monte à l'étage.
Il quitta la pièce tandis que Riza se levait à son tour pour se mettre à fouiller la cuisine de manière un peu machinale. Elle avait peut-être jugé Roy un peu trop facilement en le jetant dans une catégorie d'hommes rendus égoïstes par le romantisme. Cela ne lui ressemblait effectivement pas. Et maintenant qu'elle avait de nouvelles clés de compréhension, elle se sentait encore plus perdue qu'avant. Mais elle avait toujours l'impression que Roy l'avait simplement poignardé dans le dos tandis qu'il fomentait dans l'ombre des stratégies dont elle ignorait tout.
- Lieutenant ! s'exclama soudain la voix de Maes Hughes à l'étage. Venez voir !
Riza Hawkeye laissa là sa fouille et monta à l'étage supérieur pour entrer dans la première pièce venue dont la porte grande ouverte laissait apercevoir les mouvements du commandant. Elle découvrit alors ce qui avait dû être une chambre transformée en un laboratoire rempli de fioles, d'alambics, brûleurs, bouteilles, bidons, boites, bombonnes, dames-jeanne et autres objets semblables dont elle oubliait le nom. Par terre, proche de l'encadrement de la porte, se trouvaient des bris de verres, vestige d'un alambic éclaté. Un bureau près de la fenêtre laissait apparaitre une tonne de documents et de carnets annotés, posés là pêle-mêle, sans aucun tri apparent. Elle eut l'impression de voir ce que le bureau de Roy Mustang aurait été si elle n'avait pas été là pour le forcer à l'organiser. Mais en s'approchant, elle se rendit compte qu'aucun des documents écrits ne portait la marque de son écriture qu'elle connaissait si bien. Pourtant, la plupart des feuilles comportaient des cercles alchimiques tous plus complexes les uns que les autres.
- Qu'est-ce que c'est que tout ça ? interrogea Hughes qui semblait plongé dans une lecture qu'il ne comprenait pas.
- Des études alchimiques codées, répondit Riza. Ce ne sont pas celles de Mustang.
- Edmund est un alchimiste : il a avoué en avoir usé contre Barry le Boucher lorsqu'il a témoigné contre lui.
- Oui, mais ce n'est pas n'importe quel alchimiste, souffla la jeune femme.
Elle n'avait pas choisi de suivre les pas de son père, mais sa jeunesse en sa compagnie l'avait préparée à le faire et elle était capable de comprendre la composition des cercles basiques et de déterminer à quoi ils pouvaient bien servir. Pourtant, même en se concentrant intensément et en rassemblant tous les souvenirs qu'elle pouvait, elle ne comprenait absolument pas de quoi il s'agissait. Les experts de l'enquête de Barry le Boucher avaient pourtant décrété que l'alchimie utilisée par Edmund était primitive, simpliste, à peine utile. Edmund avait eu la chance de réussir à se libérer avec son niveau plus que débutant. Les notes qui s'étalaient sur le bureau et dans la main Riza ne pouvaient tout simplement pas être de son fait.
Plus que cette incohérence, ce qui l'inquiétait le plus, c'était de voir que l'écriture, ces pattes de mouche difficilement lisibles, lui rappelait indubitablement quelque chose. Comme si elle l'avait déjà lue quelque part, qu'elle constituait à elle seule un indice important.
- Je comprends rien, grommela l'homme à côté d'elle.
- C'est normal, les alchimistes codent leurs travaux de manière à ce qu'ils soient les seuls à pouvoir les relire.
- On va pas aller loin avec ça.
- Il doit bien y avoir des choses accessibles.
D'un commun accord, ils se mirent à éplucher l'ensemble des documents présents. Force était de constater que la plupart des notes étaient cryptées et seules certaines annotations dans des livres et des carnets étrangers à l'écriture du jeune homme semblaient pouvoir leur offrir une piste. Riza était en train de consulter une prise de note sur les évènements qui avaient eu lieu ces cent dernières années, relatant principalement les différents conflits qui s'étaient déroulés à Amestris et les prises de territoire liées à ces luttes quand elle entendit soudain Maes Hughes s'esclaffer un peu plus loin. Elle releva la tête, lui adressant un regard interrogatif.
-Non, se marra le militaire. Ca n'a rien à voir avec notre enquête.
Elle fronça les sourcils tandis qu'Hughes décortiquait un dossier à vitesse grand V, un sourire de plus en plus large s'épanouissant sur son visage. Riza s'approcha, intriguée, mais le grand homme rangea les documents au moment où elle regardait par-dessus son bras pour comprendre de quoi il s'agissait.
- Vous ne devriez vraiment pas lire ça, pouffa Maes.
- Je ne vois pas pourquoi je ne devrais pas le faire : on est déjà entré par effraction, cassa-t-elle en s'emparant de la chemise. Au point où on en est…
- Allez-y, mais je vous préviens, je ne pense pas qu'une enquête approfondie sur les pratiques homosexuelles ne vous intéresse vraiment !
Riza lâcha aussitôt la pochette qui contenait le dossier et s'en détourna pour aller voir ailleurs tandis que ses joues devenues rouges témoignaient de l'image gênante qui venait de s'imposer à son esprit. Maes Hughes était, quant à lui, prit d'un profond fou rire.
- Il y est pas allé de main morte : il y a des témoignages, des noms de lieu, des photocopies de manuels anatomiques qui-
- Je ne veux pas savoir, laissez-moi me concentrer sur ce qui importe vraiment.
- Pauvre Roy. S'il avait su…
Hughes repartit dans un grand rire et ôta ses lunettes pour essuyer ses yeux rendus humides par l'hilarité.
- Il faut que j'aille dans leur chambre, annonça-t-il alors en quittant la pièce.
- Commandant, arrêtez ! s'indigna Riza qui imaginait très bien que cette décision subite relevait davantage de la curiosité mal placée que de la nécessité à progresser dans leur enquête initiale.
Elle le suivit dans l'espoir de réussir à l'arrêter, mais Maes Hughes était déjà dans la chambre. Celle-ci, bien rangée, n'avait que son lit de défait et contrastait étrangement avec la première chambre devenue laboratoire qui, elle, était plongée dans un chaos total. Riza arriva juste à temps pour voir Hughes ouvrir un placard et fouiller dans les piles de vêtements soigneusement pliés. Elle soupira :
- Je crois que nous avons tous les indices qu'il nous faut dans l'autre pièce.
- On ne sait jamais.
- Hughes, vous êtes délibérément en train de violer leur vie privée, là.
- Justement, leur vie privée, elle a l'air importante pour comprendre ce qu'il se passe – oh, eh ben, il met des pantalons en cuir à mon insu ? Le coquin…
- Rangez ça immédiatement !
Hughes se tourna vers Riza après avoir reposé ledit pantalon.
- Il y a des bris de verres dans le laboratoire, les plantes sont abandonnées et livrées à elles-mêmes, Roy n'est pas là alors qu'il est blessé, qu'il devrait se reposer et l'alcool présent en bas certifie d'un certain chamboulement : tout porte à croire qu'Edmund est une nouvelle fois parti. Peut-être que Roy l'a rejoint.
- Comment on peut en être sûr ?
- Si Roy fomente quelque chose, il aura laissé des indices au bureau. De plus, il y aura peut-être le nom des ouvrages qu'il a emprunté dans le registre de la bibliothèque militaire. Quant à Edmund, je sais où il travaille : je peux aller demander des informations à son employeur.
- Très bien, je vais aller voir au bureau. De toute manière, ça fait un moment que j'aurais dû être au travail.
- Je vais rester fouiller encore un peu, indiqua Maes. Je vous appelle lorsque je serai allé à la librairie où Ed travaille.
Riza soupira tandis que Maes quittait la chambre pour s'engouffrer dans la pièce du fond : une salle de bain. La jeune femme le suivit et le vit ouvrir le petit placard au-dessus du lavabo pour fouiner.
- Commandant, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de-
Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase que Hughes lui fourrait dans les bras une grosse boite en fer.
- Regardez là-dedans, dit-il avant de recommencer à fourrager parmi les produits de toilette.
Le lieutenant soupira et s'assit sur le carrelage avec la boite et l'ouvrit. Il s'agissait d'une grosse trousse à pharmacie dans laquelle elle trouva des médicaments de base, des pansements, du désinfectant, de quoi recoudre une plaie, du lubrifiant – qu'elle laissa aussitôt de côté tout comme les autres objets qui semblaient être liés à cette partie-là de leur vie intime -, et, surtout, un pot d'huile pour automail accompagné d'une pipette qui permettait sans doute à son utilisateur de s'occuper de ses articulations.
- Hughes, appela Riza.
- Oui ?
- Edmund Ford est un amputé ?
- Comment ça ?
- Il porte un automail ?
- Je ne pense pas… En tout cas, je ne l'ai jamais vu. Et je ne me souviens pas d'avoir lu ça dans son rapport médical de Central City.
- Je crois qu'il s'agit d'un oubli, alors. Ses mains ont l'air normales. Peut-être ses jambes.
- Vous voyez que c'était important qu'on vienne fouiller ici !
Riza soupira et regarda le pot d'huile avec intérêt. Plus elle en savait sur Edmund Ford, plus il l'intriguait. Le profil qu'il présentait était étrange : il était apparu dans la vie de Mustang environ un an auparavant. Il était devenu son colocataire, son « cousin », puis son amant. Il trainait dans des histoires gouvernementales, jouait les justiciers et se mettait stupidement en danger. Son possible automail témoignait d'une vie passée difficile, peut-être liée à la guerre, comme beaucoup de ceux qui avaient perdu un membre. C'était un piètre menteur, incapable de véritablement cacher son identité et facilement démasquable mais tout de même introuvable. C'était aussi, visiblement, un alchimiste de talent qui cherchait quelque chose de précis étant donnés les travaux qui tapissaient les étagères de la bibliothèque de son laboratoire.
Qui était-il ? Quel était son but ? Pourquoi Mustang ? Depuis quand ?
Depuis quand.
Depuis Kaumafy.
Depuis cette lettre anonyme.
Elle se redressa d'un bond et laissa tomber la boite de métal sur le sol.
- Je vous laisse finir de chercher ici, commandant. Il faut que je vérifie quelque chose.
- Euh… D'accord. Je vous appelle tout à l'heure.
- Oui. Ce soir. De préférence chez moi.
- D'accord.
Elle sortit de la salle d'eau, passa dans la chambre, récupéra un document au hasard dans le laboratoire, descendit les escaliers, bondit hors de la maison, sauta dans son véhicule, traversa East City à toute allure, gara sa voiture non loin du QG, monta les marches du bâtiment principal, parcourut les couloirs de la structure militaire pour entrer en trombe dans le bureau de Mustang. Tandis que ses collègues – ceux qui n'étaient pas en permission – sursautaient à son arrivée, elle consulta le numéro du dossier archivé qui l'intéressait, puis elle repartit dans l'autre sens, retraversa le quartier général, courut jusqu'au bâtiment des archives et demanda à consulter le rapport. Au bout d'un quart d'heure, elle se retrouvait avec une petite chemise à la main, signait son emprunt, et filait s'asseoir à une table dans une salle prévue à la consultation des archives militaires. Là, elle récupéra la lettre anonyme qui leur avait été envoyée et la compara avec le document qu'elle avait récupéré dans le laboratoire de la maison de Mustang.
Il n'y avait pas besoin d'être un génie pour certifier que les deux documents avaient été écris par la même personne.
L'expéditeur anonyme qui ne s'était jamais présenté avait en fait rencontré Roy Mustang.
Et il ne lui avait rien dit.
Tout n'était que mensonges.
Riza Hawkeye enfuit sa tête dans ses mains tandis qu'elle sentait ses entrailles se déchirer, son cœur se briser et ses larmes monter dans ses yeux sans qu'elle ne parvienne à les retenir. Heureusement pour elle, personne d'autre n'était présent dans la salle d'étude et elle se laissa aller, un peu malgré elle, à la douleur d'une trahison qu'elle avait cru impossible.
Elle avait tout donné à Roy Mustang : ses bras, toujours là pour le soutenir ; ses yeux qui, à travers la lunette d'un sniper, n'avaient d'autre but que de le couvrir ; ses jambes qui, sans relâche, avec une loyauté indéfectible, suivaient ses pas sur le chemin qu'il traçait ; son avenir, qu'elle destinait à l'armée simplement pour pouvoir le suivre ; sa confiance qu'elle lui avait offert les yeux fermés ; son âme qui convergeait tout entière vers lui, vers ses idéaux, vers ses irréalités ; son existence toute entière, tournée vers le triomphe de la sienne.
Et Roy avait pris sa vie et tout ce qui la constituait pour la dédaigner avec indifférence, pour la broyer au creux de sa main sans même s'en apercevoir, pour la jeter au bord de la route comme s'il s'était agi d'un vulgaire déchet. Parce qu'elle n'avait visiblement pas fait assez pour mériter de marcher à ses côtés, parce qu'il ne réalisait pas la chance qu'il avait de l'avoir, parce qu'il était trop stupide pour être digne de tout ce qu'elle lui avait aveuglément confié.
A la douleur de la trahison se mêla alors une lassitude si grande qu'elle ne trouva même plus l'énergie de pleurer. Son buste glissa en avant, ses bras s'étalèrent sur la table et elle laissa retomber sa tête contre le bois, lessivée, vidée. Amorphe, elle resta là un temps indéterminé. Ce ne fut que lorsque quelqu'un entra dans la salle d'étude qu'elle se décida à machinalement remballer ses affaires, à rendre le rapport qu'elle avait emprunté, et à se diriger sans même le penser jusqu'au bureau. Tous la virent arriver dans cette démarche lente, absente, et si certains tentèrent de lui adresser la parole, elle ne s'en rendit pas compte. Après s'être laissée tomber sur la chaise de son bureau, elle resta là un moment, à fixer le vide. Puis, son regard se baissa sur la pile de documents qui était apparue sur son secrétaire habituellement bien rangé. Au-dessus, un mot dont l'écriture lui agressa la rétine :
Lieutenant Hawkeye,
Je vous ai fait mon rapport sur les derniers évènements. Vous le trouverez dans le dossier ainsi que tous les rapports qu'il faut signer en urgence pendant que je suis en permission. Je compte sur vous pour me remplacer.
Lcol R. Mustang.
Au vide succéda alors une colère si noire que Riza Hawkeye perdit le contrôle total de son corps. Après ce qu'il lui avait caché, après tout ce qu'il avait menti, après toutes ces magouilles effectuées dans son dos, il osait encore partir sans laisser de trace en lui laissant le sale boulot. Au ralenti, elle se releva, poussant sa chaise derrière elle tandis que ses collègues la fixaient avec une expression inquiète sur le visage. Toujours aussi lentement, elle prit la pile de documents, s'avança vers le bureau de Mustang et les y déposa en une pile bien nette au milieu d'un foutoir qui la laissait, pour une fois, insensible. Son regard noisette heurta alors un briquet en argent et, sans réfléchir une seule seconde, elle se baissa, récupéra la poubelle en métal sous la table, la vida sur le sol, y fourra la pile de documents ainsi que toutes les autres feuilles en désordre qui s'empilaient sur le secrétaire de son patron, puis y mit le feu.
Autour d'elle, ses collègues avaient commencé à s'agiter et elle se dégagea d'un bras qui tentait de la saisir, frappa à l'aveuglette ceux qui voulaient la retenir et, sans regarder en arrière, le poing serré sur le briquet, elle se faufila jusqu'à la porte de sortie et s'en fut, ne lâchant derrière elle que quelques ordres :
- Je veux que cet ingrat de Mustang voie ça. Je démissionne. Falman, je vous laisse faire tous les documents nécessaires.
