Bonjour à tous ! Voici un chapitre dont je ne suis pas particulièrement fan, notamment en ce qui concerne la fin qui tend vers la transition. Il fallait pourtant qu'il arrive un jour… J'espère tout de même qu'il vous plaira et attends vos commentaires avec impatience. Très bonne lecture et à dans deux semaines pour le chapitre 30 !


Chapitre 29 - Mensonges


Je lui ai menti.

Cette vérité le frappait sans cesse depuis l'instant où il avait volontairement omis d'annoncer à Roy qu'il avait trouvé un moyen de voyager dans le temps. Bon, il n'avait fait le test que sur des objets inanimés et il n'était pas sûr de pouvoir y parvenir avec quelque chose de vivant. Ce n'était donc techniquement pas un mensonge puisqu'il ne savait pas s'il était véritablement capable de rentrer chez lui – en tout cas sain et sauf. Est-ce que cette justification était pour autant acceptable ? Non. C'était simplement le début d'un mensonge qu'il se faisait à lui-même. Après tout, ce n'était pas le premier.

Il avait essayé de comprendre comment il avait pu passer à côté de la solution du sang pour parvenir à activer ses cercles. C'était pourtant d'une simplicité enfantine. A bien y réfléchir, il y avait déjà pensé, au tout début, lorsqu'il avait atterri ici. Mais il ne savait pas utiliser l'élixirologie et il n'avait pas la moindre idée du cercle qu'il pouvait tracer pour rentrer chez lui. Ensuite, il s'était focalisé sur les cercles alchimiques qu'il ne pouvait pas activer lui-même. Enfin, il s'était perdu dans ses expériences chimiques, dans la relation qu'il avait avec Roy, dans cette nouvelle vie qu'il avait appris à aimer peut-être un peu plus que celle d'avant. Au moment où il avait trouvé les documents élixirologique de son père dans son ancienne maison, l'idée d'utiliser son sang aurait dû lui revenir à l'esprit et il aurait pu s'en aller. Mais il s'était laissé aller à l'expression de ses sentiments et, aujourd'hui, il lui fallait se rendre à l'évidence : il s'était mis des œillères, était devenu aveugle. C'était stupéfiant de voir à quel point il s'était perdu en chemin, à quel point il n'avait pas réfléchi, à quel point il n'avait pas voulu réfléchir.

Il s'était menti pour ne pas avoir à partir.

Je lui ai menti pour ne pas avoir à partir.

Il l'avait fait sous le coup de la panique, par crainte que Roy ne recommence à hurler, ne recommence à lui jeter ses quatre vérités à la figure, ne recommence à lui dire qu'il n'avait rien à faire là, rien à faire dans sa vie, rien à faire avec lui. Edward n'était pas quelqu'un de sentimental : quelques mois plus tôt, de telles paroles l'auraient peut-être blessé, mais il en aurait pris toute la mesure et son esprit cartésien l'aurait accepté pour trouver à mettre en œuvre ce qu'il était censé faire. Aujourd'hui, il se reconnaissait à peine : il avait eu tellement mal, tellement peur, que son monde s'était subitement effondré et qu'il avait été incapable de réagir autrement que comme un homme jeté à la mer, avalé par l'écume et broyé par les vagues. Les paroles de Roy l'avaient littéralement noyé et, lorsqu'il avait pu avaler une goulée d'air, qu'il avait cru pouvoir remonter à la surface, il avait saisi l'opportunité du mensonge parce qu'il ne pouvait simplement pas survivre à un nouveau raz-de-marée.

Il ne pouvait tout simplement pas s'en aller.

Dans douze ans, les choses seraient complètement différentes. Roy aurait refait sa vie, l'illusoire « nous » qu'ils avaient maladroitement édifié serait en ruine. Edward n'était pas encore prêt à faire face à une telle réalité où la solitude reprendrait le pas sur l'ensemble d'une vie qu'il imaginait désormais à deux. Pourtant, ils n'étaient pas ensemble depuis longtemps. Même pas trois mois. Et plus le temps passerait, plus la décision de s'en aller serait difficile, autant pour lui que pour Roy. Il en avait conscience, mais il ne se sentait pas suffisamment courageux pour faire le choix d'abandonner leur idylle.

On verra après la seconde guerre du sud.

C'était une sorte de promesse qu'il se faisait à lui-même et, fort de cette résolution, il se tourna sur le côté pour admirer le visage endormi de cet homme dont il était épris. Les rayons du soleil matinal entraient à travers les volets craqués et les interstices de leur calibrage imparfait. Ils déposaient sur sa peau et sur ses cheveux noirs des tâches de lumière qui apportaient au tableau une certaine forme de pureté. Edward ne put empêcher un sourire de germer sur ses lèvres et ses sourcils se détendirent. Il s'approcha un peu plus et déposa un baiser sur sa joue, celle qui portait encore une légère marque rouge, vestige de la colère de Madeleine. Elle les avait surpris à essayer de nettoyer leurs draps tâchés de sang et avait frappé Roy, comme elle avait frappé Edward quelques jours auparavant, pour s'être laissé aller à une relation qui n'avait pas lieu d'être. Ed s'était senti nauséeux, surtout après ce qu'il s'était passé avec Roy seulement quelques minutes plus tôt, et Roy avait pris leur défense aussi diplomatiquement que possible. En tout cas, Madeleine avait fini par les laisser tranquille et le reste de la journée s'était passée relativement normalement.

Roy remua et finit par ouvrir les yeux en lâchant un grognement. Edward accompagna son réveil d'une caresse légère dans les cheveux, jouant avec ses mèches courtes jusqu'à ce que l'autre homme vienne se blottir dans ses bras.

- 'jour, grommela-t-il.

- Tu as bien dormi ?

- J'ai mal au bras, grogna le brun.

- Je vais te chercher tes médicaments.

- Pas la peine. Faut qu'on se lève.

- T'es bien pressé…

- Je dois retourner au travail dans six jours : on a du pain sur la planche. J'ai pas envie que tu te fasses tuer juste parce que notre plan n'est pas suffisamment élaboré.

- Je vais pas mourir.

- J'espère bien. Au fait, tes tests alchimiques que tu devais faire, ça s'est bien passé ?

Edward s'était tellement concentré sur l'élixirologie temporelle qu'il ne s'était pas occupé du reste. S'il était amené à se battre, il ne pourrait pas le faire avec l'élixirologie. En tout cas pas dans l'état actuel des choses.

- C'est-à-dire… Je n'ai pas pu tout mettre en place…

- J'ai eu quelques idées.

Roy quitta les bras d'Edward pour s'asseoir au bord du lit et se pencher pour ouvrir sa valise. A l'intérieur se trouvaient plusieurs dossiers, de grandes affiches roulées - sans doute des cartes -, quelques vêtements ainsi que… des armes. Il les sortit d'ailleurs pour les mettre sur le lit, se mettant soudain à expliquer leur usage à un Edward aux yeux ronds comme des billes :

- Je sais que tu préfères le corps à corps et que tu ne veux tirer sur personne, mais voici un revolver semi-automatique dont se servent les soldats de l'armée. Là, tu as son fourreau pour le fixer à ta cuisse droite, et sur l'autre, tu fixes les chargeurs. Pour le combat rapproché, je t'ai pris un couteau de combat avec une lame de vingt centimètres que tu peux fixer à ta ceinture, dans le dos, ainsi qu'un autre couteau, plus petit, que tu peux mettre un peu n'importe où en fonction de la manière dont tu te bas. Deux grenades, deux fumigènes, deux grenades aveuglantes, des rangements, un gilet pare-balle…

- Roy, je n'ai pas besoin de tout ça…

- Tu pars à la guerre. Bien sûr que tu en as besoin. J'ai réussi à récupérer les plans stratégiques de l'armée de Central, et je t'assure que tu ne peux pas partir sans ça.

- Je saurais même pas utiliser la moitié de ces trucs !

- Je vais te montrer. Et puis, le plus important, en-dehors du gilet pare-balle que je t'oblige à porter, c'est ça.

Roy lui lança une paire de gants blancs, identiques à ceux qu'il portait lorsqu'il était jeune pour cacher l'existence de son automail. Il les inspecta mais ne décela rien de particulier, alors il jeta un regard interrogatif au militaire qui se sentit obligé de donner une explication.

- Tu traces des cercles dessus, et tu pourras utiliser l'élixirologie directement. Comme ton alchimie d'avant.

- Ce n'est pas si simple… Chaque action que je fais nécessite un cercle différent.

- Tu es un génie, non ? demanda Roy avec un sourire. Tu me l'as survendu, ça. Alors je suis sûr que tu trouveras un cercle utile d'ici à ce que tu doives t'en aller.

- Mais il y a tout le plan à monter, aussi, je n'ai pas le temps de faire ça !

- Ne me pique pas mon job : c'est moi, le lieutenant-colonel, ici. C'est moi, la stratégie. Toi, tu te contentes de t'entrainer pour pouvoir la mettre en œuvre.

Ils se fixèrent un instant, puis Edward porta sa main droite à sa tempe.

- Oui, chef.


Les jours qui suivirent ne furent pas de tout repos. Ils épluchèrent d'abord la copie des rapports stratégiques qu'avait volé Roy au QG avant de rejoindre Edward. Les différents documents leur apportèrent des informations précises sur la manière dont les choses allaient se mettre en place et sur les dates où l'armée de Central et les alchimistes d'Etat viendraient se joindre aux forces de la région sud pour nettoyer la ville de Fosset. Ils avaient donc, en tout et pour tout, un mois pour vider la ville de ses habitants et empêcher le massacre d'avoir lieu. Si Edward émit d'abord quelques réserves quant à cette stratégie, Roy sut se montrer éloquent sur la nécessité d'agir de cette manière : oui, changer radicalement le passé et empêcher le massacre prévu par les homonculi dans la ville était risqué, mais il fallait empêcher la mort d'innocents et tenter de les arrêter avant le Jour Promis. S'ils y parvenaient, le futur qu'Edward connaissait serait alors beaucoup moins sanglant : finie la révolte de Liore, la création de pierres philosophales, de chimères, la tuerie au mur du nord à la frontière de Drachma, et toutes les autres qui étaient également prévues. Des milliers de vies seraient sauvées et les pouvoirs de la Vérité préservés.

Edward était terriblement inquiet. L'idée de Roy était tentante, bien sûr, mais il n'était pas sûr qu'il s'agissait de la bonne démarche à suivre. D'abord, il lui semblait qu'Aerugo avait un rôle à jouer dans toute cette histoire, mais il ne se rappelait pas des évènements exacts. L'est d'Amestris n'avait pas été particulièrement touché par cette guerre civile et il avait eu bien d'autres chats à fouetter. Les lacunes de ses souvenirs avaient le don d'agacer Roy qui tentait tant bien que mal de monter sa tactique en comptant sur l'avantage d'une connaissance du futur qu'ils n'avaient que partiellement. La seule chose à peu près précise qu'ils avaient, c'était la certitude qu'elle serait terminée au moment où le jeune Edward Elric passerait son examen d'alchimiste d'Etat, le 9 octobre.

Ensuite, plus le plan se précisait, plus Edward ne pouvait s'empêcher de se poser des questions sur les conséquences que cela aurait s'il parvenait à le mettre en œuvre. Le monde serait totalement modifié, les choses pourraient prendre une toute autre tournure, les homonculi pourraient bien ne jamais achever leur cercle. Mais alors, si tout ce qu'il avait vécu disparaissait, si l'Histoire était changée, dans quel état retrouverait-il son frère ? Retrouverait-il son corps ? Son âme aurait-elle rejeté l'armure avant qu'il ne trouve une solution ? Lui-même changerait-il ? Existerait-il encore ? Serait-il effacé de cette réalité ou ses souvenirs seraient-ils simplement modifiés ? Cela changerait-il réellement quelque chose ? Les homonculi remonterait-ils jusqu'à lui ? Jusqu'à Roy ? Tout cela en valait-il la peine ?

Ses questions restaient sans réponse alors qu'il restait incapable de les poser à voix haute. Chaque fois qu'il tentait de protester, Roy lui servait un de ses discours bien senti et, tout orateur qu'il était, parvenait à le convaincre une journée encore que ses convictions étaient les bonnes sans même savoir toutes les problématiques qui se jouaient dans l'esprit d'Edward. Après tout, s'il devait se sacrifier, qui était-il pour considérer sa vie comme plus importante que celles de milliers autres ? C'était, peut-être, la chose la plus intelligente, la plus altruiste, la plus juste à faire.

Et puis, s'il osait se révolter contre Roy, que lui resterait-il ? Il n'imaginait même pas lui dire que son cercle temporel fonctionnait, alors braver ses plans et recevoir ses foudres pour une autre raison lui semblait complètement insensé. Surtout quand on voyait le mal qu'il se donnait pour rendre les évènements meilleurs. C'était pour la bonne cause. Isabelle était d'accord, ses yeux pétillaient à l'idée que leurs actions pourraient peut-être sauver les siens. Pourquoi ne pas essayer ? Il pourrait toujours remonter le temps et contrecarrer ses plans plus tard s'ils s'avéraient néfastes.

Pour oublier ses dilemmes, Edward s'activa de son côté à rendre son élixirologie autonome en cherchant un cercle suffisamment complet qui lui permettrait de se battre sans problème. Peut-être pas de manière aussi fluide qu'avant, mais l'idée était tentante et stimulait son esprit scientifique de nouveau mis au défi. Ce dernier était d'autant plus difficile à relever qu'il n'avait plus accès à son laboratoire et que, même en utilisant la cuisine de Madeleine, il ne pouvait pas faire toutes les expériences qu'il souhaitait à défaut d'avoir le bon matériel et les bons composants chimiques. Malgré tout, en trois jours, il parvint à combiner plusieurs cercles et à y associer l'une de ses potions pour pouvoir modeler la terre et la pierre comme il le souhaitait. Pour le reste, il devrait le faire manuellement. Isabelle se proposa alors de lui broder les cercles sur la paume de ses gants et, lorsque cela fut fait, il retraça les traits cousus d'un pinceau imbibé de mélange chimique afin de rendre le tout fonctionnel. Et, après avoir joint ses mains gantées, il les posa sur le sol qui se modela selon sa volonté. Il en aurait pleuré de joie si Madeleine n'était pas venue lui hurler dessus, le traitant de catastrophe ambulante, ignorant qu'il était capable de rendre une allure normale à sa propriété.

Quand il ne faisait pas d'alchimie, il s'occupait du jardin de Madeleine avec l'aide d'Isabelle et de Gabin qui lui apportaient leurs conseils experts. Le but était principalement d'alléger la charge de Madeleine, maintenant qu'ils étaient aussi nombreux à la maison. Mine de rien, et même si personne ne mangeait beaucoup, les conserves de Madeleine diminuaient : il fallait donc récolter ce qui pouvait l'être et mettre le tout dans des bocaux. Lorsque Gabin ne s'amusait pas à regarder Edward travailler, il s'en allait, souvent accompagné des filles, dans la forêt pour récolter des fraises des bois, des pommes sauvages et des pêches qui poussaient ça et là au bord du chemin qui menait en ville. Avec les fruits, il ramenait également des champignons : cèpes, agarics, trompette de la mort et clitocybes qui, lorsqu'ils n'étaient pas mangés, étaient séchés et conservés pour une consommation plus tardive.

- C'est génial, ici, s'exclamait Gabin, émerveillé par ses propres récoltes. Chez nous, il n'y a pas beaucoup de forêt alors il faut faire des kilomètres pour espérer trouver quoi que ce soit... C'est papa qui m'a appris à chercher les champignons. C'est trop cool.

Les deux fillettes, Violette et Margaux, étaient tout aussi ravies que lui de se balader ainsi dans les bois et apprenaient de son savoir de manière si ludique qu'elles se mirent à le suivre comme son ombre pour lui poser des milliers de questions. Elles avaient l'habitude de le suivre à la trace, quémandant son attention pour jouer à tel ou tel jeu – ce à quoi le jeune garçon se pliait de bonne grâce – mais rarement pour apprendre quelque chose d'utile. Pour ça, elles avaient habituellement leur grand-frère, Adrien, qui manquait à l'appel.

- J'espère qu'il va bien, s'inquiétait Isabelle lorsque les enfants étaient couchés et qu'ils se retrouvaient entre adulte pour parler stratégie. Ça fait un moment qu'on s'est séparé...

- Il n'y a pas de raison, rassurait Edward. Il ne se mettrait pas inutilement en danger.

Mais la jeune femme restait tout de même soucieuse et son angoisse ne s'arrangeait en rien lorsqu'elle voyait Mustang penché sur ses documents, annotant des plans qu'elle ne comprenait qu'à peine quand il les expliquait à Eric qui, lui, passait ses journées à tracer des cercles ou à joindre ses mains gantées pour créer des murs, des armes ou des pièges qui l'impressionnaient autant qu'ils l'effrayaient. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de trouver tout ce qu'il faisait absolument prodigieux : si quelqu'un pouvait sauver la population de Fosset, c'était bien cet homme-là.

- Il est très bon.

Isabelle sursauta, prise en flagrant délit en pleine séance de contemplation clandestine à travers la porte-fenêtre. Elle rattrapa de justesse le balai à serpillère qu'elle avait lâché et tourna la tête vers Roy Mustang qui, les bras croisés, s'était mis à regarder le spectacle juste à côté d'elle sans qu'elle ne l'ait entendu arriver. Sur son visage pâle, les éclairs ponctuels qui traversaient le jardin palissait et creusaient ses traits impassibles en sillons graves.

Isabelle ne savait pas vraiment quoi penser de Roy Mustang. Il semblait froid, calculateur, indifférent. Pourtant, Eric buvait ses paroles, acquiesçait au moindre mot, s'épanouissait en sa présence. Elle avait d'abord cru que Roy se servait de lui pour l'envoyer faire le sale boulot à sa place, mais elle avait aperçu, sans le vouloir, des moments d'échanges où ils étaient seuls et avait pu constater un comportement plus ouvert, des gestes tendres, des regards profondément amoureux où la sincérité perçait tant qu'elle éliminait toute idée de mensonge.

- Tu vas l'accompagner ? demanda-t-il, la coupant de ses réflexions.

- Il est hors de question que je le laisse partir tout seul, moi, affirma Isabelle sur un ton de reproche qu'elle n'avait pas prémédité.

Mustang ne répondit pas, assimilant sans doute la défiance qu'elle avait envers lui. Après un instant de réflexion, il tourna finalement la tête vers elle.

- J'aurais voulu l'accompagner, affirma-t-il. Prendre sa place, même. Mais je ne peux pas.

- J'avais compris…

- Il est l'homme le plus fort et le plus débrouillard que je connaisse. Mais il aura besoin de quelqu'un pour le canaliser. Il serait capable de faire des conneries si personne ne le retient…

- Quel genre de conneries ?

- Il m'a dit que tu savais pour les homonculi. Enfin, tu ne connais pas ce nom, j'imagine. Mais à propos des monstres qui peuvent, par exemple, changer de forme.

- En effet, déglutit Isabelle, incertaine.

- Dans mon plan, on ne fait qu'évacuer la ville. Il vaudrait mieux éviter les conflits. Mais si Ed voit l'un de ces monstres, il serait capable de s'emporter et d'aller les combattre.

Isabelle eut un frisson d'horreur à cette idée et le visage de Mustang se radoucit d'ailleurs face à son expression horrifiée.

-Il ne peut pas les battre. Il n'en a pas trouvé le moyen. Il n'a jamais tué personne et il ne le fera pas, parce qu'il n'est pas comme ça. Eux l'ont fait, et ils n'hésiteront pas à l'éliminer. Alors j'aimerais que tu sois celle qui lui fait entendre raison.

Isabelle hocha la tête au moment où un éclair plus lumineux que les autres traversait le jardin. Comment pouvait-elle imaginer tenir une promesse pareille face à la puissance d'Eric ? Elle ne pèserait rien, s'il décidait de l'écarter de son chemin. Mustang détourna les yeux et regarda de nouveau à travers la baie vitrée.

-Je sais que tu peux le faire, dit-il comme s'il avait lu dans ses pensées. Il t'apprécie énormément. Je pense que tes paroles comptent pour lui et peuvent faire la différence.

Ces mots la touchèrent et elle acquiesça une nouvelle fois avant d'ajouter en plaisantant, à moitié seulement :

- Je ne sais pas comment ça peut « faire la différence » : lui aussi, c'est un monstre !

- C'est vrai, admit Mustang en s'accordant un sourire en coin. J'ai jamais vu une machine pareille.

Ils le regardèrent s'exercer un moment, côte à côte, admirant les formes qui s'élevaient du sol et se tordaient selon la volonté du jeune homme dont le sourire s'étirait jusqu'aux oreilles. Gabin, assis sur la terrasse, le dévorait de ses yeux émerveillés.

- C'est incroyable, souffla Isabelle.

- Oui, confirma Mustang. Je suis alchimiste moi-même, mais je ne sais pas comment il fait tout ça. Comment il pense tout ça.

- Vous êtes alchimiste ?

- D'Etat, oui. Alchimie du feu. Mais je suis incapable de faire ce qu'il fait. A vrai dire, je me demande à quel moment il a atteint ce niveau, mais j'ai hâte de le rencontrer, pour voir. Je parle de son jeune lui. Il a douze ans, normalement.

- … J'aurais beaucoup trop de mal à le voir enfant, à votre place.

- Tant qu'il est avec moi, ça ira. Ce n'est pas comme s'il pouvait repartir, de toute manière.

Isabelle ne répondit pas, incertaine. Elle avait vu Eric jubiler de sa réussite, puis s'effondrer de désespoir face à cette même victoire. Elle n'y connaissait pas grand-chose et n'avait pas saisi l'ampleur de cette découverte mais, maintenant qu'elle discutait avec Mustang, elle en comprenait soudain les conséquences. Et, surtout, elle comprenait qu'Eric avait caché ses exploits.

-Il est véritablement brillant, continua Mustang. Mais plus le temps passe, moins j'ai l'impression qu'il pourra s'en aller. S'il y avait un moyen de le faire, il l'aurait trouvé depuis longtemps. C'est peut-être illusoire, mais s'il ne peut pas rentrer aujourd'hui, je ne pense pas qu'il le pourra un jour.

Isabelle resta muette.

« Je peux pas rentrer… Ce serait trop dur pour lui… »

Les paroles d'Eric prenaient tout leur sens. La tristesse de la situation avait quelque chose de touchant : Eric avait trouvé un moyen de disparaitre mais préférait taire ses talents et partir à la guerre plutôt que d'ôter l'illusion à Mustang qu'il serait à ses côtés pour toujours. Mustang était, quant à lui, tout à fait conscient des capacités de son ami, mais préférait sans doute se laisser berner. Avec son statut, ses ambitions, la manière dont il parlait, ses plans, ses stratégies, il devait quand même se douter de quelque chose…

Mustang ouvrit soudain la porte vitrée et sortit dans le jardin, laissant Isabelle seule avec ses pensées et sa serpillère.

- Ben dis donc, tu en fais du bordel, interpela Roy en s'approchant d'Edward qui s'amusait comme un fou à claquer dans ses mains pour faire de l'élixirologie.

- C'est rien, ça, le contredit Edward. D'habitude je le fais à l'échelle d'une ville.

- Ah, ah.

- On verra si tu riras toujours autant, plus tard, sourit Ed avec malice.

Roy n'était pas certain de savoir si la menace en était réellement une ou non. Dans tous les cas, il passa l'éponge sur cette discussion-là et montra à Edward l'arme à feu qu'il venait de sortir de l'intérieur de sa veste.

- Je te montre comment ça marche ?

- Non mais tu rêves ! Je t'ai dit que j'utiliserai pas ce machin !

- Je m'en fous : il faut que tu te défendes.

- Que je me défende ? fit-il en montrant ses mains gantées. Ce n'est pas suffisant, ça ?

- On ne sait jamais.

- Contrairement à toi, je ne suis pas complètement impuissant quand il pleut, rappela Edward. Je ne tuerai personne et je ne risquerai pas de le faire. Je te prouverai bien que je peux me battre avec l'élixirologie mieux qu'avec une arme, mais tu es blessé.

- Gabin, tu veux bien nous laisser seuls tous les deux ? soupira Roy avec dépit en se tournant vers l'adolescent qui suivait leur débat avec attention.

- Mais pourquoi ? protesta Gabin, déçu.

- Parce que ça ne te concerne pas.

- J'ai envie de rester !

- Gabin, s'il te plait, rentre à l'intérieur, demanda Edward.

Le jeune garçon les regarda tour à tour, puis se résigna et partit en trainant des pieds. Les deux hommes entendirent à peine Isabelle le sermonner alors qu'il marchait sur le sol mouillé qu'elle venait de nettoyer.

- J'en veux pas de ton stupide flingue, grogna Edward sitôt que la porte-fenêtre fut fermée.

- Je veux juste t'apprendre à tirer. Même si tu ne l'utilises pas. En prévention.

- Je sais déjà utiliser ces machins.

- Ah bon ?

- Oui, Hawkeye m'en a prêté un, une fois.

- Tu mens.

- C'est la stricte vérité ! Et ça n'avait servi à rien du tout parce que je ne l'ai utilisé que pour… Bon, c'est une longue histoire. En tout cas j'ai tiré sur personne avec !

- Dans ce cas, montre-moi que tu sais faire et rassure-moi.

- Te rassurer ?!

- Ed, c'est dangereux, là où tu vas.

- Et c'est toi qui me dis ça ? Ah ! Ça c'est la meilleure !

- J'ai déjà fait la guerre, je te rappelle. Je sais mieux que toi dans quel genre de problèmes tu t'embarques.

- Non ! Je sais mieux que toi ! s'emporta Edward.

Il peinait à garder pour lui ses inquiétudes au sujet des paradoxes qui allaient se créer s'il suivait les plans de Roy. Se faire tirer dessus était moins dangereux pour lui que les actions qu'il devrait faire selon ce que Roy attendait de lui. Son véritable ennemi n'était pas la guerre elle-même, mais les actions qu'il ferait pour l'éviter. Roy, lui, semblait inconscient des risques qui l'entouraient et, le pire, c'était de savoir qu'il ne le saurait probablement jamais. S'il mourait de cette manière-là, s'il était effacé, ce serait toute son existence qui partirait en fumée, ainsi que tous les souvenirs que les autres avaient de lui. Il n'aurait tout simplement jamais existé.

Alors, cette arme, ce n'était vraiment pas l'arme dont il avait besoin pour se protéger.

- Tu ne partiras pas sans ce flingue, et je veux que tu me montres que tu sais l'utiliser.

Edward, hors de lui, s'approcha de Roy et lui prit le revolver des mains. Sans attendre une seconde de plus, il ôta la sécurité et visa un tronc d'arbre sur lequel il tira. Il manqua sa cible et la balle alla se ficher dans le mur de la grange. Les deux hommes fixèrent le renfoncement nouvellement créé, muets.

- Woops, finit par dire Edward.

- Tu sais pas viser, en fait, railla Mustang avec un sourire en coin.

- Mais qu'est-ce qu'on s'en fout… ! Ce n'est pas ça qui me sauvera de toute manière !

- Qu'est-ce qu'il se passe ? intervint Isabelle, sans doute alertée par le coup de feu. Qu'est-ce que vous fichez avec une arme ?!

- L'autre débile veut que j'apprenne à m'en servir !

- C'est dangereux ! Vous auriez pu blesser quelqu'un !

- Ce sont des balles à blanc, rassura Roy. Et heureusement parce que vu son talent pour manquer sa cible, j'aurais pu m'en prendre une.

- La prochaine fois, je t'assure, je te louperai pas.

Roy soupira, désabusé, tandis qu'Edward lui refourguait son arme à feu avec violence et clapait dans ses mains pour remettre le jardin en état. Après quoi, il s'éloigna à grands pas et rentra à l'intérieur avant de refermer brutalement la porte derrière lui.

- Quelle diva, grommela Mustang en remettant la sécurité de l'arme. Je ne sais pas si je vais réussir à lui faire porter ça…

- Il n'est pas suffisamment protégé comme ça ?

- Ça peut toujours servir.

- S'il n'y a que ça, je peux l'utiliser à sa place et couvrir ses arrières, fit remarquer Isabelle en haussant les épaules.

- Quoi ?

- Je sais me servir d'un fusil – et plutôt bien, d'ailleurs. Alors si tu veux qu'il ait une protection supplémentaire, je peux le faire.

Il la scruta droit dans les yeux, incapable de comprendre pourquoi, au juste, elle voudrait faire ça pour lui. Pour Edward. Pour celui qu'elle ne parvenait qu'à nommer Eric. Ses yeux verts, résolus, lui rappelèrent soudain la détermination qu'il avait vu dans le regard doré de ce jeune garçon amputé qu'il avait tenté de démarcher pour entrer dans l'armée en tant qu'alchimiste d'Etat. Ce même garçon qui, plus tard, deviendrait cet homme caractériel qui lui faisait office de compagnon. Isabelle avait cette même flamme en elle. Peut-être était-elle plus douce et mille fois plus modérée, mais leur fond était le même. Si elle partait avec lui, elle ne le lâcherait pas et le ramènerait auprès de lui en vie.

Alors, Roy s'autorisa un sourire et tendit l'arme à la jeune femme.

-On va voir comment tu te débrouilles.

Isabelle n'était pas soldat, mais force était d'admettre qu'elle savait viser avec une précision satisfaisante et qu'elle s'accommodait rapidement de sa nouvelle arme. Quand Edward revint dans le jardin pour grogner après Roy, elle dissimula le revolver, bien consciente qu'il n'approuverait probablement pas sa décision : s'il était d'accord qu'elle le suivre pour retrouver Adrien et ses parents pour les ramener chez Madeleine, il s'opposerait sans doute à l'idée qu'elle puisse se battre à ses côtés pour l'aider à l'évacuation de la ville et le défendre si le besoin se faisait sentir.

La veille de leur départ à tous les trois, Gabin apprit qu'il resterait chez Madeleine avec Valentin, Violette et Margaux. Il entra dans une colère noire et hurla après sa sœur pendant une bonne partie de la journée. Cela eut au moins le mérite de permettre à Edward et Roy de passer un peu de temps ensemble : ils ne savaient pas quand, au juste, ils se reverraient, et angoissaient tous deux à l'idée de ne pas se retrouver avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Madeleine fut celle qui, avec son autorité naturellement terrifiante, mit fin aux caprices de Gabin. Le soir, Isabelle, Edward et Roy firent un dernier récapitulatif du plan qu'ils allaient devoir mettre en œuvre en un temps record et, tôt le lendemain matin, Edward accompagna Roy à la gare. Ils se retrouvèrent l'un en face de l'autre sans trop savoir quoi dire, aussi Edward fut celui qui s'approcha du militaire pour le serrer dans ses bras avec une force qu'il n'espérait pas désespérée.

- Tu tâcheras de pas trop aller voir ailleurs, grommela-t-il.

- Je te promets rien, le taquina Mustang en le tenant fermement contre lui.

- Ne m'oublie pas, souffla Ed.

Roy laissa échapper un rire joyeux, inconscient de l'importance que cet ordre avait pour son compagnon :

-Comment le pourrais-je ? interrogea Roy sur le ton exagéré de la plainte. Tu es le genre de personne qu'on n'oublie pas. Même si j'essayais de toutes mes forces, je n'y parviendrais pas.

Il marqua une pause pendant laquelle il lui sourit avec une tendresse non dissimulée.

- Fais attention à toi, finit-il par dire.

- Ca devrait aller.

Roy passa ses doigts dans ses cheveux, ramenant les mèches rebelles qui s'étalaient sur le front d'Edward derrière son oreille. Malgré la tristesse que lui provoquait son propre départ, Roy ne put s'empêcher de sourire davantage.

- Ils sont suffisamment longs pour tenir, maintenant, constata-t-il.

- Je vais peut-être finalement réussir à me les attacher, approuva Edward en lui rendant son sourire.

Edward planta alors ses yeux dans les siens. Il y eut un instant de flottement pendant lequel Roy admira toute la beauté de ce regard franc, caché par des lunettes factices et des lentilles d'argent, brillant d'une simplicité complexe toute edwardienne. Le message qui passait dans ces iris-là avait quelque chose de l'espoir mélancolique, mais Roy n'eut pas le temps de les déchiffrer davantage qu'ils disparurent derrière ses paupières aux cils blonds. Son visage s'approcha du sien, ses lèvres entrouvertes cherchèrent les siennes et, sans que Roy ait eu le temps de protester ou de réagir à ce qui allait suivre, Edward l'embrassa, le tenant fermement contre lui, ne lui laissant aucune issue de secours, aucune retraite possible.

Là, au milieu du quai de la gare, Edward et Roy s'embrassaient pour la première fois au beau milieu d'un lieu public rempli de passants.

Ce fut le sifflement du train qui les sépara. Maladroit, Roy bredouilla un vague « bon courage » avant de disparaitre dans le train avec sa valise, laissant un Edward dépité seul sur la plateforme de la station, indifférent aux regards et sourd aux « au revoir » et aux commentaires alentours. Il vit partir le train, les yeux vissés sur le véhicule qui s'éloignait à vitesse grand V.

Il avait l'habitude de partir et de laisser les gens derrière lui. Avec Winry, c'était toujours elle qui restait en attendant qu'il revienne. C'était peut-être la première fois que c'était lui qui voyait l'autre s'en aller, et c'était un rôle qu'il se promit de ne plus jamais endosser. Lorsque le train disparut à l'horizon et qu'il ne put plus le distinguer, il soupira, le cœur lourd, et tourna le dos aux rails pour retourner chez Madeleine où il mit de l'ordre dans ses affaires. A midi, il partagea silencieusement un dernier repas avec l'ensemble de la maisonnée avant que tout le monde ne se mette finalement en marche vers la gare. Edward, en tête, avançait d'un bon pas avec l'espoir idiot de retrouver miraculeusement Roy à la gare et de l'entendre dire : « Je suis revenu, finalement ».

Bien sûr, il n'y avait personne de connu à la station et la seule chose qui finit par sortir Ed de son abattement fut Madeleine qui se posta face à lui avec son habituel air grognon.

-Tiens, fit-elle en lui tendant gauchement un papier craft. C'est un truc par chez-nous. J'y crois pas trop, mais mieux vaut mettre toutes les chances de votre côté.

Edward récupéra le paquet d'un air circonspect et l'ouvrit pour découvrir un pendentif en bois clair représentant un cercle rempli d'une croix droite aux bras égaux. Il fronça les sourcils :

-Qu'est-ce que c'est ?

- Une croix solaire, expliqua Madeleine. Dans l'ouest, c'est un symbole de protection. Il représente l'éternité mais aussi les points cardinaux : j'imagine que vous en aurez besoin pour savoir où aller.

- C'est toi qui l'a faite ?

- Ouais.

Edward ne put s'empêcher de sourire et prit la petite femme dans ses bras.

- Tu es gentille, au fond.

- Si ça t'amuse de le croire, grommela-t-elle en lui tapotant maladroitement le dos.

Il s'écarta d'elle et regarda alentour. Plus loin, Isabelle serrait un Gabin en larmes dans ses bras. Il pouvait aisément imaginer ce que ça pouvait être, pour eux, de se séparer : ils étaient les deux seuls membres encore en vie de leur famille, et ils avaient jusque-là tout fait ensemble. Si Gabin avait été Alphonse, il aurait sans doute pleuré de la même manière, mais il aurait certainement agi pour ne pas laisser faire leur séparation. Heureusement, Gabin n'était pas Alphonse et il avait finalement accepté de rester ici sans sa sœur.

Edward leur laissa un moment et en profita pour dire au revoir à Violette et Margaux qui l'enlacèrent comme une seule personne. Il se tourna ensuite vers Valentin qui n'avait toujours pas voulu lui adresser la parole jusque-là. L'adolescent le fusillait du regard mais, pour une fois, il s'approcha de lui et lui tendit une main qu'Edward s'empressa de serrer :

- Ramenez mon frère et mes parents.

- J'y compte bien, promit Edward.

Finalement, il se dirigea vers Isabelle et Gabin qui se séparèrent à son arrivée. Le garçon se tourna vers Edward et lui sauta tout bonnement dans les bras.

- Tu peux protéger Isabelle avec l'élixirologie, hein ?

- Bien sûr. Tout va bien se passer : elle reviendra dès qu'on aura retrouvé Adrien, Yves et Vivianne.

- Et toi ?

- Moi, je vais rester. Il faut que quelqu'un essaie de sauver la situation.

- Tu vas être Alphonse ?

Edward perdit un peu de son sourire déjà maigre. Alphonse aurait sans doute déjà réglé la situation. Cela ferait longtemps qu'il aurait essayé de faire quelque chose. Il avait une âme plus pure que la sienne, un esprit plus altruiste, une gentillesse si grande qu'il ignorait sérieusement si quelqu'un d'autre pouvait l'égaler. C'était peut-être pour cela qu'il avait pris son nom pour créer un héros pour enfant qui avait fait ses actions.

- Je vais faire de mon mieux, approuva-t-il en relâchant le garçon. Isabelle, tu es prête ?

- Oui, allons-y.

Elle embrassa son frère une dernière fois et glissa dans sa main un objet qu'Edward ne vit pas. Puis, elle se tourna vers lui et entra dans le train d'un pas résolu qu'Edward imita. Tous deux portaient des sacs à dos légers et une valise un peu plus lourde : de quoi boire, manger, se défendre pour quelques temps, se documenter et quelques autres objets qui leur seraient probablement utiles. Ils s'assirent l'un en face de l'autre sur les banquettes d'un compartiment. Dehors, les enfants et Madeleine leur faisaient des signes d'au revoir.

- Tu peux encore changer d'avis, informa Edward.

- Je reste avec toi.

Le train se mit en branle quelques minutes plus tard. Il s'éloigna doucement, laissant à Gabin le loisir de le suivre au pas, puis de plus en plus vite, jusqu'à ce que ses cheveux ne se décoiffent au vent et que sa course ne soit plus assez rapide pour égaler la vitesse du convoi. Ils le perdirent de vue et la gare disparut également dans un virage léger qui ne leur laissait plus aucune visibilité. Dans quelques heures, ils seraient à Xoporor d'où ils partiraient rejoindre le sud et Fosset.

- Qu'est-ce que tu lui as donné, à Gabin ? demanda alors Edward.

- Une de mes boucles d'oreille.

Edward plissa les yeux pour remarquer une petite bille de pierre verte accrochée à son oreille droite tandis que celle de gauche manquait effectivement à l'appel. Il n'avait jamais remarqué qu'elle portait des bijoux : d'ailleurs, ce n'était pas le genre de choses auxquelles il faisait attention.

- C'est la seule chose qu'il nous reste de nos parents, expliqua Isabelle. Avec nos terres, bien sûr. Elles étaient à ma mère, et je les portais le soir de l'incendie. Je les lui avais volées, dans la boite à bijoux de sa chambre…

Edward ne sut pas quoi répondre, mais comprit la symbolique que cet échange sœur-frère pouvait avoir : après tout, Winry lui avait bien donné ses boucles d'oreilles, lorsqu'ils étaient au mur de Briggs. C'était surtout pour lui éviter des engelures, mais c'était aussi devenu une promesse de se retrouver en vie après la résolution de tous les problèmes qui leur étaient tombés dessus.

-Vous allez vous retrouver, rassura Edward.

- Bien sûr qu'on va se retrouver, affirma Isabelle. C'est simplement pour le rassurer que j'ai fait ça.

Ed sourit, contemplant le profil de la jeune femme dont les froncements de sourcils trahissaient l'inquiétude.

- Tu récupères Adrien, Yves et Vivianne, et tu pourras le rejoindre. Techniquement, tu ne risques rien.

- Je sais, tu me l'as déjà dit, affirma Isabelle qui se préserva bien de lui dire qu'elle avait bien l'attention de rester avec lui jusqu'au bout.

Edward la laissa à ses pensées et se cala contre la fenêtre, ouvrant un de ses carnets par la même occasion. Il était bien décidé de mettre à profit les heures de voyage pour potasser le plan que Roy avait mis en place et, surtout, pour éviter de penser aux conséquences éventuelles que ses actions auraient.

En mettant en place leur stratégie, ils avaient pensé que les ennuis ne commenceraient pas avant qu'ils n'arrivent à la frontière de la région sud. Mais seulement une heure après leur départ, les contrôleurs vinrent inspecter leurs billets et, voyant qu'ils se rendaient à Xoporor, leurs cartes d'identité. Celle d'Edmund Ford passa sans problème, mais Isabelle Alstatt, elle, ne passa pas inaperçue :

- Vous venez de la région de Fosset, remarqua le contrôleur.

- C'est-à-dire… bredouilla Isabelle.

- Nous allons devoir vous demander de descendre au prochain arrêt.

- Pardon ? gronda Edward.

- C'est la procédure : aucun habitant du sud n'a le droit de retourner au sud.

- Mais enfin, Xoporor est encore à l'ouest ! protesta Edward. C'est ma fiancée, nous nous rendons dans ma famille ! Vous ne pouvez pas nous séparer.

Le cheminot sembla hésiter, d'autant qu'Edward se mettait à faire un scandale sur les prix des billets qui avaient augmenté et qu'ils avaient payé en bons citoyens qu'ils étaient alors qu'ils voulaient désormais les séparer et les faire descendre du train pour un trajet qu'ils avaient dument réglé. Mais son collègue, lui, prit la carte d'identité d'Isabelle entre ses mains et fronça les sourcils.

- Alstatt. Ce ne serait pas le nom du gamin qui a sauté dans le wagon de queue à Oysixayxe ?

- Quoi ?! s'étrangla Isabelle.

- Va me le chercher.

Le premier contrôleur s'en alla, les laissant seuls avec le moins commode de leur duo. Isabelle allait de nouveau protester mais Edward décida de prendre les choses en main à ce moment-là : de sa poche, il sortit la montre d'alchimiste d'Etat que lui avait offert Roy à Mithra et la montra au cheminot.

-Vous reconnaissez, ça ?

- C'est… s'étonna le contrôleur.

- Chut, coupa Edward en replaçant la montre dans sa poche. Nous sommes en mission pour l'armée, et je doute que vous ne souhaitiez compromettre les ordres du Fürher en nous faisant descendre à la prochaine station. Si vous pouviez arrêter de nous emmerder avec votre protocole à deux balles, ça nous arrangerait bien. Et vous aussi, d'ailleurs : vous connaissez le mot « attentat » ? Il y en a des tonnes à l'est, sans compter ce qu'il se passe dans le sud. Vous pensez sérieusement que l'ouest est épargné ? C'est grâce à des personnes comme nous que vous n'avez pas de problèmes, donc laissez-nous effectuer notre travail. Ah, et, le gamin, il est avec nous.

A ce moment-là, son collègue fit irruption dans la cabine en trainant un Gabin fou furieux par le bras. Le garçon se calma immédiatement en voyant les visages sévères de sa sœur et d'Edward, mais il n'eut pas le temps de se justifier qu'on les laissait tous les trois dans la cabine. Et avec des excuses, en plus. Isabelle se jeta alors sur lui pour lui assener une claque avec tant de vivacité qu'Edward n'eut pas le temps de la retenir.

- Bon sang, mais qu'est-ce qu'il t'a pris de sauter dans ce train ! gronda la jeune femme.

- Je voulais partir avec vous ! répondit Gabin avec aplomb, les joues rouges.

- Taisez-vous, tenta de calmer Edward.

- Tu n'as pas ta place avec nous ! s'étrangla Isabelle.

- Je veux vous aider ! insista Gabin.

- FERMEZ-LA !

Les deux frère et sœur se turent pour regarder Edward, l'oreille collée contre la porte, en train d'écouter les bruits de couloir.

- On a une demi-journée de route avant d'arriver à Xoporor et je ne sais pas si notre fausse couverture va fonctionner, grogna-t-il. Alors, maintenant, il va falloir rester discret. C'est compris ?

- Il faut surtout que Gabin sorte du train au prochain arrêt, protesta Isabelle à voix basse.

- Non ! clama Gabin en chuchotant. Je suis là, maintenant, alors je reste avec vous.

- Vous vous démerdez entre vous, mais faites pas de bruit.

Pendant la demi-heure qui suivit, Edward passa son temps à faire le guet tandis que les deux autres se disputaient à mi-voix. En milieu d'après-midi, ils arrivèrent à Albupow et Isabelle tenta de trainer son frère à l'extérieur sans grand succès : il se mettait à hurler et à faire le plus de bruit possible, tant est si bien qu'Edward finit par les séparer et décida de lui-même que Gabin resterait - au moins jusqu'à Xoporor.

Arrivés sur place, pourtant, ils virent les contrôleurs les regarder d'un mauvais œil et prévenir leurs collègues : aussi décidèrent-ils de faire profil bas et quittèrent la gare aussi rapidement que possible.

Xoporor était une ville animée et massive dans laquelle ils se fondirent sans grand mal. Edward pria Isabelle et Gabin de se rendre à la porte est de la ville et leur demanda d'attendre, le temps qu'il mette en place le premier plan de Roy : trouver un véhicule.

Le plan n'était pas bien difficile : il lui suffisait de porter un vêtement militaire gradé que lui avait donné Roy et de réquisitionner un véhicule de l'armée d'une petite équipe en patrouille dans la ville. En une dizaine de minutes à peine, il trouva ledit véhicule, se présenta avec son costume de Commandant, fit autorité en sortant sa montre d'alchimiste d'Etat, et en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, il était à la porte est à bord de la voiture et récupérait Gabin et Isabelle – qui prit aussitôt le volant puisqu'Edward avait déjà failli provoquer plusieurs accidents. Ils roulèrent ainsi jusqu'à Bumécu où ils remplirent le réservoir d'essence et en profitèrent pour en acheter plusieurs bidons, au cas où.

Ils repartirent vers le sud-est et passèrent par de petits chemins de campagne pour traverser la frontière avec la région de Fosset. Après quoi, ils se changèrent pour reprendre une apparence civile, Edward transmuta leur véhicule pour lui faire prendre une allure méconnaissable, puis ils reprirent la route sous un ciel étoilé et sans nuages. Edward et Isabelle se relayèrent ainsi toute la nuit, dormant chacun leur tour sur la banquette arrière tandis que Gabin, sur le siège passager, prenait son rôle de copilote très au sérieux, maniant la carte et la boussole d'une main experte.

A la fin de la nuit, Edward ne fut pas réveillé par les rayons du soleil levant, ni par les à-coups de la voiture sur les chemins de terre, mais par l'immobilisation du véhicule et l'arrêt de son moteur branlant. Il leva une tête endormie par-dessus les sièges avant tandis qu'Isabelle et Gabin sortaient du véhicule avec la lenteur que leur imposaient leurs membres ankylosés. A travers le pare-brise s'étendait une surface d'ocre plane se jetant dans un vide inconnu. Au-delà s'élevaient les premiers bâtiments de la ville de Marco. Edward ouvrit la portière et sortit du véhicule d'une démarche tordue avant de rejoindre Isabelle et Gabin.

- C'est Marco ? demanda-t-il d'une voix rauque.

- Oui, confirma Isabelle. Roy avait raison.

- Il n'y avait pas de patrouille ?

- Rien du tout. C'est le calme plat.

- Alors allons-y.