Oh la la, on avait dit tous les premiers lundis du mois ! Mais j'étais tellement malade hier que j'ai complètement oublié de poster le chapitre... Enfin... Le voici et bonne lecture ^^
Chapitre 34 – Le Cercle de transmutation
Edward sauta de la voiture en furie, indifférent à la poussière qu'il avait soulevé dans son sillage et qui envahissait désormais l'espace, recouvrant son corps et son véhicule d'une mince couche ocre. Sans attendre une seconde de plus, il claqua la portière avant et ouvrit celle de derrière avec force. Il arracha les documents à la banquette arrière et les écrasa sur le sol pour les vérifier avec frénésie, calculant les longitudes et les latitudes à voix basse. Finalement, il se releva avec une carte et avança d'une cinquantaine de pas avant de s'accroupir sur le sol pour former un cercle de transmutation sur la terre sèche. Les éclairs élixirologiques ne tardèrent pas à s'élever, lézardant le sol pour l'écarter et le faire s'effondrer une cinquantaine de mètres plus bas. Edward soupira et enfila ses gants : si la destruction était plus simple et moins énergivore, il devait tout de même se créer une échelle pour descendre.
Lorsque les échelons furent matérialisés, il les désescalada jusqu'en bas, quittant le soleil d'une journée magnifique pour rejoindre les gravas qui s'enfonçaient dans les bouches béantes d'une galerie entièrement creusée à la main. Edward s'y engouffra avec la ferme intention de tout détruire sur son passage, quitte à y passer des années. C'est d'ailleurs ce qu'il fit, avançant dans le tunnel en faisant s'effondrer les pans de murs derrière lui, s'enfermant ainsi dans le noir, là où Pride, s'il le cherchait, ne pourrait rien lui faire. L'élixirologie lui permettait de se repérer, non pas tant avec la lumière des transmutations, mais aux sensations qu'elle lui procurait.
Ses mains détruisaient tout, outils de sa rage face aux homonculi, face à Envy qui avait eu sur lui cette longueur d'avance ; qui avait mobilisé, il ne savait trop comment, les troupes d'Aerugo pour s'attaquer directement à Amestris. Il maudissait son cerveau de ne pas lui avoir rappelé ces évènements, hurlait contre ses neurones qui auraient dû lui rappeler ce que son pays avait vécu, s'égosillait contre son égocentrisme qui l'avait concentré sur la quête de retrouver le corps de son frère sans lever le nez sur les autres évènements qui se déroulaient autour de lui. Sa colère le démangeait, l'irritait au plus profond de lui-même, tentait de sortir de lui sans que son ardeur, sa violence, son impétuosité ne parviennent à la faire exploser complètement, comme si son corps était un réceptacle trop mince pour la contenir entièrement et pour l'exprimer aussi bien qu'il l'aurait dû. Autour de lui, le monde s'effondrait dans un bruit assourdissant, le plongeant dans un univers de ténèbres destructeur que sa frénésie constituait toujours plus instable, toujours plus menaçant… Et si dangereux que les roches finirent par s'effondrer sur lui. Il y échappa dans un roulé-boulé aveugle et continua sa course à demi-redressé, craignant que le plafond ne continue de s'écrouler sur lui. Son instinct de survie avait repris le dessus et son cœur s'était emballé d'appréhension tandis qu'il se retrouvait là, dans la nuit implacable d'un espace inconnu, potentiellement peuplé d'ennemis et bourdonnant en écho infini le reste de la destruction qu'il avait provoquée. Edward ne relâcha son souffle que lorsque le silence complet revint.
Sa colère s'était évaporée et son cerveau s'était remit en marche. La crainte laissa peu à peu place à l'abattement et, finalement, il suspendit sa marche courbée pour se retrouver seul, vidé, au milieu de l'ébauche d'un cercle de transmutation mortel. Lentement, ses pas le dirigèrent vers la paroi contre laquelle il s'appuya avant de se laisser glisser vers le sol. Là, l'émotion l'assaillit et il se mit à sangloter, les jambes entre ses bras, minuscule fœtus au milieu de cet engrenage de géant.
Il fallait se rendre à l'évidence : quoi qu'il fasse, ses plans étaient voués à l'échec. Détruire le cercle de transmutation national à lui tout seul était une ambition bien trop démesurée : Sloth recevrait bientôt l'ordre de venir le massacrer et d'autres homonculi viendraient eux aussi s'il arrivait à s'en sortir avec le premier. Il était d'ailleurs presque certain de ne pas pouvoir le vaincre, puisque la personne qui l'avait fait autrefois n'était autre que son maître, Izumi Curtis, et qu'elle avait été aidée par Alex-Louis Armstrong. Les deux y avaient laissé des plumes, et il se savait largement moins forts que les deux ainsi réunis. Surtout maintenant que sa seule arme n'était autre qu'une élixirologie qui ne fonctionnait qu'à l'aide de cercles tracés.
Ce n'est pas le moment que tu agisses de manière inconsidérée en allant affronter je ne sais quoi alors que tu meurs de faim, de soif, et que tu ne tiens littéralement plus debout.
Les paroles d'Isabelle. Il ne l'avait finalement pas écouté et il aurait pu se tuer stupidement. D'ailleurs, l'enjeu n'était pas uniquement sa propre vie. En se précipitant ainsi dans le cercle de transmutation national, il transmettait à l'ennemi un message qu'il aurait mieux valu taire : « Je connais vos plans, bien plus que je ne l'ai laissé paraître jusque-là ». Le tunnel, qu'il aurait pu modifier à sa guise à l'insu de Père, serait désormais moins accessible et leur marge de manœuvre pour élaborer un plan allait s'amenuiser…
A moins qu'il ne répare ses erreurs tout de suite.
Dans un élan de raison, Edward se redressa, ignorant son corps endolori et son épuisement généralisé. Sans attendre une seconde de plus, il s'approcha de l'éboulement et se mit à restaurer la galerie qu'il avait tantôt tenté de défaire. Le processus était lent et son souffle lui vint à manquer rapidement. Il fit plusieurs pauses, conscient que personne ne récupérerait son corps inconscient cette fois-ci puisqu'il s'était affranchi de tout allié. Seuls les homonculi seraient capables de le retrouver là, et il était hors de question qu'il se livre à eux. Il n'était pas sûr d'avoir la force de leur résister, et il ne pouvait pas envisager de livrer Madeleine, Riza ou Roy. Il fallait donc qu'il agisse intelligemment, stratégiquement pour pouvoir sortir de ce trou qu'il avait lui-même creusé.
Au bout d'un temps qui lui parut interminable, les éclairs élixirologiques délivrèrent une source de lumière intense et il ferma les yeux un instant en sentant les rayons du soleil lui frapper les rétines. Le tunnel était presque entièrement réparé et il lui semblait que personne ne le saurait jam-
Une douleur intense lui brisa la mâchoire et il recula, perdit l'équilibre et s'écrasa dos contre le sol. Ses paupières se soulevèrent aussitôt, essayant de percevoir ce qui l'avait frappé tandis que ses bras tentaient de le relever : en vain. Un ombre avait fondu sur lui, à contrejour de la lumière qui entrait dans la galerie, et l'avait plaqué contre le sol avec une telle force qu'il sentit son esprit vaciller. Il laissa échapper un râle de douleur, puis des halètements de panique tandis qu'il se ruait contre le sol et tentait de se dégager. Une douleur lui transperça alors la main gauche et ses nerfs éclatèrent tout le long de son bras jusqu'à l'épaule. Il laissa échapper un hurlement, vite étouffé par un poids qui lui entrava la gorge. La respiration difficile, il tenta de focaliser son esprit sur sa vue et plissa les yeux pour percevoir son ennemi. Il avait des cheveux très longs, sombres, en bataille, la peau abimée par des transmutations imprécises, des yeux fendus par la haine et un corps androgyne qu'il ne connaissait que trop bien.
Edward laissa échapper une espèce de glapissement de frayeur et se mit à se tortiller dans tous les sens, tentant vainement de se libérer de la poigne d'Envy. Ce dernier se mit à rire, bien conscient de sa supériorité et de la vulnérabilité de celui qui l'avait si violemment humilié quelques jours auparavant. Pourtant, Edward ne perdit pas espoir et tenta de dégager sa main libre : elle était gantée ; il lui suffisait de toucher le sol pour pouvoir frapper l'homonculus d'un poing de pierre. Mais l'autre ne le laissa pas faire et, d'un mouvement vif, il arracha son gant à ses doigts et le déchira sous ses yeux, réduisant en un instant tous ses espoirs d'évasion.
- Comme on se retrouve, susurra Envy d'une voix doucereuse.
Edward ne répondit pas, trop concentré à aspirer le peu d'air qu'il pouvait dans des râles douloureux.
- C'est que je crois que tu ne m'as pas tout dit sur toi, continua lentement Envy.
Il desserra un peu sa prise sur la gorge du jeune homme et Edward avala goulument tout l'air qu'il pouvait dans une respiration précipitée. Cette vision sembla plaire à l'homonculus car son sourire s'élargit et, avec brutalité, il retourna Edward sur le ventre, bloqua ses avant-bras contre ses omoplates et s'assit sur son dos, lui rendant une nouvelle fois la respiration laborieuse.
- On va donc discuter gentiment, si tu le veux bien, mm ?
- Va te faire foutre, Envy… !
- Je ne crois pas que tu sois en position de protester, nabot.
- Je suis… plus grand que toi… ! Connard !
- Tu es un humain : tu restes une vermine. Alors, dis-moi… Comment est-ce que tu peux être au courant pour ce souterrain ?
Edward laissa retomber son front contre le sol, respirant air et poussière à chaque aspiration. Il devait absolument trouver une solution pour se défaire de l'homonculus, mais il fallait bien admettre qu'il était dans une situation parfaitement merdique.
Son silence lui valut un coup de poing dans le flanc et sa respiration fut une nouvelle fois coupée dans un gémissement de douleur presque silencieux.
- Je dois admettre que tu m'as surpris, l'autre jour, avec ton alchimie. Comment est-ce que tu as pu me faire changer de place, d'ailleurs ?
- Et te faire perdre autant de vies ? haleta Edward. Il doit t'en rester si peu… Tu n'arrives même pas… à te reformer correctem-
Un autre coup lui arracha un cri qui lui vida les poumons. Le jeune homme se mit à tousser et à cracher, incapable d'encaisser les chocs et de respirer en même temps. Sa tête se mit à lui tourner et sa vision devint sombre pendant un instant. Il lutta pour ne pas perdre connaissance tandis qu'Envy posa une nouvelle question qu'il ne comprit même pas. Cela lui valut un autre coup et son esprit effleura l'inconscience.
Cela ne dura surement que quelques secondes, puisqu'il reprit ses esprits dans la même position à la différence qu'Envy exerçait moins de poids sur son dos et tirait désormais ses cheveux ce qui, si ce n'était pas agréable, lui permettait au moins d'avaler autre chose que de la poussière. Il se mit tousser, puis se racla la gorge pour se remettre les idées en place.
- Alors, cette histoire d'alchimie ? insista Envy.
- Tu nous sous-estime tellement, répondit Edward d'une voix rauque. Et tu ne t'y connais rien en alchimie.
- Personne ne sait faire ça.
- Personne que tu connais.
- Ne me prends pas pour un idiot. Où est ta pierre philosophale ?
Edward éclata d'un rire éraillé et Envy lui écrasa le visage contre le sol pierreux. Il y eut un craquement sinistre et Edward grogna de douleur. Son nez se mit à saigner abondamment. Sa vision se teinta une nouvelle fois de noir. Cela ne dura qu'une seconde, mais ce fut suffisant pour l'inquiéter sur son propre état. Il était de toute évidence complètement à bout et il ne résisterait pas longtemps à d'autres mauvais traitements.
- La pierre, rappela Envy d'une voix où perçait l'impatience.
- C'est… La tienne… Je l'ai utilisée…
- Comment est-ce que tu savais que j'en avais une ?
- Les transformations… L'émancipation de… l'échange équivalent… Il ne faut pas être un génie pour… comprendre…
Edward se remit à tousser et secoua la tête pour se dégager de la poigne d'Envy. Il sembla que l'homonculus le laissa faire puisqu'il y parvint facilement et put ainsi respirer plus normalement, la joue ainsi posée contre le sol.
- Qui es-tu ?
Edward laissa échapper un gloussement douloureux.
- Éric. Éric Ford.
- Ne me prends pas pour un imbécile : Éric Ford n'existe pas. Dis-moi qui tu es.
- Pour te livrer… ma famille ? Mes amis ? Alors là… Tu peux toujours rêver… !
- Tu finiras par me le dire de toute manière, assura Envy d'une voix sirupeuse. Tu préfères qu'on en finisse maintenant où que je te fasse cracher le morceau ? Ça risque d'être peu agréable pour toi, mais je t'avoue que je préfèrerais que tu choisisses la deuxième option… La simple vision de ton nez cassé me satisfait incroyablement, je n'imagine pas ce que cela me ferait de voir la moindre parcelle de ton corps complètement détruite.
Edward savait qu'il allait probablement finir par en crever, et qu'il aurait peut-être déballé un nombre incalculable de choses qu'il voulait pourtant conserver uniquement dans sa tête. Mais malgré la peur qui lui prenait le corps, son cerveau continuait de fonctionner : même s'il déballait toute la vérité, Envy le torturerait quand même. L'homonculus était trop remonté contre lui pour le laisser en paix et son existence même se basait sur le plaisir qu'il avait de voir les autres souffrir.
- Tu me butteras quand même, souffla Ed avec tout le courage qu'il avait encore en stock. Vas-y, fais-toi plaisir. Mais tu sauras que dalle.
- J'espérais que tu répondrais ça, se réjouit Envy en lui saisissant le petit doigt de sa main droite.
Il y eut un petit craquement et Edward se tordit de douleur en sentant son auriculaire se briser. Son instinct lui hurlait de s'enfuir à toutes jambes, mais ses tentatives de fuite étaient parfaitement vaines : Envy était lourd et le clouait par terre de tout son poids. Il avait beau tordre ses jambes dans tous les sens, pousser sur le sol et essayer de le désarçonner, Envy ne bougeait pas d'un centimètre.
- Toujours pas enclin à me dire comment tu es au courant pour ce tunnel ? s'enquit l'homonculus en saisissant son annulaire.
- Va… te faire… FOUTRE ! beugla Edward, furieux.
- Tu es sûr ? s'inquiéta Envy d'une voix mielleuse tout en entamant une flexion arrière sur son doigt.
Edward ne répondit pas et attendit le point de rupture en retenant son souffle. Il tarda à arriver, mais lorsqu'Envy se décida, le geste fut si violent que sa phalange éclata en même temps que son annulaire. Son cri se répercuta en écho dans le couloir désert et les larmes de son calvaire perlèrent au coin de ses yeux.
-Tu vas chialer au bout de deux doigts ? interrogea Envy d'une voix déçue. Sais-tu qu'il y a deux-cent six os dans un corps humain ?
Edward haleta, incapable de répondre tant il était tétanisé par la douleur – d'autant qu'elle émanait de son bras droit, celui-là même qu'il avait récupéré lors du Jour Promis et qui demeurait malgré lui plus sensible que le reste de son corps. Il sentit la main d'Envy saisir son majeur avec une certaine douceur et il eut un spasme de frayeur à l'idée d'un supplice semblable à ce qu'il venait déjà de subir. Sa main le lançait jusqu'au coude et la position dans laquelle il était n'avait rien pour le réconforter. Il sentit la torsion de son doigt avec une telle lenteur qu'il lui sembla que des siècles aurait pu s'écouler. Il suffoqua d'avance, le cœur emballé, la peur lui tordant les tripes. Pourtant, à la place du craquement de ses os, le tunnel répercuta un autre type de son : celui d'une déflagration.
Envy s'écroula alors sur le côté et Edward fut libéré. Il se releva d'un bond, s'éloigna avec effroi tout en jetant des regards partout autour de lui. Ses yeux se fixèrent alors sur l'échelle qu'il avait transmuté et au bas de laquelle une jeune femme blonde se trouvait. Elle tenait à la main un revolver qu'elle pointait sur la masse électrique que formait désormais Envy.
- Viens ! hurla Isabelle, paniquée.
Un instant, Edward faillit détaler vers elle et remonter à la surface pour s'enfuir le plus loin possible d'Envy. Pourtant, son cerveau reprit le pas sur la peur, et les endorphines aidèrent sans doute à sa réflexion : Envy était presque immortel, mais compte-tenu des marques de transmutation sur sa peau et du délai que mettait son corps à régénérer son crane éclaté par le coup de feu, il était probablement à bout de force.
Sans attendre une seule seconde de plus, Edward sauta sur l'homonculus à terre et se mit à le ruer de coups à l'aide de sa main gauche à moitié cassée. Malgré les antidouleurs naturels que produisaient son corps, il avait presque aussi mal à cette main qu'à l'autre, mais c'était là le cadet de ses soucis. Sans se préoccuper du spectacle qu'il donnait à voir à Isabelle, ni de l'éthique de ses gestes, il frappait, encore et encore, avec l'énergie d'une panique extraordinaire, le crâne ouvert d'un Envy sans défenses.
- COMBIEN DE FOIS EST-CE QU'IL FAUT QUE JE TE TUE ?! vagit Edward avec une voix qu'il lui était inconnue. COMBIEN DE FOIS ?!
- Eric ! appela Isabelle, figée dans son dos et incapable de détourner les yeux de ce spectacle de colère et de sang. Eric ! Arrête ça !
- IL FAUT QU'IL MEURE ! CA N'AURAIT SERVI A RIEN ! IL FAUT QUE-
Edward suspendit soudain ses gestes. Son instinct venait de reprendre le dessus. Sous lui, Envy se reconstituait difficilement avec les quelques vies qu'il possédait encore. Il avait l'intuition qu'il ne lui restait plus grand-chose, comme il avait su le nombre de morts qui s'étendaient sous les anciennes tranchées de Marco. Il n'avait plus à avoir peur de lui, car l'homonculus était complètement à sa merci. Pourtant, loin dans la noirceur du tunnel, il sentait une armée s'approcher à une vitesse inimaginable. Des sueurs froides perlèrent sur sa peau et il se remit sur ses pieds avant de se mettre à cavaler jusqu'à l'échelle.
- REMONTE ! s'égosilla-t-il en panique. VITE !
La jeune femme ne se fit pas prier et remonta les échelons à toute vitesse, suivie de près par Edward qui jeta un dernier regard sur le tunnel, soudain transformé en enfer véritable : des bouches gigantesques aux dents démoniaques et des yeux infernaux s'avançaient à toute allure dans leur direction. Leur seul salut était la lumière du jour, l'extérieur qui empêcherait le monstre de remonter à la surface comme ils étaient en train de le faire.
Ils débouchèrent à ciel ouvert in extremis et Edward se laissa tomber sur le sol, pantelant. Isabelle, elle, se contenta de l'observer d'un air stupéfait, son arme pendant au bout de ses doigts. Au bout de quelques secondes, Edward finit par lâcher :
- Comment tu m'as trouvé ?
- La voiture est pas vraiment discrète, ici, au milieu de nulle part. Et tu es quand même relativement prévisible…
Le jeune homme soupira et se redressa en gémissant. Ses deux mains étaient complètement explosées, entre celle qui avait deux doigts cassés et l'autre qui dégoulinait de sang, fendue par il ne savait quoi exactement.
- C'est quoi ce flingue, grogna-t-il, contrarié.
Elle le fixa et fronça les sourcils avant de répondre avec fermeté :
- Ce qui t'as sauvé la vie.
- Je m'en serai sorti.
- Je ne crois pas, non.
- Tu n'avais pas à utiliser ça !
- Et toi, tu n'avais pas à venir ici pour risquer stupidement ta vie !
Edward grogna en baissant les yeux sur ses mains. Celle ne gauche ne bougeait plus aussi bien qu'il l'aurait voulu et l'autre était complètement tordue. Il n'allait pas pouvoir faire grand-chose avec pendant un moment et il pouvait dire adieu aux gants qu'Isabelle lui avait brodés.
- Ca va ? demanda une voix un peu plus loin.
Edward leva la tête dans sa direction tandis qu'Isabelle se retournait pour lui faire face. De la fenêtre de la voiture qu'ils avaient volée à Bumécu sortait la tête innocente de Gabin.
- Retourne à l'intérieur et ferme les fenêtres ! gronda Isabelle.
- Y fait trop chaud !
- Bon, alors laisse-la ouverte mais reste à l'intérieur.
- Qu'est-ce qu'il fout là ? questionna Edward, à fleur de peau.
- Il était dans la voiture quand je l'ai prise, je m'en suis rendue compte qu'en arrivant puisque ce bêta ne s'est pas manifesté avant !
- Il faut qu'on décampe, décida aussitôt Edward.
- De toute façon, on allait pas faire grand-chose d'autre vu l'état dans lequel tu es, cassa la blonde.
Edward soupira, trop douloureux pour pouvoir répliquer quoi que ce soit. Pourtant, Isabelle ne fit pas mine de revenir à la voiture. A la place, elle tarda à poser une question :
- Il est mort ?
- … Je ne crois pas.
Edward jeta un coup d'œil au trou qu'il avait creusé. A bien y réfléchir, il avait meilleur temps de le reboucher avant de s'en aller afin d'éviter qu'Envy ne remonte à la surface.
- Je vais refermer ça, dit-il. Monte dans la voiture, j'arrive.
Sans attendre de réponse, il s'avança vers l'ouverture et s'agenouilla au sol. De son index indemne, il commença à tracer dans la terre des formes géométriques qu'il connaissait par cœur, mais la douleur lui remontait dans le bras et le lançait tellement que les traits qu'il formait se tordait à l'image de ses doigts cassés. Il tenta plusieurs tracés mais n'y parvint pas, tant et si bien que son cœur recommença à faire pulser un sang angoissé dans ses veines. La panique le prit davantage encore lorsqu'il passa la tête à travers le gouffre et vit Envy en bas de l'échelle, entièrement reconstitué et entouré des ombres abominables de son frère. L'homonculus sourit, et Edward se retrouva sur ses pieds en hurlant :
- Dans la voiture ! On se casse !
Isabelle était restée près de lui et raffermit sa prise sur son arme à feu avant de suivre Edward qui détalait jusqu'aux véhicules.
- Isabelle, au volant ! lança-t-il par-dessus son épaule tandis qu'il ouvrait maladroitement le coffre de la voiture pour en sortir toutes les armes qu'il pouvait : après tout, Roy lui avait donné plusieurs couteaux et, surtout, des grenades.
Lorsqu'il en prit une en main, il entendit un coup de feu et releva brusquement la tête pour voir qu'Isabelle s'était arrêtée devant la voiture et visait Envy. Celui-ci venait à peine de sortir de son trou et des éclairs rouges s'élevaient au-dessus de son bras : la jeune femme avait dû faire mouche.
- Isa ! Dans la voiture ! beugla Edward en dégoupillant une grenade entre ses dents.
Il balança la grenade dans les airs. Elle atterrit à quelques mètres d'Envy qui la récupéra et la lança dans le trou béant du cercle de transmutation avant de courir dans leur direction. Edward rejoignit Isabelle d'un saut tandis qu'elle tirait une troisième balle sur l'homonculus qui esquiva en se jetant à terre sous forme de loup. En quelques bonds, il fut sur eux et plaqua l'homme contre le capot, ses griffes s'enfonçant dans son t-shirt pour lui écorcher le torse. Au même moment, Edward saisit son couteau de chasse aussi fermement que le lui permettaient ses mains mutilées et l'enfonça dans le flanc d'Envy qui recula dans un couinement. Il se retransformait déjà en homme, récupérant le poignard à la main, prêt à leur bondir dessus une seconde fois.
Isabelle tira une quatrième fois et la balle se ficha dans la clavicule de l'humain artificiel. Sans réfléchir, Edward se précipita sur lui, l'entoura à la ceinture et le plaqua contre le sol. Ils furent emportés dans son élan et ils roulèrent tous deux par terre dans un tourbillon de poussière anarchique, jouant des pieds et des mains pour se frapper et prendre le dessus sur l'autre. Finalement, Edward sentit la lame du couteau lui entailler la cuisse, meurtrissant son muscle et le clouant à terre dans un mélange de gestes confus où il parvint à récupérer l'arme blanche. Il se redressa aussi vite que possible, un peu bancal, et se tourna vers son ennemi qui s'était éloigné. Pire que ça, il lui avait tourné le dos pour se précipiter vers Isabelle qui tira une nouvelle fois.
Elle manqua son coup.
En trois secondes, Isabelle était à terre, son revolver entre les mains d'Envy et un rire sardonique s'envolait vers le ciel, glaçant le sang d'Edward. Il suspendit tous ses gestes, son couteau de chasse tremblant entre ses doigts, sa jambe saignant abondamment, les membres trésaillant d'épuisement et de peur. Il n'était qu'à dix mètres, mais il était incapable de bouger car Envy, les genoux dans le dos d'Isabelle, pointait le semi-automatique sur sa tempe.
- Lâche ton arme, ordonna Envy en souriant.
- Non ! s'indigna Isabelle. Te laisse pas fai-
Envy lui assena un coup à la tête et elle se tut, à demi assommée.
- Lâche ce couteau, répéta Envy.
- Ok, abdiqua Edward en desserrant l'arme blanche.
Le poignard tomba sur le sol dans un bruit mat tandis que le jeune homme levait des mains chevrotantes en l'air. Le sourire d'Envy grandit davantage.
- Tu as l'air de mieux coopérer lorsque la vie de ta petite amie est en jeu, remarqua-t-il.
- Ta gueule, maugréa Edward.
- Quelle impolitesse… Éloigne cette arme de toi.
Du menton, il désignait bien sûr le couteau à ses pieds. Edward hésita un instant, mais il n'avait pas vraiment le choix et il donna finalement un coup dans l'arme qui roula à quelques mètres de lui, mais toujours loin d'Envy.
- J'aime que tu m'obéisses.
Edward eut envie de répliquer, mais provoquer Envy pouvait engendrer une catastrophe de laquelle il ne pourrait pas revenir.
- Je fais ce que tu veux, mais relâche-là.
Maintenant qu'il ne pouvait plus bouger, son cerveau reprenait le pas sur son instinct. Plusieurs éléments s'offraient à lui : le semi-automatique qu'Envy pointait sur Isabelle était vidé de cinq balles, il avait donc, au mieux, une seule balle mortelle à jouer ; lui-même était blessé, si blessé qu'il ne pouvait plus tracer aucun cercle ni même tenir correctement une arme s'il pouvait en récupérer une ; si son état était inquiétant, celui d'Envy était également incertain et il était possible que le nombre de vie qu'il avait soit si fortement diminué que quelques coups supplémentaires suffiraient peut-être l'achever ; Gabin était dans la voiture juste à côté et ne s'était pas encore manifesté. Ce dernier point pouvait se révéler être autant un atout qu'un désavantage.
- À genoux, commanda Envy d'une voix doucereuse.
- Relâche-là avant, négocia Ed.
- Non ! se révolta Isabelle. Il va te tuer !
- Mais d'ailleurs, réfléchit Envy. Tu es de mèche avec lui… Qu'est-ce que tu sais ?
- Elle ne sait rien du tout !
Envy rit, puis saisit la jeune femme par les cheveux et la força à s'agenouiller pour faire face à Edward. Puis, il passa son bras sous son cou, la tenant toujours en joue.
- Si elle ne sait rien, elle ne m'est d'aucune utilité, fit remarquer Envy, faussement songeur.
- Si tu ne lui fais rien, je t'obéis, je fais ce que tu veux ! protesta Edward.
- A genoux.
Edward déglutit.
- Relâche-là d'abord…
- Tu crois vraiment être en position de négocier ?
- Il n'y a rien à négocier du tout ! cria Isabelle. Il a fait suffisamment de mal comme ça ! Il a tué Yves et Viviane ! Défiguré Adrien ! Eric ! Il fera pire que ça !
L'image de Hughes s'imposa à Edward. Il allait mourir si Envy restait en vie, et la vision qu'il avait de lui, à la maternité, avec son bébé dans les bras, lui rendait cette perspective encore plus insupportable qu'à l'accoutumée. Envy était faible, à ce moment-même. L'occasion de l'arrêter était trop bonne. Mais comment le faire sans compromettre l'existence d'Isabelle.
Envy dû voir son visage se durcir puisqu'il perdit un peu de son sourire.
- Je sais beaucoup de choses sur toi, Envy, commença lentement Edward. Et de toute ta vie, je suis le seul qui ai compris ce que tu ressentais. Tu me l'as dit, un jour.
- Qu'est-ce que tu me baratines ?
Edward déglutit.
- Laisse-là, et je te dirai tout. Elle ne t'intéresse pas. J'ai d'autres complices, mais elle ne sait rien. Ici et maintenant, je suis le seul à savoir ce que toi, les autres homonculi et Père êtes en train de planifier.
Edward prit une pause, jaugeant l'expression d'Envy avec attention. L'homonculus n'avait jamais été un très bon comédien et s'était toujours montré très transparent au niveau de ses émotions. Aujourd'hui, il ne dérogeait pas à la règle et avait perdu toute sa superbe.
- Je suis le seul qui soit une menace pour vous tous, et si tu lui tires dessus, tu n'auras plus la chance de me tuer. Dans ce flingue, il n'y a qu'une seule balle. Si tu l'utilises sur elle, je t'assure que je te tuerai : tu n'auras plus rien pour te défendre. Je n'ai jamais vraiment tué personne… Mais toi, je pourrais te massacrer des milliers de fois. Et tu as vu que j'en étais capable.
- Je suis immortel, se défendit Envy.
- Tu es immortel… A moins que l'on t'affaiblisse suffisamment. Je t'ai rarement vu plus faible qu'aujourd'hui, Envy. Il ne doit de rester que cinq ou six vies avant que tu ne sois contraint à reprendre ton apparence originelle : une petite larve verte, un parasite qui s'empare du corps des humains, de ceux que tu exècres tant, pour survivre. Nous sous-estimer comme tu le fais, alors que tu vies à partir de nous…
Le visage d'Envy se décomposait petit à petit et Edward se sentit suffisamment assuré pour se tenir plus droit, soutenu par sa jambe de fer, et pour abaisser les bras le long de son corps.
- Tu ne t'en souviens pas, mais je t'ai sauvé la vie, Envy. Peut-être que, si tu fais les bons choix, tu pourras un jour t'en souvenir. Ce n'est certes pas pour toi que je l'ai fait. Mais il se trouve que, désormais, j'ai un droit de mort sur toi.
- Eric, arrête, supplia Isabelle dont les larmes se remplissaient de larmes.
- Qui es-tu ? interrogea lentement Envy.
- Relâche-là.
L'homme et le monstre se fixèrent pendant un moment qui sembla durer des heures. Finalement, l'homonculus relâcha la blonde en la poussant contre le sol d'où elle s'extirpa bien vite, reculant le plus loin possible de celui qui avait attenté à son existence.
- A genoux, et les mains derrière la tête ! aboya Envy en visant Edward.
- Non ! s'exclama Isabelle.
- Isa, dit Edward. Monte dans la voiture.
- A genoux !
- Dans la voiture !
La jeune femme s'y dirigea à reculons en tremblant et Edward se laissa tomber à genoux sur le sol, épuisé d'avoir tenu aussi longtemps debout tandis que son sang continuait de quitter son corps, mais aussi soulagé d'avoir sorti son amie d'affaire. Il n'aurait pas supporté une mort de plus…
Lorsqu'il releva les yeux vers son ennemi, il vit sur son visage un sourire victorieux. Son arme était toujours braquée sur lui et il pensa un instant qu'il avait eu une belle vie, qu'il avait fait autant de bien qu'il l'eût pu malgré toutes ses erreurs, qu'il avait pu aimer des personnes formidables et cela lui convenait bien. Il était si fatigué qu'un sommeil éternel lui semblait être une bonne perspective, du moment qu'il savait les autres en sécurité.
Pourtant, son répit fut de courte durée puisque, lorsqu'Isabelle ouvrit la portière de la voiture, Envy se détourna d'Edward et braqua l'arme sur elle avec précision.
Il appuya aussitôt sur la détente. Il n'y eut aucun cri, seulement le coup de feu, et Isabelle tomba à la renverse dans un éclat de sang.
