Et voici, encore un mardi, le chapitre 37 ! Il va falloir que je change officiellement ma date de publication puisque le lundi semble me porter malheur... Enfin, à un jour près, ça ne fait pas une si grande différence ! En tout cas, je vous souhaite une très bonne lecture et espère vous retrouver dans les commentaires
La suite dans un mois, j'espère, mais ce n'est pas certain. J'écris beaucoup en ce moment, mais pas forcément pour cette histoire En effet j'organise des Jeux de Rôles Grandeur Nature et il se trouve que l'événement a lieu début mai donc je vais être un peu dans le jus jusque-là... bref ! Au pire des cas on se retrouve début juin !
Chapitre 37 – Hors-la-loi
Il aurait préféré partir seul.
Hughes le lui avait accordé, s'il pouvait seulement lui prouver qu'il en était capable. Il n'avait pas pu tenir le volant de la voiture entre ses mains mutilées et il avait dû se résigner : Hughes conduirait lorsqu'ils se seraient tous trouvé un déguisement convainquant.
- Je n'aurais jamais cru que tu étais blond, lui avoua Hughes tandis qu'il lui taillait sa longueur de cheveux brune encore teintée.
Il aurait préféré le lui cacher. Il se sentait mis à nu. Maes Hughes le reconnaitrait s'il le voyait enfant. C'était une très mauvaise idée.
- Je ne sais pas si Roy va apprécier ton côté barbu, s'amusa le père de famille en rigolant.
Le cœur d'Edward se serra à l'évocation de son compagnon. Au téléphone, il pouvait jouer la comédie. En réalité, Roy le verrait et saurait sans doute très vite qu'il n'allait pas bien.
Il aurait préféré ne pas le revoir si vite.
- Cela dit, je n'aurais jamais cru qu'il pourrait aimer un homme. Encore moins un homme aussi viril que toi. C'est possible que ça lui plaise, finalement. Je vais te la tailler correctement et tu seras beau comme un camion !
Il aurait préféré ne pas être là, avec cet homme en congés paternité qui avait mieux à faire que de s'occuper d'un incapable comme lui.
- Lève le menton. Voilà, comme ça. Parfait ! Je ne sais pas si Franz a pensé à ramener le fond de teint de sa femme. Il va falloir cacher l'hématome que tu as en plein milieu du visage. C'est bizarre qu'il reste aussi longtemps d'ailleurs… Mais bon, après tout, vu l'état dans lequel ils t'ont récupéré…
Edward ouvrit la bouche pour lui dire de se la fermer, d'aller se faire foutre et de le laisser tranquille. Il se ravisa au dernier moment, bien conscient qu'Hughes ne s'occupait pas de lui par gaieté de cœur et qu'il essayait simplement de faire la conversation.
- Ce qui m'étonne le plus, continua Hughes, ce sont les griffures sur ton torse. On dirait que tu t'es fait attaquer par une bête sauvage. Je sais que je t'ai déjà posé la question, mais tu ne veux pas me dire comment tu t'es fait ça ?
Conversation qui ne prenait pas.
Hughes soupira en se redressant, observant le jeune homme en face de lui, assis sur le tabouret au milieu de leur cuisine de fortune, le regard sombre, le dos courbé et désespérément muet. Son nez était encore un peu violet mais passait graduellement au vert, signe de guérison. Les bandages de son torse étaient immaculés, tout comme ceux de ses mains, bien que l'une soit estropiée. Son ventre s'était creusé, ses côtes étaient apparues. Franz rapportait tous les jours les petits plats de sa femme, mais Edmund semblait tout simplement incapable de s'alimenter. Et il refusait désormais les antidouleurs.
Maes Hughes récupéra une chaise, s'assit en face du jeune homme et saisit le peigne pour ramener ses cheveux en arrière avec douceur. Ils ne faisaient plus que quelques centimètres de longueur, à présent.
- Je vais te coiffer comme moi, indiqua Hughes avec un professionnalisme exagéré. Comme ça, je verrais si ça m'irait, si j'étais blond.
Edmund ne réagit pas.
Il aurait préféré disparaître.
Gabin entra dans la pièce et s'avança vers l'évier pour remplir une bouteille d'eau. Edward baissa les yeux, incapable de le regarder, de noter les détails qu'il portait sur lui ; cette perle verte à l'oreille, à la couleur de ses yeux, à la couleur des yeux d'Isabelle. Sa vision s'embua et il baissa la tête, incapable de contenir ses émotions ; incapable, aussi, de ne pas se sentir submergé par les possibilités qu'avait soulevé la dernière conversation qu'il avait eue avec le garçon.
C'était arrivé le lendemain de son premier vrai réveil. Il avait eu un choc lorsqu'il avait vu ce que le médecin lui avait fait. Il avait eu un choc de voir qu'il était encore vivant. Il avait pu parler à Roy, mais après leur conversation téléphonique, il était tout simplement retourné se coucher. Il s'était réveillé le lendemain. Gabin était à son chevet.
Ils étaient restés silencieux un long moment. Edward avait été frappé par les yeux de son jeune ami, rendus ternes par le chagrin. Les souvenirs l'avaient hanté toute la nuit. Le corps d'Isabelle s'effondrait en boucle dans sa tête.
- On l'a enterrée.
Edward avait repris pied avec la réalité.
- Dans la forêt, à côté. Y'a même pas de cercueil, et pas de tombe. J'ai écrit son nom sur un bout de bois.
Edward déglutit, incapable de réagir.
- Pendant ce temps-là, y'avait Franz qui t'opérait.
Edward ouvrit la bouche, puis la referma. Que pouvait-il bien dire, de toute manière ?
- Elle est partie pour te sauver, continua Gabin. Elle savait que tu allais te faire tuer, alors elle est venue pour toi. Elle est venue pour toi, elle t'a sauvé, et puis elle est morte. Et t'as pas voulu la ramener.
La vue d'Edward se troubla dans un vertige et sa voix chevrota :
- Je peux pas la ramener…
- Elle est morte à cause de toi et tu veux même pas essayer.
Une larme coula sur sa joue et il l'essuya d'un roulement d'épaule, honteux. Il n'avait pas le droit de pleurer, pas devant Gabin qui avait perdu sa sœur et qui lui avait sauvé la vie. Pas alors qu'il était responsable de tout ce qu'il s'était passé.
- C'était qui ce type ? interrogea Gabin.
Edward n'avait pas le cœur à inventer quelque chose. Il lui devait la vérité.
- Un homonculus. C'est un humain artificiel…
- Un humain artificiel ?
- Pour une vie, il faut en sacrifier une autre. Il a été créé à partir d'autres vies humaines. Avec ça, il est presque immortel.
- Comment tu sais ça ?
Edward prit une grande inspiration. L'air entra dans ses poumons par saccades. Et il lui expliqua tout ce qu'il savait. Il en avait besoin. Il fallait absolument que le gamin comprenne pourquoi sa sœur était morte et dans quels engrenages ils étaient désormais coincés. C'était une histoire de passé, de présent et de futur. Un esprit jeune est plus enclin à croire l'impossible.
- Elle m'a sauvé la vie. Mais j'aurais mille fois préféré me prendre cette balle à sa place.
Plus enclin, aussi, à en venir aux pires conclusions.
- Si tu fais une transmutation humaine, alors, tu vas mourir ?
- Probablement.
- Mais elle pourrait vivre ?
Un échange équivalent. Une vie contre une autre. Il n'avait pas eu cette perspective lorsqu'il avait tenté de ramener sa mère. Il voulait vivre avec elle. Pas sans elle. Pas sans lui. Ensemble.
- … Peut-être.
Le garçon l'avait regardé dans les yeux sans rien dire. Le vert de ses iris avait brûlé d'une volonté soudaine qui lui avait fait peur et contre laquelle il n'avait pas su réagir.
Il n'avait pas à préférer disparaître : il pouvait disparaître.
- Pas mal du tout ! s'exclama Hughes, sortant Edward de ses pensées. Tu en penses quoi ?
Maes lui plaça un miroir juste en face de lui et son pathétique reflet lui agressa la rétine. Eric Ford était loin, à présent, et un Edward Elric sans ambition lui faisait face. Il eut l'impression de voir le reflet de son enfance, la chaise roulante en moins, et l'armure d'Alphonse disparue pour laisser Gabin prendre sa place.
Il avait tout sacrifié pour Alphonse. Devait-il tout sacrifier pour Gabin ?
- Un peu de fond de teint et on pourra s'éclipser !
- Je dois faire quelque chose, avant de partir, le contredit-il avec une voix rocailleuse qui témoignait du nombre d'heures qu'il avait passé silencieux.
Maes Hughes mit un moment à réagir, mais un sourire fleurit doucement au coin de ses lèvres et ses yeux pétillèrent :
- Je suis heureux de voir que tu sais encore parler.
- Mm… Gabin ?
Le garçon, qui s'apprêtait à s'en aller, se stoppa net et se tourna vers lui dans une posture un peu défiante.
- Est-ce que tu peux m'emmener voir ta sœur ?
Sa question laissa place à un silence lourd. Hughes respecta cet instant, puis Gabin hocha la tête. Sans attendre, Edward se redressa, et son corps tout entier lui rappela qu'il était blessé. Il laissa échapper un halètement involontaire et Maes se releva pour le rattraper. Il eut seulement droit à un regard mécontent de la part du blond qui se dégagea, le souffle court, pour boitiller jusqu'au garçon. Celui-ci sembla prendre conscience de sa douleur tandis qu'elle battait dans ses tempes et sa mâchoire crispée.
- C'est un peu loin, signala Gabin pour le dissuader.
- Peu importe. Prend de quoi noter.
Edward passa la porte et Hughes voulut le suivre, alarmé par son comportement soudain actif. Depuis les cinq jours qu'ils étaient planqués là tous ensemble, c'était la première fois qu'il semblait prendre la moindre décision et qu'il le voyait parler autant – en-dehors des moments où il discutait joyeusement avec Roy au téléphone, bien sûr. Pourtant, l'homme se stoppa au milieu du couloir en voyant que le militaire le suivait et lui lança un nouveau regard noir :
- Je veux me recueillir. J'aimerais être un peu seul, si ça ne vous dérange pas. Avec Gabin. Bien sûr. C'est sa sœur.
- Je ne sais pas si tu peux sortir dans cet état, le contredit Maes.
Edward retint ses insultes. À la place, il lui opposa des arguments rationnels :
- Nous partons dans quelques heures dans le nord. Isabelle est morte pour me sauver la vie. Je veux voir sa tombe avant de partir. Faire quelque chose de bien.
- Si tu fais de l'alchimie là-bas et que tu laisses une trace visible de l'emplacement où elle a été enterrée, tu risques de compromettre Franz et sa famille.
Edward pinça les lèvres et serra le poing de sa main gauche. Une vague de douleur lui remonta dans tout le bras et ses dents crissèrent.
- Occupez-vous d'Adrien. Lui aussi, il faut le rendre méconnaissable. Je serai de retour pour qu'on parte. Gabin, tu viens avec moi.
Il laissa Hughes dans le couloir et sortit de la bâtisse, utilisant son coude pour ouvrir la porte d'entrée. Gabin le suivait de près et Hughes, inquiet, se contenta pourtant de les observer s'éloigner depuis le palier.
- Tu as pris de quoi noter ? demanda Edward, essoufflé, lorsqu'ils furent suffisamment loin pour ne pas être entendus.
- Oui…
- Quand on sera dans le nord, il faudra que tu trouves ces ingrédients, OK ? Je doute de pouvoir me montrer facilement, et je ne pourrais pas tellement bouger, non plus. T'es prêt ? …Vingt kilos de carbone. Quatre litres d'ammoniaque. Un kilo cinq d'hydroxyde de carbone. Huit cents grammes de phosphore. Deux cent cinquante grammes de chlorure de sodium. Cent gramme de potassium…
- Attends ! Tu vas trop vite. Et c'est quoi tout ça ? Je connais pas… Où je vais trouver ?
- Tu trouveras, c'est facile. Ce sont tous les ingrédients qui constituent un corps humain de base.
Gabin ne sut quoi répliquer tandis qu'Edward reprenait la liste des ingrédients avec une détermination étrange. Lorsqu'il eut terminé, il continua :
- Je ne suis plus alchimiste. Je pense avoir trouvé un cercle élixirologique équivalent à celui que j'ai utilisé la première fois, mais je ne suis pas certain que ça marchera.
- Tu vas ramener Isabelle ?
- Je ne te promets rien. Mais je vais essayer.
- Mais comment on va faire, dans le nord, si elle est enterrée ici ?
- Je n'ai besoin que d'un morceau. Des cheveux. Du sang. N'importe quoi. Je la reconstituerai entièrement lorsque nous serons sur place.
Ils marchèrent encore un peu, puis arrivèrent à l'endroit où la jeune femme avait visiblement été enterrée. L'humus avait été retourné et une petite plaque de bois rappelait maladroitement son nom.
Isabelle Alstatt. 4 novembre 1889 - 17 septembre 1911.
Edward se laissa tomber sur le sol et sa cuisse meurtrie marqua son pantalon d'une nouvelle trace de sang. Après tout, il n'était pas censé bouger.
- Attends… ! interrompit Gabin. Tu… Tu vas la déterrer ?
- Pas le choix, si tu veux qu'on fasse une transmutation humaine.
Le gamin resta sans voix tandis qu'Edward, haletant, prenait dans sa main mutilée et tremblante un bâton qu'il trouva là. Avec, il se mit à tracer avec lenteur dans le sol labouré. Des gouttes de sueur perlaient sur son front tandis que, concentré, il tâchait de marquer la terre de cercles et de formes géométriques sans chanceler.
- Non, je veux pas que tu fasses ça ! l'arrêta Gabin.
- Si tu veux qu'elle revienne, je n'ai pas le choix. A moins que vous ayez conservé la voiture : il doit y avoir son sang quelque part là-dedans.
Le garçon le fixait d'un air de détresse, parfaitement incertain de ce qu'il devait faire.
- Mais… Et toi ? répondit-il d'une voix vacillante.
- Quoi, moi ?
- Tu m'as dit que les transmutations humaines étaient impossibles…
- Elles le sont.
- Alors, pourquoi… ?
- J'ai une théorie. Ça pourrait fonctionner. J'aurais dû mourir, ce jour-là. Pas elle. Compte tenu de cette information, nous pourrions peut-être échanger nos places.
- Vos places… ?
- Ce n'est qu'une hypothèse.
- Mais…
- Je n'ai pas d'autres solutions, Gabin. Je ne sais pas comment faire. Je ne peux pas… Je ne peux pas vivre comme ça. Pas encore. Je…
Les yeux d'Edward se remplirent de larmes et son bâton glissa de ses doigts. Son cœur battait fort contre sa poitrine et il sentit son esprit basculer dans le désespoir. Il aspira une grande goulée d'air qui lui vrilla la cage thoracique et lui fit échapper un hoquet de douleur. Le garçon, effrayé, le vit se recroqueviller contre lui-même dans une quinte de toux difficile, suivie ensuite par des gémissements convulsifs et des sanglots imprévus qui submergèrent son visage anéanti.
Gabin, démuni, sentit l'émotion remonter dans sa gorge. Sans réfléchir une seconde de plus, il s'approcha d'Edward et le prit dans ses bras, plaquant son visage contre sa poitrine. Il sentit les mains de l'adulte s'accrocher à son dos, s'agripper à son t-shirt tandis que tout son corps tressautait au rythme des plaintes presque animales qu'il émettait avec une difficulté évidente. Jamais, de toute sa vie, il n'avait vu quelqu'un pleurer de la sorte. Ce n'était pas seulement du chagrin, mais un abattement profond, généralisé, que la douleur n'aidait sans doute pas. Il avait entendu le chirurgien, Franz, réprimander Edward à plusieurs reprises parce qu'il refusait de prendre ses médicaments. Comme si c'était normal de souffrir. Comme si c'était normal de mourir pour ramener quelqu'un d'autre à sa place.
- Je suis désolé, geignit soudain Edward d'une voix suraiguë, à demi-étouffée contre le torse du garçon. Je suis tellement désolé… Tout est de ma faute, c'est vrai. Je… Je ne voulais pas… Je n'ai jamais pensé que…
Gabin resserra ses bras autour de lui tandis que ses yeux s'embuaient.
- Eric… Pardon… Pardon, je veux pas que tu t'en ailles, toi aussi…
Ils restèrent là, dans les bras l'un de l'autre, à tenter de supporter le deuil et les erreurs passées. Lorsqu'Edward cessa de trembler, les pensées de Gabin se remirent en marche. Il aimait beaucoup Eric. Il faisait partie de la famille, désormais, et lui demander d'échanger sa place avec Isabelle avait été puéril. C'était sur le coup de la colère. Sur le coup du désespoir, aussi. Il ne s'était pas rendu compte. Maintenant qu'il voyait Eric dans cet état, il voyait bien que tout ce drame n'avait rien de volontaire et qu'il en supportait aussi les frais : il était blessé, on l'avait amputé, et le remords le rongeait tellement qu'il était prêt à sacrifier sa vie pour ses caprices.
- Excuse-moi, Eric… Je… Je veux qu'on reste ensemble.
Il sentit Eric hocher la tête contre lui. Gabin avait l'impression qu'il avait un enfant dans les bras, et il se sentit soudain très adulte.
- Aller, viens… On a de la route.
Edward hocha de nouveau la tête, se sépara lentement de lui, puis essuya son visage défait. Il laissa sur sa peau des traces rougeâtres : les bandages de ses mains avaient troqué leur blancheur aseptisée contre le carmin de son sang. Il jura à mi-voix, puis se redressa, un peu chancelant. Maintenant qu'il avait de nouveau plus ou moins la tête sur les épaules, il se sentait parfaitement honteux de la situation. Entrainer un gamin dans une histoire de transmutation humaine qu'il savait impossible simplement pour en finir avec sa culpabilité… C'était parfaitement méprisable.
- Désolé, Gabin. Tu me voies pas sous mon meilleur jour.
- Il faut qu'on retourne te soigner.
- Oui…
Edward tourna la tête vers la sépulture de fortune ou gisait Isabelle. Il soupira, impuissant face à la médiocrité de cet hommage qu'il aurait voulu plus grand.
- On reviendra, promit-il. Quand les choses se seront calmées, et on lui fera une tombe digne de ce nom.
- Ça me va.
Ils restèrent debout et silencieux un instant, leur attention rivée sur ce qui restait d'une amie et d'une sœur. Gabin aurait voulu dire quelque chose pour remonter le moral d'Eric qui, le regard terne et fatigué, transpirait la dépression. Comment pouvait-il en vouloir à un coupable pareil ? Le garçon leva la main et serra l'avant-bras de l'adulte avec douceur pour l'inciter à bouger son corps voûté par le poids de ses crimes :
- Aller, viens…
Ils retournèrent dans le cabinet chirurgical de Franz. Maes Hughes n'avait pas bougé de l'entrée et les attendait visiblement. La nuit était en train de tomber, et la forêt se faisait sombre. Sans un mot, le père de famille leur ouvrit la porte et les fit retourner dans la cuisine où il s'occupa de changer les bandages d'Edward. Ce dernier avait les yeux baissés et se laissait faire, soulagé qu'on ne lui pose pas de questions ni qu'on lui reproche de ne pas avoir fait attention à ses pansements. Il voulut refuser les médicaments qu'Hughes lui tendit ensuite, mais Gabin finit par le convaincre :
- Ma sœur est peut-être plus là, mais nous, on est encore là. Je refuse qu'elle soit partie pour rien, alors faut prendre soin de toi, Eric.
Il avala les antidouleurs et les antiinflammatoires. Franz arriva peu de temps après, et ils mangèrent tous ensemble, bien qu'avec peu d'appétit. Ensuite, Maes Hughes se chargea de maquiller Adrien au mieux. Si le chirurgien avait amélioré son apparence en remplaçant son œil crevé par un œil de verre, ses brûlures était encore visibles partout autour, sur sa tempe et sur son front, sur un sourcil inexistant, sur sa joue et sa pommette. Le résultat n'était pas parfait, mais assis à l'arrière de la voiture, il ne devrait pas attirer l'attention. Quant à Edward, son bleu disparut rapidement sous une couche de fond de teint. Gabin, bien que mécontent, cacha ses cheveux blonds sous une perruque longue et enfila une robe qui appartenait à la fille de Franz, à peu près âgée du même âge que lui.
Ainsi déguisé, les quatre compères se retrouvèrent dans la voiture du Lieutenant Hawkeye dont la plaque d'immatriculation avait temporairement été changée. Hughes distribua des passeports à chacun d'eux :
- Je récapitule. Edmund et Gabin : vous êtes deux frère et sœur répondant aux noms de Dean et Hannah Thompson. Vous voyagez avec vos amis Geralt Smith et moi-même, Dirk Roughly et nous allons dans le nord, à Yodgy, rejoindre de la famille qui vous hébergera sur place. Vous migrez ailleurs, puisque ce n'est plus possible pour vous rester vivre au sud compte tenue de la situation. J'ai un document officiel de l'Etat qui atteste que ce que nous dirons est vrai. Nous ne devrions pas avoir de souci. Des questions ?
- On a combien de temps de route ? interrogea Gabin.
- Environ dix-huit heures de voiture jusqu'à Semoy. Ensuite il y aura encore un peu de route jusqu'à notre logement.
- Maes, vous devriez vraiment prendre le train à la première station venue, suggéra Edward. Ça vous compromettrait trop si on nous arrêtait.
- Et qui conduira ? cassa Hughes en se retournant pour faire face à Adrien et Edmund, tous deux assis à l'arrière. Une gamine qui conduit, ça ne se fait pas, et vous êtes tous les deux handicapés. Vous ne pouvez pas conduire, donc, je serai votre chauffeur.
- Vous pouvez pas nous déposer dans une petite ville de l'ouest et faire le joint avec Roy et Riza ?
- Niveau timing, ça ne passe pas. Et en plus, ça vous mènerait tout droit chez Madeleine, et on a dit qu'on devait au maximum limiter les contacts jusqu'à destination. On a convenu comme ça, donc on fait comme ça.
Edward voulut protester, mais il avait raison. Il se laissa donc aller au fond de son siège, silencieux, et laissa Hughes démarrer le moteur. Les phares éclairèrent Franz, debout sur le palier de son cabinet médical. Il leva le bras pour les saluer, et ils partirent.
La route fut longue et inconfortable. L'effet des antidouleurs s'estompa rapidement, mais Edward se garda bien de le dire à quiconque. De toute manière, il était épuisé, et le fait de parler lui semblait être une épreuve insurmontable. Adrien, assis à côté de lui, lui faisait parfois avaler de l'eau et des médicaments lorsqu'il entendait sa respiration s'accélérer pour lutter contre la douleur ; lorsque son œil attentif détectait la moindre sueur ; lorsque sa main glissait sur son front pour s'assurer que sa température était stable. Franz avait été clair : avec l'amputation, les plaies, les côtes fêlées, il n'était pas encore sorti d'affaire, et un si long voyage était absolument contre-indiqué. Alors il fallait faire attention.
Edward enchainait les siestes plus ou moins longues, peuplées de visages et de cauchemars. Entre deux délires, il vit la nuit laisser place au jour, puis de nouveau à la nuit. On les arrêta une fois, mais Hughes les sortit de la situation rapidement. Celui-ci faisait parfois des pauses et sortait dormir dans un sac de couchage à l'extérieur. Plus ils allaient au nord, plus il faisait froid, et il se contenta de s'assoupir en position assise lors de leurs dernières haltes.
Finalement, après Semoy, Hughes s'engagea sur un chemin de montagne qui les éloigna de toute vie humaine. La température des hauteurs les surpris et, malgré les couvertures qui le recouvraient depuis le début du voyage, Edward se mit à grelotter au milieu des sommets escarpés. Enfin, la voiture déboucha dans une sorte de pâturage au bout duquel s'élevait un chalet de montagne à la cheminée fumante et flanqué d'une grange au toit à demi-effondré. Hughes s'arrêta juste devant, à côté d'une autre voiture, et sortit, tout de suite suivit d'un Gabin au féminin tout à faire ravi de pouvoir se dégourdir les jambes. Adrien et Edward suivirent rapidement, s'enroulant dans les couvertures de laine qu'ils avaient apporté avec eux. Adrien, avec sa canne, boitait. Edward, rompu, chancelait.
- Aller, mon pote, sourit Maes en venant le soutenir malgré la fatigue que trahissaient ses cernes. On est arrivé, tu vas pouvoir te poser pour de vrai, maintenant.
- Ça va, bredouilla Edward. T'inquiète.
Une femme, maquillée et enveloppée d'un manteau de fourrure tapageur, sortit du chalet. Elle était jolie malgré son expression contrariée.
- Vous êtes en retard, fit-elle remarquer.
- On avait pas mal de bornes, s'excusa Hughes.
- Allez, venez vous mettre au chaud.
Ils ne se firent pas prier et entrèrent à sa suite. Ils déboulèrent directement dans une grande pièce rustique dont les seuls meubles étaient un poêle bien chaud, un buffet ancien qui laissait apparaitre de la vieille vaisselle derrière ses vitres cassées, et une grande table encadrée de bancs. Le tout sentait la poussière, et les vitres crasseuses ne laissaient apparaître qu'une lumière grisâtre. Edward s'effondra sur un banc, le souffle court et, malgré la chaleur environnante, il se remit à trembler.
- On a un blessé, informa immédiatement Hughes en voyant l'état incertain d'Edward. Est-ce qu'on pourrait l'emmener dans une chambre.
- C'est à l'étage, acquiesça la jeune femme. Je ne sais pas si la chaleur a vraiment pu monter là-haut.
- On va laisser les portes ouvertes.
Elle leur fit signe de la suivre et Edward dut se relever avec une difficulté qu'il ne put dissimuler. La jeune femme ouvrit une porte qui menait dans un salon de taille modeste dont le mobilier couvert de velours vert témoignait d'un goût d'une autre époque. Sur le côté, un escalier montait à l'étage pourvu d'un seul et unique grand dortoir. Il faisait froid, et Edward s'effondra sur le matelas le plus proche de l'escalier. On lui apporta des couvertures, des édredons. On changea ses pansements et il avala de l'eau avec son traitement.
- Il est dans un sale état, votre camarade, constata la jeune femme en redescendant avec les deux hommes et Gabin.
- Il va se reposer, et ça ira, se rassura Hughes.
- J'espère pour vous. Bon. Je suis pas payée pour faire le thé, annonça la jeune femme en changeant de sujet avec désinvolture. Mais si quelqu'un va me chercher de l'eau au puit, je vous en fait un.
Gabin se dévoua.
- Je m'appelle Ruth, au fait, se présenta-t-elle. Vous savez quand Roy est censé arriver ?
- Il devrait être là dans la matinée de demain, répondit Maes.
- Pff… Ça me faisait plaisir de revoir la tête de ce gamin, mais j'aurais préféré éviter de dormir une nuit ici. M'enfin : j'ai une liste d'instruction pour vous. Tout est par écrit dans le dossier qui se trouve sur la table basse du salon. Mais en gros : il n'y a pas d'eau courante, ni d'électricité ici. Pas de communication non plus, bien sûr. Pour l'eau, il y a un puit juste derrière la maison. Le chauffage, c'est le poêle : il reste quelques bûches dans la partie non effondrée de la grange, mais après faudra aller couper du bois vous-même. Pour la nourriture, vous pouvez descendre à un petit village qui se trouve à vingt bornes d'ici. Il s'appelle Skiela. Sinon, il y a des fusils : vous pouvez chasser, cueillir ce que vous voulez… De toute manière personne viendra vous emmerder ici. J'ai apporté avec moi dix kilos de farine, aussi : ça pourra vous être utile. Pour ce qui est du paiement : ce sera en nature. Madame Christmas m'a dit que vous aviez un alchimiste, donc ce sera facile, pour vous, de tout retaper, mais ça fait partie du deal. Ensuite, nous sommes à la frontière de Drachma : y'en a qui passeront illégalement la frontière. On vous préviendra lorsque ce sera le cas, dans une boite aux lettres à Skiela. Vérifiez une fois toutes les semaines, ce sera suffisant. Vous les accueillez et vous suivez les instructions des lettres. Parfois, ce sera des marchandises, donc ce sera à vous de finir de les acheminer – la plupart du temps jusqu'à Semoy. Je suis venue avec un véhicule. Je repars avec Roy, et donc je vous le laisse pour que vous puissiez faire tout ça.
Elle jeta un trousseau de clé sur la table et s'avança vers le buffet pour en sortir une théière en fonte. Gabin revint à ce moment-là avec un sceau en fer rempli d'eau et Ruth mit de l'eau à chauffer sur le poêle. Adrien déglutit, relativement inquiet :
- Attendez… On va faire des choses illégales ?
- Vous êtes déjà des hors-la-loi, non ? Qu'est-ce que ça peut vous faire ?
Adrien voulut répliquer, mais il ferma finalement la bouche. Trop de choses s'étaient produites en trop peu de temps, et il n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait faire d'autre, de toute façon. Il connaissait son ennemi, et il était invincible. Il avait perdu ses parents et sa sœur de cœur. Ce chalet de montagne, perdu au milieu de nulle part, dans une paix qui s'accordait à son calme naturel, était peut-être le salut de ceux qui restaient. Il avait hâte de retrouver Valentin, Violette et Margaux. Il se contenta donc de hausser les épaules et s'assit sur un banc, laissant son œil valide s'accommoder de son nouveau chez-lui.
-o-o-o-
Il s'était mis à pleuvoir juste avant le lever du soleil, et les nuages étaient si sombres que la lumière matinale les transperçait à peine, ne laissant apparaitre qu'un paysage voilé entre torrent et brouillard. Tout était monochrome, froid, déprimant. Et ça n'avait rien pour réconforter Roy Mustang qui, crispé au volant de la voiture de son meilleur ami, peinait à se sentir à l'aise. Riza Hawkeye, à côté de lui, dormait les bras croisés, la tête posée contre la vitre embuée. Il n'était pas sûr, à proprement dit, qu'elle dormait véritablement. Mais il lui semblait au moins que le silence pesant qui s'était installé entre eux depuis qu'il lui avait dit la vérité sur Edward s'était estompé. L'épisode de l'examen des alchimistes d'Etat n'avait rien fait pour arranger ses révélations. Il avait été trop impressionné. De l'alchimie sans cercle. À douze ans. Celui qui deviendrait son homme. Il avait été fier, admiratif. Amoureux. Il s'était montré excessivement enthousiaste ; puis avait croisé le regard revêche du lieutenant : c'était l'effet d'une douche froide dès les premières minutes de trajet, et il s'était tu.
Après, il avait récupéré les enfants chez Madeleine. Il ne savait pas que c'était à lui de le faire, mais il avait dû leur annoncer que leurs parents étaient morts, tout comme Isabelle qui était un peu comme leur sœur. Il l'avait fait d'une manière professionnelle. Comme s'il avait dû le faire dans le cadre de ses fonctions. Mais ils n'étaient que des enfants, et les deux jumelles de neuf ans s'étaient effondrées. Valentin lui avait jeté un regard noir ; puis posé quelques questions basiques. Après quoi, ça avait été le silence dans la voiture. Pour un trajet de quinze heures, il avait connu mieux. Pour autant, il n'était pas fatigué : il était trop excité à l'idée de revoir Edward ; inquiet, aussi, parce qu'il ne savait pas dans quel état il allait le trouver ; et puis il lui avait terriblement manqué.
Il jeta un œil au rétroviseur. Il se heurta à des yeux rougis et coléreux. Il esquiva au plus vite, espérant qu'on n'avait pas vu qu'il avait vu.
- Eric, fit la voix de Valentin en ruinant les prières de Roy par la même occasion. Il sera là ?
Roy fut tenté de ne pas répondre. Mais ça ne se faisait pas, et l'adolescent était en deuil.
- Oui.
- Il a survécu.
- En effet.
- Quel connard.
Roy crispa un peu plus ses mains sur le volant et fronça les sourcils. Inutile de répondre à ça. A côté de lui, Hawkeye remua.
- C'est votre pote, non ? renchérit Valentin d'une voix tranchante.
- Ouais, c'est mon « pote », répondit Roy entre ses dents.
- Alors, vous êtes de mèche avec lui ?
- Je ne suis pas « de mèche » : on a juste essayé d'arranger les choses.
- Eh ben, c'est réussi.
Je déteste les gosses.
- Il vous a embobiné, continua l'adolescent au bout de quelques minutes. Il a embobiné tout le monde. Même moi. Il paraissait cool, comme ça. Et puis Isabelle et lui, c'était sûr qu'ils allaient finir ensemble.
Les entrailles de Roy se tordirent violemment.
- Il l'a séduite, alors elle l'a cru pour l'incendie. Pareil quand il a dit qu'il voulait sauver nos parents, Fosset, et blablabla. Il vous a eu, vous aussi, j'suis sûr. Mais moi je sais que c'était que des bobards. Ça m'étonne même pas que ce soit un espion d'Aerugo : il a une sale tête comme eux. Je vois même pas pourquoi on se cache et tout ça. Heureusement pour vous que je savais pas pour mes parents, parce que ça ferait longtemps que je serai allé au QG d'Oysixayxe pour le dénoncer. Et puis vous, qui faites partie de l'armée… Roy Mustang. Vous me donnez envie de gerber.
Roy eut un vertige. Il était de l'armée, et il s'appelait Roy Mustang. C'était largement suffisant pour être retrouvé par le gouvernement et pour qu'on le fasse tomber. Une multitude de pensées se bousculèrent dans son esprit : il avait été stupide de donner un autre nom à Edward sans s'en donner un à lui-même ; si l'adolescent parlait, s'en était fini de lui, d'Edward, d'Amestris ; est-ce qu'il allait se tenir tranquille, dans le refuge de Chris ? ; d'après Edward, Valentin n'avait jamais été un ennemi dans le futur ; il avait envie de le frapper.
Il ouvrit la bouche, prêt à l'intimider, mais la voix de Riza, étrangement douce, s'éleva avant la sienne :
- Eric… Je ne l'aime pas non plus.
Dans le rétroviseur, les yeux de Valentin brillèrent. Il avait un allié avec lui.
- Pourquoi vous ne le dénoncez pas, alors ?
- Parce qu'il a beau être stupide, ce n'est pas un mauvais bougre.
- Tss…
- La première fois que je l'ai vu, il était dans un lit d'hôpital. Nous l'avions sauvé, avec Roy. Il ne prépare rien, fonce dans le tas tête baissée. Il avait découvert l'identité d'un tueur en série et avait voulu l'arrêter. Au final, il s'est fait kidnapper, et il a bien failli y passer.
- … hein ?
- Il se met en danger pour les autres, expliqua Riza. Peu importe ce qu'il lui arrive à lui. Seulement voilà : il oublie parfois qu'il a des amis et ce sont eux qui en font les frais.
- Alors, vous dites que vous l'aimez pas, et vous le défendez ? cracha Valentin.
- On finit tous par le détester un jour ou l'autre, intervint Roy. Il est ingérable, fatiguant, tête brûlée, et en plus il est caractériel. Mais ce n'est pas une raison pour vouloir le dénoncer et le condamner à une mort certaine. Avoir une mort sur la conscience, tu sais, ce n'est vraiment pas quelque chose d'agréable.
- Vous avez déjà tué quelqu'un ?
- Oui. Beaucoup trop pour que je puisse compter.
Valentin se tut. Ils dépassèrent le panneau de Semoy.
- Ca fait quoi de tuer quelqu'un ? interrogea Valentin.
- Des cauchemars.
- Et des envies de faire autrement, ajouta Riza, et Roy sentit son regard sur lui. D'en avoir la volonté et l'espoir.
Ils se turent, puis Riza ajouta :
- Prochaine à droite.
- Je vois rien, avec ce temps.
- Il serait temps de vous acheter des lunettes. Vous vieillissez, Colonel.
Roy lui jeta un coup d'œil surpris et s'étonna davantage de lui voir un sourire en coin.
- Je n'ai que vingt-six ans !
- C'est bien ce que je dis…
Roy ne sut quoi répliquer, surpris par l'humour habituellement inexistant de sa subordonnée ; désireux, aussi, de conserver l'atmosphère plus légère qui s'était soudainement installée dans l'habitacle. De plus, leur arrivée était imminente et il redoutait un peu que les choses ne se passent pas bien.
Il s'engagea dans un chemin escarpé et le véhicule se mit à grimper dans les hauteurs. Valentin se mit à poser d'autres questions, avec moins de colère, cette fois : sur l'armée, sur la mort, sur Éric. Roy répondait : l'armée avait ses ambiguïtés ; il avait été obligé de tuer à Ishbal ; Eric avait fait partie de l'armée, oui, mais l'avait quitté car elle allait contre ses idéaux et il refusait d'abattre qui que ce soit. La vie était trop précieuse. Riza se taisait, consciente de la patience de Roy et de son désir d'apaiser l'adolescent avant leur arrivée. Ils dépassèrent une barrière de nuage et le soleil reparut dans un paysage où la verdure entourait la roche, entre conifères et pâturages. Ils dépassèrent un petit village et, trente minutes plus tard, se garèrent devant un chalet, à côté de deux autres véhicules. Les deux filles sortirent timidement, un peu inquiètes de ce nouveau paysage, mais suivies par leur frère qui avait bien l'intention de ne pas les lâcher d'une semelle. Les deux adultes fermèrent les portières et inspectèrent les autres voitures.
- C'est bien ma voiture, affirma Riza.
À ce moment, la porte d'entrée s'ouvrit sur un Hughes exubérant qui s'avança tout sourire vers son meilleur ami pour lui faire une accolade :
- Salut ma poule ! Riza ! Vous avez fait bonne route ?
- Ça va. Un peu fatigués. Vous êtes arrivés sans encombre ?
- Pas de problème. On est arrivé en fin d'après-midi hier.
- Super.
- Et qui vois-je ?! Vous devez être Violette et Margaux ! s'exclama Maes avec bonne humeur pour s'accroupir à la hauteur des fillettes. Votre frère m'a beaucoup parlé de vous ! Enfin, beaucoup… Il ne parle pas énormément, c'est vrai, mais j'avais hâte de vous rencontrer. Roy conduisait pas trop mal ?
Les deux gamines le fixèrent avec surprise, sans tellement savoir quoi dire face à cet inconnu amical, alors Valentin prit le relai :
- C'est vous qui avez ramené Adrien et Gabin ici ?
- Oui, c'est moi.
- Merci.
Hughes lui sourit et frappa dans ses mains avec humeur tout en se relevant :
- Bon ! Entrez vous mettre au chaud ! Il y a Adrien à l'intérieur, vous pouvez y aller. Roy, je peux te parler une seconde ?
Riza hocha la tête d'un air entendu, puis encouragea les enfants à la suivre pour entrer dans la maisonnette. Roy, lui, resta là, soudain très inquiet de ce que son ami avait à lui raconter :
- Ed est ici ? questionna-t-il aussitôt.
- Oui, j'ai ramené tout le monde, ne t'en fais pas pour ça.
- Il va bien ?
- Ça, c'est un autre point. Pour être tout à fait honnête, et je voulais t'en parler avant que tu ailles le voir : l'homme qui tu as eu au téléphone ces derniers jours n'est qu'une façade.
- Je m'en doutais un peu, oui.
- Non, tu ne t'en doutais pas. Il ne mange pas, il ne parle pas, et il prend ses médicaments seulement si on le force.
- Ses médicaments… ?
- Antidouleurs – et vue l'état dans lequel il est, il ne faut pas être un génie pour savoir qu'il en a besoin – et même le reste, pour éviter une nouvelle infection. Avec le voyage de presque quarante-huit heures qu'on a fait, il a eu de la fièvre cette nuit. Ça s'est de nouveau stabilisé, mais, honnêtement, s'il ne prend pas soin de lui, je ne sais pas ce qu'il va se passer. Il n'y a plus de médecin, ici.
Hughes laissa à Roy quelques secondes pour digérer ces informations avant de rajouter avec une voix un peu plus rassurante et plus douce :
- Il est fort, et il s'en sortira. Mais il a besoin de toi.
Roy déglutit et hocha la tête. Hughes lui sourit et passa alors un bras autour de ses épaules pour se diriger vers le bâtiment :
- Aller ! Fais pas cette tête ! Tu devrais te réjouir : le pire est passé, et maintenant, tu vas rejoindre ta dulcinée et continuer à vivre ton idylle !
- Ma dulcinée ? Tu te fourvoies un peu sur la nature de notre relation, là…
- C'est vrai. C'est plutôt toi qu'attends son retour pendant des mois et qui lui fait la popote quand il rentre.
Il voulut répliquer mais Hughes ouvrit la porte et l'effervescence qui se trouvait à l'intérieur lui cloua le clapet. Les enfants parlaient tous en même temps, les deux filles pleurant dans les bras de leur grand frère au visage brûlé, et Gabin qui hurlait par-dessus tout ça pour raconter tout ce qu'il s'était passé. Les deux hommes entrèrent et Roy balaya la salle du regard à la recherche de son compagnon. À la place, Ruth se posta juste devant lui et lui fit la bise sans qu'il n'ait le temps de réagir :
- Mon p'tit Roy ! Mais c'est que tu as bien grandi ! Par contre tu as toujours la même bouille ! remarqua-t-elle en lui pinçant la joue.
- Ruth ! Lâche-moi, enfin ! Je ne suis plus un gamin. Et tu n'as que deux ans de plus que moi.
- À d'autres ! Bon, je ne veux pas rester une minute de plus dans ce taudis, se plaignit-elle. Tu me ramènes à Central ?
- Oui, oui, comme convenu. Mais laisse-moi au moins arriver et me poser trois secondes : on a roulé quinze heures, j'ai le droit à deux minutes de repos ! Vous êtes prêts pour le départ ?
- Je le suis, oui.
- Et Ed ?
- Ed… ? Il doit venir avec nous ?
- Oui.
- Euh… fit Ruth d'un air clairement dubitatif.
- Comment ça : Eric s'en va ?! interrompit aussitôt Gabin en s'interposant au milieu des adultes.
- Oui, c'est convenu comme ça, soupira Roy qui n'avait vraiment pas envie d'avoir une discussion avec eux.
- Il m'a promis qu'on resterait ensemble ! protesta le petit blond.
- Et en-dehors de ça, il ne peut clairement pas voyager, fit la femme avec désinvolture. Non seulement c'est l'ennemi public n1, mais en plus c'est un cadavre ambulant.
Le cœur de Roy manqua un battement et l'angoisse se plaqua sur son visage. Cela dut se voir puisque la nonchalance de Ruth se mua en perplexité et Hughes le prit presque aussitôt par les épaules :
- Façon de dire : il a juste besoin de se reposer.
- Où est-il ? parvint à articuler Roy, la gorge sèche.
- À l'étage : je te montre.
Roy emboita le pas de son meilleur ami sans se faire prier, soudain très alarmé. Il se rendait bien compte que toute la situation était compliquée, mais de loin, il n'avait pas réussi à s'imaginer qu'Edward pouvait être aussi mal en point. De loin, il s'était persuadé qu'il s'en sortirait. De loin, il ne pouvait rien faire. Alors à quoi bon se faire un sang d'encre ? Mais maintenant qu'il montait les escaliers, il avait l'impression que ses entrailles s'étaient transformées en plomb et que sa poitrine allait s'ouvrir en deux. À l'étage, il lui sembla un instant regarder la scène du dessus et se voir lui-même se stopper sur le pas de la porte que Maes venait de lui ouvrir.
À l'intérieur, dans un lit, un homme assis sur un matelas à même le sol. Roy ne le reconnut pas tout de suite. D'abord parce qu'il était blond, barbu, et maigre. Mais surtout parce que son sourire n'avait rien de vrai. Son dos était voûté, des cernes profonds creusaient ses pommettes et ses yeux étaient fatigués, éprouvés, ternes. Les couvertures laissaient sortir quelques parcelles de son corps, et la plupart d'entre elles étaient recouvertes de bandages, de pansements, d'hématomes.
- Ed, murmura Roy en entrant dans le dortoir pour s'agenouiller sur la literie accolée à la sienne d'une manière aussi légère qu'un chat, comme si le moindre de ses gestes étaient susceptible de le faire disparaître. Ed, qu'est-ce qu'il s'est passé… ?
Ed lui sourit et haussa les épaules avec nonchalance :
- Je me suis fait tabasser : la routine quoi.
Roy approcha sa main de lui. Ed retint son souffle. Roy posa ses doigts sur sa joue avec une douceur extrême. Ed plongea des yeux tremblotants dans les siens. Le temps fut suspendu.
Et puis Ed baissa sa garde. Roy vit le malheur du monde s'abattre sur ses épaules en même temps qu'il renfermait ses iris sous ses paupières. Il sentit aussi le visage du jeune homme chercher davantage de contact avec sa main : alors il se rapprocha pour le prendre dans ses bras et l'accueillit contre son torse avec une délicatesse dont il ne se serait jamais cru capable. Comme il n'aurait jamais cru Edward capable d'une telle détresse, d'ailleurs.
Roy sentit ses doigts s'accrocher dans son dos, son corps trembler entre ses bras, et il eut l'impression d'être transporté à des années-lumière de là, totalement désincarné de son corps, capable de voir Maes éloigner une Ruth sidérée avant de refermer la porte sur eux ; capable de voir, aussi, la toute petite chose, cet enfant qui avait trop vite grandi, ce vieillard écrasé par le poids d'un passé coupable, qu'il tenait dans le creux de ses bras.
Il connaissait Edward fort. Il connaissait Edward déterminé. Il connaissait Edward et le feu de sa volonté, de sa passion, de son intelligence, de toute la puissance dont il était capable pour parvenir à ses fins. Il connaissait Edward blessé, colérique, têtu et incroyablement insupportable. Il connaissait Edward, et toute sa personnalité, et l'étincelle qui, toujours, brillait dans ses yeux.
Ce jour-là, cette flamme avait été noyée. Il ne l'avait vu qu'une seule fois dans cet état, et il n'était alors qu'un enfant. À l'époque, son ventre s'était noué d'horreur face à ce qu'il avait fait ; aujourd'hui, il se tordait d'angoisse parce que l'homme qu'il aimait souffrait sans qu'il ne puisse absolument rien faire.
Ed n'était pas faible. Il ne le serait jamais. Il était tout simplement détruit. Et le responsable de tout ça, Envy, allait le lui payer cher. Très cher.
- Ed, murmura-t-il contre ses cheveux. Ed… Je suis là maintenant.
- Tout est de ma faute… bredouilla Edward d'une voix chargée de peine.
- Tu n'y es pour rien. Le responsable de toute cette histoire, ce n'est pas toi. Tu as sauvé des milliers de gens, mais mon plan ne prévoyait pas ce qu'Envy a fait.
- Si j'avais suivi ton plan, Isabelle serait encore en vie !
- Si tu avais suivi mon plan, tu ne sais pas ce qu'Envy aurait fait. Peut-être qu'il t'aurait suivi. Peut-être qu'il aurait trouvé toutes les personnes qui sont ici et qu'il les aurait tués. Peut-être qu'il aurait su pour Madeleine, et peut-être qu'il aurait pu remonter la piste jusqu'à moi, Maes, Riza. Edward : tu as fait ce que tu as pu. Et je suis désolé de ne pas avoir été à tes côtés. Ça n'arrivera plus.
Il sentit Edward reprendre son souffle, comme s'il avait voulu répliquer, mais baissa finalement les bras. Ce n'était pas son genre, de n'opposer aucune résistance. Roy se défit donc doucement de leur étreinte pour le prendre par les épaules et l'éloigner de lui. Il tenta de capter son regard, mais ses yeux rougis fuyaient toute sa bienveillance. D'aussi près, il vit son nez abîmé, l'angle accablé de ses sourcils, la blondeur frappante de ses cheveux ; et puis son torse entièrement bandé, ses côtes apparentes et ses mains pansées. L'absence des deux doigts sur la main droite le choqua. Entre entendre et voir, il y avait une différence inimaginable. Il sentit sa gorge se nouer. Il ne pourrait jamais se le pardonner…
Avec lenteur, il repoussa Edward contre les oreillers et se pencha sur lui pour poser ses lèvres sur son nez, comme s'il avait voulu, dans ce baiser, réparer ses erreurs, ses blessures. Il l'avait envoyé là-bas, mais Edward n'était pas un militaire, ni un meurtrier. C'était seulement une grande gueule idéaliste qui savait se battre.
- Qu'est-ce que tu fabriques ? grommela Edward d'une voix éteinte lorsque Roy se redressa pour venir embrasser son épaule brûlée.
Roy ne répondit pas tout de suite, appliqué dans sa tâche emprunte de délicatesse. Il ne voulait pas lui faire mal.
- Je t'aime, souffla-t-il avec une tendresse fragile, de celles qui le sont tant qu'aucun mot ne leur sied vraiment pour les exprimer.
Edward tressaillit, sans doute conscient de la pureté de cette déclaration. Surpris, aussi, d'entendre Roy parler de cette manière-là. Ça n'était jamais arrivé. Personne ne lui avait jamais parlé de cette façon, d'ailleurs.
- Tu m'as manqué, ajouta Roy, sur le même ton, dans une expiration presque inaudible.
Cette fois, il se pencha sur son torse et sur les irrégularités de sa peau dissimulée. Il sentit Edward frémir sous ses lèvres, mais il ne bougea pas d'un millimètre. Au contraire, la main du blond effleura sa nuque, avec une hésitation étrange. Et puis, graduellement, Roy descendit jusqu'à découvrir la peau nue de son ventre creusé. Il y déposa un baiser, et puis sa joue, et tout le poids de sa tête, tandis qu'il se glissait sous les draps pour passer ses bras autour de lui, là où il savait qu'il n'aurait pas mal. Bientôt, la main d'Edward se perdit dans ses cheveux, et ils restèrent immobiles, conscients de la bulle de bonheur fragile que leurs retrouvailles avaient construite. Roy se sentait l'âme d'un funambule : la moindre maladresse, et il tomberait, provoquant son échec. Il ne voulait pas échouer avec Edward.
- Je suis fatigué, avoua soudain Edward, rompant le silence qui s'était installé entre eux.
Sa voix était émue, et Roy ne voulut rien dire, de peur qu'il ne se taise.
- J'aimerais dormir toujours… ajouta Ed. J'aimerais dormir sans ces cauchemars. Sans ces corps. Sans Isabelle. J'aimerais ne plus avoir à me souvenir de ça…
Il déglutit. Sa voix était pleine de trémolos.
- Il y avait tellement de morts… Tellement de tombes… Et Env-
Il n'eut pas l'air de pouvoir continuer. Sa voix était passée en ultrasons. Roy sentait son cœur battre à cent à l'heure contre son oreille. Il tourna la tête pour lui faire face et vit le blond fixer le plafond avec des yeux humides.
- Comment t'es-tu fais ça ? demanda alors Roy en désignant son épaule brûlée.
Edward ne répondit pas tout de suite, préférant d'abord plusieurs inspirations avant de répondre.
- En creusant le tunnel vers Fosset. Avec le changement d'état du calcaire. Le processus métamorphique, à la fin… Je n'arrivais plus vraiment à réguler la chaleur qui se dégageait.
- C'est là où tu t'es évanoui avant de m'appeler ?
- Oui.
- Tu es malade…
Edward ne répondit pas, et Roy répéta :
- Personne d'autre que toi n'aurait pu le faire. Tu es malade. Je t'admire vraiment…
- Il n'y a rien à admirer, cassa Edward avec froideur. Tout ce que j'ai fait n'a servi à rien.
- Tu devrais voir les interviews dans les articles de journaux. Les habitants de Fosset doivent leur salut à tes actions, et ils le savent.
- N'importe quoi.
- Le gouvernement t'a fait passer pour un espion d'Aerugo, mais les petits journaux indépendants du sud, eux, continuent de faire ton éloge. Plusieurs ont d'ailleurs dû mettre la clé sous la porte parce que ça ne plaisait pas au Fürher. Et si les gens ne t'aimaient pas, ils ne t'auraient pas aidé. Tu ne serais pas ici, avec moi. Dans un sale état, certes, mais vivant.
- Ils ne savent pas de quoi ils parlent.
- Est-ce que tu as tué quelqu'un ?
Edward déglutit.
- Pas directement.
- J'ai tué du monde. Beaucoup de monde. Des gens innocents. À Ishbal, j'étais l'un de ces militaires aux portes de Fosset.
Roy ne parlait jamais d'Ishbal.
- Tu rêves de morts que tu n'as pas pu sauver, Ed… Je rêve de ceux à qui j'ai ôté la vie.
Il y eut un silence.
- Regarde-moi, exigea Roy avec une fermeté nouvelle, et Edward baissa des yeux inquiets sur lui. Tu es un homme bon. Le meilleur que je connaisse- ne m'interrompt pas. Tu as fait des erreurs, mais tu es humain. Tu as fait ce que tu as pu, tu as tout donné pour des inconnus, seulement parce que tu es bon. Une vraie bonne personne. On n'en fait plus, des gens comme toi, Ed. J'ai toutes les raisons du monde de m'en vouloir à mort, et c'est pour ça que je veux devenir Généralissime. Tu n'as aucune raison de t'en vouloir, Ed. Aucune. Tu n'es pas Dieu. Et aussi courageux que tu puisses être, aussi fort et aussi brillant que tu sois… Tu n'aurais rien pu faire d'autre. Tu as fait de ton mieux et, si tu as commis des erreurs, c'est parce que ce que tu souhaitais te semblait juste. Pas pour toi. Pour les autres…
Edward le fixait avec intensité. Roy se redressa, agenouillé sur le lit, pour se rapprocher de lui avant de prendre son visage entre ses mains.
- Il y a un an, tu m'as demandé d'aller rencontrer un petit garçon aux yeux perdus, sourit tendrement Roy. Il n'avait qu'un bras et une jambe. Je l'ai revu il n'y a que quelques jours. Dans son regard brillait la volonté de l'homme que j'aime. Ed, tu n'avais qu'une seule jambe. Tu t'es levé et tu as marché jusqu'à moi. Aujourd'hui, tu as encore tes deux jambes. Alors lèves-toi… Et marche.
La surprise transforma l'expression du blond. Puis, un sourire, un vrai sourire, fendit l'entièreté de son visage.
- Ça t'arrives souvent de balancer des citations comme ça ? s'amusa Ed.
- Lorsque ce sont les paroles d'un grand sage, ça m'arrive, répondit Roy, un sourire en coin.
Ed se pencha alors vers Roy et l'embrassa.
