Bonjour à toutes à et tous, et merci à ceux qui ont patienté jusqu'ici et à tous ceux qui ont laissé des commentaires depuis la dernière fois ! Je suis ravie de poster ce tout nouveau chapitre de "Passages" qui m'a donné pas mal de fil à retordre. Je m'excuse par ailleurs de l'énorme délai et de l'absence de nouvelles à ce sujet.
Il existe plusieurs raisons à cela :
1. Je n'arrivais plus à écrire et à me sentir bien dans cette histoire. J'ai donc voulu prendre du recul qui s'est longuement attardé. Pour autant, je souhaite véritablement terminer ce que j'ai commencé : donc ne vous en faites pas, je continue à écrire, lentement mais sûrement.
2. Il y a eu beaucoup de changements dans ma vie personnelle dû à un ras-le-bol lié au travail. Concilier mon emploi avec l'écriture est parfois difficile et ce que je produis est la plupart du temps peu satisfaisant. J'ai donc préféré laisser passer une période sans écriture avant de me remettre sereinement à cette activité que j'adore.
3. Je me suis lancée dans une nouveau projet qui me demande beaucoup (beaucoup) de temps : l'écriture de mon propre roman. Il a fallu, pour cela, mettre en place des priorités et, pour cette raison, ma fanfiction est passée au second plan. Cependant, si vous aimez mon travail et êtes intéressés par mes écrits à venir (ils ne sont ni postés ni publiés nulle part pour le moment), vous pouvez me rejoindre sur Instagram loree_des_mots où je parle d'écriture en général et sur lequel je posterai mes avancées s'il y en a.
Pour ce qui est de la suite, le chapitre 43 est terminé ! Cependant, je ne suis pas certaine de le poster le mois prochain et il faudra peut-être attendre début juillet pour l'avoir. En effet, il sera très lié au chapitre 44 que j'aimerais finaliser avant de poster le 43.
BREF. Je continue, mais je ne vous promets aucune date exacte pour la suite ! En attendant, je vous laisse avec ce nouveau chapitre qui a été réécrit 5 fois avant de parvenir jusqu'à vous.
Bonne lecture et à bientôt, j'espère, dans les commentaires.
Chapitre 42 – La force des morts
Il ne voit plus rien, ne se souvient de rien, ne pense plus à rien.
Il ressent seulement.
Ses membres s'agitent, ses doigts se crispent dans le vide, ses poignets se déchirent contre la force des liens.
Ça ne fait même pas mal. Ce qui le tue, c'est toute cette eau dans ses poumons.
Il essaie d'aspirer de l'air. Mais non. C'est encore plus de liquide qui pénètre son corps. Il convulse. Son esprit s'en va. Il le sent. Il pourrait presque se voir de l'extérieur.
Cette main sur sa nuque le redresse soudain. Il s'éparpille sur le sol. Son thorax se contracte et troque du fluide contre un peu d'air.
Ça ne suffit pas. Il n'arrive pas à-
Un coup furieux dans son ventre.
Il roule contre le sol glacé et crache et s'étrangle et hoquette et aspire et éructe et l'eau finit par sortir.
Il halète. Ses yeux captent des nuances de gris. Et du blanc. C'est un grand sourire.
Il tente de se redresser. Ses mains sont liées dans son dos. Et ses jambes, elles sont…
Ah, oui. Son automail est brisé en mille morceaux. Sa cheville de chair est dans le même état. La douleur irradie jusque dans ses tripes.
Il tourne de l'œil.
Il y a de la lumière, d'un coup. L'odeur fraiche de l'herbe tendre. Dan aboie au loin. Le visage de Roy se découpe dans le bleu du ciel. Ses couleurs le réchauffent et il sourit.
- Roy…
Ce n'est pas sa voix. C'est un couinement.
Retour au froid, aux nuances de gris et au sourire.
Envy.
- Roy ? Roy qui ?
Merde.
Merde. Merde. Merde. MERDE.
- N-Non…
Ça fait combien de temps qu'il est là ? Combien d'heures ? Combien de jours ?
Il tousse. Ce n'est plus de l'eau qui coule. Le sang se mêle au reste de ses régurgitations sur le sol de béton détrempé.
- Roy, qui ?
Il sent les doigts de l'homonculus se refermer sur sa gorge et il étouffe à nouveau.
- Tu veux encore faire trempette, Eric ? Edward ?
Sa gorge est bloquée. Aucun son ne sort. Aucun atome d'oxygène n'entre.
Il étouffe.
Les nuances de gris disparaissent de nouveau et l'enferment dans le noir.
Il va crever. C'est certain. Il faut juste que ça arrive vite.
- Roy ? Roy… Mustang ?
Non. Il ne peut pas avoir lâché son prénom. Il ne peut pas l'avoir trahi. Il ne peut pas mourir maintenant. Il faut qu'il répare son erreur.
On le relâche et il suffoque face contre terre.
- Le Flame Alchimist ?
- Non…
- On va aller le trouver, on verra bien si c'est lui.
- P-pitié. P-pas… pas… pas lui.
Bordel, pitié, pas lui.
La cervelle d'Isabelle gicle et s'éclate sur le sol ocre.
Envy est en train de s'en aller.
- NON ! NON ! ENVY ! NON !
Il n'a plus d'air. Il a tout donné.
L'eau de ses poumons s'échappe par les yeux, maintenant.
- Oh. Alors c'est bien ce Roy-là.
- Non…
Il gémit contre le bitume.
Le sourire d'Envy s'étire.
- NON !
Edward tombe, rampe, halète. Sa respiration est erratique. Sa cheville lui fait mal et sa poitrine se soulève trop vite, trop fort. Ses poignets le tirent. Il n'a plus de sang dans les mains, n'arrive pas à se relever.
La lumière l'aveugle brusquement et il sent des mains le saisir. Il lâche un piaulement rauque, panique, se débat. Son corps tremble. Il va mourir. Il va mourir. Il le sent tellement fort.
- Eric !
Il n'arrive pas à reprendre son souffle. Les contours de la pièce n'ont rien à voir avec celle qu'il vient de quitter. C'était un rêve ? Pourtant, il sent que son corps le lâche. Il sent qu'il va partir. Il sent-
Une claque fit papillonner ses paupières et il prit plusieurs inspirations saccadées. Ses yeux plongèrent dans ceux d'Alphonse. Ce doré lui avait manqué. Ce n'était pas exactement doré, mais plutôt ambré. La couleur tirait vers le noisette. Un peu comme ceux d'Hawkeye.
- Ça va mieux ?
Ce n'était pas Alphonse. C'était une femme, son visage sévère, ses cheveux blonds et ses sourcils froncés.
Eden.
Son thorax lui faisait toujours mal. Ses côtes lui donnaient l'impression d'être fendues.
- Je… Oui… Ca va.
- Faut pas gueuler comme ça en pleine nuit. L'appartement est censé être abandonné.
Edward hocha la tête, une main sur le cœur. Il n'arrivait toujours pas à reprendre son souffle. Eden parut contrariée.
- Aller, c'est qu'un rêve, tenta-t-elle de rassurer.
Un rêve horriblement réaliste.
- Je sais.
- Je vais vous faire un thé. Ça va vous faire du bien. Vous êtes glacé.
Edward hocha une nouvelle fois la tête avant de la laisser tomber sur ses genoux repliés. Il se sentait trembler de tous les côtés et les poils de sa nuque se dressaient au milieu des sueurs froides. Il renifla, puis frissonna. D'un geste tremblant, il récupéra la couverture qu'il avait abandonné sur le sofa. Il n'avait pas voulu rester chez Sacha, au cas où, et dormait désormais dans la pièce de réunion. Il y avait Eden, avec lui. Franz logeait ailleurs, il ne savait pas tellement où.
Eden revint avec deux tasses de thé fumant. Elle en posa une sur la table basse, juste en face d'Edward, et s'assit avec la seconde sur le fauteuil en velours côtelé.
- Merci, bredouilla-t-il difficilement.
Le thé le réchauffa et il ferma les yeux.
- C'est intense, vos rêves.
- Mm.
- Vous avez fait la guerre.
- Mm.
- Vous êtes militaire ?
- Avant. Y'a longtemps. Mais ça compte pas vraiment…
- Comment ça ?
Edward prit une nouvelle gorgée de thé.
- J'ai jamais fait la guerre en tant que militaire. Je me suis toujours battu contre l'autorité en place.
- Je vois.
- Et vous ?
- Pendleton. Pour rétablir l'ordre. Mais ça ne servait à rien. Je vous l'ai dit. Ce sont des morts pour rien, là-bas.
- Ce sont pas les seules morts pour rien. Y'a Ishbal. Y'a Fosset. Y'en aura d'autres.
- Vous êtes pas bien positif.
- C'est comme ça.
Edward ferma les yeux et laissa son front chercher la chaleur de la tasse. Il avait encore mal à la poitrine, mais la douleur était lancinante. Elle disparaitrait bientôt. Lui, il ne pourrait pas oublier ce qu'il avait vécu. Qu'il avait trahi Roy.
- Il faut que je passe un coup de fil, décida-t-il en se relevant tant bien que mal.
- À cette heure ? Il faut surtout que vous vous recouchiez.
- Non.
- Vous savez que personne ne vous répondra ?
- Mm.
Edward posa sa tasse sur la table basse, enfila son pantalon et saisit sa veste. Eden l'observa s'habiller d'un œil fatigué.
- Ne vous avisez pas de faire du bruit en revenant, prévint-elle lorsqu'il ouvrit la porte.
- Bonne nuit.
Il laissa la militaire derrière lui et sortit. Septembre installait l'automne et la nuit était plus froide qu'il ne l'aurait cru. D'un geste fébrile, il boutonna son blouson, puis fourra ses mains dans ses poches jusqu'à la première cabine téléphonique venue. La monnaie lui manquait, mais c'était suffisant pour un appel qui n'aboutirait pas. Après tout, le clocher ne sonnait que cinq coups. Tout le monde devait dormir, à la maison.
En insérant la première pièce, il se rendit compte de la stupidité de son geste. Appeler Roy. À cinq heures du matin. Pour un cauchemar.
Je suis pathétique.
Il lâcha un soupir, abandonna sa tentative de communication et récupéra ses pièces. Roy avait une grosse semaine avec la venue du Général Haruko. Il devait profiter des quelques heures de sommeil que ses responsabilités lui permettaient. S'il l'appelait, il l'inquièterait tout en l'arrachant au peu de repos qu'il pouvait avoir. S'il l'appelait, comment pourrait-il le convaincre de le laisser participer à cette évasion de prison qui lui tenait à cœur ? S'il l'appelait, il lui prouverait une fois de plus qu'il était trop faible pour recommencer à agir.
Ses doigts se crispèrent dans sa paume.
Il était hors de question de se laisser aller à la peur une fois de plus. Pas pour un cauchemar, aussi réaliste soit-il. Et puis, s'il y avait bien une chose dont il était certain, c'était que le nom de Roy ne lui échapperait jamais.
Il sortit de la cabine téléphonique et se dirigea d'un pas déterminé jusqu'à la salle de réunion où dormait Eden. Dans le noir, il récupéra son sac à tâtons et repartit dans les rues de Rush Valley, cette fois-ci en direction des montagnes. Il emprunta le chemin qui menait chez les LeCoulte et s'enfonça entre les falaises calcaires. À un moment, il s'éloigna du sentier pour grimper plus en altitude et trouver un plateau désert qui lui permettrait de faire face à ce qu'il aurait dû affronter depuis longtemps.
Il s'éloigna ainsi deux bonnes heures avant de trouver le terrain qui lui parut idéal. L'aube pointait à l'horizon et le ciel dégradait du bleu sombre à un orangé qui se reflétait sur la terre ocre de cette terre aride. L'air était encore frais et Edward frissonna. Avec la transpiration de sa marche, il n'avait pas le temps de s'arrêter et de tergiverser trop longtemps s'il ne voulait pas attraper froid.
- Aller, t'as fait pire que ça, s'encouragea-t-il à mi-voix.
Edward s'accroupit après avoir déposé sa valise un peu plus loin. Sur le sol poussiéreux, il se mit à tracer un cercle accompagné de symboles élixirologiques. Ses doigts sillonnaient la terre sans même qu'il ait à penser. Les mots étaient gravés dans ses veines, se répandaient à la manière d'un torrent libéré d'un barrage fendu. Un sourire s'étira sur ses lèvres, un éclair traversa ses iris. Un instant, il oublia les souvenirs de ce qu'il traçait seulement pour laisser son intelligence briller comme elle ne l'avait plus fait depuis qu'il l'avait bridée. Lorsqu'il eut terminé, le ciel était rose et la terre presque rouge. Comme sur une autre planète.
Il est temps.
Dans son sac, il retrouva une de ses fioles. De celles qu'il avait scellé bien des mois auparavant. Il lui suffisait désormais d'en ajouter quelques gouttes au niveau des différentes formes géométriques. Elles tombèrent sur le sable grenat. Elles auraient pu être du sang, celui de ses entrailles ennouées, celles qui tentaient soudainement de l'empêcher de respirer.
Souffle.
Il ferma les yeux, déposa ses mains sur les bords du cercle. Ses doigts disparus le démangèrent. Il les entendit craquer. Envy le tenait face contre terre. C'était à cause de cette foutue transmutation qu'il avait tout fait foirer. S'il n'avait pas accouru au milieu du cercle national, s'il n'avait pas voulu détruire la galerie… Jamais Isabelle n'aurait quitté le tunnel du Gesundheit pour le rejoindre.
Il n'est pas là, bordel. Ed, reprends-toi. Elle n'est plus là non plus : assume.
Assume !
Ses paupières s'ouvrirent sur des éclairs électriques qui mangèrent la matière tout autour de lui. Le calcaire s'aggloméra, se condensa pour diminuer en une matière plus noble, blanche et pure. Les fulgurations bleutées lézardaient le monde et, dans son corps, il sentit ce qu'il avait redouté : partout, même sur ces terres en apparence isolées, grouillait la vie. Elle se manifestait dans les chardons rouges, les cactus, les yuccas et les agaves. Elle se manifestait dans les boyaux de la falaise, dans les nids et les broussailles. Elle se manifestait autour et en lui, et lui-même était en toutes choses.
Le contact fut rompu et il tomba à la renverse. L'élixirologie disparut en laissant derrière elle quelques dernières étincelles d'azur. Sa respiration s'était accélérée, le monde autour de lui tournait et lui paraissait trop vivant. Son corps entier était attiré par la terre, désormais transformée en marbre tout autour de lui.
Les Xinois parlaient du souffle du dragon comme d'un concept de vie, de mort, de cycle. Il fallait l'embrasser pleinement pour devenir un bon élixirologue. Une fois, May lui avait dit que l'alchimie ne comprenait pas cette subtilité et qu'Alphonse, bien que pratiquant un peu l'élixirologie, n'arrivait pas à s'en détacher. Il ne pourrait pas devenir un élixirologue à part entière s'il ne laissait pas l'alchimie de côté. Pour lui, Edward, c'était bien pire. Il fallait qu'il trouve sa propre voie pour y parvenir.
Peut-être qu'il l'avait compris depuis longtemps. Il avait fait une leçon là-dessus à Gabin, juste avant qu'il ne parvienne à réaliser sa première transmutation. C'était l'alcool qui lui avait fait trouver les mots : « C'est un cycle éternel. Il faut le comprendre. Il faut, plus qu'y croire, le savoir. L'être ».
Mais Edward n'était pas certain de vouloir s'abandonner à quelque chose d'aussi irrationnel. C'était dangereux, hors de contrôle. Il sentait déjà que l'élixirologie échappait à sa volonté. Il avait l'impression qu'une partie de lui avait été happée lorsqu'il avait senti les morts dans les fosses de Marco. C'était peut-être plus ancien. Peut-être même depuis qu'il avait traversé le passage dans le temps. En tout cas, sa pratique à Marco avait réveillé en lui quelque chose de nouveau.
L'élixirologie, si elle l'intriguait, teintait sa curiosité d'appréhension.
Depuis Isabelle, sa maîtrise lui semblait impossible. C'était peut-être sa sensibilité qui avait fait évoluer sa pratique. Ses blessures.
Il le sentait. S'il le voulait, il aurait pu ressentir le monde entier.
Il frissonna.
Il ne connaissait qu'une seule personne capable d'une telle prouesse. Elle était morte dans son monde, mais elle était encore en vie ici.
Mon père.
Mais c'était à cause de la pierre philosophale, et il n'y avait aucune raison pour que cette dernière exerce la moindre influence sur lui.
- Putain, j'y comprends rien…
Si seulement Alphonse était là...
Edward entra gauchement dans la cabine téléphonique, les bras chargés de courses. Deux pommes sautèrent du sac en papier et roulèrent sur le sol de la petite pièce. Le jeune homme jura pour la forme. Il avait l'esprit trop ailleurs pour se préoccuper véritablement de ses maladresses. Il déposa son chargement, ramassa les fruits, rangea l'une, croqua dans l'autre – non sans l'avoir vaguement nettoyée au préalable d'un frottement distrait sur son pantalon noir. D'un autre geste brouillon, il ramena ses mèches en arrière, délivrant ses yeux émeraudes de ses fines assaillantes. Puis, il composa le numéro de chez lui.
La sonnerie retentit plusieurs fois avant que ne décroche une voix exagérément rauque qui n'était pas celle de Roy :
- Allô ?
- Gabin ? interrogea Ed après une seconde d'hésitation.
- Ed ! s'enthousiasma la voix qui reprit une tonalité d'enfant.
- Oui, c'est moi. Tu sais que tu n'as pas le droit de répondre au téléphone, n'est-ce pas ? Tu as de la chance que ce soit moi. Tu n'allais tromper personne avec ta « grosse » voix.
Edward souriait, taquin, mais, visiblement, Gabin n'avait que faire de ses moqueries.
- C'est Roy qui m'a dit de répondre, se justifia le garçon. Il est au travail, mais il ne voulait vraiment pas louper ton appel. Ed, il faut que tu rentres immédiatement à la maison.
- Quoi ? Pourquoi ?
- Je ne sais pas, il m'a rien dit. Mais il est très nerveux : je crois qu'il a trouvé quelque chose dans tes notes. Et, aussi, il veut que je m'en aille ! Et moi, je veux pas m'en aller !
- Comment ça, il veut que tu t'en ailles ?
- Il a dit que je serai plus en sécurité dans le chalet, que quelque chose de grave allait arriver et qu'il fallait que je déguerpisse au plus vite.
- N'importe quoi, grommela Ed. Dis-lui qu'il aille se faire foutre et que tu restes, c'est tout.
- Je peux pas vraiment faire ça…
- Pourquoi ? Je le fais bien, moi.
- Oui, mais là, c'est différent. Je te jure, il était tout pâle, vraiment pas bien, et dès que j'ai protesté, il m'a gueulé dessus comme personne m'a jamais gueulé dessus.
- Dis-lui que je le rappelle ce soir ou demain matin et de pas prendre de décisions avant que je ne sois de retour. Ok ? Ça inclut, bien évidemment, ton départ. D'accord ?
- D'accord… Mais s'il veut quand même que je parte… ?
- Eh ben, ça te fait un exercice alchimique pour la journée : essaie de transmuter des billets et paye-toi un hôtel. Sinon, va chez le lieutenant Hawkeye. Et, pour le calmer, dis-lui que j'ai une réunion pour cette histoire de montre.
Ça y était, son énergie avait été sapée par son imbécile de petit ami. Il ne pouvait pas s'absenter deux minutes sans que Roy ne s'imagine une fin du monde… Heureusement qu'il n'avait pas appelé au milieu de la nuit.
- Ed, je crois qu'il se passe vraiment quelque chose… Je crois qu'il a vraiment réfléchi avant de prendre la décision de me renvoyer et il a vraiment insisté sur le fait que je te dise de rentrer.
- Ca fait beaucoup de « vraiment », s'agaça Edward. Et qu'est-ce qui a pu le faire réfléchir comme ça, à ton avis ?
- Il m'a posé des questions sur tes recherches. Sur les voyages dans le temps…
Le faux roux ne sut que répondre. Son impatience s'était muée en inquiétude. Si Roy avait découvert qu'il lui avait menti pendant un an entier, son retour n'allait pas être de tout repos. Et puis, comment lui expliquer qu'il ne voulait pas rentrer. Non pas qu'il ne veuille pas retrouver sa temporalité – encore que -, mais la performance d'une telle élixirologie lui semblait parfaitement hors d'atteinte : il avait à peine commencé à la réutiliser, ce n'était vraiment pas pour se risquer à créer des passages temporels.
- Qu'est-ce que tu as répondu ?
- Que je savais rien…
- Parfait. Continue comme ça s'il recommence. Bon, écoute, je vais te laisser. Je rappelle le plus tôt possible.
- Ok…
- T'inquiète pas, va. Ça va lui passer.
Edward raccrocha, récupéra sa cargaison et se perdit dans les rues de Rush Valley avec un nouveau problème incrusté dans un coin de sa tête. Il avait conscience que Roy finirait par se douter de sa compétence, mais il avait espéré avoir davantage de délai. Cela lui aurait permis de s'occuper de la montre de Maes sans se soucier du temps qu'il lui restait encore et de l'évasion de prison sans avoir à se justifier plus que de coutume.
Il se mordit la lèvre. Si Roy avait compris, sa réaction risquait d'être disproportionnée. Même si Edward lui avait menti – ou plutôt, s'il ne lui avait pas tout dit -, il n'aurait certainement pas pu rentrer chez lui. C'est vrai qu'il avait mis ce problème de côté pendant un moment, mais il comptait bien y remédier dès à présent et cela commençait par un entrainement qui relevait davantage d'un défi psychologique que de l'enquête intellectuelle. Il était temps pour lui de refaire surface et de laisser ses faiblesses loin dans les profondeurs.
Edward croqua une dernière fois dans sa pomme, jeta le trognon dans un coin de rue et s'engouffra dans les quartiers déserts de la ville.
- Vous en avez mis, du temps, pour passer un coup de fil, fit remarquer Eden lorsqu'il entra dans la salle de réunion aux murs fanés.
- Vous plaignez pas, c'est moi qui apporte votre repas, cassa Edward.
- Trop aimable, grommela la militaire avant de brandir une théière. Café ?
- S'il vous plait.
Elle lui servit une tasse de liquide trop clair tandis qu'il éparpillait sur la table basse fruits, pain, fromage et quelques biscuits. Ils s'attablèrent tous les deux, en tailleurs sur le tapis mité, et entamèrent leur repas frugal.
- Le fromage du sud, c'est vraiment pas le même qu'à l'ouest, grimaça Eden.
- Il a du goût, celui du sud, cassa Ed. C'est sûr, vous pouvez pas élever de chèvres dans votre jungle.
- Notre « jungle » ? s'indigna la blonde. Il faut bien que certains s'occupent des forêts pour ceux qui ont décidé d'aller vivre dans de tels endroits désertiques ! Il fait encore une chaleur à crever, dehors. Je sais pas comment vous faites, vous, les sudistes, pour survivre à ce cagnard. Je sors deux minutes et je suis déjà rouge. Une heure après, c'est le cancer de la peau assurée.
- Vous en faites pas, je le vis assez mal aussi. Je ne sais même pas comment une ville spécialisée dans les automails peut s'être établie ici. Sérieusement, c'est très désagréable pour les jointures.
- C'est pas du carbone, votre jambe ?
- Si. Et heureusement. Vous voyez que vous l'aimez bien, ce chèvre, se moqua Edward en la voyant se resservir.
- Faut bien se nourrir.
- Oh, quelle misère. C'est juste que vous aimez vous plaindre pour tout et n'importe quoi.
Elle haussa les épaules et ils continuèrent de manger en silence.
- C'est stupide qu'on se tutoie, finit par lancer Ed.
- Je suis pas intéressée, cassa immédiatement Eden.
- Quoi ? Non ! Je… Moi non plus. C'est juste qu'on se vouvoie alors qu'on passe nos journées ensemble. Et puis, j'ai déjà quelqu'un, hein, qu'on soit clair.
- Oh, tu trouves le temps pour les amourettes. Sacré révolutionnaire, ça.
Edward haussa les épaules, peu enclin à la réplique lorsqu'il se savait en tort. Et puis, Roy l'exaspérait suffisamment pour avoir envie de défendre leur relation.
- Ouais, et il va pas falloir que je tarde, d'ailleurs. Mais ça m'étonnerait que je puisse revenir. Tu as des infos sur cette histoire d'évasion de prison ?
- Pas depuis la dernière réunion qu'on a faite.
- Tu penses qu'on pourrait… l'avancer ?
Il faudrait qu'il appelle Roy le soir-même pour le prévenir qu'il ne rentrerait pas immédiatement et éventuellement rester vague sur cette histoire d'évasion pour ne pas l'inquiéter.
- Aucun plan n'a été fait, je pense que c'est ambitieux de précipiter un truc pareil à cause de ton petit emploi du temps personnel. Comment est-ce que tu arrives à te balader dans le pays aussi facilement, d'ailleurs ?
- C'est le talent, ça. Tu pourrais pas comprendre, cassa Edward en engloutissant sa tartine et son café avant de se relever. D'ailleurs, faut que je reparte. Je vais aller dans les falaises m'entrainer, on me verra pas.
- Je peux venir ?
C'était inattendu et Edward marqua une pause avant d'hocher vaguement la tête. Eden, comme lui, était enfermée dans cet endroit caché sans rien faire de ses journées. Pour une militaire, ce devait être une aubaine de pouvoir se dégourdir les jambes. Après avoir rangé dans un coin le reste de leur nourriture et nettoyé la petite table, ils rejoignirent l'air chaud de l'extérieur et traversèrent la ville pour rejoindre les montagnes par le même chemin qu'Edward avait emprunté dans la nuit. Au bout d'un moment, ils s'éloignèrent de la voie principale jusqu'à retrouver le plateau qu'il avait choisi le matin même pour couvrir ses activités.
Eden s'avéra être une adversaire redoutable. Si elle était un peu rouillée, comme tous les cadres militaires, elle reprit ses habitudes au combat au corps à corps avec une rapidité qui surprit Edward. Elle aurait sans doute pu vaincre Roy, même s'il était vrai qu'il s'était repris en main ces derniers-temps.
Transpirer lui fit du bien, tout comme sentir ses muscles se tendre, son cœur battre contre ses os et ses cheveux coller contre son front. Eden semblait tout aussi ravie que lui. À tel point qu'elle ne se plaignit pas une seule fois de la chaleur du soleil. Au bout de deux heures, ils se posèrent à l'ombre de la roche écrue pour reprendre leur souffle et boire un peu de l'eau qu'ils avaient apportée avec eux.
- Je dois admettre que tu es bon, finit-elle par lâcher. Ça fait du bien d'avoir un adversaire à sa hauteur.
- Meilleur, même, taquina Ed.
- Meilleur, c'est vrai, admit la jeune femme. N'empêche que je suis toujours septique quant aux exploits qu'on t'attribue.
- Ce ne sont pas des exploits.
- Et ce tunnel en marbre ?
- C'était plutôt de l'inconscience, honnêtement.
- Si c'était pas Stein qui m'avait assuré de cette affaire, je ne suis pas sûre que j'y aurais cru, avoua-t-elle.
- Si tu veux voir du marbre, j'en ai fait ce matin, juste là-bas, indiqua-t-il en pointant du doigt le cratère de roche claire quelques dizaines de mètres plus loin.
Eden se releva pour inspecter la transmutation avec un œil expert. Edward ne put s'empêcher de sourire : elle ne connaissait rien à l'alchimie, mais elle jouait quand même à la spécialiste. Elle se pencha en avant, récupéra un caillou translucide :
- Qu'est-ce que c'est ?
- Du silicate. Fais attention : c'est toxique. La transmutation du calcaire laisse des résidus.
- Mm…
Elle se pencha pour en ramasser d'autres et les fourra dans sa poche. Edward fronça les sourcils.
- J'ai pas tellement envie que tu empoisonnes quelqu'un.
- Ca risque pourtant d'arriver. C'est plutôt une bonne chose d'avoir du poison à portée de main sans que personne ne puisse retracer le moindre achat.
- Vire ça de tes poches.
Elle ne pourrait jamais tuer personne avec du silicate à si petite dose. Mais ses effets sur le long terme pouvait causer de graves maladie.
- Eric : on est des terroristes. Tu as cru qu'on faisait les choses pacifiquement ? Parce que t'inquiètes pas que ceux qu'on combat ne se gênent pas. Tu devrais le savoir, non ?
- C'est aussi eux qui nous appellent des « terroristes » : si tu fais ce qu'ils attendent de ce nom, alors ils auront raison.
- Ose me dire que tu ne t'en es jamais servi.
Edward allait nier, mais sa mésaventure avec Envy lui revint en mémoire. Il l'avait enfermé dans un tombeau souterrain à l'air saturé de poussière toxique. Mais il était à peu près certain qu'il survivrait, et leur dernier affrontement ne pouvait que le prouver.
- Tu vois, cassa Eden.
- Ce n'était pas la même chose… Je n'ai jamais voulu tuer personne. En tout cas, je n'ai jamais réussi.
- Et c'est ça qu'on appelle un « héros ».
- Tu as tes convictions, j'ai les miennes. Mais je préfèrerai que tu évites d'essayer de faire du mal à quelqu'un grâce à quelque chose que tu as récupéré de moi.
- On verra.
Elle l'agaçait et, pendant un instant, il voulut lui reprendre ses minéraux empoisonnés de force. Puis il abandonna : elle était au moins aussi têtue que lui, et il n'avait pas envie de se battre pour une cause perdue d'avance.
- Je peux te dire le fond de ma pensée ? interrogea Eden lorsqu'elle eut achevé sa récolte et se fut lourdement assise à côté de lui.
- J'imagine que ça ne va pas être agréable, venant de toi…
- On m'avait vendu un homme invincible, commença Eden après avoir respecté quelques secondes de réflexion. Ce que je vois, moi, c'est une victime de plus de toute cette merde qui se passe dans le pays. J'ai eu peur que tu sois un imposteur, au début, mais il ne faut pas être docteur en sciences humaines pour comprendre que tu es juste… sacrément cabossé.
- Et toi, t'es pas cabossée, peut-être ?
- Si, mais j'ai pas la prétention d'être la figure de proue d'un mouvement clandestin.
- J'ai jamais voulu l'être : on m'y a foutu d'office. Et toi, tu peux parler : tu veux quand même grader dans l'armée et entrer dans le gouvernement décisionnaire.
- Ouais, il faut bien que les choses bougent. Et puis, moi, j'ai pas la trouille : je me laisse pas arrêter par deux ou trois morts.
- Qu'est-ce que t'insinues ?
- Que la personne que tout le monde voit en toi, si elle a un jour existé, est morte depuis un moment.
Edward aurait pu s'énerver, l'insulter, faire un vacarme auquel son lui adolescent se serait volontiers adonné mais, au lieu de ça, il se contenta de serrer les poings.
Elle avait raison. Ce n'était pas une nouvelle. Mais l'entendre dit à voix haute avait quelque chose de blessant. C'est vrai que Roy l'avait protégé jusque-là, tout comme Gabin et les gens du chalet qui ne souhaitaient pas plus que lui être brusqués ; et le calme avait fait le reste. Tout le monde l'avait laissé s'enfoncer dans le confort, la paix et l'oubli.
Il desserra ses mains et leur lança un regard las. Elles avaient été si puissantes accordées avec son esprit fort. Elles étaient désormais aussi inutiles que l'était son esprit rongé par le deuil, la culpabilité et la peur. Par chance, il tentait désormais de ressusciter et ce n'étaient pas ces paroles qui allaient le remettre à terre. Au contraire. Ce qui dominait le plus dans son esprit, désormais, c'était la honte : celle d'avoir trop longtemps baissé les bras.
Edward se dressa sur ses pieds et récupéra les gants d'alchimiste qu'il avait toujours avec lui mais qu'il n'utilisait jamais. D'un geste précis, il les enfila, claqua dans les mains et posa ses mains au sol. Les éclairs élixirologiques s'élevèrent aussitôt. Son esprit s'immisça dans la roche et il la laissa s'introduire en lui. Le monde s'élargit en un instant et il lui parut que l'infini était à portée de main. Aucune transmutation ne lui avait paru aussi simple. Chaque molécule s'assembla selon sa volonté, se greffa à son esprit et à sa vie, grandit au-dessus de lui pour traduire son univers : celui auquel il devait enfin dire adieu pour aller de l'avant, comme il l'avait toujours fait.
Lorsque les émanations électriques revinrent à lui et abandonnèrent son corps, il se sentit étrangement seul et éloigné du monde. Il lui fallut une seconde pour se souvenir comment respirer, comment redevenir lui-même. L'espace autour de lui était tellement vaste, et il était si petit. Le passage de l'un à l'autre lui paraissait lunaire. Il cligna plusieurs fois les paupières avant de réussir à relever les yeux sur son œuvre.
C'était une statue blanche à la surface si réaliste que sa peau semblait vivante. Edward se releva, étonné par ce qu'il avait lui-même fabriqué. Une transmutation sans aucune aspérité, sans défauts, parfaite. L'expression de la statue était animée d'une chaleur qui lui manquait et il lui sourit en retour. Ses doigts trouvèrent sa joue, puis son front se posa contre le sien. Il était froid.
- Je suis désolé, murmura-t-il à Isabelle.
Elle resta bienveillante, même lorsqu'il se fut éloigné pour se tourner vers Eden :
- Je ne suis pas encore mort, affirma-t-il avec une flamme déterminée brûlant dans son regard. Aller, viens : on a une prison à braquer.
Eden le regarda repartir en direction de Rush Valley avant de jeter un œil à la statue. À ses pieds étaient gravées en lettres majuscules : « Ne sous-estimez pas la force des morts ».
- Vous êtes sérieux lorsque vous dites que vous voulez planifier cette évasion de prison en fin de semaine ?
- Tout à fait.
L'attention de toute l'assemblée était focalisée sur Edward. Avec hésitation, Erwin le contredit :
- On n'a pas le temps d'organiser ça en une semaine, enfin…
- Pourquoi pas ? Qu'est-ce qui nous en empêche ?
- Nos neurones qu'on arrive à mieux faire fonctionner que toi, peut-être.
Edward envoya un regard blasé à Eden :
- Toi, de toute manière, tu te casses demain pour aller travailler chez l'ennemi alors ferme-là.
- Chez l'ennemi ?! Je te signale qu'on a ces infos grâce à moi !
- Ouais, beaucoup d'infos et pas beaucoup d'action. Moi, je suis là pour l'action. Alors, maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? On fait ça ensemble dans une semaine, ou vous le faites sans moi dans mille ans ?
- M. Ford, intervint Franz, ce n'est pas très correct de votre part que de nous pousser à prendre une décision inconsidérée en si peu de temps.
- Et j'en suis désolé, mais je pense qu'on peut s'en sortir. C'est Eden qui nous en a parlé : dans une semaine, un conseil rassemblera les grands Généraux à Central City. Les personnes les plus compétentes de chaque capitale régionale – et j'entends par là les alchimistes d'Etat – seront pour la plupart conviées à ce conseil. Je pense réellement qu'il s'agit du meilleur moment pour agir. Et, comme je le disais, après ça, je ne suis pas certain de pouvoir me rendre disponible. Je ne suis bien sûr pas indispensable, mais je peux être l'atout que vous souhaitiez que je sois.
Il y eut un petit silence, puis Erwin soupira et partit chercher plusieurs documents qu'il étala sur la table basse.
- Vous n'allez quand même pas céder à ses caprices ? grogna Eden.
- On va mettre en place le plan et on va voir si c'est possible. Ça ne nous coûte rien d'imaginer comment on va faire, après tout.
Les cartes des égouts et de la prison avaient déjà été annotés lors de la dernière réunion, si bien que l'élaboration de l'extraction ne prit qu'une petite heure. À vrai dire, Erwin semblait avoir potassé l'évasion depuis longtemps et connaissait son schéma par cœur. La présence d'Edward armé de son élixirologie résolvait la plupart des points noirs qui l'empêchaient d'assurer la sécurité des agents chargés de la mission.
- Il faut y aller, conclut Anke Hess à la place d'Erwin.
- Ce n'est pas aussi simple, Anke.
- Depuis des mois, on en parle, de cette évasion. Depuis que Franz est parmi nous. Combien de temps va-t-on devoir attendre avant de faire quelque chose ?
Edward observa l'expression des différentes personnes dans la pièce. Celle d'Erwin, fermée, trahissait une appréhension qu'il ne connaissait que trop.
- Si vous n'y allez pas, nous on s'en charge, intervint Paul, le chef du groupe Azur qui devrait s'occuper des actions de l'Est.
- Ce n'est pas votre région, grogna Eden.
- On vit tous dans le même pays et, pour le moment, il n'y a que Bardo et moi dans le groupe Azur. On ne va pas pouvoir commencer très gros de notre côté alors autant prêter main-forte au groupe Ocre et faire un peu de bruit pour inciter les personnes de l'Est à rejoindre notre cause. Si la figure d'Eric Ford revient, je suis certain que beaucoup se joindront à nous. Personne n'a jamais vraiment cru à la version de l'Etat avec cette affaire d'Andréa Rossetti.
- C'est vrai dans le Sud, le contredit Ed. Mais, dans l'Est, c'est la seule information qu'ils ont sur moi. Je ne suis pas certain que l'Est apprécie de voir revenir Eric Ford, encore moins si l'Etat me lie ainsi avec Aerugo. La guerre est encore bien gravée dans les mémoires et tout le monde sait qu'Aerugo a refourgué des armes aux Ishbals lors du conflit.
- Si vous révélez votre véritable identité dans un journal clandestin pour prouver votre innocence, ça pourrait peut-être faire changer la donne, fit remarquer Anke.
- Et puis quoi encore ? Vous voulez qu'on supprime toute ma famille et mes amis ? Non mais…
- Dans tous les cas, intervint Paul. Je doute que les gens soient suffisamment stupides pour penser qu'Andrea Rossetti reviendrait sous les ordres d'Aerugo pour faire évader dix personnes de prison. Ça n'aurait aucun sens, surtout quand on voit tous les efforts diplomatiques que le Roi d'Aerugo déploie depuis sa « bavure ».
- De toute manière, coupa Erwin, ce n'est pas le problème pour le moment. Il faut que je contacte les personnes que je connais sur place pour voir si on pourra avoir de l'aide de la part des militaires que je connais et s'ils seront en service à ce moment-là. Si on met ce plan a exécution, qui est-ce qui veut se joindre à l'attaque ?
Edward leva immédiatement la main ainsi que les deux représentants de l'est. Anke se proposa immédiatement mais Eden lui fit baisser son bras. Ensuite, un autre homme dont Edward ne connaissait que le prénom, Evan, leva la main. Erwin soupira :
- Je connais deux autres personnes qui pourraient venir en renfort. Bien sûr, tout le monde ne connait pas cet emplacement. Je vais essayer de les recruter… Je vous propose qu'on se donne rendez-vous ici demain. On verra ce que l'on décide à ce moment-là avec les nouvelles informations que j'aurais. Ça vous convient ?
Tout le monde hocha la tête et certains prirent congés. Anke, visiblement déçue de ne pas pouvoir être de la partie, vint s'excuser auprès d'Edward :
- Je n'ai malheureusement aucune compétence de combat, je ne serais pas très utile si je venais avec vous.
- Par contre, retrouver la montre que votre frère m'a fait parvenir est dans vos cordes. Si cela vous convient, ce serait une mission d'une importance primordiale qui sauverait plus de vies que vous ne pourriez imaginer.
- Hier, vous avez dit que cette montre pouvait coûter la vie de mon frère, si elle tombait entre de mauvaises mains.
- C'est le cas.
- Alors je vais m'en occuper.
- Je vais vous briefer…
Edward lui fournit une carte de Fosset et de ses alentours. Il lui désigna la position du tunnel de Gesundheit, du tunnel de marbre qu'il avait creusé et des galeries sous-terraines de la ville. Il entoura au feutre rouge les différents emplacements où pouvaient se trouver la montre : la chambre qu'il avait occupé dans le QG de Fosset, les galeries dans lesquelles il avait organisé l'évacuation de la ville, les deux lieux où il avait affronté Envy. Dans tous les cas, ces endroits étaient incontestablement gardés et surveillés par le gouvernement. Les militaires avaient déjà dû retourner l'ensemble des bâtiments sans rien trouver. La mission semblait peut-être impossible, mais elle était primordiale.
- J'aurais bien voulu y aller moi-même, vous vous en doutez, Anke. Malheureusement, mon visage est trop connu. J'ai besoin de quelqu'un comme vous. Votre frère est dans l'armée et vous avez des compétences administratives véritablement utiles. A Fosset, ils ont besoin de personnel pour remettre la ville sur pied. Vous pourriez réussir, en intégrant l'armée avec l'aide de votre frère. Peu importe le temps que cela prendra…
- Et si je trouve la montre ?
- Vous la détruisez. Tenez-moi au courant. Vous en parlez à votre frère et il saura qui contacter pour que j'aie le message.
- Vous ne comptez pas revenir ici bientôt ?
- Malheureusement, j'ai d'autres impératifs… Mais si je ne suis pas présent physiquement, je suis là pour vous aider, même si ça ne se voit pas.
- Bien sûr, affirma Anke d'un air soucieux tout en repliant la carte de Fosset qu'Edward avait annotée.
Il y eut d'autres discussions, mais les sujets épineux restaient en tête de tous ceux qui étaient restés. Paul et Bardo vinrent d'ailleurs lui parler discrètement pendant une conversation qui ne semblait guère les intéresser :
- Vous êtes originaire de l'Est, n'est-ce-pas ? interrogea Paul.
- J'y ai pas mal voyagé, mais ça ne veut pas dire que je suis originaire de votre région, mentit Edward.
- Pourtant, vous avez un accent.
- C'est bien la première fois qu'on me dit ça, rit Edward, véritablement surpris.
- En tout cas, intervint Bardo. On voulait vous dire que si les autres ne veulent pas intervenir dans la prison de South City, nous n'hésiterons pas à vous suivre pour le faire. C'est important que nous fassions parler de nous pour recruter dans l'Est et je pense qu'il s'agit d'une action idéale.
- Je vous remercie, acquiesça Edward avec une certaine confusion.
Depuis qu'il l'avait rencontré, Bardo lui rappelait quelqu'un mais il était incapable de savoir qui. Parler directement avec lui et d'aussi près le mettait un peu mal à l'aise.
- Nous verrons demain, conclut Edward un peu vite. Pour ma part, il faut que j'y aille. Vous m'excuserez… Vous auriez de la monnaie, par hasard ? Super, merci beaucoup. À plus tard !
Les jours raccourcissaient et le ciel se teintait de lilas lorsqu'il sortit du Quartier Général des terroristes. Sans plus tarder, il rejoignit la cabine téléphonique qu'il avait trouvée le matin même pour tenter de joindre Roy. À cette heure, il devait être rentré depuis longtemps. Il inséra sa pièce dans le combiné en espérant secrètement qu'il ait été retenu au travail. Il ne décrocherait pas et la conversation se résumerait à la voix de son répondeur téléphonique. Pas de dispute. Pas d'énergie dépensée pour rien. Mais au bout de deux sonneries, la voix de Roy raisonna à son oreille :
- Oui ?
Il n'avait vraiment pas envie de se disputer avec lui.
- C'est moi, se présenta-t-il néanmoins.
- Ed…
C'était un soupir de soulagement ou un reproche las. Impossible de faire la différence entre les deux.
- Tu as l'air fatigué, remarqua Ed avec une douceur destinée à l'apaiser.
- Oui : je n'ai pas dormi la nuit dernière.
- Haruko t'a pris autant de temps que ça ?
- Ce n'est pas uniquement le travail qui m'a tenu éveillé.
Il y eut un instant de flottement pendant lequel les deux hommes ignorèrent la conversation trop sérieuse à venir.
- Gabin m'a dit que tu étais nerveux et que tu souhaitais qu'il s'en aille, lâcha finalement Edward en conservant tout le sang-froid qu'il pouvait avoir.
- C'est le cas : je lui ai trouvé un billet de train pour demain matin.
- J'aimerais que tu attendes que je rentre avant de prendre de telles décisions.
- Tu as le temps de rouler jusqu'à East City dans la nuit, avant son départ.
- Je ne compte pas revenir tout de suite.
- Mais il va falloir, Ed. Ce n'est pas pour rien que je lui ai dit de te dire de rentrer. Ce n'est pas pour rien que je le renvoie dans le Nord.
- Pourquoi ?
- J'aimerais qu'on ait cette conversation en face.
- On peut : je reviens dans une semaine. J'imagine que ça peut attendre une semaine ?
- Non.
- Roy, tu exagères : ça fait des mois que je suis cloîtré à la maison. Le seul moment où je m'en vais, tu me fais du chantage pour que je rentre après même pas deux jours d'absence.
- Tu… ! Ed…
Il l'entendit souffler dans le combiné.
- Ed, ce n'est pas un caprice. Tu sais, ta montre ? Celle que je te donnerais dans le futur ?
- Eh bien ?
- Il y a un mot à l'intérieur. Un message. De moi à moi.
Edward voulut protester pour la forme ; parce que Roy avait fouillé son bureau en son absence, et que ses paroles étaient stupides. Mais il se tut, attendant peut-être une explication, une suite à cette information dont il ne savait que faire en l'état, qui semblait impossible au premier abord mais pas tant lorsque lui-même était un voyageur temporel.
- Edward, il faut que tu rentres à la maison, le pressa alors Roy avec nervosité. J'ai emmené la montre chez un graphologue, pour lui faire confirmer qu'il s'agissait bien de mon écriture : et c'est le cas. Ed. Est-ce que tu as quelque chose à me dire ?
- Où est-ce que tu veux en venir, Roy ? Elle dit quoi, cette montre ?
- Elle… Il y a la date de ta mort à l'intérieur.
Edward sentit son cœur se soulever, ses poumons se remplir d'eau et le noyer. Son cerveau perdit le contrôle de son corps ; son dos heurta la cabine téléphonique.
- Q-quoi ? bredouilla-t-il, le souffle coupé.
- Tu sais comment rentrer ? La montre dit que tu sais comment rentrer.
- Je… Roy, qu'est-ce que tu as dit, avant ?
- Réponds à ma question.
- Réponds à la mienne !
Il y eut quelques secondes de silence et Roy récita avec un calme très artificiel :
- « Après Fosset : ne change plus les choses. J'ai déjà essayé. C'est pire. Ed sait comment rentrer. Il doit absolument le faire avant le 25 novembre 1912. Sinon, il meurt. Roy Mustang ».
Son estomac se retourna et sa vision se troubla sous la pression. Ses doigts tremblaient sur le combiné du téléphone. Pourtant, il s'entendit répondre avec une désinvolture presque agacée :
- Ça va, c'est dans plus de deux mois. J'ai le temps de planifier mon évasion de prison. Ce sera à South City dans six jours exactement, quand il y aura la réunion à Central City. Tu y seras, non ? Il n'y a aucune raison que les homonculus soient là-bas à ce moment-là. Enfin, bon, tu-
- Non mais JE RÊVES ?!
Il ne fallait pas qu'il prenne peur. Pas maintenant. Pas au moment où il redevenait lui-même. S'il continuait cette conversation, il allait peut-être retomber.
- Tu te fous de MA GUEULE ?! tonitrua Roy dans le combiné téléphonique. Tu te rends compte de ce que tu dis ? Est-ce que tu t'en RENDS COMPTE ?! Il faut que tu rentres chez toi, MAINTENANT ! Les choses ont assez duré, tu m'as assez menti, mené en bateau, embobiné, manipulé ; TU M'AS ASSEZ ENC-
Edward raccrocha, haletant presque dans sa cabine téléphonique.
Il sortit de l'habitacle, déboussolé. Ses jambes le soutenaient à peine.
Il regrettait déjà de lui avoir raccroché au nez, mais cette conversation ne pouvait mener nulle part ailleurs que dans d'autres insultes. Il ne pouvait pas non plus lui expliquer, sans le voir, qu'il savait théoriquement comment rentrer depuis plus d'un an mais qu'il n'avait jamais essayé de le faire, ni n'était prêt à se mettre à la pratique. Il admettait à peine sa fragilité à lui-même. Ce n'était pas pour l'avouer à d'autres. Il lui fallait plus de temps.
Mais, le temps, l'avait-il seulement ?
