C'est terrible et en même temps amusant. Je découvre que certaines personnes croient sincèrement qu'il y a une sorte de fédération galactique qui œuvre en secret avec les gouvernements terriens, et que des gens partent un an ou deux étudier dans d'autres galaxies avant de revenir, et vice versa...
Si vous voulez avoir une grande impression de déjà-vu, allez regarder l'enquête numéro 11 de Babor Lelefan sur Youtube (
Ils pensent être des extraterrestres réincarnés!)
Je reconnais que c'est tentant de croire que ce genre de chose puisse exister pour de vrai... Et je suis la première qui aimerait bien que ce soit le cas.
D'ici là, bonne lecture à tous !


« Madame, il y a un problème... »

La suite de la phrase de la servante se perdit dans un murmure.

Rorkalym, occupé à comparer un rapport mal rédigé avec l'original en possession d'un des assistants de Zil'reyn, regretta ne pas être capable de lire sur les lèvres. Il se passait quelque chose, il le sentait, mais impossible de dire quoi.

Rosanna s'éclipsa, précédée de la femme, et il en fut réduit à se perdre en conjectures – comme le reste du personnel présent à ce moment là dans la salle du trône.

Elle revint une trentaine de minutes plus tard, un pli soucieux barrant son front.

« Rorkalym, ta journée est finie. Ilinka a besoin de toi. Va la rejoindre, s'il te plaît. »
« Que se passe-t-il ? » s'enquit-il, inquiet de voir son pressentiment confirmé.

Toussotant, Rosanna se passa le doigt dans la paume. Il comprit et, s'inclinant, s'éloigna, seulement pour être bloqué à l'entrée par Jû'reyn qui arrivait.

« Où est-ce que tu vas, toi ? » grogna le mâle en le retenant d'une main sur l'épaule.

« J'ai des ordres de Sa Majesté, monsieur. » répondit-il, essayant de le contourner.

« Quel genre d'ordre ? » grinça le commandant, de mauvais poil.

« Les miens, et c'est tout ce qui compte, Jû'reyn ! » siffla Rosanna depuis l'autre côté de la pièce.

Rorkalym sentit le commandant consulter un officier de pont pour savoir de quoi il retournait.

« Madame, avec tout mon immense et absolu respect, vous êtes trop douce envers ces larves. Hum... Y compris la princesse. » osa le commandant avec une bravoure surprenante, tout en le repoussant dans la pièce.

En un instant, l'aura de l'artiste changea et l'endroit sembla perdre quelques degrés.

« Répétez ce que vous venez dire. » exigea-t-elle, d'un ton mortellement calme.

« Ma reine, votre tendresse pour la princesse la dessert. Elle doit s'endurcir si, un jour, on veut qu'elle puisse prendre votre place. » osa Jû'reyn.

Rosanna le fixa de longs instants, réfléchissant, puis elle opina du menton.

« Vous avez raison, Jû'reyn, mais j'ai une petite question pour vous. Quel est le serment d'un commandant ? »

Le wraith pâlit un peu et, fixant un point quelque part dans le vide, il rauqua.

« Servir et assister sa reine en toute chose. Être un soutien indéfectible pour elle, inébranlable et présent en chaque instant et en toute circonstance. »
« Bien ! Vous vous en souvenez. Et maintenant, plus dur. Zil'reyn est le commandant de qui ? » demanda-t-elle sur le ton d'une maîtresse qui interroge le cancre de la classe.
« De la grande régente Delleb, Madame. »
« Tout juste ! Et vous ? »
« Je suis à votre total et absolu service, Votre Majesté. » bafouilla-t-il, s'inclinant bien bas.

« Exact. D'ailleurs, en signalant vos inquiétudes quant à ma tendresse envers ma fille, vous faites votre travail. Mais j'ai une dernière question pour vous : au service de qui est censé entrer Rorkalym une fois sa formation terminée ? »
« De la princesse Ilinka, Madame. »

« Nous sommes d'accord. Alors expliquez-moi pour quelle raison il ne devrait pas déjà être à ses côtés à la soutenir alors qu'elle en a besoin ?! » cracha-t-elle brutalement, faisant sursauter quelques personnes.

Le silence retomba sur la salle du trône.
« Je... je n'ai pas de réponse, Votre Sublime Majesté. Veuillez me pardonner. »
« Tout est réglé, donc. Que tout le monde reprenne son travail. Et toi, qu'est-ce que tu fais encore ici ? » conclut-elle, lui faisant les gros yeux.
Acquiesçant, Rory partit en courant.

.

Le garde devant la porte tenta de lui interdire d'entrer, mais Ilinka pouvait bien ordonner tout ce qu'elle voulait, la volonté de Rosanna restait -pour l'instant- ultime à bord de la ruche.

Le guerrier le laissa donc passer, et il ne tarda pas à trouver son amie en larmes, roulée en boule derrière son lit, un Markus dépassé assis à côté d'elle.

Le traqueur lui jeta un regard suppliant, alors qu'il s'approchait.

« Salut... Ta mère m'a dit que ça n'allait pas fort. » lança-t-il, n'obtenant pour toute réponse que quelques sanglots hystériques.

Il tendit son esprit vers celui de Markus.

« Qu'est ce-qu'il se passe exactement ? » demanda-t-il télépathiquement.

« Un de ses schiitars s'est ouvert cette nuit et maintenant, elle est persuadée qu'elle va se transformer en machine à tuer... » soupira le guerrier, laissant transparaître toute sa perplexité.

Non seulement Makus ne parvenait pas à imaginer Ilinka en monstre assoiffé de sang, ce que lui non plus ne pouvait concevoir, mais en plus, il ne voyait pas où était le problème à tuer pour assurer sa propre survie.

Rorkalym opina, et s'assit de l'autre côté de son amie qui sanglotait toujours, entourée d'une petite pile de mouchoirs humides.

« Hé, tu veux en parler ? » demanda-t-il à l'adolescente, qui hocha négativement la tête tout en reniflant.
Il devina sa réticence à s'exprimer face à son père, qui ne comprenait pas. Pinçant les lèvres, il se tourna vers le traqueur.

« Markus, pourriez-vous aller nous chercher du thé ? » demanda-t-il.

Avec trop d'empressement, Markus bondit sur ses pieds, et partit.
Une fois resté seul, il s'assit un peu plus confortablement, calant bien son dos contre le montant du lit, puis écarta les bras en signe d'invitation.

« Allez, viens là, tu as besoin d'un gros câlin. »

Avec une docilité pitoyable, Ilinka obéit, et il la serra dans ses bras, la berçant doucement, alors qu'elle pleurait tout son désespoir.

Finalement, ses larmes se tarirent et, s'essuyant le nez avec un petit hoquet, elle s'excusa.

« Ça va mieux ? » demanda-t-il, ignorant ses excuses.

« Pas vraiment, mais je suis vidée... » marmonna-t-elle, récupérant à tâtons un mouchoir pas tout à fait imbibé pour s'y moucher.

Il la laissa faire, avant de la réinstaller contre son torse, continuant à la bercer doucement.

« Je suis pitoyable, hein ? » demanda-t-elle après un moment, sa voix à peine plus qu'un mince filet.
« Non, pas du tout. Ta plus grande peur est de faire du mal aux autres. C'est... admirable. »
Elle pouffa.

« Admirable, mon cul... Je suis la seule que ça a l'air de déranger... »

Rorkalym réfléchit un moment.
« Je ne crois pas que tu sois la seule, mais tu es la seule à avoir le courage de l'exprimer. »

« Chialer par terre, c'est pas du courage ! » ricana-t-elle avec tristesse.

Il soupira puis, la poussant un peu, la força à se retourner à moitié pour le regarder.

« Ilinka, tu es une wraith qui ose être gentille, douce et compatissante. Tu as le courage de t'indigner face à des injustices que personne ne songe à relever. Tu te bats pour les résoudre. Tu refuses d'écouter tous ces vieux croûtons qui te disent que pour être respectable, tu dois être froide, et cruelle, et cynique. Tu refuses de plier face à Delleb ! Je n'ose même pas tenir tête à Jû'reyn, qui est juste une panosse servile (1) ! Tu es la personne la plus brave que je connaisse. »
« Tu le penses vraiment ? » lui demanda-t-elle avec une petite mine minable.

« Bien sûr ! »
« Pourtant, j'ai pas l'impression d'être forte, ou quoi que ce soit... » marmonna-t-elle, se réinstallant contre lui.

Il sourit.

« Pas besoin que tu en aies l'impression pour l'être. Ce n'est pas comment on se sent, mais ce que l'on fait qui détermine qui nous sommes... »
Reniflant, Ilinka tendit sa main gauche, afin qu'ils puissent tous les deux bien voir la fente qui en barrait la paume, laissant deviner quelques tentacules dorés cachés au fond.

« Donc, ce que tu dis, c'est que tant que je ne tue personne, peu importe que je me sente comme le pire des monstres, car je n'en suis pas un ? »
« C'est ça. » opina-t-il.

Elle pouffa, sans joie.
« Ben, de le savoir, je m'en sens pas mieux... »

Il haussa les épaules.

« Y a que le gauche qui s'est ouvert ? » demanda-t-il.

Elle hocha la tête. « Pourquoi ? »

« Tu sais ce qu'on dit ? » poursuivit-il.

Elle secoua négativement la tête. Il tendit sa main droite devant eux.

« La droite pour tuer... (Il tendit sa main gauche.) La gauche pour sauver. Depuis toujours, les wraiths utilisent la main droite pour prendre des vies, et la gauche pour en offrir, et toi, c'est celui-là qui s'est ouvert en premier. Fais-en ce que tu veux, mais je crois que c'est un signe. » expliqua-t-il.

« C'est un signe, tu penses ? »
« Pourquoi pas ? Un petit... coup de main... du destin ? » suggéra-t-il.

Sa mauvais blague fit rire son amie.

« J'espère que tu as raison. » nota-t-elle, se mouchant encore, cette fois d'une manière bien moins humide. « Dis donc, il en met du temps, mon père... » ajouta-t-elle.

Rory opina, se gardant bien de signaler que le traqueur attendait derrière la porte avec son plateau de thé fumant, depuis longtemps déjà.

« Je suis sûr qu'il va bientôt revenir... »

.

« Alors ? » s'enquit l'artiste.

Le scientifique effleura encore une fois ou deux le schiitar d'Ilinka de sa sonde métallique avant de se redresser.

« Rien d'inquiétant, Madame. Il arrive qu'il y ait plusieurs centaines de cycles de décalage entre l'ouverture des deux schiitars. Celui de la princesse s'est ouvert i peine trente cycles. D'ici à la maturation complète du second, il est inutile d'opérer la transition sur une alimentation énergétique. Toutefois, si je puis me permettre, Majesté, je recommanderais qu'elle commence déjà à s'entraîner à sentir la circulation de l'énergie vitale. Cela lui facilitera d'autant l'apprentissage du don. »
« En effet. Merci, Boraelyn. Je ne vous retiens pas plus longtemps. »
« A votre service, Madame Gady. » salua le scientifique en s'éclipsant.

L'artiste se tourna vers sa fille.

« Ça te rassure ? »
La jeune wraith opina.

« Tant mieux. Allez file, j'ai encore deux-trois choses à régler ici. »

Ne se faisant pas prier, l'adolescente partit.

Une fois qu'elle fut sortie, Rosanna se retourna vers le second scientifique qui attendait docilement son tour.

« Silmalyn, à propos de votre traitement expérimental... »
« Madame, il y a plus important, nous le comprenons tous. »
Elle eut un faible sourire.

« Merci. »
« A votre service, ma reine. »

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« Oulà, tu en fais une tête ! Mal dormi ? » s'enquit sa mère alors que, baillant à s'en décrocher la mâchoire, Ilinka la rejoignait à table.

« Oui, j'ai pas arrêté de faire un horrible cauchemar. Tu sais, de ceux qui te réveillent et que tu arrives pas à t'enlever de la tête qu'ils sont réels ? »

« Oouf, oui, je vois. » compatit-elle « Tu as rêvé de quoi ? »
Ilinka jeta un regard à sa mère, qui bien qu'occupée à étaler de la confiture sur son pain, semblait étrangement tendue.

« Je sais pas trop, y avait... des têtes coupées... des tas de têtes coupées de wraiths dans les mains de... je crois que c'était une gigantesque statue... Et leur sang coulait, et ça faisait comme une flaque à ses pieds... C'était horrible... » frissonna-t-elle, accueillant avec joie la servante qui, dans un froissement de toile, s'approchait.

« Excusez-moi, Votre Majesté, mais la grande régente exige de vous voir immédiatement. »
L'artiste fit la moue puis soupira, reposant sa tartine.

« J'arrive, dites-lui de patienter. »

La servante s'inclina et repartit comme elle était venue.

« Maman, il se passe quelque chose ? » s'enquit Ilinka, à qui la tension des épaules de l'artiste n'avait pas échappé.

« Probablement, mais tu ne dois pas t'inquiéter, je ne crois pas que ce soit mauvais. » répondit cette dernière en se levant, ramassant son vieux sac de cuir tout usé qu'elle avait incongrûment posé à ses pieds.

« Maman ! Tu peux me dire ce qu'il se passe ? » lança la jeune wraith alors que l'artiste s'éloignait déjà.

Cette dernière se retourna, lui offrant une petite grimace et un haussement d'épaules.

« Finis ton petit déjeuner, ma chérie. Je te dis dès que j'en sais plus. »

« OK. » acquiesça-t-elle à contrecœur, mordant sans entrain dans la tartine abandonnée par sa mère.

.

« Rosanna Gady, vous voilà enfin ! »
« J'en déduis que vous avez eu une vision ou je ne sais pas quoi de la Grande Mère. » soupira l'artiste, alors que la reine antique la poussait dans une alcôve vide du couloir comme si elles étaient deux simples guerriers complotant dans leur coin.

« Comment le savez-vous ? » grinça Delleb.

Fouillant dans son sac, l'artiste en sortit un carnet de croquis qu'elle ouvrit à la dernière page utilisée, où s'étalait le crayonné d'une plaine parsemée de centaines de menhirs entre lesquels se glissaient de petites silhouettes grises.

« J'ai fait ça cette nuit. Je ne me souviens pas l'avoir réalisé. » nota-t-elle alors que la reine lui arrachait le carnet des mains pour le voir.
« Elle vous convoque aussi... » siffla l'ancienne reine.

« J'avais deviné, et Ilinka également. Cette nuit, elle a rêvé de la statue et des têtes des sacrifiés... »

Delleb rauqua.

« Je n'ai jamais entendu parler d'une reine initiée avant d'avoir maîtrisé la transe de reproduction, mais je suppose que dans notre cas, la coutume n'est plus une référence... »
L'humaine se contenta d'un haussement d'épaules neutre.

« Allons-y, alors ! » statua la régente, en s'élançant dans le couloir.

L'artiste la retint par le bras.

« Pas si vite ! On ne va nulle part avant de s'être assurées que peu importe qu'on soit loin une heure ou un mois, les choses sont entre de bonnes mains ici... et accessoirement, je sais pas vous, mais moi, je n'ai pas envie que certaines personnes non invitées et trop curieuses n'aient l'idée de nous suivre... »
Avec un grincement, Delleb acquiesça à contrecœur.

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« Que toi, tu y ailles, c'est une chose, mais pas Ilinka ! » siffla Markus.

« Calme-toi, je te promets qu'elle ne risque rien. »
« Alors laisse-moi venir avec vous pour m'en assurer ! »
« Non. Je te l'ai déjà dit, tu ne peux pas venir, ni Zil'reyn, ni personne d'autre. »
« Pourquoi ?! » grinça-t-il, furieux et inquiet.
Son humaine soupira.

« Je ne peux pas te le dire, tu le sais. »
« Pourquoi ? »

Plus une bravade qu'une vraie question.

Sa femme se dressa sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue.

« Je suis désolée. Ne fais pas de bêtise, je t'en supplie. »
« Je ne ferai rien, tu le sais. » maugréa-t-il, croisant les bras.

« Merci. » acquiesça-t-elle, effleurant sa joue une dernière fois avant de le laisser au pied du petit transport qui les avaient amenés à la Porte des étoiles.

Le cœur lourd, il regarda sa femme et sa fille suivre la reine millénaire au travers du vortex interdit.

« Les reines ont des secrets qu'elle ne peuvent partager... » nota philosophiquement Zil'reyn – qui les avait également accompagnés.

Markus lutta un moment contre l'envie de faire du mal au pilote, juste pour le plaisir de faire souffrir quelqu'un. Puis, sa pulsion vaincue, il retourna à bord du vaisseau. Rester là à fixer la Porte ne servirait à rien.


(1) Panosse : terme suisse romand pour une serpillière.