Intellectuellement, Regulus avait su depuis longtemps que ses parents mourraient un jour – depuis qu'il avait appris combien les pratiques magiques propres à leur Noble et Très Ancienne Maison impactaient la santé au point que les plus versés dans leur tradition ne vivaient guère plus que les moldus, à peine sept décennies quand la moyenne sorcière pour ce qui était de mourir de vieillesse se situait aux alentours de cent quinze ans.

C'était une réalité qu'il avait été contrainte d'affronter lorsque son père avait sacrifié sa vie pour que lui et Bethany puissent fuir en sécurité. Une réalité qui avait contribué à sa sottise, comme sa famille continuait de qualifier l'aventure dans la caverne en bord de mer – parce que, soudainement, comment accepter l'absence d'Orion Black après une vie passée sous l'égide de l'homme ?

Une question à laquelle lui et Mère avaient lutté pour trouver une réponse. Mais là où Regulus s'était vu rappeler sans ménagement qu'il avait d'autres obligations que celle d'être le fils d'Orion Black, Walburga s'était recroquevillée sur elle-même, se réfugiant au 12 square Grimmaurd à la manière d'un bernard-l'hermite terré dans sa coquille, et ce n'était que grâce à des rapports réguliers de Kreattur que la famille savait comment elle allait.

Regulus lui avait envoyé des lettres et des photos des enfants quand il pouvait. Il ne savait pas ce qu'elle en faisait, mais il aimait croire qu'elle lisait les nouvelles de leur existence tranquille sur la Côte d'Azur, et qu'elle était heureuse de les savoir vivants, robustes et profitant de ce qu'ils avaient à leur disposition.

Il faisait de son mieux pour ignorer le pincement amer qui lui murmurait que Cassiopeia et Arcturus avaient bien davantage à faire que Walburga et visitaient quand même la villa de tante Lulu, pour admirer les jumeaux et Riri en personne – les petits adoraient Lucretia et Melania, ils auraient aimé Walburga si elle avait accepté de les rencontrer en vrai, de leur montrer le visage de leur grand-mère paternelle…

Elle n'était jamais venue. Regulus l'excusait – d'abord, elle devait faire son deuil d'Orion, puis Sirius avait décidé de perdre la tête et de finir expédié à Azkaban et malgré leur querelle et le reniement ayant suivi, pareil sort choquerait forcément la mère du condamné, et puis la santé de Walburga avait commencé à décliner et il était plus logique, plus pratique qu'elle se fatigue le moins possible, qu'elle se ménage dans ses dernières années.

Les Black n'aimaient pas trop reconnaître les afflictions qui frappaient régulièrement leur lignée. La folie meurtrière était un peu trop explosive pour pouvoir être cachée, l'espérance de vie réduite tendait à soulever des rumeurs de malédiction dans les cercles de la bonne société, mais s'il existait bien un secret que le clan cherchait désespérément à enfouir le plus loin qu'ils pourraient de la lumière du jour, c'était l'arrivée de la démence précoce.

Le public sorcier du Royaume Uni croyait que Pollux Black s'était retiré de sa carrière politique au Ministère afin de préserver ses artères. En vérité, l'homme avait bel et bien démissionné pour raisons de santé, mais pas pour éviter un anévrisme ou une crise cardiaque. Non, c'était qu'il commençait à ne plus retrouver ses mots en dépit d'avoir été un orateur des plus éloquents, qu'il s'égarait dans sa propre maison, que s'habiller le matin et rester propre devenait une épreuve de plus en plus insurmontable chaque jour.

Pollux Black se trouvait à présent sous la tutelle de son épouse Druella, assistée par leurs elfes de maison. Il n'arrivait même plus à la reconnaître, et réagissait aux visites de sa plus jeune fille Narcissa comme si celle-ci était une cambrioleuse à deux doigts de lui couper la gorge pour garder le secret sur sa venue.

Regulus n'avait jamais débordé d'affection à l'endroit de son oncle, mais personne ne méritait de finir une ruine bavante et catatonique qui poussait des piaulements terrifiés lorsque sa routine subissait le moindre changement. Si jamais il se mettait à manifester des signes alarmistes après avoir atteint l'âge mûr, il risquait de commettre un acte aussi drastique que sa sottise – mais cette fois, il prendrait délibérément des mesures pour ne pas en réchapper.

Lorsque Kreattur avait noté que sa chère maîtresse manifestait de la confusion de plus en plus régulièrement et en avait prévenu Arcturus, le patriarche avait su ce qui allait arriver et avait pris la peine de se déplacer en personne pour discuter de l'inévitable dénouement avec Regulus, l'enfant encore en liberté de l'affligée et donc celui qui serait irréparablement accablé.

Le jeune homme avait envisagé – timidement, la peur lui rongeant les tripes parce qu'il savait ce qui était arrivé à Pollux, il avait vu la dégradation de son oncle, mais là ce n'était plus son oncle, non, c'était bien pire – de visiter le 12 square Grimmaurd, et une fois n'est pas coutume, Arcturus avait été presque doux dans son refus de le permettre.

Tu ne veux pas la voir dans cet état. La femme qui aime les chiens, la mère stricte qui vous a élevés toi et ton frère, voilà de qui tu dois te souvenir. Pas sa déchéance avant la fin.

Regulus avait obéi. Il ne savait pas si c'était du soulagement ou de la lâcheté qu'il ressentait le plus en face de l'interdiction. Peut-être un mélange des deux.

Ce fut vers la fin de septembre 1985 – une journée radieuse parce que la Côte d'Azur se moquait éperdument des saisons et s'entendait à rester au beau fixe – que la lettre du patriarche arriva. Pour une fois sans les fioritures habituelles à l'homme qui aimait ses titres ronflants et les formules de politesses surannées, mais cela ne parvenait qu'à accentuer la cruelle teneur du message.

Il me faut malheureusement annoncer la mort de Walburga Black, qui nous a quittés cette nuit dans son sommeil. Ayant été informé le premier de l'événement par son elfe, je me chargerais des démarches administratives indispensables et te recontacterais dès que j'en aurais l'opportunité.

Regulus ne pleura pas. Il savait que cela arriverait, après tout. Et puis, dans un sens – horrible, atroce, il ne devrait même pas entretenir des idées pareilles – c'était mieux pour Mère de mourir maintenant, avant qu'elle ne perde entièrement la boule et rejoigne Pollux dans la décrépitude abjecte. Avant qu'elle n'ait passé trop de temps à diminuer, à perdre de vue la femme qu'elle était pour régresser à un état catatonique.

(quelle espèce de fils pense des monstruosités pareilles, tu devrais avoir honte de toi, Reggie, peut-être que tu aurais dû aller jusqu'au bout de ta sottise finalement)

Il avait reçu la lettre depuis une heure quand Bethany se décida à le rejoindre dans le salon du deuxième étage.

« Ben alors ? Tu as trouvé un nouveau manuel d'histoire dans lequel plonger ? » demanda-elle d'un ton badin, presque indulgent.

Il lui tendit le parchemin. Les yeux bruns parcoururent rapidement le feuillet avant de se focaliser à nouveau sur le jeune homme et le visage de Bethany se chiffonna dans une expression de pur désarroi.

« Oh, Reggie » souffla-t-elle, « je suis vraiment désolée. »

Regulus battit des paupières. Au fond de lui-même, il goûtait l'ironie de la situation, lui qui demeurait impassible tandis que la belle-fille honnie semblait à deux doigts de verser des larmes.

« Je croyais que tu la détestais » rappela-t-il doucement.

« Franchement, elle l'avait cherché après avoir voulu m'arracher les yeux » admit la jeune femme blonde. « Mais c'est – c'était ta maman, alors… c'est dur, voilà. »

Dur ? Regulus ne se sentait pas exactement éprouvé de chagrin. Étrangement détaché, un peu comme au temps où il figurait dans les rangs du Seigneur des Ténèbres, entendait ou voyait quelque chose et réalisait que non, il ne voulait pas être là en fin de compte.

Froidement, il songea qu'il faudrait acheter des habits noirs aux enfants pour les funérailles de leur grand-mère – et que ce serait la première fois depuis les premiers mois de leurs jeunes vies qu'ils retourneraient en Grande-Bretagne.

Vous parliez d'une occasion.