Très franchement, retourner en Angleterre non pour une occasion festive comme un anniversaire ou pour présenter les enfants au pays qui les avait vu naître mais pour le sinistre devoir d'assister à un enterrement, il y avait de quoi juger la chose sinistre.

Mais ce n'était pas comme si Regulus pouvait se dérober à la tâche – Walburga était sa mère, pour l'amour du Ciel, sa mère qu'il n'avait pas vu en personne depuis des années. Il méritait de lui dire au revoir dans les formes.

Et puis, pratiquement tous les Black encore vivants et en liberté viendraient aux funérailles. Oui, même tante Lulu qui avait décidé de faire foin de sa santé délicate, ce n'était que pour quelques jours et tu devrais le savoir, mon canard en sucre, toute cette jeunesse énergique sous mon toit m'a bien requinquée, je me sens trente ans de moins !

C'était vrai que l'ancienne épouse de diplomate s'était plongée dans la préparation des bagages avec un tourbillon d'enthousiasme et d'efficacité trahissant plusieurs décennies d'expérience, à se déplacer d'ambassade en ambassade, il était inévitable qu'elle contracte des habitudes et elle expliquait jovialement sa méthode à quiconque voulait l'entendre – principalement Tally et Riri parce que c'étaient deux petits amours trop dociles pour leur propre bien. Enfin, surtout Riri, Tally avait ses moments d'impétuosité dans le plus pur style Black.

Les petits… et bien, il avait fallu leur expliquer le déplacement. Que la maman de leur papa était morte – et Bethany se sentait coupablement reconnaissante au pigeon mort déniché par Terry pour avoir provoqué cette discussion sur la fin de l'existence, devoir expliquer la mort à des bambins de cinq et quatre ans pile avant la mise en terre de Mamie aurait été le summum de la gêne atroce – et à cause de ça, la famille allait se réunir en Angleterre, dans l'ancienne maison de la maman de Papa, et il faudrait que les enfants se tiennent bien sage, et surtout qu'ils soient très gentils avec Papa qui était très triste et qui avait besoin de plein d'amour.

« Parce que sa maman est morte » répéta Terry d'un ton grave.

« Est-ce que Maman va mourir aussi ? » interrogea Tally tout-à-trac, la voix vacillante et incertaine tandis qu'elle se retrouvait face à la réalité que les mamans pouvaient mourir, qu'un jour sa maman ne serait pas là et il n'y aurait rien à faire pour l'empêcher.

Entendant cette abominable possibilité, Riri éclata en sanglots bruyants et très chargés de morve, se cramponnant au cou de Bethany assez vigoureusement pour causer cette mort qui l'horrifiait à ce point par étranglement accidentel, et la jeune femme blonde fut bien obligée de consoler trois gamins en proie à d'inévitables affres existentielles.

Elle ne leur promit pas l'éternité, parce qu'elle n'avait pas l'immortalité à sa disposition – au sein de la race humaine, il était fort probable que Nicolas Flamel fusse seul à jouir de ce privilège, ayant autant d'élixir de longue vie qu'il pouvait en boire. Mais elle leur promit de rester aussi longtemps qu'elle le pourrait, et ce serait vraiment, vraiment très long.

Certainement plus long que les années dont disposait encore Reggie. Bethany s'était familiarisée avec les statistiques concernant la longévité de sa belle-famille, et les chiffres ne mentaient pas, il descendrait dans la tombe bien avant elle. Son hérédité était trop ruinée par la consanguinité et la corrosion inhérente à la magie noire pour qu'il en finisse autrement.

Ce n'était pas un jour que Bethany voulait voir arriver, même au début de leur mariage, quand ils n'étaient encore que deux quasi-inconnus forcés de cohabiter par une grossesse imprévue. Mais c'était un jour qui viendrait inévitablement, alors elle devrait probablement voir les funérailles de Walburga comme une forme d'entraînement, un moyen de se préparer au veuvage. L'occasion de regarder la mort dans les yeux et de se détendre vis-à-vis d'elle, avant d'avoir à l'accueillir dans sa propre maison.

Alors elle suivrait les règles point par point, elle s'habillerait modestement en noir, elle resterait assise à côté de son mari pendant la cérémonie à l'église, elle présenterait ses condoléances à la famille Black en dépit de ne pas estimer la perte de Walburga Black une grande tragédie – peut-être l'excuseraient-ils s'ils savaient le tréfonds de sa pensée, après tout les belle-mères ne s'entendaient jamais avec leurs brus à moins d'un véritable miracle – et elle poserait des fleurs sur le cercueil avant la mise en terre.

Oh, et après ce programme follement réjouissant, pourquoi ne pas remonter le moral de sa petite famille en allant rendre visite à tante Amélia et oncle Benjy ? Certainement ils seraient ravis, malgré les circonstances de la venue, et cinq ans d'exil dans les Alpes Maritimes, ça suffirait pour que tante Amélia s'abstienne de réclamer l'arrestation de Regulus dès qu'il poserait un pied sur le sol anglais.

Bon, c'était une blague de mauvais goût, la mention d'une arrestation, surtout quand la personne concernée était plongée dans les affres du deuil. Mais impossible de nier que le climat politique britannique s'était calmé nettement, comparé à la frénésie bousculant les foules dans la chute immédiate du Seigneur des Ténèbres, permettant à Millicent Bagnold de profiter d'un mandat plus serein et agréable que ceux de ses deux prédécesseurs immédiats. Avec la communauté sorcière britannique désireuse de laisser tant de mauvais souvenirs dans les ombres du passé pour profiter d'un présent radieux, Regulus serait libre de se promener sur le Chemin de Traverse sans se faire chercher des poux dans la tête pour ses liens de parenté avec des terroristes.

Bethany se sentait l'opinion optimiste, mais elle savait qu'il fallait constamment se préparer à une averse imprévue lors du pique-nique, alors le Chemin de Traverse ne figurerait pas dans l'itinéraire de relaxation. À la place, tante Lulu pouvait être consultée en matière de maisons de campagne ou balades en forêt – mais ne viendrait probablement pas, déjà qu'elle se traînerait de l'autre côté de la Manche, effectuer davantage de déplacements qu'un simple aller-retour du square Grimmaurd à la villa de Nice contraindrait la famille Black à l'enterrer juste à côté de Walburga. Et là, les enfants seraient proprement inconsolables, bien davantage que pour le décès d'une grand-mère jamais vue, qui n'envoyait jamais de cartes pour Noël ou Pâques, car les petits vivaient chez Lucretia Black et la côtoyaient à longueur de journée.

Misère, maintenant la jeune femme blonde ne pouvait pas réprimer l'image sinistre de tante Lulu avachie dans un fauteuil, le regard perdu dans le néant, son âme égarée dans ces régions inconnues du vivant et qui ne pourront jamais être explorées par quiconque disposait encore d'un souffle vital. Par pitié, que ce soit Casimir qui fasse la macabre découverte plutôt que l'un des enfants lorsque le moment surviendrait, tout comme Walburga avait été découverte roide dans son lit par son propre elfe.

Pauvre créature, d'ailleurs, monter le petit-déjeuner à sa maîtresse seulement pour devoir alerter le patriarche Black d'un décès dans la maison. Qu'allait devenir cet elfe ? Bethany pensait avoir entendu Reggie le mentionner à deux ou trois reprises, sur un ton assez affectueux, alors peut-être voudrait-il lui offrir la possibilité de les accompagner sur la Côte d'Azur ? Ce ne serait pas la jeune mère qui critiquerait l'acte de déménager dans un autre pays afin de fuir les miasmes de désespoir engendrés par la mort toute proche.

D'un autre côté, Casimir risquait de mal vivre l'intrusion d'un nouvel elfe dans son territoire qu'il bichonnait sans aide depuis des décennies, alors l'option devrait être discutée. Et c'était si l'elfe voulait échapper au rappel de sa maîtresse en quittant la demeure où il avait pris soin d'elle.

Décidément, quand il s'agissait de funérailles, c'était le défunt qui avait le rôle le plus facile. Aux vivants de souffrir et de prendre les grandes décisions.