A présent, la vie avait trouvé son rythme de croisière chez les Renoir-Dumas. Cela faisait maintenant plus de trois semaines qu'Antoine avait rejoint la maison et chacun avait pris ses petites habitudes. C'est comme si Antoine avait toujours été là.
Les enfants appréciaient d'avoir une présence à la maison quand ils rentraient des cours. Même Emma ! Il faut dire qu'entre une mère flic et un père toujours en voyage, ils étaient un peu livrés à eux-mêmes après les cours. Ils avaient bien eu une jeune fille au pair la première année mais cette dernière avait fini par rendre l'éponge. Trop débordée et exténuée par cette remuante fratrie. Depuis, Candice s'était arrangée pour que les enfants rentrent en bus ou soient ramenés par les parents de leurs camarades, pour les petits. Mais dorénavant, c'est la présence rassurante d'Antoine qui les accueillait chaque fin d'après-midi, quand il n'avait pas de soins.
Il ne l'avouerait à personne mais il s'arrangeait toujours pour faire venir Émilie, son infirmière, et sa kiné, le matin. Afin de pouvoir passer ce moment avec les enfants Renoir. Au début, il ne savait pas trop comment s'y prendre avec eux, il faut bien se l'avouer. Il côtoyait peu d'enfants au quotidien, et sa filleule était trop petite pour parler ou marcher. Alors quatre d'un coup ! Mais au fur-et-à-mesure, les choses s'étaient faites naturellement, sans se forcer. Jour après jour, les habitudes s'étaient prises et chacun avait trouvé sa place. Antoine attendait les enfants avec le goûter, rien de trop extravagant hein. Une fois, il avait voulu leur faire des gaufres, mais à la mine dégoutée des enfants, il avait bien compris que ses talents de cordon bleu étaient plus que limités. A présent, il sortait ce qu'il y avait dans les placards, souvent des sucreries… Et lui, qui avait une routine alimentaire stricte avant son accident, se laissait maintenant volontiers tenter par un Petit Écolier ou une tranche de Savane.
Tout en goûtant, les enfants lui racontaient leur journée. Ils appréciaient d'avoir une présence masculine à la maison. Ils avaient bien sûr leur père mais ce dernier était constamment en voyage ou ne les écoutait que d'une oreille. Là, les deux ados pouvaient échanger sur tous les sujets avec lui, notamment les garçons et les filles. Car ils étaient à un âge où ils se posaient beaucoup de questions, et ils n'avaient pas trop envie d'en parler à leur maman. Même Emma, pourtant l'archétype de l'ado dans toute sa splendeur, boudeuse, agressive et forte tête, s'était laissée prendre au jeu.
Un jeudi après-midi où les jumeaux étaient allés jouer avec Fun sur la terrasse et où Emma téléphonait à une copine, Jules tenta une approche vers Antoine.
« Euh Antoine… Je peux te demander un truc ? tenta maladroitement Jules.
- Bien sûr mon grand ! répondit Antoine se maudissant de parler comme un vieux schnok.
- Bah, c'est pas facile à dire…
- Je t'écoute, vas-y tranquille Jules. Et puis, si ce n'est pas le bon moment, tu peux m'en parler plus tard hein !
- Allez je me lance… Je me pose beaucoup de questions en ce moment sur moi, sur mes goûts. Est-ce que tu as toujours su que tu aimais les femmes ?
Wahou la bombe était lâchée ! Et une sacrée bombe ! Antoine n'avait que bac + 3 semaines avec les enfants, il n'était pas préparé à une telle question.
- Euh, tu ne voudrais pas parler de ça avec Candice plutôt ?
- Non non SURTOUT pas ! La dernière fois que je lui ai posé des questions à ce sujet, elle m'a prise dans ses bras toute émue et m'a collé devant un DVD appelé « Les ados et le sexe : plusieurs pistes de réflexions pour en discuter avec son ado ».
- Ha ha ! Désolé Jules, ça devait être la loose, mais avoue que c'est drôle ! Bon pas si drôle que ça… rétropédala Antoine sous l'air courroucé de Jules. Alors, oui, j'ai toujours été intéressé par les filles d'aussi loin que je me souvienne.
- Mais comment tu en as été sûr ?
- Bah, je ne sais pas … C'est quelque chose que je ressens… Pourquoi ?
- Dans ma classe, il y a une fille, Sophie, qui me plait beaucoup. Elle est mignonne, drôle et sympa. Mais il y a aussi Basile… Basile, c'est un garçon, mais il me fait aussi de l'effet.
- Et tu demandes comment et pourquoi ?
- Bah oui ! Jusqu'à maintenant, je n'ai eu que des amoureuses et là, un garçon me plait. Tu as déjà essayé avec un garçon toi ?
- Euh joker ! temporisa Antoine. Il se demandait comment répondre à Jules. Il ne voulait pas lui avouer que sa jeunesse austère avec des parents rigides, l'avait conduit à essayer tout un tas de choses. Profondément hétéro, il avait pourtant eu des nuits avec des hommes. Un ami pour essayer, et des plans avec des femmes ET des hommes.
Sauvé par le bruit de la porte d'entrée, la discussion fut interrompue par l'arrivée de Candice.
- Maman ? Mais qu'est-ce que tu fais déjà là ? s'écria Jules.
- Bonjour mon chéri, moi aussi je suis contente de te voir ! répondit Candice faussement vexée.
- Salut Candice, la salua Antoine. Ca va ?
- Bonjour Antoine ! J'interromps quelque chose ?
- Jules et moi discutions de l'école, de ses potes… On reprendra notre discussion à un autre moment, sans faute ! Je vais réfléchir à ma réponse Jules.
- Hum tant de mystère les garçons…
- Maman, lâche l'affaire ! rétorqua Jules en sortant de la pièce.
- Et ben ! Quel accueil ! répondit Candice stupéfaite.
- T'en fais pas, rien de grave. Je t'en parlerai sinon.
- Je suis ravie Antoine que les enfants te parlent. Mais à moi, ils ne me disent plus rien… se désola Candice.
- Candice, tu es leur maman. Tu crois, qu'ado je disais tout à ma mère ? JAMAIS DE LA VIE !
- T'essaie pas de me comparer à ta mère là, j'espère ! s'écria Candice.
- Haha ! Non, elle est incomparable t'en fais pas ! Bon, qu'est ce qui t'amène à la maison aussi tôt ? Un problème ?
- Mais je peux repartir au commissariat si ma présence surprend tout le monde hein !
- Mais non, reste avec nous ! C'est juste qu'on n'a pas l'habitude, répondit Antoine en souriant.
- Antoine, je piétine dans mon enquête de l'arracheur de yeux… Ca me prends la tête de ne rien trouver ! Rien ! Que des suppositions qui font chou blanc ! Alors, j'en ai eu marre et j'ai décidé de rentrer plus tôt.
- Tu as bien fait ! Tu as besoin qu'on te remonte le moral ! Crêpes et jeux de société ?
- Les mots magiques Antoine ! Fais attention, tu deviens un vrai Renoir, sourit Candice.
- Je suis à bonne école, répondit Antoine en faisant un clin d'œil à Candice. Les enfants ! Ce soir crêpes et jeux, ça vous dit ? héla Antoine dans l'escalier.
- OUIIIII ! fut le seul mot qu'ils entendirent.
- Mais je ne me coucherai pas trop tard, je suis exténuée… et toi tu as besoin de repos ! reprit Candice.
- Oui, oui commandante. » Antoine ne voulait pas dire à Candice que son épaule lui faisait mal. Il voulait qu'elle passe une belle soirée, elle en avait besoin et il lui devait bien ça. Il en parlerait à Émilie demain.
Tous les membres de la famille Renoir prirent leur rôle bien à cœur. Jules fit la pâte à crêpes avec Candice, Emma mis la table et sortit les confitures, et les jumeaux se demandaient combien de crêpes ils pourraient avaler en 1 minute. Antoine était lui chargé de choisir le jeu de société.
« Un Cluedo ça vous dit ? tenta Antoine ?
- Vous n'en avez pas marre de résoudre des enquêtes ? On n'est pas au commissariat là, maugréa Emma.
- Ok pas de Cluedo ! Hum Skyjo alors ?
- Va pour un Skyjo, répondit Candice depuis la cuisine. J'ai eu ma dose d'enquête pour ce soir ! »
Le repas se passa dans la bonne humeur. Au début, Jules eu un peu de mal à rentrer dedans mais, attendri par les remarques loufoques de ses petits frères, il se prit au jeu également. Antoine, se promit de donner à sa question une réponse franche et claire, le plus tôt possible. Il se rappelait trop bien de son adolescence, où dans sa grande demeure, il n'avait personne à qui s'ouvrir. Des parents trop guindés et des frères déjà partis faire leurs études. Alors, il serait pour Jules, l'ami, l'oreille attentive dont il aurait besoin !
« Lééééééééo, tu triches ! s'écria Emma. Tu ne peux pas faire une ligne de -1 !
- Ha j'avais pas vu le moins… Je croyais que c'était des 1 ! répliqua son frère.
- Elles ont vachement la même couleur les cartes, répliqua Emma.
- Les enfants, de toute façon, il est tard ! Il est l'heure d'aller au lit ! les interrompit Candice. Hop, les dents, pipi et bisous à Maman.
- On n'a plus 5 ans Maman, répondit Martin en haussant les yeux.
- Allez zooou ! »
Pendant que Candice débarrassait, Antoine rejoignit Jules dans sa chambre. Il toqua délicatement à sa porte pour savoir s'il pouvait entrer.
« Jules, c'est Antoine, je peux ?
- Oui, entre !
- J'ai bien réfléchi à notre discussion de tout à l'heure. Et ce que je peux te dire, c'est que chaque personne est différente et que chaque expérience l'est aussi. Trop longtemps, j'ai été enfermé dans des cases, et ça ne donne rien de bon. Alors si ton cœur tangue du côté de Sophie c'est cool, s'il tangue du côté de Basile, c'est cool aussi ! Toi seul peut le savoir. Et dis-toi, qu'avant d'être une fille et un garçon, ce sont avant tout des personnes. Et on tombe amoureux de l'autre pour ce qu'il est, pas pour ce qu'il représente. Alors, je vais basculer dans le cliché, mais laisse parler ton cœur ! Écoute toi et tu sauras !
- Merci Antoine ! J'aime bien parler avec toi. Pas un mot à Maman hein, je ne suis pas encore prêt…
- Je serai toujours là Jules, n'hésite pas ! Et allez maintenant au lit, sinon ta mère va me tuer ! sourit Antoine. Bonne nuit !
- Bonne nuit Antoine et à demain ! »
