Quelque chose me dit que tout ceci va très, très mal se finir...


Chapitre 394 : Inflammatum

"J'suis content. Personne n'a revu l'autre taré de la dernière fois !..."

Assurément, Floyd évoque Rollo. Je laisse passer un ange. Et le mien, bien que sa chevelure oscille entre le blanc et le gris, est loin d'être une créature pétrie de bonnes intentions, bien au contraire ! Rollo est abject. Et je le kiffe !...

"J'déteste les mecs qui planquent leurs véritables sentiments derrière un mouchoir, sérieux !..."

Hmm... petite murène est toujours aussi avisée, je note.


Son temps libre, Rollo le passe à compulser divers écrits lui enseignant davantage sur Wonderland et il élabore diverses stratégies pour faire tomber les grands sorciers et s'emparer de leur magie. C'est ce qu'il nomme "sa mission".

Notre relation, véritablement, sent le soufre. Et si cela venait à s'apprendre, nul doute que j'aurai Malleus sur le dos !... Des Leech, n'en parlons pas, cela serait irrémédiable.

Je m'en pince la lèvre. C'est chaud !... Je dois jouer serré.


Évidemment, il en est un à qui mes allées et venues n'ont guère échapper.

Il me file discrètement et s'aperçoit que je me rends régulièrement jusqu'au palais de justice où siège Rollo.

"Ce n'est sans doute pas pour engager des pourparlers que tu te rends chez lui, Princesse."

Il ne divulguera pas l'information mais s'interroge. Il a eu l'opportunité de côtoyer Rollo lorsqu'un petit groupe de Wonderland a été convié à visiter la Cité des Fleurs et Rook faisait partie du comité.

C'est sur le marché que Rook intercepte Rollo.

"Tiens. Un visage connu. Te serais-tu sottement égaré, Chasseur ?"

"C'est quelque chose qui m'arrive rarement. Pour ainsi dire jamais." attrapant une pomme pour y croquer à pleines dents. "Quelque chose me fascine depuis un moment. Et tu vas peut-être pouvoir éclairer ma lanterne. Léviathan... que vient-elle faire aussi régulièrement en ton palais ?"

"Tu as véritablement tout du cafard, Hunt." agacé, camouflant sa grimace derrière le mouchoir. "Je déteste les fouineurs."

"Ne botte pas en touche, Flamm."

Rollo soupire. "Elle vient... ahem... s'instruire."

Rook hausse le sourcil. "S'instruire, uh ?"

"Oui, s'instruire. Ma bibliothèque privée lui sied. Et je l'y enseigne lorsque je dispose d'un peu de temps libre."

Rook plisse les yeux. "Je n'en crois pas un mot."

"Faut-il que je t'autorise à assister à l'une de nos sessions pour que tu puisses rassurer ton anxiété ?" sans se démonter.

"Je ne remets évidemment pas en question le fait que tu sois un véritable puits de science, Flamm. Cependant je peine à croire que tu sois capable d'enseigner une créature aussi âgée que le monde. Qu'aurait-elle donc à apprendre auprès de toi ?"

"Cette opinion désavantageuse que tu tiens de moi me chagrine, Hunt." remplissant son panier à mesure de leur avancée.

"Aie au moins la décence de me présenter une excuse qui tienne la route, Flamm."

Le concerné stoppe son pas pour se tourner vers Hunt. "Vous avez eu une relation, elle et toi, n'est-ce pas ? Il m'a semblé comprendre qu'elle n'était pas totalement du goût du souverain que tu sers, Hunt."

"La menace, à présent ?"

"Je n'ai pas encore eu l'opportunité de saluer Vil Schoenheit. J'espère pouvoir le faire bientôt."


Rollo pose le panier plein sur la table en bois. Les victuailles sont aussitôt prélevées pour être conservées.

"Sire Flamm ? Vous êtes attendu dans vos appartements." lui signale un garde.

Petit sourire de Flamm. "Faites patienter, je vous prie. Je ne tarderai pas."


Il s'avance, quittant son étole qui sert de plastron, la passant par-dessus sa tête, dans des gestes de toute beauté. J'en ai déjà l'eau à la bouche !...

"J'ai croisé le Chasseur de Pomefiore tout à l'heure sur le marché."

"Tu fais... le marché ?"

Il hausse le sourcil. "Qu'y a-t-il de surprenant à cela ?"

"Tu te mêles à la foule ?..."

"Occulterais-tu volontairement l'information concernant le fait que nous soyons suivis et soupçonnés ?"

"Hunt n'en fera rien."

"Tu me sembles très sûre de ton fait."

"Je le suis ; il m'aime encore, Rollo."

"Comme c'est touchant." moqueur, quittant ses chaussures pour me rejoindre, en bas.

Sa silhouette longiligne est à s'en damner !...

"Et... vous avez parlé ?"

Il pose le genou sur le lit. "Quelques mots. Des menaces plutôt que des amabilités." s'y installant, paume remontant le long de ma jambe. "Il semble que nous soyons tous habités par la même flamme. Sans mauvais jeu de mots en ce qui me concerne. Une flamme éphémère et vacillante."

"Renoncerais-tu ?..." camouflant maladroitement mon trouble.

"Ce que la foi m'a enseigné pourrait être comparé à de la persévérance. Voire de l'opiniâtreté. Hunt te veut ? Qu'il vienne te cueillir dans ma main, dans ce cas."

"M'arracher de tes griffes serait une image plus juste."

"Tu peux user de la métaphore qui te paraîtra la plus appropriée. Je l'écraserai tel un vulgaire insecte s'il venait à se montrer trop envahissant. Il n'aura pas même le temps de demander asile à notre Sainte Mère l'Église." sur un sourire sadique, venant basculer la tête sur le haut de mes cuisses. "Pour l'exciter davantage j'aurai peut-être dû lui révéler que je te reçois pour la confession..." abaissant les paupières. "... t'écoutant t'épancher sur des vices d'un autre temps."

Je caresse ses cheveux clairs. "Tu ne manques jamais l'occasion de te mettre le monde à dos, pas vrai, Rollo ? C'est presque... un sport pour toi."

"Je ne fais qu'offrir à ce nuisible ce qu'il est venu réclamer."

J'attrape lentement sa main pour en admirer la beauté et la finesse extrême, majeur droit orné par cette bague au rubis taillé en losange, ses longs doigts effilés.

"A-t-elle une signification ?..."

"L'aîné de notre famille en hérite à chaque génération."

"Tu es donc l'aîné. Une fratrie ?"

Son visage se ferme dans un pli douloureux. "J'ai laissé toutes ces choses derrière moi." évasif.

"Hmm mmm." glissant mes doigts entre les siens.

Le contact lui arrache un sourire fugace.

"Tes parents sont-ils fiers de la réussite de leur aîné mâle ?..."

"S'ils savaient ce que je suis devenu..." sur un petit rire malheureux. "Et dans les bras de quelle créature mythique j'ai fini par me retrouver..."

"Tu regrettes ?"

"Une infime partie de moi, celle qui parvient encore à entrevoir le mince filet de lumière divine, oui."

"Assied-toi, Rollo, que je fasse taire ce rebelle murmure."

Il s'exécute. Je m'avance à genoux derrière lui, mains passant devant pour défaire les boutons dorés de sa tunique.

"Je vais tant te dévoyer, Rollo, que tu en oublieras jusqu'à ton catéchisme."

"Par la Vierge, Léviathan..." dodelinant de la tête.

Ma langue visite le pavillon de son oreille, descendant à l'arrière, dans le creux, puis la nuque.

Je lape, mordillant tantôt.

"... ne me penses-tu pas... suffisamment perdu ?..." sur un sourire audible, corps réagissant vertement à mes attentions.

"Peut mieux faire." descendant la main là où elle est attendue, le malaxant par-dessus la tunique une pièce.

"Beaucoup mieux." pressant sa paume sur ma main pour en renforcer la force, outrageusement érigé. "Bohémienne." cherchant ma nuque à l'aveugle, m'invitant à un baiser qui n'a véritablement rien de chaste, langue se disputant les faveurs de la mienne.

"Dis-moi, je suis curieuse : cela fait longtemps que tu disposes de ce penchant pour le sexe ?..."

"Depuis que le poil est venu recouvrir mon pubis. Pourquoi ?..."

"Quelle est ton histoire, Rollo ?..."

"Je pensais que nous étions là uniquement pour la communion charnelle ?"

"J'aime connaître l'histoire des hommes que j'invite en moi."

"C'est moi, l'inquisiteur, que tu passes à la questionnette ?..." amusé.

"Ta foi vacillante, je la connais à présent. Je veux savoir d'autres choses. Plus personnelles."

"Et tu penses que nous en discuterons par un beau matin après une nuit particulièrement mouvementée ?..."

"Je reste ouverte à toute proposition."

Il cesse soudain et m'attrape par la nuque. "Qui t'envoie ? Malleus ?" sur ses gardes.

"Ta main... je pourrai la broyer. Alors fais très attention." menaçante.

"Cet intérêt soudain pour mon passé... les prostituées que je culbute puis tue me semblent moins fouinardes que toi."

Poétique avec ça !...

"Et Dieu sait, Rollo, combien tu t'ennuyais une fois le rideau de leur existence tombé. Tu veux savoir pourquoi tu les trouvais aussi insipides - même si certaines pouvaient révéler un véritable talent ? Parce qu'elles... ne t'opposaient aucune résistance. Le rapport de force était inexistant."

"Lucide démone." retrouvant le sourire, libérant ma nuque.

"Maintenant, Rollo, retire ce que tu portes et baise-moi comme tu n'as jamais baisé aucune d'entre elles."

Il se lève, défaisant les deux ceintures en étoffes précieuses, attrapant la robe par le bas pour la passer par-dessus sa tête.

Torse nu. Et ce renflement !... Je n'y résiste pas et le prends en bouche, par-dessus le tissu tendu, le faisant geindre du fond de la gorge tant mon appétit et la sensation lui sont exquis.

Il lève le menton, yeux aux paupières papillonnantes tournés vers le plafond, égarant une main dans mes cheveux.

"Impie !..." égaré de bonheur, sourire audible.

Je le fais saillir pour l'admirer un moment avant d'oser le premier coup de langue, lent, le long de la jolie hampe en relief, lui arrachant un rauque marqué, abaissant le regard sur moi. "Gitane !..."

Je capte un instant son regard avant d'y retourner, plus hardiment, le prenant lentement en bouche.

Son ventre entier en contracte sous l'effet, sensations se faisant à point.

"HAAAAH ! Fille de... joie !..."

Mes lèvres serrées s'avancent sur lui. Il manque d'en défaillir, peu certain de ses appuis malgré l'exercice quotidien qu'il s'impose - celui de grimper les interminables marches du clocher pour entrer en communion avec la Bell of Salvation. Autant dire que ses mollets sont agréablement galbés et ses cuisses fermes.

Il en pulse entre mes lèvres et pousse un cri grogné au plafond lorsque ma langue arrive en renfort.

Il est loin ce temps où tu me dédaignais, n'est-ce pas, Rollo ?...

J'attrape ses hanches, l'avalant jusqu'à la garde.

"SO... SORCIÈRE !..." toujours en mode sourire audible.

Mes gourmandes allées et venues le conduisent droit au bonheur.


Mais il est un autre qui est loin d'avoir renoncé. Renoncer, d'ailleurs ne fait partie de son vocabulaire. Et ce démon millénaire possède plus d'un tour dans son sac !...

Pour Rollo, traitement spécial : lui apparaître dans sa forme la plus redoutable !... Pas de demi-mesure avec ce trouble-fête.

Tandis que l'archidiacre, dévoré par l'ambition de devenir ministre de sa cité, prie instamment devant le crucifix qui coiffe le chœur de la cathédrale, les lourdes portes battantes s'ouvrent soudain avec fracas sur une bourrasque d'une force phénoménale et surnaturelle.

"Prends-tu du bon temps, archidiacre Rollo Flamm ?" tonne une voix semblable à un déchirement de la voûte. "Profite de l'instant qui t'est imparti. Tu vas en avoir diablement besoin lorsqu'il n'en demeurera que des souvenirs."

Rollo est tétanisé et tremblant.

Soudain, une silhouette se découpe de la tempête et lui apparaît sous forme humaine.

Sebastian s'avance, nullement incommodé par tout ce raffut.

"Well, well. Auriez-vous quelque fantôme ?..." moqueur.

"Qui... êtes-vous ?"

"Les villageois m'ont dit que le poste de prêtre demeure vacant."

"..."

"Auriez-vous perdu votre langue ?... L'usage de la parole ?..."

Rollo secoue la tête. "Le poste demeure effectivement vacant mais je me dois d'étudier vos références. Disposez-vous de lettres de recommandation en bonne et due forme ?"

"Certainement."


"De ce que vous m'en dites et de ce que je lis, vos références me semblent fort acceptables."

"Merci."

"Je me propose de vous faire la visite de la cathédrale ainsi que celle du palais de justice où j'officie."

"Deux postes pour le même homme ? J'imagine que vous devez être très occupé."

"En effet. Mais je suis habitué à l'exigence de mes fonctions."

"Vous pourrez vous appuyer sur moi."

"Je ne délègue pas aisément. Il faut que vous fassiez vos preuves, Monsieur Michaelis."


J'admire les détails des vitrages à travers lesquels filtre la pale réverbération hivernale.

L'effet est de toute beauté.

Lorsque soudain, des claquements se rapprochent. Lentement. Réguliers. Dans ma direction.

J'en devine la nature lorsque je distingue ces cuissardes dont la chausse est montée sur talon ouvragé, extrémité recourbée vers le haut.

"T... toi ?!" me retournant vivement, surprise de le trouver en ce lieu saint.

Il est en train de s'amuser avec la croix de son rosaire, la faisant rouler autour de sa langue impie, m'envisageant d'un regard rougeoyant de désir, pupilles rétrécies.

Il laisse lentement glisser le crucifix hors de sa cavité buccale, pointes des canines parfaitement visibles à présent.

"Pensiez-vous que j'allais abandonner aussi aisément ?"

"Ne t'ai-je point dit que c'était terminé ?! Terminé ! Comprends-tu le sens de ce mot ?!"

Petit rire, croisant les bras. "Vous semblez furieusement convaincue d'y croire."

"Quelle audace !..." furibonde, serrant les poings.

"Vous êtes surprenante, je me dois de l'avouer. Je pensais vous trouver partout ailleurs que dans un saint édifice."

"Saint ?! Haha ! Laisse-moi rire !... Il est occupé par deux démons."

Il hausse le sourcil, presque vexé. "Evoqueriez-vous le dénommé Rollo Flamm ?"

"A ton avis ?"

"Il n'a de démoniaque que la pacotille." reniflant, ulcéré.

"Jaloux ?"

"D'un gamin ? Vous maniez fort bien l'humour. Mademoiselle." m'envisageant des pieds à la tête.

"Arr... Arrête !"

"Faites-moi cesser." toujours aussi provoquant.

"Si Rollo s'en aperçoit..." affolée.

"Il verrait votre véritable fond." narquois.

"Il en a déjà eu un aperçu." sur un sourire explicite.

"Il sait que vous êtes au service d'Hadès. Par contre, il ignore votre bon goût pour les démons. Et pour l'un d'entre eux en particulier."

"Il ignore surtout quelle créature vient de fouler le parvis de cette cathédrale !... Tu n'es plus sous contrat, démon ?"

Il soulève son gant sombre. "Si."

"Alors ? N'as-tu pas mieux à faire ?!"

"Que de vous tirer de ce mauvais pas ?"

"N'ai-je pas été cl... CESSE !"

Derrière nous, on tape des mains. "Allons, allons !... Quel est ce raffut ?"

Je lance un regard assassin à Sebastian tandis que Rollo s'avance vers nous.

Ce dernier fait disparaître ses cuissardes pour de plus humbles chausses.

"Puis-je savoir quel différend vous oppose ?" s'enquiert Rollo.

Je secoue la tête. "Je faisais remarquer à ta nouvelle recrue que tu sais très mal t'entourer."

Rollo hausse le sourcil - "Plaît-il ?"

"Nevermind." les plantant là, l'un l'autre.

"Qu'a-t-elle ?..." complètement perdu.

"Ses humeurs." ponctue Sebastian, laconique.


"Démon. Je te hais." grogné.

Il apparaît derrière moi, commençant à regagner sa forme originelle. "Je vais faire tomber cet édifice. Et précipiter votre cher archidiacre dans les flammes. Etes-vous prête à contempler ce spectacle ?..."

"JE T'INTERDIS !" tapant des paumes sur la table en bois, la faisant presque céder.

Il rit, puissant tel un tonnerre grondant. "Empêchez mon action dans ce cas. Venez. Je n'attends que vous."

Je lui dirai bien d'aller au diable... seulement voilà...

Il finit par prendre forme et s'installe à son aise sur mon lit. "Vous... avez donc quelques sentiments pour cet archidiacre à la déroute ?..."

"Sentiments ? Il faut le dire vite !... C'est un jouet plaisant. Tout comme l'est ton petit Comte. Nous avons le même but, Michaelis : tuer le temps. Leurs années demeurent des secondes à l'échelle de notre éternité."

Il pose le menton dans sa paume, m'envisageant, tête légèrement penchée, appréciant ce que voient ses yeux millénaires. "Je vous laisse à votre amusement, dans ce cas. Lorsque vous vous serez lassée, vous saurez où me trouver."

Petit sourire de ma part. "Je n'y manquerai point, Samaël." usant de son véritable nom.


Rollo s'installe sur cet humble tabouret, chef posé sur ses cuisses.

A ma vue, son corps et son cœur s'emballent. Son vœu de chasteté s'embrase et vacille jusqu'à disparaître en volutes reniées.

J'aime le trouble que j'insuffle en lui. Lui si persévérant. Lui si intransigeant.