Mais mon pauvre Near, qu'est-ce que tu connais du monde réel ?
Mello était assis sur la butte où les fleurs sauvages, coquelicots et belles-des-champs, se balançaient, bercées par le vent. Les nuages filaient, pressés, dans le ciel bleu, et les oiseaux lançaient des notes courtes et aigues, comme des avertissements. Le vent était fort, tant et si bien qu'il faisait frais pour une après-midi de juillet. Mello était assis de dos. Il ne semblait rien faire de particulier. Son regard était tourné vers la forêt, là où la prairie descendait en dénivelé doux, puis raide d'un coup, jusqu'à la lisière du bois. Depuis la fenêtre d'où Near le regardait, il pouvait imaginer quelques-unes des idées qui devaient le traverser. « Et si je partais pour de bon ? Si je me soustrayais à la concurrence absurde, à la pression interminable, à la nécessité de me prouver, si je me soustrayais à cette vie que je n'ai pas choisie ? Il suffirait de le décider. ».
La silhouette de Mello était une petite forme vêtue de noire, aux cheveux blonds et mi-longs, assise en tailleur. De cette hauteur, et dans la grandeur de la prairie, il paraissait à la fois vulnérable et paisible. Near se surprit à penser qu'il avait l'air d'une sorte de gardien de la forêt, un elfe protecteur et espiègle.
Quand Mello avait douze ans, il avait disparu pendant une semaine complète suite à une série de défaites scolaires contre Near. Le directeur avait appelé la police, signalé sa disparition, des battues avaient été organisées dans les environs. Mello était revenu de lui-même une semaine plus tard, pâle, l'air fatigué, mais résigné. Une flamme étrange et farouche luisait dans son regard. On ne lui avait posé que peu de questions. Il n'avait plus jamais fait une chose semblable, mais cela avait changé la perception que Near avait de lui pour toujours. La perception que tout le monde avait de lui. Mello était le genre de personne qui pouvait simplement disparaître sur un coup de tête. Mello était le genre de personne qui partirait à l'inconnu plutôt que de se soumettre à une réalité qu'il n'acceptait pas.
En son for intérieur, Near n'avait pu s'empêcher d'admirer la détermination de Mello. S'éloigner de la Wammy's pour plus d'une heure ? Cela lui aurait été impossible à cet âge – et difficile aujourd'hui. En effet, encore aujourd'hui il éprouvait un sentiment de malaise puissant lorsqu'il était amené à en sortir pour une période prolongée.
Ce que Mello leur avait prouvé à tous, ce jour-là, alors que tous les pensionnaires de la House devaient se rendre à l'évidence qu'ils n'auraient jamais le cran d'aller le chercher en défiant l'autorité, c'était qu'il était capable de penser en-dehors de l'institution. Near était conscient que ç'avait été un mouvement d'impulsivité qui n'avait aucune vocation à signifier quoi que ce soit, mais c'était ainsi qu'eux tous s'étaient sentis. Si Mello restait, c'était que Mello avait choisi de rester. Il n'avait pas choisi son combat par défaut, il l'avait embrassé de plein cœur. Cela faisait entre lui et aux tous une énorme différence. Il pouvait penser le monde en-dehors de la Wammy's, et s'en servir à son avantage, alors que pour eux tous, il n'était qu'un terrain abstrait, un demain bien loin de pouvoir être incorporé dans la moindre stratégie.
Mello aspirait à la liberté. C'était le point commun et le fondement de son lien avec Matt, pensait Near. La liberté, pour lui, c'était une notion somme toute abstraite. Il pouvait se représentait ce qu'elle était pour les hommes et les femmes du passé : les grands espaces, une indépendance financière, une liberté de mouvement, ne dépendre de rien ni de personne. Mais Near savait maintenant une chose : la liberté n'était pas une valeur absolue, comme on voulait le faire croire. La liberté était relative. Quel bien cela lui ferait de courir le monde sans attache, s'il était aussi sans besogne ? Si aucun défi ne se présentait pour qu'il puisse le décortiquer ? La liberté serait alors cette coquille vide, cette étendue dépourvue de sens et de goût. Une liberté sans goût était-elle une liberté ? Non. Near en était sûr. Si pour Mello être libre signifiait n'obéir à personne, pour Near, c'était pouvoir se procurer une nourriture intellectuelle. Ces deux visions n'étaient pas fondamentalement incompatibles mais, dans le cadre de leurs vies, de la Wammy's et de la succession de L, elles l'étaient.
Near s'était déjà demandé ce qu'il ferait, s'il voyait cette petite silhouette blonde se lever et se diriger une nouvelle fois, de son pas souple et déterminé, vers la lisière de la forêt. Devrait-il dévaler à toute allure les escaliers qui menaient à la porte arrière, et le rattraper avant qu'il ne disparaisse ? En aurait-il le courage ? Plus il s'interrogeait, plus Near réalisait avec lucidité qu'il ne pourrait s'empêcher de lui courir après, même si rien n'aurait tant conforté Mello dans sa décision de partir. Il devait le reconnaître, avec surprise et un peu d'inquiétude. Même si c'était contre la logique, il ne pourrait s'en empêcher.
Mello se leva, et resta quelques secondes immobile, faisant face au dénivellement et à la frontière verte foncée. Puis il se retourna, et Near s'écarta vivement de la fenêtre. Il était peu probable qu'il l'aperçoive, mais on n'était jamais trop prudent. Si Mello s'apercevait que Near pouvait l'observer d'ici, il serait furieux et choisirait probablement un nouveau coin d'isolement. Near ne voulait pas perdre les quelques précieux moments durant lesquels il pouvait le regarder à loisir, sans craindre un regard noir ou une grossièreté. Non, de ça, il ne pouvait pas être privé.
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Mello recula un pied, fit rouler ses épaules sous son t-shirt à manches courtes et brandit sa raquette de tennis. Il visa sans mal la balle jaillie du canon et la renvoya avec puissance.
- Tu ne vois pas que j'suis occupé, demi-portion ? grommela-t-il alors qu'il se positionnait pour recevoir le tir suivant. C'est pas comme si te voir me remplissait de joie.
En dépit de son corps svelte, les muscles de ses bras commençaient à se développer, de même que ses mollets. Il n'y avait pas photo : Mello faisait définitivement plus âgé que lui, alors qu'ils n'avaient qu'un an de différence.
- Tu n'as pas besoin de t'arrêter pour moi. répondit Near d'une voix neutre. Je voudrais seulement que tu viennes me voir quand tu auras le temps. C'est important.
- Qu'est ce qui te fait croire que j'ai le temps pour toi ? Il avait effectué un bond agile sur le côté pour renvoyer une balle.
- Ne sois pas ridicule. dit Near avec douceur.
Mello lui jeta un regard en biais. Il semblait ne pas savoir s'il devait s'insurger ou ne pas relever. Il émit un humf étouffé en frappant un coup puissant. Ses cheveux mi-longs étaient relevé en une petite queue-de-cheval, ses pommettes et son front étaient rosies par l'effort et une goutte de sueur coulait le long de sa gorge. Near détourna le regard par peur de s'empourprer. Merde, qu'est-ce qu'il pouvait regretter son innocence, quelques années auparavant, quand jamais, en aucunes circonstances, son corps ne le trahissait. Maintenant, il devait constamment lutter contre des réactions physiques qu'il ne contrôlait pas et qui, souvent, le couvrait de honte. Il avait découvert récemment qu'il rougissait facilement, et que la présence de Mello près de lui lui provoquait des bouffées de chaleur. Quelle plaie.
- Pourquoi tu ne me le dis pas maintenant, au lieu de faire des mystères ? questionna Mello, méfiant, en revenant à son match de squash contre la machine.
Near prit le temps de choisir ses mots.
- Parce qu'il me faudra du temps pour t'expliquer ma vision. J'aurai besoin de toute ton attention.
- Hum ? (Ses baskets couinèrent sur le sol en linoléum)
- ... Parce qu'il est plus probable que tu ne veuille rien entendre.
- Ah ? (Impact de la balle contre sa raquette)
- ... Et que tu refuseras très certainement mon offre.
- Bon ! rien de nouveau sous le soleil.
Near ne dit rien. Mello fit mine de se préparer à un nouveau tir, puis, changeant soudain d'avis, il se dégagea en quelques pas du champ de projection des balles. Il planta ses yeux très bleus dans ceux de Near, ses beaux yeux en amande qui se relevaient aux coins, comme des yeux de chat, puis il dit, très rapidement :
- Ce soir, à 19h, aux acacias. A prendre ou à laisser. Vu ?
- Vu. Near hocha la tête. Il n'aurait pu espérer mieux.
Mello soutint son regard pendant encore quelques secondes, tentant sans doute d'y détecter quelque chose qui pourrait le renseigner sur le motif de cette rencontre, mais Near demeura parfaitement impassible. Mello renifla avec défiance, et un coin de sa bouche prit ce tic nerveux qu'il avait quand il sentait que quelque chose lui échappait, puis il se détourna.
- Ne me fais pas attendre, demi-portion. Je ne patienterai pas.
- Non, tu peux compter sur moi.
Tchak. La raquette fendit l'air.
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La cour des acacias était en vérité l'espace de repos des professeurs, lorsqu'ils voulaient prendre l'air ou fumer mais, en été, l'endroit orienté vers le Nord, était trop mal situé : trop chaud en cas d'ensoleillement, trop frais en cas de coups de vent, si bien qu'il était le plus souvent délaissé, les professeurs lui préférant le perron Est, beaucoup plus agréable avec sa tonnelle et ses bancs au style Art nouveau pittoresque. De plus, derrière le plant d'acacias, se trouvait un coin de gazon mal entretenu où poussaient en vrac fleurs sauvages et mauvaises herbes – le chiendent – mais que personne ne se souciait d'arranger, puisque que la zone était difficile d'accès et invisible de l'extérieur. C'était là que Mello avait choisi de fixer leur rendez-vous et, étant donné que l'accès était interdit aux pensionnaires, il avait implicitement entendu qu'il devait se retrouver derrière les acacias, cachés à la vue d'éventuels passants.
Near arriva à sept heures moins dix, soucieux de montrer son sérieux à Mello, devinant pourtant qu'il ne manquerait pas de s'accorder un bon quart d'heure de retard pour signifier son détachement. C'était toujours comme ça entre eux, mais cela ne dérangeait pas Near. Il tâchait toujours de lui montrer par mille prévenances son respect, et Mello affichait toujours avec une constance appliquée son mépris, semblant ne pas réaliser que le soin qu'il prenait à lui montrer toujours le même visage révélait en vérité la crainte de laisser en paraître un autre. Near n'était pas naïf, mais il ne prenait pas non plus cette attitude comme la preuve que Mello pouvait révéler cet autre visage. Mello, et c'était regrettable, était le genre de personne qui se serait laissé brûler vif plutôt que d'admettre une banalité qui aurait blessé son orgueil. Or, c'était précisément ce que Near allait tenter de le pousser à faire et, dans cette entreprise quasi vouée à l'échec, il savait qu'il n'aurait qu'une chance.
Les fourrées remuèrent et s'écartèrent après une bonne demi-heure d'attente, et Near retint son souffle. Les cheveux puis le visage de Mello apparurent entre les feuilles, et Near ne put s'empêcher de penser à cette illustration d'Alice à travers le miroir qu'il avait un jour vu dans un livre pour enfant. Mello traversant le miroir vers un monde fantastique – à moins qu'il en revînt. Je suis le lapin blanc ? Songea Near, mais il garda cette idée pour lui, et il lui vint un petit sourire qu'il garda pour lui. Near s'écarta pour lui laisser la place d'entrer. L'emplacement était certes petit mais pas non plus étroit. Cinq adultes pouvaient s'y tenir sans se serrer et, si on voulait échapper complètement aux regards, on n'avait qu'à se tenir assis.
Mello épousseta les quelques feuilles qui s'étaient accrochées à ses vêtements et balaya l'endroit du regard sans s'attarder sur Near. Comme d'habitude, l'orientation de l'endroit ne bénéficiait même pas des beaux rayons dorés de la fin de journée et à l'ombre il faisait froid et humide. Les moustiques ne tarderaient pas. Mais c'était mieux que rien. Near ne demandait rien de plus que de partager un peu d'intimité avec Mello et, au moins, dans l'obscurité, il avait peu de chance de le voir rougir. Il se força à faire le vide dans son esprit pour se concentrer sur les quelques étapes, simples et logiques, du raisonnement qu'il voulait présenter à Mello. Mais celui-ci ne lui laissa même pas le temps de commencer. Il parla en premier, debout, sans le saluer ni le regarder.
- C'est non.
- Comment ? demanda Near, déstabilisé.
- Je sais ce que tu vas me demander. Je ne suis pas idiot, Near. C'est non, je ne travaillerai pas avec toi pour devenir L.
Near resta bouche bée. Une seconde. Une seconde de trop.
Enfin, deux yeux bleus se braquèrent sur lui comme un scanner.
- J'y crois pas, souffla Mello, et ses épaules s'affaissèrent. Alors c'était vraiment ça que tu voulais me demander.
Near se sentit furieux contre lui-même. Ça, il ne l'avait pas vu venir. Alors comme ça, Matt ne lui avait rien dit. Ça n'avait pas été un coup d'avance mais un bluff. Ça ne ressemblait pas à Mello d'employer ces méthodes. Avait-il tant changé sans qu'il s'en rende compte ? C'était probable. Autant physiquement que dans son attitude, Mello lui avait semblé devenir très différent ces deux dernières années alors que lui, Near, était resté strictement identique. Peut-être était-ce pour ça qu'il ne grandissait pas. Se pouvait-il que Mello soit devenu plus stratège et plus maître de lui-même, renonçant aux provocations quand elles ne lui servaient pas ?
- Mello, dit Near en retrouvant l'usage de la parole, tu as deviné en effet, mais je voudrais quand même que tu m'écoutes avant d'être définitif. Après ça, quelle que soit ta décision, je m'y soumettrai.
Mello eut un mouvement de refus brutal, presque à son corps défendant, une convulsion qui le parcourut tout entier et qui n'était ni contrôlée, ni naturelle. Il secoua la tête et déclara, d'une voix butée mais maîtrisée :
- Rien ne pourra me faire changer d'avis, Near. Si tu n'as pas compris ça, tu ne comprendras jamais rien de moi.
Near le jaugea en dissimulant sa surprise « tu ne comprendras jamais rien de moi » quelle étrange apposition à sa phrase. Avaient-ils jamais essayé de se connaître ?
- Je ne peux pas croire que tu n'aies jamais considéré cette éventualité, Mello. reprit Near d'une voix calme, toutefois désorganisé dans l'exposition de son idée. Je ne me considère pas en rivalité avec toi. Le seul rival que j'aie, c'est Kira. Je n'ai aucunement l'intention de m'essayer, par orgueil, à me mesure à un adversaire que je serais complètement sûr de défaire si nous nous alliions. Le monde réel n'a rien à voir avec les simulations auxquelles nous nous livrons...
- Le monde réel ? Mello s'esclaffa, d'un rire cruel, et cette fois Near retrouva sur son visage la grimace méchante à laquelle il était habitué (Mello revenait, constata-t-il avec un étrange soulagement). Mais mon pauvre Near, qu'est-ce que tu connais du monde réel ? Tu es déjà sorti de cet orphelinat pour plus d'une semaine ?
C'était donc ça, le nouveau motif qu'il choisissait pour s'acharner contre lui.
- Non. admit Near sans se laisser désarçonner. Je ne suis jamais sorti plus d'une semaine (c'était pour un congrès sur Kira qui avait eu lieu à Copenhague, l'automne dernier), contrairement à toi, Mello.
- Exactement, souffla-t-il, et son regard luisit d'un éclat qui l'effraya un peu, C'est pour ça que toi et moi on ne travaillera jamais ensemble. Parce que tu ne prendras jamais de risque. Tu enverras les autres à l'échafaud, mais jamais toi. Parce que tu le peux. Parce que Near est spécial. Mais tu sais quoi ? Je ne collabore pas avec les lâches. Et je ne pense pas que tu sois spécial.
Near fut tenté de tirer une mèche de ses cheveux, ce tic nerveux qu'il adoptait toujours quand on lui donnait du fil à retordre, mais il craignit que ce simple geste, si caractéristique, n'achève de le rendre fou de rage.
- Tu as raison. Je ne suis pas spécial, je suis concentré. Mais je compte rattraper mon ignorance sur le monde, quand je moment sera venu. Et je n'ai aucune intention de laisser des innocents mourir en vain.
Il ne pouvait mettre le doigt dessus, mais il avait la certitude que ses mots tapaient à côté, qu'il lui était impossible d'accéder à Mello, qu'ils étaient creux, vides de sens, même à ses propres yeux. Il ne parlait pas du tout la bonne langue, mais il lui était impossible de trouver laquelle adopter. Lui-même se sentit tout à coup, creux, vide et faux. Il avait complètement fait fausse route, et il ne s'était jamais senti ainsi auparavant. Autant induit en erreur, autant complètement hors-sujet. Il se sentit perdre toute consistance et il fut soudain tenté de laisser tomber toute cette entreprise absurde si ce n'était cette idée, jaillit des profondeurs de sa conscience, comme cette fulgurance qui l'avait réveillé lorsqu'il avait décidé de solliciter l'aide de Matt. Sans moi, Mello va se faire tuer.
Il venait de saisir quelque chose de nouveau, quelque chose de brûlant qu'il avait eu jusque-là sur le bout de la langue sans pouvoir le nommer. Quand il avait dit « Tu enverras les autres à l'échafaud. », il parlait de lui-même. Near le sentit dans l'énergie dévastatrice qui émanait de lui, que si Mello n'était pas choisi pour être L, il se laisserait tuer dans la lutte qu'il mènerait en solitaire. C'était pourquoi il refusait si farouchement sa collaboration. Mello embrasserait plus volontiers une mort triomphante ou pathétique, en solitaire, que de devoir partager la place convoitée, la seule qui lui semblât digne de vivre, avec la personne qu'il exécrait.
Cette constatation remplit Near d'horreur. Matt avait-il dit vrai ? Cette détestation ne venait-elle que de sa position dans le classement ? Ou était-il possible de désamorcer ces sentiments tragiques en amadouant Mello, en lui faisant comprendre qu'il n'était pas son ennemi, qu'il n'était pas celui qu'il pensait être, celui qui se réjouissait en secret de sa défaite ? Amadouer Mello. C'était un projet ridicule. Il était peut-être têtu comme une mule, mais il voyait comme personne à travers les masques. Ce n'était qu'en étant réel, en étant lui-même, qu'il pourrait espérer l'atteindre. Seulement voilà, ce qu'être lui-même signifiait, Near n'en avait qu'une très vague idée.
- Oublie ça, Near. trancha Mello d'une voix inflexible, et rien en lui ne flanchait. C'était bien tenté, mais je n'ai aucune intention de participer à tes stratégies.
Il esquissa un mouvement de recul, et Near sentit une vague de désespoir l'envahir.
- Tu as perdu, alors inutile de revenir pour me convaincre. Je n'ai pas l'intention de refaire l'erreur de te donner du crédit. Toi et moi, c'est le jour et la nuit, alors c'est chacun de son côté, je suis assez clair ?
Near serra les lèvres.
- Near ?
- Non.
- Je te demande pardon ?
- J'ai dit non. Je ne vais pas te laisser me refuser sans avoir réfléchi. Je suis persuadé que mon idée est la bonne, pour toi comme pour moi. Et je compte bien te la faire entendre.
Mello éclata d'un rire qui se voulait humiliant, mais qui sonnait faux.
- T'as du culot, morpion. Mais je crois que tu n'as pas bien compris : essaie de m'approcher pour me faire des nœuds dans le cerveau et je te casse en deux.
Near garda le silence, puis d'une voix calme il dit :
- Soit.
Mello écarta les branches enchevêtrées avec plus de violence qu'il ne l'avait fait à l'aller, et disparut. Near demeura assis dans l'herbe humide encore quelques minutes, contemplant le fiasco qu'avait été leur entrevue. « ... et je te casse en deux ». Near soupira. Au moins, sa faculté à mettre Mello en rogne avec presque rien était intacte. Le problème restait entier. Il n'avait aucune foutue idée de comment se faire entendre. Un merle lança son chant et Near leva la tête. Dans l'air frais de la soirée, les acacias se mirent soudain à embaumer.
