Le jour et la nuit, pourtant, se rencontrent tous les jours : une fois à l'aube et l'autre au crépuscule


Deux mois s'écoulèrent sans que Near trouve la moindre faille par laquelle il aurait pu approcher Mello et le rendre sensible à ses arguments. Les quelques fois où il avait essayé de l'approcher, quand il le voyait seul, Mello se détournait ou s'éloignait catégoriquement.

Near commençait à se décourager. Il ne voyait pas par quel miracle il pourrait convaincre Mello d'entendre raison. Matt lui avait déjà opposé résistance, mais pouvait-il changer d'avis, si Near le persuadait de l'importance de sa démarche ? Rien n'était moins sûr. Et les quelques autres personnes qui gravitaient dans le cercle proche de Mello : Teo, Puma, Alden et Cyn, pouvaient-elles prêter une oreille à ce qu'il avait à dire ? Near estimait la démarche imprudente, elle n'aurait pour effet que de renforcer la méfiance de Mello.

« Me faire des nœuds dans le cerveau ». Near comprenait de moins en moins les réticences de Mello à son égard. Ne pouvait-il pas voir le trouble qu'il semait en lui ? C'était à n'y rien comprendre. Les autres pensionnaires se plaignaient souvent de lui, mais Near était le seul à l'accepter entièrement, à l'aimer complètement, avec ses nombreux défauts et ses toutes aussi nombreuses qualités, sans vouloir changer un atome chez lui. Il ne s'était jamais dit que Mello serait mieux s'il était un peu plus ceci, un peu moins cela. Non, jamais. Il aimait Mello dans toute sa force brute, dans sa sensibilité à fleur de peau, pour cette manière qu'il avait de se mordre les lèvres quand il était petit pour se retenir de pleurer, et pour la nervosité élastique de son grand corps aujourd'hui.

En somme, Near commençait à perdre tout espoir de réconciliation avec le garçon pour qui il n'avait jamais éprouvé que des sentiments tendres – douce ironie – et de même, il commençait à douter que le sentiment d'urgence tiré de son mauvais rêve possède le moindre fondement. Après tout, deux mois s'étaient déjà écoulés. Oui, après tout, il avait dû faire erreur. Cela lui apprendrait à écouter ses rêves. L'instinct, c'était bon pour Mello mais pour lui, seule la logique fonctionnait. Il n'avait plus qu'à accepter que la vie reprenne son cours, telle qu'elle avait toujours été jusque-là : le jour et la nuit, chacun de son côté, sans jamais se rencontrer.

C'était une bonne nouvelle, pourtant. Tâchait de penser Near. Je suis fait pour être routinier. Je n'aime pas le changement, cela m'empêche de penser. Peut-être que c'est mieux ainsi. Rien ne change. L n'est pas menacé, Kira n'est pas attrapé, et Mello souhaite mon décès. Tout est bien qui finit bien.

Mais un sentiment aigre de nausée échappait à ces raisonnements, comme si cet espoir fugitif avait provoqué en lui une réaction en chaîne incontrôlable – un papillon causant un séisme. Il ne pouvait plus revenir en arrière, maintenant que cette idée s'était logée dans son crâne m'allier à Mello – plus fou encore – éteindre la haine de Mello.

Le mois d'août passa long, difforme, étouffant, puis ce fut le retour à la normale, dès le mois de septembre. C'était toujours le mois préféré de Near. La période où les choses reprenaient enfin forme et solidité. La période du congé estival le déstabilisait, brouillait ses repères et le faisait se sentir isolé, vain et vulnérable – contrairement à Mello qui aimait courir et faire du sport dans le jardin, prendre le soleil, sa peau se tannait et ses cheveux blondissaient, faisant ressortir ses beaux yeux bleus.

Il aimait aller se baigner dans le lac et dans la rivière en compagnie de ses amis et revenait, torse nus et cheveux mouillés, criant, grisé, irradiant une énergie captivante. Il avait vraiment le rayonnement et la chaleur du soleil, et Near commençait à ne plus être le seul que le charme de Mello ne laissait pas indifférent. C'en était presque insoutenable. Une fois, il avait surpris Mello, une main passée sous la jupe d'Eleanor, sous le grand marronnier. Une autre fois, Lexi lui avait donné un massage derrière la fontaine aux lions, alors qu'il buvait en compagnie de ses amis. Les deux fois, il s'était éloigné comme brûlé, priant pour ne pas avoir été vu. Dieu qu'il pouvait détester l'été. C'était la saison où les vivants triomphaient, tandis que l'hiver était le terrain de prédilection des cérébraux comme lui.

Septembre arriva comme un soupir de soulagement et fit rougir le feuillage des arbres. Near guettait avec un mélange de mélancolie et de colère son reflet dans le miroir, qui, lui, ne changeait jamais. Sa peau fragile l'empêchait de s'exposer au soleil avec la même désinvolture. Il était toujours aussi pâle et, si quelques pensionnaires de qui il était un peu proche, Linda, Taylor et Zed, avaient voulu l'inclure dans leurs activités d'été, il n'arrivait pas à s'oublier, ni à ignorer le tiraillement qui guidait toujours son regard vers Mello – Mello qui s'amusait tellement sans lui.

Mello avait raison : il ne connaissait rien du monde réel, ni de la vie, et il laisserait d'autres se mettre en danger pour ses enquêtes plutôt que de prendre les devants. Il était pire que lâche, il n'était rien du tout. Near ne s'était jamais senti aussi loin du vrai, aussi loin de lui-même, aussi absurdement éloigné du centre de toute chose.

Pourtant, face à toutes ces idées amères et pitoyables, un sursaut de révolte se produisait en lui : non, ce n'est pas vrai ! je ne suis pas lâche ! je suis prêt à prendre des risques, prêt à découvrir le monde, prêt à me mettre en danger ! seulement, on me fait attendre, on me laisse désœuvré, on ne me laisse pas exercer ce pour quoi je suis fait ! Plusieurs fois, Near fut tenté d'aller voir Roger et de le supplier de le mettre en contact avec L pour l'aider sur l'enquête, quand bien même il ne serait pas choisi pour lui succéder. Rester parqué ici, loin de son terrain d'exercice naturel, n'avait aucun sens et ne le faisait que le conduire à se morfondre, gâchant ses capacités. Mais un tel zèle ne susciterait-elle pas la condamnation définitive de Mello envers lui, et scellerait son destin ? Near oscillait entre nervosité, irritation, désespoir et désœuvrement, et rien ne pouvait faire dévier l'enchaînement inévitable de ces pensées qui se répétaient comme une mauvaise farce bien ficelée tous les jours.

Un évènement, pourtant, créa un jour un écart surprenant dans le déroulement parfaitement réglé des ds activités de Near. Il s'était abrité sous le grand cerisier sauvage – c'était en fait un merisier – qui bordait la grille de la Wammy's House, près du portail principal. C'était son lieu de préférence pour être seul parce qu'il pouvait voir les voitures passer tout en lisant ou en grignotant des pommes, cela accompagnait toujours parfaitement sa réflexion sur n'importe quel sujet de son choix. En été, il pouvait déguster les merises qui tombaient des branches chargées. A sa connaissance, personne ne savait que c'était là où il se rendait car il prenait toujours grand soin de ne pas être observé. Mais cette fois, un bruissement de feuilles lui fit relever la tête alors qu'il donnait la première morsure à la pêche qu'il avait apportée et, à sa stupéfaction, il vit deux pieds nus se retirer, puis une grande silhouette noire se dresser sur une branche, à presque quinze mètres de hauteur. Mello ! Near sentit son cœur se contracter.

La silhouette resta immobile un instant. L'avait-il vu ? De là où il se trouvait, il était impossible de le dire : Near ne pouvait pas voir son visage. Alors sa remarque acerbe lui fondit dessus comme une flèche :

- Tu m'espionnes, moustique ?

Near se tut, abasourdi. Leur première interaction en deux mois était donc le fruit du hasard ? Alors même s'il s'était acharné à essayer de lui parler pendant tout ce temps ? L'ironie de la situation ne lui échappa pas.

- Oh attends, tu avais quelque chose de si important à me dire, oui, tu devais absolument me faire changer d'avis ! Monte donc, si tu es si sûr de toi.

Sa voix était hilare.

Near déglutit. Monter dans cet arbre si haut, aux branches si lisses ? Il n'avait jamais fait une chose semblable. Mello savait ce qu'il voulait et il consentait à l'écouter s'il relevait son défi. C'était tout à fait lui. Comment avait-il pu ignorer cela ? Le seul moyen d'approcher Mello contre sa volonté, c'était d'entrer dans un de ses jeux. Il le savait parfaitement, mais ... Near sentit la tête lui tourner. C'était haut !

- Tu ne veux pas ? Dommage ! Je trouverai quelqu'un de plus intéressant à qui parler.

- Je vais monter. affirma Near d'une voix forte.

- Quoi ? cria Mello, feignant de tendre l'oreille.

- Je ... Merde, Mello, tu as très bien entendu.

C'était la première fois qu'une grossièreté lui échappait. Mello émit une sorte de ronronnement.

- Je trépigne d'impatience, mon petit écureuil.

Near s'approcha du tronc et entreprit de retrousser ses manches trop longues. Quelle idée de grimper avec des vêtements aussi grands. Puis il tenta d'évaluer son parcours sans se laisser gagner par la peur. La branche la plus basse lui demanderait de se hisser à la force de ses bras. Pouvait-il même le faire ? Non, s'il se posait des questions, il ne le pourrait jamais. Near prit une grande inspiration. Puis il éteignit son cerveau. C'était le seul moyen, le seul moyen de parvenir jusqu'à lui. Il se projeta d'un bond et encercla des deux bras la branche. Elle était épaisse et ne s'affaissa pas. Near contracta la mâchoire, les bras et les abdominaux, et commença à se tracter. Ses jambes battirent dans le vide puis trouvèrent appui sur le tronc. Comme ça, ce n'était plus si difficile.

Quand la hauteur de ses épaules dépassa celle de la branche, Near sut qu'il avait gagné. Il passa une jambe au-dessus et se retrouva à califourchon. Déjà, sa tête était auréolée de vert, traversé par les rayons du soleil. Near cligna des yeux. C'était un spectacle plus enchanteur qu'il n'aurait pu l'imaginer. Une pensée l'éblouit alors : en se dépassant et en prenant des risques, on pouvait atteindre non seulement la vérité, mais encore la beauté. Quel beau cadeau non-intentionnel venait de lui faire Mello. Le simple fait de ne plus avoir les pieds sur terre procurait à Near une sensation de liberté inégalée.

Grisé par son premier succès, Near ne tarda pas à se mettre debout prudemment, en se tenant aux branches, et en restant près du tronc. Mello, je peux te rattraper. Pensa-t-il, et il réalisa que c'était précisément l'obsession qui avait hanté celui-ci pendant toutes ces années. Near, je dois te rattraper... Mais dans son cas, ce n'était pas une volonté pleine d'angoisse et de ressentiment, c'était un désir très doux, comme tomber amoureux.

Il se hissa sur la branche suivante, puis sur la suivante encore. Il devait se trouver à bien cinq mètres maintenant, et il commençait à avoir le vertige. Des pensées revenaient tourbillonner comme un bataillon de mouches dans sa tête sans qu'il les ait convoquées. Mello était encore bien plus haut, et Near réalisa d'un coup qu'il lui était impossible de le rejoindre. Impossible. S'il tombait, il se ferait mal... S'il tombait... S'il tombait...

- Alors, tu flanches mon agneau ? la voix de Mello le blessa comme une morsure.

C'était ce qu'il attendait, lui, c'était ce qui lui ferait tellement plaisir. Near ferma les yeux. Il devait être raisonnable. Renoncer à ce défi puéril. Admettre ses limites et redescendre tranquillement de l'arbre.

- Non. Je continue.

Il avait parlé d'une voix ferme et, sans plus s'autoriser à penser, il reprit son ascension. Une branche après l'autre, toujours prudemment, sans regarder en bas. Quand il releva enfin la tête, la silhouette de Mello n'était plus qu'à trois mètres, il l'observait avec aux lèvres un sourire carnassier.

De là-haut, il fallait le reconnaître, le monde devenait incroyablement paisible. Il avait dépassé un nid de pie, et des oiseaux passaient en piaillant tout à côté de lui. On n'entendait plus le passage des voitures, ni les voix provenant de la House. On se sentait complice de l'azur et du vent. Near n'avait jamais éprouvé une chose pareille auparavant.

Quand il arriva enfin à la hauteur de Mello, il se retint de pousser un soupir de soulagement, et s'agrippa instinctivement à la branche. Qui pouvait prédire ce qu'il avait dans la tête ? Il était enivré, étourdi, effrayé, mais il était ... vivant. Il regarda Mello et lui adressa un sourire minuscule mais fier.

C'était la première fois depuis les acacias qu'il pouvait le détailler d'aussi prêt. Ses cheveux avaient poussé et couvraient maintenant ses épaules mais, avec ses bras forts et une mâchoire qui commençait à se dessiner, il avait perdu de cet air androgyne d'avant. Ses yeux bleus étaient dessinés par deux traits de liner noirs à l'égyptienne. Il avait encore grandi et, avec sa peau halée, il était proprement renversant.

Mello poussa un sifflement mi-admiratif mi-condescendant.

- Chapeau bas, l'acrobate.

Il glissa la main dans la poche intérieure de sa veste en jean noire et en sortit un paquet de cigarettes gitanes. Fumer était interdit dans l'enceinte de l'établissement et passible de très lourdes sanctions. Near comprenait mieux le choix de sa cachette.

- Tant qu'à être là, installe-toi confortablement. dit-il avec un sourire en coin, tout en glissant une clope entre ses lèvres.

Puis, comme le craignait Near, il lui tendit son paquet ouvert. Non, non, non. Il n'avait aucune envie d'être mis à l'épreuve, et l'idée de fumer l'horrifiait.

Mello fit une moue ennuyée. Near le maudit intérieurement.

- Merci. dit-il à mi-voix en saisissant une cigarette entre ses doigts.

A cet instant, le climat sembla changer entre eux, comme si l'ascension de Near avait vraiment eu un effet sur Mello. Ce fut sans ironie qu'il alluma sa cigarette après avoir allumé la sienne, et il lui montra comment inspirer sans se moquer de lui. La première bouffée lui fit tourner la tête. La sensation était exécrable, mais il ne toussa pas, non plus à la deuxième. A la troisième, il explosa en une quinte de toux, et crut qu'il allait tomber, mais Mello l'attrapa et le maintint par le bras avec une fermeté surprenante.

- Ça suffit, maintenant. déclara Near en s'essuyant les yeux.

Et Mello ne proféra aucune moquerie. Il écrasa le bout de la cigarette à peine entamée et la rangea sans mot dire dans son paquet. Quand il rencontra le regard dégoûté de Near, pourtant, il ne put retenir un éclat de rire qui provoqua à son tour l'hilarité de Near, une hilarité qui était un mélange de plaisir, de soulagement, de peine relâchée, d'un peu tout ça à la fois, et qui, dans le fond était juste une manière de parler avec Mello.

Leurs rires s'attisèrent mutuellement, grandirent comme une réaction nerveuse, comme la déflagration de toutes les tensions accumulées entre eux et, bientôt, ils se tordaient sans aucune raison en se tenant aux branches du cerisier, comme deux drôles d'oiseaux. Et c'était bon de rire ainsi sans raison. A ce moment, leurs rires avaient la puissance de faire voler en éclat tous les motifs de tristesse qu'ils aient jamais eu. Il semblait à Near que c'était exactement ce qui, jusque-là, avait manqué à sa vie.

Le fou rire dura longtemps. Chaque fois que l'un parvenait à se calmer, l'autre repartait, et l'emportait à nouveau. Finalement, il s'espaça comme des spasmes, et les garçons purent reprendre leur souffle. Mello le regarda avec des yeux un peu brillants de larmes puis, sans lien logique apparent, il attrapa une de ses mèches blanches et tira gentiment dessus.

- Tu te laisses pousser les cheveux maintenant ?

Near n'y avait pas fait attention, mais c'était vrai. Il n'avait pas souhaité passer entre les mains du coiffeur à la fin de l'été, et ses cheveux lui frôlaient maintenant la mâchoire, comme ceux de Mello auparavant, sauf que les siens étaient épais et bouclés, alors que ceux de Mello étaient très lisses et fins.

- Hum... Oui, je crois.

- C'est mieux. Tu as moins l'air d'avoir perdu tes parents au supermarché.

Cette remarque, d'un goût plutôt noir, faillit les faire repartir dans un fou rire mais tous deux avaient trop mal au ventre pour ça.

- Facile à dire quand on a toujours l'air d'avoir braqué une banque.

Sa répartie arracha à Mello un sourire involontaire.

- Prudence, petit Near. Ne te lance pas dans des jeux auxquels tu ne sais pas jouer.

Near sourit à son tour et ne répondit pas. Un silence passa entre eux, confortable. Near observa Mello du coin de l'œil. De profil, il suivait des yeux la danse des feuilles dans le vent. A ce moment précis, détendu, ses défenses abaissées, il semblait très différent de d'habitude. Une expression complètement inconnue à Near se peignait sur son visage. Une sorte de mélancolie inquiète. Near détourna le regard, comme ébloui. Supporter ses crises de colère ne lui faisait ni chaud ni froid, mais la vision furtive de cette vérité enfouie lui donnait une impression de voyeurisme.

- Mello ? demanda prudemment Near.

- Hum ? (Mello ne bougea pas la tête.)

- Où étais-tu passé... cette semaine où tu t'es enfui ?

Mello le dévisagea, les yeux écarquillés. Il ouvrit la bouche, puis la referma.

- Tu crois pouvoir me poser ce genre de questions ? demanda-t-il d'un ton qui se voulait dur, mais qui ne semblait plus si assuré.

- En vérité, répondit Near très doucement, j'ai toujours voulu connaître la réponse.

Mello émit une sorte de soupir suffisant, mais ne le quitta pas des yeux, ne sachant visiblement pas bien sur quel pied danser.

- Eh bien, je ... Mello s'interrompit, l'air stupéfait, puis secoua la tête. En fait, je ne m'en souviens pas bien moi-même. Est-ce que c'est normal de... Est-ce que parfois toi aussi tu oublies des choses importantes ?

Near se creusa les méninges pour trouver dans sa mémoire une expérience similaire. Il n'en rencontra aucune.

- Peu importe... Ce n'est pas que je ne me souvienne de rien. Seulement, je ne pourrais pas dire dans quel ordre chronologique les choses me sont arrivées. Tu vois ? Je ne pourrais pas dire si je suis tombé dans ce ravin avant ou après m'être caché dans cette grange... Je ne pourrais pas dire si je suis resté une heure ou deux jours dans cette clairière et, oh... (Ses yeux se remplirent de brouillard) Near, je te jure, ça me fout les jetons. Toutes les durées, tous les visages sont flous.

Mello braqua sur lui un regard véritablement paniqué.

- Mello... Calme-toi... tenta de l'apaiser Near, mal à l'aise. Il n'avait jamais eu à rassurer personne.

Mello reprit son sang-froid mais, tout à coup, ses yeux se plissèrent jusqu'à se réduire à deux fentes. Il siffla, soudain menaçant, comme s'il le tenait pour responsable de ce qui venait de se produire :

- Je suis calme. Ça t'ferait plaisir de me voir débloquer, non ? Ben c'est encore raté, Near.

La scission dans son esprit était à cet instant si visible que Near eut presque peur. Dans quelle confusion psychique devait vivre Mello pour pouvoir passer ainsi de la complicité, à la confidence, puis à la paranoïa en l'espace de quelques minutes ?

- Et inutile de t'enorgueillir de ce qui vient de se passer. Ça ne change rien à ce que je pense de toi, ok ?

- Ok, Mello. répondit Near à voix basse.

Mais Mello était déjà six mètres plus bas. A Near, il fallut presque vingt minutes pour descendre. Quand ses pieds touchèrent enfin l'herbe fraîche, ses jambes se dérobèrent sous lui. Le soir tombait déjà. Near pensa en frissonnant : le jour et la nuit, pourtant, se rencontrent tous les jours : une fois à l'aube et l'autre au crépuscule.