Journal de la revieweuse :
Liline37 : Et comment qu'il y a de la différence :) Il ne faut pas oublier que Valyn n'a que 19 ans (pas encore tout à fait une femme), elle n'a jamais été amoureuse (pas le temps pour ça) et elle a toujours été dans l'ombre d'Anmoira (même sans que ça la travaille plus ça). Et là, bam, elle a un prince charmant qui lui fait de l'œil. Elle a zéro recul pour garder la tête froide, forcément. C'est ce qui fait son humanité, et ce qui suit montre encore plus à quel point elle est soumise à l'entêtement de la jeunesse.
La suite ! Ça va chauffer !
CHAPITRE LXV– REMINISCENCES – CE QUE J'AI LAISSÉ
Valyn se déshabilla pour remettre sa robe simple habituelle sans avoir conscience de ce qu'elle faisait. Son cerveau avait pris le relais pour la faire avancer et éviter d'aggraver son cas. Son esprit était liquide, sans consistance. Elle flottait entre le courage érotique qui l'avait aidée à se transcender et le violent retour à la réalité qui l'attendait avec les siens. Un début d'angoisse et de honte s'empara d'elle avec la puissance d'un geyser.
« Qu'est-ce que j'ai fait...
_ J'allais justement te poser la question. »
Voilà justement Ulryn qui revenait, accompagné des autres membres de la compagnie. Lui et Tébur arboraient un visage fermé de colère tandis que Perzin et Anmoira avaient surtout l'air perdus.
« Ulryn... tenta l'elfe de sa voix douce.
_ An, reste en dehors de ça, je te prie, coupa le drow avant de planter ses yeux améthyste comme des poignards dans le ciel de sa cadette. Tu m'expliques ? »
Valyn n'avait pas souvent vu leur protecteur dans un tel état de colère froide et lors de ces rares cas, c'était toujours destiné à ceux qui ennuyaient ou menaçaient la troupe, jamais un membre. Elle se sentit tout à coup très mal. Elle s'attendait à des remontrances, mais pas à ce point.
La jeune femme rassembla son courage au souvenir des acclamations du public à la fin de son numéro.
« J'ai tenté quelque chose de nouveau.
_ Nouveau ? Ah, ça, pour du nouveau. Dois-je te rappeler que nous aspirons à faire mieux que les cirques classiques ?
_ T-Tu as entendu. Le public a...
_ Le public aurait été encore plus conquis s'il avait assisté à ça depuis la chambre d'une maison close. »
La jeune femme se raidit, le teint livide. Anmoira tenta une nouvelle fois de raisonner Ulryn mais celui-ci l'ignora et poursuivit son réquisitoire. Il fronça du nez et désigna la tenue rouge froissée posée dans un coin d'un geste répugné.
« Et cette tenue... ? Avais-tu vraiment besoin d'être à demi-nue pour ton numéro ? C'était tout sauf élégant, Valyn. Tu étais outrageante. Tu as fait honte à notre compagnie ce soir. »
Elle pinça les lèvres pour retenir les larmes qui commençaient à lui brûler les rétines et ses mains se crispèrent dans son dos. Resté aux côté de son chef, Tébur n'affichait pas la même rancune mais le voile ténu de malaise qui le retenait de soutenir sa fille de cœur par un regard réconfortant fit aussi mal à cette dernière que les paroles acerbes d'Ulryn.
Le drow pesta sa mauvaise humeur et fit demi-tour.
« Rentre au campement. Nous nous occuperons du reste. »
Valyn ne se le fit pas répéter deux fois. Elle se fendit un passage entre Tébur et Perzin en gardant la sourde oreille aux appels désespérés d'Anmoira. Elle ne pouvait plus en souffrir davantage. Elle en avait suffisamment entendu.
Quand elle sortit de la petite tente, la jeune femme vit un peu plus loin Ulryn qui conversait avec Iwen Calis. L'homme tourna la tête en sa direction, visiblement pris de court. Hélas, l'ébauche de sourire qu'il voulut offrir à Valyn se heurta au dos de celle-ci qui avait préféré fuir, encore trop honteuse et sonnée par le sermon qui venait de la crucifier.
Une fois qu'elle eût quitté la propriété Calis et que l'anesthésie du choc s'estompât, la saltimbanque laissa ses larmes de rage couler sur ses joues. La frustration d'avoir déçu ses camarades se mua après très vite en ressentiment acide.
Maison close ? Outrageante ? Voilà donc les raccourcis qu'il fallait emprunter pour parler de ses premiers émois ? Le seul qu'elle s'était jamais autorisé alors qu'elle avait déjà dix-neuf ans ? Ce sentiment âcre d'injustice qui lui tordait le ventre lui donnait envie de vomir. Et Iwen ? Qu'avait-il pensé de tout ça ?
Elle secoua la tête et se mit à courir pour arriver plus vite. Elle ne voulait même plus penser à lui. Avait-il pensé comme Ulryn ? L'avait-il trouvée vulgaire comme une fille de joie qui voulait aguicher un client ?
Quand elle regagna le campement, Valyn se rendit directement à la roulotte qu'elle partageait avec Anmoira et se jeta sur son lit pour se défouler contre son matelas qu'elle frappa de toute sa colère jusqu'à l'épuisement.
Une chance que la magie d'Ulryn permette de modifier l'espace à l'intérieur des roulottes pour presque les transformer en petites maisons tout en conservant leurs proportions extérieures. Chacun pouvait bénéficier d'une toute petite chambre personnelle et d'un espace commun qui servait de pièce à vivre. Heureuse de sa solitude provisoire, Valyn put profiter de son espace pour ventiler sa détresse à loisir.
Lorsque ses forces furent vidées, la jeune femme se laissa gagner par la fatigue et sombra dans la semi-conscience.
Peut-être une heure plus tard, elle entendit dehors les voix de ses compagnons qui revenaient à leur tour. Anticipant l'entrée future d'Anmoira dans la roulotte pour aller se coucher, Valyn s'enroula dans sa couverture et se tourna de côté pour faire semblant de dormir et éviter une nouvelle discussion.
Les minutes passèrent et Anmoira ne vint pas. Intriguée, la jeune femme rousse quitta son lit et sortit de la roulotte en silence.
Dehors, elle entendit les voix d'Ulryn et d'Anmoira qui conversaient à voix basse. Si elle ne put comprendre ce qu'ils se disaient, l'humaine mesura que ses compagnons n'étaient quand même pas loin d'elle. Se fondant dans les ombres, elle longea la roulotte jusqu'à pouvoir jeter un coup d'œil vers la seconde.
Adossé contre la porte de la roulotte des hommes, Ulryn fixait un point dans le vague les bras croisés sur la poitrine tandis qu'Anmoira essayait de lui parler. Le drow fronça du nez et détourna la tête en maugréant. Valyn était prête à parier que ses amis parlaient de ce qui s'était passé à la demeure Calis.
Anmoira continua de parler à son compagnon avec toute la patience dont elle savait faire preuve et ses paroles finirent par faire effet car le drow releva les yeux vers elle.
Il n'y avait que la belle elfe blonde qui avait droit à ce visage sans ombre taciturne ou expression fermée. Dans ces moments-là, Ulryn semblait presque calme - « serein » étant un terme trop connoté pour lui quand on le connaissait. Sa compagne posa la main sur sa joue avec un sourire auquel il répondit par un faible hochement de tête.
Ce qu'elle fit ensuite étonna l'espionne cachée non loin : Anmoira embrassa Ulryn. Doucement, timidement, aussi légère et gracieuse que sa personnalité solaire.
Valyn recula pour se plaquer contre la roulotte. Ainsi donc, ce qu'elle avait soupçonné depuis quelques temps se confirmait.
Peut-être deux mois auparavant, l'humaine avait surpris à quelques reprises sa camarade de chambrée quitter la roulotte pour s'éclipser en pleine nuit. Quand la folle hypothèse qu'Anmoira aille rejoindre secrètement Ulryn s'était insinuée dans son esprit la première fois, Valyn n'avait d'abord pas voulu y apporter beaucoup de crédit avant d'y réfléchir plus sérieusement.
En fait, rien n'était plus normal que ce qu'elle venait de voir. Ulryn avait sauvé Anmoira et l'avait protégée envers et contre tout depuis des décennies. Pour qu'un drow aille défier son peuple vindicatif en sauvant une prisonnière de valeur, c'est qu'il devait être tombé éperdument amoureux d'elle et ce en dépit de son jeune âge.
Si les deux fuyards avaient fini par se trouver enfin, ce ne pouvait être que sous l'impulsion d'Anmoira. Ulryn était bien trop rigide et avait bien trop de respect pour sa protégée pour tenter quoi que ce soit ; il se serait même contenté de la regarder de loin et la protéger jusqu'à la fin des temps sans rien attendre de plus. Quant à Anmoira, elle était bien trop sensible pour rester aveugle aux sentiments muets que son ange-gardien éprouvait pour elle.
Valyn avait toujours su qu'un jour ou l'autre, la belle elfe répondrait à l'amour de son protecteur ; un amour aussi partagé depuis peut-être très longtemps.
L'humaine retourna à son lit comme un robot. En temps normal, elle aurait bondi de joie de savoir que ses deux amis soient enfin devenus amants. Ils le méritaient en plus d'être deux âmes sœurs évidentes. Mais ce soir, les avoir surpris dans leur intimité lui donna un goût aigre dans la bouche.
Quand Anmoira referma peu après la porte de la roulotte sans faire de bruit, elle fut accueillie par une Valyn encore éveillée et au visage étrangement terne en train de la surveiller.
« Tu m'as fait peur, sourit l'elfe en l'approchant. Comment tu...
_ Alors, ça y est ? Tu as franchi le pas avec Ulryn ? »
Le ton morne à la limite du reproche qui découpait les mots de Valyn laissa à Anmoira un frisson de malaise. Elle eut un petit toussotement gêné et se passa la main dans la nuque.
« Oh, tu as vu... »
Cette timidité qui était aussi rare chez Anmoira que le rire chez Ulryn criait la confirmation de ce que Valyn avait compris.
L'humaine dévisagea son amie sans rien dire. Cette boule dans son estomac ne voulait pas partir, pas plus que ce poison qui s'insinuait dans ses veines.
« C'est... bien. »
Ce fut tout ce qu'elle parvint à articuler. Et encore, elle avait presque vomi ces mots.
Anmoira fronça un peu les sourcils, inquiète de l'air étrange de sa cadette. Elle se mordit la lèvre et alla s'asseoir près d'elle. Elle devait être tellement bouleversée par ce qu'Ulryn lui avait dit après son numéro.
« Valyn, je suis désolée de ce qui s'est passé. Ulryn est allé trop loin et...
_ Ha ! Reste à savoir qui est allé le plus loin entre Ulryn A'darin et celle qui a raté sa vocation de putain », grinça celle-ci avec un rictus sardonique.
Les vaines tentatives de la belle jeune femme à apaiser et rassurer sa cadette ne faisaient que rendre cette dernière encore plus frustrée et courroucée. Elle posa une main sur celle de son amie.
« Il va comprendre qu'il n'avait pas à te parler ainsi. Demain, il s'excusera.
_ Personne n'a cherché à comprendre, comme toi, tu ne pourras pas comprendre. Tu serais bien la dernière à comprendre ! s'exclama Valyn en se dégageant vivement. Forcément, c'est facile pour toi ! La belle et sublime Anmoira qui capture les sens des hommes rien qu'en respirant. »
Cette différence entre elles - dont elle avait pourtant toujours eu bien conscience - lui brûlait la vue tellement elle était flagrante et injuste. Anmoira pouvait mettre à genoux tous les hommes du monde et Ulryn n'avait qu'à faire les gros yeux pour arranger la situation quand Valyn, elle, était humiliée devant tout le monde après avoir été remarquée par un homme pour la première fois ? C'était si inique. Elle avait envie de hurler.
Anmoira pinça les lèvres et ravala la peine qui l'étreignait de ses mains froides.
« J-Je sais que tu as fait cela pour espérer trouver un mécène. Pour toi ou pour nous, qu'importe. Mais tu n'avais pas besoin d'en faire autant pour attirer l'œil. Tu es bien assez jolie et talentueuse. »
Valyn sentit tous les traits de son visage se rigidifier. Trouver un mécène ? Elle n'avait donc rien compris...
Le gris de ses iris devint ciel glacé d'hiver dont elle enveloppa son aînée avec son plus beau mépris.
« C'est facile à dire quand on est la catin du chef, plus besoin de chercher un bienf... »
Sa phrase mourut dans la gifle que venait de lui administrer Anmoira. Les dents serrées, l'elfe accusa son interlocutrice d'un silence blessé, les larmes aux yeux. Valyn ne chercha même pas à réagir. Elle se leva de son lit et quitta la roulotte sans aucun regard derrière elle.
Elle marcha dans les rues désertes comme une poupée sans âme qui ne s'articulait que par l'intervention d'une force tierce. En dépit du brouillard qui annihilait une partie de sa conscience, Valyn demeurait très lucide sur ce qui venait de se produire. Elle avait dit la pire des horreurs à sa sœur de cœur et pour l'instant, elle n'était pas en mesure de regretter. Elle était encore trop prisonnière de ce miasme d'émotions violentes qui la tourmentaient. La jalousie n'était pas un sentiment agréable à expérimenter.
La pluie qui commença à tomber à grosses gouttes ne la convainquit pas de faire demi-tour. Elle continua de marcher, sans prêter attention où menaient ses pas. L'eau qui détrempait sa robe déposa sur sa peau grêlée un linceul de froid qu'elle accueillit comme une sorte de remède contre ses plaies émotionnelles encore à vif et les gouttes qui roulaient de son front vers son visage firent de parfaites diversions pour les larmes amères qui filaient sur ses joues.
Valyn pila lorsqu'elle se rendit compte que sa marche automatique l'avait menée devant la demeure Calis. La réception lui revint brutalement en mémoire et la détresse de ne pas savoir ce que son numéro de charme avait provoqué la reprit, encore plus vivace et terrifiante. Les mots durs d'Ulryn s'ajoutèrent et agrémentèrent ses craintes de leur écho dédaigneux. Outrageante.
En observant la façade de la maison, la jeune femme remarqua qu'une lumière était toujours allumée à l'étage et les volets n'étaient pas tirés. Son regard se perdit dans la lueur dorée qui brillait derrière la vitre comme si la chaleur de l'intérieur pouvait réchauffer son corps transi rien que par la vue.
Une silhouette se dessina dans l'encadrement de la fenêtre qui s'ouvrit et Valyn manqua un battement. C'était Iwen. L'homme grimaça sous les gouttes de pluie qui venaient lui marteler le visage alors qu'il se saisissait des volets pour les rabattre quand son regard tomba en contrebas de la rue vers la seule personne qui s'y trouvait. La saltimbanque sursauta légèrement quand elle le vit retourner en toute hâte à l'intérieur et elle fut saisie d'une peur soudaine. Qu'est-ce qu'elle faisait là ? Elle n'avait rien à faire ici !
La porte de la demeure qui s'ouvrit tout à coup à l'autre bout de l'allée mit fin à son affolement. Iwen sortit en trombe, une longue cape à la main et se précipita sur la jeune femme pour l'envelopper du vêtement.
« Valyn ? Que faites-vous ici ? »
Elle ne répondit pas tant elle était pétrifiée. Elle était tel le petit animal sans défense face à un chasseur, incapable de réagir. Le parfum de cèdre dont était imprégnée la cape bloquait toutes ses connexions nerveuses.
« Venez vous réchauffer un instant, vous allez attraper la mort », l'invita Iwen en la prenant gentiment par les épaules.
Une fois à l'intérieur, Iwen alla installer son invitée frigorifiée sur un sofa devant un feu qui ronronnait dans la cheminée avant de disparaître dans un autre couloir de la maison. La chaleur du feu la ramena petit à petit à la vie et la jeune femme s'autorisa enfin à recentrer sa vision sur son environnement.
Comme elle l'avait supposé plus tôt dans la journée, l'intérieur de la demeure était aussi élégant et raffiné que l'extérieur. La décoration était belle sans être trop tape-à-l'œil. Le bois noble des meubles et les beaux tissus moirés des fauteuils et rideaux se suffisaient presque à eux-mêmes tant tout avait été agencé avec goût. Elle remarqua beaucoup d'éléments décoratifs qui rappelaient les voyages et les bateaux : un globe terrestre, des vieilles cartes enluminées encadrées, des instruments de navigation. La famille Calis avait sans doute fait fortune dans le commerce maritime, peut-être les épices.
Valyn fut prise de gêne quand elle se rendit compte que sa robe imbibée était en train de transmettre toute son eau dans le tissu du sofa. La jeune femme bondit sur ses pieds et trépigna en regardant tout autour d'elle avec angoisse. Avec quoi allait-elle éponger ça ?
« Ce n'est que de l'eau, ne prenez pas autant peur », pouffa une voix légère derrière elle.
La saltimbanque se raidit, honteuse d'avoir été vue dans une attitude aussi gênante et grotesque. Iwen la rejoignit sans se départir de son sourire affable.
« Vous profiterez mieux du feu et du thé assise. Je vous en prie. »
Elle s'exécuta en acceptant timidement la tasse fumante qu'il lui tendit. Il eut un rire embarrassé.
« Ne soyez pas trop sévère quant au goût, mon majordome sait bien le doser contrairement à moi.
_ C'est vous qui avez préparé le thé ? s'étonna Valyn malgré elle.
_ Oui, Cuthbert est déjà couché et je ne pouvais pas vous laisser dehors comme ça. »
Le pli que forma la commissure de sa bouche sous ce sourire gêné la fit fondre et elle se sentit rosir. Valyn bredouilla des remerciements du bout des lèvres et but quelques gorgées pour penser à autre chose.
Le mouvement d'arrêt qu'elle marqua après une première déglutition fit naître une grimace sur le visage d'Iwen.
« Ce n'est pas bon, n'est-ce pas ? »
Glissement d'yeux en coin emplis de désolation et tentative de sourire poli derrière la tasse. Iwen soupira avec un faible rire auquel se joignit son invitée touchée par l'attention. Ce thé horriblement amer avait au moins la vertu de briser la glace. Métaphoriquement et littéralement parlant.
« Mais ça me fait du bien, le rassura Valyn. Merci beaucoup. »
La chaleur de la tasse lui brûlait les doigts tellement ils étaient froids, presque autant que le fait de voir l'homme assis à ses côtés lui raidissait la colonne vertébrale de fourmillements.
Ils demeurèrent silencieux, égarés quelque part dans les flammes du feu qui dansait dans l'âtre. La jeune femme n'en revenait pas de se retrouver ici après les derniers événements. Quand elle baissa les yeux sur sa robe toute simple qui détonnait avec l'élégance de ce petit salon, cette sensation d'être sale la reprit à la gorge. Outrageante. Son cœur affolé s'agita dans sa cage thoracique.
« Pour ce soir... »
Elle hésita. Laisser lâchement sa phrase en suspens pour laisser son hôte compléter ? S'excuser tout de suite ?
« Avez-vous apprécié le spectacle ? »
Valyn se serait giflée si elle ne se mortifiait pas autant elle-même. Qu'est-ce qui lui prenait ?
Sa question pouvait certes porter sur l'ensemble des prestations et pas seulement la sienne, mais la jeune femme savait que son interlocuteur devinerait à quoi elle faisait allusion.
Elle baissa les yeux sur ses genoux, penaude. Elle était bien impudente d'espérer quoi que ce soit ; une réponse ou - plus fou encore - un écho à ce qu'elle ressentait. Car non, elle ne regrettait pas ce qu'elle avait fait. L'artiste qu'elle était ne regrettait pas d'avoir usé de ses émotions pour s'exprimer comme l'exigeait son métier. S'abandonner à ces sensations et sentiments nouveaux avait été une catharsis d'une puissance qu'elle n'aurait jamais soupçonnée.
« C'était indescriptible », finit par avouer Iwen.
La saltimbanque n'osa pas le regarder. Son timbre de voix dessinait la douceur de ses traits et la profondeur de son regard sans difficulté.
« Vous étiez, pardonnez-moi cette franchise, la vision la plus ensorcelante qui m'ait été donnée de voir depuis longtemps, poursuivit-il d'une voix profonde avant de se reprendre, plus réservé. D'ailleurs, je vous prie de m'excuser. Si mon attitude envers vous s'est montrée inappropriée. »
La chaleur de ses joues descendit directement dans son bas-ventre. Il repensait à cette fixation brûlante de désir dont il l'avait couvée durant toute la soirée.
Ses doigts se resserrèrent sur la tasse. Elle revoyait partout dans son esprit le pénétrant du bleu de ses yeux sur elle et une nouvelle vague tiède ondula en elle.
« Ne vous excusez pas.»
Elle faillit ne pas pouvoir aller au bout de sa phrase tant elle avait la gorge sèche. Elle se risqua à enfin le regarder.
« Vous... Vous n'avez pas idée à quel point votre attention m'a fait plaisir. »
Iwen peina à cacher la surprise qui naquit en lui face à cette réponse. Valyn prit conscience que le choix de ses termes n'était pas le meilleur et voulut compléter ses dires. Elle alla reposer délicatement sa tasse de thé sur la petite table basse puis joignit ses mains sur ses genoux.
« D'habitude, c'est Anmoira qu'on admire, expliqua-t-elle à voix basse. Vous avez vu comme elle est belle et gracieuse. Elle emporte tout sur son passage. Parfois, je me dis qu'elle suffirait au Pas Nocturne tant elle a du succès, même sans mécène. Alors, quand j'ai vu que vous me regardiez moi, juste moi, je me suis sentie spéciale. Pour la première fois, j'étais vraiment vue. »
L'homme la considéra en silence avec la même sérénité dont il ne s'était jamais départi. Ses yeux se promenèrent sur la jeune femme qui en frissonna. Même avec ce calme, il la détaillait comme si elle était faite d'un matériau rare et précieux.
« Il est vrai que votre chanteuse est belle comme le jour. »
Valyn se figea avant que la main d'Iwen qui effleurait sa joue le la ramène à la vie. Son corps vibra sous ce toucher.
« Mais elle n'est pas vous, Valyn, termina-t-il, le regard dans le sien. Elle n'a pas ce que vous avez. Elle ne m'inspire pas ce que vous éveillez en moi. »
La jeune femme eut beau concentrer toutes ses pensées sur sa respiration, elle avait grand peine à maîtriser les mouvements de son sternum qui se soulevait de façon bien trop ostentatoire à son goût.
Elle était revenue. L'étincelle enflammée qui éclairait ses iris clairs. Elle ne devait pas la fixer, elle avait trop peur de ce que cela générait en elle. Hélas, quand elle détourna son attention, elle tomba directement sur sa bouche. Et si elle recommençait, c'était ensuite sur sa gorge, là où sa chemise était entrouverte à la naissance du poitrail. Elle devinait un corps fin mais viril. Cette pensée échauffa encore plus son esprit embrouillé.
« Qu'est-ce que j'éveille en vous ? »
Il avait regardé sa bouche pendant qu'elle parlait. Il remonta à ses yeux.
« Quelque chose qui n'est pas convenable, répondit-il d'une voix sourde.
_ Parce que je ne suis qu'une saltimbanque ?
_ Non. Parce que je ne veux pas me montrer outrageant envers vous. »
Outrageant. Encore ce mot. Alors s'ils étaient tout les deux outrageants, quel mal y aurait-il ?
Valyn rejeta derrière elle la cape qui couvrait ses épaules. Elle était certes toujours trempée mais le tissu commençait se faire trop chaud sur elle. Quand le vêtement retomba, elle surprit le regard d'Iwen filer un instant vers le corsage de sa robe avant de vite se reprendre.
« J'ai senti vos yeux sur moi durant toute la soirée, lui avoua-t-elle. Comme un couteau qui déchirait lentement mes vêtements. »
Son timbre de voix s'accorda à son regard. Suave. Transperçant. Brûlant. Iwen la dévisageait avec fascination, sans aucune trace de regret ou de honte face à ce qu'elle lui exposait.
« Vous vouliez me toucher pendant le numéro, n'est-ce pas ? Même plus que cela. »
Dans une expiration qui trahissait l'envie qu'il contenait, l'homme prit soudain le visage de Valyn dans ses mains et arrêta aussi vivement son geste qui visait à l'embrasser avec ardeur. Ils se retrouvèrent front contre front, le souffle court et les mains impatientes.
« Valyn... »
Cette façon qu'il eut de prononcer son nom comme s'il la suppliait de s'offrir à lui lui fit presque perdre la raison. Il ne quémandait pas son corps. Il la demandait, elle.
« Je veux la même chose que vous, Iwen. »
Valyn l'invita à aller jusqu'au bout d'un effleurement de lèvres accompagné d'un faible soupir. Sa bouche si près de la sienne sans la dévorer était une torture. Lui aussi usé jusqu'au bout de sa résistance, Iwen ne tint plus et embrassa avec fougue cette femme qui jouait avec ses sens depuis de trop longues heures. Elle lui répondit avec la même envie, dépassée par cette vague qui déferlait en elle.
Elle n'était plus une saltimbanque. Elle n'était plus dans la demeure de l'homme qui avait engagé sa troupe. Elle n'était plus à la veille de son départ de la Porte de Baldur. Elle n'était plus une fugueuse que ses amis devaient être en train d'attendre en se faisant un sang d'encre. Elle n'était plus une novice qui savait ce qu'était l'amour sans l'avoir expérimenté. Elle n'était plus outrageante.
Elle était une jeune fille qui voulait devenir femme. Ici, maintenant et entre les bras de cet homme qui lui faisait enfin réaliser que comme les autres, comme Anmoira, elle pouvait être désirée.
Ce fut donc lors de cette nuit noyée sous une pluie battante, sur un sofa imbibé d'eau et devant un feu de cheminée que Valyn, dix neuf-ans, acrobate, danseuse et jongleuse de feu, devint femme sous les mains d'Iwen Calis. Sans songer au lendemain.
Valyn continuait de caresser le contour du visage d'Iwen tandis que lui traçait des lignes dans le bas dos de son amante tout en la gardant contre lui. Le rebondi de ses joues, la courbe de son nez ou de son menton, elle pourrait les lisser jusqu'à ce que ses traits ne s'imprègnent dans ses doigts. Elle ne cessait de se demander ce qu'il voyait en elle avec un tel regard alangui posé sur elle. Elle était comme un bijou inestimable ou une œuvre d'art qu'il ne se lassait pas d'admirer.
La curiosité finit par avoir raison d'elle et elle lui posa la question. Il eut un sourire et promena ses iris apatite sur le corps près de lui. La jeune femme se sentit rougir jusqu'aux oreilles face à une telle contemplation alors que quelques minutes auparavant, leurs gestes avaient été bien plus offensants envers la pudeur.
« Je vois ce que personne n'a vu, même pas toi, dit-il avec malice en déposant quelques baisers ici et là sur elle. Tu n'as pas idée de ce que tu représentes, Valyn. »
La sincérité qui avait approfondi son timbre de voix la fit frissonner. Elle gloussa quand il s'attaqua à lui mordiller l'oreille pour l'embêter et tenta mollement de repousser ses assauts.
« Et qu'est-ce que je représente, Monsieur Calis ? Vous êtes bien mystérieux.
_ Nous nous sommes fixés toute une soirée et avons fait l'amour d'une manière à en faire rougir la déesse Sunie elle-même et tu me vouvoies encore ? fit-il remarquer en arquant un sourcil.
_ D'accord, d'accord, s'excusa-t-elle avec un sourire mutin. Mais j'attends toujours ta réponse. »
Valyn s'était attendu à toutes les réponses possibles mais pas celle qu'il lui donna. Et encore moins avec autant de sérieux.
« Tu es tout ce que j'ai toujours voulu. Tout ce dont j'ai besoin dans cette vie. Je l'ai su dès que j'ai posé les yeux sur toi.
_ I-Iwen... souffla la jeune femme, troublée. Je ne suis qu'une amuseuse des rues et toi... Regarde autour de toi.
_ Si je t'avais rencontrée avant la mort de mon père, je n'aurais jamais osé t'approcher. Je l'avoue. Mais je suis le maître de la maison Calis, maintenant. Je suis libre de faire comme je l'entends, personne n'aura rien à redire. »
Elle le laissa l'embrasser quand il alla rechercher ses lèvres pour une nouvelle caresse. Après quelques mouvements d'abord suaves, l'échange s'intensifia pour exiger plus. Se faisant violence pour réprimer cette nouvelle flamme qui descendait à ses reins, Valyn écarta son visage de celui d'Iwen, le souffle court et la raison grésillante. Elle ne voulait pas prononcer les mots qui suivraient mais elle devait s'y résoudre.
« Les miens m'attendent et doivent me chercher. Je devrais déjà être là-bas pour notre dépa...
_ Valyn. »
Jamais aucun regard ne l'aura emportée aussi loin de toute pensée.
« Reste avec moi. Ne pars pas. »
J'ai tellement envie de lui crier « Naooooooooon ! ». Mais qu'est-ce que tu veux dire à une ado avec les hormones en feu -_-'
Le sapin est au détour du virage. Il est temps d'atteindre le point de bascule. Suite et fin au prochain chapitre !
