Chapitre écrit en collab' avec Scribouillarde


Chapitre 3.

« Poppy, dites-moi, ne pouvons-nous réellement rien faire ? »

La voix de Minerva venait de s'élever comme un couinement. La médicomage effectua quelques arabesques de sa baguette au-dessus des deux corps toujours inanimés, mais c'était peine perdue. Elle le savait, elle avait déjà exécuté ce sort au moins trois fois.

« Non Minerva. Leurs constantes sont excellentes, comme s'ils dormaient et j'ai le sentiment qu'une catastrophe pourrait se produire si je provoquais leur réveil plutôt que d'attendre qu'ils ne reviennent à eux.

_ C'est juste, ajouta Sybille d'une voix tremblante. Si jamais vous les réveillez maintenant, ils pourraient se retrouver coincés entre cette vie et celle que nous découvrons, sans jamais pouvoir se rattacher à l'une ou à l'autre.

_ Alors….? Nous allons devoir attendre la fin ? »

La voix de Minerva s'étrangla après avoir prononcé cette question en un murmure. Tous savaient à quoi s'attendre et elle refusait d'en être spectatrice. Elle aurait voulu leur hurler ce qui allait arriver alors que le couple vivait ses derniers jours de tranquillité et d'insouciance, voire ses dernières heures. Comme malgré elle, une perle roula sur sa joue qu'elle fit furtivement disparaître.

Cet homme était-il donc maudit depuis la nuit des temps ? Pourquoi donc Merlin s'acharnait-il contre lui, vie après vie ? Elle avait eu si mal durant la guerre, à devoir le combattre avec la dernière des énergies et son cœur s'était serré lorsqu'elle avait découvert sa véritable allégeance. Il avait lentement guéri et c'est avec un soulagement sans nom qu'elle avait à nouveau entendu sa voix sarcastique et hautaine. Et là, devant elle, il allait mourir à nouveau sans qu'elle ne puisse rien y faire.

Minerva ferma les yeux un instant, rappelant à elle tout son fameux courage Gryffondorien au secours de ses sentiments. Lorsqu'elle ouvrit de nouveau les paupières, son regard ne put se détacher des images devant elle. Alors, la résignation fit place à la curiosité. Après tout, quel hasard que lui et Hermione Granger se soient déjà rencontrés dans un passé plus que lointain.

xXx

Hermione ouvrit brutalement la porte de sa cabine, avec des cernes jusqu'aux genoux et un air abominable. Elle se contenta de fusiller l'homme devant elle, élégant peut-être, fatigué, sans aucun doute.

« Je vous déteste, marmonna-t-elle.

_ Quelle idée d'être aussi matinale, grogna-t-il.

_ Je ne le suis pas, la preuve : ma voisine de chambre n'est même plus là.

_ Qui est-ce ?

_ J'en sais rien, je ne connais pas son nom.

_ Vous ne connaissez pas le nom de celle avec qui vous partagez votre couche ? »

Hermione agrippa au vol son chapeau, une oeuvre magnifique de tissu noir pourvue d'un ruban bordeaux.

« Rassurez-vous Monsieur Hart, cela ne s'applique qu'aux femmes de ce paquebot, lui murmura-t-elle avec un sarcasme non feint.

_ Quel soulagement, s'en gaussa-t-il d'un ton cynique. »

Hermione ferma la porte de sa cabine et se fit accompagnée durant sa marche matinale. Ils longèrent ainsi la salle de repas de l'équipage, la salle de tri postal, avant de prendre l'ascenseur jusqu'à la passerelle.

Ils avançaient d'un pas lent et méditatif, dans un silence confortable le long des différents ponts, longeant les canots de sauvetage. A cette heure-ci, peu de personnes étaient de sortie. Il fallait dire que l'air en plein milieu de l'Atlantique Nord était glacial. Mais cette fois, Hermione n'avait pas oublié de se vêtir en conséquence.

« Malgré les valises qui ont pris place sous vos yeux, je suis certain que la petite fête d'hier soir vous a plu. »

La jeune femme soupira.

D'accord… Peut-être un peu. Mais cela était bien difficile de le lui avouer, lui qui semblait si fier de lui !

« Il faut encore que j'y réfléchisse.

_ Menteuse. »

Puis, ils passèrent devant le gymnase. Ce dernier n'était pas encore ouvert, mais ils purent apercevoir d'ici le moniteur McCawley, cet homme petit aux joues rouges, en train de faire du rameur à s'en taper une crise d'asthme. Le bruit de ce truc couplé à ses expirations animales les firent pouffer.

« Cet homme prend son rôle bien trop au sérieux, commenta Hermione, amusé.

_ Et c'est vous qui dites cela ? Il est 7h du matin et voilà que nous devons nous rendre dans une bibliothèque plutôt que de prolonger cette nuit de sommeil dont nous avons pourtant trop besoin.

_ J'ai besoin de calme, et cet endroit est le seul à être assez silencieux pour que je m'y sente bien. Sans compter sur les livres passionnants qu'il contient. Je me suis fixée comme objectif d'en parcourir la moitié soit une cinquantaine.

_ Vous êtes sérieuse ? Et pourquoi diable s'infliger une torture pareille ?

_ Avez-vous vu l'aspect de ces ouvrages ? Leurs reliures de cuir, et les titres dorés la feuille d'or… Une fois amarrés, je n'aurais sans doute plus l'occasion de tenir de nouveau ce genre de chef-d'œuvre dans les mains au vu de leur valeur. Venez, c'est par ici. »

Thomas suivit la jeune femme jusqu'à une grande pièce coloniale, prolongée d'un salon de lecture. Elle s'adressa directement au steward pour lui rendre un ouvrage, et lui glisser le titre du prochain qu'elle souhaitait emprunter.

« Je n'arrive pas à croire qu'on m'ait supprimé de ce poste, ne put-elle s'empêcher de soupirer, pensive.

_ Vous savez, quelque part, si vous n'aviez pas été déplacé aux ascenseurs, nous ne nous serions jamais rencontré.

_ Je devrais remercier Monsieur Wilson alors, ironisa-t-elle.

_ Si vous faites ça, je jure que je vous donne mon secret sur un plateau d'argent avec des félicitations en prime ainsi que mon respect éternel.

_ Désolée, mais je tiens un peu trop à la vie.

_ Et je ne mettrais jamais la vôtre en danger pour si peu.

_ Vous êtes bien aimable, s'en amusa Hermione en remerciant le steward avant de prendre en main un roman portant un titre bien étrange, « à la recherche du temps perdu ».

_ Je ne plaisante pas pourtant vous savez, murmura-t-il. »

Hermione lui jeta un coup d'œil curieux, avant de détourner le regard, puis de l'observer avec un peu plus d'intensité, laissant échapper un léger rictus accompagné d'un rougissement sur ses jolies pommettes.

« Je sais que certains officiers profitent de leur statut. N'est-ce pas ? »

Son expression changea, et un voile de tristesse passa devant son regard avant qu'elle ne détourne le visage, pudiquement.

« En effet, souffla-t-elle en une drôle de voix. C'est si évident ?»

Hermione soupira, puis prit place sur une chaise longue, tout près de la sortie. Elle garda ses yeux rivés sur son livre, triturant le cuir, plongée dans ses pensées. Elle ne remarqua pas Thomas qui s'installa près d'elle et se pinça la bouche, avant de regarder un point invisible devant lui.

« Moi aussi, murmura-t-il d'une voix presque inaudible. »

La jeune femme fronça les sourcils avant de l'observer, interloquée.

« Moi aussi, je profite de ma position sur ce paquebot, avoua-t-il à demi mot.

_Qu'est-ce que vous voulez dire ? commença-t-elle à demander avec anxiété.

_ Il y a des jours où j'aimerai… éviter de penser, à ma vie, à d'autres choses que j'ai pu dire, faire. Quand on m'appelle pour résoudre un problème sur ce paquebot, même si je ne suis pas la personne qui devrait s'en charger, je m'y exécute, histoire de rentrer dans les rangs, qu'on ne se pose pas trop de questions et que moi-même, j'évite d'un peu trop me perdre dans mes pensées, avoua-t-il. Dans un sens, on peut dire que je profite de mon statut de... »

Hermione prit une inspiration qu'elle bloqua dans sa poitrine. Elle avait eu peur qu'ils avouent des malversations. A son soulagement, il n'en fut rien. Néanmoins, Thomas se leva maladroitement, sentant d'ores et déjà qu'il en avait trop dit.

« Excusez-moi, je… je retourne à mes affaires. »

Hermione se leva et se précipita à sa suite sans lui laisser l'occasion de se dérober. Elle le rejoignit alors sur le pont avant qu'il ne se sauve.

« Alors c'est ça votre secret ? »

Thomas se tendit soudain en s'arrêtant, sans pour autant se retourner vers Hermione.

« Mon secret, murmura-t-il.

_ Vous fuyez, vous aussi. Quand vous parlez de statut... Vous êtes un fugitif ou quelque chose comme ça ? »

Hermione s'avança vers Thomas qui grimaça. Il en avait définitivement trop dit et il ferait mieux de la planter là. Mais il n'en trouvait pas la force.

« Je pense que vous ne pouvez pas comprendre.

_ Etre une femme, en Grande Bretagne, c'est difficile. Je nourris l'espoir absurde que l'herbe soit plus verte ailleurs… Et… Je fuis moi aussi, finit-elle par confesser, mal à l'aise.

_ Allons. Que pouvez-vous bien fuir ? Un mari jaloux ? ironisa-t-il.

_ Bingo. »

Thomas la toisa avec surprise, mais Hermione l'évitait du regard, mal à l'aise.

« Ce n'était pas un mariage... d'amour, trancha-t-elle. Et je suis juste parti avant de dire oui, dans le dos de mon père. Ce voyage est pire qu'une fuite en avant. Bien évidemment, papa avait signé un contrat avec cet homme, ce n'était qu'une affaire commerciale. Si je m'enfuyais, je risquais de gros problèmes, mais je l'ai fait quand même… Je n'imaginais pas continuer ma vie de cette façon. Autant vous dire que je déplore être une femme en ces temps qui courent.

_ Être endetté l'est tout autant. »

Hermione ouvrit la bouche, puis la ferma assez rapidement.

« Ça ne saute pas aux yeux dès le premier regard, s'en gaussa-t-il. Mais quelques hommes de main sont à ma recherche dans la banlieue de Southampton, et j'ai embarqué sur le Titanic histoire d'éviter la mise à tabac et plus de problèmes encore. »

Thomas soupira de lassitude, de fatigue, pressant sa grande main vers son visage avant de s'avancer vers le bord du chemin de promenade et de s'y accouder. Les remous de l'océan créaient un bruit permanent de vague avec lequel il s'était accoutumé depuis son embarquement.

Mais ce n'était pas vraiment ce qui lui importait à l'heure actuelle.

Parce qu'il l'avait dit… Oui, il avait enfin lâché le morceau à quelqu'un sur une partie de sa situation. Pourquoi ? Il n'en savait rien, mais il traînait ce secret comme un poids depuis de longs, très long mois. Personne n'était au courant, même pas sa propre mère. Il avait bien trop honte, sans parler de la frayeur à l'idée que cela ne retombe sur la tête de quelqu'un d'autre que lui.

Ainsi, il s'était efforcé de ne nouer aucune attache, avec personne, faisant en sorte d'éloigner le plus de monde possible autour de lui. Pour dire vrai, Hermione était peut-être la première depuis bien longtemps à avoir eu droit à sa clémence, peut-être parce qu'elle avait le répondant nécessaire, et les épaules solides. Il n'en savait rien.

« Alors nous ne sommes pas si différents dans le fond, lui glissa-t-elle, espiègle.

_ Vous êtes fauchée également ?

_ Non, mais seule, oui, se moqua-t-elle. Que penseriez-vous de l'éventualité d'être seuls ensembles, Thomas ? »

L'homme se tourna vers la jeune femme à ses côtés, un peu amusé.

« Avec moi ? Vous avez des tendances masochistes ?

_ Allons, vous n'êtes pas si désagréable que vous voulez bien le faire paraitre, balança-t-elle en faisant la moue. En plus maintenant, je connais votre secret.

_ C'est du chantage ?

_ Peut-être bien, s'amusa-t-elle avec malice. Mais si vous ne voulez plus de moi, je peux tout à fait m'en aller.

_ Non. Ce que je voulais dire, c'est que pour passer plus de temps de qualité, nous devons rendre ce périple un peu plus amusant qu'en allant chercher ce truc de Marcel Proust, dit-il en désignant le bouquin qu'elle tenait dans ses mains.

_ Si vous voulez me faire arrêter de lire Monsieur Hart, je crains que nous ne nous entendions pas.

_ Et moi, je crains que vous ne compreniez pas. Je veux simplement profiter de ce voyage pour vivre quelque chose plutôt que de le lire. C'est un exercice que j'ai un peu trop usé pour m'échapper de ma vie misérable, alors je me laisse à penser que ce bateau nous offre l'opportunité de sortir de nos sentiers battus. »

Hermione se tourna vers lui, le fixant d'un drôle d'air, assez intense.

« Alors ? Vous vous risqueriez à quitter ça pour vous lancer dans vos propres folles aventures ? »

Ses paroles se percutèrent en elle.

Hermione avait toujours cherché à se plonger dans les livres pour s'échapper, acquérir plus de savoir, pour avoir l'impression d'exister, peut-être. Elle tritura un coin de la reliure, frissonnant par le froid et cette sensation bizarre qui naissait en elle. Etait-ce de la peur ?

Non, elle ne pouvait pas avoir peur.

« D'accord, murmura-t-elle.

_ D'accord ?

_ Vous semblez surpris ? finit-elle par se moquer.

_ Vous avez l'air d'être si têtue, ricana-t-il. Aussi un peu une Miss Je sais Tout sur les bords.

_ Hey ! »

Thomas pouffa, et Hermione lui frappa gentiment le bras avant de jeter son livre sur une des chaises longues.

« Ce n'était pas très gentil. »

Thomas l'observa en souriant, avant d'hausser les épaules nonchalamment.

« C'était un compliment en réalité.

_ Vous avez une drôle de façon de complimenter les gens, vous le savez ?

_ Miss Je Sais Tout veut bien dire que vous savez des choses, non ? »

Hermione s'apprêta à répliquer, mais son regard s'arrondit d'effroi lorsqu'elle entendit un son, un son qu'elle ne connaissait que trop bien.

Une trompette, ou plutôt, plusieurs. L'annonce de l'ouverture du restaurant des premières classes… Et son poste !

Elle se précipita vers Thomas et lui prit la main pour le forcer à la suivre.

« Vous, vous venez !

_ Mais vous êtes dingue ?

_ Dingue ou en retard, je crois que ça revient à la même chose ! Bon sang, je vais finir par être reléguée à sortir les chiens sur la passerelle des troisièmes classes ou à trier le courrier.

_ Je dirais que vous êtes venue me voir pour une panne motrice des ascenseurs.

_ Ils vont commencer à croire qu'il y a anguille sous roche entre nous, Thomas.

_ Severus, corrigea-t-il soudain.

_ Quoi ? »

Thomas s'arrêta alors sous les protestations silencieuses d'Hermione qui finit par soupirer avant de rester planter là, à attendre qu'il se décide à cracher le morceau. D'abord hésitant, l'homme finit par s'approcher d'elle et de son oreille.

« Thomas Hart était un collègue qui me devait un service. Mon vrai nom, c'est Severus, lui confessa-t-il.

_ Severus ? répéta-t-elle, confuse.

_ Thomas m'a cédé sa place contre mes dernières économies.

_ Vous avez usurpé l'identité de quelqu'un ? s'offusqua-t-elle.

_ Je compte sur vous pour garder mon deuxième secret maintenant, autant que je garderais le vôtre Madame Marshall. »

Pouvait-il lui faire confiance ?

Severus songea qu'il devait avoir perdu la boule. Il la connaissait à peine !

Et pourtant…

« Je le garderais. »

xXx

Quiconque serait entré dans la salle de divination à cet instant aurait cru entrer dans une salle de cinéma. La plupart des élèves présents avaient pris leurs aises, affalés sur des coussins disséminés dans la pièce. On aurait pu entendre les mouches voler.

Les dragées de Bertie Crochu circulaient allègrement ainsi que les Chocogrenouilles et certains s'étaient même procurés du jus de citrouille. Néanmoins, les professeurs McGonagall et Trelawney finirent par le remarquer et la directrice se leva prestement, choquée.

« Dois-je rappeler aux élèves ici présents que tout ceci n'est pas une séance de visionnage d'un film ? »

Harry, sourcils froncés et genoux repliés sous le menton, totalement absorbé par les images qui se déroulaient devant lui, finit par en détacher le regard, surpris. Ses yeux allaient bien quelquefois regarder du côté des deux sorciers endormis et il devait avouer qu'il n'avait aucun mal à les imaginer ainsi. Hermione avait toujours été différente, trop mature pour s'attacher à quiconque de son âge, alors la voir évoluer avec Snape, dans cette autre vie lui semblait presque évident. Mais sa réflexion venait d'être coupée par l'intervention de Minerva McGonagall, rouge de colère.

« Vous êtes en train d'assister au déroulé de deux vies antérieures, ajouta Sybille, la voix chevrotantes tout en remontant ses lunettes sur son nez. Ces faits sont réels, cela s'est vraiment passé ainsi, même si j'admets que… on peut éprouver une certaine distance face à cela.

_ Peut-être devriez-vous tous vous rappeler comment l'histoire tragique de ce paquebot et de quelle façon vous allez devoir expliquer la présence de confiseries traînant dans cette salle alors que des centaines de gens s'apprêtent à mourir sous vos yeux. »

Le survivant jeta un coup d'œil à Ron et grimaça. Le rouquin venait d'empoigner une énorme quantité de chocogrenouilles et tentait de les faire toutes rentrer dans le gouffre qui lui servait de bouche. Les yeux écarquillés, il avait été lui aussi absorbé dans les images et se sentait sûrement bien bête à l'heure actuelle, tout comme certains autres Gryffondors. Harry jugea ainsi opportun l'intervention de la directrice. Pour son ami, ce qu'il voyait n'était peut-être qu'une histoire banale, avec des personnages fictifs ou presque.

Jamais il n'aurait pu comprendre que ces deux êtres supérieurement intelligents étaient faits pour se rencontrer à travers les âges, que leurs âmes avaient traversé les époques pour se retrouver à nouveau, maintenant, et que merde, il parlait tout de même de Snape et d'Hermione !

Lui-même peinait encore à y croire, bien qu'ils semblaient si bien s'entendre. Le quotidien avait pris le dessus, et tout se déroulait entre eux avec une fluidité effarante, tout autant qu'ils auraient pu avoir dans cette vie présente. Cela le tuait de l'admettre oui, mais ce Severus et cette Hermione n'étaient guère éloignés des personnes qu'il connaissait. Tout était si… cohérent.

Harry tourna légèrement la tête derrière lui et tomba gravement sur les yeux de Drago. D'un regard, le survivant comprit qu'il n'était pas le seul à avoir fait de telles conclusions. Pour une fois, peut-être, Malfoy ne lui envoya pas un air hargneux, mais bien complice, mais aussi grave, comme s'il comprenait exactement ce qu'il se passait devant lui au même instant. En vérité, il lui semblait que la plupart des Serpentards et des Serdaigles n'étaient pas vraiment dupes sur ces révélations. Luna semblait elle aussi, la plus impliquée dans cette histoire, amenant ses mains vers sa bouche et dardant ses orbes d'ores et déjà humides vers les deux corps étendus sur le sol.

Harry songea alors que cette possibilité d'en savoir plus sur l'origine de leurs pouvoirs pouvait bel et bien n'être rien d'autre qu'une malédiction, finalement…

xXx

C'était la première fois qu'Hermione sortait de son poste avec une impatience palpable. Elle se rendit sans attendre dans sa cabine pour se changer, alors que le crépuscule commençait déjà à tomber sur l'océan.

Quand elle sortit de nouveau, les températures étaient tout aussi fraîches et elle se blottit dans sa veste un instant avant de courir un peu. A peine quelques minutes plus tard, elle le vit au loin, sur le pont, arrivant sur place avec la respiration haletante.

Le profil acéré de Severus se dessinait dans les derniers rayons du soleil couchant et elle frissonna, guère de froid, cette fois. Lui était de marbre, comme indifférent aux éléments et elle trouva cela étrangement rassurant. Les yeux noirs de l'homme fouillaient le ciel qui se parait rapidement de nuit et les embruns venaient fouetter son visage pâle sans qu'il ne s'en formalise. La jeune femme resta ainsi de longues minutes, savourant l'instant, chaque seconde amenant la nuit avec elle.

Elle s'avança doucement, oubliant sa contemplation du profil de cet homme pour se tourner vers l'horizon.

Quel doux oxymore, se dire que ce genre de spectacle se déroulait tous les soirs et pourtant, il n'en demeurait pas moins unique à chaque fois.

« Bonsoir, entendit-elle au creux de l'oreille. »

Hermione sourit tendrement vers Severus, qui lui offrit un rare, très rare et mince rictus. Au fil des jours, elle avait bien remarqué sa capacité surnaturelle à se glisser sans un bruit dans chaque recoin de ce bateau, et surtout, derrière elle. Dieu, il ressemblait parfois à un véritable serpent tapis dans son fourré !

« Je vous ai ramené votre manteau, lui dit-elle.

_ Parce que c'est vous qui l'aviez ?! Je l'ai cherché durant des heures ! »

Hermione ricana un peu, avant de rougir et de lui donner son vêtement. Puis, elle se pencha vers une des ouvertures devant elle, le silence uniquement brisé par le bruit des moteurs et des vaguelettes brisées contre la coque.

« Comment m'avez-vous trouvé ? demanda-t-il d'une voix faible.

_ Vous aimez observer les choses en hauteur, non ?

_ Comment savez-vous cela ? Car je crains que cette information ne soit pas présente dans un de vos livres cette fois.

_ Je suis simplement observatrice, figurez-vous.

_ Ne trouvez-vous pas cela cocasse ? articula-t-il. Vous êtes l'experte pour conduire les gens à descendre et monter les étages, forcément, vous êtes la seule qui aurait pu remarquer ce genre de choses. »

Hermione sourit, flattée et se fit presque bousculer par un ouvrier passant par là. Severus la rattrapa juste à temps et tous deux observèrent l'homme commencer à éteindre des torches extérieures avec hâte. Puis, elle se tourna vers celui qui semblait toujours aussi prompt à l'empêcher de choir.

« Décidément, vous allez toujours me rattraper de cette façon ? s'en amusa Hermione en redressant le visage.

_ Je crois que ça va finir par devenir une fâcheuse habitude, plaisanta-t-il. Remarquez, cette entrevue me fait réaliser que cette nuit serait idéale pour observer les étoiles.

_ Les étoiles ? Mais l'accès aux ponts va fermer. »

Severus lui envoya une œillade complice. Puis, il lui prit la main pour les amener d'un pas rapide vers une alcôve.

Discrètement, Severus attendit que le marin en charge des torches ne passe pour se glisser à sa suite, lui chipant son trousseau de clés.

« Severus, gronda Hermione d'une voix murmurante.

_ Quoi ? Oh vous êtes si conventionnelle ! Il vous a bousculé, non ?

_ Vous aussi, vous m'avez bousculé la première fois.

_ Parce que vous préférez passer la soirée avec lui ? »

Hermione leva les yeux au ciel, puis se laissa entraîner par cet homme, alors qu'elle jetait un regard inquiet derrière elle, non par peur de se faire prendre, mais davantage par soucis de ne pas provoquer de problème au marin lorsqu'il s'apercevrait de l'absence de ses clés.

Mais elle n'eut pas vraiment le temps d'y réfléchir quand l'homme ouvrit l'accès leur permettant d'aller vers la poupe du bateau, d'où tournaient comme un bruit sourd et constant, les trois hélices permettant au paquebot d'avancer.

Le drapeau de la Royal Naval Reserve claquait dans les airs. Il n'y avait personne ici, tous les autres passagers devant sans doute dormir dans leurs lits, ou naviguer entre les fumoirs, les restaurants ou encore les salons de réceptions. Il y avait même encore cette musique de fond de l'orchestre jouant gaiement en bas, mais Hermione semblait surprise que l'homme avec elle ne s'y intéresse pas, lui qui l'avait littéralement traîné de force ce soir-là dans la fête tenue par les troisièmes classes.

Hermione avança ainsi jusqu'au bout de la poupe, observant les sillons formés par le navire se fondre dans l'océan.

Aussi tressaillit-elle lorsque la voix profonde de Severus résonna, comme incongrue dans le silence.

« Regardez… lui murmura-t-il. Il n'y a qu'ici qu'on peut les voir sans être importuné par la fumée qui s'échappe des cheminées. »

Elle leva les yeux vers le point qu'il indiquait du doigt sans comprendre ce qu'il voulait lui montrer.

« Quoi ? demanda-t-elle en se retournant, réalisant seulement là sa proximité. »

Les yeux noirs lui jetèrent un regard pénétrant.

« Aurais-je donc l'infini plaisir de pouvoir enfin enseigner quelque chose qu'elle ne connaît pas à la Miss Je Sais Presque Tout ? demanda-t-il un brin moqueur.

_ Mais je n'ai jamais prétendu tout connaître ! »

Lui glissant un sourire malicieux pour toute réponse, Severus la saisit doucement par le bras pour la positionner à côté d'elle, à une distance proche, bien trop proche. Hermione frissonna de nouveau, avant de sourire discrètement.

« Alors je vais me faire le plaisir d'encore allonger la somme de vos connaissances. Il faut dire qu'il n'y a que peu de possibilités de vous apprendre quelque chose que vous ignorez. »

La jeune femme se tourna de nouveau vers lui, troublée par son toucher et son regard.

« Avec les étoiles ? murmura-t-elle, la voix tremblante malgré la chaleur de son bras pressé contre le sien.

_ Je les admire souvent et les trouve fascinantes. Elles sont des amies fidèles. Contrairement à nombre d'humains, elles ne bougent pas, sont fiables et écoutent beaucoup tout en sachant se taire… »

Hermione plissa les yeux devant l'once de taquinerie émanant des dernières paroles de Severus.

« Et ? interrogea-t-elle doucement. Vous avez votre petite favorite ? »

Le doigt de Severus s'éleva jusqu'à un point scintillant de mille feux. L'étoile semblait énorme auprès de ses soeurs et elle brillait tellement qu'il semblait à la jeune femme qu'elle clignotait par moment.

L'instant était aussi fragile qu'un éclat de cristal et pour rien au monde elle ne voulait briser la bulle qui s'était formée autour d'eux. Un murmure grave répondit à sa question silencieuse, le souffle chaud de l'homme chatouillant agréablement son oreille.

« Sirius. L'étoile la plus visible depuis la Terre. La principale de la constellation du Grand Chien. »

Hermione plissa les yeux en tentant de distinguer l'illustration décrite.

« Il faut avoir une sacrée imagination tout de même. »

Une expiration amusée et grave répondit à la sienne.

« L'imagination est tout ce qui reste à certains. Et ceux qui ont eu le temps de regarder les étoiles n'avaient pour certains plus grand chose en dehors de ça. »

Hermione s'efforça de distinguer des formes au milieu de la nuit scintillante.

« Je vois bien un W.

_ Décidément, il semblerait que la Miss Je Sais Tout lise trop et ne finisse par ne plus voir que des lettres danser dans le ciel… murmura-t-il toujours aussi proche. »

Hermione l'observa intensément, prête à lui sauter à la gorge et Severus lui envoya une oeillade rieuse.

« D'accord, c'est le W de Cassiopée, finit-il par avouer.

_ Tant de sarcasme alors que j'ai raison !

_ Arrêtez d'essayer d'avoir raison sur tout et prenez un peu le temps d'observer. »

Hermione laissa glisser ses orbes en hauteur, et l'homme mit deux doigts sous son menton pour redresser ses yeux dans la bonne direction.

« La Grande Ourse. Et la dernière, c'est l'étoile Polaire.

_ Quel excellent professeur vous feriez, glissa-t-elle avec malice. »

Elle remarqua comme il était proche d'elle, tout en n'osant pourtant se risquer à un geste de plus. Hermione se tourna alors complètement vers lui. Le souffle coupé, Severus se demanda un instant s'il n'avait pas perdu la tête, tout comme Hermione d'ailleurs.

Que leur prenaient-ils à flirter de la sorte, elle qui avait fuit un mariage, lui qui avait fuit sa propre vie, alors qu'ils approchaient de l'Amérique et qu'ils devraient bientôt se quitter. Ils ne devraient… ne pouvaient s'attacher de la sorte à qui que ce soit…

« Je ferais un abominable professeur, lui souffla-t-il pourtant, peu enclin à briser ce moment. Caustique, méprisant et surtout extrêmement partial.

_ A ce point ? souffla-t-elle doucement, amusée.

_ Si l'on devait me châtier dans une autre vie et châtier des enfants, alors oui, je serais professeur. Mais il faudrait que quelqu'un m'en veuille sacrément là-haut pour imaginer un scénario pareil ! »

xXx

La scène surréaliste à laquelle ils venaient d'assister avait déclenché chez certains un rire franc malgré l'angoisse du moment. Même Minerva n'avait pu totalement réprimer un sourire.

Si la remarque n'avait aucunement surpris les amis de la jeune femme, elle en avait fait grimacer plus d'un Gryffondor, la maison entière se repassant fugacement les qualités de patience et d'équité du redoutable professeur de potions.

Harry était le seul d'entre eux ayant pouffer d'ailleurs. Que le destin pouvait se montrer moqueur ! Le nom de son parrain, le ton sur lequel avait parlé Severus, son aveu, tout enfin l'avait fait rire ! Si Snape gardait mémoire de ce qu'il était en train de (re?)vivre, nul doute qu'il resterait traumatisé par cet aveu. Quoique, lorsqu'il y songea un instant de plus, le jeune homme se dit qu'il allait y avoir matière à d'autres traumatismes, et autrement plus difficiles à vivre dans quelques jours…

À la réflexion, Harry se demanda comment il leur serait possible de vivre simplement, après cela…